LE BARON D’ OTRANTE OPÉRA BUFFA EN TROIS ACTES (1769) Livret De François-Marie Voltaire (Arouet) (1694-1778) TABLE DES MATIERES Avertissement Personnages Acte I scène I scène II scène III scène IV scène V scène VI Acte II scène I scène II scène III scène IV Acte III scène I scène II scène III scène IV AVERTISSEMENT Cette petite pièce fut faite pour M. Grétry, qui, à son retour d’Italie, avait passé six mois à Genève, d’où il se rendait fréquemment à Ferney. M. de Votaire et Mme Denis, sur quelques essais de musique qu’il leur fit entendre, conçurent une si grande espérance de ses talents, qu’ils le pressèrent vivement d’aller les exercer à Paris; et, pour l’y déterminer d’autant mieux, M. de Voltaire s’offrit de travailler dans un genre nouveau, dont il n’osait cependant espérer, disait-il, d’atteindre la sublimité. Il donna en effet le Baron d’Otrante à M. Grétrv, qui vint le présenter aux comédiens italiens comme l’ouvrage d’un jeune homme de province. Les comédiens refusèrent la pièce, en avouant cependant que l’auteur n’était pas sans talent et qu’il promettait beaucoup. Ils engagèrent même M. Grétry à mander au jeune homme que s’il voulait venir à Paris, on pourrait lui indiquer quelques changements nécessaires pour faire admettre et représenter sa pièce, et qu’avec de la docilité et un peu d’étude de leur théâtre il pourrait lui devenir utile par ses travaux, et se rendre digne d’y être attaché. Leur défiance venait principalement de la nouveauté de ce genre d’opéra comique, où l’un des principaux rôles était en italien et tous les autres en français; mais si l’on a vu longtemps sur le même théâtre, dans des comédies, un principal personnage parler français, et tous les autres lui répondre en Italien, pourquoi l’inverse n’aurait-il pas réussi dans un opéra comique rempli d’ailleurs de gaieté et de philosophie? Quoi qu’il en soit, le jeune auteur reconnut son insuffisance, et ne jugea pas à propos de se déplacer. Il aima mieux renoncer à une gloire qu’il désespérait d’obtenir. Cet événement empêcha M. Grétry de mettre la pièce en musique, et l’auteur de la Henriade et de Mahomet de faire des opéras-comiques. Il s’en tint à ses premiers essais, le Baron d’Otrante et les Deux Tonneaux. Il est assez remarquable que M. de Voltaire donna le premier un opéra à M. Grétry, comme il avait, le premier, vers 1730, donné une tragédie lyrique à Rameau, avant que ces deux grands musiciens se fussent encore exercés dans les genres où ils ont excellé. Le grand poète découvrit leur génie et pressentit leur succès. Si les encouragements qu’il leur donna ont pu les déterminer à embrasser la carrière dramatique, on lui serait en partie redevable des chefs- d’oeuvre dont ils ont enrichi la scène, et des progrès qu’ils ont fait faire à l’art musical. Quel homme grave, à ce prix, ne pardonnerait à M. de Voltaire d’avoir fait des opéras comiques? PERSONNAGES LE BARON D’OTRANTE IRÈNE. UNE GOUVERNANTE. ABDALLA, corsaire turc. CONSEILLERS PRIVÉS DU BARON. HOBEREAUX ET FILLES D’OTRANTE. TROUPE DE TURCS. La scène est dans le château du baron. ACTE PREMIER. SCÈNE I (Le théâtre représente un salon magnifique.) LE BARON, seul, en robe de chambre, couché sur un lit de repos. (Il chante.) Ah! que je m’ennuie! Je n’ai point encore eu de plaisir ce matin. (Il se lève, et se regarde au miroir.) On m’assure pourtant que les jours de ma vie Doivent couler, couler sans ombre de chagrin. Je prétends qu’on me réjouisse Dès que j’ai le moindre désir. Holà! mes gens, qu’on m’avertisse Si je puis avoir du plaisir. SCÈNE II. LE BARON, UN CONSEILLER PRIVÉ, en grande perruque, en habit feuille-morte et en manteau noir; il entre une foule de hobereaux et de filles d’Otrante. LE CONSEILLER. Monseigneur, notre unique envie Est de vous voir heureux dans votre baronnie: D’un seigneur tel que vous c’est l’unique destin. LE BARON. Ah! que je m’ennuie! Je n’ai point encore eu de plaisir ce matin. (On habille monseigneur.) LE CONSEILLER. C’est aujourd’hui le jour où le ciel a fait naître Dans ce fameux château notre adorable maître. Nous célébrons ce jour par des jeux bien brillants... LE BARON. Et quel âge ai-je donc? LE CONSEILLER. Vous avez dix-huit ans. LE BARON. Ah! me voilà majeur! LE CONSEILLER. Les barons à cet âge De leur majorité font le plus noble usage; Ils ont tous de l’esprit, ils sont pleins de bon sens; Ils font, quand il leur plaît, la guerre aux musulmans, Rançonnent leurs vassaux à leurs ordres tremblants; Vident leurs coffres-forts, ou coupent leurs oreilles; Ils n’entreprennent rien dont on ne vienne à bout. Ils font tout d’un seul mot, bien souvent rien du tout; Et quand ils sont oisifs ils font toujours merveilles. LE BARON. On me l’a toujours dit; je fus bien élevé. Or çà, répondez-moi, mon conseiller privé: Ai-je beaucoup d’argent? LE CONSEILLER. Fort peu; mais on peut prendre Celui de vos fermiers, et même sans le rendre: LE BARON. Et des soldats? LE CONSEILLER. Pas un; mais en disant deux mots Tous les manants d’ici deviendront des héros. LE BARON. Ai-je quelque galère? LE CONSEILLER. Oui, seigneur; Votre Altesse A des bois, une rade, et quand elle voudra On fera des vaisseaux: l’Hellespont tremblera; Elle sera des mers souveraine maîtresse. LE BARON. Je me vois bien puissant. LE CONSEILLER. Nul ne l’est plus que vous. Seigneur, goûtez en paix ce destin noble et doux: Ne vous mêlez de rien, chacun pour vous travaille. LE BARON. Étant si fortuné, d’où vient donc que je bâille? LE CONSEILLER. Seigneur, ces bâillements sont l’effet d’un grand coeur Qui se sent au-dessus de toute sa grandeur. Ce beau jour de gala, ce beau jour de naissance Célèbre son bonheur ainsi que son pouvoir; Et monseigneur, sans doute, aura la complaisance De prendre du plaisir, puisqu’il en veut avoir. Vous serez harangué; c’est le premier devoir: Les spectacles suivront; c’est notre antique usage. LE BARON. Tout cela bien souvent fait bâiller davantage; Les harangues surtout ont ce don merveilleux. O ciel! je vois Irène arriver en ces lieux! Irène, si matin, vient me rendre visite! Mes conseillers privés, qu’on s’en aille au plus vite. Les harangues pour moi sont des soins superflus: Ma cousine paraît; je ne bâillerai plus. SCÈNE III. LE BARON, IRÈNE. LE BARON chante. Belle Irène, belle cousine, Ma langueur chagrine S’en va quand je te vois: L’amour vole à ta voix; Tes yeux m’inspirent l’allégresse, Ton coeur fait mon destin: Tout m’ennuyait, tout m’intéresse; Je commence à goûter du plaisir ce matin, Mais répondez-moi donc en chansons, belle Irène; C’est dans ces lieux chéris une loi souveraine Dont ni berger ni roi ne se peut écarter; Si l’on y parle un peu, ce n’est que pour chanter. Vous avez une voix si tendre et si touchante! IRÈNE. Il n’est point à propos, mon cousin, que je chante; Je n’en ai nulle envie; on pleure dans Otrante: Vos conseillers privés prennent tout notre argent; Vous ne songez à rien, et l’on vous fait accroire Que tout le monde est fort content. LE BARON. Je le suis avec vous, j’y mets toute ma gloire. IRÈNE. Sachez que pour me plaire il vous faudra changer: D’une mollesse indigne il faut vous corriger: Sans cela point de mariage. Vous avez des vertus, vous avez du courage; La nonchalance a tout gâté: On ne vous a donné que des leçons stériles; On s’est moqué de vous, et votre oisiveté Rendra vos vertus inutiles. LE BARON. Mes conseillers privés... IRÈNE. Seigneur, sont des fripons Qui vous avaient donné de méchantes leçons, Et qui vous nourrissaient d’orgueil et de fadaise, Pour mieux pouvoir piller la baronnie à l’aise. LE BARON. Oui, l’on m’élevait mal; oui, je m’en aperçois, Et je me sens tout autre alors que je vous vois. On ne m’a rien appris, le vide est dans ma tête; Mais mon coeur plein de vous, et plein de ma conquête, Me rendra digne enfin de plaire à vos beaux yeux; Étant aimé de vous, j’en vaudrai beaucoup mieux. IRÈNE. Alors, seigneur, alors, à vos vertus rendue, Je reprendrai pour vous la voix que j’ai perdue. (Elle chante.) Pour jamais je vous chérirai De tout mon coeur je chanterai Amant charmant, aimez toujours Irène: Régnez sur tous les coeurs, et préférez le mien Que le temps affermisse un si tendre lien, Que le temps redouble ma chaîne! (Tous deux ensemble.) Non, je ne m’ennuierai jamais; J’aimerai toute ma vie. Amour, amour, lance tes traits, Lance tes traits Dans mon âme ravie. Non, je ne m’ennuierai jamais; J’aimerai toute ma vie. (On entend une grande rumeur et des cris.) IRÈNE. O ciel! quels cris affreux! LE BARON. Quel tumulte! quel bruit! Quel étrange gala! chacun court, chacun fuit. SCÈNE IV. LE BARON, IRÈNE, UN CONSEILLER PRIVÉ. LE CONSEILLER. Ah! seigneur, c’en est fait: les Turcs sont dans la ville. IRÈNE. Les Turcs! LE BARON. Est-il bien vrai? LE CONSEILLER. Vous n’avez plus d’asile. LE BARON. Comment cela? Par où sont-ils donc arrivés? IRÈNE. Voilà ce qu’ont produit vos conseillers privés. LE BARON. Allez dire à mes gens qu’on fasse résistance; Je cours les seconder. LE CONSEILLER. Seigneur, votre grandeur De son rang glorieux doit garder la décence. IRÈNE. Hélas! ma gouvernante et mes filles d’honneur Viennent de tous côtés, et sont toutes tremblantes. SCÈNE V. LES PRÉCÉDENTS, LA GOUVERNANTE, ET LES FILLES D’HONNEUR. LA GOUVERNANTE. Ah! madame! les Turcs... IRÈNE. Ah! pauvres innocentes! Qu’ont fait ces Turcs maudits?... LA GOUVERNANTE. Les Turcs... je n’en puis plus... Dans votre appartement... ils sont tous répandus. Le corsaire Abdalla tout enlève, et tout pille; On enchaîne à la fois père, enfant, femme, fille. Madame!... entendez-vous les tambours... les clameurs?... LES TURCS, derrière le théâtre. Alla! alla! guerra! LA GOUVERNANTE. Madame... je me meurs! SCÈNE VI. LES PRÉCÉDENTS; ABDALLA, suivi de ses TURCS. QUATUOR DE TURCS. Pillar, pillar, grand Abdalla! Alla, ylla, alla! Tout conquir, Tout occir, Tout ravir Alla, ylla, alla! ABDALLA. Non amazzar, No, no, non amazzar. Basta, basta tout saccagear; Ma non amazzar, Incatenar, Bever, violar, Non amazzar. (Pendant qu’ils chantent, les Turcs enchaînent tous les hommes avec une longue corde qui fait le tour de la troupe, et dont un Levantin tient le bout.) LE BARON, enchaîné avec deux conseillers en grande perruque. Irène, vous voyez si dans cette posture Je fais pour un baron une noble figure. QUATUOR DE TURCS. Pillar, pillar,grand Abdalla! Tout Saccagear; Pillar, bever, violar. Alla, ylla, alla! IRÈNE. Quoi! ces Turcs si méchants n’enchaînent point les dames! Tant d’honneur entre-t-il dans ces vilaines âmes? ABDALLA chante. O bravi corsari, Spavento de’ mari, Andate a partagir, A bever, a fruir. A’ vostri strapazzi Cedo li ragazzi, E tutti li consiglieri. Tutte le donne son per me; È’l mio costume, Tutte le donne son per me. LES TURCS. Pillar, pillar, grand Abdalla! Alla, ylla, alla! IRÈNE, au baron qu’on emmène. Allez, mon cher cousin, je me flatte, j’espère, Si ce Turc est galant, de vous tirer d’affaire. Peut-être direz-vous, par mes soins relevé, Qu’une femme vaut mieux qu’un conseiller privé. ACTE DEUXIÈME. SCÈNE I. IRÈNE, LA GOUVERNANTE. IRÈNE. Consolons-nous, ma bonne; il faut avec adresse Corriger, si l’on peut, la fortune traîtresse. Vous savez du baron le bizarre destin? LA GOUVERNANTE. Point du tout. IRÈNE. Le corsaire, échauffé par le vin, Dans les transports de joie où son coeur s’abandonne, Sans s’informer du rang ni du nom de personne, A, pour se réjouir, dans la cour du château Assemblé les captifs, et, par un gout nouveau, Fait tirer aux trois dés les emplois qu’il leur donne. Un grave magistrat se trouve cuisinier; Le baron, pour son lot, est reçu muletier. Ce sont là, nous dit-on, les jeux de la fortune: Cette bizarrerie en Turquie est commune. LA GOUVERNANTE. Se peut-il qu’un baron, hélas! soit réduit là? Et quelle est votre place à la cour d’Abdalla? IRÈNE. Je n’en ai point encor; mais, si je dois en croire Certains regards hardis que, du haut de sa gloire, L’impudent, en passant, a fait tomber sur moi, J’aurai bientôt, je pense, un assez bel emploi. Et j’en ferai, ma bonne, un très honnête usage. LA GOUVERNANTE. Ah je n’en doute pas: je sais qu’Irène est sage. Mais, madame, un corsaire est un peu dangereux: Il paraît volontaire; et le pas est scabreux. IRÈNE. Il a pris sans façon l’appartement du maître: Je le suis, a-t-il dit, et j’ai seul droit de l’être. Vin, fille, argent comptant, tout est pour le plus fort; Le vainqueur les mérite, et les vaincus ont tort. Dans cette belle idée il s’en donne à coeur-joie, Et pour tous les plaisirs son bon goût se déploie, Tandis que mon baron, une étrille à la main, Gémit dans l’écurie, et s’y tourmente en vain. Il fait venir ici les dames les plus belles, Pour leur rendre justice, et pour juger entre elles, Mettre au jour leur mérite, exercer leurs talents Par des pas de ballet, des mines, et des chants. Nous allons lui donner cette petite fête; Et si de son mouchoir mes yeux font la conquête, Je pourrai m’en servir pour lui jouer un tour Qui fera triompher ma gloire et mon amour. J’entends déjà d’ici ses fifres, ses timbales; Voilà nos ennemis, et voici mes rivales. SCÈNE II. Les Levantins arrivent, donnant chacun la main à une personne. IRÈNE, LA GOUVERNANTE; ABDALLA arrive au son d’une musique turque, un mouchoir à la main; les demoiselles du château d’Otrante forment un cercle autour de lui. ABDALLA chante. Su, su, Zitelle tenere; La mia spada fa tremar. Ma voi, fanciulle care, Mi piacer, lui disarmar: Mi sentir più grand’ onore Di rendirmi a l’amore, Che rapir tutta la terra Col terrore della guerra. Su, su, Zitelle tenere, etc. IRÈNE chante cet air tendre et mesuré. C’est pour servir notre adorable maître, C’est pour l’aimer que le ciel nous fit naître. Mars et l’Amour à l’envi l’ont formé: Son bras est craint, son coeur est plus aimé. Des Amours la tendre mère Naquit dans le sein des eaux Pour orner notre corsaire De ses présents les plus beaux. (Elle parle.) Votre mouchoir fait la plus chère envie De ces beautés de notre baronnie; Mais nul objet n’a droit de s’en flatter: On peut vous plaire, et non vous mériter. (Abdalla fume sur un canapé les dames passent en revue devant lui. Il fait des mines à chacune, et donne enfin le mouchoir à Irène.) ABDALLA. Pigliate voi il fazzoletto, L’avete ben guadagnato; Che tutte le altre fanciulle Men leggiadre, e meno belle, Aspettino per un’ altra volta La mia sobrana volontà. (Il fait asseoir Irène à côté de lui.) Al mio canto Irena stia; E tutte le altre via, via. (Elles s’en vont toutes, en lui faisant la révérence.) Bene, bene, sarà per un’ altra volta, Un’ altra volta. SCÈNE III. IRÈNE, ABDALLA. ABDALLA. Cara Irena, adesso, Sedete appresso di me. Amor mi punge e mi consume. (Il la fait asseoir plus près.) Più appresso, più appresso. IRÈNE, à côté d’Abdalla, sur le canapé. Seigneur, de vos bontés mon âme est pénétrée; Je n’ai jamais passé de plus belle soirée. Quand je craignais les Turcs, si fiers dans les combats, Mon coeur, mon tendre coeur ne vous connaissait pas. Non, il n’est point de Turc qui vous soit comparable. Je crois que Mahomet fut beaucoup moins aimable; Et, pour mettre le comble à des plaisirs si doux, Je compte avoir l’honneur de souper avec vous. ABDALLA. Si, si, cara: ceneremo insieme, tête à tête, l’uno dirimpetto a l’altra; senza schiavi; solo con sola; beveremo del vino greco: e canteremo, e ci trastulleremo, dirimpetto l’uno a l’altra: si, si, cara, per dio Maccone. IRÈNE Après tant de bontés aurai-je encor l’audace D’implorer de mon Turc une nouvelle grâce? ABDALLA Parli, parli: farò tutto Che vorrete, presto, presto. IRÈNE. Seigneur, je suis baronne; et mon père autrefois Dans Otrante a donné des lois. Il était connétable, ou comte d’écurie; C’est une dignité que j’ai toujours chérie: Mon coeur en est encor tellement occupé Que si vous permettez que j’aille avant soupé Commander un quart d’heure où commandait mon père, C’est le plus grand plaisir que vous me puissiez faire. ABDALLA. Come! nella stalla? IRÈNE. Nella stalla, signor. Au nom du tendre amour je vous en prie encor. Un héros tel que vous, formé pour la tendresse, Pourrait-il durement refuser sa maîtresse? ABDALLA. La signora è matta. Le stalle sono puzzolente; bisognerà più d’un fiasco d’acqua nanfa per nettarla. Or su andate a vostro piacere, lo concedo: andate, cara, e ritornate. SCÈNE IV. ABDALLA chante. (En se frappant le front.) Ogni fanejulla tien là Qualche fantasia, Somigliante alla pazzia. Ma l’ira mia è vana. Basta che la Zitella Sia facile e bella; Tutto si perdona. Ogni fanciulla tien là Qualche fantasia. ACTE TROISIÈME. SCÈNE I. (Le théâtre représente un coin d’écurie.) IRÈNE; LE BARON, en souquenille, une étrille à la main. IRÈNE chante. Oui, oui, je dois tout espérer; Tout est prêt pour vous délivrer. Oui... oui.... je peux tout espérer; L’amour vous protège et m’inspire. Votre malheur m’a fait pleurer; Mais en trompant ce Turc que je fais soupirer, Je suis prête à mourir de rire. LE BARON. Lorsque vous me voyez une étrille à la main, Si vous riez, c’est de moi-même. Je l’ai bien mérité dans ma grandeur suprême, J’étais indigne, hélas! du pouvoir souverain, Et du charmant objet que j’aime. IRÈNE. Non, le destin volage Ne peut rien sur mon coeur. Je vous aimai dans la grandeur; Je vous aime dans l’esclavage. Rien ne peut nous humilier; Et quand mon tendre amant devient un muletier, Je l’en aime encor davantage. (Elle répète.) Et quand mon tendre amant devient un muletier, Je l’en aime encor davantage. LE BARON. Il faut donc mériter un si parfait amour; Ainsi que mon destin je change en un seul jour; Irène et mes malheurs éveillent mon courage. (A ses vassaux, qui paraissent en armes.) Amis, le fer en main, frayons-nous un passage Dans nos propres foyers ravis par ces brigands. Enchaînons, à leur tour, ces vainqueurs insolents Plongés dans leur ivresse, et se livrant en proie A la sécurité de leur brutale joie. Vous, gardez cette porte; et vous, vous m’attendrez Prés de ma chambre même, au haut de ces degrés Qui donnent au palais une secrète issue. J’en ouvrirai la porte au public inconnue. Je veux que de ma main le corsaire soit pris. Dans le même moment appelez à grands cris Tous les bons citoyens au secours de leur maître: Frappez, percez, tuez, jetez par la fenêtre, Quiconque à ma valeur osera résister. (A Irène.) Déesse de mon coeur, c’est trop vous arrêter: Allez à ce festin que le vainqueur prépare. Je lui destine un plat qu’il pourra trouver rare; Et j’espère ce soir, plus heureux qu’au matin, De manger le rôti qu’on cuit pour le vilain. IRÈNE. J’y cours; vous m’y verrez mais que votre tendresse Ne s’effarouche pas si de quelque caresse Je daigne encourager ses désirs effrontés: Ce ne sont point, Seigneur, des infidélités. Je ne pense qu’à vous, quand je lui dis que j’aime; En buvant avec lui, je bois avec vous-même; En acceptant son coeur je vous donne le mien: Il faut un petit mal souvent pour un grand bien. (Elle sort.) SCÈNE II. LE BARON, à ses vassaux. Allons donc, mes amis, hâtons-nous de nous rendre Au souper où l’Amour avec Mars doit m’attendre. Le temps est précieux: je cours quelque hasard D’être un peu passé maître, et d’arriver trop tard. Faites de point en point ce que j’ai su prescrire; Gardez de vous méprendre, et laissez-vous conduire. Avancez à tâtons sous ces longs souterrains: De la gloire bientôt ils seront les chemins. SCÈNE III. (Le théâtre représente une jolie salle à manger.) ABDALLA, IRÈNE seuls à table, sans domestiques. IRÈNE, un verre en main, chante, Ah quel plaisir De boire avec son corsaire! Chaque coup que je bois augmente mon désir De boire encore, et de lui plaire. Verse, verse, mon bel amant: Ah! que tu verses tendrement Tous les feux d’amour dans mon verre! ABDALLA. Si, si, brindisi a te, Amate, bevete, ridete. Si, si, brindisi a te, Questo vino di Champagna A te somiglia, Incanta tutta la terra, Li cristiani, Li musulmani. Begli occhi scintillate Al par del vino spumante. Si, si, brindisi a te, (Tous deux ensemble.) Si, si, brindisi a te, Amate, bevete, ridete. Si, si, brindisi a te, etc. (Ils dansent ensemble, le verre à la main, en chantant.) Si, si, brindisi a te, etc. SCÈNE IV. LES PRÉCÉDENTS; LE BARON, armé, et ses SUIVANTS entrent de tous côtés dans la chambre. LE BARON. Corsaire, il faut ici danser une autre danse. ABDALLA, cherchant son sabre. Che veggo! che veggo! LE BARON. Ton maître, et la vengeance. Il est juste, soldats, qu’on l’enchaîne à son tour: Ainsi tout à son terme, et tout passe en un jour. ABDALLA. Levanti, venite! LE BARON. Tes Levantis, corsaire, Sont tous mis à la chaîne, et s’en vont en galère. Ami, l’oisiveté t’a perdu comme moi: Je te rends la leçon que je reçus de toi. Je t’en donne encore une avec reconnaissance: Je te rends ton vaisseau; va, pars en diligence: Laisse-moi la beauté qui nous a tous sauvés, Et rembarque avec toi mes conseillers privés. (Il chante.) Je jure... je jure d’obéir Pour jamais à ma belle Irène. Peuples heureux, dont elle est souveraine, Répétez avec moi, contents de la servir: LE CHOEUR. Je jure... je jure d’obéir Pour jamais à la belle Irène. Source: http://www.poesies.net