Premiers recueils. 1549-1553 Joachim Du Bellay A Tres illustre Princesse Madame Marguerite Au lecteur Auratus in olivam I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX XXX XXXI XXXII XXXIII XXXIV XXXV XXXVI XXXVII XXXVIII XXXIX XL XLI XLII XLIII XLIV XLV XLVI XLVII XLVIII XLIX L LI LII LIII LIV LV LVI LVII LVIII LIX LX LXI LXII LXIII LXIV LXV LXVI LXVII LXVIII LXIX LXX LXXI LXXII LXXIII LXXIV LXXV LXXVI LXXVII LXXVIII LXXIX LXXX LXXXI LXXXII LXXXIII LXXXIV LXXXV LXXXVI LXXXVII LXXXVIII LXXXIX XC XCI XCII XCIII XCIV XCV XCVI XCVII XCVIII XCIX C CI CII CIII CIV CV CVI CVII CVIII CIX CX CXI CXII CXIII CXIV CXV L'antérotique de la vieille et de la jeune amye Vers lyriques Au lecteur I. Les louanges d'Anjou au fleuve de Loyre II. Des misères et fortunes humaines au seigneur Jan Proust III. Les louanges d'amour au seigneur René d'Urvoy IV. De l'inconstance des choses au Seigneur Pierre de Ronsard V. A deux Damoyzelles VI. Du premier jour de l'an au Seigneur Bertran Bergier VII. Du jour des bacchanales au Seigneur Rabestan VIII. Du retour du printens à Jan d'Orat IX. Chant du desesperé X. Au Seigneur Pierre de Ronsard XI. A une dame cruelle et inexorable XII. De porter les miseres et la calumnie au seigneur Christofle du Breil XIII. De l'immortalité des poëtes au seigneur Bouju XIV. Epitaphe de Clement Marot Recueil de poésie A Tresillustre Princesse Madame Marguerite Seur unique du Roy A Sa Lyre Prosphonematique Chant triumphal sur le voyage de Boulongne Vers liriques I. A la Royne II. A Tresillustre Princesse Madame Marguerite seur unique du Roy III. A Mellin de Sainct Gelais IV. A Madame Marguerite d'escrire en sa langue V. A Tresillustre Prince Monseigneur Reverendiss. Cardinal de Guyse VI. A Monseigneur Reverendiss. Cardinal de Chastillon VII. L'avantretour en France de Monseigneur Reverendiss. Cardinal du Bellay VIII. Contre les Avaritieux IX. A Bouju. Les conditions du vray poëte X. De l'innocence et de n'attenter contre la magesté divine XI. Au Seigneur du Boysdaulphin Maistre d'hostel du Roy XII. A Carles XIII. A Heroet XIV. A Mercure et à sa lyre pour adoucir la cruauté de sa dame XV. La louange du feu Roy François et du Treschrestien Roy Henry XVI. A Madame la Contesse de Tonnerre XVII. Dialogue d'un amoureux et d'écho XVIII. A une dame XIX. La mort de Palinure du cinquiesme de Virgile XX. Elégie XXI. Chanson Oeuvres de l'invention de l'autheur I. La complainte du desesperé II. Hymne Chrestien III. La monomachie de David et de Goliath IV. Ode au Reverendiss. Cardinal du Bellay V. La Lyre Chrestienne VI. Discours sur la louange de la vertu et sur les divers erreurs des hommes à Salm. Macrin VII. Les deux Marguerites VIII. Ode au Seigneur des Essars sur le discours de son Amadis IX. Au Seign. Rob. de la Haye pour Estrene X. Estrène à D. M. de la Haye XI. Ode Pastorale à Ung Sien Amy XII. A Salm. Macrin XIII. Sonnetz de l'honneste amour XIV. L'adieu aux muses pris du latin de Buccanan A Tres illustre Princesse Madame Marguerite Seur unique du Roy Luy presentant ce livre Sonnet Par un sentier inconneu à mes yeux Vostre grandeur sur ses ailes me porte Où de Phebus la main sçavante et forte Guide le frein du chariot des cieulx. Là elevé au cercle radieux Par un Demon heureux, qui me conforte, Celle fureur tant doulce j'en rapporte, Dont vostre nom j'egalle aux plus haulx dieux. O Vierge donc, sous qui la Vierge Astrée A faict encor' en nostre siecle entrée! Prenez en gré ces poëtiques fleurs. Ce sont mes vers, que les chastes Carites Ont emaillez de plus de cent couleurs Pour aler voir la fleur des Marguerites. COELO MUSA BEAT Au lecteur Combien que j'aye passé l'aage de mon enfance et la meilleure part de mon adolescence assez inutilement, lecteur, si est-ce que par je ne sçay quelle naturelle inclination j'ay tousjours aimé les bonnes lettres: singulierement nostre poësie françoise, pour m'estre plus familiere, qui vivoy' entre ignorans des langues estrangeres. Depuis, la raison m'a confirmé en cete opinion: considerant que si je vouloy' gaingner quelque nom entre les Grecz, et Latins, il y fauldroit employer le reste de ma vie, et (peult estre) en vain, etant jà coulé de mon aage le temps le plus apte à l'etude: et me trouvant chargé d'affaires domestiques, dont le soing est assez suffisant pour dégouter un homme beaucoup plus studieux que moy. Au moyen de quoy, n'ayant où passer le temps, et ne voulant du tout le perdre, je me suis volontiers appliqué à nostre poësie: excité et de mon propre naturel, et par l'exemple de plusieurs gentiz espritz françois, mesmes de ma profession, qui ne dedaignent point manier et l'epée et la plume, contre la faulse persuasion de ceux qui pensent tel exercice de lettres deroger à l'estat de noblesse. Certainement, lecteur, je ne pouroy' et ne voudroy' nier, que si j'eusse ecrit en grec ou en latin, ce ne m'eust esté un moyen plus expedié pour aquerir quelque degré entre les doctes hommes de ce royaume: mais il fault que je confesse ce que dict Ciceron en l'oraison pour Murene, Qui cùm cytharoedi esse non possent, et ce qui s'ensuit. Considerant encores nostre langue estre bien loing de sa perfection, qui me donnoit espoir de pouvoir avecques mediocre labeur y gaingner quelque ranc, si non entre les premiers, pour le moins entre les seconds, je voulu bien y faire quelque essay de ce peu d'esprit que la Nature m'a donné. Voulant donques enrichir nostre vulgaire d'une nouvelle, ou plustost ancienne renouvelée poësie, je m'adonnay à l'immitation des anciens Latins, et des poëtes Italiens, dont j'ay entendu ce que m'en a peu apprendre la communication familiere de mes amis. Ce fut pourquoy, à la persuasion de Jaques Peletier, je choisi le Sonnet et l'Ode, deux poëmes de ce temps là (c'est depuis quatre ans) encores peu usitez entre les nostres: étant le Sonnet d'italien devenu françois, comme je croy, par Mellin de Sainct Gelais, et l'Ode, quand à son vray et naturel stile, representée en nostre langue par Pierre de Ronsard. Ce que je vien de dire, je l'ay dict encores en quelque autre lieu, s'il m'en souvient: et te l'ay bien voulu ramentevoir, lecteur, afin que tu ne penses que je me vueille attribuer les inventions d'autruy. Or, afin que je retourne à mon premier propos, voulant satisfaire à l'instante requeste de mes plus familiers amis, je m'osay bien avanturer de mettre en lumiere mes petites poësies: après toutesfois les avoir communiquées à ceux que je pensoy' bien estre clervoyans en telles choses, singulierement à Pierre de Ronsard, qui m'y donna plus grande hardiesse que tous les autres, pour la bonne opinion que j'ay tousjours eue de son vif esprit, exact sçavoir, et solide jugement en nostre poësie françoise. Je n'ay pas icy entrepris de respondre à ceux qui me voudroient blasmer d'avoir precipité l'edition de mes oeuvres, et, comme on dict, avoir trop tost mis la plume au vent. Car si mes ecriz sont bons, ma jeunesse ne leur doibt oster leur louange meritée. S'ilz ne sont tels, elle doibt pour le moins leur servir d'excuse: d'aultant que si j'ay faict en cet endroit quelque acte de jeunesse, je n'ay faict si non ce que je devoy'. Pour le moins, ce m'est une faulte commune avecques beaucoup d'autres meilleurs espriz que le mien. Je ne suis tel, que je vueille blâmer le conseil d'Horace, quand à l'edition des poëmes: mais aussi ne suis-je de l'opinion de ceux qui gardent religieusement leurs ecriz, comme sainctes reliques, pour estre publiez apres leur mort: sçachant bien que tout ainsi que les mors ne mordent point, aussi se sentent-ilz les morsures. Cete conscientieuse difficulté, lecteur, n'estoit ce qui me retardoit le plus en la premiere edition de mes ecriz. Je craignoy' un autre inconvenient, qui me sembloit avoir beaucoup plus apparente raison de future reprehension. C'est que telle nouveauté de poësie pour le commencement seroit trouvée fort etrange, et rude. Au moyen de quoy, voulant prevenir cete mauvaise opinion, et quasi comme applanir le chemin à ceux qui, excitez par mon petit labeur, voudroient enrichir nostre vulgaire de figures et locutions estrangeres, je mis en lumiere ma Deffence et illustration de la langue françoise: ne pensant toutefois au commencement faire plus grand oeuvre qu'une epistre et petit advertissement au lecteur. Or ay-je depuis experimenté ce qu'au paravant j'avoy assez preveu, c'est que d'un tel oeuvre je ne rapporteroy jamais favorable jugement de noz rethoriqueurs françoys, tant pour les raisons assez nouvelles, et paradoxes introduites par moy en nostre vulgaire, que pour avoir (ce semble) hurté un peu trop rudement à la porte de noz ineptes rimasseurs. Ce que j'ay faict, lecteur, non pour aultre raison que pour eveiller le trop long sillence des cignes et endormir l'importun croassement des corbeaux. Ne t'esbahis donques si je ne respons à ceulx qui m'ont apellé hardy repreneur: car mon intention ne feut onques d'auctorizer mes petiz oeuvres par la reprehension de telz gallans. Si j'ay particularizé quelques ecriz, sans toutefois toucher aux noms de leurs aucteurs, la juste douleur m'y a contrainct, voyant nostre langue, quand à sa nayfve proprieté si copieuse, et belle, estre souillée de tant de barbares poësies, qui par je ne scay quel nostre malheur plaisent communement plus aux oreilles françoises que les ecritz d'antique, et solide erudition. Les gentilz espris, mesmes ceulx qui suyvent la court, seule escolle ou voluntiers on apprent à bien proprement parler, devroient vouloir pour l'enrichissement de nostre langue, et pour l'honneur des espriz françois, que telz poëtes barbares, ou feussent fouettez à la cuysine, juste punition de ceulx qui abusent de la pacience des Princes, et grands Seigneurs par la lecture de leurs ineptes oeuvres: ou (si on les vouloit plus doucement traicter) qu'on leur donnast argent pour se taire; suyvant l'exemple du grand Alexandre, qui usa de semblable liberalité en l'endroict de Cherille, poëte ignorant. Certes j'ay grand'honte, quand je voy' le peu d'estime que font les Italiens de nostre poësie en comparaison de la leur: et ne le treuve beaucoup etrange, quand je considere que voluntiers ceulx qui ecrivent en la langue Toscane sont tous personnaiges de grand' erudition: voire jusques aux Cardinaux mesmes et aultres seigneurs de renom, qui daignent bien prendre la peine d'enrichir leur vulgaire par infinité de beaux ecriz: usant en cela de la diligence et discretion familiere à ceulx qui legerement n'exposent leurs conceptions au publique jugement des hommes. Pense donques, je te prie, Lecteur, quel prix doivent avoir, en l'endroict de celle tant docte et ingenieuse nation Italienne, les ecriz d'ung petit Magister, d'un Conard, d'un Badault, et aultres mignons de telle farine, dont les oreilles de nostre peuple sont si abbreuvées, qu'elles ne veulent aujourd'huy recevoir aultre chose. Je suis certain que tous lecteurs de bon jugement prendront ce que je dy en bonne part, veu que je ne parle du tout sans raison. Au fort, si nos petiz Rimeurs s'en trouvoint un peu fachez, je leur conseilleroy' de prendre pacience: considerant que je ne suis ung Aristarque ou Aristophane, dont la grave censure doive oster leurs ecriz du rôle de noz poësies, ou retarder leurs aucteurs de mieux faire à l'advenir. Aussi leur mescontentement ne me doit rompre ma deliberation, qui par veu solennel me suis obligé aux Muses de ne mentir jamais (que je le puisse entendre) ni en vin ni en poësie. Toutefois je ne veux pas du tout estre juge si severe, et incorruptible en matiere de poësie, que je suyve l'heresie de celuy qui disoit Mitte me in lapicidinas. Quelques uns se plaignent de quoy je blâme les traductions poëtiques en nostre langue, dont ilz ne sont (disent-ilz) illustrateurs ny gaigez ny renommez. Aussi ne suis-je. Mais s'ilz n'alleguent aultre raison, je n'y feray point de response. Encores moins à ce qu'ilz disent, que j'ay reservé la lecture de mes ecriz à une affectée demy-douzaine des plus renommez poëtes de nostre langue. Car je n'avoy' entrepris de faire un catalogue de tous les autres, mesmes de ceulx qui ne m'etoient conneuz ny à leurs noms ny à leurs oeuvres. Ceux dont je ne cherche point les applaudissements ont occasion de gronder. Aussi me plaisent leurs aboys: car je n'en crain' gueres les morsures. Je fonde encor' (disent-ilz) l'immortalité de mon nom sur moindre chose que leurs escritz, dont toutefois ilz ne pretendent aucune louange. Ce n'est à eulx ny à moy à juger de nostre cause: qui (Dieu mercy) n'est de telle importance, que la court y doibve estre longuement embesongnée. Aussi n'ay-je pas fondé mon advancement sur telles magnifiques comparaisons. Si en mes poësies je me loüe quelques fois, ce n'est sans l'imitation des anciens: et en cela je ne pense avoir encor' esté si excessif, que j'aye, pour illustrer le mien, offensé l'honneur de personne. Et puis je me vante d'avoir inventé ce que j'ay mot à mot traduit les aultres. A peu que je ne leur fay la responce que fist Virgile à un quiddam Zoile, qui le reprenoit d'emprunter les vers d'Homere. J'ay (ce me semble) ailleurs assez deffendu l'immitation. C'est pourquoy je ne feray longue response à cet article. Qui vouldroit à ceste ballance examiner les escritz des anciens Romains et des modernes Italiens, leurs arrachant toutes ces belles plumes empruntées dont ilz volent si haultement, ilz seroint en hazard d'estre accoutrez en corneille Horacienne. Si, par la lecture des bons livres, je me suis imprimé quelques traictz en la fantaisie, qui après, venant à exposer mes petites conceptions selon les occasions qui m'en sont données, me coulent beaucoup plus facilement en la plume qu'ilz ne me reviennent en la memoire, doibt-on pour ceste raison les appeller pieces rapportées? Encor' diray-je bien que ceulx qui ont leu les oeuvres de Virgile, d'Ovide, d'Horace, de Petrarque, et beaucoup d'aultres, que j'ay leuz quelquefois assez negligemment, trouverront qu'en mes escriptz y a beaucoup plus de naturelle invention que d'artificelle ou supersticieuse immitation. Quelques ungs voyans que je finissoy' ou m'efforçoy' de finir mes sonnetz par ceste grace qu'entre les aultres langues s'est faict propre l'epigramme françois, diligence qu'on peult facilement recongnoistre aux oeuvres de Cassola Italien, disent pour ceste raison que je l'ay immité, bien que de ce temps là il ne me feust congneu seulement de nom, ou Apollon jamais ne me soit en ayde. Je ne me suis beaucoup travaillé en mes ecriz de ressembler aultre que moymesmes: et si en quelque endroict j'ay usurpé quelques figures et façons de parler à l'imitation des estrangers, aussi n'avoit aucun loy ou privilege de le me deffendre. Je dy encores cecy, Lecteur, affin que tu ne penses que j'aye rien emprunté des nostres, si d'avanture tu venois à rencontrer quelques epithetes, quelques phrases et figures prises des anciens, et appropriées à l'usaige de nostre vulgaire. Si deux peintres s'efforcent de representer au naturel quelque vyf protraict, il est impossible qu'ilz ne se rencontrent en mesmes traictz et lineamens, ayans mesme exemplaire devant eulx. Combien voit-on entre les Latins immitateurs des Grecz, entre les modernes Italiens immitateurs des Latins, de commencemens et de fins de vers, de couleurs, et figures poëtiques quasi semblables? Je ne parle poinct des orateurs. Ceulx qui voudront considerer le stile des Ciceroniens, ou aultres, ne trouverront estrange la ressemblance qu'ont ou pourront avoir les poëmes françois, si chacun s'efforce d'escrire par immitation des estrangers. Tous arts et sciences ont leurs termes naturelz. Tous mestiers ont leurs propres outilz. Toutes langues ont leurs motz et loqutions usitées: et qui n'en voudroit user, il se faudroit forger à part nouveaux artz, nouveaulx mestiers et nouvelles langues. Ce que j'ay dict, cetuy ci l'a dict encor', et cetuy là: aussi les Muses n'ont restrainct, et enfermé en l'esprit de deux ou trois tout ce qui se peut dire de bonne grace en nostre poësie. S'il y a quelques faultes en mes escritz, aussi ne sont tous les aultres parfaictz. Ceulx qui avecques raison me voudront faire ce bien de me reprendre, je mettray peine d'en faire mon profit. Car je ne suis du nombre de ceulx qui ayment myeux deffendre leurs faultes que les corriger. Mais si quelques ungs directement ou indirectement (comme on dict) me vouloient taxer, non point avecques la raison et modestie accoutumée en toutes honnestes controversies de lettres, mais seulement avecques une petite maniere d'irrision et contournement de nez, je les adverty' qu'ilz n'attendent aulcune response de moy: car je ne veux pas faire tant d'honneur à telles bestes masquées, que je les estime seulement dignes de ma cholere. Si quelques uns vouloient renouveler la farce de Marot et de Sagon, je ne suis pour les en empescher: mais il fault qu'ilz cherchent aultre badin pour jouer ce rôle avecques eux. Voylà ung petit desseing lecteur, de ce que je pouroy' bien respondre à mes calomniateurs, si je vouloy' prendre la peine de leur tenir plus long propoz. Quand à ceux qui blasment en moy cet etude poëtique, comme totalement inutile, s'ilz veulent combatre contre la poësie, elle a des armes pour se deffendre: s'ilz plaignent l'empeschement de ma promotion, je les remercie de leur bonne volunté. Ceux qui ayment le jeu, les banquetz et aultres menuz plaisirs, qu'ilz y passent et le jour; et la nuict si bon leur semble. Quand à moy, n'ayant aultre passetems de plus grand plaisir, je donneray vouluntiers quelques heures à la poësie. Et combien ce m'est un labeur peu laborieux, et coutumier, si ce n'est ou faisant quelque voiage ou en lieu qui n'ait aultre plus joyeuse occupation, bien l'entendent ceux qui me hantent de familiarité. J'ayme la poësie, me tire bien souvent la Muse (comme dict quelqu'un) furtivement en son oeuvre: mais je n'y suis tant affecté, que facilement je ne m'en retire, si la fortune me veult presenter quelque chose, ou avecques plus grand fruict je puisse occuper mon esprit. Je te prie donques, amy Lecteur, me faire ce bien de penser que ma petite muse, telle qu'elle est, n'est toutefois esclave ou mercenaire, comme d'ung tas de rymeurs à gaiges: elle est serve tant seulement de mon plaisir. Je te prie encores ne trouver mauvais cet advertissement, ou t'ennuyer de sa longueur, comme oultrepassant les bornes d'une epistre. En recompence de quoy, je te fay' present de mon Olive augmentée de plus de la moitié, et d'une Musagnoeomachie, c'est à dire la Guerre des Muses et de l'Ignorance. Ceux qui ne treuvent rien bon, si non ce qui sort de leur main, y trouverront à mordre en beaucoup de lieux: mesme en cet endroict ou je fay mention de quelques sçavans hommes de nostre France. Les uns diront que j'en ay laissé que je ne devoy' pas oublier: les aultres, que je n'ay pas gardé l'ordre, nommant quelques ungs les derniers, qui meritoient bien estre au premier ranc. Je n'ay qu'une petite response à toutes ces objections frivoles: c'est que mon intention n'estoit alors d'ecrire une hystoire, mais une poësie. Et combien ce genre d'escrire est peu consciencieux en telles choses, je m'en rapporte seulement à ceux qui l'entendent. Mais pourquoy pren-je tant de peine, lecteur, à preoccuper l'excuse de ce qui sera trouvé (peult estre) la moindre faulte de mes oeuvres? J'ay tousjours estimé la poësie comme ung somptueux banquet, ou chacun est le bien venu, et n'y force lon personne de manger d'une viande ou boire d'un vin, s'il n'est à son goust, qui le sera (possible) à celuy d'un aultre. C'est encor' la raison pourquoy j'ay si peu curieusement regardé à l'orthographie, la voyant au jourdhuy aussi diverse qu'il y a de sortes d'ecrivains. J'appreuve et loue grandement les raisons de ceux qui l'ont voulu reformer, mais voyant que telle nouveaulté desplaist autant aux doctes comme aux indoctes, j'ayme beaucoup mieulx louer leur invention que de la suyvre: pource que je ne fay pas imprimer mes oeuvres en intention qu'ilz servent de cornetz aux apothequaires, ou qu'on les employe à quelque aultre plus vil mestier. Si tu treuves quelques faultes en l'impression, tu ne t'en dois prendre à moy, qui m'en suis rapporté à la foy d'autruy. Puis le labeur de la correction est tel, singulierement en un oeuvre nouveau, que tous les yeux d'Argus ne fourniroient à voir les faultes qui s'i treuvent. Auratus in olivam Sola virûm nuper volitabat docta per ora Laura, tibi Thuscis dicta, Petrarcha, sonis: Tantaque vulgaris fuerat facundia linguas, Ut premeret fastu scripta vetusta suo. At nunc Thuscanam Lauram comitatur Oliva Gallica, Bellaii cura laborque sui. Phoebus amat Laurum, glaucam sua Pallas Olivam: Ille suum vatem, nec minus ista suum. SALMONII MACRINI IULIODUNENSIS ODE IN OLIVAM IOACHIMI BELLAII ANDENSIS Supreme vatum hîc postera quos feret, Exacta et astas quos tulit hactenus, Facunde Bellaï, coruscum Andegavis Ligerique lumen: Me bellicoso condita Julio, Illustre cujus nomen habet, tulit Urbs anserem rauce strepentem Inter Apollineos olores. Dulci tuo effers carmine me tamen, Inter poestas atque aliquem facis, De musca avens barrhum videri: Metior at modulo meo me, Dixere multi Pictona quem prius: Malim sed Andes sint mihi patria, Urbs urbium quòd nostra prorsus In medio sita sit duarum. De judicatum sic et Horatio: Lucanus, anceps, esset an Appulus, Utrumque sub finem colonus Cum Venusinus agros araret. Te propter atqui hinc Andegavus ferar, Excîtus auras flatibus ut tuas Sublime cantem, prosperoque Sydera celsa petam volatu. Felix Olivas carminibus, tuas, An vate felix illa suo magis, Lauram secutura hinc Petrarchas, Quintiliam, Nemesin, Corinnam? Conjungeretur his utinam mea Olim Gelonis! mortua sit licet, Tristemque decedens Macrinum Liquerit heu! saturumque vitas. Sic illa vixit cum unanimi viro, Laude ut perenni digna sit evehi: At solus argutis valeres Tu facere id, Joachime, rythmis. I Je ne quiers pas la fameuse couronne, Sainct ornement du Dieu au chef doré, Ou que du Dieu aux Indes adoré Le gay chapeau la teste m'environne. Encores moins veulx-je que l'on me donne Le mol rameau en Cypre decoré: Celuy qui est d'Athenes honoré, Seul je le veulx, et le Ciel me l'ordonne. O tige heureux, que la sage Déesse En sa tutelle, et garde a voulu prendre, Pour faire honneur à son sacré autel! Orne mon chef, donne moy hardiesse De te chanter, qui espere te rendre Egal un jour au laurier immortel. II D'amour, de grace, et de haulte valeur Les feux divins estoient ceinctz, et les cieulx S'estoient vestuz d'un manteau precieux A raiz ardens, de diverse couleur. Tout estoit plein de beauté, de bonheur, La mer tranquille, et le vent gracieulx, Quand celle là naquit en ces bas lieux Qui a pillé du monde tout l'honneur. Ell' prist son teint des beaux lyz blanchissans, Son chef de l'or, ses deux levres des rozes, Et du soleil ses yeux resplandissans. Le ciel usant de liberalité Mist en l'esprit ses semences encloses, Son nom des Dieux prist l'immortalité. III Loyre fameux, qui ta petite source Enfles de maintz gros fleuves et ruysseaux, Et qui de loing coules tes cleres eaux En l'Ocean d'une assez vive course: Ton chef royal hardiment bien hault pousse Et apparoy entre tous les plus beaux Comme un thaureau sur les menuz troupeaux Quoy que le Pau envieux s'en courrousse. Commande doncq' aux gentiles Naiades Sortir dehors leurs beaux palais humides Avecques toy, leur fleuve paternel, Pour saluer de joyeuses aubades. Celle qui t'a, et tes filles liquides, Deifié de ce bruyt eternel. IV L'heureuse branche à Pallas consacrée, Branche de paix, porte le nom de celle Qui le sens m'oste, et soubz grand' beauté cele La cruaulté, qui à Mars tant agrée. Delaisse donq' ô cruelle obstinée! Ce tant doulx nom, ou bien te monstre telle, Qu'ainsi qu'en tout sembles estre immortelle, Sembles le nom avoir par destinée. Que du hault ciel il t'ait eté donné, Je ne suis point de le croire etonné, Veu qu'en esprit tu es la souveraine: Et que tes yeux, à ceulx qui te contemplent, Coeur, corps, esprit, sens, ame, et vouloir emblent Par leur doulceur angelique, et seraine. V C'etoit la nuyt que la Divinité Du plus hault ciel en terre se rendit Quand dessus moy Amour son arc tendit Et me fist serf de sa grand' deité. Ny le sainct lieu de telle cruaulté, Ny le tens mesme assez me deffendit: Le coup au coeur par les yeux descendit Trop ententifz à ceste grand' beauté. Je pensoy' bien que l'archer eust visé A tous les deux, et qu'un mesme lien Nous deust ensemble egalement conjoindre. Mais comme aveugle, enfant, mal avisé, Vous a laissée (helas) qui eties bien La plus grand' proye, et a choisi la moindre. VI Comme on ne peult d'oeil constant soustenir Du beau Soleil la clarté violente, Aussi qui void vostre face excellente Ne peult les yeulx assez fermes tenir. Et si de près il cuyde parvenir A contempler vostre beauté luysante, Telle clarté à voir luy est nuysante, Et si le faict aveugle devenir. Regardez doncq' si suffisant je suys A vous louer, qui seulement ne puys Voz grands beautez contempler à mon gré. Que si mes yeulx avoient un tel pouvoir, J'estimeroy' plus fermes les avoir, Que n'a l'oyseau à Jupiter sacré. VII De grand' beauté ma Déesse est si pleine, Que je ne voy' chose au monde plus belle. Soit que le front je voye, ou les yeulx d'elle, Dont la clarté saincte me guyde, et meine: Soit ceste bouche, ou souspire une halaine Qui les odeurs des Arabes excelle: Soit ce chef d'or, qui rendroit l'estincelle Du beau Soleil honteuse, obscure et vaine: Soient ces coustaux d'albastre, et main polie, Qui mon coeur serre, enferme, estreinct, et lie, Bref, ce que d'elle on peult ou voir, ou croyre. Tout est divin, celeste, incomparable: Mais j'ose bien me donner ceste gloyre, Que ma constance est trop plus admirable. VIII Auray'-je bien de louer le pouvoir Ceste beauté, qui decore le monde? Quand pour orner sa chevelure blonde Je sens ma langue ineptement mouvoir? Ny le romain, ny l'atique sçavoir, Quoy que là fust l'ecolle de faconde, Aux cheveulx mesme, où le fin or abonde, Eussent bien faict à demy leur devoir. Quand je les voy' si reluysans et blons, Entrenouez, crespes, egaulx et longs, Je m'esmerveille, et fay' telle complaincte: Puis que pour vous (cheveulx) j'ay tel martyre, Que n'ay-je beu à la fontaine saincte? Je mourroy' cygne, ou je meurs sans mot dire. IX Garde toy bien ô gracieux Zephire! D'empestrer l'esle en ces beaulx noeuds epars, Que çà, et là, doulcement tu depars Sur ce beau col de marbre, et de porphire. Si tu t'y prens, plus ne vouldras nous ryre Le verd printemps: ainçoys de toutes pars Flore voyant que d'autre amour tu ards, Fera ses fleurs dessecher par grand' ire. Que dy-je las! Zephire n'est-ce point, C'est toy, Amour, qui voles en ce point, Tout à l'entour, et par dedans ces retz. Que tu as faictz d'art plus laborieux Que ceulx, ausquelz jadis feurent serrez Ta doulce mere, et le Dieu furieux. X Ces cheveux d'or sont les liens Madame, Dont fut premier ma liberté surprise, Amour la flamme autour du coeur eprise, Ces yeux le traict, qui me transperse l'ame, Fors sont les neudz, apre, et vive la flamme, Le coup, de main à tyrer bien apprise, Et toutesfois j'ayme, j'adore, et prise Ce qui m'etraint, qui me brusle, et entame. Pour briser donq', pour eteindre, et guerir Ce dur lien, ceste ardeur, ceste playe, Je ne quier fer, liqueur ny medecine, L'heur, et plaisir, que ce m'est de perir De telle main, ne permect que j'essaye Glayve trenchant, ny froydeur, ny racine. XI Des ventz emeuz la raige impetueuse Un voyle noir etendoit par les cieux, Qui l'orizon jusqu'aux extremes lieux Rendoit obscur, et la mer fluctueuse. De mon soleil la clarté radieuse Ne daignoit plus aparoitre à mes yeulx, Ains m'annonçoient les flotz audacieux De tous costez une mort odieuse. Une peur froide avoit saisi mon ame Voyant ma nef en ce mortel danger, Quand de la mer la fille je reclame, Lors tout soudain je voy' le ciel changer, Et sortir hors de leurs nubileux voyles Ces feux jumeaux, mes fatales etoiles. XII O de ma vie à peu pres expirée Le seul filet! yeux, dont l'aveugle archer A bien sceu mil',et mil' fleches lascher, Sans qu'il en ait oncq' une en vain tirée. Toute ma force est en vous retirée, Vers vous je vien' ma guerison chercher, Qui pouvez seulz la playe dessecher, Que j'ay par vous (ô beaux yeux!) endurée. Vous estes seulz mon etoile amyable, Vous pouvez seulz tout l'ennuy terminer, Ennuy mortel de mon ame offensée. Vostre clarté me soit doncq' pitoyable, Et d'un beau jour vous plaise illuminer L'obscure nuyt de ma triste pensée. XIII La belle main, dont la forte foiblesse D'un joug captif domte les plus puissans, La main, qui rend les plus sains languissans, Debendant l'arc meurtrier qui les coeurs blesse, La belle main, qui gouverne, et radresse Les freinz dorez des oiseaux blanchissans, Quand sur les champs de pourpre rougissans Guydent en l'air le char de leur maistresse, Si bien en moy a gravé le protraict De voz beautez au plus beau du ciel nées, Que ny la fleur, qui le sommeil attraict, Ny toute l'eau d'oubly, qui en est ceinte, Effaceroient en mil' et mil' années Vostre figure en un jour en moy peinte. XIV Le fort sommeil, que celeste on doibt croyre, Plus doulx que miel, couloit aux yeulx lassez, Lors que d'amour les plaisirs amassez Entrent en moy par la porte d'ivoyre. J'avoy' lié ce col de marbre: voyre Ce sein d'albastre, en mes bras enlassez Non moins qu'on void les ormes embrassez Du sep lascif, au fecond bord de Loyre. Amour avoit en mes lasses mouëlles Dardé le traict de ses flammes cruelles, Et l'ame erroit par ces levres de roses, Preste d'aller au fleuve oblivieux, Quand le reveil de mon ayse envieux Du doulx sommeil a les portes decloses. XV Pié, que Thétis pour sien eust avoué, Pié, qui au bout monstres cinq pierres telles, Que l'Orient seroit enrichi d'elles, Cil Orient en perles tant loué. Pié albastrin, sur qui est appuyé Le beau sejour des graces immortelles, Qui feut baty sur deux coulonnes belles De marbre blanc, poly, et essuyé. Si l'oeil n'a plus de me nourir esmoy, Si ses thesors la bouche ne m'octroye, Si les mains sont en mes playes si fortes, Au moins (ô pié) n'esloingne point de moy Mon triste coeur, dont Amour a faict proye, L'emprisonnant en ce corps que tu portes. XVI Qui a peu voir celle que Déle adore Se devaler de son cercle congneu, Vers le pasteur d'un long sommeil tenu Dessus le mont, qui la Carie honore: Et qui a veu sortir la belle Aurore Du jaulne lict de son espoux chenu Lors que le ciel encor' tout pur et nu De mainte rose indique se colore: Celuy a veu encores (ce me semble) Non point les lyz et les roses ensemble, Non ce, que peult le printemps concevoir: Mais il a veu la beauté nompareille De ma Déesse, ou reluyre on peult voir La clere Lune, et l'Aurore vermeille. XVII J'ay veu, Amour (et tes beaulx traictz dorez M'en soient tesmoings) suyvant ma souvereine, Naistre les fleurs de l'infertile arene Après ses pas dignes d'estre adorez. Phebus honteux ses cheveulx honorez Cacher alors que les vents par la plaine Eparpilloient de leur souëfve halaine Ceulx là, qui sont de fin or colorez. Puis s'en voler de chascun oeil d'icelle Jusques au ciel une vive etincelle, Dont furent faictz deux astres clers, et beaux. Favorisans d'influences heureuses (O feux divins! ô bienheureux flambeaulx!) Tous coeurs bruslans aux flammes amoureuses. XVIII Le chef doré cestuy blasonnera, Cestuy le corps, l'autre le blanc ivoire De l'estommac, l'autre eternelle gloire Aux yeux archers par ses vers donnera. Comme une fleur tout cela perira: Mais en esprit, en faconde, et memoire, Quand l'aage aura sur la beauté victoire, Mieux que devant Madame florira. Que si en moy le souverain donneur Pour tel subject heureusement poursuyvre Eust mis tant d'art, tant de grace, et bonheur, Mieux qu'en tableau, en bronze, en marbre, en cuyvre, Je luy feroy', et à moy un honneur, Qui elle et moy feroit vivre et revivre. XIX Face le ciel (quand il vouldra) revivre Lisippe, Apelle, Homere, qui le pris Ont emporté sur tous humains espris En la statue, au tableau, et au livre. Pour engraver, tirer, decrire, en cuyvre, Peinture, et vers, ce qu'en vous est compris, Si ne pouroient leur ouvraige entrepris Cyzeau, pinceau, ou la plume bien suyvre. Voilà pourquoy ne fault, que je souhete De l'engraveur, du peintre, ou du poëte, Marteau, couleur ny encre, ô ma Déesse! L'art peult errer, la main fault, l'oeil s'ecarte. De voz beautez mon coeur soit doncq' sans cesse Le marbre seul, et la table, et la charte. XX Puis que les cieux m'avoient predestiné A vous aymer, digne object de celuy, Par qui Achille est encor' aujourdhuy Contre les Grecz pour s'amye obstiné, Pourquoy aussi n'avoient-ilz ordonné Renaitre en moy l'ame, et l'esprit de luy? Par maintz beaux vers tesmoings de mon ennuy Je leur rendroy', ce qu'ilz vous ont donné. Helas Nature, au moins puis que les cieux M'ont denié leurs liberalitez, Tu me devois cent langues, et cent yeux, Pour admirer, et louer cete là, Dont le renom (pour cent graces, qu'elle a) Merite bien cent immortalitez. XXI Les bois fueilleuz, et les herbeuses rives N'admirent tant parmy sa troupe saincte Dyane, alors que le chault l'a contrainte De pardonner aux bestes fugitives, Que tes beautez, dont les autres tu prives De leurs honneurs, non sans envie mainte Veu que tu rends toute lumiere etainte Par la clarté de deux etoiles vives. Les demydieux, et les nymphes des bois Par l'epesseur des forestz chevelues Te regardant, s'etonnent maintesfois, Et pour à Loire eternité donner Contre leurs bords ses filles impolues Font ton hault bruit sans cesse resonner. XXII O doulce ardeur, que des yeulx de ma Dame Amour avecq' sa torche acoustumée Dedans mon coeur a si bien allumée, Que je la sen au plus profond de l'ame! Combien le ciel favorable je clame, Combien Amour, combien ma destinée, Qui en ce point ma vie ont terminée Par le torment d'une si doulce flamme! Qu'en moy (Amour) ne durent tes doulx feux, Je ne le puys et pouvoir ne le veulx Bien que la chair soit caducque, et mortelle. Car ceste ardeur, dont mon ame est ravie, Prendra aussi immortalité d'elle, Vivant par mort d'une eternelle vie. XXIII Si des beaux yeux, où la beaulté se mire, Voire le ciel, et la nature, et l'art, Depent le frein, qui en plus d'une part A son plaisir et m'arreste et me vire, Pourquoy sont-ilz armez d'orgueil et d'ire? Pourquoy s'esteint ce doulx feu, qui en part? Pourquoy la main, qui le coeur me depart, Cache ces retz, liens de mon martire? O belle main! ô beaux cheveux dorez! O clers flambeaux dignes d'estre adorez! Par qui je crain', j'espere, je lamente. Mon fier destin et vostre force extreme, En vous aimant, me commandent, que j'aime L'heureux object du bien, qui me tormente. XXIV Piteuse voix, qui ecoutes mes pleurs, Et qui errant entre rochiers et bois Avecques moy, m'as semblé maintesfoys Avoir pitié de mes tristes douleurs. Voix qui tes plainz mesles à mes clameurs, Mon dueil au tien, si appeller tu m'oys Olive Olive: et Olive est ta voix, Et m'est avis qu'avecques moy tu meurs. Seule je t'ay pitoyable trouvée. O noble Nymphe! en qui (peult estre) encores L'antique feu de nouveau s'evertue. Pareille amour nous avons eprouvée, Pareille peine aussi nous souffrons ores. Mais plus grande est la beaulté, qui me tue. XXV Je ne croy point, veu le dueil que je meine Pour l'apre ardeur d'une flamme subtile, Que mon oeil feust en larmes si fertile, Si n'eusse au chef d'eau vive une fonteine. Larmes ne sont, qu'avecq' si large vene Hors de mes yeux maintenant je distile, Tout pleur seroit à finir inutile Mon dueil, qui n'est qu'au meillieu de sa peine. L'humeur vitale en soy toute reduite Devant mon feu craintive prent la fuyte Par le sentier qui meine droict aux yeux. C'est cete ardeur, dont mon ame ravie Fuyra bien tost la lumiere des cieux, Tirant à soy et ma peine et ma vie. XXVI La nuit m'est courte, et le jour trop me dure, Je fuy l'amour, et le suy' à la trace, Cruel me suis, et requier' vostre grace, Je pren' plaisir au torment, que j'endure. Je voy' mon bien, et mon mal je procure, Desir m'enflamme, et crainte me rend glace, Je veux courir, et jamais ne deplace, L'obscur m'est cler, et la lumiere obscure. Votre je suis, et ne puis estre mien, Mon corps est libre, et d'un etroit lien Je sen' mon coeur en prison retenu. Obtenir veux, et ne puis requerir, Ainsi me blesse, et ne me veult guerir Ce vieil enfant, aveugle archer, et nu. XXVII Quand le Soleil lave sa teste blonde En l'Ocean, l'humide, et noire nuit Un coy sommeil, un doulx repos sans bruit Epant en l'air, sur la terre et soubz l'onde. Mais ce repos, qui soulaige le monde De ses travaux, est ce qui plus me nuist, Et d'astres lors si grand nombre ne luist, Que j'ay d'ennuiz et d'angoisse profonde. Puis quand le ciel de rougeur se colore, Ce que je puis de plaisir concevoir Semble renaître avec la belle Aurore. Mais qui me fait tant de bien recevoir? Le doulx espoir, que j'ay de bien tost voir L'autre Soleil, qui la terre decore. XXVIII Ce que je sen', la langue ne refuse Vous decouvrir, quand suis de vous absent, Mais tout soudain que près de moy vous sent, Elle devient et muette, et confuse. Ainsi, l'espoir me promect, et m'abuse: Moins près je suis quand plus je suis present: Ce qui me nuist, c'est ce qui m'est plaisent, Je quier' cela, que trouver je recuse. Joyeux la nuit, le jour triste je suis. J'ay en dormant ce qu'en veillant poursuis. Mon bien est faulx, mon mal est veritable. D'une me plain', et deffault n'est en elle, Fay doncq', Amour, pour m'estre charitable, Breve ma vie, ou ma nuit eternelle. XXIX Les cieux, l'amour, la mort, et la nature, Honneur, credit, faveur, envie, ou crainte, De ceste forme en moy si bien emprainte N'effaceront la vive protraiture. Ivoire, gemme, et toute pierre dure Se peut briser, si du fer est attainte, Mais bien qu'ell' soit de se rompre contrainte, De se changer jamais elle n'endure. Mon coeur est tel: et me le fist prouver Amour, alors que pour vous y graver, A coups de trait me livra la bataille. Je sçay combien son arc y travailla, Plus de cent coups, non un seul, me bailla Premier qu'il peust en lever une ecaille. XXX Bien que le mal, que pour vous je supporte, Soit violent, toutesfois je ne l'ose Appeller mal, pour ce qu'aucune chose Ne vient de vous, qui plaisir ne m'apporte. Mais ce m'est bien une douleur plus forte, Que je ne puys de ma tristesse enclose Tourner la clef, lors que je me dispose A vous ouvrir de mes pensers la porte. Si donc mes pleurs, et mes soupirs cuysans, Si mes ennuiz ne vous sont suffisans Temoings d'amour, quele plus seure preuve, Quele autre foy, si non mourir, me reste? Mais le remede (helas) trop tard se treuve A la douleur, que la Mort manifeste. XXXI Le grand flambeau gouverneur de l'année, Par la vertu de l'enflammée corne Du blanc thaureau, prez, montz, rivaiges orne De mainte fleur du sang des princes née. Puis de son char la roüe estant tournée Vers le cartier prochain du Capricorne, Froid est le vent, la saison nue et morne, Et toute fleur devient seiche et fenée. Ainsi, alors que sur moy tu etens, O mon Soleil! tes clers rayons epars, Sentir me fais un gracieux printens. Mais tout soudain que de moy tu depars, Je sens en moy venir de toutes pars Plus d'un hyver, tout en un mesme tens. XXXII Tout ce, qu'icy la Nature environne, Plus tost il naist, moins longuement il dure. Le gay printemps s'enrichist de verdure, Mais peu fleurist l'honneur de sa couronne. L'ire du ciel facilement etonne Les fruicts d'esté, qui craignent la froidure; Contre l'hiver ont l'ecorce plus dure Les fruicts tardifs, ornement de l'automne. De ton printemps les fleurettes seichées Seront un jour de leur tige arrachées, Non la vertu, l'esprit, et la raison. A ces doulx fruicts, en toy meurs devant l'aage, Ne faict l'esté ny l'autonne dommage, Ny la rigueur de la froide saison. XXXIII O prison doulce, où captif je demeure Non par dedaing, force, ou inimitié, Mais par les yeulx de ma doulce moitié, Qui m'y tiendra jusq'à tant que je meure. O l'an heureux, le mois, le jour, et l'heure, Que mon coeur fut avecq'elle allié! O l'heureux noeu, par qui j'y fu' lié, Bien que souvent je plain', souspire, et pleure! Tous prisonniers, vous etes en soucy, Craignant la loy, et le juge severe: Moy plus heureux, je ne suis pas ainsi. Mile doulx motz, doulcement exprimez, Mil' doulx baisers, doulcement imprimez, Sont les tormens où ma foy persevere. XXXIV Après avoir d'un bras victorieux Domté l'effort des superbes courages, Aucuns jadis bastirent haulx ouvrages, Pour se venger du temps injurieux. Autres craignans leurs actes glorieux Assujetir à flammes, et orages, Firent ecriz, qui malgré telz outrages Ont faict leurs noms voler jusques aux cieulx. Maintz au jourdhuy en signe de victoire Pendent au temple armes bien etophées, Mais je ne veulx acquerir telle gloire. Avoir esté par vous vaincu et pris, C'est mon laurier, mon triomphe, et mon prix, Qui ma depouille egale à leurs trophées. XXXV Me soit amour ou rude, ou favorable, Ou hault, ou bas me pousse la fortune, Tout ce, qu'au coeur je sen' pour l'amour d'une, Jusq'à la mort, et plus, sera durable. Je suis le roc de foy non variable, Que vent, que mer, que le ciel importune, Et toutesfois adverse, ou oportune Soit la saison; il demeure imployable. Plus tost voudra le diamant apprendre A s'amolir de son bon gré, ou prendre Soubz un burin de plom diverse forme, Que par nouveau ou bonheur, ou malheur, Mon coeur, où est de vostre grand' valeur Le vray protraict, en autre se transforme. XXXVI L'unic oiseau (miracle emerveillable) Par feu se tue, ennuyé de sa vie: Puis quand son ame est par flammes ravie, Des cendres naist un autre à luy semblable. Et moy qui suis l'unique miserable, Faché de vivre une flamme ay suyvie, Dont conviendra bien tost, que je devie, Si par pitié ne m'etes secourable. O grand' doulceur! ô bonté souveraine! Si tu ne veulx dure, et inhumaine estre Soubz ceste face angelique et seraine, Puis qu'ay pour toy du Phenix le semblant, Fay qu'en tous poinctz je luy soy' resemblant, Tu me feras de moymesme renaistre. XXXVII Celle qui tient par sa fiere beauté. Les Dieux en feu, en glace, aise, et martire, L'oeil impiteux soudain de moy retire, Quand je me plain' à sa grand' cruauté. Si je la suy', ell' fuit d'autre couté; Si je me deulx, mes larmes la font rire, Et si je veulx ou parler ou ecrire, D'elle jamais ne puis estre ecouté. Mais (ô moy sot!) de quoy me doy-je plaindre, Fors du desir, qui par trop hault ataindre, Me porte au lieu, où il brusle ses aesles? Puis moy tumbé, Amour, qui ne permet Finir mon dueil, soudain les luy remet, Renouvelant mes cheutes eternelles. XXXVIII Sacrée, saincte et celeste figure, Pour qui du ciel l'admirable, et hault temple Semble courbé, afin qu'en toy contemple Tout ce, que peult son industrie et cure: Si de tes yeulx les beaux raiz d'avanture Daignent mon coeur echaufer, il me semble Qu'en moy soudain un feu divin s'assemble, Qui mue, altere, et ravist ma nature. Et si mon oeil ose se hazarder A contempler une beauté si grande, Un Ange adonq' me semble regarder. Lors te faisant d'ame et de corps offrande Ne puis le coeur idolatre garder, Qu'il ne t'adore, et ses veux ne te rande. XXXIX Plus ferme foy ne fut onques jurée A nouveau prince, ô ma seule princesse! Que mon amour, qui vous sera sans cesse Contre le temps et la mort asseurée. De fosse creuse, ou de tour bien murée N'a point besoing de ma foy la fortresse, Dont je vous fy' dame, roine, et maistresse, Pour ce qu'ell' est d'eternelle durée. Thesor ne peult sur elle estre vainqueur, Un si vil prix n'aquiert un gentil coeur: Non point faveur, ou grandeur de lignage, Qui eblouist les yeulx du populaire, Non la beauté, qui un leger courage Peult emouvoir, tant que vous, me peult plaire. XL Si des saincts yeulx que je vois adorant, Vient mon ardeur, si les miens d'heure en heure, Par le degout des larmes, que je pleure, Donnent vigueur à mon feu devorant, Si mon esprit vif dehors, et mourant Dedans le cloz de sa propre demeure, Vous contemplant, permet bien que je meure, Pour estre en vous; plus qu'en moy, demeurant, Bien est le mal et violent, et fort, Dont la doulceur coulpable de ma mort Me faict aveugle à mon prochain dommage. Cruel tyran de la serve pensée, De ce loyer est donq' recompensée L'ame qui faict à son seigneur hommage. XLI Je suis semblable au marinier timide; Qui voyant l'air çà et là se troubler, La mer ses flotz ecumeux redoubler, Sa nef gemir soubz ceste force humide, D'art, d'industrie, et d'esperance vide, Pense le ciel, et la mer s'assembler, Se met à plaindre, à crier, à trembler, Et de ses voeux les Dieux enrichir cuyde. Le nocher suis, mes pensers sont la mer, Soupirs, et pleurs sont les ventz et l'orage, Vous ma Déesse etes ma clere etoile, Que seule doy', veux, et puis reclamer, Pour asseurer la nef de mon courage, Et eclersir tout ce tenebreux voile. XLII Les chaulx soupirs de ma flamme incongnue Ne sont soupirs, et telz ne les veulx dire, Mais bien un vent: car tant plus je soupire, Moins de mon feu la chaleur diminue. Ma vie en est toutesfois soutenue, Lors que par eulx de l'ardeur je respire, Ma peine aussi par eulx mesmes empire, Veu que ma flamme en est entretenue. Tout cela vient de l'Amour, qui enflamme Mon estommac d'une eternelle flamme, Et puis l'evente au tour de luy volant. O petit Dieu, qui terre, et ciel allumes! Par quel miracle en feu si violant Tiens-tu mon coeur, et point ne le consumes? XLIII Penser volage, et leger comme vent, Qui or' au ciel, or' en mer, or' en terre En un moment cours, et recours grand erre, Voire au sejour des ombres bien souvent. Et quelque part que voises t'eslevant, Ou rabaissant, celle qui me faict guerre, Celle beauté tousjours devant toy erre, Et tu la vas d'un leger pié suyvant. Pourquoy suis-tu (ô penser trop peu sage!) Ce qui te nuist? pourquoy vas-tu sans guide, Par ce chemin plein d'erreur variable? Si de parler au moins eusses l'usage, Tu me rendrois de tant de peines vide, Toy en repos, et elle pitoyable. XLIV Au goust de l'eau la fievre se rappaise, Puis s'evertue au cours, qui sembloit lent: Amour aussi m'est humble, et violent, Quand le coral de voz levres je baise. L'eau goute à goute anime la fournaize D'un feu couvert le plus etincelant: L'ardent desir, que mon coeur va celant, Par voz baisers se faict plus chault que braize. D'un grand traict d'eau, qui freschement distile, Souvent la fievre est etainte, Madame. L'onde à grand flot rent la flamme inutile. Mais, ô baisers, delices de mon ame! Vous ne pouriez, et fussiez vous cent mile, Guerir ma fievre, ou eteindre ma flamme. XLV Ores qu'en l'air le grand Dieu du tonnerre Se rue au seing de son epouse amée, Et que de fleurs la nature semée A faict le ciel amoureux de la terre. Or' que des ventz le gouverneur desserre Le doux Zephire, et la forest armée Voit par l'épaiz de sa neuve ramée Maint libre oiseau, qui de tous coutez erre: Je vois faisant un cry non entendu Entre les fleurs du sang amoureux nées, Pasle, dessoubz l'arbre pasle etendu: Et de son fruict amer me repaissant, Aux plus beaux jours de mes verdes années Un triste hiver sen' en moy renaissant. XLVI Lequel des Dieux fera que je ne sente L'heureux malheur de l'espoir qui m'attire, Si le plaisir, suject de mon martire, Fuyant mes yeulx à mon coeur se presente? Quel est le fruict de l'incertaine attente, Ou sans profit si longuement j'aspire? Quel est le bien, pour qui tant je soupire? Quel est le gaing du mal qui me contente? Qui guerira la playe de mon coeur? Qui tarira de mes larmes la source? Qui abatra le vent de mes soupirs? Montre le moy, ô celeste vainqueur! Qui a finy le terme de ma course Au ciel, où est le but de mes desirs. XLVII Le doulx sommeil paix, et plaisir m'ordonne, Et le reveil guerre, et douleur m'aporte: Le faulx me plaist, le vray me deconforte: Le jour tout mal, la nuit tout bien me donne. S'il est ainsi, soit en toute personne La verité ensevelie, et morte. O animaulx de plus heureuse sorte, Dont l'oeil six mois le dormir n'abandonne! Que le sommeil à la mort soit semblant, Qu le veiller de vie ait le semblant, Je ne le dy, et le croy' moins encores. Ou s'il est vray, puis que le jour me nuist Plus que la mort, ô mort, veilles donq' ores Clore mes yeulx d'une eternelle nuit. XLVIII Pere Ocean, commencement des choses, Des Dieux marins le sceptre vertueux, Qui maint ruisseau, et fleuve impetueux En ton seing large enfermes, et composes: Tu ne sens point, quand moins tu te reposes, Plus s'irriter de flotz tempestueux Contre tes bords; qu'en mon coeur fluctueux Je sen' de ventz, et tempestes encloses. Helas reçoy mes chaudes larmes donques En ton liquide: eteins leur feu, si onques Tu as senty d'amour quelque scintile, Et si tes eaux peuvent le feu eteindre, Qui rend la foudre, et trident inutile, Et qui se faict jusques aux enfers creindre. XLIX Sacré rameau, de celeste presage, Rameau, par qui la colombe envoyée, Au demeurant de la terre noyée Porta jadis un si joyeux message. Heureux rameau, soubz qui gist à l'ombrage La doulce paix icy tant desirée, Alors que Mars, et la Discorde irée Ont tout remply de feu, de sang, de rage: S'il est ainsi que par les sainctz escriptz Sois tant loué, helas! reçoy mes criz, O mon seul bien! ô mon espoir en terre! Qui seulement ne me temoignes ores Paix, et beautemps: mais toymesmes encores Me peulx sauver de naufrage et de guerre. L Si mes pensers vous estoient tous ouvers, Si de parler mon coeur avoit l'usaige, Si ma constance estoit peinte au visaige, Si mes ennuiz vous estoient decouvers, Si les soupirs, si les pleurs, si les vers Montroient au vif une amoureuse raige, Lors je pourroy' flechir vostre couraige, Voire à pitié mouvoir tout l'univers. Adoncq' Amour seul tesmoing de ma peine Vous pouroit estre une preuve certaine De ma fidele, et serve loyaulté, Qui d'aussi loing devant les autres passe, Que le parfaict de vostre belle face Hausse le chef sur toute aultre beaulté. LI O toy, à qui a été ottroyé Voir cete flamme ardent, qui s'entretient En l'estommac du Geant, qui soutient Un mont de feu sur son doz foudroyé. Et cetuy là, qui l'oyzeau dedié Au Dieu vangeur, qui la foudre en main tient, Paist d'un poumon, qui tousjours luy revient, Au froid sommet de Caucase lié: Je te supply' imaginer encore Ce qui mon coeur brusle, englace, et devore, Sans me donner loysir de respirer. Lors me diras, voyant ma peine telle, Tu sera d'exemple, à qui ose aspirer Trop hardiment à chose non mortelle. LII Mere d'Amour, et fille de la mer, Du cercle tiers lumiere souverene, Qui ciel, et terre, et champs semez d'arene Peuz jusq'au fond des ondes enflammer. Toy, qui le doulx mesles avec l'amer, Quand ce beau riz, qui le ciel rasserene, De tous les Dieux le plus cruel refrene, Et le contrainct ton aide reclamer, Dont luy tout plein de ce tant doulx venin Entre tes bras paist son oeil jà benin En ta divine, et celeste beauté: Te plaise (helas) Déesse, à ma priere, Flechir un peu ceste mienne guerriere, Qui a trop plus, que Mars, de cruauté. LIII Voyant au ciel tant de flambeaux ardens, Je dy souvent, ô beauté non pareille! Si le dehors est si plain de merveille, Combien parfaict doit estre le dedens? Si tes beaux yeulx traictz, et flammes dardans Luysent sur moy, mon ame se reveille Au paradis, que ta bouche vermeille Ouvre aux espritz, qui te sont regardans. Mais quand je sen' soubz ta doulce beauté L'horrible enfer de ta grand' cruauté, Ce qui est beau me semble estre cruel. Mesme le ciel, qui tant me souloit rire, Me faict douter si plaisant je doy' dire Son beau sejour, qui est perpetuel. LIV Or' que la nuit son char etoilé guide Qui le silence et le sommeil rameine, Me plaist lascher, pour desaigrir ma peine, Aux pleurs, aux criz et aux soupirs la bride. O ciel! ô terre! ô element liquide! O ventz! ô bois! rochiers, monteigne et plaine, Tout lieu desert, tout rivage et fonteine, Tout lieu remply et tout espace vide! O demyz Dieux! ô vous, nymphes des bois! Nymphes des eaux, tous animaux divers, Si onq' avez senty quelque amitié, Veillez piteux ouyr ma triste voix, Puis que ma foy, mon amour, et mes vers N'ont sceu trouver en Madame pitié. LV O foible esprit, chargé de tant de peines, Que ne veulx-tu soubz la terre descendre? O coeur ardent; que n'es-tu mis en cendre? O tristes yeulx, que n'estes-vous fonteines? O bien douteux! ô peines trop certaines! O doulx sçavoir, trop amer à comprendre O Dieu qui fais que tant j'ose entreprendre, Pourquoy rends-tu mes entreprises vaines? O jeune archer, archer qui n'as point d'yeulx, Pourquoy si droict as-tu pris ta visée? O vif flambeau; qui embrases les Dieux, Pourquoy as-tu ma froideur attisée? O face d'ange! ô coeur de pierre dure! Regarde au moins le torment, que j'endure. LVI Amour voulant hausser le chef vainqueur Dessus la crainte à la noire sequelle, Mist l'esperance, et sa bande avec' elle, Sa bande blanche au plus fort de mon coeur. Amour est fort, mais foible est la vigueur De l'esperance, et la tourbe cruelle A ceinct le lieu d'horreur perpetuelle, Le foudroyant du canon de rigueur. Mais repoussez l'effort de la gent noire, Vous, qui tenez le sort de la victoire, N'avez-vous point de voz subjects emoy? Si vous souffrez que cete prise advienne, Vous y aurez plus grand' perte, que moy, Veu que la place est plus vostre, que mienne. LVII Qui a nombré, quand l'astre, qui plus luit, Jà le milieu du bas cercle environne, Tous ces beaux feux, qui font une couronne Aux noirs cheveux de la plus clere nuit, Et qui a sceu combien de fleurs produit Le verd printemps, combien de fruictz l'autonne, Et les thesors, que l'Inde riche donne Au marinier, qu'avarice conduit. Qui a conté les etincelles vives D'Aetne, ou Vesuve, et les flotz qui en mer Hurtent le front des ecumeuses rives: Celuy encor' d'une, qui tout excelle, Peult les vertuz, et beautez estimer, Et les tormens que j'ay pour l'amour d'elle. LVIII Cet' humeur vient de mon oeil, qui adore Ton sainct protraict, seul Dieu de mon soucy, De mon cueur part maint soupir adoucy, De tes yeulx sort le feu qui me devore. Donques le prix de celuy qui t'honnore, Est-ce la mort, et le marbre endurcy? O pleurs ingratz! ingratz soupirs aussi, Mon feu, ma mort, et ta rigueur encore. De mon esprit les aesles sont guidées Jusques au seing des plus haultes Idées Idolatrant ta celeste beaulté. O doulx pleurer! ô doulx soupirs cuisans! O doulce ardeur de deux soleilz luisans! O doulce mort! ô doulce cruaulté! LIX Moy, que l'amour a faict plus d'un Lëandre, De cest oyseau prendray le blanc pennaige, Qui en chantant plaingt la fin de son aage Aux bordz herbuz du recourbé Mëandre. Dessoubz mes chantz voudront (possible) apprendre Maint bois sacré, et maint antre sauvage, Non gueres loin de ce fameux rivage, Où Meine va dedans Loyre se rendre. Puis descendant en la saincte forest, Où maint amant à l'umbrage encor' est, Iray chanter au bord oblivieux, D'où arrachant vostre bruit non pareil, De revoler icy hault envieux, Luy feray voir l'un et l'autre soleil. LX Divin Ronsard, qui de l'arc à sept cordes Tiras premier au but de la memoire Les traictz aelez de la Françoise gloire, Que sur ton luc haultement tu accordes. Fameux harpeur, et prince de noz odes, Laisse ton Loir haultain de ta victoire, Et vien sonner au rivage de Loire De tes chansons les plus nouvelles modes. Enfonce l'arc du vieil Thebain archer, Où nul que toy ne sceut onq' encocher Des doctes Soeurs les sajettes divines. Porte pour moy parmy le ciel des Gaulles Le sainct honneur des nymphes Angevines, Trop pesant faix pour mes foibles epaules. LXI Allez, mes vers, portez dessus vos aeles Les sainctz rameaux de ma plante divine, Seul ornement de la terre Angevine, Et de mon coeur les vives etincelles. De vostre vol les bornes seront telles, Que dès l'aurore, où le Soleil decline, Je voy desjà le monde, qui s'incline A la beauté des beautez immortelles. Si quelqu'un né soubs amoureuse etoile Daigne eclersir l'obscur de vostre voile, Priez, qu'Amour luy soit moins rigoreux: Mais s'il ne veult ou ne peult concevoir Ce que je sen', souhaitez luy de voir L'heureux object, qui m'a faict malheureux. LXII Qui voudra voir le plus precieux arbre, Que l'orient ou le midy avoüe, Vienne, où mon fleuve en ses ondes se joüe: Il y verra l'or, l'ivoire, et le marbre. Il y verra les perles, le cinabre Et le cristal: et dira que je loüe Un digne object de Florence, et Mantoue, De Smyrne encor', de Thebes, et Calabre. Encor' dira que la Touvre, et la Seine, Avec' la Saone arriveroient à peine A la moitié d'un si divin ouvrage: Ne cetuy là qui naguere a faict lire En lettres d'or gravé sur son rivage Le vieil honneur de l'une et l'autre lire. LXIII Ma plus grand' force estoit retraicte au coeur, Et contre Amour faisoit plus de deffence, Quand ce cruel, pour venger telle offence, Feut par mes yeulx de ma vertu vainqueur. Lors de ses traictz ne sentoy' la rigueur, Lors je n'avoy' de son feu congnoissance, Lors ne cuidoy' que sa haulte puissance Sur ma foiblesse eust aucune vigueur. Mais, ô le fruict de ma belle entreprise! Il a choisi pour gaing de ma victoire Au plus hault ciel la beauté, qui me tue: Là, fault chercher le bien que tant je prise, Faisant à tous par mon malheur notoire Que l'homme en vain contre Dieu s'evertue. LXIV Comme jadis l'ame de l'univers Enamourée en sa beaulté profonde, Pour façonner cete grand' forme ronde, Et l'enrichir de ses thesors divers, Courbant sur nous son temple aux yeulx ouvers, Separa l'air, le feu, la terre, et l'onde, Et pour tirer les semences du monde Sonda le creux des abismes couvers: Non autrement ô l'ame de ma vie! Tu feus à toy par toymesme ravie, Te voyant peinte en mon affection. Lors ton regard d'un accord plus humain Lia mes sens, où Amour de sa main Forma le rond de ta perfection. LXV Ces cheveux d'or, ce front de marbre, et celle Bouche d'oeillez, et de liz toute pleine, Ces doulx soupirs, cet' odorante haleine, Et de ces yeulx l'une et l'autre etincelle, Ce chant divin, qui les ames rapelle, Ce chaste ris, enchanteur de ma peine, Ce corps, ce tout, bref, cete plus qu'humeine Doulce beauté si cruellement belle, Ce port humain, cete grace gentile, Ce vif esprit, et ce doulx grave stile, Ce hault penser, cet' honneste silence, Ce sont les haims, les appaz, et l'amorse, Les traictz, les rez, qui ma debile force Ont captivé d'une humble violence. LXVI Pour mettre en vous sa plus grande beauté, Le ciel ouvrit ses plus riches thesors: Amour choisit de ses traictz les plus fors, Pour me tirer sa plus grand' cruauté. Les Astres n'ont de luire liberté, Quand le Soleil ses rayons met dehors: Où apparoist votre celeste corps, La beauté mesme y perdroit sa clerté. Si le torment de mes affections Croist à l'égal de voz perfections, Et si en vous plus qu'en moy je demeure, Pourquoy n'as-tu, ô fiere destinée! Rompu le fil de ma vie obstinée? Je ne croy point que de douleur on meure. LXVII Sus, chaulx soupirs, allez à ce froid coeur, Rompez ce glaz, qui ma poitrine enflamme: Et vous, mes yeulx, deux tesmoings de ma flamme, Faictes pluvoir une triste liqueur. Allez pensers, flechir cete rigueur, Engravez moy au marbre de cete ame: Et vous, mes vers, criez devant Madame, Mort, ou mercy soit fin de ma langueur. Dictes comment ces tenailles d'yvoire Pour animer l'immortel de sa gloire Ont arraché mon esprit de sa place, Et que mon coeur rien qu'elle ne respire. O bien heureux qui void sa belle face! O plus heureux qui pour elle soupire! LXVIII Que n'es-tu las (mon desir) de tant suyvre Celle qui est tant gaillarde à la fuite? Ne la vois-tu devant ma lente suite Des laqs d'amour voler franche, et delivre? Ce faulx espoir, dont la doulceur m'enyvre, Tout en un poinct m'arreste, et puis m'incite, Me pousse en hault, et puis me precipite, Me faict mourir, et puis me faict revivre. Ainsi courant de sommez en sommez Avec' Amour, je ne pense jamais, Fol desir mien, à te haulser la bride. Bien m'as-tu donq' mis en proye au danger, Si je ne puis à mon gré te ranger, Et si j'ay pris un aveugle pour guide. LXIX L'enfant cruel de sa main la plus forte M'ouvrit le flanc, qui est le plus debile, Plantant au roc de mon coeur immobile Le sainct rameau, qu'en mon ame je porte. Toute vertu, tout honneur, toute sorte De bonne grace, et de façon gentile Sont pour racine à la plante fertile Dont la haulteur jusq'au ciel me transporte. L'eau de mes yeulx, et la vive chaleur De mes soupirs en vigueur la maintiennent: Son pasle teinct ressemble à ma couleur. La, mes ecriz fueille seiche deviennent: Mon vain espoir y est tousjours en fleur, Et mes ennuiz sont les fruictz, qui en viennent. LXX Cent mile fois, et en cent mile lieux Vous rencontrant, ô ma doulce guerriere! Le pié tremblant me retire en arriere Pour avoir paix avecques voz beaulx yeulx. Mais je ne puis, et ne pouroient les Dieux Frener le cours de ma volonté fiere. Si je le puis, la superbe riviere Fera le sien monter jusques aux cieulx. Que te sert donq' eloingner le vainqueur, O toy mon oeil! si au milieu du coeur Je sen' le fer, dont il fault que je meure? Ainsi le cerf par la plaine elancé Evite l'arce meurtrier, qui l'a blessé, Mais non le traict, qui tousjours luy demeure. LXXI Le crespe honneur de cet or blondissant Sur cet argent uny de tous coutez, Sur deux soleilz deux petiz arcz voutez, Deux petiz brins de coral rougissant, Ce cler vermeil, ce vermeil unissant Oeillez et lyz freschement enfantez, Ces deux beaux rancz de perles, bien plantez, Et tout ce rond en deux pars finissant, Ce val d'albastre, et ces coutaux d'ivoire, Qui vont ainsi comme les flotz de Loire Au lent soupir d'un Zephire adoulci, C'est le moins beau des beautez de Madame, Mieulx engravée au marbre de mon ame, Que sur mon front n'en est peinct le soucy. LXXII Ce voile blanc, que vous m'avez donné, Je le compare à ma foy nette, et franche: L'antique foy portoit la robe blanche, Mon coeur tout blanc est pour vous ordonné. Son beau caré d'ouvrage environné, Seul ornement et thesor de ma manche, Pour vostre nom, porte l'heureuse branche De l'arbre sainct dont je suis couronné. Mile couleurs par l'aiguille y sont jointes, Amour a faict en mon coeur mile pointes. Là, sont encor' sans fruict bien mile fleurs. O voile heureux, combien tu es utile Pour essuyer l'oeil, qui en vain distile Du fond du coeur mile ruisseaux de pleurs! LXXIII Le beau cristal des sainctz yeulx de Madame Entre les lyz et roses degoutoit, Et ce pendant Amour, qui le goutoit, En arrousa le jardin de mon ame. Au soupirer, qui les marbres entame, Le ciel pleurant, et triste se voûtoit, Et le Soleil, qui pleindre l'ecoutoit, S'osta du chef les rayons de sa flâme. Les ventz brusloient d'une chaste amitié, L'air, qui au tour s'enflammoit de pitié, En fist pluvoir une triste rousée, Mes yeulx estoient deux fonteines de pleurs, La terre adonq' qui en fut arrousée, En fist sortir mile amoureuses fleurs. LXXIV Si le pinceau pouvoit montrer aux yeulx Ce que le ciel, les Dieux, et la Nature Ont peint en vous, plus vivante peinture Ne virent onq' de Grece les ayeulx. Toy donq' amant, dont l'oeil trop curieux Prent seulement des beautez nouriture, Fiche ta veue en cete protraiture, Dont la beauté plairoit aux plus beaux Dieux. Mais si la vive, et immortelle image Ne te deplaist, seule qui le dommage De maladie ou du temps ne doit craindre: Voy ses ecriz, oy son divin sçavoir, Qui mieulx au vif l'esprit te fera voir, Que le visage Appelle n'eust sçeu peindre. LXXV Nimphes, meslez vos plus vermeilles roses Parmy les lyz qui sont plus blanchissans, Et les oeillez qui sont plus rougissans, Parmy les fleurs plus freschement decloses. De tout cela, et des plus belles choses Que vous ayez en voz prez verdissans, Faictes bouquez, et chappeaux florissans, Or' que des champs les beautez sont encloses. Et toy, qui fais du monde le grand tour, Bien que tu n'ay's au taureau faict retour, En mile fleurs et mil', et mil' encore Peins mes ennuiz, et qu'on y puisse lire Le nom qu'Anjou doit sur tout autre elire, Pour decorer celle qui le decore. LXXVI Quand la fureur, qui bat les grandz coupeaux, Hors de mon coeur l'Olive arachera, Avec le chien le loup se couchera, Fidele garde aux timides troupeaux. Le ciel, qui void avec tant de flambeaux, Le violent de son cours cessera, Le feu sans chault et sans clerté sera, Obscur le ront des deux astres plus beaux. Tous animaulx changeront de sejour L'un avec' l'autre, et au plus cler du jour Ressemblera la nuit humide et sombre, Des prez seront semblables les couleurs, La mer sans eau, et les forestz sans ombre, Et sans odeur les roses, et les fleurs. LXXVII O fleuve heureux, qui as sur ton rivage De mon amer la tant doulce racine, De ma douleur la seule medicine, Et de ma soif le desiré bruvage! O roc feutré d'un verd tapy sauvage! O de mes vers la source cabaline! O belles fleurs! ô liqueur cristaline! Plaisirs de l'oeil, qui me tient en servage. Je ne suis pas sur vostre aise envieux, Mais si j'avoy' pitoyables les Dieux, Puis que le ciel de mon bien vous honnore, Vous sentiriez aussi ma flamme vive, Ou comme vous, je seroy' fleuve et rive, Roc, source, fleur, et ruisselet encore. LXXVIII La Canicule, au plus chault de sa rage Ne faict trouver la fresche onde si belle, Ny l'arbrisseau si doulcement appelle Le voyageur au fraiz de son ombrage: La santé n'est de si joyeulx presage Au lent retour de sa clerté nouvelle, Que le plaisir en moy se renouvelle, Quand j'apperçoy l'angelique visage. Soit qu'en riant ses levres coralines Montrent deux rancz de perles cristalines, Soit qu'elle parle, ou danse, ou bâle, ou chante, Soit que sa voix divinement accorde Avec' le son de la parlante chorde, Tous mes ennuiz doulcement elle enchante. LXXIX Du ciel descend tout celeste pouvoir, Pour decorer cet'ame bien heureuse, Qui dessus toy ma terre plantureuse, Comme un Phenix faict ses aesles mouvoir. Le Dieu de Loire enflammé de la voir Ard jusq'au fond de son oncle plus creuse. O grand' beauté, ô puissance amoureuse, Qui faict aux eaux nouveau feu concevoir! S'elle est à rive, il semble que les fleuves Tardent leurs cours: s'elle erre par les bois, Les chesnes vieulx en prennent robes neufves. Le ciel courbé se mire dans ses yeulx: Echo respond à sa divine voix, Qui faict mourir les hommes, et les Dieux. LXXX Toy, qui courant à voile haulte, et pleine, Sage, ruzé, et bienheureux nocher, Loing du destroict, du pyrate, et rocher, Voles hardy où le desir te meine, Ne crain pourtant, oyant ma souveréne, Caler la voile, ou les ancres lâcher. Sa doulce voix ne te poura fâcher, Voix angelique, et non d'une Seréne. Si tu la vois, tu verras le soleil Du beau visage, à cetuy là pareil, Que l'Ocëan de ses longs braz enserre. O mile fois le bien aimé des Dieux! Qui sans mourir, et sans voler aux cieulx, Peult contempler le paradis en terre! LXXXI Celle qui tient l'aele de mon desir, Par un seul ris achemine ma trace Au paradis de sa divine grace, Divin sejour du Dieu de mon plaisir. Là les amours volent tout à loisir, Là est l'honneur, engravé sus sa face, Là les vertus, ornement de sa race, Là les beautez, qu'au ciel on peult choisir. Mais si d'un oeil foudroyant elle tire Dessus mon chef quelque traict de son ire, J'abisme au fond de l'eternelle nuit. Là n'est ma soif aux ondes perissante, Là mon espoir et se fuit et se suit, Là meurt sans fin ma peine renaissante. LXXXII Vous, qui aux bois, aux fleuves, aux campaignes, A cri, à cor, et à course hative Suyvez des cerfz la trace fugitive, Avec' Diane, et les Nymphes compaignes, Et toy ô Dieu! qui mon rivage baignes, As-tu point veu une Nymphe craintive, Qui va menant ma liberté captive Par les sommez des plus haultes montaignes? Helas enfans! si le sort malheureux Vous monstre à nu sa cruelle beauté, Que telle ardeur longuement ne vous tienne. Trop fut celuy chasseur avantureux, Qui de ses chiens sentit la cruauté, Pour avoir veu la chaste Cyntienne. LXXXIII Déjà la nuit en son parc amassoit Un grand troupeau d'etoiles vagabondes, Et pour entrer aux cavernes profondes Fuyant le jour, ses noirs chevaulx chassoit. Dejà le ciel aux Indes rougissoit, Et l'Aulbe encor' de ses tresses tant blondes Faisant gresler mile perlettes rondes, De ses thesors les prez enrichissoit. Quand d'occident, comme une etoile vive, Je vy sortir dessus ta verde rive O fleuve mien! une Nymphe en rient. Alors voyant cete nouvelle Aurore, Le jour honteux d'un double teint colore Et l'Angevin, et l'Indique orient. LXXXIV Seul, et pensif par la deserte plaine Resvant au bien qui me faict doloreux, Les longs baisers des collombs amoureux Par leur plaisir firent croitre ma peine. Heureux oiseaux, que vostre vie est pleine De grand' doulceur! ô baisers savoureux! O moy deux fois, et trois fois malheureux, Qui n'ay plaisir que d'esperance vaine! Voyant encor' sur les bords de mon fleuve Du sep lascif les longs embrassements, De mes vieulx maulx je fy' nouvelle epreuve. Suis-je donq' veuf de mes sacrez rameaux? O vigne heureuse! heureux enlacements! O bord heureux! ô bien heureux ormeaux! LXXXV Parmy les fleurs ce faulx Amour tendit Une ré d'or legerement coulante, Soubs les rameaux d'une divine Plante, Où de pié coy ce cruel m'atendit. Bien me sembla, que quelque voix me dît, Haste les paz de ta course trop lente: Quand une main doulcement violente Serrant la corde à terre m'etendit. Lors je fu' pris: et ne me prenoy' garde Qu'en mile noeuds lié je me regarde En la prison d'une beauté celeste. Là est ma foy, gëolier nuit et jour. O doulce chartre! ô bienheureux sejour! Qui m'a rendu la liberté moleste. LXXXVI Pres d'un boccage, au milieu d'un beau pré, Où d'un ruisseau la frescheur tousjours dure, Je te feray un autel de verdure De miles fleurs tout au tour diapré. Là je pendray en un tableau sacré A ton sainct nom, une riche peincture, Où je feray de vers une ceinture, De mile vers, s'ilz te viennent à gré. Soupire donq' de ta plus doulce haleine, Me decouvrant sur ce col de porphire Ces laqs dorez coupables de ma peine. Ainsi, des vens te soit donné l'empire, Ainsi ta Flore, ô bienheureux Zephire! Te soit tousjours, et tousjours plus humaine. LXXXVII Vent doulx souflant, vent des vens souverain, Qui voletant d'aeles bien empanées Fais respirer de souëves halenées Ta doulce Flore au visage serain, Pren de mes mains ce vase, qui est plein De mile fleurs avec' l'Aurore nées, Et mil' encor' à toy seul destinées, Pour t'en couvrir et le front, et le seing. Encependant, au thesor de ces rives Je pilleray ces emeraudes vives, Ces beaux rubiz, ces perles, et saphirs, Pour mettre en l'or des tresses vagabondes, Qui çà et là folastrent en leurs ondes, Grosses du vent de tes plus doulx soupirs. LXXXVIII Si longue foy peult meriter merci, J'auray le gaing de ma perte passée, Si mon destin toute ardeur n'a chassée Du beau Soleil, dont je suis eclerci. Amour, qui fut longuement endurci, Ores piteux à mon ame offensée, A mis les yeulx au creux de ma pensée, Cler à luy seul, à tout autre obscurci. La forest prent sa verde robe neufve, La terre aussi, qui naguere etoit veufve, Promet de fruictz une accroissance pleine. Or cesse donq' l'hiver de mes douleurs, Et vous plaisirs, naissez avec' les fleurs Au beau Soleil, qui mon printemps rameine. LXXXIX Zephire soufle, et sa Dame raméne Les belles fleurs, dont la terre est couverte. La forest neufve oit sur sa teste verte Progne gemir, et pleindre Philomene. Le ciel trompeur, qui le front rasserene, De ses thesors nous tient la porte ouverte, Et pour tirer un gaing de nostre perte, De nouveaux fruictz la Nature a faict pleine. Tous animaulx, qui cheminent et noüent, Qui vont glissant, et qui par l'air se joüent, Sentent le feu, et je suis le feu mesme. Vous seulement osez faire la guerre Contre celuy dont la puissance extreme Domte le ciel, l'air, la mer, et la terre. XC Toy, qui fis voir la lumiere incongnue Au chaste filz du jaloux inhumain, Quand tu pillas d'une trop docte main La proye en vain de Pluton retenue: L'horrible Dieu, qui tonne sur la nue, Meu justement pour son frere germain, Darda les traictz vangeurs du sort humain, Te foudroyant, de sa flamme congneue. La moy chetif! qui l'oblivieux bord, Malgré l'Enfer, Acheron, et son port, Ay depouillé de sa plus riche proye! Celle que j'ay faict compaigne des Dieux, Me bat, me poingt, me brusle, me foudroye Par les doulx traictz qui sortent de ses yeulx. XCI Rendez à l'or cete couleur, qui dore Ces blonds cheveux, rendez mil' autres choses: A l'orient tant de perles encloses, Et au Soleil ces beaux yeulx, que j'adore. Rendez ces mains au blanc yvoire encore, Ce seing au marbre, et ces levres aux roses, Ces doulx soupirs aux fleurettes decloses, Et ce beau teint à la vermeille Aurore. Rendez aussi à l'Amour tous ses traictz, Et à Venus ses graces, et attraictz: Rendez aux cieulx leur celeste harmonie. Rendez encor' ce doulx nom à son arbre, Ou aux rochers rendez ce coeur de marbre, Et aux lions cet' humble felonnie. XCII Ce bref espoir, qui ma tristesse alonge, Traitre à moy seul, et fidele à Madame, Bien mile fois a promis à mon ame L'heureuse fin du soucy qui la ronge. Mais quand je voy' sa promesse estre un songe, Je le maudy', je le hay', je le blâme: Puis tout soudain je l'invoque et reclame, Me repaissant de sa doulce mensonge. Plus d'une fois de moy je l'ay chassé: Mais ce cruel, qui n'est jamais lassé De mon malheur, à voz yeulx se va rendre. Là faict sa plainte: et vous, qui jours et nuitz Avecques luy riez de mes ennuiz, D'un seul regard le me faictes reprendre. XCIII Ores je chante, et ores je lamente, Si l'un me plaist, l'autre me plaist aussi, Qui ne m'areste à l'effect du souci, Mais à l'object de ce qui me tormente. Soit bien, ou mal, desespoir ou attente, Soit que je brusle ou que je soy' transi, Ce m'est plaisir de demeurer ainsi: Egalement de tout je me contente. Madame donc, Amour, ma destinée, Ne changent point de rigueur obstinée, Ou hault, ou bas la Fortune me pousse. Soit que je vive, ou bien soit que je meure, Le plus heureux des hommes je demeure, Tant mon amer a la racine doulce. XCIV Quand vos beaux yeulx Amour en terre incline, Et voz espriz en un soupir assemble Avec ses mains, et puis les desassemble D'une voix clere, angelique, et divine, Alors de moy une doulce rapine Se faict en moy: je me pers, il me semble Que le penser, et le vouloir on m'emble Avec le coeur, du fond de la poitrine. Mais ce doulx bruit, dont les divins accens Ont occupé la porte de mes sens, Retient le cours de mon ame ravie. Voila comment sur le mestier humain Non les trois Soeurs, mais Amour de sa main Tist, et retist la toile de ma vie. XCV Dieu qui reçois en ton giron humide Les deux ruisseaux de mes yeulx larmoyans, Qui en tes eaux sans cesse tournoyans Enflent le cours de ta course liquide, Quand fut-ce, ô Dieu! qu'en la carriere vide De ton beau ciel, ces cheveux ondoyans, Comme tes flotz au vent s'ebanoyans, Deçà delà voguoient à pleine bride? Ce fut alors, que cent Nymphes captives Entre tes braz, sortirent sur leurs rives, Laissant le creux de ta blonde maison. Ce fut alors que les Dieux et l'année Firent sur toy, ma terre fortunée, Renaistre l'or de l'antique saison. XCVI Ny par les bois les Driades courantes, Ny par les champs les fiers scadrons armez, Ny par les flotz les grands vaisseaux ramez, Ny sur les fleurs les abeilles errantes, Ny des forestz les tresses verdoyantes, Ny des oiseaux les corps bien emplumez, Ny de la nuit les flambeaux allumez, Ny des rochers les traces ondoyantes, Ny les piliers des sainctz temples dorez, Ny les palais de marbre elabourez, Ny l'or encor', ny la perle tant clere, Ny tout le beau que possedent les cieulx, Ny le plaisir pouroit plaire à mes yeulx, Ne voyant point le Soleil, qui m'eclere. XCVII Qui a peu voir la matinale rose D'une liqueur celeste emmïellée, Quand sa rougeur de blanc entremeslée Sur le naïf de sa branche repose: Il aura veu incliner toute chose A sa faveur: le pié ne l'a foulée, La main encor' ne l'a point violée, Et le troupeau aprocher d'elle n'ose. Mais si elle est de sa tige arrachée, De son beau teint la frescheur dessechée Pert la faveur des hommes et des Dieux. Helas! on veult la mienne devorer: Et je ne puis, que de loing, l'adorer Par humbles vers (sans fruit) ingenieux. XCVIII S'il a dict vray, seiche pour moy l'ombrage De l'arbre sainct, ornement de mes vers, Mon nom sans bruit erre par l'univers, Pleuve sur moy du ciel toute la rage. S'il a dict vray, de mes soupirs l'orage, De cruauté les durs rochers couvers, De desespoir les abismes ouvers, Et tout peril conspire en mon naufrage. S'il a menti, la blanche main d'yvoire Ceigne mon front des fueilles que j'honnore: Les astres soient les bornes de ma gloire: Le ciel bening me decouvre sa trace: Voz deux beaux yeux, deux flambeaux que j'adore, Guident ma nef au port de vostre grace. XCIX O faulse vieille! ô fille de l'Envie, Et de l'Amour, fille qui à ton pere As enfanté dommage, et vitupere, En corrompant le miel de nostre vie! O gehinne! ô fleau de nostre fantasie, Qui jusqu'en l'ame as ton cruel' repere! O le seul mal du bien, que l'on espere! Faulse aveuglée, inique Jalousie! Vent pestilent, air infect qui apportes La mort au coeur par plus de mile portes, Sale harpie, oiseau de triste augure! Tu es le mal, qui ne craint, ô superbe! Emplastre, unguent, just de racine ou d'herbe, Vers enchanté, ou magique figure. C Vieille, qui prens de crainte nouriture, De faulx rapport et de legere foy, Pourquoy fais-tu, soudain que je te voy, Geler mon feu d'une triste froidure? Si tu es donq' à mes plaisirs si dure, Pourquoy viens-tu loger avecques moy? Va te noyer en ce fleuve d'emoy, Fleuve infernal, où le froid tousjours dure. Au fond d'enfer va pleurer tes ennuiz, Parmy l'obscur des eternelles nuitz: Pourquoy te plaist d'Amour le beau sejour? Si la clerté les ombres épouante, Ose-tu bien ô charongne puante! Empoisonner le serain de mon jour! CI O que l'enfer etroitement enserre Cet ennemy du doulx repos humain, De qui premier la sacrilege main Arracha l'or du ventre de la Terre! Cetuy vraiment mena premier la guerre Contre le ciel, ce fier, cet inhumain Tua son pere, et son frere germain, Et fut puni justement du tonnerre. O peste! ô monstre! ô Dieu des malefices! Par toy premier la cohorte des vices Sortit du creux de la nuit plus profonde. Par toy encor' s'en revola d'icy L'antique foy, et la justice aussi Avec' l'Amour, l'autre Soleil du monde. CII Des chiens veillants le long cry doloreux, Le soing du guet, et la ferrée porte La tour d'airein pouvoient rendre assez forte Contre l'assault du nocturne amoureux. Trop en etoit le sort avantureux Mesm' à celuy qui la vengence porte, S'il ne se fust de sa divine sorte Changé en or, ce metal malheureux. C'est ce fier là, qui egale aux campaignes Les durs sommez des plus haultes montaignes, Plus foudroyant, que n'est le traict des cieulx. Le fer, le feu, les grand's citez fermées, Les haultz ramparts, et les bandes armées Donnent passage à l'or audacieux. CIII Mais quel hiver seiche la verde souche Des sainctz rameaux, ombrage de ma vie? Quel marbre encor', marbre pasle d'envie, Blesmist le teint de la vermeille bouche? Mais quele main, quele pillarde moûche Ravist ses fleurs? c'est toy, fievre hardie, Qui fais languir par une maladie Moy en mon ame, et Madame en sa couche. O toy, que mere et maratre on appelle! As-tu donc faict une chose si belle Pour la deffaire? ô Dieu qui n'as point d'yeulx! Si contre moy la Nature conspire, Voire le ciel, la fortune, et les Dieux, Deffen au moins l'honneur de ton empire. CIV O Citherée! ô gloire paphienne! Mere d'Amour, vien' piteuse à la belle, Qui le secours de tes Graces appelle, Saincte, pudique, et chaste Cyprienne. Soutien aussi, vierge Tritonienne, De ton vieulx tige une branche nouvelle: Toy, qui sortis de la saincte cervelle, Sage Pallas, Minerve Athenienne. Oyez encor' vous les deux yeulx du monde, L'honneur jumeau de l'isle vagabonde, Le juste dueil de ce coeur gemissant. Ainsi la nuit tes baisers favorise, Chaste Diane: ainsi Parnaze prise, Docte Phebus, ton laurier verdissant. CV Esprit divin, que la troupe honnorée, Du double mont admire, en t'écoutant, Cigne nouveau, qui voles en chantant Du chault rivage au froid hiperborée: Si de ton bruit ma Lire enamourée Ta gloire encor' ne va point racontant, J'aime, j'admire, et adore pourtant Le hault voler de ta plume dorée. L'Arne superbe adore sur sa rive Du sainct Laurier la branche tousjours vive, Et ta Delie enfle ta Saone lente. Mon Loire aussi, demydieu par mes vers, Bruslé d'amour etent les braz ouvers Au tige heureux, qu'à ses rives je plante. CVI O noble esprit, des Graces allié, Que ta vertu, la Muse, et la Nature Ont par destin, et non par avanture, Avec le mien etroitement lié! O de mon coeur la seconde moitié! Si de ton feu quelque scintile dure, Soulage un peu le torment que j'endure, Me consolant d'excuse, ou de pitié. Inspire moy les tant doulces fureurs, Dont tu chantas celle fiere beauté, Qui t'aveugla à semblables erreurs. Ainsi d'Amour le feu puisse descendre, Pour amolir cet' humble cruauté, En l'estommac de ta froide Cassendre. CVII Sus, sus mon ame, ouvre l'oeil, et contemple L'arc triomphal de l'amour supernel, Qui pour laver ton peché paternel Porta le faix de ta perte si ample. Là, de pitié est le parfaict exemple: Sus donc mes vers, d'un vol sempiternel Portez mes voeux en son temple eternel, Le coeur fidele est de Dieu le sainct temple. S'il a servi pour rendre l'homme franc, S'il a purgé mes pechez de son sang, Et s'il est mort pour ma vie asseurer, S'il a goûté l'amer de mes douleurs, Prodigues yeulx, ne devez-vous pleurer D'avoir sans fruit dependu tant de pleurs? CVIII O seigneur Dieu, qui pour l'humaine race As esté seul de ton pere envoyé! Guide les pas de ce coeur devoyé; L'acheminant au sentier de ta grace. Tu as premier du ciel ouvert la trace, Par toy la mort a son dard etuyé: Console donq' cet esprit ennuyé, Que la douleur de mes pechez embrasse. Vien, et le braz de ton secours apporte A ma raison, qui n'est pas assez forte, Vien eveiller ce mien esprit dormant. D'un nouveau feu brusle moy jusq'à l'ame, Tant que l'ardeur de ta celeste flamme Face oublier de l'autre le torment. CIX Pere du ciel, si mil' et mile fois Au gré du corps, qui mon desir convie, Or que je suis au printemps de ma vie, J'ay asservi et la plume, et la voix, Toy, qui du coeur les abismes congnois, Ains que l'hiver ait ma force ravie, Fay moy brusler d'une celeste envie, Pour mieux goûter la douceur de tes loix. Las! si tu fais comparoitre ma faulte Au jugement de ta majesté haulte, Où mes fortaictz me viendront accuser, Qui me pourra deffendre de ton ire? Mon grand peché me veult condamner, Sire, Mais ta bonté me peult bien excuser. CX Dieu, qui changeant avec' obscure mort Ta bienheureuse, et immortelle vie, Fus aux pecheurs prodigue de ta vie, Pour les tirer de l'eternelle mort: Celle pitié coupable de ta mort Guide les paz de ma facheuse vie, Tant, que par toy à plus joyeuse vie Je soy' conduit du travail de la mort. N'avise point, ô Seigneur! que ma vie Se soit noyée aux ondes de la mort, Qui me distrait d'une si doulce vie. Oste la palme à cet' injuste mort, Qui jà s'en va superbe de ma vie, Et morte soit tousjours pour moy la mort. CXI Voicy le jour, que l'eternel amant Fist par sa mort vivre sa bien aimée: Qui telle mort au coeur n'a imprimée, O seigneur Dieu! est plus que dyamant. Mais qui poura sentir ce doulx torment, Si l'ame n'est par l'amour enflammée? Soufle luy donc, pour la rendre allumée, L'esprit divin de ton feu vehement. Pleurez mes yeulx, de sa mort la memoire, Chantez mes vers, l'honneur de sa victoire, Et toy, mon coeur, fay luy son deu hommage. O que mon Roy est invincible, et fort! O qu'il a faict grand gaing de son dommage! Qui en mourant triomphe de la mort. CXII Dedans le clos des occultes Idées, Au grand troupeau des ames immortelles Le Prevoyant a choisi les plus belles, Pour estre à luy par luymesme guidées. Lors peu à peu devers le ciel guindées Dessus l'engin de leurs divines aeles Vollent au seing des beautez eternelles, Où elle' sont de tout vice emondées. Le Juste seul ses eleuz justifie, Les reanime en leur premiere vie, Et à son filz les faict quasi egaulx. Si donq' le ciel est leur propre heritage, Qui les poura frauder de leur partage Au poinct, qui est l'extreme de tous maulx? CXIII Si nostre vie est moins qu'une journée En l'eternel, si l'an qui faict le tour Chasse noz jours sans espoir de retour, Si perissable est toute chose née, Que songes-tu mon ame emprisonnée? Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour, Si pour voler en un plus cler sejour, Tu as au dos l'aele bien empanée? Là, est le bien que tout esprit desire, Là, le repos où tout le monde aspire, Là, est l'amour, là, le plaisir encore. Là, ô mon ame au plus hault ciel guidée! Tu y pouras recongnoistre l'Idée De la beauté, qu'en ce monde j'adore. CXIV Arriere, arriere, ô mechant Populaire! O que je hay ce faulx peuple ignorant! Doctes espris, favorisez les vers Que veult chanter l'humble prestre des Muses. Te plaise donc, ma Roine, ma Déesse, De ton sainct nom les immortalizer, Avec' celuy qui au temple d'Amour Baize les piez de ta divine image. O toy, qui tiens le vol de mon esprit, Aveugle oiseau, dessile un peu tes yeux, Pour mieulx tracer l'obscur chemin des nues. Et vous, mes vers, delivres et legers, Pour mieulx atteindre aux celestes beautez, Courez par l'air d'une aele inusitée. CXV De quel soleil, de quel divin flambeau Vint ton ardeur? lequel des plus haulx Dieux, Pour te combler du parfaict de son mieulx, Du Vandomois te fist l'astre nouveau? Quel cigne encor' des cignes le plus beau Te prêta l'aele? et quel vent jusq'aux cieulx Te balança le vol audacieux, Sans que la mer te fust large tombeau? De quel rocher vint l'eternelle source, De quel torrent vint la superbe course, De quele fleur vint le miel de tes vers? Montre le moy, qui te prise, et honnore, Pour mieulx haulser la Plante que j'adore Jusq'à l'egal des Lauriers tousjours verds. COELO MUSA BEAT L'antérotique de la vieille et de la jeune amye L'antérotique de la vieille et de la jeune amye Vieille, aussi vieille comme celle, Qui apres l'Unde universelle Du ject de la pierre fecunde Engendra la moitié du Monde. Vieille, plus sale qu'Avarice, Vieille, qui serois bien nourice A celle de Nestor le Saige. Vieille, qui portes au visaige Et aux moins laids endroictz de toy Des sillons à coucher le doy. Vieille, qui as, ô vieille Beste! Plus d'yeux, que de cheveux en teste. Vieille, à trois petiz bouz de dentz Tous rouillez dehors, et dedens. Vieille, qui as joüe, et narine Bordées de crasse, et farine, De bave la bouche, et gensive, Et les yeux d'ecarlate vive. Vieille, qui as telle couleur Que celle, qui par grand' douleur Du bien d'autruy se lamentant, Se va soymesmes tormentant, Et couchée à plat sur le ventre En lieu, où point le Soleil n'entre, Pour nourrissement de ses oeuvres Se paist de Serpens, et Couleuvres. Vieille, horrible plus que Meduse, Vieille, au ventre, hola ma Muse, Veux-tu toucher les membres ords, Qui point ne se montrent dehors? Veu que ce qui au jour se montre Est de si hydeuse rencontre, Que mesmes le Soleil se cache De peur d'y prendre quelque tache: Je te pry, ne t'y souille point, De peur que venant sur le point De la Beaulté, pour qui j'endure, Tu n'y aportes quelque ordure. Vieille doncq' plus que toy vilaine, Vieille, qui rends semblable halaine A celle du stigieux Gouphre Ou d'une miniere de souphre: Et si à ryre tu te boutes, Semble à ceux qui sont aux ecoutes Ouyr l'epoventable voix Du Chien Portier à trois aboyx. Vieille, Peur des chastes familles, Vieille, peste des jeunes filles, Que tout pere avare et antique Et tout matrone pudique Craignent trop plus, que le berger Du loup ne doute le danger. Bien infortuné devoit estre L'Astre, soubz qui tu vins à naitre, Et bien etoint fachez les Dieux, Quand tu naquis en ces bas lieux, Qui des maulx y semes encore, Plus que la fatale Pandore. O que n'ay-je de vehemence Autant que tu as de semence D'etranges vices, et divers! Ma Plume vomiroit un vers Teint au sang de ce malheureux, Qui de peur du Traict dangereux, Que la Muse alloit debendant, Sauva sa vie en se pendant. Vieille, que tous Oyzeaux funebres, Chaz huans, amys des tenebres, Avecq' maint charoingneux corbeau Ont ja condamnée au tumbeau. Que dy-je? tu ne mouras point. Pource que la Mort, qui tout poingt, Quoy qu'elle soit fiere et terrible, Te voyant encor'plus horrible, De toy approcher n'osera, Mais de peur tremblente sera. Comment? ell' cuydera ainçoys Que la Mort de la Mort tu soys. Ou bien si le Ciel pitoyable De ce Monstre tant incroyable Purge la Terre, qui tel fruict Voudroit onques n'avoir produit, Ton Ame sale, et depiteuse, Sortant de sa prison hydeuse, S'en ira blaphemer là bas, Prenant (comme icy) ses ebas, A donner peines, et encombres. Malheur à vous (ô pauvres Umbres!) Qui d'endurer serez contraintes Les foüetz, torches, et attaintes, Et la cruelle Seigneurie De cette quatrieme Furie. Quand tu vois (ô Vieille et immunde, Vieille, Deshonneur de ce Monde) Celle qui (si bien m'en souvient) Sur l'an quinzieme à peine vient: Qui envoye jusq'aux talons Des cheveux si crespes, et blonds, Qu'ilz font honte au beau Soleil mesme: Cheveulx dignes d'un diadesme, Cheveux, qui d'un fil delïé M'ont à eux si tresfort lïé, Que la Mort le seul fer sera, Qui ce doulx lyen brisera: Cheveux, dont ce petit Enfant, Qui sur les Dieux est triumphant, A faict la chorde, dont il tyre Traictz empennez de doulx martyre. Ces traictz, sont les beaux yeux ryans Qui ont (tant me semblent frians) Ce croy-je, depuis ma naissance, Ma mort, ma vie en leur puissance. L'arc, sont ces beaux sourcilz voutilz: Ainsi, d'Amour tous les outilz (Quoy qu'il s'en fache ou qu'il en hongne) Sont empruntez de ma Mignonne, Qui a bien d'avantaige encores. Et quoy? Ce front, qui or' et ores Semble le Ciel, quand il decoeuvre Le plus luysant de son chef d'oeuvre, Ou quand quelque petite nue Nous rend sa clarté moins congnue. Ce beau teint, qui notre sejour Embellist encor' d'un beau jour, Et tel, qu'on voit, lors que l'Aurore L'Orient de pourpre colore: Teint, qui fait le Ciel amoureux De la Terre, et moy langoureux. Ce nez, ce menton, cete joue, Ces levres, où souvent se joue Amour, quand il montre en rient Tous les Thesors de l'Orient: D'où sort une halaine fleurante Mieux qu'Arabie l'Odorante: D'où sort l'Angelique Parler, A qui ne pouroit s'egaler La plus ravissante douceur Du Luc, des ennuiz effaceur, Encores qu'Albert le manie: Mais bien ressemble l'harmonie Et les accords melodieux, Qu'on oit à la table de Dieux. Bref (et de peur que d'avanture Mon oeil, ma main, mon ecriture Ne s'egarent, ou perdent voyre Par cete valée d'ivoyre, Et ces petiz coutaux d'albastre) M'amye est un beau petit astre Si clair, si net, que je crain' bien, Que le Ciel ne l'avoue sien. Bien etoit l'influence heureuse De la belle Etoile amoureuse Soubz qui m'amye prist naissance, Et les Dieux, qui ont congnoissance De tout, nous feurent bien amys, Veu que celle au Monde ilz ont mis, Qui seule y a plus aporté D'amour, de grace, et de beauté, Que d'odeurs l'Arabie heureuse, De perles d'Inde planteureuse, Ou le verd Printens de fleurettes, Fideles temoings d'amourettes. Que plus aux Muses, et Charites M'honnorer selon les merites De la belle, que j'ayme tant! Sans cesse je l'iroy' chantant, Et par des vers, qui seroient telz, Qu'elle et moy serions immortelz. Quand tu vois (ô Vieille edentée!) Que la Beauté que j'ay chantée, D'un oeil folastre me sourit, Et notz coeurs ensemble nourit D'humides baysers, qui ressemblent Ceux qui les columbes assemblent, Remordant, la vindicative, Ma levre de sa dent lascive, Et d'un long soupir adoucy M'embrasse, et serre, tout ainsi Que la vigne aux cent braz epars Etreint l'ormeau de toutes pars: Lors de moy aprocher tu oses Pour me faire semblables choses. Je suy' ton Dieu plus qu'à demy, Tu m'appelles ton doulx amy. Motz qui aux oreilles me sonnent Si doucement, que plus m'etonnent Que les grenouilles, ou cygales; Ou que l'enroüé des cymbales De tous les ecouillez ensemble De la Vieille, qui te ressemble, Et court par la Montaigne idée, De Lyons indomptez guydée Pour l'amour, qui par tout le Monde, Comme toy, la rend furibonde: Si que mes moüelles, qui ardent Aux douces flammes que leur dardent Les yeux archers de ma Maitresse, Te voyant, vieille Enchanteresse, Deviennent, je ne sçay comment, Toutes froydes en un moment. Or fais-tu maintenant bien voir Quel est (ô Amour!) ton pouvoir. Certes vanter tu te peux bien Qu'en ciel, et terre n'y a rien Qui plus fort que ton feu se treuve. Tu en as, Vieille, fait l'epreuve, Qui en ta plus chaulde partie Es plus froyde que la Scythie, Ou les hautes Alpes cornues, De nege comme toy chenues. Toutefois ces regards meslez Aux doulx baysers emmiellez De deux ensemble perissans Echaufent tes oz languissants. Vers lyriques Au lecteur Je n'ay (Lecteur) entremellé fort supersticieusement les vers masculins avecques Les feminins, comme on use en ces Vaudevilles et Chansons qui se chantent d'un Mesme chant, par tous les coupletz, craignant de contreindre et gehinner ma Diction pour l'observation de telles choses. Toutesfois affin que tu ne penses Que j'aye dedaigné ceste diligence, tu trouveras quelques Odes, dont les vers Sont disposez avecques telle religion: comme la Louange de deux Damoizelles; des Miseres et Calamitez humaines; le Chant du Desesperé, et les Louanges de Bacchus. I. Les louanges d'Anjou au fleuve de Loyre Ode I O de qui la vive course Prent sa bienheureuse source D'une argentine fonteine, Qui d'une fuyte loingtaine Te rens au seing fluctueux De l'Occean monstrueux, Loyre, hausse ton chef ores Bien haut, et bien haut encores, Et jete ton oeil divin Sur ce païs Angevin, Le plus heureux, et fertile Qu'autre, où ton unde distile. Bien d'autres Dieux que toy, Pere, Daignent aymer ce repaire A qui le Ciel feut donneur De toute grace, et bonheur. Ceres, lors que vagabunde Aloit querant par le monde Sa fille, dont possesseur Feut l'infernal ravisseur, De ses pas sacrez toucha Cete terre, et se coucha Lasse sur ton verd ryvaige, Qui luy donna doulx bruvaige. Et cetuy là, qui pour mere Eut la cuisse de son pere, Le Dieu des Indes vainqueur Arrousa de sa liqueur Les montz, les vaulx, et campaignes De ce terroir que tu baignes. Regarde, mon Fleuve, aussi Dedans ces forestz ici, Qui leurs chevelures vives Haussent au tour de tes ryves, Les Faunes aux piez soudains, Qui apres bisches et dains Et cerfz aux testes ramées Ont leurs forces animées. Regarde tes Nymphes belles A ces Demydieux rebelles, Qui à grand'course les suyvent, Et si près d'elles arrivent, Qu'elles sentent bien souvent De leurs haleines le vent. Je voy' dejà hors d'haleine Les pauvrettes, qui à peine Pouront atteindre ton cours, Si tu ne leur fais secours. Combien (pour les secourir) De foys t'a-lon veu courir Tout furieux en la plene? Trompant l'espoir, et la peine De l'avare laboureur, Helas! qui n'eut point d'horreur Blesser du soc sacrilege De tes Nymphes le college, College qui se recrée Dessus ta rive sacrée. Nymphes des jardins fertiles, Hamadryades gentiles, Toy Pryape, qui tant vaulx Avecq' ta lascive faulx, Pales, qui sur ces rivaiges Possedes tant beaux herbaiges, Que Flore va tapissant De mainte fleur d'eux yssant, Toy pasteur Amphrisien, Chacun de vous garde bien Ses richesses de l'injure Du chault, et de la froidure. Ces masses laborieuses, Que les mains industrieuses Quasi egalent aux cieux, Ne sont-elles pas aux Dieux? Qui vouldra doncq' loue, et chante Tout ce dont l'Inde se vante, Sicile la fabuleuse, Ou bien l'Arabie heureuse. Quand à moy, tant que ma Lyre Voudra les chansons elire Que je luy commenderay, Mon Anjou je chanteray. O mon Fleuve paternel, Quand le dormir eternel Fera tumber à l'envers Celuy qui chante ces vers, Et que par les braz amys Mon cors bien pres sera mis De quelque fontaine vive, Non gueres loing de ta rive, Au moins sur ma froyde cendre Fay quelques larmes descendre, Et sonne mon bruyt fameux A ton rivaige ecumeux. N'oublie le Nom de celle Qui toutes beautez excelle, Et ce qu'ay pour elle aussi Chanté sur ce bord icy. II. Des misères et fortunes humaines au seigneur Jan Proust Ode II Bellonne seme sang et raige Parmy les peuples çà et là, Et chasse à la Mort maint couraige De ce fouët tortu qu'ell' a. Son ame cetuy cy ottroye A un venin froid, et amer: Cetuy là est donné en proye Aux flotz avares de la Mer. Aucuns d'une main vengeresse Veulent par la Mort eprouver Si du mal, qui tant les oppresse, Pouront la guerison trouver. Quelques autres venans de naitre, Avant qu'ilz aillent rencontrant Ce qui malheureux nous fait estre, Sortent du monde en y entrant. Mercure des mains de la Parque Prent notz Umbres, et les conduyt Au bord, ou la fatale Barque Nous passe en l'eternelle Nuyt: Où Minos juge inexorable, Toutes excuses deboutant, La langue autresfois secourable De l'orateur n'est ecoutant. Le chemin est large, et facile Pour descendre en l'obscur sejour: Pluton tient de son domicile La porte ouverte nuyt et jour. Là gist l'oeuvre, là gist la peine, Ses pas de l'Orque retirer A l'etroit sentier, qui nous meine Où tout mortel doit aspirer. Le nombre est petit de ceux ores Qui sont les bien aymez des Dieux, Et ceux que la Vertu encores Ardente a elevez aux Cieux. Jupiter tient devant sa porte Deux tonneaux, dont il fait pluvoir Tout ce qui aux humains aporte De quoy ayse, ou tristesse avoir. Qui a veu en ce vieil poëte (Et le voyant, ne pleure lors) La trop tost ouverte boëte, Et les vertuz volants dehors? L'Esperance au bord arrestée Outre son gré demeure icy: Puis que seule nous est prestée, Gardon' qu'ell' ne s'en vole aussi. III. Les louanges d'amour au seigneur René d'Urvoy Ode III Le cler ruysselet courant, Murmurant Auprès de l'hospitale umbre, Plaist à ceux qui sont lassez, Et pressez De chault, de soif et d'encombre. Et ceux qu'Amour vient saisir, Leur plaisir, C'est parler de luy souvent. D'Amour soyez doncq', mes chantz, Par ces champs, Dessoubz la frescheur' du vent. Ces eaux cleres, et bruyantes, Eaux fuyantes D'un cours assez doulx et lent, Donneront quelque froideur A l'ardeur De mon feu trop violent. Erato, à ma chanson Donne son, Et me permetz approcher Pres de toy pour m'esjouyr, Et t'ouyr Du hault de ce creux rocher. Le Roy, le Pere des Dieux Tient les Cieux Dessoubz son obeïssance, Neptune la mer tempere, Et son frere Sur les enfers a puissance. Mais ce petit Dieu d'aymer, Ciel, et mer, Et le plus bas de la terre, D'un sceptre victorieux, Glorieux, Soubz son pouvoir tient, et serre. Sans luy, du ciel le haut temple, Large, et ample, En ruyne tumberoit, Avecq' chacun element, Tellement Discorde par tout seroit. Amour, gouverneur des villes, Loix civiles Et juste police ordonne, Et l'heur de Paix, qu'on va tant Souhaitant, C'est luy seul qui le nous donne. Les richesses de Ceres, Les forestz, Les sepz, les plantes, et fleurs Prennent d'Amour origine, Goust, racine, Vertu, formes, et couleurs. Par luy tout genre d'oyzeaux Sur les eaux Et par les boys s'entretient. Tout animal de servaige Et sauvaige De luy son essence tient. Par ce petit Dieu puissant, Delaissant Le doulx gyron de la mere, La vierge femme se treuve, Et fait preuve De la flamme doulce-amere. Que me chaut si on le blasme, Et sa flamme? Amour ne sçait abuser: Et ceux qui mal en reçoyvent, Ne le doyvent, Mais eux mesmes, accuser. Amour est tout bon et beau, Son flambeau N'enflamme les vicieux: Juste est, et de simple foy, C'est pourquoy Il est tout nu et sans yeux. Leurs victorieux charroys Ducz, et Roys Doyvent à ses sainctz autelz, Le poëtique ouvrïer Son laurier, Et les Dames leurs beautez. Puis doncq' qu'il est notre autheur, Sa haulteur Bien adorer nous devons, Dessus son autel sacré, Saichant gré A luy, de quoy nous vivons. La jeunesse (helas) nous fuyt, Et la suyt Le froid aage languissant: Adonques sont inutiles Les scintiles Du feu d'Amour perissant. IV. De l'inconstance des choses au Seigneur Pierre de Ronsard Ode IV Nul, tant qu'il ne meure, Heureux ne demeure: Le Sort inconstant Or' se hausse, et ores S'abaisse, et encores Au ciel va montant. La Nuyt froyde et sombre Couvrant d'obscure umbre La terre, et les cieux, Aussi doulx que miel Fait couler du ciel Le someil aux yeux. Puis le Jour luysant Au labeur duysant Sa lueur expose, Et d'un teint divers Ce grand univers Tapisse et compose. Quand l'Hyver tremblant Les eaux assemblant De glace polie, Des austres puissans De dueil gemissans La rage delie, La Terre couverte De sa robe verte Devient triste, et nue, Le vent furieux Vulturne en tous lieux Les forestz denue. Puis la saison gaye. A la terre essaye Rendre sa verdure, Qui ne doit durer, Las! mais endurer Une autre froidure. Ainsi font retour D'un successif tour Le Jour, et la Nuyt: Par mesme raison Chacune saison L'une l'autre suyt. Le pueril' aage Lubric, et volaige Au printens ressemble: L'été vient après, Puis l'autonne est près, Puis l'hyver qui tremble. O que peu durable (Chose miserable) Est l'humaine vie, Qui sans voyr le jour De ce cler sejour Est souvent ravie. Soubz le grand espace Du ciel, le Tens passe Par course subite: Thëatres, Colosses En ruines grosses Le tens precipite. Que sont devenuz Les murs tant congnuz De Troye superbe? Ilion est comme Maint palais de Romme Caché, dessoubz l'herbe. Torrentz, et ryvieres Bruyantes et fieres Courent en maintz lieux, Où rochers, et bois Sembloient autresfois Menasser les cieux. Les fieres montaignes Aux humbles campaignes On voit egalées, Maintz lieux foudroyez, Les autres noyez Des undes salées. Regnes, et empires En meilleurs et pires On a veu changer, Maint peuple puissant Ses loix delaissant Suyvre l'etranger. Superbe couraige, Qui ne crains oraige, Foudre, ny tempeste, A ton fier marcher Tu sembles toucher Les cieux de la teste. Mais ta voyle enflée De faveur souflée Metz hardiment bas: Le ciel variable Tousjours amyable Ne te sera pas. Quoy doncq'? ne sçais-tu Qu'un buysson batu Moins est du tonnerre, Qu'un haut chesne, ou tremble, Ou qu'un mont qui semble Depriser la terre? Amy, qui pour vivre Des ennuiz delivre, Que la court procure, T'es venu ranger Comme un etranger, En la tourbe obscure: Ne regrete point L'ambicieux poinct De cete faveur. Le ciel favorable D'un plus honorable T'a fait receveur. De Ronsard le nom Ne soit en renom Par le populaire: Amy, tu es tel, Que rien, qu'immortel, Ne te pouroit plaire. Laisse aux courtizants Les souciz cuyzans: Ne soys curieux Des biens aquerir, Ou de t'enquerir Du secret des Dieux. V. A deux Damoyzelles Ode V Il faut maintenant, ô ma Lyre! Sur ta meilleure corde elire Un chant, qui penetre les Cieux, Par une aussi etrange voye Que celles à qui je t'envoye Sont dignes du plus grand des Dieux. Dy leur que je n'ay l'artifice D'un peintre, ou engraveur, qui puisse Au vray le semblable egaler. Mais bien je les puy' faire vivre Mieux qu'en tableau, en marbre ou cuyvre, Qui n'ont l'usaige de parler. Mes vers, qui portent sur leurs esles Les louanges des Damoyzelles, Se vantent de voler un jour Parmy la region des nues, Et les beautez du ciel venues Sacrer au celeste sejour. Les beautez jusques aux Dieux montent, Celles que les Muses racontent. Les autres, qui n'ont ce bon heur, Les umbres solitaires suyvent: Mais les votres (si mes vers vivent) N'iront soubz terre sans honneur. Je chanteray que votz merites Vous egalent aux trois Charites, Qui font des chapeaux florissans A la joyeuse Cyprienne, Dansant avecq' la trope sienne Par les prez de loing rougissans. Telles sont les chastes compaignes, Qui parmy forestz, et campaignes, Fleuves, et ruysseaux murmurans, Suyvent la Vierge chasseresse, Quand d'un pié leger elle presse Le doz des cerfz legercourans. Qui a veu les lyz, et les rozes Avecq' la belle aube decloses, Celuy a veu votre beau teint: Dont le blanc, et vermeil ensemble Le pourpre coloré ressemble, Et du laict la blancheur eteint. Qui a conté les fleurs sacrées Des rives, campaignes, et prées, Dont l'air, quand il est plus rient, Orne les cheveux de la terre, Et les pierres que lon va querre Par tant de flotz en Orient: Celuy a nombré (ce me semble) Vos graces, et vertuz ensemble Avecques les traictz de votz yeux, Dont mil', et mile fleches darde Contre celuy qui vous regarde L'enfant qui surmonte les Dieux. Qui de la harpe Thracienne A ouy la voix ancienne, Des foretz l'ebahissement, Les votres luy fera pareilles, Qui font des plus rudes oreilles, Voyre des coeurs, ravissement. Voulez-vous que ma plume ecrive Comment dessus la verde ryve De Cadme la peu fine seur, Eloingnant sa fidele trope, Osa presser la blanche crope Du divin Thaureau ravisseur? Jadis soubz plume blanchissante Du Ciel la majesté puissante Remplit celle qui enfanta Les fors jumeaux, avecques celle Qu'en Ide des troys la plus belle Au juge bergier tant vanta. De la pluye jaune coulante Au seing d'une vierge excellente Naquit le chevalier volant. Telles sont les flammes subtiles Du feu, dont les vives scintiles Vont Dieux et hommes affolant. Qui est celuy qui voudroit taire Le filz du mari adultere? Le monde de monstres purgé De ses faictz la gloire conserve, Des enfers la depouille serve, Et le ciel sur son doz chargé. Qui ne congnoist bien les deux Ourses Fuyantes de Thetis les sourses? Ou qui est celuy que n'attaint La plainte de la belle vache, Qui aux tristes rives d'Inache De l'amy cruel se complaint? Fuyez doncq' les facons cruelles Que beauté couve soubz ses esles. Faites à l'Amour humbles voeutz Qu'à Jupiter ne vous otroye, Pour croistre (ô bienheureuse proye!) Le nombre des celestes feux. Par les mains du chaste Hymenée Chacune de vous soit menée Au lieu, où l'ennemy humain Soubz une agréable lumière De votz jardins la fleur premiere Pille d'audacieuse main. Ces petites undes enflées Des plus doulx zephires souflées Sans fin vont disant à leur bord: Heureuse la nef arrestée Par le mors de l'anchre jetée Dedans le seing d'un si beau port. VI. Du premier jour de l'an au Seigneur Bertran Bergier Ode VI Voicy le Pere au double front, Le bon Janus, qui renouvelle Le cours de l'An, qui en un rond. Ameine la saison nouvelle. Renouvelons aussi Toute vieille pensée, Et tuons le soucy De Fortune insensée. Sus doncq', que tardons-nous encore? Avant que vieillars devenir, Chassons le soing, qui nous devore Trop curieux de l'advenir. Ce qui viendra demain Ja pensif ne te tienne: Les Dieux ont en leur main Ta fortune, et la mienne. Tu voy de nege tous couvers Les sommetz de la forest nue, Qui quasi envoye à l'envers Le faiz de sa teste chenue. La froide bize ferme Le gosier des oyzeaux, Et les poissons enferme Soubz le cristal des eaux. Veux-tu attendre les frimaz De l'hyver, qui dejà s'appreste, Pour faire de nege un amaz Sur ton menton, et sur ta teste? Que tes membres transiz Privez de leur verdeur, Et les nerfz endurciz Tremblent tous de froideur? Quand la saison amolira Tes braz autresfois durs et roydes, Adoncq' malgré toy perira Le feu de tes moüelles froydes, Que toute herbe, ou etuve, Tout genial repas, Mais tout l'Aethne et Vesuve Ne rechaufferoint pas. Mon filz, c'est assez combatu, (Disoit la mere au fort Gregeois,) Pourquoy ne te rejouys-tu Avecq' ces filles quelques fois? Les vins, l'amour consolent Le triste coeur de l'homme: Les ans legiers s'en volent, Et la mort nous assomme. Je te souhaite pour t'ebatre Durant ceste morte saison, Un plaisir, voyre trois, ou quatre, Que donne l'amye maison: Bon vin en ton celier, Beau feu, nuyt sans soucy, Un amy familier, Et belle amye aussi, Qui de son luc, qui de sa voix Endorme souvent tes ennuiz, Qui de son babil quelquesfois Te face moins durer les nuitz, Au lict follastre autant Que ces chevres lascives, Lors qu'elles vont broutant Sur les herbeuses rives VII. Du jour des bacchanales au Seigneur Rabestan Ode VII Quel bruyt inusité A mes oreilles tonne? Je suy' tout excité De l'horreur qui m'etonne: Mon coeur fremist, et tremble, Evoé, Evoé. J'oy' la voix (ce me semble) D'un cornet enroué. Je voy' le deux fois né, L'Indique Dieu, qui erre Le chef environné De verdoyant lyerre: Les fiers tygres soupirent Soubz le joug odieux, Et tous paisibles tirent Son char victorieux. Maint Satyre lascif Ryant soutient à peine Sur ung asne tardif Le chancelant Sylene. Triumphe à la bonne heure, Dieu, dont feut le butin Ce peuple qui demeure Le plus près du matin. Mon ame eprise au feu De ta liqueur tant bonne, Ce poëtique voeu Te consacre et ordonne. Je te salue Pere, Qui tout soucy deffens, Soubz ton regne prospere Fay vivre tes enfans. Celuy qui sceut les boys Et les rochers attraire, Qui fist les trois aboys Tous ebahiz se taire, Sceut au prix de sa teste Combien est perilleux Blamer la saincte feste De ton nom merveilleux. Sans jarretz se trouva Le brave roy de Thrace, Et ta force eprouva L'Echionnée race: Bien que tu sembles estre Au ryz, banquetz, et jeuz Plus idoyne, qu'adextre Aux combatz outraigeux; D'une horrible machoire Renversé par ta main, Feut temoing de ta gloire: Quand les filz de la Terre Ozerent s'avancer Pour au Ciel faire guerre, Et ton Pere offenser. Sans toy, n'ard qu'à demy La furieuse flamme De Venus, ô l'amy Et du cors, et de l'ame! Donq' à force de boyre, Noye, ou brusle au dedans La facheuse memoire De noz souciz mordans. Amy, ceste rigueur Au vieil Caton delaisse: Mais où est la vigueur De ta verde vieillesse? Le soing de tout affaire Que n'est-il endormy? Quelquesfois il faut faire Le fol pour son amy. VIII. Du retour du printens à Jan d'Orat Ode VIII De l'hyver la triste froydure Va sa rigueur adoucissant, Et des eaux l'ecorce tant dure Au doulx Zephire amolissant. Les oyzeaux par les boys Ouvrent à cete foys Leurs gosiers etreciz, Et plus soubz durs glassons Ne sentent les poissons Leurs manoirs racourciz. La froide humeur des montz chenuz Enfle deja le cours des fleuves, Deja les cheveux sont venuz Aux forestz si longuement veufves. La Terre au Ciel riant Va son teint variant De mainte couleur vive: Le Ciel (pour luy complaire) Orne sa face claire De grand' beauté nayve. Venus ose jà sur la brune Mener danses gayes, et cointes Aux pasles rayons de la lune, Ses Graces aux Nymphes bien jointes. Maint Satyre outraigeux, Par les boys umbraigeux, Ou du haut d'un rocher, (Quoy que tout brusle, et arde) Etonné les regarde, Et n'en ose approcher. Or' est tens que lon se couronne De l'arbre à Venus consacré, Ou que sa teste on environne Des fleurs qui viennent de leur gré. Qu'on donne au vent aussi Cest importun soucy, Qui tant nous fait la guerre: Que lon voyse sautant, Que lon voyse hurtant D'un pié libre la terre. Voicy, dejà l'eté, qui tonne, Chasse le peu durable ver, L'eté le fructueux autonne, L'autonne le frilleux hyver. Mais les lunes volaiges Ces celestes dommaiges Reparent: et nous hommes, Quand descendons aux lieux De noz ancestres vieux, Umbre, et poudre nous sommes. Pourquoy doncq' avons-nous envie Du soing qui les coeurs ronge, et fend? Le terme bref de notre vie Long espoir nous deffent. Ce que les Destinées Nous donnent de journées, Estimons que c'est gaing. Que scais-tu si les Dieux Ottroyront à tes yeux De voir un lendemain? Dy à ta lyre qu'elle enfante Quelque vers, dont le bruyt soit tel, Que ta Vienne à jamais se vante Du nom de Dorat immortel. Ce grand tour violant De l'an leger-volant Ravist et jours, et moys: Non les doctes ecriz, Qui sont de noz espris Les perdurables voix. IX. Chant du desesperé Ode IX La Parque si terrible A tous les animaulx Plus ne me semble horrible, Car le moindre des maulx, Qui m'ont fait si dolent, Est bien plus violent. Comme d'une fonteine Mes yeux sont degoutens, Ma face est d'eau si pleine Que bien tost je m'attens Mon coeur tant soucieux Distiler par les yeux. De mortelles tenebres Ilz sont déjà noirciz, Mes plaintes sont funebres, Et mes membres transiz: Mais je ne puy' mourir, Et si ne puy' guerir. La Fortune amyable Est-ce pas moins que rien? O que tout est muable En ce val terrien! Helas, je le congnoy', Qui rien tel ne craignoy'. Langueur me tient en lesse, Douleur me suyt de près, Regret point ne me laisse, Et crainte vient après: Bref, de jour, et de nuyt Toute chose me nuit. La verdoyant' campaigne, Le flory arbrisseau, Tumbant de la montaigne Le murmurant ruysseau, De ces plaisirs jouyr Ne me peut rejouyr. La musique sauvaige Du rossignol au boys Contriste mon couraige, Et me deplait la voix De tous joyeux oyzeaux Qui sont au bord des eaux. Le Cygne poëtique Lors qu'il est myeux chantant, Sur la ryve aquatique Va sa mort lamentant. Las! tel chant me plait bien Comme semblable au mien. La voix repercussive En m'oyant lamenter, De ma plainte excessive Semble se tormenter, Car cela que j'ay dit Tousjours elle redit. Ainsi la joye et l'ayse Me vient de dueil saisir, Et n'est, qui tant me plaise Comme le deplaisir, De la mort en effect L'espoir vivre me fait. Dieu tonnant, de ta foudre Viens ma mort avencer, Afin que soye en poudre Premier que de penser Au plaisir, que j'auroy' Quand ma mort je scauroy'. X. Au Seigneur Pierre de Ronsard Ode X Chante l'emprise furieuse Des fiers Gëans trop devoyez, Et par la main victorieuse Du Pere tonnant foudroyez: Ou bien les labeurs envoyez Par Junon Déesse inhuméne A l'invincible enfant d'Alcméne. Chante les martiaux alarmes D'un son heroic, et haut style: Chante les amoureuses larmes, Ou bien le champ graz et fertile, Ou le cler ruysseau qui distile Du mont pierreux, ruysseau qui baigne Prez, et spacieuse campaigne. Chante doncq' les biens de Cerés Et de Bacchus les jeuz mystiques: Chante les sacrées forés, Sejour des Demydieux rustiques: Chante tous les Dieux des antiques, Pluton, Neptune impetueux. Et les austres tempetueux. Bref, chante tout ce qu'ont chanté Homere, et Maron tant fameux, Pyndare, Horace tant vanté, Afin d'estre immortel comme eux En depit du dard venimeux De celle qui ne peut deffaire Ce qu'un esprit divin sçait faire. Ton oeuvre sera plus durable Qu'un Thëatre, ou un Colisée, Ou qu'un Mausëole admirable, Dont l'etophe si fort prisée Par le tens a été brisée, Ou que tout autre oeuvre excellant De la main de l'ouvrier volant. Quand à moy, puis que je n'ay beu, Comme toy, de l'unde sacrée, Et puis que songer je n'ay peu Sur le mont double, comme Ascrée, C'est bien force que me recrée Avec Pan, qui soubz les ormeaux Fait resonner les challumeaux. Mais toy, si desires pour vivre Delaisser quelque monument, Pourquoy aussi ne veux-tu suyvre Quelque haut et brave argument? Amy, vole plus hautement, Et en lieu si humble n'amuse, Qu'à me louër, ta docte Muse. Si tu m'eusses, facund Mercure, Volu etre un peu favorable, Et toy Phebus, j'eusse pris cure De rendre mon bruyt honorable, Voyre par ecrit memorable Un jour avec triumphe et gloire Marier Loyr avecques Loyre. XI. A une dame cruelle et inexorable Ode XI Muse, que tant je voys cherchant, Inspire moy encor' un chant, Un chant, qui entre en l'obstinée oreille De la beauté, qui n'a point sa pareille. Le feu en la fournaize etreint Ard plus que cil, qui non contreint Par le ciel libre en çà et là epars Donne sa flamme au vent de toutes pars. Amour jusqu'au profund de l'ame A dardé la cruelle flamme Que suy' contreint de vomir en mes vers D'un son tragic tout etrange et divers. Cruelle, tu voys de bien loing Ce feu, dont tu n'as point de soing, Comme celuy qu'on voit voler parmy La ville prise ou le camp ennemy. Tu m'as ouvert le manque flanc Avecques cet ivoyre blanc, Qui montre au bout cinq perles plus exquises Que d'Orient les pierres tant requises. Pourquoy arraches-tu le coeur Dont Amour par toy feut vainqueur? Pourquoy fais-tu, ainsi que deux tenailles, Sentir tes mains en mes vives entrailles? Les tygres (ô fiere beauté!) N'ont tant que toy de cruauté: Ny le serpent, qui se trayne soubz l'herbe, Ny des lyons la semence superbe. Pas n'avoit si grande rudesse La cruelle vierge Déesse, Qui fist aux chiens devorer le veneur Criant en vain: Je suy' votre seigneur. Qui est celuy, qui ne s'etonne Quand le Pere courroussé tonne? Dardant çà bas de foudroyante main Le traict vangeur de tout acte inhumain. Amour pourtant dedans les cieux Enflamme le plus grand des Dieux, Hommes en terre, et en l'air les oyzeaux, Et les poyssons jusqu'au fond de leurs eaux. O repaire moins souhaitable Que le Caucase inhospitable, Où le rapteur du saint feu va paissant L'aigle sacré d'un poumon renaissant! Tu me fais par ta grand' froydeur Sentir plus violente ardeur Que cetuy là, dont le doz grand et large Soutient d'un mont la trop pesante charge. Qui d'Amour blame les edictz, Semble ces Geans, qui jadis Des plus hauts montz une echelle erigerent Et les manoirs celestes assiegerent. Ne crains-tu point qu'il se courrousse? Ne crains-tu point que de sa trousse Te darde un traict enpenné de fureur, Pour se vanger d'un si cruel erreur? Ou vas-tu, Muse? si grand' ire Ne convient à la douce Lyre. Tu es trop humble, et de trop petit son, Pour accorder si tragique chanson. XII. De porter les miseres et la calumnie au seigneur Christofle du Breil Ode XII Rien n'est heureux de tous poinctz en ce monde. L'air, et le feu, le ciel, la terre, et l'unde Nous font la guerre, et les justes Dieux mesmes N'ont pardonné à leurs palaiz supremes. Ne voy-tu pas que les Signes des Cieux Sont mutilez de piez, de braz, ou d'yeux? N'as-tu jamais d'eclypse coutumiere Veu obscursir l'une et l'autre lumiere? O que d'ennuy sans repos nous tormente! Les uns par faim ont peine vehemente, Autres on voit en la prison mourir, Plusieurs aussi à la guerre courir, Joyeux spectacle à ce furieux Dieu Qui maintenant obtient le premier lieu Entre les Roys, les Empereurs, et Princes, Au grand dommaige (hélas) de leurs provinces. Le flot, le vent, le pyrate, et rocher Sont les perilz de l'avare nocher, Qui de son ayse, et repos s'ennuyant, Aux Indes court, la pauvreté fuyant. Cetuy par fer, par cordeau, ou poyson Cherche de mort voluntaire achoyson, Et pour trouver de ses maulx allegence, A pris de soy luymesmes la vengence: Et cetuy là, qui est myeux fortuné Que les premiers, avant que d'estre né Ensevely d'un sommeil eternel, Fait son tumbeau du ventre maternel. D'un egal pié la Mort, qui tout attrape, Et des petiz les humbles manoirs frape, Et des plus grands les tours hautes et fortes. Une Mort seule en mile, et mile sortes De maulx soudains, nouveaux, et incurables, Va tormentant les humains miserables. Le cours des ans, des siecles, et saisons, Les grands citez et superbes maisons Mises par terre, et les ruines grosses Des vieux Palaiz, Thëatres, et Collosses, Montrent à l'oeil tout ce qui est çà bas Etre caduq' et subject à trepas. O malheureux, qui batist esperance Sur fondement d'incertaine assurance! De tous etaz, de tout sexe, et tout aage Solicitude est le propre heritaige. Ell' suyt des Roys les palaiz sumptueux, Conventz secrez, parquetz tumultueux: Le laboureur la porte en sa charrue, Et du pasteur aux toictz elle se rue: L'homme de guerre aussi la porte en croupe, Et le marchant avare dans la poupe. Rien, que vertu, ne domte la fortune. Comme le roc, quand la mer importune En çà et là contre luy se courrousse, Rompt les gros flotz, et de soy les repousse. O bienheureux, qui de rien ne s'etonne, Et ne palist, quand le ciel iré tonne! O bienheureux, que les torches ardentes Et des troys Seurs les couleuvres pendentes N'excitent point! qui n'entrerompt le fruict De son repos, pour quelque petit bruict. Cet homme là pour vray jamais ne tremble, Bien que le ciel à la terre s'assemble: Et ont les Dieux sa fortresse munie Contre fortune, et contre calumnie. Le Ciel vangeur, protecteur d'Innocence, Donne aux pervers souvent longue licence De nuyre aux bons: puis contre eux irrité Commende au Tens, pere de verité, Decouvrir tout; lors la cause plus forte Devient soudain la plus foyble, de sorte Que la grandeur de la peine compense La tardité de la juste vengence. Espere, Amy, espere, dure, attens Cette faveur et du Ciel, et du Tens. Et quand le Ciel n'auroit aucun soucy De tout cela que nous faisons ici, Mais bien seroint toutes humaines choses Soubz le pouvoir de la fortune encloses, Ne vault-il myeux (veu qu'elle fait son tour) Avoir espoir de son heureux retour, Qu'estre tousjours en peur de la ruyne? Cet air couvert d'une obscure bruyne S'eclersira, ces undes courroussées Jusques au ciel par l'aquilon poussées S'apaiseront, et par l'anchre jetée Au port sera la navire arrestée. O combien doulx sera le souvenir Des maulx passez! Pour doncq' là parvenir, Endure, Amy, ces peines doloreuses, Et te reserve aux choses plus heureuses. XIII. De l'immortalité des poëtes au seigneur Bouju Ode XIII Sus, Muse, il faut que l'on s'eveille, Je veux sonner un chant divin. Ouvre donques ta docte oreille, O Bouju, l'honneur Angevin! Pour ecouter ce que ma Lyre accorde Sur sa plus haute, et mieux parlante chorde. Cetuy quiert par divers dangers L'honneur du fer victorieux: Cetuy là par flotz etrangers Le soing de l'or laborieux. L'un aux clameurs du palaiz s'etudie, L'autre le vent de la faveur mandie. Mais moy, que les Graces cherissent, Je hay' les biens, que l'on adore, Je hay' les honneurs, qui perissent, Et le soing, qui les coeurs devore: Rien ne me plaist, fors ce qui peut deplaire Au jugement du rude populaire. Les lauriers, prix des frontz scavans, M'ont ja fait compaignon des Dieux: Les lascifz Satyres suyvans Les Nymphes des rustiques lieux Me font aymer loing des congnuz rivaiges La sainte horreur de leurs antres sauvaiges. Par le ciel errer je m'attens D'une esle encor' non usitée, Et ne sera gueres long tens La terre par moy habitée. Plus grand qu'Envie, à ces superbes viles Je laisseray leurs tempestes civiles. Je voleray depuis l'Aurore Jusq'à la grand' mere des eaux, Et de l'Ourse à l'epaule more, Le plus blanc de tous les oyzeaux. Je ne craindray, sortant de ce beau jour, L'epesse nuyt du tenebreux sejour. De mourir ne suys en emoy Selon la loy du sort humain, Car la meilleure part de moy Ne craint point la fatale main: Craingne la Mort, la Fortune, et l'Envie, A qui les Dieux n'ont donné qu'une vie. Arriere tout funebre chant, Arriere tout marbre et peinture, Mes cendres ne vont point cherchant Les vains honneurs de sepulture: Pour n'estre errant cent ans à l'environ Des triestes bords de l'avare Acheron. Mon nom du vil peuple incongnu N'ira soubz terre inhonoré, Les Seurs du mont deux fois cornu M'ont de sepulchre decoré, Qui ne craint point les aquilons puissans, Ny le long cours des siecles renaissans. XIV. Epitaphe de Clement Marot Si de celuy le tumbeau veux sçavoir Qui de Maro avoit plus que le nom, Il te convient tous les lieux aller voir Ou France a mis le but de son renom: Qu'en terre soit, je te respons que non, Au moins de luy c'est la moindre partie. L'Ame est au lieu d'où elle etoit sortie, Et de ses vers, qui ont domté la mort, Les Seurs luy ont sepulture batie Jusques au ciel. Ainsi, La mort n'y mord. CAELO MUSA BEAT Recueil de poésie A Tresillustre Princesse Madame Marguerite Seur unique du Roy Madame, après avoir depuis peu de temps mis en lumière quelques petiz ouvraiges Poëtiques, plus pour satisfaire à l'instante priere d'aucuns miens amis, que Pour espoir que j'eusse d'acquerir aucune reputation entre les doctes, j'avoy Deliberé me retirer entierement de ce labeur, aussi peu maintenant favorizé, Comme il estoit anciennement entre les meilleurs espriz singulierement Recommandé. Je ne scay si l'infelicité de nostre siecle en est cause, ayant L'ambition, l'avarice, et l'ocieuse volupté, pestes des bons espris, chassé D'entre nous ce tant honneste desir de l'immortalité: ou la trop grande et Indocte multitude des escrivains, qui de jour en jour s'eleve en France, au Grand deshonneur et abatardissement de nostre langue. J'avoy (dy-je) proposé M'addonner à quelque autre estude, si non tant louable, pour le moins plus Favorable que cestui cy, lors que dernierement estant le Roy à Paris, apres Avoir pris la hardiesse de me presenter devant vostre excellence, il vout pleut De vostre benigne grace me recevoir avecques tel visaige, que je congneu mes Petiz labeurs vous avoir esté agreables. Cela, Madame, a depuis si vivement Incité mon couraige, que mettant en arriere ma premiere deliberation, je me suis Remis aux choses que j'ay pensé vous pouvoir donner quelque plaisir: sans que Maladie ou autre empeschement ait peu retirer mon esprit de ceste non jamais Assez louée entreprise, jadis tant favorizée de ce grand Roy François vostre Pere, et maintenant du treschrestien Roy, et de vous, comme seuls et vrais Heritiers de sa vertu. Vous ayant donques ces derniers jours fait present de ce Petit livre, non seulement vous l'avez eu aggreable (comme est vostre bonté Coustumiere de recevoir toutes choses, qui d'humble vouloir sont presentées à Vostre grandeur) mais encor vous a pleu me commander de le mettre en lumière, et Soubs vostre nom. Avecques lequel je me sen si fort et bien armé contre toutes Les difficultez qui de jour en jour se treuvent ez haultes entreprises, que je Pouray combattre l'envie, et la mort, et celuy temps mesmes qui abat les grands Palaiz, et superbes Pyramides. Je ne me veulx amuser ici à respondre aux Calumniateurs (comme est la façon ordinaire des ecrivains) puis que mes escriz Ont desja esté si heureux de rencontrer la faveur de vostre jugement, et par Vostre moyen celuy du Roy, et de la Royne, auxquels ayant satisfaict, tant s'en Fault que je me soucie du mescontentement d'autruy, que j'estimeray de là avoir Receu toute la gloire, et le fruict de mes labeurs. Madame, je supplie à nostre Seigneur vous conserver en heureuse, et longue vie, et augmenter de plus en plus En vous les souveraines graces et vertuz qu'il vous a si liberalement departies. A Paris, ce XXIII. d'Octobre M.D. XLIX. De vostre excellance Le treshumble et tresobeissant serviteur, I.D.B.A. A Sa Lyre Va donques maintenant, ma Lyre, Ma Princesse te veult ouir. Il fault sa table docte elire: Là, quelque amy voudra bien lire Tes chansons, pour la resjouir Ta voix encores basse et tendre Apren à hausser dès ici, Et fay tes chordes si bien tendre, Que mon grand Roy te puisse entendre, Et sa royale epouze aussi. Il ne fault que l'envieux die Que trop hault tu as entrepris: Ce qui te fait ainsi hardie, C'est que les choses qu'on dedie Au temple, sont de plus grand pris. CAELO MUSA BEAT Prosphonematique Au Roy Treschrestien Henry II Vous, qui tenez les sources de Pegaze, (Celestes Seurs) bandez vostre arc divin Tout au plus hault de vostre sainct Parnaze Et permettez que ce bras Angevin Par l'air François desserre un traict, qui vole Mieulx que jamais de l'un à l'autre pole. Ce traict puissant dessus ses ailes porte L'horrible nom qui fait mouvoir les cieux, Le fer, la flamme, et la non jamais morte Gloire des Roys, enfans aisnez des Dieux: Dont le protraict Henry, celeste race, A peint au vif en sa divine grace. La majesté de son front tant illustre Entre les Roys apparoist tout ainsi Que l'or aupres de l'argent: et son lustre Ard tout l'obscur de ce beau siecle ici, Comme la Lune aux etoiles eclaire. Par le serain de quelque nuict bien claire En quelque part que son bel oeil se montre, Comme un printemps il serene le jour: Et semble bien qu'à si haulte rencontre Renaisse au monde un plus joyeux sejour. Le Ciel en rid, et le Soleil encore De nouveaux raiz ses blons cheveux decore. Vien, Prince, vien: rends aux tiens la lumiere Qu'obscurcissoit ce tien long demeurer, Et la vigueur de leur vertu premiere, Qui ne se peult, qu'en ta force, asseurer. Ton seul regard inspire en leurs couraiges L'ardent desir des martiaux ouvraiges. Comme la mere au rivaige lamente, Prie, et fait voeux pour son desiré filz, Qu'un vent contraire en haulte mer tormente Outre le terme à son retour prefix: Paris ainsi languissoit avant l'heure Qui a mis fin à ta longue demeure. La grand Ceres, qui ces murs environne, A ton passer, de beaux epiz dorez Enceinct le tour de sa riche couronne, Et par les champs de jaune colorez Fait ondoyer sa chevelure blonde, Pour honnorer le mesme honneur du monde. Bacchus aussi orne teste et visaige De nouveau pampre et d'odorantes fleurs: Prez, montz, et plains à ton heureux passaige Vestent habits de diverses couleurs: Et la forest branlant sa teste armée Donne le fraiz de sa neufve ramee. Les Demidieux, et Nymphes se retirent Aux plus haulx lieux, pour à l'aise te voir: Les plus doulx vents tant seulement souspirent: Les ruysselets ne font moins leur devoir: Et les oizeaux à l'envy te saluent Sur les sommets qui un peu se remuent. Tout animal domestic ou champestre Fiche sur toy son regard etonné: Les baz tropeaux en ont laissé le paistre: Et les taureaux en ont abandonné Leurs fiers combaz: les plus cruelles bestes Devers le ciel ont élevé leurs testes. Qui a peu veoir les mousches menageres Sur le printemps de leurs manoirs saillir, Faire un grand bruit, et s'en voler legeres, Puis ça et là l'honneur des champs cueillir: Celuy a veu les miliers, qui se rendent Dessus les murs et portes, qui t'attendent. Paris, qui void son Prince à la campaigne, A mis au vent tout importun souci: Toute maison en tout plaisir se baigne: Veuf de procez est le Palaiz aussi Et par les feuz, qui aux temples s'allument, Pour toy, HENRY, mil' autels aux Dieux fument. Enfans bien nez, les plus heureuses bandes, Vostre beau chant soit l'IO triumphal: Vous saincts vieillars, chargez les Dieux d'offrandes: Vierges aussi au visaige Nymphal, Faites couler une pluye de roses, Des propres mains de l'Aurore decloses. Ecoute, Roy, le plus grand de la terre, L'horrible voix du foudroyant canon, Qui par le ciel fait un nouveau tonnerre, Moindre pourtant que le bruit de ton nom. Seine en fremist, les rivieres craintives Heurtent en vain leurs opposees rives. Jupiter mesme, oyant l'air ainsi fendre, Change couleur pour un tel foudroyer: Et craint encor' que la Terre n'engendre Nouveaux enfans, pour le Ciel guerroyer. La nuict qui sort de l'epesse fumiere Avant le soir fait faillir la lumiere. Seine dormoit au plus creux de ses ondes, Mais te sentant de sa rive approcher, A mis dehors ses belles tresses blondes, Et s'est assize au coupeau d'un rocher. Ses filles lors, qui à my-corps y nouent, Diversement à l'entour d'elle jouent. Marne peignoit ses beaux cheveux liquides, Qui luy armoint et l'un et l'autre flanc: Oyze au soleil seichoit les siens humides, Les separant sur son col net et blanc: Et de ces jongz, Yonne, que tu portes, Tu en tissois chapeaux de mile sorte. Lors se tirant sur le rocher sauvaige, L'une apres l'autre ont fait plus d'une fois Hault rechanter tout le courbé rivaige, Soubz l'argentin de leurs celestes voix. Quelqu'une ainsi consacre à la Memoire (S'il m'en souvient) de sa mere la gloire: Tage, e Pactol' à l'arene doree N'ont merité l'honneur qui t'appartient, O fleuve heureux! de qui l'onde azuree Dessus son dos plus grans thesors soutient. Ton cours tortu, qui lentement distile, D'un gras limon rend la terre fertile. En mile tours par la Province heureuse Tes cleres eaux s'en vont ebanoyant: Tes braz y font mainte isle plantureuse De tous cotez: et ainsi tournoyant, Entre hauls murs ton onde etroitte et forte Le riche honneur de l'abondance porte. Les grans cyprez poussent bien hault sur l'herbe Leurs fiers sommetz à croistre exercitez: Le grand Paris d'un tel fleuve superbe Leve son chef sur les autres citez, Non autrement qu'on void parmy les nues Les haulx sourcils des grands Alpes chenues. Quelqu'un loura (dit la Nymphe seconde) Lyon, Rouan, Bordeaux, Orleans, Tours: Et je diray la richesse feconde Du grand Paris, et ses superbes tours: Ses temples sainctz, et son Palaiz, qui semble Non un Palaiz, mais deux citez ensemble. Mere des ars, ta haulteur je salue, Je vous salue aussi, vous tous les Dieux, Qui avez là vostre demeure elue Pour y semer les grans thesors des cieux: Pallas y est, et les Muses sacrees Sur Seine ont fait leurs rivaiges ascrees. Comment te peut assez chanter la France, O grand FRANCOYS, des neuf Seurs adoré? Tu as defaict ce vil monstre Ignorance, Tu as refaict le bel aage, doré: Par toy premier au monde est revenue La belle Vierge au vieux siecle cogneue. Les vertueux (dist la troizieme) viennent Des vertueux: les fiers taureaux ainsi La braveté de leur source retiennent: Des bons chevaux les bons naissent aussi: L'aigle haultain ne degenere, et tombe Au naturel de la simple columbe. De ton FRANCOYS, qu'un autre n'eust peu suyvre, En ton Henry à mesme vertu né, France, tu vois l'exellence revivre, Dont les haulx Dieux rien meilleur n'ont donné. N'y donneront, bien qu'ils facent renaitre Sept et sept fois le temps du premier estre. Vy, Prince, vy: et de cent ans encores Pour enrichir le sejour eternel De nostre bien, ne vole ou reluit ores Au plus beau lieu ton Astre paternel: Qui d'oeil benin ton franc peuple regarde, Te favorize, et ta place te garde. Ainsi chantoint les trois Nymphes Senoizes Comme à l'envy, quand Seine en se levant Entrerompit leurs tant doulcettes noizes: Et d'une voix, qui persoit bien avant, Fist resonner aux oreilles royales L'heureux decret des trois vierges fatales. Tu es venu finablement, ô Prince! Et je t'avoy' si long temps attendu. Tu es au seing de ma belle Province Entre mes braz heureusement rendu. Ecoute donq' de quoy m'ont asseurée Les non menteurs oracles de Nerée. Estce pas toy, à qui les Dieux promettent Tout le bon heur du monarque Romain? Les Dieux, qui jà par leurs arests soumettent Tout l'univers à ta puissante main? J'en voy desja les depouilles captives Mises par toy pour trophee à mes rives. Je voy tomber soubz les fleches Françoises Le Leopard, ton antiq' ennemy, Qui souloit bruire aux forests Ecossoizes Le feu vangeur desjà vole parmy La nef captive: au sang Anglois encore L'azur marin de pourpre se colore. Je vois desjà la columne elevee De ta victoire: et ta gloire qui luit Est si avant dans les cieulx engravee, Qu'on la peult lire en l'obscur de la nuit. Le beau Croissant, qui le ciel François orne, Ameine en rond et l'une et l'autre corne. Un lieu se treuve hors le cours de l'annee, Loing de la voye au chariot luisant, Là où Atlas tient l'epaule inclinee Dessoubs l'esseul aux etoiles duisant. Là, tu feras ta renommee entendre, Et jusqu'aux bords de la terre s'etendre. Bien tost après Discorde furieuse Soubs un frein serf prise tu meneras: Lors regnera la paix victorieuse: Lors de Janus le temple fermeras: Et de laurier ta teste couronnee Adonq' sera d'olive environnee. Ce nouveau siecle, à l'antique semblable, Verra fleurir le sceptre de Valois. La Foy chenue, alors non violable, Tiendra le lieu des punissantes loix. Vice mourra: et les nopces pollues Ne seront lors par amours dissolues. A Dieu donq' Roy, mon destin me rapelle. Ainsi disant, le genoil avança: Puis tout à coup, avec sa troupe belle D'un sault leger en l'onde se lança: L'eau jette un son, et en tournoyant toute, Fait bouillonner mainte ecumeuse goutte. FIN CAELO MUSA BEAT I.D.B.A. Chant triumphal sur le voyage de Boulongne M.D. XLIX. au Moys d'Aoust Voici le temps, si long temps desiré, Où noz ayeulx en vain ont aspiré, Qui sur l'Angloys finablement rameine La juste (helas) mais trop tardive peine. Les Dieux vangeurs par toy mis à mepris, Superbe Angloys, veulent rendre le pris A leurs autels, et temples, que tu souilles, Ornez jadis de noz serves depouilles. Du grand Henry le bras puissant et fort Avec les Deux desja fait son effort De regaigner par ses fouldres belliques Le vieil butin des grand's pertes Galliques. Si Mars nous a regardé quelquefois D'un oeil felon, onques nul toutefois S'est peu vanter de voir par luy dontée Nostre vertu non jamais surmontée: Qui a tousjours coeur et force repris De son malheur, comme le chesne, appris A reverdir sa perruque nouvelle, Apres le fer sa teste renouvelle. Non autrement que des dents, que planta Le fort Jason, la terre en enfanta Hommes armez, France durant la guerre Nouveaux enfants de son ventre desserre. Hydre jadis en ce point combatoit (Dit l'ennemy) quand Hercule abbatoit L'un de ses chefs, avec peine inutile, Qui la rendoit par ses playes fertile. Craindras-tu donq', ô bon peuple de Mars, Craindras-tu donq' les flesches et les arcs Du rouge Angloys ton antiq' aversaire, Vivant HENRY, seul né pour le deffaire? Maint Roy Françoys a tenté le danger Des fiers combats, pour la France vanger: Mais à HENRY, enfant de la Victoire, Le Ciel amy reservoit ceste gloire. Son nom fatal à l'Angloys familier, Et le discours des astres regulier Luy peuvent bien donner ferme assurance De joindre en bref l'Angleterre à la France. Alors sera des Roys plus orgueilleux Presqu'adoré son sceptre merveilleux: Et sera dict en la Françoise terre Second du nom, neufieme en Angleterre. Là Françoys, là, aidez vostre bon heur, Favorisez d'un tel Prince l'honneur, Et avancez par vostre diligence De voz ayeulx la boyteuse vengence. Une Boulongne, ou Calaiz ne sont pas Puissans assez pour vous clore le pas, Non l'Ocean, qui de vous aura crainte, De sang Angloys voyant son onde teinte. Jà d'un costé des nostres le grand coeur A triumphé du souldard belliqueur, Qui soubs le coup de la hache Françoise, En gemissant, mord la terre Ecossoise. De l'autre donq' ne soyez endormis, A fouldroyer voz mortelz ennemis, Afin que d'eulx la dépouille soit mise Tout à l'entour des bords de la Tamise. C'est chose doulce, et belle, que mourir Pour son pais et son Roy secourir. De quoy te sert, ô personne craintive! Fuïr la mort d'une course hastive? Elle te suit, qui n'a point pardonné Au doz craintif à la fuite adonné, Ny au jaret trop peu ferme et debile De la jeunesse à la guerre inhabile. La vertu seule, à qui a merité Avoir le pris de l'immortalité Ouvre le ciel, et d'une aile courante Laisse la terre à la tourbe ignorante. Hercule ainsi par cet art glorieux Jadis s'assist à la table des Dieux, Et des Jumeaux le signe heureux aux voiles Ainsi accreut le nombre des estoilles. Ainsi Auguste, ainsi le grand François, Et toy HENRY, quelque part ou tu sois Jà destiné, ta belle estoille ardente Sera du ciel au plus hault evidente. Comme l'on void par la fureur des vents En l'Ocean les flots s'entresuyvans, Tous argentez d'ecumes blanchissantes, Heurter le front des rives gemissantes: Ou les epiz jà non plus verdoyans, D'un ordre egal jusqu'à terre ondoyans, Faire une mer de la blonde Champaigne, Ou de la Beauce à la large campaigne: Ainsi seront noz souldars par les champs Contre l'Angloys à la guerre marchans, Comme un torrent debordé, qui emmeine Tects, et troupeaux contreval par la pleine. Là des premiers le hardy Vandomoys, Guyse, et son fort Aumale, mile fois Par les scadrons feront la presse moindre, Pour aux plus fors des ennemis se joindre. Avecques eulx on pourra voir aussi Nostre Nestor, le grand Mommorancy, Un Sainct André le bien voulu du Prince, Et un Sedan monarque en sa province, Le grand HENRY sur tous apparoissant, Comme un sapin aux montaignes croissant Passe le fresne, aimant la fresche rive, Ou l'olivier à la perruque vive, Souillé du sang des souldars estrangers Rendra les siens aveugles aux dangers, Sans que son bras en vain descendre face L'horrible coup de sa pesante masse. Tu n'as sans plus, ô des tiens le rampart! Des plus haulx Dieux la faveur pour ta part. Du noir Pluton le triste domicile Mesmes te rend la victoire facile. Ja long temps a, les filles d'Acheron, Que maints serpens arment à l'environ, Qui pour cheveux en mile neuds leur pendent, Et noir venin leur distilent, et rendent, Des coeurs Angloys inspirent au dedens Et leurs poisons, et leurs flambeaux ardens, Qui font bruler par discordes civiles Les fors chasteaux, et les superbes viles. Du peuple serf l'effort seditieux S'est opposé au noble ambitieux. Mars les anime, et Discorde qui gronde Espend par tout sa semence feconde. Io Paris, il te fault recevoir Ton Prince heureux, lequel te vient revoir, Te promettant d'armes bien etophées L'esté prochain mile et mile trophées. Sus, que je joye on face nouveaux feuz, Qu'on rende à Dieu graces en lieu de veutz, Qu'on s'esjouisse, et que chacun s'appreste, Pour dedier de ce retour la feste. La froide peur, France, a couru souvent Parmy tes oz: donne la donq' au vent, Puis que tu vois la magesté sacrée De ton Seigneur, où ton oeil se recrée. O quantesfois Royne, et royale Seur, Vous avez craint, qu'en quelque lieu mal seur, Ou trop avant aux assaulx et alarmes Il ne tentast la fortune des armes! Maintenant donq', que ce mordant souci Voz tristes coeurs ne ronge plus ainsi, Laissez les veuts aux mariniers timides, Et d'un beau riz seichez ces yeulx humides. Aux nouveaux raiz du matinal soleil Les fleurs ainsi reprennent leur vermeil, Dont les beautez se montroint effacées Presqu'à demy par les pluyes passées. N'avous encor', vous celestes espriz De nostre court; quelque ouvraige entrepris Digne du nom, dont la France vous prise, Et de ce Roy, qui tant vous favorise? Les vers sucrez du luc melodieux, Qui rejouist les hommes et les Dieux, Auront le pris, si la Muse heroique Ne fait sonner sa trompette bellique. Ronsard premier osa bien attenter De faire Horace en France rechanter, Et le Thebain (ô gloire souhaitable!) Qu'à grand labeur il a fait imitable. Ainsi me fault quelque voye eprouver Pour Apollon, et les Muses trouver, Qui me feront en la terre où nous sommes Voler vainqueur par les bouches des hommes. J'ameneray le premier, si je puis, A mon retour au paix d'où je suis, Les sainctes Soeurs, qui me feront revivre Mieulx que la main qui anime le cuyvre. De marbre noir au milieu d'un beau pré J'edifiray un temple dyapré Tout au plus près, où Loyre plus profonde En l'Ocean fait couler sa clere onde. De marbre aussi les coulonnes seront, Qui en blancheur la neige passeront, Avec l'autel construict de mesme pierre Encourtiné de laurier et de l'hyerre. De ce beau lieu la superbe grandeur Imitera du Croissant la rondeur, Où seront peints de Diane honorée Les arcs, les traicts, et la trousse dorée. On ne verra par le fer demolir, Ny par l'orage, ou la flamme abolir Cet oeuvre faict de matiere si dure, Que la rigueur des siecles il endure. Là mon grand Roy sera mis au milieu Sur piliers d'or, qui tout au tour du lieu Tesmoingneront sa louange notoire: Et sera dict le temple de Victoire. Là je peindray comme il aura donté Calaiz, Boulongne et l'Anglois surmonté, Puis l'Hibernie, et tout ce qui attouche L'humide lict où le soleil se couche. Tu y seras, de Florence l'honneur, Royne en qui gist le comble de bon heur, Que la vertu digne epouze a fait estre Du plus grand Roy que ce siecle ait veu naistre. Toy Vierge aussi, miracle de ton temps, Qui rends le ciel, et nature contens, Alors qu'en toy l'un et l'autre contemple De son sçauoir le plus parfaict exemple. De voz grandeurs le prestre je seray, Et devant vous maint hymne chanteray, Duquel pourront les nations estranges Et noz nepveuz apprendre voz louanges. Ce doulx labeur la Muse me donnoit, Lors que Henry à Boulongne tonnoit, Luy faisant ja de son bras la vaillance Chemin au ciel par le fer de sa lance. Vers liriques I. A la Royne Ode I La louange bien sucrée Les oreilles nous recrée, Louange qui va foulant L'honneur de l'arene blonde, Qu'Herme tourne dans son onde Tout trouble de l'or coulant. La vertu est meprisée, Qui n'est point favorisée Des Graces, contre ces trois, Le Temps, la Mort et l'Envye, Desquels souvent est ravye La gloire mesme des Roys. Royne donques, ne refuse De l'humble, et petite Muse Les vers que j'ay mariez A ma Lyre, qui accorde Leurs sons divers sur sa chorde A ta grandeur dediez. Par eulx n'agueres fut dicte Ceste belle Marguerite, Qui enclose en mes ecriz, Ainsi que la pierre honnore Son anneau, elle decore Mes vers d'assez petit priz. Pourtant si tu es chantée Par la Muse tant vantée Du tien Bouju bien souvent, Ne dedaigne point d'entendre La mienne encor' jeune et tendre, Qui met ses ailes au vent. De Phebus la saincte bande A chacun, qui le demande, N'a faict liberalité De pouvoir ainsi aux hommes, Mesme en la terre où nous sommes, Donner immortalité. Sur la rive oblivieuse La noire tourbe envieuse Des corbeaux, fait devaler Les noms, que de l'eau profonde Les cygnes tirant sur l'onde, Font par le monde voler. Jadis Romme faisoit naistre Aux disciplines adestre Maint bon esprit feminin: Mais ton Italie encores, Dont la gloire tu es ores, A eu le ciel plus benin. Celle où Ferrare se mire, Qu'ores nostre France admire, Seconde entre les siens luit, Comme aux mariniers eclaire Celle Tramontane claire, Qui tant decore la nuit. Royne à nulle autre seconde, Le ciel t'a rendu feconde, Afin de perpetuer La race en France eternelle, Qu'à la vertu paternelle On verra s'evertuer. Morte est donq' la maladie, Qui fut bien assez hardie De montrer quasi la nuit A ce petit second Prince, Qui jà en nostre province, Comme un nouvel astre, luit. Sus donq', qu'on chante, qu'on bale, Puisque la main triste et pale A caché ses dards hydeux. Roy, en qui l'honneur se baigne, Et toy, sa chere compaigne, Resjouissez vous tous deux. O Dieux, combien est heureuse La belle etoille amoureuse Qui plus fort que les ormeaux La vigne n'estreinct, et lie, Vous tient, et que ne s'alie L'hyerre à ses prochains rameaux. Romme doncq', chante Lucrece, Et ta Penelope, ô Grece, Toy Pont, celle de grand coeur Qui suyvit par maintes terres Son mary parmy les guerres, Comme un souldard belliqueur. Et toy Carie honnorable Par ton sepulchre admirable, Prens de ta gloire le fruit En la louange qui vole De celle qui son Mausole Eterniza d'un hault bruit. La France dira sans cesse Les vertus de sa Princesse: Mais moy, je les vanteray, Et tant les feray s'estendre, Qu'Arne poura bien entendre Les vers que j'en chanteray. II. A Tresillustre Princesse Madame Marguerite seur unique du Roy Ode II La saincte horreur, que sentent Tous ceulx qui se presentent Craintifs devant les dieux, Rendoit ma muse lente, Bien qu'elle fust bruslente De s'offrir à voz yeulx. J'admiroy bien la grace Qui montre en vostre face Des cieux le plus grand soing: Mais si grande hautesse Mon humble petitesse Regardoit de bien loing. Ores, ores le temple Des Graces je contemple Desjà plus d'une fois, Et la coulonne seure Où humblement s'asseure Mon couraige, et ma voix. Là, mon ame incitée, Là, mon ame agitée D'une divine ardeur, Comme toute ecstatique, Pend ce veu poëtique Devant vostre grandeur. De Dieu la bonté haulte, Bien qu'il n'ait de rien faulte, Reçoit pourtant à gré Une volunté grande, Qui fait petite offrande A son autel sacré. Si vostre bruit, qui touche Le ciel, vole en la bouche De l'Immortalité, Pourtant il ne refuse De ma petite muse La liberalité. Chante, ma lyre, donques Plus hault que ne feiz onques, Et parmy l'univers Fay resonner sans cesse Le nom de ma Princesse, Seul honneur de mes vers. III. A Mellin de Sainct Gelais Ode III Mellin, que cherist, et honnore La court du Roy plein de bon heur: Mellin, que France avoue encore Des Muses le premier honneur: Mes vers, qui souloint resonner De Venus les ardentes larmes, Audacieux vouloint tonner De Mars les foudroiantes armes: Quand le Dieu qui regne en la Lyre, Ceinct du laurier victorieux, Me reprist, de vouloir elire Un oeuvre tant laborieux: Ne souille point le luc doré Au sang, qui coule en la campaigne, Où le Dieu en Thrace adoré Plein de pouldre et sueur se baigne: Qui dira d'assez bonne grace Les trophées de Marignan? Ou l'Espaignol fuyant la face Du jeune Prince à Carignan? La Parque sur noz ennemis Esbranlant son urne fatale, Et l'heur que les Dieux ont promis Au grand Henry, qui les egale? Que ceux là les batailles chantent Plus hault que le Grec ou Romain, Qui la bonne fortune sentent, Et l'heur de la royale main. Des Indes le premier vainqueur, Le soing, qui la jeunesse amuse, Et l'archer qui blesse le coeur, Seront les labeurs de la Muse. Labeur est en petite chose, Mais non petit honneur attent Celuy qui heureusement ose, Et Phebus invoqué l'entend. Si Homere, et Virgile ont pris L'honneur de la premiere place, Pourtant n'est demeuré sans pris Le nom de Pindare et d'Horace. Celuy à qui le ciel n'ottroye Le plus fort des Grecz ressembler, Qui les superbes murs de Troye Fist mile, et mile fois trembler, Desdaigner il ne doibt pourtant La vertu d'Ajax ancienne, Ou celuy qui en combatant Blessa Mars, et la Cyprienne. Comme la Saone doulce et lente Dedans son sein non fluctueux Coule beaucoup moins violente Que le fort Rhosne impetueux: Mellin, tes vers emmielez Qui aussi doulx que ton nom coulent, Au nectar des Muses meslez L'honneur de tous les autres foulent. Celuy qui n'a eu favorable La Muse lente à son secours, D'un artifice miserable Enfante les siens durs et lours. Pourquoy donques si longue nuit Veulx-tu sur tes labeurs estendre, Opprimant la voix de ton bruit, Qui malgré toy se fait entendre? Telle est la vertu qu'on palie, Estant à soymesmes cruel, Que la paresse ensevelie D'un silence perpetuel. Sus, mon luc, va toy reposer En la royale Marguerite, Que le ciel voulut composer Sur le protraict d'une Charite. IV. A Madame Marguerite d'escrire en sa langue Ode IV Quicunque soit, qui s'estudie En leur langue imiter les vieulx, D'une entreprise trop hardie Il tente la voye des cieulx, Croyant en des ailes de cire, Dont Phebus le peult déplumer, Et semble, à le voir, qu'il desire Nouveaux noms donner à la mer. Il y met de l'eau, ce me semble, Et pareil (peut estre) encor' est A celuy qui du bois assemble, Pour le porter en la forest. Qui suyvra la divine Muse, Qui tant sceut Achille extoller? Où est celuy qui tant s'abuse De cuider encores voler Où, par regions incongnues, Le cygne Thebain si souvent Dessoubs luy regarde les nues, Porté sur les ailes du vent? Qui aura l'haleine assez forte Et l'estommac, pour entonner Jusqu'au bout la buccine torte, Que le Mantuan fist sonner? Mais où est celuy qui se vante De ce Calabrois approcher, Duquel jadis la main sçavante Sceut la lyre tant bien toucher? Princesse, je ne veulx point suyvre D'une telle mer les dangers, Aymant mieulx entre les miens vivre Que mourir chez les estrangers. Mieulx vault que les siens on precede, Le nom d'Achille poursuyvant, Que d'estre ailleurs un Diomede, Voire un Thersite bien souvant. Quel siecle esteindra ta memoire, O Boccace? et quels durs hyvers Pouront jamais seicher la gloire, Petrarque, de tes lauriers verds? Qui verra la vostre muëtte, Dante, et Bembe à l'esprit hautain? Qui fera taire la musette Du pasteur Nëapolitain? Le Lot, le Loyr, Touvre, et Garonne, A vos bords vous direz le nom De ceulx que la docte couronne Eternize d'un hault renom Et moy (si la doulce folie Ne me deçoit) je te promés, Loyre, que ta lyre abolie, Si je vy, ne sera jamais. Marguerite peut donner celle Qui rendoit les enfers contens, Et qui bien souvent apres elle Tiroit les chesnes escoutans. V. A Tresillustre Prince Monseigneur Reverendiss. Cardinal de Guyse Ode V Le sentier de la vertu N'est un grand chemin batu, Où tous viateurs arrivent. C'est un sommet hault et droict, Epineux, et fort estroict: Aussi peu de gens le suyvent. Heureux, qui pour y monter Tout labeur peut surmonter, Quelque danger qu'il y voye. Celuy qui jadis naquit D'Alcmene, le ciel aquit, Ayant esleu cete voye. O Prince bien fortuné! Le ciel prodigue a donné Ce bon heur à ta jeunesse. Je dy ce mesme bon heur Dont à peine a eu l'honneur La plus constante vieillesse. Le printemps dessus les fleurs En mile et mile couleurs Peint la premiere apparence Des fruicts de l'esté suyvant: Mais les tiens sont nez avant Que d'en donner l'esperence. De leurs mains les mesmes Dieux Se sont peints dedans tes yeulx, Et en ton esprit encore: Ton grand Roy le congnoist bien, Et sa France voit combien Il te cherist, et honnore. Et qui n'y est invité Par ta doulce gravité? A qui n'est desja congneue, A voir tes gestes duisans, Mesme en ces tant jeunes ans Ceste vertu tant chenue? Quel ennemy du François, Quelle ville, mais ainçois Quelle mer ou quelle terre N'a congneu jusques ici Ton pere et freres aussi, Ces trois foudres de la guerre? Qui n'oit encores le nom, Qui fait bruire le renom Du grand Prelat de Loraine? Dont le tige antiq' et beau Est planté sur le tombeau De la fameuse Sereine. Le mont, qui fut envoyé Dessus le doz foudroyé, N'esclaire d'un plus grand lustre Que ton sang dessus les lieux Où tes couronnez ayeux Ont haussé le chef illustre. VI. A Monseigneur Reverendiss. Cardinal de Chastillon Ode VI Quelle grande vertu Maintenant ose-tu Celebrer, ô ma Muse? Cet oeuvre humain n'est pas, Et ton pouvoir trop bas Si grand'charge refuse. Le luc melodieux A bien chanté les Dieux, Et leurs enfans encore Chanton' les donq' aussi, Et entre eux cestuy ci, Qui Chastillon decore. Je sens desjà combien Mes vers luy plaisent bien: Je scay qu'il favorise Cet honneste labeur, Que retardoit la peur De ma jeune entreprise. Que diray-je premier De luy, tant coustumier D'aymer ceux qui escrivent Les vers laborieux, Par qui victorieux Les noms au ciel arivent? Heureux qui sçait gouster Ce qui le peut ouster Des mains de la mort blesme. Vrayment il ne mourra, Mais vivant se pourra Tirer du tumbeau mesme. Maint Prince, dont le nom Se taist, a eu renom Devant Charles en guerre. D'un seul Roland si fort, D'un seul Regnaud l'effort N'a fait trembler la terre. Maints vivans ont eu bruit, D'ont or' la longue nuit Ensevelist la gloire: Pour ce qu'ils n'ont point eu, Qui leur morte vertu Feist vivre en la memoire Mais je vouë, et promés De n'endurer jamais Que l'oubly sacrilege Morde sur mon grand Roy, Sur ton oncle, et sur toy, L'honneur du sainct College. Jadis le grand Atlas, Quand son dos estoit las Soubs le faiz tant moleste, Se tenoit bien plus seur, Ayant un successeur A sa charge celeste. Hercule sceut combien Le secoururent bien Les flammes punissantes, O d'Egée le filz! Quand steriles tu feiz Les testes renaissantes. Et ta nef bien souvent Fut maistresse du vent, Ayant Typhis pour guide: Quand tu alois, Jason, Voir la riche toison En la terre Colchide. O grand Mommoranci, Tu seras donq' ainsi A ce Roy nostre Prince Le plus grand des Chrestiens, Qui dessoubs luy soustiens Le faiz de sa province Angloys, reprenez coeur Contre Henry vainqueur, Boulongne estant reprise: Osez encor' armer Et la terre, et la mer: Vaine est vostre entreprise. Prelat, les fors Jumaux Dessus les grandes eaux Leurs estoiles font luire: Tes deux freres vaillans Pour France bataillans Leurs noms y feront bruyre. VII. L'avantretour en France de Monseigneur Reverendiss. Cardinal du Bellay Ode VII Tu viendras donq' finablement, Heureux Prelat, et à ta suite Retourneront semblablement L'esprit, la vertu, la conduite, Qui te suyvent ou que tu voises, Veillant aux affaires Françoises. Les Dieux, et les astres aussi Favoriserent bien la France, Qui en toy feirent naistre ainsi La mesme mort de l'ignorance. Le ciel, qui ton esprit admire, Dedans son ouvraige se mire. Où est le lieu, qui n'a congneu Ce grand Langé inimitable? Dont le renom est parvenu Aux fins de la terre habitable. Qui est celuy nostre aversaire; Qui n'a veu ce qu'il sçavoit faire? Caesar a senty mile fois Que pouvoit la sage entreprise, La vertu, la plume, la voix, Qu'encores tout le monde prise, De celuy qui n'a, ce me semble, Laissé que toy qui luy ressemble. Le ciel cruel, à qui sembla France par vous deux trop puissante Las, par mort vous desassembla, Dont mon ame en est gemissante: Saichant bien qu'elle telle perte Jamais ne sera recouverte. Ce grand Roy gueres n'admiroit Celuy dont Troye se lamente, Qui dix Nestors se desiroit, Non une force vehemente. Le miel, qui les oreilles touche, A Nestor couloit de la bouche. Le saige Grec, dont le parler Sembloit aux neiges hyvernales, Que le printemps fait devaler Par les montaignes inegales, Congneut par cent mile traverses Et hommes, et citez diverses. Sa chaste epouze ce pendant De poursuyvans sollicitée Fut bien vingt hyvers attendant L'heure heureuse tant souhaitée, Qui apres la rendit contente Par le fruit de sa longue attente. La France, qui bien aperçoit Combien vault un esprit si saige, Après longs travaulx te reçoit Avecques un joyeux visaige: Si fait ton Roy, bien heureux Prince, D'avoir tel homme en sa province. Haste toy donq, et n'atten pas Que la grand' epaule chenue Des Alpes deçoive tes pas. Paris, joyeux de ta venue, Jà de loing venir te regarde: Mon Dieu, que l'arriver me tarde! Io ma lyre, io je veulx Qu'un tel jour me soit tousjours feste, Pour payer tous les ans mes veutz. Sus donq', qu'un autel on m'appreste D'hierre à la racine velue, Et de vervene chevelue Celuy Macrin, que tu cognois, Aux Latins sacra ta memoire: Et moy, après ce Loudunoys, Aux Françoys je chante ta gloire. Tant j'ay desir de voir en France Les Muses faire demourance. Le Lesbien ses vers sonnoit Parmy les armes non timide, Ou quand à sa nef il donnoit Repos sur le rivaige humide Prelat, te plaise temps elire Pour mes vers ecouter ou lire. Des vents encores soutenu, Sortant du maternel boccaige L'oyseau par sentier incongnu Tente le premier navigaige Des ailes, que sa mere guyde, L'asseurant parmy l'air liquide. Moy jeune, et encores peu fier, Laissant la maison paternelle, Au ciel je m'oseray fier Dessoubs la faveur de ton aile: Aile dont la plume dorée De tout le monde est adorée. O la grand' ardeur que j'avoys D'appaiser ma soif en cete onde, Qui veit à son bord quelquefois Les dépouilles de tout le monde! Et la grand' cité, qui encore Ainsi qu'un demy-dieu t'adore. Je bruloy' tous les jours après, Alors que les fievres cruelles Mes oz vont ronger de si près, Qu'ilz n'ont quasi plus de mouëlles. Jà-desjà me montroit la Parque De Charon la fatale barque. Mais les Dieux n'ont voulu chasser De moy cet heur tant souhaitable Que d'estre tien, feust pour passer Le froid Caucase inhospitable, Ou parmy les ondes avares Le destroit des Syrtes barbares. VIII. Contre les Avaritieux Ode VIII Toy, de qui la richesse excede Celle que l'Afrique possede, Et les grands thesors non touchez Qui sont en la terre cachez, Combien que desjà soint comprises En ce Palaiz, que tant tu prises, Plus de deux pars de la Cité, Si la dure necessité, Qui à toutes les loix renonce, Ses cloux de dyamant enfonce Dessus toy jusqu'au dernier point, Ton serf esprit ne sera point De peur delivre, ny ta teste Des liens que la mort t'appreste. Le Scyte a plus grande raison Qui sa vagabunde maison Par tout ou bon luy semble, meine: Et les Getes durs à la peine Nature a trop myeux contentez, Qui ont leurs champs non arpentez, Et ou la culture annuelle A chacun n'est perpetuelle. Venus et la forte liqueur Qui arrache le soing du cueur, Les viandes elabourées. Avec sauces bien savourées, Le son du luc, et sur les eaux Le doulx ramaige des oyseaux N'ostent de l'or la faim sacrée Au cueur ambicieux ancrée, Qui jamais ne sent en son oeil. Couler l'emmiëllé sommeil. Le doulx sommeil plus tost habite La maisonnette humble et petite Du berger ou du laboureur, Que le Palaiz d'un Empereur La mer, qui est tempetueuse Par la descente impetueuse De l'Arcture, ou par le lever Du Bouq, ne sceurent onq' grever Celuy qui d'assez se contente. La gresle, qui deçoit l'attente Du vigneron, le champ trompeur, L'arbre sans fruict, ne luy font peur: Soit que la terre soit bruslée Du chault, ou par l'hyver gelée, Pourquoy en auroit il ennuy, Puis qu'immortelz ainsi que luy Sont les biens, où son cueur il fiche? O l'homme heureux! ô l'homme riche! Si les honneurs ambicieux, Les Palaiz elevez aux cieux, Le doulx nectar et l'ambrosie Ne contentent la fantaisie De celuy qui nourist le soing D'un coeur à soymesmes tesmoing, Pourquoy hausseray-je les voiles Dessoubz la faveur des etoiles? Par mile et par mile dangers Suyvant les thesors etrangers, Et la pauvreté renaissante Avec la richesse croissante. Vole donq', avare marchant, Des Indes au soleil couchant, Et du Septentrion encore Jusq'au bord de la terre More Cerne le tour continuel, Si tu veux, de l'astre annuel Avecques un labeur extreme, Et te fuy, si tu peux, toymesme: Pourtant si ne fuiras-tu pas Le soing, qui te suit pas à pas, Et la crainte, qui tourne et vire Le gouvernail de ta navire Moy, que la Muse veult aimer, Par les vents je feray semer, Tout le soucy qui me fait guerre Dessus l'ennemie Angleterre, Où regne l'horrible fureur D'Erynnis avec' la terreur Des armes, et de l'entreprise De Henry, que Mars favorise. IX. A Bouju. Les conditions du vray poëte Ode IX Bouju, celuy que la Muse D'un bon oeil a veu naissant, De l'espoir, qui nous abuse Son coeur ne va repaissant. La faveur ambitieuse Des grands, voluntiers ne suit, Ny la voix contencieuse Du Palaiz, qui tousjours bruyt. Sa vertu n'est incitée Aux biens que nous admirons, Et la mer sollicitée N'est point de ses avirons. La vieille au visaige blesme Jamais grever ne le peult, Qui se tormente elle mesme, Quand tormenter elle veult. Son etoile veult qu'il vive Tousjours de l'amour amy, Mais la volupté oysive Ne l'a oncques endormy. Il fuit voluntiers la vile, Il hait en toute saison La faulse tourbe civile Ennemye de raison. Les superbes Collisées, Les Palaiz ambicieux, Et les maisons tant prisées Ne retiennent point ses yeux. Mais bien les fontaines vives Meres des petits ruisseaux Au tour de leus verdes rives Encourtinez d'arbrisseaux, Dont la frescheur, qui contente, Les beufz venans du labeur, De la Canicule ardente Ne sentit onques la peur. Il tarde le cours des ondes, Il donne oreilles aux boys, Et les cavernes profundes Fait rechanter soubs sa voix. Voix, qui ne feront point taire Les siecles s'entresuivans: Voix, qui les hommes peult faire, A eulx mesmes survivans. Ainsi ton bruyt qui s'ecarte, Bouju, tu feras parler, Ainsi ta petite Sarte Au mesme Pau s'esgaler. O que ma Muse a d'envye D'ouyr (te suyvant de près) La tienne des boys suyvie Commander à ces forestz! En leur apprenant sans cesse, Et à ces rochers ici, Le nom de nostre Princesse, Pendant que ma lyre aussi Cete belle Marguerite Sacre à la posterité, Et la vertu, qui merite Plus d'une immortalité. O l'ornement delectable De Phebus! ô le plaisir, Que Jupiter à la table Sur tous a voulu choysir! Luc, qui eteins la memoire De mes ennuitz, si ces doigtz Ont rencontré quelque gloire, Tienne estimer tu la doibz. Où me guidez vous, Pucelles, Race du Pere des Dieux? Où me guidez vous, les belles, Et vous Nymphes aux beaux yeux? Fuyez l'ennemy rivaige, Gaignez le voisin rocher: Je voy de ce boys sauvaige Les Satyres approcher. X. De l'innocence et de n'attenter contre la magesté divine Ode X Qui vers le ciel les mains renversera, L'oeil, et le coeur, et la doulce faconde, Des bienheureux le plus heureux sera, Et la fureur de l'air ne blessera Ses blez joyeux, ny sa vigne feconde. Il ne craindra le bras du fier Angloys, Qui sa vertu porte enclose en sa trousse. Besoing n'aura du fidele carquoys Plein de ces traicts, que souvent l'arc turquoys Envenimez contre l'ennemy pousse. D'un mur d'airain son coeur environné La froide peur ne peindra dans sa face, Soit que le Pere ait en fureur tonné, Ou que le vent soubs la terre entonné Les fondements du monde trembler face. Celuy qui a engravé bien avant Dedans son coeur la coulpe vengeresse, Son peché palle il voit courir devant Les pieds aislez de la peine suyvant, Qui jà-desjà les deux talons luy presse. Il sent encor' les furieux serpens, Avec' l'oiseau qui te ronge et moleste, Toy, dont le corps couvre bien neuf arpens: Et toy aussi, qui en vain te repens Du larecin de la flamme celeste. Ce fut au temps que ce languissant corps Sentit premier les fievres tant cruelles. Mile malheurs, mile sortes de morts Le ciel vengeur feist descendre, et alors La mort boyteuse à ses piedz mist des aisles. Que n'ont osé les hommes attenter Contre les Dieux? cet audacieux feuvre De l'air jadis le vyde osa tenter: Mais bien l'enfer ne se peult exempter, Que son obscur mesmes on ne descoeuvre. Celuy vrayment contre Dieu s'esleva, Qui feist premier le tonnerre imitable: Ce feut celuy qui le canon trouva, Et Salmonée encores eprouva De Juppiter la foudre veritable. A son dommaige Orion quelquefois Tenta la Vierge aux forests tant congnue, Troys cens liens enchainent Pirithoys, En mesme erreur, Ixion, tu estoys, Quand tu aimas la tromperesse nue. Et qui ne sçait comment le Roy des Dieux, Dont le sourcil fait trembler ciel et terre, Brisa jadis l'escadron furieux, Qui pour monter au ciel victorieux Osa dresser la sacrilege guerre? XI. Au Seigneur du Boysdaulphin Maistre d'hostel du Roy Ode XI Les Roys sont enfans des Dieux, Les Dieux les Roys favorizent, Et bien sont vouluz des cieux, Qui les honnorent et prisent. Ceux qui les Roys ont la grace, N'ont pas un petit bonheur, Et qui honnore leur face, Aux Roys mesmes fait honneur. Ton Prince, qui bien entend La grandeur de ton merite, Sur toy sa faveur estend, Faveur qui n'est pas petite. Mais qui bien te congnoist ores, Et n'est aussi congnoissant L'esprit, qui est plus encores Que son corps, apparoissant? Ma lyre, qui sceut chanter N'agueres des Roys la gloire, S'ose encores bien vanter D'eternizer ta memoire. La nature me feist naistre. De ton sang non gueres loing, Et ta vertu me fait estre De tes honneurs le tesmoing. Celuy qu'amour de soy poingt, Sa figure ait contrefaicte: Le tableau ne parle point, Et la statue est muette. Les vers jamais ne se taisent: De vers pauvre je ne suis. Les vers (Boysdaulphin) te plaisent: Des vers donner je te puis. XII. A Carles Ode XII Laisse de celuy les dangers, Qui veit maintz peuples estrangers, Apres avoir donné en proye Les murs de la fatale Troye. Il fault plus grand oeuvre mouvoir, Et tu en as bien le pouvoir, Carles, dont la Muse prisée Est du Roy tant favorisée. Là donc' fay ta plume voler Pour France, et son Prince extoler: Et avec une voix hardie Sonne l'Angloyse tragedie. Tu pouras bien tout à loisir Le vent, et la saison choisir, Pour ramener au port d'Itaque Le pere au saige Telemaque. Le grand vainqueur de l'univers Dist le Grec gisant à l'envers Bien heureux, dont sa gloire insigne Trouva d'Homere la buccine. O Prince heureux, où que tu soys, Ton siecle, et ton peuple Françoys, Et heureux tous ceulx dont tu parles, O la docte Muse de Carles! Qui eust congneu les longs erreurs, Et les belliqueuses terreurs, Ou la vertu presqu' incroyable De ce grand Troyen pitoyable: Qui eust sceu de Mars les enfans, Leurs lauriers, leurs chars triumphans, Si ores l'envieux silence A leurs noms faisoit violence? Les sepulchres laborieux, Collosses, arcz victorieux, Et les batailles engravées Sur les columnes elevées: La main du peintre, et la faveur De l'ingenieux engraveur, Le tableau, le marbre et le cuyvre, Qui font les hommes deux fois vivre, Ne sçauroint si bien exprimer Ce qui Henry fait estimer Comme le sonnent en leur onde Les flots de la docte Gyronde. J'oy la buccine à cete fois, Avec l'épovantable voix Du canon, qui l'oreille étonne, Et le hault phyfre qui resonne. Ja le harnois resplendissant Fait peur au cheval hanissant, Et aux yeulx du souldard timide, Qui fait de sang la terre humide. Je voy les vainqueurs chevaliers Ardents au milieu des miliers, Souillez des pieds jusqu'à la teste D'une pouldre non deshonneste. Quel champ par la main de Valoys N'est engressé du sang Angloys? Qui n'oit le bruit que fait la terre Soubs la ruine d'Angleterre? Quel destroict, quel havre, et rocher Ne voit les nefz s'entreacrocher? Sur l'onde le flotant bagaige, Et le feu qui la mer sacaige? Mais affin, luc trop couraigeux, Que tu ne delaisses tes jeux, Cesse ton chant, ou bien accorde Un plus doulx son dessus ta chorde. XIII. A Heroet Ode XIII Les Thraces chantent leur Orphée, La Grece encores se debat De cil qui du Troyen combat Dressa le superbe trophée. Thebes encor' est glorieuse Du luc sur tous les mieulx appris, Qui donne en Olympe le pris De la palme victorieuse. Paris, mais bien la France toute, De Seine oit tous les jours le son, Qui fait de toy mainte chanson Que nostre siecle heureux ecoute. Heroët aux vers heroïques, (Suject vrayment digne du ciel) Qui en doulceur passent le miel, En gravité les fronts Stoïques: Ta Muse, des Graces amye, La mienne à te louer semond, Qui sur le hault du double mont As erigé l'Academie. Si l'on doibt croire à Pythagore, Qui les corps fait reanimer, On peut, Heroet, estimer En toy celuy revivre encore, A qui jadis dedans la bouche Les abeilles aloint formant Le miel, lors qu'il estoit dormant Encor' enfant dedans sa couche. Tu as rompu l'arc, et la trousse Du jeune archer malicieux Qui blessoit la terre et les cieulx, Luy baillant nature plus doulce. Venus, qui n'a plus de puissance, En vain par tout cerche son filz, Que n'agueres voler tu feis D'icy au lieu de sa naissance. Sus, Muses, que l'on environne Le front sçavant de cetui-ci, Qui a bien merité aussi De voz mains recevoir couronne. Voz mains donques la luy composent Non du victorieux laurier, Mais du pacifique olivier, Dessoubs qui les loix se reposent. XIV. A Mercure et à sa lyre pour adoucir la cruauté de sa dame Ode XIV Neveu d'Atlas, qui donnas le pouvoir Au vieil Thebain des pierres esmouvoir, Et toy encor', ô coquille dorée, Des plus grands Roys au vieux siecle adoree, Montre moy les accords Des accordans discords, D'ont ma doulce ennemye Se puisse emerveiller, Et face reveiller Son oreille endormie. Ell' fuit ainsi que la jeune jument, Qui va l'ardeur des chevaulx allumant Deçà delà, jouant par les campaignes Ou sur le doz des prochaines montaignes. Des noces de doulx point Encores ne la poingt (La sauvage et farouche) Mais d'un pié non oisif Fuit le mary lascif, De peur qu'il ne la touche. Tu peux mener les compaignes forestz: Tygres, lyons te vont suyvant de près: Et soubs ton chant les rivières bruyantes Haussent la bride à leurs ondes fuyantes. Le portier aboyant Tes chansons feut oyant, Bien que sa teste porte Serpens pleins de laideur, Et que puante odeur De ses trois gueulles sorte. Le grand Tytie à l'oeil fier et hydeux Et Ixion rirent en depit d'eulx. La rouë aussi, qui jamais ne s'arreste, Avec la pierre à t'escouter feut preste. La doulceur de ta voix Arresta quelquefois Le Bussart tousjours vyde, Ce pendant que chantant Tu alois esbatant La race Danaïde. Ecoute donq' de ces vierges ici La cruauté, et les tourments aussi, Celle qui m'est en plus cruelle peine Qu'à leur maris cete gent inhumaine: Dont l'une seulement, Qui mentit noblement A son pere infidele, Valoit bien que le fruit De nuptiale nuit Ne feust eloingné d'elle. Sus, leve-toy (tous bas dist elle adonc' Au jeune epoux) que ton sommeil trop long Tout maintenant par la tourbe cruelle Ne soit mué en nuit perpetuelle. Desjà toutes ont mis Leurs espoux endormis A mort (les inhumaines): La lyonne courant' Ainsi va devorant Les veaux parmy les plaines. Moy, que pitié et l'amour de toy poingt, O mon amy! je ne t'occiray point. Haste toy donq', ta vie (helas) je n'ose Tenir ici plus longuement enclose. Soint de pesans liens Chargez les membres miens, Ou face que j'endure Exil perpetuel Le mien pere cruel, Pour n'avoir esté dure. Fuy de rechef, où le vent te conduit, Fuy ce pendant que Venus et la nuit Donnent faveur à ta course hastive. Je demouray en ta place captive. Sur mon sepulchre au moins Grave ces pleurs tesmoings De mon amour extreme: Tesmoings dor'enavant Que je t'ay fait vivant Par la mort de moymesme. XV. La louange du feu Roy François et du Treschrestien Roy Henry Ode XV Combien tu doibs, France, à ceulx de Valoys, Tesmoings en sont les armes et les loix, Qui ont fleury soubs Françoys, ainsi comme Jadis en Grece, et soubs Auguste à Romme. C'est luy qui a de ce beau siecle ici, Comme un soleil, tout obscur eclairci, Ostant aux yeux des bons espriz de France Le noir bandeau de l'aveugle ignorance. C'est luy premier qui du double coupeau A ramené des Muses le troupeau, Pour consacrer à leur mere la gloire Du Lot, du Loyr, de la Touvre et de Loyre. Si n'a-il point un plus grand oeuvre faict, Que de laisser un enfant si parfaict Comme ce Roy, qui rendra eternelle Par sa vertu la vertu paternelle. Comme l'oyzeau de prodige annonceur, Du blond Troyen fidele ravisseur, A qui des Dieux le souverain otroye Les vagabonds volatiles en proye, Des plus doulx vents au printemps soutenu, Vole hardy parmy l'air incongnu Si tost que l'aage, et vigueur paternelle Dehors le nyd ont esbranlé son aile, Suit les oyzeaux, puis faict plus couraigeux, Ose assaillir les serpents outraigeux: Tel fut senty et tel sera encore Ce nouveau Roy, que nostre siecle adore. La bische ainsi, ou le jeune cheval Ont veu de loing descendre contreval Le lyonceau hardy, qui les devore Avec' ses dents innocentes encore. Qui tost après ose en fureur saillir, Pour les taureaux indomtez assaillir, Et appaiser par le sang qu'il en tire, Sa longue faim, et l'ardeur de son ire. Jadis, Angloys, jadis preuve tu feis Que c'est d'avoir de François esté filz, Et combien vault la bonne discipline Au naturel qui à vertu s'incline. Maintenant donq' eprouver tu peuz bien, Par la grandeur de tes pertes, combien D'un si grand Roy peult la saige entreprise, Et la vertu que le ciel favorise. XVI. A Madame la Contesse de Tonnerre Ode XVI Haulte vrayment dire j'ose Trois et quatre fois la chose, Où les feminins espris N'ont peu quelquefois attaindre. Bien doit donq la cheute craindre, Qui a tel oeuvre entrepris. Dieu leur a donné des ailes, Qui sont bien assez isnelles Pour voler jusques aux cieux. Quelle grandeur de couraiges! De leurs belliqueux ouvraiges Tesmoings feurent noz ayeux. Le bruit jusqu'ici resonne De celle brave Amazone, Qui par l'espez des miliers, A Mars se donnant en proye, Fist rougir les champs de Troye Au sang des Grecz chevaliers. Des ans vivront mil' et mile L'Assirienne, et Camille. Quel marbre, quel dyamant Est plus dur que la memoire, Qui garde encores la gloire De Marphize et Bradamant? Thebes encore se vante De sa Corinne scavante. Sur toy, Pindare, mordoit La doulce lyre ancienne, Que la fille Lesbienne Si doctement accordoit. Celle qui fist plus feconde De ses enfans la faconde, Romme, en memoire tu l'as. Mainte autre n'est plus prisée, Qui se veit favorisée De l'une et l'autre Pallas. O plumes trop envieuses, Qui es eaux oblivieuses Laissez noyer le renom De tant de celestes dames, D'ont ores les tristes lames Couvrent le corps et le nom! Combien sont mieulx fortunées, Qui en cet age sont nées, Où maint gentil ecrivant A bien osé entreprendre Par ses doctes vers de rendre Leur hault honneur survyvant? La vertu est trop severe, Qui la Muse ne revere. La Muse aime le vertu. Tu ne verras donq', Contesse, Devaler de sa hautesse Ton loz par mort abatu. Qui publira les louanges Des nostres ou des estranges, Et de toy ne chantera L'esprit, la doulceur, la grace, Dont la genereuse race De Clairmont se vantera? C'est pourquoy mes vers aspirent Où tes louanges les tirent: Bien que ton sçavoir soit tel, (Si tu le veulx entreprendre) Que ton renom se peut rendre Par toymesmes immortel. XVII. Dialogue d'un amoureux et d'écho Piteuse Echo, qui erres en ces bois, Repons au son de ma dolente voix. D'où ay-je peu ce grand mal concevoir. Qui m'oste ainsi de raison le devoir? De voir. Qui est l'autheur de ces maulx avenuz? Venus. Comment en sont tous mes sens devenuz? Nuds. Qu'estois-je avant qu'entrer en ce passaige? Saige. Et maintenant que sens-je en mon couraige? Raige. Qu'est-ce qu'aimer, et s'en plaindre souvent? Vent. Que suis je donq', lors que mon coeur en fend? Enfant. Qui est la fin de prison si obscure? Cure. Dy moy, quelle est celle pour qui j'endure? Dure. Sent-elle bien la douleur, qui me poingt? Point. O que cela me vient bien mal à point! Me fault il donq' (o debile entreprise) Lascher ma proye, avant que l'avoir prise? Si vault-il mieulx avoir coeur moins haultain, Qu'ainsi languir soubs espoir incertain. XVIII. A une dame J'ay oublié l'art de petrarquizer. Je veulx d'amour franchement deviser Sans vous flater, et sans me deguiser. Ceulx qui font tant de plaintes N'ont pas le quart d'une vraye amytié, Et n'ont pas tant de peine la moitié, Comme leurs yeulx, pour vous faire pitié, Getent de larmes feintes. Ce n'est que feu de leurs froides chaleurs, Ce n'est qu'horreur de leurs feinctes douleurs, Ce n'est encor' de leurs souspirs et pleurs Que vents, pluye, et oraiges. Et bref, ce n'est, à ouyr leurs chansons, De leurs amours, que flammes et glaçons, Flesches, lyens, et mile autres façons De semblables oultraiges. De voz beautez, ce n'est que tout fin or, Perles, crystal, marbre, et ivoyre encor', Et tout l'honneur de l'Indique thresor, Fleurs, lys, oeilletz, et roses. De voz doulceurs, ce n'est que sucre et miel, De voz rigueurs n'est qu'aloës, et fiel, De voz espris, c'est tout ce que le ciel Tient de graces encloses. Puis tout soudain ilz vous font mile tors, Disans, que voir voz blonds cheveux retors, Vos yeux archers, autheurs de mile mors, Et la forme excellente De ce que peult l'accoustrement couver, Dyane en l'onde il vauldroit mieulx trouver, Ou voir Meduse, ou au cours s'esprouver Avecques Athalante. Tout l'orient, avec' toutes les fleurs Dont le printemps bigarre ses couleurs, Ne fourniroient à peindre voz valeurs, Ny le cor d'Amalthée De leur largesse, ici je n'en dy rien: Aussi l'amour, qui est souverain bien, Par les presens d'un avoir terrien Ne peult estre achetée. S'il fault parler de vostre jour natal, Vostre ascendant heureusement fatal De vostre chef escarta tout le mal Qui aux humains peult nuyre. Quant au trespas, sçavons quand ce sera Que vostre esprit le monde laissera? Ce sera lors que là hault on voirra Un nouvel Astre luyre. Ce n'est assez à leur subtil parler Ou ma maitresse, ou madame appeller, Cela est trop voz beautez r'avaler, Pour oindre voz oreilles. Ce mot, Deesse, est beaucoup mieulx duysant, Mais je ne puis, tant je suis mal plaisant, User ainsi en me contrefaisant De ces faulses merveilles. Si pour sembler autre que je ne suis, Je me plaisois à masquer mes ennuis. J'irois au fond des eternelles nuictz Plein d'horreur inhumaine. Là d'un Sysiphe, et là d'un Ixion J'esprouverois toute l'affliction, Et de celui qui pour pugnition Rid, et meurt à sa peine. De voz beautez, sçavons que j'en dirois? De voz deux yeulx deux astres je ferois, Voz blonds cheveulx en or je changerois, Et voz mains en yvoire. Quand est du teinct, je le peindrois trop mieulx Que le matin ne colore les cieulx: Bref, vous seriez belle comme les Dieux, Si vous me vouliez croire. Mais cet enfer de vaines passions, Ce paradis de belles fictions, Deguisement de noz affections, Ce sont peinctures vaines, Qui donnent plus de plaisir aux lisans Que voz beautez à tous voz courtisans, Et qu'au plus fol de tous ces biendisans Vous ne donnez de peines. Il n'y a roc qui n'entende leur vois, Leurs piteux, cris ont faict cent mile fois Pleurer les monts, les plaines et les bois, Les antres, et fontaines. Bref, il n'y a ny solitaires lieux, Ny lieux hantez, voire mesmes les cieux, Qui çà et là ne monstrent à leurs yeux L'image de leurs peines. Cestuy là porte en son coeur fluctueux De l'ocean les flotz tumultueux, Cestuy l'horreur des ventz impetueux Sortans de leur caverne. L'un d'un Caucase et Montgibel se plaingt, L'autre en veillant plus de songes se peinct, Qu'il n'en feut onq' en cet orme qu'on feinct En la fosse d'Averne. Ores luy semble estre arbre devenu, Ores un mont de nege tout chenu, Ores l'oyzeau en Meandre congneu, Ore' il se faict accroire Sentir ses nerfz tiedement languissans, Entre voz bras les siens entrelaçans, Mais tout cela sont des songes passans Par la porte d'ivoyre. L'un contrefait ce Tantale mourant De soif, qu'il a au milieu d'un torrent, L'autre qui paist un aigle devorant S'accoustre en Promethée, Mais cestui là, par un plus chaste voeu, En se bruslant veult Hercule estre veu, L'autre se mue en eau, air, terre, et feu, Comme un second Prothée. L'un meurt de froid, et l'autre meurt de chault, L'un vole bas, et l'autre vole hault, L'un est chetif, l'autre a ce qu'il luy fault, L'un sur l'esprit se fonde, L'autre s'arreste à la beauté du corps: On ne veid onq' si terribles discords En ce Caos, qui troubloit les accords Dont fut basty le monde. Quelque autre après, ayant subtilement Trouvé l'accord de chascun element, Façonne un rond tendant egalement Au centre de son ame. Son firmament est peint sur un beau front, Tous ses espriz sont balancez en rond, Son pol artiq', et antartiq', ce sont Les beaux yeux de sa dame. Quelqu'autre encor' la terre dedaignant Va du tiers ciel les secretz enseignant, Et de l'amour où il se va baignant, Tire une quinte essence: Mais quant à moy, qui plus terrestre suis, Et n'aime rien, que ce qu'aimer je puis, Le plus subtil, qu'en amour je poursuis, S'appelle jouyssance. Cestui voulant plus simplement aimer Veult un Properce et Ovide exprimer, Et vouldroit bien encor' se transformer En l'esprit d'un Tibulle. Mais cestui là, comme un Petrarque ardent, Va son amour et son style fardant. Cet autre encor'va le sien mignardant Comme un autre Catulle. Je ne veulx point scavoir si l'amitié Prist du facteur, qui jadis eut pitié, Du pauvre tout fendu par la moitié, Sa celeste origine. Vous souhaiter autant de bien qu'à moy, Vous estimer autant comme je doy, Avoir de vous le loyer de ma foy, Voila mon Androgine. Noz bons ayeux, qui cet art demenoient, Pour en causer, Petrarque n'apprenoient, Ains franchement leur dame entretenoient Sans fard, ou couverture. Mais aussi tost qu'Amour s'est fait sçavant, Lui qui estoit François au paravant, Est devenu menteur, et decevant, Et de Thusque nature. Je sçay qu'Amour est le subjet des vers, Et que sans luy tant d'escrivains divers Ne voleroient si bien en l'univers Par les bouches estranges. Mais ces beautez, dont tant de bons espriz Se vont plaignant avoir esté surpris, Ne furent onq'vers eulx en si hault pris Que chantent leurs louanges. Voz beautez donq' leurs servent d'argumens, Et ne leur fault de meilleurs instruments Pour les tirer tous vifz des monumens: Aussi comme je pense, Sans que plus fort vous les recompensez De tant d'ennuiz mieulx escriz que pensez, Amour les a de peine dispensez, Et vous de recompense. Je ry souvent, voyant pleurer ces foulx, Qui mille fois' vouldroient mourir pour vous, Si vous croyez de leur parler si doulx Le parjure artifice. Mais quand à moy, sans feindre ny pleurer Touchant ce point, je vous puis asseurer Que je veulx sain et dispos demeurer Pour vous faire service. Si vous trouvez quelque importunité En mon amour, qui vostre humanité Prefere trop à la divinité De vos graces cachées, Changez ce corps, object de mon ennuy: Alors je croy que de moy ny d'aultruy, Quelque beauté que l'esprit ait en lui, Vous ne serez cherchées. Et qu'ainsi soit, quand les hyvers nuisans Auront terni la fleur de voz beaux ans, Rydé ce marbre, esteint ces feux luisans, Quand vous verrez encore Ces cheveux d'or en argent se changer, De ce beau seing l'yvoire s'allonger, Ces lys fanir, et de vous s'estranger Ce beau teinct de l'Aurore: Qui pensez vous qui vous aille chercher, Qui vous adore, ou qui daigne toucher Ce corps divin, qui vous tenez tant cher? Vostre beauté passée Ressemblera un jardin à noz yeux, Riant n'aguere aux hommes et aux Dieux, Ores faschant de son regard les cieulx Et l'humaine pensée. N'attendez donq' que la grand' faulx du temps Moissonne ainsi la fleur de voz printemps, Qui rend les Dieux et les hommes contens. Les ans, qui peu sejournent. Ne laissent rien, que regretz et souspirs, Et empennez de nos meilleurs desirs, Avecques eulx emportent noz plaisirs, Qui jamais ne retournent. Pour faire fin, je vous prie excuser Mon amitié, qui ne peult abuser, Et mon esprit, qui ne sçauroit user De plus belle harangue: Puis que vos yeulx appris à decevoir De ma parole empeschent le devoir, Et que les miens esblouys de les voir Font office de langue. Si je n'ay peints mes ennuys sur le front, Et les assaulx que voz beautez me font, Ilz sont pourtant gravez [au] plus profond De ma volunté franche: Non comme un tas de vains admirateurs, Qui font souvent par leurs souspirs menteurs Et par leurs vers honteusement flateurs Rougir la carte blanche. Desormais donq' (Amour) si tu m'en croys, Adresse là ton petit arc Turquois, Tes petiz traicts, et ton petit carquois, Et telles mignardises: Presente les à la legere foy D'un plus sçavant, mais moins aimant que moy, Qui n'ait jamais rien esprouvé de toy, Que ces belles faintises. Si toutesfois tel style vous plaist mieulx, Je reprendray mon chant melodieux, Et voleray jusqu'au sejour des Dieux D'une aisle mieux guidée. Là dans le seing de leurs divinitez Je choisiray cent mile nouveautez, Dont je peindray voz plus grandes beautez Sur la plus belle Idée. XIX. La mort de Palinure du cinquiesme de Virgile Mais ce pendant Venus de dueil attainte Degorge ainsi à Neptune sa plainte: Le fier desdaing, l'insatiable raige, Qui de Junon tourmente le couraige, Que la pitié ny la longue saison, Ny Jupiter n'ont sceu mettre à raison, Et que les sorts mesmes n'ont peu plier, Me font (Neptune) un chascun supplier. Avoir parmi les peuples Phrygiens Rongé, mangé les murs Dardaniens, Avoir trainé par tout genre de peines Cruellement les reliques Troyennes, Ne luy suffist, mais son courroux enclos Poursuit encor' leurs cendres et leurs oz. De sa fureur la cause je n'entens. Tu m'es tesmoing combien puis peu de temps Elle agita d'oraige furieux L'onde Libyque, elle mesla aux cieux Toutes les mers, et osa ceste fole Mettre (ô forfaict) les tempestes d'Eole Où tu est Roy. Les Troyennes gallées Par son moyen vilainement bruslées, N'aguere aussi furent mises en proye A la fureur des matrosnes de Troye, Forçant les miens de laisser en arriere Leurs compaignons, en province estrangere. Au demeurant, je te pry que tes eaux Donnent passaige au reste des vaisseaux, Et que mon filz (au moins s'il est permis, Et les destins ces murs luy ont promis). Puisse aborder au Tybre Ausonien. Alors respond le flz Saturnien Roy de la mer: tu peus, ô Cytherée, Estre par tout en mon regne asseurée, Dont tu nasquis, et je merite aussi Que de ma foy tu estimes ainsi, Moy, qu'on a veu tant de fois reprimer Telles fureurs du ciel et de la mer: Et si n'ay eu (Xante m'en soit tesmoing, Et Simoïs) sur terre moindre soing De ton Enée, alors qu'on veid Achille Chasser les tiens, et que sa course agile Contre les murs demy-mors les pressoit, Lors qu'à milliers son braz les meurtrissoit, Et que les corps, les canaulx remplissants, Bouchoient la voye aux fleuves gemissans, Et que les eaux de Xante ne couloient Dedans la mer, ainsi qu'elle souloient. Alors j'ostay soubs une nue vuide Ton filz Enée au superbe Pelide Plus favori des armes et de nous, Bien que voulusse alors dessus-dessoubs Verser les murs de Troye parjurée, Dont je l'avois moymesme[s] emmurée. Ce bon vouloir est encor arresté Dedans mon coeur, ton filz en seureté (Chasse ta peur) conduira ses navires Au port d'Averne, ainsi que tu desires. Un seul sans plus dans la mer perira, Un seul sans plus pour le reste mourra. Incontinent que le Pere eut ainsi Le coeur joyeux de Venus adoulci, Ses fiers chevaux il attéle, et embouche D'escumeux freins leur braveté farouche, Lasche la resne, et à bride avalée Raze le hault de la plaine salée Sur son char bleu: les flotz incontinent Se sont planez dessoubs l'esseul tonnant, La mer s'unist, les vents audacieux Fuyent parmy le grand vague des cieux. Voici apres un horrible exercite De grands poissons: Glauque, et sa blanche suyte, Et Palemon, et Phorce avec sa trouppe, Et les Tritons à la legere crouppe. Sur l'aisle gauche estoit l'onde couppée Dessoubs Thetis, Melite, et Panopée: Nisée aussi à leur bande s'alie, Avec Spion, Cymodoce, et Thalie. La gayeté à son ranc retournée Chatouille ici le coeur douteux d'Enée, Il faut soudain ses vaisseaux envoiler, Guinder au mast, les verges estaler. Chacun se prent à tendre le cordaige, Et à donner la voile au navigaige, Ores à dextre, or' à senestre, et ores Croisent bien hault les antennes encores. Lors un bon vent vin empouper la flote, Au front estoit Palinur' le pilote, Qui d'avirons un grand nombre menoit: Tous vont suivant la route qu'il tenoit. Jà de la nuit la moyteuse carriere Touchoit du ciel la moyenne barriere, Et les nochers d'un doulx somme allechez Estoient le ranc soubs les rames couchez, Quand le sommeil des estoilles coulant L'air tenebreux esclaircit en volant, Pour t'abuser, et d'un somme trop dur Charmer tes yeux, ô pauvre Palinur', Ne meritant un si triste mechef. Lui donq' assis au plus hault de la nef De Phorbe prist la parole, et la grace. O Palinur', la Jasienne race, Nos vaisseaux ont le vent et la marée, La saison est au repos preparée, Repose toy, et tous ennuiz chassez Au long travail emble tes yeux lassez, En cepandant je feray ton devoir. Lors Palinur' à peine ayant pouvoir D'entr'ouvrir l'oeil: veulx-tu donq' que j'ignore La mer paisible, et ses doulx flots encore? Que je me fie à ce fier monstre ici? Comment veulx-tu que j'abandonne ainsi Mon prince Enée à la fraude du vent, Du temps serain abusé si souvent? Ainsi parloit au gouvernail fiché, Et par les yeux aux astres attaché. Le Dieu alors un rameau stygieux Trempé en l'eau du fleuve oblivieux, Sur une temple et l'autre secouant, Luy ferme l'oeil vagabond et nouant. Ce faulx dormir alors non attendu L'avoit à peine au repos estendu, Quand dessus luy tumbant le cruel somme Renverse en l'eau et gouvernail et homme, Et avec' luy grande part de la pouppe. Cestuy en vain huche souvent sa trouppe, Et cestuy là, qui en volant s'enfuit, D'une aisle prompte en l'air s'esvanouït. La flote alors usant de la fortune Qu'avoit promis le bon pere Neptune, Single à plaisir par les humides plenes. Et jà les nefz costoyoient des Syrenes Les haulx rochers jadis pleins de dangers, Et blanchissans d'ossemens estrangers. L'enroué bruit de l'onde retournée Tempestoit là, quand le bon prince Enée Se sent errer à brides vagabondes. Lui mesme adonq' par les nocturnes ondes Servit de guide à son vaisseau flotant Sans gouverneur, et d'un coeur sanglotant De son amy plaint beaucoup l'aventure. Làs, il te fault, ô pauvre Palinure, Trompé du ciel et de la mer seréne, Coucher tout nu sur la deserte aréne. XX. Elégie Non que d'excuse ou feinte ou veritable Ne soit besoing en ma cause equitable: Non que je soye en doute de la foy Qui vous unist estroictement à moy: Non que je pense un traict de jalousie D'estre fiché dans vostre fantasie. Pour tout cela, ou pout tel autre poinct, O le coeur mien, je ne vous escry point: Mais bien pourtant que la ferme pensée Qui tient mon ame à la vostre enlacée Ne me permet un seul ennuy sentir, Ou un seul bien, sans vous en advertir. Or saichez donq' qu'Amour qui favorize D'un chaste coeur la louable entreprise, Au poinct heureux m'a n'aguere advancé, Dont vous m'avez maintefois dispensé, Me remonstrant or' l'estat de mon aage, Ores les jeux de fortune volage: Et combien nuist d'attendre au lendemain Ce qu'aujourd'huy se presente à la main. Vous me disiez (il m'en souvient encore): Bien que l'ennuy tout mon plaisir devore, Pour voir assez combien à l'advenir J'auray pour toy de triste souvenir, Si veulx je bien te donner congnoissance Que mon plaisir n'a point tant de puissance Sur ma raison, que ton advancement Je ne prefere à mon contentement. Or poursuy donq' (amy) ton advantage, Dont le moyen est le seul mariage. Ce bon conseil vous me donniez alors, Et moy après cent contraires effors Persuadé de vostre advis honneste, Finalement à ce poinct je m'arreste, Qui n'ha jamais contenté mon desir, Sinon d'autant que c'est vostre plaisir. Aussi les cieulx, et les enfers je jure, Que pour ne faire à nostre amour injure, Jamais tel joug mon desir n'eust dompté, S'il eust despleu à vostre volunté. Ce n'est un joug qui captive mon ame Soubz le lyen d'une impudique flamme: Ce n'est un joug qui dompte mon desir Soubz l'aiguillon d'un follastre plaisir: Mais c'est un joug d'amitié conjugale, Qui d'une foy honnestement egale Separe en deux celle chaste amitié, Dont vous avez la premiere moitié Ceste moitié que vous avez pour gaige, Long temps y a que l'eustes en partage. Et ce fut lors qu'Amour et fermeté Me firent serf de vostre honnesteté. L'autre moitié, celle qui l'ha saisie, Croyez qu'elle ha si bien esté choisie, Qu'autre ne peult mieulx qu'elle meriter L'honneste amour que je vous veulx porter. L'une a esté, comme la plus aagée, Premierement sur mon coeur partagée, Et sur luy mesme en mesme chasteté Secondement une aultre l'ha esté. Ne craignez donq que soyez dessaisie De vostre droict, ou qu'autre fantaisie Puisse ravir ce coeur, qui n'est point mien, Sinon d'autant que de vous je le tien: Coeur, qui l'honneur si sainctement regarde, Que l'honneur mesme en est la seule garde: Coeur, qui ne peult gouster plaisir plus doulx Que tout hayr pour estre aymé de vous: Coeur, qui ne peult sentir plus grand dommage Qu'estre affranchi du droit de vostre hommage. Plus tost les cerfz vivront parmy les eaux, Et les poissons, ou vivent les oizeaux: Plus tost sera la grande mer sans voiles, Les boys sans umbre, et le ciel sans estoiles, Et voyra lon plus tost le monde enclos Dedans le seing de son premier cahos, Que pour vertu en mon coeur imprimée Votre vertu de moy soit moins aymée, Ou que d'un coeur honnestement lié L'honneste amour soit jamais oublié. Ains tout ainsi qu'un impetueux fleuve Plus furieux par un autre se treuve, Quand les deux cours en un cours assemblez Vont ravissant les arbres et les bledz, Pierres, maisons, boys, et toute autre chose Qui au devant de leur fureur s'oppose: Ainsi l'amour qui en mon chaste coeur D'un autre amour prent nouvelle vigueur, Courra tousjours d'une si vive sourse Qu'aultre amitié n'arrestera sa course. O doncq' heureux, heureux double lyen, Qui deux espris unis avecq' le mien, Double lyen, qui d'une double force Plus fermement que la corde retorse N'estreinct le faiz, enchaisnes dedans moy Troys coeurs unis d'une eternelle foy: Soit à jamais ta puissance immortelle, Et puis encor' dessus l'un et l'autre aelle De ces deux coeurs, le mien si hault voler Qu'aultre amitié ne le puisse avaler. Combien qu'un clou par l'autre se repousse, Ne pensez voir par aucune secousse L'accord premier entre nous commencé Par le second estre desadvancé: Car la vertu dont cestuy prist naissance A cestuy la donne encor' accroissance. Le feu ne peut habiter nullement Avecques l'eau, son contraire element: Les animaulx de diverse nature Ne prennent point ensemble nourriture. Mais un amour saigement entrepris, Qui sur vertu son fondement ha pris, Ne crainct jamais l'amour qui luy ressemble, Car la vertu à la vertu s'assemble. XXI. Chanson On peult feindre par le cizeau Ou par l'ouvraige du pinceau Toute visible chose, Mais d'Amour le seul poingnant traict Vous peult figurer le protraict De ma tristesse enclose. On peult diffinir au compas De tout ce qu'on void ici bas, La forme en rond unie, Mais on ne scauroit mesurer Le mal, que me fait endurer Mon amour infinie. Au centre, au tour duquel se fait Du monde le cercle parfait, Toutes les lignes tendent, Et le divin de vos beautez Est le poinct où mes voluntez Egalement se rendent. L'esprit infus en ce grand corps Unist par differents accords Et les cieux et la terre, Et vos sainctes perfections Assemblent mes affections Par une doulce guerre. Du chault et de l'humidité Procede la fecondité Des semences du monde, Et de ma violente ardeur Joincte à vostre lente froideur Naist ma peine feconde. Le mal d'un corps intemperé Peult estre esteint ou moderé Par just d'herbe ou racine: Mais du trop de mon amitié Ou la mort, ou vostre pitié Sera la medecine. La gloire incite l'empereur, La richesse le laboureur, Le butin l'homme d'armes: Mais tout le gaing que je reçoy De mon inviolable foy, Ce sont souspirs et larmes. Tout cela qu'on void de mondain, Suivant du ciel le cours soudain, Se change d'heure en heure, Mais le desir ambitieux Qui me tire apres voz beaux yeux, Tousjours ferme demeure. La pierre dont le seul toucher Guide l'aiguille du nocher, Tousjours se tourne au pole, Et mon coeur de voz yeux touché Ne peult si bien estre attaché Qu'après eulx il ne vole. Le roq des flots marins batu N'est jamais par eulx abbatu, Mais demeure imployable, Et mon coeur plein de fermeté De mille peines tourmenté N'est jamais variable. La cire transformer se peult Et telle imaige que lon veult, Non pas la gemme dure, Qui plus tost se laisse briser, Qu'en autre protraict deguiser Sa premiere figure. Amour grava vostre beauté Au plus fort de ma loyauté De vous tant esprouvée, Et mon coeur si bien la reçoit Qu'autre beauté, tant belle soit, N'y peult estre engravée. Tout coeur leger est incité Par les dons ou l'auctorité Que le vulgaire adore, Mais le mien qui vous est aquis, Par or ne peult estre conquis, Ny par grandeur encore. Par force, par mine ou trahison, On peult gaigner une maison, Tant soit elle tenable: Mais la fortresse de mon coeur, Dont vostre oeil fut le seul vainqueur, S'est rendue imprenable. Il ne fault muraille ou rampart Pour garder qu'un autre y ait part, Car soyez asseurée Que plus ferme et entiere foy De loyal subject à son Roy Ne fut onques jurée. Quant à celle que je vous doy, Croyez que vous estes de moy Encores mieulx servie, Et que pour vostre honneur garder, Je vouldrois le mien hazarder, Qui m'est plus que la vie. Si vous traictez si mal celuy Qui vous a plus chere que luy, Que pourriez vous pis faire A vostre cruel ennemy, Ou celuy qui soubs nom d'amy Vous seroit adversaire? Toutefois si mon desplaisir Peult contenter vostre desir, Soyez moy pitoyable, Ou comme bon vous semblera, Jamais rien ne me desplaira, Qui vous soit agreable. Caelo musa beat Oeuvres de l'invention de l'autheur I. La complainte du desesperé Qui prestera la parole A la douleur, qui m'affole? Qui donnera les accens A la plainte, qui me guyde Et qui laschera la bride A la fureur, que je sens? Qui baillera double force A mon ame, qui s'efforce De soupirer mes douleurs? Et qui fera sur ma face D'une larmoyante trace Couler deux ruysseaux de pleurs? Sus mon coeur, ouvre ta porte, Affin que de mes yeux sorte Une mer à ceste foys. Ores fault que tu te plaignes, Et qu'en tes larmes tu baignes Ces montaignes et ces boys. Et vous mes vers, dont la course A de sa premiere sourse Les sentiers habandonnez, Fuyez à bride avalée, Et la prochaine valée De vostre bruyt estonnez. Vostre eau, qui fut clere et lente, Ores trouble et violente, Semblable à ma douleur soit, Et plus ne meslez vostre onde A l'or de l'arene blonde, Dont vostre fond jaunissoit. Mais qui sera la premiere? Mais qui sera la derniere De vos plaintes? O bons dieux! La furie qui me domte, Las je sens qu'elle surmonte Ma voix, ma langue et mes yeux. Au vaze estroict, qui degoute Son eau, qui veult sortir toute, Ores semblable je suis: Et fault (ô plainte nouvelle) Que mes plainctz je renovelle, Dont plaindre assez je ne puis. Quand toutes les eaux des nües Seroient larmes devenues, Et quand tous les ventz congnuz De la charette importune, Qui fend les champs de Neptune, Seroient soupirs devenuz: Quand toutes les voix encores Complaintes deviendroient ores, Si ne me suffiroient point Les pleurs, les soupirs, le plaindre, A vivement contrefeindre L'ennuy qui le coeur me poingt. Ainsi que la fleur cuillie Ou par la Bize assaillie Pert le vermeil de son teinct, En la fleur du plus doulx âage De mon palissant visage La vive couleur s'esteinct. Une languissante nuë Me sille desja la vëue, Et me souvient en mourant Des doulces rives de Loyre, Qui les chansons de ma gloyre Alloit jadis murmurant: Alors que parmy la France Du beau Cygne de Florence J'alloys adorant les pas, Dont les plumes j'ay tirées, Qui des ailes mal cirées Le vol n'imiteront pas. Quel boys, quelle solitude, Tesmoing de l'ingratitude De l'archer malicieux, Ne resonne les alarmes Que les amoureuses larmes Font aux espris ocieux? Les bledz ayment la rousée, Dont la plaine est arrousée: La vigne ayme les chaleurs, Les abeilles les fleurettes, Et les vaines amourettes Les complaintes et les pleurs. Mais la douleur vehemente, Qui maintenant me tormente, A repoussé loing de moy Telle fureur insensée, Pour enter en ma pensée Le trait d'un plus juste esmoy. Arriere, plaintes frivoles D'ung tas de jeunesses folles. Vous, ardens soupirs encloz, Laissez ma poictrine cuyte, Et traynez à vostre suyte Mile tragiques sangloz. Si l'injure desriglée De la fortune aveuglée, Si ung faulx bon-heur promis Par les faveurs journalieres, Si les fraudes familieres Des trops courtizans amis, Si la maison mal entiere De cent procez heritiere, Telle qu'on la peut nommer La gallere desarmée, Qui sans guide et mal ramée Vogue par la haute mer: Si les passions cuysantes A l'ame, et au corps nuyzantes, Si le plus contraire effort D'une fiere destinée, Si une vie obstinée Contre ung desir de la mort: Si la triste congnoissance De nostre fresle naissance, Et si quelque autre douleur Geynne la vie de l'homme, Je merite qu'on me nomme L'esclave de tout malheur. Qu'ay-je depuis mon enfance Sinon tout injuste offence Senty de mes plus prochains? Qui ma jeunesse passée Aux tenebres ont laissée, Dont ores mes yeux sont plains. Et depuis que l'âge ferme A touché le premier terme De mes ans plus vigoreux, Las, helas, quelle journée Feut onq' si mal fortunée Que mes jours les plus heureux? Mes oz, mes nerfs, et mes veines, Tesmoins secrez de mes peines, Et mile souciz cuysans Avancent de ma vieillesse Le triste hyver, qui me blesse Devant l'esté de mes ans. Comme l'autonne saccage Les verdz cheveux du boccage A son triste advenement, Ainsi peu à peu s'efface Le crespe honneur de ma face Veufve de son ornement. Mon coeur jà devenu marbre En la souche d'ung vieil arbre A tous mes sens transmuez: Et le soing, qui me desrobe, Me faict semblable à Niobe Voyant ses enfants tuez. Quelle Medée ancienne Par sa voix magicienne M'a changé si promptement? Fichant d'aiguilles cruelles Mes entrailles, et moëlles Serves de l'enchantement? Armez vous contre elle donques, O vous mes vers! et si onques La fureur vous enflamma, Faites luy sentir l'ïambe Dont contre l'ingrat Lycambe La rage Archiloq arma. O nuict! ô silence! ô lune! Que ceste vieille importune Ose du ciel arracher, Pourquoy ont la terre, et l'onde, Mais pourquoy a tout le monde Conspiré pour me facher? Ny toute l'herbe cuillie Par les champs de Thessalie, Ny les murmures secrez, Ny la verge enchanteresse, Dont la Dame vangeresse Tourna les visages Grecz: Ny les flambeaux qu'on allume Aux obseques, ny la plume Des mortuaires oizeaux, Ny les oeufz qu'on teinct et mouille Dans le sang d'une grenouille, Ny les Avernales eaux: Ny les images de cire, Ny ce qui l'enfer attire, Ny tous les vers enchantez Par la vieille eschevelée D'une voix entremeslée Six et trois fois rechantez: Ny le menstrueux breuvage Meslé avecques la rage Qui s'enfle au front des chevaux, Ny les furies ensemble Enfanteroient (ce me semble) Le moindre de mes travaux. Moindre feu ne me consume Et moindre peste ne hume La tiede humeur de mes oz, Que l'Herculienne flamme Ayant le don de sa femme Engravé dessus le doz. Les flotz courroussez, qui baignent Leurs rivages, qui se plaignent, Ne sont plus sourds que je suis: Ny ce peuple, qui habite Où le Nil se precipite Dedans la mer par sept huys. Les ventz, la pluye et l'orage N'exercent plus grand oultrage Sur les montz et sur les flotz, Que l'eternelle tempeste Qui brouille dedans ma teste Mile tourbillons encloz. Comme la fole prestresse, A qui le Cynthien presse Le coeur superbe et despit, Herissant sa chevelure Contre-tourne son allure Par ung mouvement subit, Ainsi aveq' noire myne Tout furieux je chemine Par les champs plus eslongnez, Remaschant d'ung soucy grave Mile fureurs, que j'engrave Sur mes souciz renfrongnez. Tel est le Thebain Panthée, Quand son ame espovantée Voit le soleil redoublé: Tel, le vangeur de son pere, Quand les serpents de sa mere Luy ont son esprit troublé. D'une entre-suyvante fuyte Il adjourne, et puys annuyte: L'an d'ung mutuel retour Ses quatre saisons rameine: Et après la lune pleine Le croissant luist à son tour. Tout ce que le ciel entourne, Fuyt, refuyt, tourne, et retourne, Comme les flotz blanchissans, Que la mer venteuse pousse, Alors qu'elle se courrousse Contre ses bords gemissants. Chacune chose decline Au lieu de son origine: Et l'an, qui est coustumier De faire mourir, et naistre, Ce qui feut rien, avant qu'estre, Reduict à son rien premier. Mais la tristesse profonde, Qui d'ung pié ferme se fonde Au plus secret de mon coeur, Seule immuable demeure, Et contre moy d'heure en heure Acquiert nouvelle vigueur. Ainsi la flamme allumée, Que les ventz ont animée, Forcenant cruellement En mile poinctes s'eslance, Dedaignant la violence De son contraire element. Quand l'obscurité desserre Ses aisles dessus la terre, Et quant le present des Dieux Pour emmieller la peine, De toute la gent humaine Charme doulcement les yeux, Lors d'une horreur taciturne Dessoubz le voyle nocturne Tout se fait paisible et coy: Toute manière de beste Au sommeil courbe la teste Dedans son privé recoy. Mais le mal, qui me reveille, Ne permet que je sommeille Ung seul moment de la nuict, Sinon que l'ennuy m'assomme D'ung espoüantable somme, Qui plus que le veiller nuyt. Puis quand l'aulbe se descouche De sa jaunissante couche. Pour nous esclerer le jour, Avec moy s'esveille à l'heure Le soing rongeard, qui demeure En mon familier sejour: Où tout cela que l'on nomme Les bienheuretez de l'homme, Ne me sçauroit esjouyr, Privé de l'aise, qu'aporte A la vie demy-morte Le doulx plaisir de l'ouyr. Et si d'ung pas difficile Hors du triste domicile Je me trayne par les champs, Le soucy, qui m'accompaigne, Ensemence la campaigne De mile regrez tranchans. Si d'avanture j'arrive Sur la verdoyante rive, J'essourde le bruyt des eaux: Si au bois je me transporte, Soudain je ferme la porte Aux doulx goziers des oyzeaux. Jadis la tourbe sacrée, Qui sur le Loyr se recrée, Me daignoit bien quelquesfois Guyder au tour des rivages, Et par les antres sauvages, Imitateurs de ma voix: Mais or' toute espoüantée Elle fuyt d'estre hantée De moy despit, et felon, Indigne que ma poictrine Reçoyve soubz la courtine Les sainctz presentz d'Apollon. Mesmes la voix pitoyable, Dont la plainte larmoyable Rechante les derniers sons, Dure et sourde à ma semonce, Dedaigne toute response A mes piteuses chansons. Quelque part que je me tourne, Le long silence y sejourne Comme en ces temples devotz, Et comme si toutes choses Pesle mesle estoyent r'encloses Dedans leur premier Cäos. Mettez moy donq' où la tourbe Du peuple estonné se courbe Devant le sceptre des Roys, Et en tous les lieux encore' Où plus la France decore Et ses armes et ses loix: Mettez moy où lon accorde La contr'-accordante chorde Pas les discordans accords, Et où la beauté des dames Souffle les secrettes flammes Qui bruslent dedans le corps. Mettez moy (si bon vous semble) Où la Delienne assemble Sa bande apprise au labeur, A cry, à cor, et à suyte Pressant la legere fuyte Des cerfz aislez par la peur. Mettez moy où Cytherée En la saison alterée Sa jeune troppe conduict, Et sans craindre la froidure Dessus l'humide verdure Bale au serain de la nuict. Mettez moy là où florissent Les arbres, qui se nourrissent Au beau sejour d'Alcinoys, Et là où le riche Autonne D'une main prodigue donne L'honneur du front d'Acheloys. Mettez moy où plus abonde Tout ce qui plus en ce monde Contente l'humain' desir, Si ne pouray-je en tel aise Trouver plaisir qui me plaise, Que l'obstiné deplaisir. Helas, pourquoy tant s'augmentent Les malheurs qui me tormentent Desesperé d'avoir mieux? Ou pourquoy à les accroistre, Par trop les vouloir congnoistre, Suys-je tant ingenieux? Heureux, qui a par augures Preveu les choses obscures! Et trop plus heureux encor', En qui des Dieux la largesse A respandu la sagesse, Des cieux le plus beau tresor! Combien (si nous estions sages) Se demonstrent de presages, Avant-coureurs de noz maulx? Soit par injure celeste, Par quelque perte moleste, Ou par mort des animaulx. Mais la pensée des hommes, Pendant que vivans nous sommes, Ignore le sort humain: La divine prescience Par certaine experience Le tient cloz dedans sa main. Seroit-point determinée. Quelque vieille destinée Contre les espriz sacrez? Mile, qui dessus Parnaze Beurent de l'eau de Pegaze, Ont faict semblables regrez. De la Lyre Thracienne Et de l'Amphionnienne Les malheurs je ne diray. De l'aveuglé Sthesicore, Et du grand aveugle encore Les labeurs je n'escriray. Je tays la mort d'Eurypide, Et la tortüe homicide. Je laisse encore la faim De ce miserable Plaute, Et les peines de la faulte De l'amoureux escrivain. Seulement me plaist escrire Comment le Dieu qui inspire Le troppeau musicien, Mortel, soubz habit champestre, Sept ans les boeufz mena paistre Au rivaige Amphrysien. Mauldicte donq' la lumière Qui m'esclaira la premiere, Puys que le ciel rigoreux Assujetit ma naissance A l'indomtable puissance D'ung astre si malheureux. O Dieux, que lon jure, Dieux, qui punissez l'injure D'une rompue amitié, Si les devotes prieres Pour les injustes miseres Vous emeuvent à pitié, Las, pourquoy ne se retire De moy ce cruel martyre, Si mes innoncentes mains, Pures de sang et rapines, Ne feurent onques inclines A rompre les droictz humains? Je ne suis né de la race Qui dessus les montz de Thrace, O Dieux, s'arma contre vous, Ny de l'hoste abhominable Qui pour son forfaict, damnable Accreut le nombre des loups. Je n'ay hanté le college De ce larron sacrilege Qui feut premier inventeur De feindre la congnoissance De vostre divine essence Par ung visage menteur Je ne suys né de la terre Qui en la Thebaine guerre Huma le sang fraternel, Dont le mutuel oultrage Tesmoigna l'aveugle rage De l'inceste paternel. D'une cruaulté nouvelle Je n'ay rompu la cervelle De mon pere, et si n'ay pas De ses entrailles saillantes Remply les gorges sanglantes Par ung nocturne repas. Si mon innocente vie Ne feut onques asservie Aux serves affections, Si l'avare convoitize, Si l'ambicion n'attize Le feu de mes passions: Si pour destruire ung lignage Par escrit, ou tesmoignage, Ma langue n'a point menty, Si au sang de l'homme juste Avecques le plus robuste Jamais je n'ay consenty: Si la vielle depiteuse Du mal d'autruy convoiteuse, Si l'ire, si la ranqueur (Et si quelque autre furie A sur l'homme seigneurie) Ne m'ont affolé le coeur, Divine majesté haulte, D'où me viennent, sans ma faulte, Tant de remors furieux? O malheureuse innocence, Sur qui ont tant de licence Les astres injurieux! Heureuse la creature Qui a fait sa sepulture Dans le ventre maternel! Heureux celuy dont la vie En sortant s'est veu ravie Par un sommeil eternel! Il n'a senty sur sa teste L'inevitable tempeste Dont nous sommes agitez, Mais asseuré du naufraige De bien loing sur le rivaige A veu les flotz irritez. Sur mon ame, tourne arriere, Et borne icy la carriere De tes ingrates douleurs. Il est temps de faire espreuve, Si apres la mort on treuve La fin de tant de malheurs. Ma vie desesperée A la mort deliberée Jà-desjà se sent courir. Meure donques, meure, meure, Celuy qui vivant demeure, Mourant sans pouvoir mourir. Ainsi le Devin d'Adraste, Qui pour le filz d'Iöcaste Encontre Thebes s'arma, S'eslançoit de grand'audace Dedans l'horrible crevace, Qui sur luy se referma. Vous, à qui ces durs allarmes Arracheront quelques larmes, Soyez joyeux en tout temps, Ayez le ciel favorable, Et plus que moy, miserable, Vivez heureux, et contens. II. Hymne Chrestien O Seigneur Dieu, mon rampart, ma fience, Rampare moy du fort de pacience Contre l'effort du corps injurieux, Qui veult forcer l'esprit victorieux. L'ardeur du mal, dont ma chair est attainte, Me faict gemir d'une eternelle plainte, Moins pour l'ennuy de ne pouvoir guerir, Que pour le mal de ne pouvoir mourir. Certes, Seigneur, je sens bien que ma faulte Me rend coupable à ta majesté haulte: Mais si de toy vers toy je n'ay secours, Ailleurs en vain je cherche mon recours. Car ta main seule inviciblement forte Peult des enfers briser l'avare porte, Et me tirer aux rayons du beau jour Qui luyt au ciel, ton eternel sejour. Si je ne suys que vile pouriture, Tel que je suis, je suis ta creature. N'est-ce pas toy, dont la divine main De vil bourbier forma le corps humain, Pour y enter l'ame, que tu as feinte Sur le protraict de ton image saincte? N'est-ce pas toy, qui formas la rondeur De l'univers, tesmoing de ta grandeur? Et qui fendis l'obscurité profonde, Pour en tirer la lumiere du monde? N'est-ce pas toy, qui as prefix le tour De l'Ocëan, qui nous baigne à l'entour, Fichant aux cieux du jour la lampe clere, Et la flambeau qui à la nuict eclaire? Et toutesfois ces grands oeuvres parfaiz, Que ta main saincte heureusement a faiz, Doyvent perir, non ta parole ferme, De qui le temps n'a point borné le terme. Cete parole a promis aux esleuz, Dont les saincts noms en ton livre sont leuz, Ennuy, travail, servitude moleste, Le seul chemin de ton regne celeste. O trop ingrat! ô trop ambicieux! Cil qui premier nous defferma les yeux, Et qui premier, par trop vouloir congnoistre, Fist le peché entre nous apparoistre. Ce feut alors que le ciel peu benin Vomit sur nous son courroux et venin, Faisant sortir du centre de la terre La pasle faim, et la peste, et la guerre. Le monde alors d'une nüe empesché Vivoit captif soubz les loix du peché, De qui l'horreur sur tant d'ames immondes Fist deborder la vengeance des ondes. Alors Seigneur, d'ung clin d'oeil seulement Tu moissonnas la terre egalement, Ne reservant de tant de miliers d'hommes Qu'une famille en ces lieux où nous sommes. O bienheureux et trois et quatre fois, Qui a gouté le sucre de ta vois! Et dont la foy, qui le peché defie, En ton effort sa force fortifie! Certes celuy qui tel bien a receu De son espoir ne se verra deceu: S'il est ainsi que la foy sauva l'Arche, Et d'Israël le premier Patriarche, Ce fut celuy, Seigneur, à qui tu fis Multiplier le nombre de ses filz, Plus qu'on ne voit d'estoiles flamboyantes, Ou de sablon aux plaines ondoyantes Ce peuple alors contrainct de se ranger Dessoubz les loix du barbare estranger, Vivoit captif: quand ta main favorable Luy fist sentir ton pouoir secourable: Pendant le cours de l'onde rougissant, Dont a pié sec ton peuple feut yssant, Et vid encor' loing derriere sa fuyte Floter sur l'eau l'Egyptienne suyte. Puis au mylieu des travaulx et dangers Tu le guydas aux peuples estrangers Par les desers, ou vingt, et vingt années Feurent par toy ces bandes gouvernées. Là ta pitié, pour leur soif amortir, Fist des rochers les fontaines sortir, Et fist encor' de ta main planteureuse Neger sur eulx la manne savoureuse. Là feut soubs toy Moyze ton amy Chef de ta gent, qui murmuroit parmy Les longs erreurs de ce desert sauvage, D'avoir laissé l'Egyptien rivage. Là maintefois le cours de ta fureur Se desbrida sur l'obstinée erreur De ces mutins: et tes loix engravées Se virent là mile fois depravées. O quantefois de ton grave sourcy Tu abysmas ce faulx peuple endurcy! Qui mesprisant de son Dieu les louanges Idolatroit après les Dieux estranges. Justice adonq' sur le peché naissant Faisoit brandir son glayve punissant, Et la pitié loing du ciel exilée Erroit çà bas triste et deschevelée. Finablement, ce peuple belliqueur Guydé par toy, haulsa le chef vainqueur Sur mile roys, et peuples, que la guerre Fist renverser horriblement par terre, Ains que les tiens par sentiers incongnuz Feussent aux champs planteureux parvenuz, Où tu avois dès mainte et mainte année Au paravant leur demeure bornée. Qui contera les dangers et horreurs, Les fiers combaz, et vaillantes fureurs De Josüé? et la brave entreprize De Gedëon, que ta main favorize? Qui descrira ce guerrier ordonné Pour le rampart de ton peuple estonné, Et le forfaict de la main desloyale Qui luy embla sa perruque fatale? Qui chantera l'oracle d'Israël, Ce grand prophete et prestre Samüel, Säul, Jonathe, et les despouilles vides Rouges du sang de tes Israëlides? O Dieu guerrier! des victoires donneur! Donne à mes doigz cete grace, et bonheur De n'accorder sur ma lyre d'ivoyre Pour tout jamais que les vers de ta gloire. S'il est ainsi, arriere les vains sons, Les vains soupirs et les vaines chansons, Arriere amour, et les songes antiques Elabourez par les mains poëtiques. Ce n'est plus moy, qui vous doy' fredonner: Car le Seigneur m'a commandé sonner Non l'Odissée, ou la grand'Iliade, Mais le discours de l'Israëliade. Lors je diray ce grand pasteur Hebrieu Qui s'opposa pour le peuple de Dieu: Les saincts accords de sa lyre faconde, Le certain coup de sa fidele fonde, Avec' l'honneur de son premier butin, Et le grand tronq du brave Philistin. Je chanteray par combien de traverses Il sceut tromper les embusches diverses De ses hayneux, ainsi que Dieu l'eust assis Pour commender au peuple circoncis. Heureux vray'ment si l'oeil de Bersabée Sa liberté n'eust onques desrobée, Et s'il n'eust mis en proye à l'estranger Celuy qui feut de sa mort messager. Las, ce qu'on voit de bonheur en ce monde, Jamais constant et ferme ne se fonde, Et nul ne peut suyvre d'ung cours entier De la vertu le penible sentier. Quel siecle encor' ne porte tesmoignage Du Roy congneu par le surnom de sage? Qui attraynant des plus barbares lieux L'or, et l'argent, et le bois precieux, Elaboura d'estofe et d'artifice Du temple sainct le superbe edifice. Ce n'est icy que descrire je veux De ses vieux ans les impudiques feuz, De sa maison la grand'troppe lascive, Sa vanité, et sa pompe excessive, Pour ses faulx Dieux le vray Dieu meprisé Et de son filz le sceptre divisé. Je voy encor' les campagnes humides Rougir au sang de ces Abrahamides, Peuple endurcy entre tous les humains: Qui adorant l'ouvrage de ses mains, Parfume Bâl d'encens et sacrifice. Peuples, et roys, apprenez la justice: Et si de Dieu quelque peur vous avez, Dedans voz coeurs hardiment engravez La mort d'Achab, et la serve couronne De tant de roys, captifz en Babilonne. Mais toy, Seigneur, de qui le braz puissant Decaptiva ton peuple languissant, Si de bon coeur devant toy je lamente, Romps le lien du mal qui me tormente, Ou mon esprit, pour de toy l'approcher, Tire dehors la prison de la chair. Je ne veulx point par ung autel de terre Encourtiné de verveine et d'ïerre, Par vers charmez, ny par prodigues voeuz, Mottes, encens, ou meurtre de cent boeufz, De ma santé haster la course lente, Las! qui tant feut au partir violente. Gueriz, Seigneur, gueriz moy de peché, Dont le remede à tout autre est caché. Alors mes vers, louant tes faictz loüables, Te pourront estre offrandes agrëables. III. La monomachie de David et de Goliath Celuy en vain se vante d'estre fort, Qui aveuglé d'une ire outrecuydée Ne voit combien peu sert ung grand effort, Quand de raison la force n'est guidée. L'humble foiblesse est voluntiers aydée De cetuy là qui donne la victoire: Mais du haultain la fureur debridée Pert en ung coup et la force et la gloire. Ny le canon, ny le glaive tranchant, Ny le rampart, ni la fosse murée Ont le pouvoir de sauver le meschant, Dont le Seigneur la vengeance a jurée. Les fiers torrens n'ont pas longue durée: Et du sapin, umbrage des montaignes, La hauteur n'est si ferme et asseurée Que l'arbrisseau, qui croist par les campagnes. O Dieu guerrier, Dieu que je veulx chanter, Je te supply', tens les nerfz de ma lyre: Non pour le Grec, ou le Troyen vanter, Mais le Berger que tu voulus eslire: Ce feut celuy qui s'opposant à l'ire Du Philistin mesprisant ta hautesse, Montra combien puissante se peut dire Dessou' ta main une humble petitesse. Toy, qui armé du sainct pouvoir des cieux Devant l'honneur et les yeux de la France Domtas jadis l'orgueil ambicieux, Qui sa fureur perdit au camp d'outrance: Puis que tu as de ce Dieu congnoissance, Qui des plus grands a la gloire étoufée, Escoute moy, qui louant sa puissance Te viens icy eriger ung trophée. Le Philistin, et le peuple de Dieu S'estoient campez sur deux croppes voisines. Icy estoit assis le camp Hebrieu: Là se montroient les tentes Philistines: Quand un Guerrier flambant d'armes insignes, Sorty du camp du barbare exercite, Vint defier, et par vois, et par signes Tous les plus fors du peuple Israëlite. Vingt et vingt fois ce brave Philistin Estoit en vain sorty hors de sa tente, Et nul n'aspire à si riche butin: Dont Säul pleure et crie et se tormente. Où est celuy (disoit il) qui se vente De s'opposer à si grand vitupere? A cestuy là ma fille je presente, Et affranchis la maison de son pere. O Israël, jadis peuple indomté! Où estoit lors ceste grande vaillance, Dont tu avois tant de fois surmonté Les plus gaillars par le fer de ta lance? Las, il fault bien que quelque tienne offence Eust provoqué la vangeance divine, Puis que ton coeur eut si foible defence Contre une audace et gloire Philistine. On voit ainsi de peur se tapissant Par les buyssons les humbles colombelles, Qui ont de loing veu l'aigle ravissant Tirer à mont, et fondre dessus elles. Alors ce fier avec' sifflantes ailes Ores le hault, ores le bas air tranche, Et craquetant de ses ongles cruelles, Raude à l'entour de l'espineuse branche. Tel se monstroit ce Guerrier animé: Et qui eust veu la grandeur de sa taille, Il eust jugé ou ung colosse armé Ou une tour desmarcher en bataille. Son corps estoit tout hérissé d'escaille: D'airain estoit le reste de ses armes. Le fer adonq', et l'acier, et la maille N'estoient beaucoup usitez aux alarmes. Son heaume feut comme ung brillant escler; Sur qui flotoit ung menaçant pennache: Nembroth estoit protraict en son boucler: Sa main branloit l'horreur d'une grand'hache. Ainsi armé, par cent moyens il tasche Son ennemy à la campagne attraire: Mais Israël en ses tentes se cache, Epoüanté d'ung si fier aversaire. O (disoit-il) fuyarde nation, Nourrie au creux des antres plus sauvages, Qui as laissé ton habitation Pour labourer noz fertiles rivages: Où est ce Dieu, où sont ces grands courages, Dont tu marchois si superbement haute? Voicy le braz vangeur de tant d'outrages, Qui te fera recongnoistre ta faulte. Je suis celuy qui avec' ces deux mains Me feray voye au celeste habitacle. Lequel des Dieux, ou lequel des humains Osera donc' s'opposer pour obstacle? O sotte gent, qui pour ung faulx miracle Te vas paissant de ces vaines merveilles, Ce n'est pas moy, que la voix d'ung oracle Si doucement tire par les oreilles. Où est celuy qui batailloit pour toy, Je dy celuy qu'Israel tant honnore? Que ne vient il s'opposer contre moy, Qui autre Dieu que ma force n'adore? Pauvre soldat, qui sur toy verras ore' D'ung rouge lac cete plaine arrouzee, Mieux te valust en tes dezers encore' Vivoter d'eau et de blanche rozee. O gaillard peuple! ô hardy belliqueur Parmy les boys, ou sur quelque montaigne! Est-ce ton Dieu, ou bien faulte de coeur, Qui te defend descendre à la campagne? Ung coeur vaillant, que la force accompagne, En ung rampart voluntiers ne se fie. Si quelqu'ung donq' en la vertu se bagne, Voicy au camp celuy qui le defie. Comme en ung parc, qui est environné Du peuple oyzif à quelque jour de feste, Le fier taureau au combat ordonné Deça delà va contourant sa teste: Ce Philistin, qui au combat s'appreste, Bravant ainsi de menaces terribles, Faisoit floter les plumes de sa creste, Rempissant l'air de blasphemes horribles. Le camp Hebrieu tremblant à cete fois D'ung teinct de mort alla peindre sa face, Criant au ciel d'une publique vois: Vange Seigneur, la sacrilege audace De ce crüel, qui ton peuple menace. Lors le Seigneur esbranlant sa main dextre, Donnoit aux siens ung signe de sa grace, Heureusement tonnant à la senestre: Et sur le champ apparoistre lon voit Ung Bergerot à la chere eveillée: Sa pennetiere en escharpe il avoit, Et à son braz sa fondé entortillée. Lors des deux camps la tourbe emerveillée D'ung oeil fiché en bëant le regarde, Quand d'une grace au danger aveuglée Le gay Berger au combat se hazarde. Mais quand ce fier vint à le regarder Si bravement marchant parmy la plaine, D'ung riz amer se prist à l'oeillader, Et de le voir plaignoit quasi la peine. Puis tout soudain d'une audace haultaine Se renfrongnant en horrible furie, Haussa la teste, et d'une vois loingtaine Le survenant par tels mots il escrie: Dy moy chetif, de ta vie ennuyé, Petit bout d'homme, et honte de nature, Quel tien hayneux t'a icy envoyé, Pour estre faict des corbeaux la pasture? Tu me fais honte, ô vile crëature! Quand je t'aguigne, et quand je me contemple. Si mouras-tu, ô la belle avanture! Pour en dresser la despouille en ung temple. Mais que ne vient sur cete arene icy Ce fier Säul avec' sa lance? voire Ce fort Abner, et ce Jonathe aussi, A qui son arc a donné tant de gloire? C'est là, c'est là, que ma vertu notoire Se deust baigner: non point en cete fange, Qui souillera l'honneur de ma victoire, Et par sa mort accroitra sa louange. Ha grand mastin (respondit le Berger) Tes gros aboys me donnent assurance. Car Dieu, qui veult tes blasphemes vanger, Est le boucler de ma ferme esperance. Desjà sa main sur ton chef se ballance, Pour ton grand cors accabler sou' sa foudre: Et me voicy, que sa juste vangeance Pousse vers toy, pour te rüer en poudre. Ce diable adonq' tonnant horriblement, Et tout baveux d'ecumeuze fumiere, Grinsa les dents espoüantablement, Et en fronçant nez, et front, et paupiere, Blasphema Dieu, le ciel, et la lumiere. Ainsi entre eux de parolle ilz s'attachent: Puis se hastant d'une alure plus fiere Diversement au combat contre-marchent. Le Philistin de fureur aveuglé, Roüant sa masse, alloit d'ardent courage, A gueule ouverte, et à pas deregle Portant la peur, la tempeste et l'orage. Mais le Berger d'une allure plus sage Son ennemy ores costoye, et ores Subtilement luy met droict au visaige Le vent, la poudre, et le soleil encores. Comme lon void au pié d'une grand' tour, Qu'à la campagne egaler on s'eforce, Le pionnier myrant tout à l'entour Faire une trace à la poudreuze amorce: Non autrement, par une longue entorce Ce cault Berger guygnant à teste basse Contre-gardoit son impareille force Contre l'horreur de la pesante masse. Le grand Guerrier à tour et à travers Menoit les braz d'une force incroyable, Et fendant l'air par ung sifflant revers Alloit finir ce combat pitoyable: Quand du Seigneur la bonté secourable Trompa le coup de la crüelle dextre, Qui lourdement foudroyant sur le sable, Raza les pieds du Berger plus adextre. Finablement courbé sur les genous, Panché à droict, d'ung pié ferme il se fonde: Ainsi que Dieu, lors qu'il darde sur nous Le feu vangeur des offences du monde: Ce fort Hebrieu roüant ainsi sa fonde Deux fois, trois fois, assez loing de sa teste, Avec' un bruit qui en fendant l'air gronde, Fist descocher le traict de sa tempeste. Droict sur le front, où le coup fut donné, Se va planter la fureur de la pierre. Le grand Colosse à ce coup estonné D'un sault horrible alla broncher par terre. Son harnois tonne, et le vainqueur le serre: Puis le cyant mesmes de son espée, Entortilla, pour le prix de sa guerre, Au tour du bras la grand' teste coupée. Lors Israël, que la peur du danger Suyvoit encor' en sa victoire mesme, Sort de son camp, et du vainqueur Berger Envoye au ciel la louange supreme. Le Philistin pasle de peur extreme Montre le doz, d'une fuyte vilaine: Abandonnant le grand tronq froid et blesme, Qui gist sans nom sur la dezerte plaine. Chantez, mes vers, cet immortel honneur, Dont vous avez la matiere choizie. Ce vous sera plus de gloire et bonheur Que les vieux sons d'une fable moizie. Car tout au pis, quand vostre poëzie Du long oubly devroit estre la proye, Si avez vous plus saincte fantaizie Que le sonneur des Pergames de Troye. IV. Ode au Reverendiss. Cardinal du Bellay Cetuy là qui s'estudie Representer en ses vers Tous les accidens divers De l'humaine tragedie, Celuy encores descrive Tous les floz tumultueux Qui retournent à la rive D'Euripe l'impetueux. L'air, le feu, la terre, l'onde, Et les ästres conjurez Nous rendent peu asseurez Contre l'orage du monde. Le sort cruel nous devore Par non revocable loy: Mais l'homme n'a point encore' Plus grand ennemy que soy. Tout autre animal apporte Plus grande commodité, Armant sa nativité D'une defence plus forte. L'homme seul à sa naissance Par gemissemens et pleurs Tesmoigne son impuissance, Presage de ses malheurs. Mais si la Nature amere Aux hommes tant seulement, Nous est eternellement Trop plus meratre que mere, Il ne faut pourtant que l'homme Entre tous les animaux Seul miserable se nomme, Esclave de mile maux. L'Ame en l'univers enclose Baillant nourriture aux cieux, A l'onde, à la terre, aux yeux, Qui eclerent toute chose, N'est-ce pas Dieu, qui embrasse Les membres de ce grand corps, Agitant toute la masse Par amyables discors? Cete Ame de la Nature Forma le dernier de tous L'Animal qui est plus doux Et plus noble creature: Affin qu'il feust seul capable D'ung sens plus divin, et hault, Estant aussi plus coupable, Si la raizon luy defaut. La Providence divine Mist en nous ses petiz feux, Nous faisant sentir par eux Le lieu de nostre origine. Ainsi de raizon l'usage, Qui n'est en autre animal, Fait que l'homme, qui est sage, Discourt le bien et le mal. Mais le gros fardeau moleste, Dont nostre esprit est vestu, Tarde souvent la vertu De l'ame, qui est celeste. De là provient la lïesse, La douleur et le souci, La peur, et la hardïesse, La haine et l'amour aussi. De là provient la furie De toutes les passions, Qui sur noz affections Exercent leur seigneurie: Si la raizon, seule guide De noz espris aveuglez, Souvent ne hause la bride Aux apetiz dereglez. Ung chacun durant sa vie Porte ung domestique Dieu, Qui tousjours et en tout lieu Secretement le convie. Voylà pourquoy nous ne sommes D'ung mesme desir domtez: Autant que nous voyons d'hommes, Autant sont de voluntez. Mais ny la court, ny les princes, Ny le fer victorieux, Ny l'honneur laborieux De commander aux provinces, Ny les Muses, que j'adore, Ny ung plus grave sçavoir Le souverain bien encore Ne me feront pas avoir. Je ne blame la richesse, Ny les honneurs, ny les biens, Que pourroit bien faire miens Du Roy la grande largesse. J'admire la bonne grace, La beauté plaist à mes yeux, J'honnore une antique race, Mais la vertu me plaist mieux. Tout ce qui est hors de l'homme, L'homme le desire, afin De parvenir à la fin Que suffizance lon nomme. Mais la vertu, estimable Plus que tout l'Indique honneur, Pour elle mesme est aimable, Et non pour autre bonheur. L'ayant pour ta guide prize, O l'ornement des prelaz! Tu montre' bien que tu l'as En tes premiers ans apprize: Fuyant l'alechante amorce Qui noz plus jeunes desirs Tire d'une doulce force Aux peu durables plaisirs. Car sortant du jeu d'enfance Aux exercices plus fors, Ta vertu sortit alors Devant les yeux de la France. Puis d'une aile plus legere Volant aux peuples divers, La publique Messagere La porta par l'univers. Quel nombre pourroit suffire A raconter les dangers Qui par les floz etrangers Ont agité ta navire? Et celle de ton grand frere, Qui par l'heur de sa vertu Rendoit la France prospere Et l'Espagnol abatu. Comme du haut des montaignes, Alors que la nege fond, Deux hardis fleuves se font Divers cours par les campaignes, Et puis en une valée Venant à se joindre en ung, Courent à bride avalée, Avecques ung nom commun: Ainsi, l'indomté couraige Du vaillant-docte Langé, Qui par la mort s'est vangé De l'oblivieux outrage, Joingnant son nom et sa course. Au tien, qui n'est moins congneu, Nous monstre de quelle source Et l'ung et l'autre est venu. V. La Lyre Chrestienne Moy cestuy là, qui tant de fois Ay chanté la Muse charnelle, Maintenant je haulse ma vois Pour sonner la Muse eternelle. De ceulx là qui n'ont part en elle, L'applaudissement je n'attens: Jadis ma folie estoit telle, Mais toutes choses ont leur temps. Si les vieux Grecz et les Romains Des faux Dieux ont chanté la gloire, Seron' nous plus qu'eulx inhumains, Taisant du vray Dieu la memoire? D'Helicon la fable notoire Ne nous enseigne à le vanter: De l'onde vive il nous fault boyre, Qui seule inspire à bien chanter. Chasse toute divinité (Dict le Seigneur) devant la mienne: Et nous chantons la vanité De l'idolatrie ancienne Par toy, ô terre Egyptienne! Mere de tous ces petiz Dieux, Les vers de la Lyre Chrestienne Nous semblent peu melodieux. Jadis le fameux inventeur De la doctrine Academique Chassoit le poëte menteur Par les loix de sa republique. Où est donq' l'esprit tant cynique, Qui ose donner quelque lieu Aux chansons de la Lyre ethnique, En la republique de Dieu? Si nostre Muse n'estoit point De tant de vanitez coyfée, La saincte voix, qui les coeurs poingt, Ne seroit par nous estoufée. Ainsi la grand' troppe echaufée Avec son vineux Evöé Estrangloit les chansons d'Orphée Au son du cornet enroué. Cestuy-là, qui dict, que ces vers Gastent le naïf de mon style, Il a l'estomac de travers, Preferant le doux à l'utile: La plaine heureusement fertile, Bien qu'elle soit veufve de fleurs, Vault mieulx, que le champ inutile Emaillé de mile couleurs. Si nous voulons emmïeller Noz chansons de fleurs poëtiques, Qui nous gardera de mesler Telles douceurs en noz cantiques? Convertissant à noz pratiques Les biens trop long temps occupez Par les faux possesseurs antiques, Qui sur nous les ont usurpez. D'Israël le peuple ancien Affranchi du cruel service, Du riche meuble Egyptien Fit à Dieu plaisant sacrifice: Et pour embellir l'edifice, Que Dieu se faisoit eriger, Salomon n'estima pas vice De mandier l'or estranger. Nous donques faisons tout ainsi: Et comme bien ruzéz gendarmes, Des Grecz et des Romains aussi Prenons les bouclers et guyzarmes: L'ennemy baillera les armes Dont luy mesme' sera batu. Telle fraude au faict des alarmes Merite le nom de vertu. O fol, qui chante les honneurs De ces faulx Dieux! ou qui s'amuse A farder le loz des seigneurs Plus aimez qu'amys de la Muse. C'est pourquoy la mienne refuse De manïer le luc vanteur. L'espoir des princes nous abuse, Mais nostre Dieu n'est point menteur. Celuy (Seigneur) à qui ta vois Vivement touche les oreilles, Bien qu'il sommeille quelquefois, Finalement tu le reveilles: Lors en tes oeuvres non pareilles Fichant son esprit, et ses yeux, Il se rid des vaines merveilles Du miserable ambicieux, Qui eslongné du droict sentier Suyt la tortueuse carriere, Où celuy qui est plus entier Plus souvent demeure en arrière, Humant la faveur journaliere Compaigne des souciz cuyzans, Et la vanité familiere A la tourbe des courtizans. Ma nef, evitez ce danger, Et n'attendez pas que l'orage Par force vous face ranger Au port après vostre naufrage. L'homme ruzé par long usage N'est follement avantureux: Mais qui par son peril est sage, Celuy est sage malheureux. Bien heureux donques est celuy Qui a fondé son asseurance Aux choses dont le ferme appuy Ne desment point son esperance. C'est luy que nulle violence Peult esbranler, tant seulement, Si bien il se contreballence En tous ses faictz egalement. Celuy encor' ne cherche pas La gloire, que le temps consomme: Saichant que rien n'est icy bas Immortel, que l'esprit de l'homme. Et puis le poëte se nomme Ores cigne melodieux, Or' immortel et divin, comme S'il estoit compaigon des Dieux. Quand j'oy les Muses cacqueter, Enflant leurs motz d'ung vain langage, Il me semble ouyr cracqueter Ung perroquet dedans sa cage: Mais ces folz qui leur font hommage, Amorçez de vaines doulceurs, Ne peuvent sentir le dommage Que traynent ces mignardes Soeurs. Si le fin Grec eust escouté La musique Sicilienne Peu cautement: s'il eust gouté A la couppe Circeïenne, De sa doulce terre ancienne Il n'eust regouté les plaizirs: Et Dieu chassera de la sienne Les esclaves de leurs dezirs. O fol, qui se laisse envieillir En la vaine philosophie, Dont l'homme ne peut recueillir L'esprit, qui l'ame vivifie! Le Seigneur, qui me fortifie Au labeur de ces vers plaisans, Veut qu'à luy seul je sacrifie L'offrande de mes jeunes ans. Puys quelque delicat cerveau, D'une impudence merveilleuse, Dict que pour ung esprit nouveau La matiere est trop sourcilleuse. Pandant la vieillesse honteuse D'avoir pris la fleur pour le fruict, Haste en vain sa course boyteuse Apres la vertu, qui la fuyt. Celuy qui prenoit double prix De ceux qui sous ung autre maistre L'art de la Lyre avoient appris, M'enseigne ce que je dois estre. Sus donques, oubliez, ma dextre, De ceste Lyre les vieux sons, Afin que vous soyez adextre A sonner plus haultes chansons. Mais (ô Seigneur) si tu ne tens Les nerfz de ma harpe nouvelle, C'est bien en vain que je pretens D'accorder ton loz dessus elle. Que si tu veulx luy prester l'aisle, Alors d'ung vol audacieux, Cryant ta louange immortelle, Je voleray jusques aux cieux. Le luc je ne demande pas, Dont les filles de la Memoire Apres les Phlegrëans combas Sonnerent des Dieux la victoire. Desormais sur les bordz de Loyre Imitant le sainct pouce Hebrieu, Mes doigtz fredonneront la gloire De celuy qui est trois fois Dieu. VI. Discours sur la louange de la vertu et sur les divers erreurs des hommes à Salm. Macrin Bien que ma Muse petite Ce doulx-utile n'immite Qui si doctement escrit, Ayant premier en la France Contre la saige ignorance Faict renaistre Democrit: Pourtant, Macrin, ne te fasche Si la bride ung peu je lasche Au soing qui l'esprit me rompt: Et se pour t'aider à rire, J'ay entrepris de t'escrire, Pour me derider le front. La felicité non faulse, L'eschelle qui nous surhaulse Par degrez jusques aux cieux, N'est-ce pas la vertu seule, Qui nous tire de la gueule De l'Orque avaricieux? L'homme vertueux est riche: Si sa terre tumbe en friche, Il en porte peu d'ennuy: Car la plus grande richesse Dont les Dieux luy font largesse Est tousjours avecques luy. Il est noble, il est illustre: Et si n'emprunte son lustre D'une vitre, ou d'ung tumbeau, Ou d'une image enfumée Dont la face cousumée Rechigne dans ung tableau. S'il n'est duc, ou s'il n'est prince D'une et d'une autre province, Si est-il roy de son coeur: Et de son coeur estre maistre, C'est plus grand' chose que d'estre De tout le monde vainqueur. Si les mains de la nature Toute sa linëature N'ont mignardé proprement, Si en est l'esprit aymable: Et qui est plus estimable, Le corps, ou l'accoustrement? La richesse naturelle, C'est la santé corporelle: Mais si le ciel est donneur D'une ame saine, et lavée De toute humeur dépravée, C'est le comble du bonheur. Que me sert la docte escolle De Platon, ou que j'accolle Tout cela que maintenoit Le grand Peripatetique, Ou tout ce qu'en son portique Zenon jadis soustenoit: Si l'ignorant et pauvre homme Tout ce que vertu on nomme Garde precieusement, Pandant que monsieur le sage, Qui n'a vertu qu'au visage, En parle ocieusement? Que me sert-il que j'embrasse Petrarque, Vergile, Horace, Ovide, et tant de secrez, Tant de Dieux, tant de miracles, Tant de monstres, et d'oracles Que nous ont forgé les Grecz: Si pandant que ces beaux songes M'apastent de leurs mensonges, L'an, qui retourne souvent, Sur ses ailes empennées De mes meilleurs années, M'enporte avecques le vent? Que me sert la thëorique Du nombre Pythagorique: Ung rond, une ligne, ung poinct: Le pinceter d'une chorde, Ou sçavoir quel ton accorde Et quel ton n'accorde point: Que me sert voir tout le monde En papier, ou je me fonde A l'arpanter pas à pas: Si en mon coeur je n'eu' onques Mesure, ou nombre quelquonques, Accord, reigle ny compas? Que me sert l'architecture, La perspective, et peincture, Ou au mouvement des cieux Contempler les choses haultes, Si pour congnoistre mes faultes Je ne me voy que des yeux? Que sert une longue barbe, Ung clystere, une reubarbe, Pour me faire vertueux? Ou une langue sçavante, Ou une loy mise en vante Au barreau tumultueux? Que me sert-il que je vole De l'ung jusqu'à l'autre pole, Si je porte bien souvent La peur et la mort en pouppe, Avecques l'horrible trouppe Des ondes grosses du vent? Que me sert que je m'ottroye Pour quelque petite proye Au sort douteux des combaz, Si la fortune crüelle Et la mort continüelle Me talonnent pas à pas? Que me sert-il que je suyve Les princes, et que je vive Aveugle, müet et sourd, Si apres tant de services Je n'y gaigne que les vices Et les bons jours de la court? C'est une divine ruze De bien forger une excuze, Et en subtil artizan, Soit qu'on parle ou qu'on chemine, Contrefaire bien la myne D'ung vieil singe courtizan. C'est une loüable envie A ceux qui toute leur vie Veulent demourer oyzeux, D'ung nouveau ne faire conte, Et pour garder qu'il ne monte, Tirer l'eschelle apres eulx. C'est belle chose, que d'estre Des hommes appellé maistre: Et du vulgaire eslongné, Ne parlant qu'en voix d'oracle, Espouänter d'ung miracle Et d'ung sourcy renfrongné C'est chose fort singuliere Qu'une reigle irreguliere Dessoubs ung front de Caton: Ou dire qu'on est fragile, Affeublant de l'Evangile La charité de Platon. C'est une heureuse poursuytte, Estre dix ans à la suyte D'ung benefice empestré: Et puis pour toute resource Vider et procez et bourse Par ung arrest non chastré. C'est une belle science, Pour faire une experience Avant qu'estre vieil routier, Par la mort guerir les hommes, Et puis dire que nous sommes Des plus sçavans du mestier. C'est ung vertueux office, Avoir pour son exercice Force oyzeaux, et force aboys, Et en meutes bien courantes Clabauder toutes ses rentes Par les champs et par les boys. C'est une chose divine, Qu'une femme ou sotte, ou fine. C'est encor' ung heureux poinct De l'avoir pauvre et foeconde: Puis monstrer à tout le monde Les cornes qu'on ne void point. C'est ung heureux advantage, Qu'ung alambic en partage, Ung fourneau Mercurien: Et de toute sa sustance Tirant une quinte essence, Multiplier tout en rien. C'est une chose fort grave, Estre magnifique, et brave: Et sans y espargner Dieu, S'obliger en beau langage: Et puis mettre tout en gage Pour enrichir sainct Matthieu. C'est chose noble, que d'estre En lice, en carriere adextre, Soit de nuict, ou soit de jour: Bon au bal, bon à l'escrime: Puis d'ung luc et d'une ryme Trionfer dessus l'amour. Ce sont beaux motz, que bravade, Soldat, cargue, camyzade Avec' ung brave san-dieu. Trois beaux detz, une querelle, Et puis une maquerelle, C'est pour faire ung Demy-dieu. Ce sont choses fort aigües, Par sentences ambigües Philosopher haultement: Et voyant que la fortune Ne vous veult estre opportune, Nous feindre ung contentement. Quel estat doy' je donq' suyvre, Pour vertueusement vivre? Je ne parle desormais Du courtizan, ou agreste: Car c'est la fable d'Oreste, Qui ne s'acheve jamais. Le tonneau Dïogenique, Le gros sourcy Zenonique, Et l'ennemy de ses yeux, Cela ne me deïfie: La gaye philosophie D'Aristippe me plaist mieulx. Celuy en vain se travaille, Soit en terre, ou soit qu'il aille Où court l'avare marchant, Qui fasché de sa presence, Pour trouver la suffisence, Hors de soy la va cherchant. Macrin, pandant qu'à Ivrée Dessus ta lyre enyvrée Du nectar Aönien, Tu refredones la gloire, Qui consacre à la memoire Ton Mecenas, et le mien: Ma Muse, qui se pourmeine Par Anjou, et par le Meine, A faict ce discours plaisant: Ryant les erreurs du monde, Où en raison je me fonde, Le sage contrefaisant. VII. Les deux Marguerites Sus, ma Lyre, desormais Chante plus doulx que jamais L'une et l'autre Marguerite: Ce sont les deux fleurs d'eslite, Où il fault cuillir le miel Des chansons dignes du ciel. Jadis les Dieux transformoient En astres ceulx qu'ilz aimoient, Et si les vers sont croyables, Les campagnes pitoyables Grosses de sang, et de pleurs Enfantoient les belles fleurs. Le ciel, qui donne ses lois Soubz le sceptre de Valois, A mis au rang des planettes Les plus ardentes et nettes Tous les rameaux bienheureux De ce Tige planteureux. Là, est l'honneur d'Angoumois Charles, et le grand François, François, et Charles encores, Deux feuz, qui eclairent ores Tout ainsi que les flambeaux Des freres qui sont jumeaux. Ilz luyzent d'ordre là hault, Et si des mortelz il chault A ceux là qui plus ne meurent, Noz Rois, qui au ciel demeurent, Ne rejectent pas les veuz De leurs enfans et neveuz. Du sang que j'ay tant loué, Qui des Dieux est avoué, Deux belles fleurs sont venues: L'une vole sur les nues Qui a le ciel eclaircy, Et l'autre florist icy. Ce dyamant, que voilà, Est frere de cestuy-là; Ces rozes s'appellent rozes, Ces deux fleurettes declozes, Qui se ressemblent ainsi, Ont ung mesme nom aussi. Ne me vantez plus, ô Grecz, De Narcisse les regrez, Ny la fleur de ses pleurs née: Ny l'ardeur Apollinée, Hyacint', dont le malheur Fist naistre une rouge fleur. Ne me vantez plus aussi Ny Phebus ny son soucy, Ny la fleur Adonienne, Ny la Telamonienne, Ny celles par qui Junon Aquist de mere le nom. Ne me vantez le sejour Qui voit revivre le jour, Où du marinier sont quises Les Marguerites exquises: De la France le bonheur Surmonte l'Indique honneur. Sus donc, ô François espris, Donnez l'honneur et le pris A la Marguerite saincte: Faictes de sa mort complaincte, Par qui les avares cieux Ont ravy tout nostre mieux. Dictes comme elle avoit eu L'honneur, l'esprit, la vertu, Qui tout nostre siecle honnore: Et de celle dont encore' Les jours ne sont revoluz, Dictes en autant, ou plus. C'est de mes vers l'ornement: Seule, qui divinement Anime, enhardist, inspire Les bas fredons de ma Lyre: C'est elle, et je sçay combien Mes chansons luy plaisent bien. Si des premiers je n'ay pas Orné le Royal trespas, Aussi ma Muse est trop basse Pour une premiere place: Et qui sçait si les derniers Se feront point les premiers? Les artizans bien subtilz Animent de leurs outilz L'airein, le marbre, le cuyvre: Mais châcun ne peut pas suyvre Si hault et brave argument Comme ung royal monument. Cestuy son sepulchre a bien, Et cestuy cy a le sien: Mais François, dont la memoire, Seule tumbe de sa gloire, Par tout le monde s'etend, Son sepulchre encor' attend. L'edifice elabouré Dont Mausole est honnoré, Les erreurs Dedaliennes, Les poinctes Egyptiennes, Et tout autre oeuvre parfaict, En ung jour ne fut pas faict. Qui a le stile assez hault, Pour epuyser, comme il fault, Une gloire si feconde? Le grand Monarque du monde De tout peintre et engraveur Ne cherchoit pas la faveur. Si me puis-je bien vanter De faire icy rechanter Les trois Angloizes Charites, Qui l'une des Marguerites Portent aux astres plus haulx En deux cents pas inegaulx. Les Dieux de noz biens jaloux T'avoient plantée entre nous, Royale fleur de Navarre, Et puis, d'une main avare T'arrachant de ces bas lieux, Ilz t'ont replantée aux cieux. Là, le chault et la froideur Ne seichent point ta verdeur, Verdeur que tousjours evante Ung Zephyre, qui doulx-vante En ces lieux, où en tout temps On voit rire le printemps. Là, de mile et mile espriz Qui volent par le pourpris, Le ciel, qui sienne t'appelle, Ne voit une ame plus belle: Le ciel ne peut il pas bien Reprendre ce qui est sien? Le ciel t'a reprise donc, Nous laissant d'ung mesme tronc Cete autre Fleur, ta compaigne, Et ta fille, qui se baigne En ce labeur glorieux Qui t'a mise au rang des Dieux. Permette le ciel amy Qu'apres ung siecle et demy La Fleur icy florissante A la Fleur non perissante Puisse voler d'ung prinsault, Pour se rejoindre là hault. Ce pendant nous, qui vivons, Ces doux vers nous escrivons, Affin que de race en race L'immortalité embrasse La non mortelle valeur De l'une et de l'autre Fleur. VIII. Ode au Seigneur des Essars sur le discours de son Amadis Celuy qui vid le premier Avec' sa torche etherée L'embrassement coutumier De Mars et de Cytherée, Ce fut le tout-voyant Dieu, Celuy qui tient le milieu Du choeur Hypocrenien, Dieu par qui fut revelée Cette amour long temps celée Au Feuvre Junonien. Ce Feuvre couvert alors De sueur et de poudriere Doroit ung harnoys de cors A la sçavante Guerriere: Ouvrage laborieux, Où l'ouvrier industrieux Avoit feinct subtilement Les sciences, et les armes, Que sa soeur docte aux alarmes Favorize egalement. Mais la honte, et le desdain, Qui luy domtent le courage, Luy font oublier soudain Cet ingenieux ouvrage. Lors de ses plus fins outilz Il forge les nez subtilz Attachez à clouds d'aymant, Dont la mesme Jalouzie, Si on croit la poëzie, Lia l'ung et l'autre amant. Ayant dressé ses appaz, Il sort de son domicile, Tournant feintement ses paz Aux fournaizes de Secile: Où les braz acoustumez Des Cyclopes enfumez Coup sur coup vont martelant, D'une tenaille mordente Retournant la masse ardente Du tonnerre etincelant. Là ce vieillart Lemnien Feint d'aller à l'heure, à l'heure, Pour donner au Thracien L'oportunité meilleure: Puis avecques ung long tour Celant son traistre retour Pour surprendre l'estranger, Ce sot jaloux delibere Par ung plus grand vitupere Sa grande honte vanger. A peine ce Dieu boyteux Avoit la porte passée, Et jà l'amant convoyteux Tenoit sa dame embrassée: Et pressant l'ivoyre blanc, Or' la cuysse, ores le flanc, Or' l'estomac luy serroit, Cueillant à levres desclozes L'ame, qui parmy les rozes Entre deux langues erroit. Jà-jà le feu ravissant Des doulces flammes cruëlles D'ung long soupir languissant Humoit leurs tiedes moëlles: Et voicy de toutes pars Mile petiz neuds espars, Dont les deux amans lacez Plus fort s'estraignent et lient, Que les vignes ne se plient Sur les ormes embrassez. Pres du lict, qui gemissoit, Tesmoing d'ung si doulx martyre, Le jaloux se tappissoit, Mordant ses deux levres, d'ire. Puis courant deçà delà, En sa chambre il appella Toute la trouppe des Dieux, Et palissant de colere Leur montra cet adultere, Joyeuse fable des cieux. Mars paizible à cete fois, Fronçant le hault de sa face, Remachoit à base vois Je ne sçay quelle menace. Venus d'ung regard piteux Tenoit en bas l'oeil honteux, Et de ses beaux doigts poliz En vain mignardant sa force, Çà et là cacher s'efforce Et les rozes, et les lyz. Celuy qui a veu le tour De l'yraigne mesnagere, Filant ses rez à l'entour De la mouche passagere, Il a veu Mars et Venus Enchainez à membres nuds, Et Vulcain guignant au près De son embusche yraigneuze, Qui la couple vergongneuze Alloit serrant de si pres. Alors les plus renfrongnez De la bande Olympienne Soudain s'en sont eslongnez D'une ire Saturnienne. Mais quelqu'ung des moins facheux Voyant ces folastres jeux, Se sent chatouiller le coeur, Et en souriant desire D'apprester ainsi à rire A l'injurieux moqueur. Celuy qui chanta jadis En sa langue Castillane Les proesses d'Amadis Et les beautez d'Oriane, Par les siecles envieux D'ung sommeil oblivieux Jà s'en alloit obscurci, Quand une plume gentile De cete fable subtile Nous a l'obscur eclerci. C'est le Phebus des Essars, Lumiere Parizienne, Qui nous montre le dieu Mars Joint avec' la Cyprienne: Chantant sous plaisant discours Les armes et les amours D'ung stile aussi violant, Lors qu'il tonne les alarmes, Comme aux amoureuses larmes Il est doulcement coulant. Si de ce brave suject On goute bien l'artifice On y verra le project De maint royal edifice: Qui tesmoigne le grand heur De la Françoise grandeur. Là, se peut encores voir Maint siege, mainte entreprise, Ou celuy qui en devise Jadis a faict son devoir. Là, se voit du grand François La foy constante, et loyale, Ses faictz, sa grandeur, ançois Sa posterité royale: Dont l'ung, qui tient en sa main L'heur du monarque Romain, De la France est gouverneur, L'autre, tesmoing de sa race, Porte escrit dessus sa face Des Princesses tout l'honneur. Là, ce gentil artizan Nous montre au vif: quel doit estre Le prince, le courtizan, Le sertiteur et le maistre: Combien d'ung fort bataillant Peut le courage vaillant: Quel est ou l'heur, ou malheur D'une entreprise amoureuse, Et la chanse malheureuse D'ung injuste querelleur. Qui du cygne Dorien Le vol immiter desire, D'ung ozer Icarien Se joint des ailes de cire. Et celuy se geynne en vain Après ce doulx ecrivain, Qui s'efforce d'egaler (Soit que les armes il vante, Soit que les amours il chante) Le sucre de son parler. Vous, que les Dieux ont esleuz Pour combatre l'ignorance, Et dont les escriz sont leuz Des voisins de nostre France, Donnez à cetuy l'honneur, Qui les faict par son bonheur De nostre langue apprentiz: Langue, qui estoit bornée Du Rhin, et du Pyrenée, Des Alpes, et de Thetis. Peut estre aussi que les ans Apres ung long et long âge Par estrangers courtizans Brouilleront nostre langage: Adonques la purité De sa doulce gravité Se pourra trouver icy. Du Grec la veine feconde Et la Romaine faconde Revivent encor' ainsi. Quel esprit tant sourcilleux Contemplant la Thebaïde, Ou le discours merveilleux De l'immortelle Eneïde, Se plaint que de ces autheurs Les poëmes sont menteurs? Ainsi l'Aveugle divin Nous faict voir sous feint ouvrage D'ung guerrier le fort courage Et l'esprit d'ung homme fin. Des poëtiques espris L'utile et doulce escriture Comprent ce qui est compris Au ciel et en la nature. Les Roys sont les argumens De leurs divins monumens: Et si nous montrent encor' Le beau, l'honneste, l'utile, Avec' ung plus docte stile Que Chrysipe ne Crantor. Mais je souhaite souvent D'estre banny jusqu'au More, Ou que la fureur du vent Me pousse jusq'à l'Aurore: Quand j'oy bruyre quelque fois Du peuple l'indocte vois, Ou quand j'escoute les criz De ces pourceaux d'Epicure, Qui en despit de Mercure Grongnent aux doctes escriz. L'ung plaint la contagion De la jeunesse abuzée: L'autre, la religion Par noms payens deguizée. Cetui-cy fort elegant Va ung songer alligant: Cetuy-là trop rigoreux Approuve l'edict d'Auguste, Et le bannissement juste De l'Artizan amoureux. Vous les diriez, tant ilz sont D'une hayneuze nature, Qu'avecques Tymon ilz ont Jadis pris leur nourriture. Caton semble dissolu A cetuy là, qui a leu Dessus leur front Curien: Du reste, je m'en raporte Au tesmoignage que porte Leur ventre Epicurien. Puis ces graves enseigneurs D'une effrontée assurance Se prennent aux grands Seigneurs, Les accusant d'ignorance. Mesmes leurs cler-voyans yeux Se monstrent tant curieux, Que d'abaisser leurs edictz Jusq'aux simples damoizelles, Et aux cabinetz de celles Qui lizent nostre Amadis. Si le Harpeur ancien, Qui perdit deux fois sa femme, Corrumpit l'air Thracien D'une furieuse flamme: Pourtant nous n'avons appris D'avoir l'amour à mespris Dont la saincte ardeur nous poingt, Non celle desnaturée Qui de Venus ceincturée Les lois ne recongnoist point. Mais pourquoy se sent blessé Par nostre façon d'escrire Celuy qui a tout laissé Fors son vice de mesdire? Lequel pour se deffacher, Voulant (ce semble) attacher Or' cetuy, ores celuy, Par ne sçay queles sornettes Faict ung present de sonnettes A qui moins est fol que luy. Si est ce, que le japper De telz indoctes volumes N'a le pouvoir de coupper L'aile aux bien-volantes plumes: Qui sous ung argument feint Nous ont si vivement peint Toutes noz affections, L'honneur, la vertu, le vice, La paix, la guerre, et l'office Des humaines actions. Or entre les mieux appris Le choeur des Muses ordonne Qu'à Herberay soit le pris De la plus riche couronne: Pour avoir si proprement De son propre acoutrement Orné l'Achille Gaulloys, Dont la douceur allechante Donne à celuy qui le chante Le nom d'Homere François. Si j'avoy' l'archet divin De la harpe Ronsardine, Le bas fredon Angevin Diroit la gloire Essardine: Neantmoins tel que je suis, Je la diray, si je puis, Non icy tant seulement, Mais en cent papiers encore, Afin que son bruit decore Le mien eternellement. IX. Au Seign. Rob. de la Haye pour Estrene Ores, que l'an dispos, Qui tourne sans repos Par une mesme trace, Nous figure en son rond Du Pere au double front Et l'une et l'autre face: Amy, pour toy je veulx En poëtiques voeux De la nouvelle année Le jour solennizer, Afin d'eternizer Nostre amour nouveau-née. Je t'offriroy les dons, Qui feurent les guerdons, Des plus vaillans de Grece: Ou l'or malicieux, Qui tenteroit les yeux D'une chaste Lucrece: Je t'offriroy encor' L'ambicieux thezor, Que le marchant avare Au plus près du matin Pille pour son butin Au rivage barbare: Mais tant, et tant de biens, Que je desire tiens, Ne sont en ma puissance: Et l'avare soucy N'apauvrist point aussi Ta riche suffisance. Si ma main eust acquis Le sçavoir tant exquis D'un Lysippe, ou Apelle, Tu devrois au pinceau, Au marbre et au cizeau Ta louange plus belle. Je n'oubliroy icy Ton Sybilet aussi Dont le docte artifice Nous rechante si bien Du Roy Mycenien Le triste sacrifice. Mais la Muse, et les Dieux Ne t'ont faict studieux D'une peincture morte, Et puis contre le tems En mes vers tu attens Une image plus forte. Mais que dy-je, en mes vers? Les tiens, qui l'univers Rempliront de leur gloire, Sur le marbre des cieux Engraveront trop mieux Le vif de ta memoire. Tes phaleuces tant doulx, Qui coulent entre nous Mile graces infuses, De nous sont adorez, Pour estre redorez Du plus fin or des Muses. Tu vyvrois par les sons De plus haultes chansons, Si je sçavois eslire L'inimitable vois Que le grand Vandomoys Accorde sur sa lyre. Quelz parfaicts artisans N'ont bien donné dix ans Au rond de leur science? Qui veult ravir le pris, Doit estre bien appris Par longue experience. X. Estrène à D. M. de la Haye Je fay present de fleurettes descloses A Flore mesme, et à Venus de rozes: Quand par ces vers peu florissans j'essaye Faire florir la florissante Haye: Qui par l'hyver de son âge touchée Comme ces fleurs, ne se verra seichée: Mais florira trop mieux que la couronne De son printems, qui maintenant fleuronne. Excusez donq' ma puissance peu haulte, Immitant ceux qui n'ayans de rien faulte Prennent en gré l'humble present des hommes. Mesmes le Dieu de ce mois où nous sommes, Clavier de l'an, qui rien plus ne demande Que miel, et palme, et figues pour offrande. Le coeur sans plus les Deïtez contente: Et c'est le don, lequel je vous presente. XI. Ode Pastorale à Ung Sien Amy Bergers couchez à l'envers, A l'ombre des saules verds: Bergers, qui au près des ondes Du Clain lentement fuyant Arrestez le cours oyant De ses Nymfes vagabondes, Desmanchez voz chalumeaux, Et dictes à ces ormeaux, A ces antres et fontaines: N'escoutez plus noz chansons, Ni ces ruisseaux, ny leurs sons, Enfans des roches haultaines: Mais oyez le son divin Du chalumeau Poictevin, Renouvelant la memoire Du pasteur Sicilien, Et du grand Italien La vive et durable gloire. N'a gueres nostre Berger, Traversant d'ung pié leger Le doz chenu des montaignes, R'amena les doctes Soeurs, Abreuvant de leurs doulceurs Les Poictevines campaignes. C'est luy premier des bergers, Qui dedaignant les dangers De l'envieuse ignorance, A ses vers osta le frain, Les faisant d'ung libre train Galloper parmy la France. Ses vers de fureur guydez, Comme fleuves desbridez, D'une audacieuse fuyte Noz campaignes vont foulant, Mais les ruisseaux vont coulant Tousjours d'une mesme suyte. O qu'ilz ont tardé souvent Et les ondes et le vent, Quand les Nymphes Poictevines Et les Dieux aux piedz de bouc Trepignoient dessoubz le joug De ses cadanses divines! Mais bien les troupeaux barbuz, Oyant des sommes herbuz Ses aubades nompareilles, Ont faict mile et mile saux, Et les plus lourds animaux En ont chauvy des oreilles. Ainsi le grand Thracien, De son luc musicien Tiroit les pierres oyantes, Les fleuves esmerveillez, Et des chesnes oreillez Les testes en bas ployantes. Heureux Berger desormais, Tu seras pour tout jamais L'honneur des champs et des prées, L'honneur des petiz ruisseaux, Des bois, et des arbrisseaux, Et des fontaines sacrées: Pour sonner si bien tes vers Sur les chalumeaux divers, Dont la doulceur esprouvée Aux oreilles de bon goust Coule plus doulx que le moust De la premiere cuvée. L'amour se nourrist de pleurs, Et les abeilles de fleurs: Les prez ayment la rozée, Phoebus ayme les neuf Soeurs, Et nous aymon' les doulceurs Dont ta Muse est arrousée. Ores ores il te fault Avec ung style plus hault Poulser la royale plaincte Jusqu'aux oreilles des Roys, Sacrant du pré Navarroys La fleur nouvellement saincte. Ainsi l'Arcadique Dieu Te favorize en tout lieu, Et tes brebis camuzettes: Ainsi à toy seulement Demeure eternellement L'honneur des vieilles muzettes. XII. A Salm. Macrin Par ung tumbeau Arthemize honnora Et son Mauzole, et sa gloire, qui dure Au monument de la vie escriture, Non en celuy que l'art elaboura. Son coeur ardent le corps mort adora, Luy erigeant du sien vif sepulture: Mais la saison defist l'architecture, L'autre cercueil, la mort le devora. Tes vers, Macrin, bruslans d'amour semblable, Ta Gelonis font plus emerveillable Au seul tumbeau de l'immortalité. De ces deux là, reste ung peu de memoire: De cestuy-cy la plus durable gloire Ne craint la mort, ny la posterité. XIII. Sonnetz de l'honneste amour I Comme en l'object d'une vaine peincture Je repaissoy' plus l'esprit que le coeur, A contempler du celeste vainqueur La non encor' bien comprise nature, Je projetoy' sou' feincte couverture Les premiers traicts de sa doulce rigueur, Mieux figurant le mort de sa vigueur Qu'imaginant le vif de sa poincture: Quand les saincts voeuz de mon humble vouloir Ne feurent mis du tout en nonchaloir Au Paradis du Dieu de ma victoire, Où de sa main ce divin guerdonneur M'a consacré prestre de son Honneur, Pour y chanter les hymnes de sa gloire. II Ce ne sont pas ces beaux cheveux dorez, Ny ce beau front, qui l'honneur mesme honnore, Ce ne sont pas les deux archets encore' De ces beaux yeux de cent yeux adorez: Ce ne sont pas les deux brins colorez De ce coral, ces levres que j'adore, Ce n'est ce teinct emprunté de l'Aurore, Ny autre object des coeurs enamourez: Ce ne sont pas ny ces lyz, ny ces rozes, Ny ces deux rancz de perles si bien closes, C'est cet esprit, rare present des cieux, Dont la beauté de cent graces pourvëue Perce mon ame, et mon coeur, et mes yeux Par les rayons de sa poignante vëue. III Je ne me plaing' de mes yeux trop expers, Ny de mon coeur trop leger à les croyre, Puis qu'en servant à si haulte victoire Ma liberté si franchement je pers. Amour, qui void tous mes secrez ouvers, Me faict penser au grand heur de ma gloire, Lors que je peins au tableau de Memoire Vostre beauté, le seul beau de mes vers. Mais si ce beau ung fol dezir m'apporte, Vostre vertu plus que la beauté, forte, Le coupe au pié: et veult qu'un plus grand bien Prenne en mon coeur une accroissance pleine: Ou autrement, que je n'attende rien De mon amour, fors l'amour de la peine. IV Une froydeur secretement brulante Brule mon corps, mon esprit, ma raizon, Comme la poix anime le tyzon Par une ardeur lentement violente. Mon coeur tiré d'une force allechante Dessou' le joug d'une franche prizon, Boit à longs traicts l'aigre-doulce poyzon, Qui tous mes sens heureusement enchante. Le premier feu de mon moindre plaizir Faict halleter mon alteré dezir: Puis de noz coeurs la celeste Androgyne Plus sainctement vous oblige ma foy: Car j'ayme tant cela que j'ymagine, Que ne puis aymer ce que je voy. V Ce Paradis, qui souspire le bâsme, D'une angelique et saincte gravité M'ouvre le ryz, mais bien le Deïté, Où mon esprit divinement se pâsme. Ces deux soleilz, deux flambeaux de mon âme, Pour me rejoindre à la Divinité, Perçent l'obscur de mon humanité Par les rayons de leur jumelle flâme. O cent fois donq et cent fois bienheureux L'heureux aspect de mon Astre amoureux! Puis que le ciel voulut à ma naissance Du plus divin de mes affections Par l'allambic de voz perfections Tirer d'Amour une cinquiesme essence. VI Quand je suis près de la flamme divine, Où le flambeau d'Amour est allumé, Mon sainct dezir sainctement emplumé Jusq'au tiers ciel d'un prin-vol m'achemine. Mes sens ravyz d'une doulce rapine Laissent leur corps de grand ayze pasmé, Comme le Sainct des douze mieux aymé, Qui repoza sur la saincte poitrine. Ainsi l'esprit dedaignant nostre jour Court, fuyt, et vole en son propre sejour Jusques à tant que sa divine dextre Haulse la bride au folastre dezir Du serviteur, qui pres de son plaizir Sent quelquefois l'absence de son maistre. VII Le Dieu bandé a desbandé mes yeux, Pour contempler celle beauté cachée Qui ne se peut, tant soit bien recherchée, Representer en ung coeur vicieux. De son autre arc doucement furieux La poincte d'or justement descochée Au seul endroict de mon coeur s'est fichée, Qui rend l'esprit du corps victorieux. Le seul dezir des beautez immortelles Guynde mon vol sur ses divines ailes Au plus parfaict de la perfection. Car le flambeau, qui sainctement enflamme. Le sainct brazier de mon affection, Ne darde en bas les saints traiz de sa flamme. VIII Non autrement que la Prestresse folle, En grommelant d'une effroyable horreur, Secoüe en vain l'indomtable fureur Du Cynthien, qui brusquement l'afolle: Mon estomac gros de ce Dieu qui vole, Espoüanté d'une aveugle terreur Se faict rebelle à la divine erreur, Qui brouille ainsi mon sens et ma parole. Mais c'est en vain: car le Dieu, qui m'estrainct, De plus en plus m'eguillonne et contrainct De le chanter, quoy que mon coeur en gronde. Chantez le donq, chantez mieux que devant, O vous mes vers! qui volez par le monde, Comme fueillars esparpillez du vent. IX L'aveugle Enfant, le premier né des Dieux, D'une fureur sainctement eslancée Au vieil Caos de ma jeune pensée Darda les traicts de ses tou'-voyans yeux: Alors mes sens d'ung discord gracieux Furent liez en rondeur ballencée, Et leur beauté d'ordre egal dispensée Conceut l'esprit de la flamme des cieux. De voz vertuz les lampes immortelles Firent briller leurs vives estincelles Par le voulté de ce front tant serain: Et ces deux yeux d'une fuyte suyvie Entre les mains du Moteur souverain Firent mouvoir la sphere de ma vie. X J'ay entassé moimesme' tout le bois, Pour allumer celle flâme immortelle, Par qui mon âme avecques plus haulte aile Se guinde au ciel, d'ung egal contre-pois. Jà mon esprit, jà mon coeur, jà ma vois, Jà mon amour conçoit forme nouvelle D'une beauté plus parfaictement belle Que le fin or epuré par sept fois. Rien de mortel ma langue plus ne sonne: Jà peu à peu moimesme' j'abandonne, Par cete ardeur, qui me faict sembler tel Que se monstroit l'indomté filz d'Alcméne, Qui dedaignant nostre figure huméne, Brula son corps, pour se rendre immortel. XI Pour affecter des Dieux le plus grand heur, Et pour avoir, ô sacrilege audace! Sou' le mortel d'une immortelle grace Idolatré une saincte grandeur: Pour avoir pris de la celeste ardeur Ce qui de moy toute autre flâme chasse, Je sen' mon corps tout herissé de glace Contre le roc d'une chaste froideur. L'aveugle oyzeau, dont la perçante flâme S'afile aux rayz du soleil de mon âme, Aguize l'ongle, et le bec ravissant Sur les dezirs dont ma poictrine est pleine, Rongeant mon coeur, qui meurt en renaissant, Pour vivre au bien et mourir à la peine. XII La docte main, dont Minerve eust appris, Main dont l'yvoire en cinq perles s'allonge, C'est, ô mon coeur! la lyme qui te ronge, Et le rabot qui polist mes escris. Les chastes yeux, qui chastement m'ont pris, Soit que je veille, ou bien soit que je songe, Ardent la nuict de mon oeil, qui se plonge Au centre, où tend le rond de mes espris. L'esprit divin, et la divine grace De ce parler, qui du harpeur de Thrace Eust le ennuiz doulcement enchantez, Vous ont donné la voix inusitée Dont (ô mes vers) sainctement vous chantez Le tout-divin de vostre Pasithée. XIII Puis que la main de la saige nature Bastit ce corps, des graces le sejour, Pour embellir le beau de nostre jour De plus parfaict de son architecture: Puis que le ciel trassa la protraiture De cet esprit, qui au ciel faict retour, Habandonnant du monde le grand tour Pour se rejoindre à sa vive peincture: Puis que le Dieu de mes affections Y engrava tant de perfections, Pour figurer en cete carte peinte L'astre bening de ma fatalité, J'appen' ce voeu à l'immortalité Devant les pieds de vostre image saincte. XIV. L'adieu aux muses pris du latin de Buccanan L'adieu aux muses Pris du latin de Buccanan Adieu, ma Lyre, adieu les sons De tes inutiles chansons. Adieu la source, qui recrée De Phebus la tourbe sacrée. J'ay trop perdu mes jeunes ans En voz excercices plaisans: J'ay trop à voz jeuz asservie La meilleure part de ma vie. Cherchez, mes vers, et vous aussi, O Muses, jadis mon souci! Qui à voz doulceurs nompareilles Se laisse flatter les oreilles. Cherchez qui sou' l'oeil de la nuyt, Enchanté par vostre doulx bruit, Avec' les Nymphes honnorées Danse au bal des Graces dorées. Vous trompez, ô mignardes Soeurs! La jeunesse par voz douceurs: Qui fuit le Palais, pour elire Les vaines chansons de la Lyre. Vous corrompez les ans de ceux Qui sou' l'ombrage paresseux Laissent languir efeminée La force aux armes destinée. L'hyver, qui naist sur leur printens, Voulte leur corps devant le tens: Devant le tems l'avare Parque Les pousse en la fatale barque. Leur teinct est tousjours palissant. Leur corps est tousjours languissant. De la mort l'efroyable image Est tousjours peinte en leur visage. Leur plaisir traine avecques luy Tousjours quelque nouvel ennuy: Et au repos, où ilz se baignent, Mile travaux les accompaignent. Le miserable pïonnier Ne dort d'un sommeil prisonnier: Le nocher au milieu de l'onde Sent le commun repos du monde: Le dormir coule dans les yeux Du laboureur laborieux: La mer ne sent tousjours l'orage: Les vens appaizent leur courage. Mais toy sans repos travaillant, Apres Caliope baillant, Quel bien, quel plaisir as tu d'elle, Fors le parfun d'une chandelle? Tu me sembles garder encor' Les chesnes se courbans sou' l'or, Et les pommes mal attachées, Par les mains d'Hercule arrachées. Jamais le jour ne s'est levé Si matin, qu'il ne t'ayt trouvé Resvant dessus tes Poëzies Toutes poudreuses et moizies. Souvent, pour ung vers allonger, Il te fault les ongles ronger: Souvent d'une main courroussée L'innocente table est poussée. Ou soit de jour, ou soit de nuyt, Cete rongne tousjours te cuyt: Jamais cete humeur ne se change: Tousjours le style te demange. Tu te distiles le cerveau Pour faire ung poëme nouveau: Et puis ta Muse est deprizée Par l'ignorance authorizée. Pendant, la mort qui ne dort pas, Haste le jour de ton trespas: Adonques en vain tu t'amuses A ton Phebus, et à tes Muses. Le Serpent, qui sa queue mord, Nous tire tous après la mort. O fol, qui haste les années, Qui ne sont que trop empennées! Ajouste à ces malheurs ici De pauvreté le dur souci: Pesant fardeau, que tousjours porte Des Muses la vaine cohorte: Ou soit que tu ailles sonnant Les batailles d'un vers tonnant: Ou soit que ton archet accorde Un plus doulx son dessus ta chorde: Soit qu'au thëatre ambicieux Tu montres au peuple ocieux Les malheurs de la tragedie, Ou les jeuz de la comedie. Sept villes de Greces ont debat Pour l'autheur du Troyen combat: Mais le chetif, vivant, n'eut onques Ny maison ny païs quelquonques. Tytire pauvre et malheureux Regrete ses champs planteureux: Le pauvre Stace à peine evite De la faim l'importune suyte. Ovide au Getique sejour, Faché de la clarté du jour, De son bannissement accuse Ses yeux, ses livres et sa Muse. Mesmes le Dieu musicien Sur le rivage Amphrisien D'Admete les boeufz mena paistre Et conta le troppeau champestre. Mais fault-il, pour les vers blâmer, Nombrer tous les floz de la mer? Et toute l'arene roulante Sur le pavé d'une eau coulante? Malheureux, qui par l'univers Jeta la semence des vers: Semence digne qu'on evite Plus que celle de l'aconite. Malheureux, que Melpomené Veid d'un bon oeil, quand il fut né: Luy inspirant dès sa naissance De son sçavoir la congnoissance. Si le bonheur est plus amy De celuy qui n'a qu'à demy Des doctes Soeurs l'experience, O vaine, et ingrate science! Heureux et trois, et quatre fois Le sort des armes et des lois: Heureux les gros sourcils encore' Que le peuple ignorant adore. Toy, que les Muses ont eleu, De quoy te sert-il d'estre leu, Si pour tout le gaing de ta peine Tu n'a qu'une louange vaine? Tes vers sans fruict, laborieux, Te font voler victorieux Par l'esperance, qui te lie L'esprit d'une doulce folie. Tes ans, qui coulent ce pandant, Te laissent tousjours attendant: Et puis ta vieillesse lamente Sa pauvreté, qui la tormente: Pleurant d'avoir ainsi perdu Le tems au livres despandu, Et d'avoir semé sur l'arene De ses ans la meilleure grene. Donne congé, toy qui es fin, Au cheval qui vieillist, afin Que pis encor' ne luy advienne, Et que poussif il ne devienne. Que songe'tu? le lendemain Du corbeau n'est pas en ta main. Sus donq', la chose commencée Est plus qu'à demy avancée. Malheureux, qui est arresté De vieillesse, et de pauvreté. Vieillesse, où pauvreté abonde, C'est la plus grand' peste du monde. C'est le plaisir que vous sentez, O pauvres cerveaux evantez! C'est le profit qui vient de celles Que vous nommez les neuf Pucelles. Heureuses nymphes, qui vivez Par les forestz, où vous suyvez La saincte Vierge chasseresse, Fuyant des Muses la paresse, Soit donq' ma Lyre ung arc turquois: Mon archet devienne ung carquois: Et les vers, que plus je n'adore, Puissent traictz devenir encore'. S'il est ainsi, je vous suivray, O nymphes! tant que je vivray: Laissant dessus leur double croppe Des muses l'ocieuse troppe. COELO MUSA BEAT Source: http://www.poesies.net