Poésie Et Sculpture. TABLE DES MATIERES. François-Marie Voltaire. (Arouet) (1694-1778): A Monsieur Pigalle. Victor Hugo. (1802-1885): Le Temple. Victor Hugo. (1802-1885): Deux Voix Dans Le Ciel. Victor Hugo. (1802-1885): Les Sept Merveilles Du Monde. Victor Hugo. (1802-1885): Au Statuaire David. Théodore Weustenraad. (1805-1849): A La Statue De La Patrie. (1846) Théophile Gautier. (1811-1872): Contralto. Théophile Gautier. (1811-1872): L'Art. Théophile Gautier. (1811-1872): LA Vierge De Tolède. Théophile Gautier. (1811-1872): Cariatides. Leconte De Lisle. (1818-1894): Sur Deux Groupes Du statuaire E. Christophe. Leconte De Lisle. (1818-1894): La Venus De Milo. (1846) Charle Baudelaire. (1821-1867): Le Masque. Henry Murger. (1822-1861): Pygmalion. (1844) Henry Murger. (1822-1861): Si tu veux être la madone... Théodore De Banville. (1823-1891): Sculpteur, cherche avec soin... Albert Mérat. (1840-1909): A m’avouer pour son amant... José-Maria De Heredia. (1842-1905): Jason Et Médée. Charles Cros. (1842-1888): La Dame En Pierre. Charles Cros. (1842-1888): Chanson Des Sculpteurs. Paul Verlaine. (1844-1896): Statue Pour Tombeau. Jean Richepin. (1849-1926): Vieille Statue. Emile Verhaeren. (1855-1916): La Statuette. Jules Laforgue. (1860-1887): Sur L’Hélène De Gustave Moreau. Henri De Régnier. (1864-1936): Les Statues. Lucie Delarue-Mardrus. (1868-1949): A Une Petite Statue Chaldéo-Assyrienne Que J'ai. Renée Vivien. (1877-1909): A qui m'interroge... Blanche Lamontagne. (1889-1958): Un Maître Ornemaniste. Robert Desnos. (1900-1945): La Clairière. A Monsieur Pigalle, Sculteur, Chargé Par Le Roi De Faire Les Statues Du Maréchal De Saxe ET De Voltaire. François-Marie Voltaire. (Arouet) (1694-1778) Le roi connaît votre talent: Dans le petit et dans le grand Vous produisez oeuvre parfaite: Aujourd'hui, contraste nouveau, Il veut que votre heureux ciseau Du héros descende au trompette. Le Temple. Victor Hugo. (1802-1885) Moïse pour l'autel cherchait un statuaire; Dieu dit: -Il en faut deux;-et dans le sanctuaire Conduisit Oliab et Béliséel. L'un sculptait l'idéal et l'autre le réel. Deux Voix Dans Le Ciel. (Extrait) Victor Hugo. (1802-1885) . . . . . . . . . . . . Zénith. Athène! ô murs sacrés! Beauté! Chefs-d' oeuvre! Exemples! Strophes du statuaire écrites sur les temples! Michel-Ange, à genoux tu les étudias. Raphaël effaré contemple Phidias; les profonds bas-reliefs, pleins d' une vie étrange, devant le demi-dieu font frissonner l' archange. ô sourire éternel des frontons dans l' azur! Sous ce mur immortel qu' a ciselé l' art pur, les générations comme des fleuves roulent; turcs et vénitiens et bavarois s' écoulent; les siècles, bûcherons qui s' acharnent en vain, comparent, convoqués par le sculpteur divin devant le Parthénon mutilé comme un arbre, l' humanité d' argile à l' olympe de marbre. Salut à Phidias! XII. Les Sept Merveilles Du Monde. Victor Hugo. (1802-1885) Des voix parlaient; pour qui? Pour l'espace sans bornes, Pour le recueillement des solitudes mornes, Pour l'oreille, partout éparse, du désert; Nulle part, dans la plaine où le regard se perd, On ne voyait marcher la foule aux bruits sans nombre, Mais on sentait que l'homme écoutait dans cette ombre. Qui donc parlait? C'étaient des monuments pensifs, Debout sur l'onde humaine ainsi que des récifs, Calmes, et chacun d'eux semblait un personnage Vivant, et se rendant lui-même témoignage. Nulle rumeur n'osait à ces voix se mêler, Et le vent se taisait pour les laisser parler, Et le flot apaisait ses mystérieux râles. Un soleil vague au loin dorait les frontons pâles. Les astres commençaient à se faire entrevoir Dans l'assombrissement religieux du soir. I LE TEMPLE D'ÉPHÈSE. Et l'une de ces voix, c'était la voix d'un temple, Disait: -Admirez-moi! Qui que tu sois, contemple; Qui que tu sois, regarde et médite, et reçois À genoux mon rayon sacré, qui que tu sois; Car l'idéal est fait d'une étoile, et rayonne; Et je suis l'idéal. Troie, Argos, Sicyone, Ne sont rien près d'éphèse, et l'envieront toujours, Ô peuple, éphèse ayant mon ombre sur ses tours. Éphèse heureuse dit: «Si j'étais Delphe ou Thèbe, «On verrait flamboyer sur mes dômes l'érèbe, «Mes oracles feraient les hommes soucieux; «Si j'étais Cos, j'irais forgeant les durs essieux; «Si j'étais Tentyris, sombre ville du rêve, «Mes pâtres, fronts sacrés en qui le ciel se lève, «Regarderaient, à l'heure où naît le jour riant, «Les constellations, penchant sur l'Orient, «Verser dans l'infini leurs chariots pleins d'astres; «Si j'étais Bactria, j'aurais des Zoroastres; «Si j'étais Olympie en Élide, mes jeux «Montreraient une palme aux lutteurs courageux, «Les devins combattraient chez moi les astronomes, «Et mes courses, rendant les dieux jaloux des hommes, «Essouffleraient le vent à suivre Coroebus; - «Mais à quoi bon chercher tant d'inutiles buts, «Ayant, que l'aube éclate ou que le soir décline, «Ce temple ionien debout sur ma colline, «Et pouvant faire dire à la terre: c'est beau!» Et ma ville a raison. Ainsi qu'un escabeau Devant un trône, ainsi devant moi disparaissent Les Parthénons fameux que les rayons caressent; Ils sont l'effort, je suis le miracle. À celui Qui ne m'a jamais vu, le jour n'a jamais lui. Ma tranquille blancheur fait venir les colombes; Le monde entier me fête, et couvre d'hécatombes, Et de rois inclinés, et de mages pensifs, Mes grands perrons de jaspe aux clous d'argent massifs. L'homme élève vers moi ses mains universelles. Les éphèbes, portant de sonores crécelles, Dansent sur mes parvis, jeunes fronts inégaux; Sous ma porte est la pierre où Deuxippe d'Argos S'asseyait, et d'Orphée expliquait les passages; Mon vestibule sert de promenade aux sages, Parlant, causant, avec des gestes familiers, Tour à tour blancs et noirs dans l'ombre des piliers. Corinthe en me voyant pleure, et l'art ionique Me revêt de sa pure et sereine tunique. Le mont porte en triomphe à son sommet hautain L'épanouissement glorieux du matin, Mais ma beauté n'est point par la sienne éclipsée, Car le soleil n'est pas plus grand que la pensée; Ce que j'étais hier, je le serai demain; Je vis, j'ai sur mon front, siècles, l'esprit humain, Et le génie, et l'art, ces égaux de l'aurore. La pierre est dans la terre; âpre et froide, elle ignore; Le granit est la brute informe de la nuit, L'albâtre ne sait pas que l'aube existe et luit, Le porphyre est aveugle et le marbre est stupide; Mais que Ctésiphon passe, ou Dédale, ou Chrespide, Qu'il fixe ses yeux pleins d'un divin flamboiement Sur le sol où les rocs dorment profondément, Tout s'éveille; un frisson fait remuer la pierre; Lourd, ouvrant on ne sait quelle trouble paupière, Le granit cherche à voir son maître, le rocher Sent la statue en lui frémir et s'ébaucher, Le marbre obscur s'émeut dans la nuit infinie Sous la parenté sombre et sainte du génie, Et l'albâtre enfoui ne veut plus être noir; Le sol tressaille, il sent là-haut l'homme vouloir; Et voilà que, sous l'oeil de ce passant qui crée, Des sourdes profondeurs de la terre sacrée, Tout à coup, étageant ses murs, ses escaliers, Sa façade et ses rangs d'arches et de piliers, Fier, blanchissant, cherchant le ciel avec sa cime, Monte et sort lentement l'édifice sublime, Composé de la terre et de l'homme, unissant Ce que dans sa racine a le chêne puissant Et ce que rêve Euclide aidé de Praxitèle, Mêlant l'éternel bloc à l'idée immortelle! Mon frontispice appuie au calme entablement Ses deux plans lumineux inclinés mollement, Si doux qu'ils semblent faits pour coucher des déesses; Parfois, comme un sein nu sous l'or des blondes tresses, Je me cache parmi les nuages d'azur; Trois sculpteurs sur ma frise, un volsque, Albus d'Anxur, Un mède, Ajax de Suze, un grec, Phtos de Mégare, Ont ciselé les monts où la meute s'égare, Et la pudeur sauvage, et les dieux de la paix, Des Triptolèmes nus parmi les blés épais, Et des Cérès foulant sous leurs pieds des Bellones; Cent-vingt-sept rois ont fait mes cent vingt-sept colonnes; Je suis l'art radieux, saint, jamais abattu; Ma symétrie auguste est soeur de la vertu; Mon resplendissement couvre toute la Grèce; Le rocher qui me porte est rempli d'allégresse, Et la ville à mes pieds adore avec ferveur; Sparte a reçu sa loi de Lycurgue rêveur, Mantinée a reçu sa loi de Nicodore, Athènes, qu'un reflet de divinité dore, De Solon, grand pasteur des hommes convaincus, La Crète de Minos, Locres de Séleucus, Moi, le temple, je suis législateur d'Éphèse; Le peuple en me voyant comprend l'ordre et s'apaise; Mes degrés sont les mots d'un code, mon fronton Pense comme Thalès, parle comme Platon, Mon portique serein, pour l'âme qui sait lire, A la vibration pensive d'une lyre, Mon péristyle semble un précepte des cieux; Toute loi vraie étant un rhythme harmonieux, Nul homme ne me voit sans qu'un dieu l'avertisse; Mon austère équilibre enseigne la justice; Je suis la vérité bâtie en marbre blanc; Le beau, c'est, ô mortels, le vrai plus ressemblant; Venez donc à moi, foule, et, sur mes saintes marches, Mêlez vos coeurs, jetez vos lois, posez vos arches; Hommes, devenez tous frères en admirant; Réconciliez-vous devant le pur, le grand, Le chaste, le divin, le saint, l'impérissable; Car, ainsi que l'eau coule et comme fuit le sable, Les ans passent, mais moi je demeure; je suis Le blanc palais de l'aube et l'autel noir des nuits; Quand l'aurore apparaît, je ris, doux édifice; Le soir, l'horreur m'emplit; un sombre sacrifice Semble en mes profondeurs muettes s'apprêter; De derrière mon faîte, on voit la nuit monter Ainsi qu'une fumée avec mille étincelles. Tous les oiseaux de l'air m'effleurent de leurs ailes, Hirondelles, faisans, cigognes au long cou; Mon fronton n'a pas plus la crainte du hibou Que Calliope n'a la crainte de Minerve. Tous ceux que Sybaris voluptueuse énerve N'ont qu'à franchir mon seuil d'austérité vêtu Pour renaître, étonnés, à la forte vertu; Sous ma crypte en entend chuchoter la sibylle; Parfois, troublé soudain dans sa brume immobile, Le plafond, où des mots de l'ombre sont écrits, Tremble à l'explosion tragique de ses cris; Sur ma paroi secrète et terrible, l'augure Du souriant Olympe entrevoit la figure, Et voit des mouvements confus et radieux De visages qui sont les visages des dieux; De vagues aboiements sous ma voûte se mêlent; Et des voix de passants invisibles s'appellent; Et le prêtre, épiant mon redoutable mur, Croit par moments qu'au fond du sanctuaire obscur, Assise près d'un chien qui sous ses pieds se couche, La grande chasseresse, éclatante et farouche, Songe, ayant dans les yeux la lueur des forêts. Ô temps, je te défie. Est-ce que tu pourrais Quelque chose sur moi, l'édifice suprême? Un siècle sur un siècle accroît mon diadème; J'entends autour de moi les peuples s'écrier: Tu nous fais admirer et tu nous fais prier; Nos fils t'adoreront comme nous t'adorâmes, Chef-d'oeuvre pour les yeux et temple pour les Âmes! II LES JARDINS DE BABYLONE. Une deuxième voix s'éleva; celle-ci, Dans l'azur par degrés mollement obscurci, Parlait non loin d'un fleuve à la farouche plage, Et cette voix semblait le bruit d'un grand feuillage: -Gloire à Sémiramis la fatale! Elle mit Sur ses palais nos fleurs sans nombre où l'air frémit. Gloire! en l'épouvantant elle éclaira la terre; Son lit fut formidable et son coeur solitaire; Et la mort avait peur d'elle en la mariant. La lumière se fit spectre dans l'Orient, Et fut Sémiramis. Et nous, les arbres sombres Qui, tandis que les toits s'écroulent en décombres, Grandissons, rajeunis sans cesse et reverdis, Nous que sa main posa sur ce sommet jadis, Nous saluons au fond des nuits cette géante; Notre verdure semble une ruche béante Où viennent s'engouffrer les mille oiseaux du ciel; Nos bleus lotus penchés sont des urnes de miel; Nos halliers, tout chargés de fleurs rouges et blanches, Composent, en mêlant confusément leurs branches, En inondant de gomme et d'ambre leurs sarments, Tant d'embûches, d'appeaux et de pièges charmants, Et de filets tressés avec les rameaux frêles, Que le printemps s'est pris dans cette glu les ailes, Et rit dans notre cage et ne peut plus partir. Nos rosiers ont l'air peints de la pourpre de Tyr; Nos murs prodigieux ont cent portes de cuivre; Avril s'est fait titan pour nous et nous enivre D'âcres parfums qui font végéter le caillou, Vivre l'herbe, et qui font penser l'animal fou, Et qui, quand l'homme vient errer sous nos pilastres, Font soudain flamboyer ses yeux comme des astres; Les autres arbres, fils du silence hideux, Ont la terre muette et sourde au-dessous d'eux; Nous, transplantés dans l'air, plus haut que Babylone Pleine d'un peuple épais qui roule et tourbillonne, Et de pas, et de chars par des buffles traînés, Nous vivons au niveau du nuage, étonnés D'entendre murmurer des voix sous nos racines; Le voyageur qui vient des campagnes voisines Croit que la grande reine au bras fort, à l'oeil sûr, A volé dans l'éden ces forêts de l'azur. Le rayon de midi dans nos fraîcheurs s'émousse; La lune s'assoupit dans nos chambres de mousse; Les paons ouvrent leur queue éblouissante au fond Des antres que nos fleurs et nos feuillages font; Plus d'une nymphe y songe, et dans nos perspectives Parfois se laissent voir des nudités furtives; La ville, nous ayant sur sa tête, va, vient, Se parle et se répond, querelle, s'entretient, Travaille, achète, vend, forge, allume ses lampes; Le vent, sur nos plateaux et sur nos longues rampes, Mêle l'horizon vague et les murs et les toits Et les tours au frisson vertigineux des bois, Et nos blancs escaliers, nos porches, nos arcades Flottent dans le nuage écumant des cascades; Sous nos abris sacrés, nul bruit ne les troublant, Vivent le martinet, l'ibis, le héron blanc Qui porte sur le front deux longues plumes noires; L'air ride nos bassins, inquiètes baignoires Où viennent s'apaiser les pâles voluptés; Des boeufs à face humaine, à nos portes sculptés, Témoignent que Belus est le seul roi du monde; À de certains endroits notre ombre est si profonde Que la nuit en montant aux cieux n'y change rien; Nous avons vu grandir le trône assyrien; Nos troncs, contemporains des anciens jours de l'homme, Ont vu le premier arbre et la première pomme, Et, vieux, ils sont puissants, et leurs antiques fûts Ont des rameaux si durs, si noueux, si touffus, Et d'un balancement si noir, que le zéphyre Épuisé s'y fatigue et ne peut leur suffire; Et leur vaste branchage est fait d'un tel granit Qu'il faudrait l'ouragan pour y bercer un nid. Gloire à Sémiramis qui posa nos terrasses Sur des murs que vient battre en vain le flot des races Et sur des ponts dont l'arche est au-dessus du temps! Cette reine parfois, sous nos rameaux flottants, Venait rire entre deux écroulements d'empires; Elle abattait au loin les rois moindres ou pires, Puis s'en allait ayant l'homme jusqu'aux genoux, Et venait respirer contente parmi nous; Gaie, elle se couchait sur des peaux de panthère; Quels lieux, quels champs, quels murs, quels palais sur la terre, Hors nous, ont entendu rire Sémiramis? Nous, les arbres hautains, nous étions ses amis; Nos taillis ont été les parvis et les salles Où s'épanouissaient ses fêtes colossales; C'est dans nos bras, que n'a jamais touchés la faulx, Que cette reine a fait ses songes triomphaux; Nos parfums ont parfois conseillé des supplices; De ses enivrements nos fleurs furent complices; Nos sentiers n'ont gardé qu'une trace, son pas. Fils de Sémiramis, nous ne périrons pas; Ce qu'assembla sa main, qui pourrait le disjoindre? Nous regardons le siècle après le siècle poindre; Nous regardons passer les peuples tour à tour; Nous sommes à jamais, et jusqu'au dernier jour, Jusqu'à ce que l'aurore au front des cieux s'endorme, Les jardins monstrueux pleins de sa joie énorme. III LE MAUSOLÉE. Une troisième voix dit: -Sésostris est grand; Cadmus est sur la terre un homme fulgurant; Comme Typhon cent bras, Cyrus a cent batailles; Ochus, portant sa hache aux profondes entailles, Du Taurus fièrement garde l'âpre ravin; Hécube est sainte; Achille est terrible et divin; Il semble, après Thésée, Astyage, Alexandre, Que l'homme trop grandi ne peut plus que descendre; La calme majesté revêt Belochus trois; Xercès, de Salamine assiégeant les détroits, Ressemble à l'aquilon des mers; Penthésilée A sur son dos la peau d'une bête étoilée, Et, superbe, apparaît tendant son arc courbé; Didon, Sémiramis, Thalestris, Niobé, Resplendissent parmi les profondeurs sereines; Mais entre tous ces rois, entre toutes ces reines, Reines au sceptre d'or qu'admire un peuple heureux, Rois vainqueurs ou bénis, se disputant entr'eux Ces fiers surnoms, le grand, le beau, le fort, le juste, Artémise est sublime et Mausole est auguste. Je suis le monument du coeur démesuré; La mort n'est plus la mort sous mon dôme azuré; Elle est splendide, elle est prospère, elle est vivante; Elle a tant de porphyre et d'or qu'elle s'en vante; Je suis le deuil triomphe et le tombeau palais; Oh! tant qu'on chantera ce chant: -Oublions-les, Vivons, soyons heureux! -aux morts gisant sous terre; Tant que les voluptés riront près du mystère; Tant qu'on noiera ses deuils dans les vins décevants, Moi l'édifice sombre et superbe, ô vivants, Je jetterai mon ombre à vos joyeux visages; Jusqu'à la fin des ans, jusqu'au terme des âges, Jusqu'à ce que le temps, las, demande à s'asseoir, Mes cippes, mes piliers, mes arcs, l'aube et le soir Découpant sur le ciel mes frontons taciturnes Où des colosses noirs rêvent, portant des urnes, Mon bronze glorieux et mon marbre sacré Diront: Mausole est mort, Artémise a pleuré. Les siècles, vénérable et triomphante épreuve, À jamais en passant verront la grande veuve Assise sur mon seuil, fantôme saint et doux; Elle attend le moment d'aller, près de l'époux, Se coucher dans le lit de la noce éternelle; Elle pare son front d'ache et de fraxinelle, Et se parfume afin de plaire à son mari; Elle tient un miroir qui n'a jamais souri, Et se met des anneaux aux doigts, et sous ses voiles Peigne ses longs cheveux d'où tombent des étoiles. IV LE JUPITER OLYMPIEN. Quand cette voix se tut, à Pise, près de là, Du haut d'une acropole une autre voix parla: -Je suis l'Olympien, je suis le Musagète; Tout ce qui vit, respire, aime, pense et végète, Végète, pense, vit, aime et respire en moi; L'encens monte à mes pieds mêlé d'un vague effroi; L'angle de mon sourcil touche à l'axe du monde; La tempête me parle avant de troubler l'onde; Je dure sans vieillir, j'existe sans souffrir; Je ne sais qu'une chose impossible, mourir. J'ai sur mon front, que l'ombre en reculant adore, La bandelette bleue et rose de l'aurore. Ô mortels effrénés, emportés, hagards, fous, L'urne des jours me lave en vous noircissant tous; À mesure qu'au fond des nuits et sous la voûte Du temps d'où l'instant suinte et tombe goutte à goutte, Les siècles, partant l'un après l'autre, s'en vont, Ainsi que des oiseaux volant sous un plafond, Hébé plus fraîche rit en mes hautes demeures; Ma jeunesse renaît sous le baiser des heures; J'empêche, en abaissant mon sceptre lentement Vers le trou monstrueux plein du triple aboîment, Cerbère de saisir les astres dans sa gueule; La chaîne du destin immuable peut seule Meurtrir ma main égale à tout l'effort des dieux; Mon temple offre son mur au nid mélodieux; Et c'est du vol de l'aigle et du vol de la foudre, C'est du cri de l'enfer tremblant de se dissoudre, C'est du choc convulsif des groupes des typhons, C'est du rassemblement des nuages profonds, Que le vieux Phidias d'Athènes, statuaire, Composa, dans l'horreur sainte du sanctuaire, L'immense apaisement de ma sérénité. Quand, dans le saint poean par les mondes chanté, L'harmonie amoindrie avorte ou dégénère, Je rends le rhythme aux cieux par un coup de tonnerre; Mon crâne plein d'échos, plein de lueurs, plein d'yeux, Est l'antre éblouissant du grand Pan radieux; En me voyant on croit entendre le murmure De la ville habitée et de la moisson mûre, Le bruit du gouffre au chant de l'azur réuni, L'onde sur l'océan, le vent dans l'infini, Et le frémissement des deux ailes du cygne; On sent qu'il suffirait à Jupiter d'un signe Pour mêler sur le front des hommes le chaos; Que seul je mets la bride aux bouches des fléaux, Que l'abîme est mon hydre, et que je pourrais faire Heurter le pôle au pôle et l'étoile à la sphère, Et rouler à flots noirs les nuits sur les clartés, Et s'entre-regarder les dieux épouvantés, Plus aisément qu'un pâtre au flanc hâlé ne jette Une pierre aux chevreaux broutant sur le Taygète. V LE PHARE. Les nuages erraient dans les souffles des airs, Et la cinquième voix monta du bord des mers: -Sostrate Gnidien regardait les étoiles. De la tente des cieux dorant les larges toiles, Elles resplendissaient dans le nocturne azur; Leur rayonnement calme emplissait l'éther pur Où le soir le grand char du soleil roule et sombre; Elles croisaient, au fond des clairs plafonds de l'ombre Où le jour met sa pourpre et la nuit ses airains, Leurs choeurs harmonieux et leurs groupes sereins; Le sinistre océan grondait au-dessous d'elles; L'onde à coups de nageoire et les vents à coups d'ailes Luttaient, et l'âpre houle et le rude aquilon S'attaquaient dans un blême et fauve tourbillon; Éole fou prenait aux cheveux Neptune ivre; Et c'était la pitié du songeur que de suivre Les pauvres nautoniers de son oeil soucieux; Partout piége et naufrage; il tombait de ces cieux Sur l'esquif et la barque et les fortes trirèmes Une foule d'instants terribles ou suprêmes; Et pas une clarté pour dire: Ici le port! Le gouffre, redoublant de tourmente et d'effort, Vomissait sur les nefs, d'horreur exténuées, Toute son épouvante et toutes ses nuées; Et les brusques écueils surgissaient; et comment S'enfuir dans ce farouche et noir déchirement? Et les marins perdus se courbaient sous l'orage; La mort leur laissait voir, comme un dernier mirage, La terre s'éclipsant derrière les agrès, Les maisons, les foyers pleins de tant de regrets, Des fantômes d'enfants à genoux, et des rêves De femmes se tordant les bras le long des grèves; On entendait crier de lamentables voix: -Adieu, terre! patrie, adieu! collines, bois, Village où je suis né, vallée où nous vécûmes! ... - Et tout s'engloutissait dans de vastes écumes, Tout mourait; puis le calme, ainsi que le jour naît, Presque coupable et presque infâme, revenait; Le ciel, l'onde, achevaient en concert leur mêlée; L'hydre verte laissait luire l'hydre étoilée; L'océan se mettait, plein de morts, teint de sang, À gazouiller ainsi qu'un enfant innocent; Cependant l'algue allait et venait dans les chambres Des navires roulant au fond de l'eau leurs membres; Les bâtiments noyés rampaient au plus profond Des flots qui savent seuls dans l'ombre ce qu'ils font. Tristes esquifs partis, croyant aux providences! Et les sphères menaient dans le ciel bleu leurs danses; Et, n'ayant pu montrer ni le port ni l'écueil, Ni préserver la nef de devenir cercueil, Les constellations, jetant leur lueur pâle Jusqu'au lit ténébreux de la grande eau fatale, Et sous l'onde, et parmi les effrayants roseaux, Dessinant la figure obscure des vaisseaux, Poupes et mâts, débris des sapins et des ormes, Éclairaient vaguement ces squelettes difformes, Et faisaient sous l'écume, au fond du gouffre amer, Rire aux dépens des dieux les monstres de la mer. Les morts flottaient sous l'eau qui jamais ne s'arrête, Et par moments, levant hors de l'onde la tête, Ils semblaient adresser, dans leurs vagues réveils, Une question sombre et terrible aux soleils. C'est alors que, des flots dorant les sombres cimes, Voulant sauver l'honneur des Jupiters sublimes, Voulant montrer l'asile aux matelots, rêvant Dans son Alexandrie, à l'épreuve du vent, La haute majesté d'un phare inébranlable À la solidité des montagnes semblable, Présent jusqu'à la fin des siècles sur la mer, Avec du jaspe, avec du marbre, avec du fer, Avec les durs granits taillés en tétraèdres, Avec le roc des monts, avec le bois des cèdres, Et le feu qu'un titan a presque osé créer, Sostrate Gnidien me fit, pour suppléer, Sur les eaux, dans les nuits fécondes en désastres, À l'inutilité magnifique des astres. VI LE COLOSSE DE RHODES. Et ceci dans l'espace était à peine dit Qu'une voix du côté de Rhodes s'entendit: -Mon nom, Lux; ma hauteur, soixante-dix coudées; Ma fonction, veiller sur les mers débordées; Le vrai phare, c'est moi. Rhode est sous mon orteil. Devant la fixité de mes yeux sans sommeil, L'hiver blanchit les monts où le milan séjourne, Le zodiaque vaste et formidable tourne, L'homme vit, l'océan roule, les matelots Débarquent sur les quais les sacs et les ballots, Le jour luit, l'ouragan s'endort ou s'exaspère, Et, gardien de l'eau bleue en son brumeux repaire, Sentinelle que nul ne viendra relever, Je regarde la nuit venir, l'aube arriver, La voile fuir, le flot hurler comme un molosse, Avec la rêverie immense du colosse. Ô tristes mers, l'airain c'est l'immobilité; L'airain, ô large gouffre à jamais agité, C'est la victoire; il sort de la forge géante; Il a Vulcain pour père, ou Lysippe, ou Cléanthe, Ou Phidias; il sort, fier, vivant; après quoi, Il monte au piédestal comme à son trône un roi, Et s'empare du temps et de la solitude; Et l'airain, c'est le calme, ô vaste inquiétude. Lui l'immuable, il fut à son heure orageux; Dans tes fixes écueils, dans tes rapides jeux, Tu ne lui montres rien, ô mer, qu'il ne connaisse; Il t'égale en durée, il t'égale en jeunesse; Il a rongé la cuve ainsi que toi les ports; Étant le bronze, il est rocher comme tes bords, Et flot comme ton onde, ayant été la lave. Il est du piédestal le triomphal esclave, Et le piédestal morne et soumis est son chien. Le ciel auteur de tout, du mal comme du bien, Amalgame, construit, veut, rejette, préfère, Et seul crée, et seul fait ce que l'homme croit faire; Le ciel, -sans demander si c'est à l'immortel Ou si c'est au tyran qu'on élève un autel, Sans s'informer à qui la foule prostitue Ou consacre l'airain, le marbre, la statue, - Anime l'ouvrier, fondeur ou forgeron, Et sur le moule obscur, béant comme un clairon, Où l'artiste sculpta Cécrops ou Polyphonte, Penche et fait basculer les chaudières de fonte; Eh bien, ce ciel sacré, pur, jamais endormi, Qui donne au combattant le cheval pour ami, Au laboureur le boeuf ruminant dans l'étable, Ô mer, c'est lui qui veut que, saint et respectable, Le bronze soit formé d'or, de cuivre et d'étain; Comme un sage, envoyé pour vaincre le destin, Étant la souveraine et grande conscience, Est composé de foi, d'honneur, de patience; L'un affronte les ans, et l'autre les bourreaux; Et le ciel fait l'airain comme il fait le héros. C'est ainsi que je fus créé comme un athlète; Aujourd'hui ta colère énorme me complète, Ô mer, et je suis grand sur mon socle divin De toute ta grandeur rongeant mes pieds en vain; Nu, fort, le front plongé dans un gouffre de brume, Enveloppé de bruit et de grêle et d'écume Et de nuits et de vents qui se heurtent entr'eux, Je dresse mes deux bras vers l'éther ténébreux, Comme si j'appelais à mon aide l'aurore; Mais il se tromperait s'il croit que je l'implore, Le matin passager et court du jour changeant; Le soleil large et chaud et la lune d'argent Pour mon sourcil profond ne sont que des fantômes; L'étincelle des cieux, l'étincelle des chaumes, Étoile ou paille, sont pour moi de la lueur; La goutte de l'orage est ma seule sueur; Je ne suis jamais las; et, sans que je me courbe, Vainqueur, je sens frémir sous moi l'abîme fourbe. Parfois l'aigle, évadé du désert nubien, Au-dessus de mon front plane, et me dit: C'est bien. Stable, plus que le gouffre éternel mais mobile, Plus que les peuples, plus que l'astre, plus que l'île, Je regarde errer l'eau, l'ombre, l'homme, et Délos; J'ai sous mes yeux l'amas mystérieux des flots, Image des humains, des songes et des nombres; Le vaisseau convulsif passe entre mes pieds sombres; Le mât frissonnant bat ma cuisse ou mon genou; Et l'on voit s'engouffrer, fuyant l'aquilon fou, Sous l'arc prodigieux de mes jambes ouvertes, La flotte qui revient du fond des ondes vertes. Ma droite élève au loin sur ma tête un flambeau; La tempête, vautour, le naufrage, corbeau, Viennent autour de moi s'abattre, et mon visage Les effraie, et devient sévère à leur passage; Le salut me connaît, moi le grand chandelier, Ainsi que le chameau connaît le chamelier, Le char Automédon et l'esquif Palinure; De même que la scie agrandit la rainure, La proue en me voyant fend l'eau plus fièrement; Comme une fille craint son redoutable amant, La mer au sein lascif, cette prostituée, A peur de m'apporter quelque barque tuée; Et le flot, dont le pli roule un pauvre nocher, En s'approchant de moi, tâche de le cacher; Je suis le dieu cherché par tout ce qui chancelle Sur le frémissement de l'onde universelle; Le naufragé m'invoque en embrassant l'écueil; La nuit je suis cyclope, et le phare est mon oeil; Rouge comme la peau d'un taureau qu'on écorche, La ville semble un rêve aux lueurs de ma torche; Pour les marins perdus, c'est l'aurore qui point; Et je règne; et le gouffre inquiet ne sait point S'il doit japper de joie ou rugir de colère Quand, jusqu'aux profondeurs les plus mornes, j'éclaire L'immense tremblement de l'horizon confus. Tais-toi, mer! Je serai toujours ce que je fus. Car il ne se peut pas qu'en ma sombre aventure J'aie à combattre rien dans toute la nature De plus fort que ton flot terrible dont je ris; Car il ne se peut pas, ô gouffre aux tristes cris, Qu'après avoir fondu les briques des fournaises, Après s'être roulé sur la pourpre des braises, Après avoir lassé les soufflets haletants, Mon fauve airain soit tendre aux morsures du temps; Que moi qui brave, roi des vagues éblouies, Le ruissellement vaste et farouche des pluies, Moi qui l'été, l'hiver, me dresse sans savoir Si la bourrasque est dure et si l'orage est noir, Qui vois l'éclair à peine, ayant pour ordinaire D'émousser sur ma peau de bronze le tonnerre, Je sois vaincu, détruit, aboli, ruiné, Par l'heure, égratignure au sein blanc de Phryné; Que jamais rien m'ébranle, et que, parce qu'il passe Des astres au zénith, des zéphyrs dans l'espace, Mes muscles, enviés par le granit souvent, Se déforment ainsi qu'une nuée au vent; Et qu'une vaine année arrivant acharnée, Et rapide, et prodigue, après une autre année, Une saison venant après une saison, Janvier remplaçant mai dans le vague horizon, En soufflant sur les nids et sur les fleurs, dissipe L'ouvrage de Charès, élève de Lysippe. Je suis là pour jamais; lève les yeux et vois Sur ton front le colosse, ô mer aux rudes voix! Que m'importe! rugis, tonne, éclabousse, gronde, Je suis enraciné dans le crâne du monde, Comme le mont Ossa, comme le mont Athos; Et la seule statue ayant deux piédestaux, C'est moi; je brave Hadès et je vaincrai Saturne; On m'a nommé Soleil, mais le bronze est nocturne; Vulcain forgea de l'ombre et fit l'airain; j'ai beau Jeter sur l'océan le frisson d'un flambeau, J'ai beau porter au poing une flamme qui guide L'homme, battu des mers, dans cette nuit liquide, Autour de moi, sur l'île et sur l'eau, clair miroir, L'aube a beau resplendir, je suis le géant noir; J'ai la durée obscure et lourde des ténèbres; Je sens l'énigme en moi liée à mes vertèbres, Et Pan mystérieux met sa force en mes reins; Je vis; les ténébreux sont aussi les sereins; Puissant, je suis tranquille; et la terre âpre ou blonde, Le bouleversement tumultueux de l'onde, Les races succédant aux races, les tribus Et les peuples changeant de lois, de moeurs, de buts, La transformation lente des destinées, La déroute effarée et sombre des années, Tous les êtres du globe ou du bleu firmament, Entrant, sortant, flottant, surgissant, s'abîmant, Sur mon front, qui domine et la vague et la plage, Sont de la vision, mais ne sont pas de l'âge; Les siècles sont pour moi, colosse, des instants; Et, tant qu'il coulera des jours des mains du temps, Tant que poussera l'herbe et tant que vivra l'homme, Tant que les chars pesants et les bêtes de somme Marcheront sur la plaine, usant les durs pavés, Mes deux pieds écartés et mes deux bras levés, Devant la mer qui vient, s'enfle, approche et recule, Devant l'astre, devant le pâle crépuscule, Sembleront au passant vers ces rochers venu Le grand X de la nuit debout dans l'inconnu. VII LES PYRAMIDES. Et, comme dans un choeur les strophes s'accélèrent, Toutes ces voix dans l'ombre obscure se mêlèrent. Les jardins de Bélus répétèrent: -Les jours Nous versent les rayons, les parfums, les amours; Le printemps immortel, c'est nous, nous seuls; nous sommes La joie épanouie en roses sur les hommes. - Le mausolée altier dit: -Je suis la douleur; Je suis le marbre, auguste en sa sainte pâleur; Cieux! je suis le grand trône et le grand mausolée; Contemplez-moi. Je pleure une larme étoilée. -La sagesse, c'est moi, dit le phare marin; -Je suis la force, dit le colosse d'airain; Et l'olympien dit: -Moi, je suis la puissance. Et le temple d'Éphèse, autel que l'âme encense, Fronton qu'adore l'art, dit: -Je suis la beauté. -Et moi, cria Chéops, je suis l'éternité. Et je vis, à travers le crépuscule humide, Apparaître la haute et sombre pyramide. Superposant au fond des espaces béants Les mille angles confus de ses degrés géants, Elle se dressait, blême et terrible, étagée De plus de plis brumeux que l'âpre mer Égée, Et sur ses flots, jamais par le vent secoués, Avait au lieu d'esquifs les siècles échoués. Elle était là, montagne humaine; et sa stature, Monstrueuse, donnait du trouble à la nature; Son vaste cône d'ombre éclipsait l'horizon; Les troupeaux des vapeurs lui laissaient leur toison; Le désert sous sa base était comme une table; Elle montait aux cieux, escalier redoutable D'on ne sait quelle entrée étrange de la nuit; Son bloc fatal semblait de ténèbres construit; Derrière elle, au milieu des palmiers et des sables, On en voyait surgir deux autres, formidables; Mais, comme les coteaux devant le Pélion, Comme les lionceaux à côté du lion, Elles restaient en bas, et ces deux pyramides Semblaient près de Chéops petites et timides; Au-dessus de Chéops planaient, allant, venant, Jetant parfois de l'ombre à tout un continent, Des aigles effrayants ayant la forme humaine; Et des foules sans nom éparses dans la plaine, Dans de vagues cités dont on voyait les tours, S'écriaient, chaque fois qu'un de ces noirs vautours Passait, hérissé, fauve et sanglant, dans la bise: -Voilà Cyrus! Voilà Rhamsès! Voilà Cambyse! - Et ces spectres ailés secouaient dans les airs Des lambeaux flamboyants de lumière et d'éclairs, Comme si, dans les cieux, faisant à Dieu la guerre, Ils avaient arraché des haillons au tonnerre. Chéops les regardait passer sans s'émouvoir. Un brouillard la cachait tout en la laissant voir; L'obscure histoire était sur ses marches gravée; Les sphinx dans ses caveaux déposaient leur couvée; Les ans fuyaient, les vents soufflaient; le monument Méditait, immobile et triste, et, par moment, Toute l'humanité, comme une fourmilière, Satrape au sceptre d'or, prêtre au thyrse de lierre, Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants, Était subitement visible sur ses flancs Dans quelque déchirure immense des nuées. Tout flottait sur sa base en ombres dénouées; Et Chéops répéta: -Je suis l'éternité. Ainsi parlent, le soir, dans la molle clarté, Ces monuments, les sept étonnements de l'homme. La nuit vient, et s'étend d'Elinunte à Sodome, Ouvrant son aile où vont s'endormir tour à tour L'onde avec son rocher, la ville avec sa tour; Elle élargit sa brume où le silence pèse; Les voix et les rumeurs expirent; tout s'apaise, Tout bruit s'éteint, à Rhode, en Élide, au Delta, Tout cesse... Au Statuaire David. Victor Hugo. (1802-1885) I David! comme un grand roi qui partage à des princes Les états paternels provinces par provinces, Dieu donne à chaque artiste un empire divers; Au poète le souffle épars dans l'univers, La vie et la pensée et les foudres tonnantes, Et le splendide essaim des strophes frissonnantes Volant de l'homme à l'ange et du monstre à la fleur; La forme au statuaire; au peintre la couleur; Au doux musicien, rêveur limpide et sombre, Le monde obscur des sons qui murmure dans l'ombre. La forme au statuaire! -Oui, mais, tu le sais bien, La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien. Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée! Il faut que, sous le ciel, de soleil inondée, Debout sous les flambeaux d'un grand temple doré, Ou seule avec la nuit dans un antre sacré, Au fond des bois dormants comme au seuil d'un théâtre, La figure de pierre, ou de cuivre, ou d'albâtre, Porte divinement sur son front calme et fier La beauté, ce rayon, la gloire, cet éclair! Il faut qu'un souffle ardent lui gonfle la narine, Que la force puissante emplisse sa poitrine, Que la grâce en riant ait arrondi ses doigts, Que sa bouche muette ait pourtant une voix! Il faut qu'elle soit grave et pour les mains glacée, Mais pour les yeux vivante, et, devant la pensée, Devant le pur regard de l'âme et du ciel bleu, Nue avec majesté comme Adam devant Dieu! Il faut que, Vénus chaste, elle sorte de l'onde, Semant au loin la vie et l'amour sur le monde, Et faisant autour d'elle, en son superbe essor, Partout où s'éparpille et tombe en gouttes d'or, L'eau de ses longs cheveux, humide et sacré voile, De toute herbe une fleur, de tout oeil une étoile! Il faut, si l'art chrétien anime le sculpteur, Qu'avec le même charme elle ait plus de hauteur; Qu'Âme ailée, elle rie et de Satan se joue; Que, Martyre, elle chante à côté de la roue; Ou que, Vierge divine, astre du gouffre amer, Son regard soit si doux qu'il apaise la mer! II Voilà ce que tu sais, ô noble statuaire! Toi qui dans l'art profond, comme en un sanctuaire, Entras bien jeune encor pour n'en sortir jamais! Esprit, qui, te posant sur les plus purs sommets Pour créer ta grande oeuvre, où sont tant d'harmonies, Près de la flamme au front de tous les fiers génies! Voilà ce que tu sais, toi qui sens, toi qui vois! Maître sévère et doux qu'éclairent à la fois, Comme un double rayon qui jette un jour étrange, Le jeune Raphaël et le vieux Michel-Ange! Et tu sais bien aussi quel souffle inspirateur Parfois, comme un vent sombre, emporte le sculpteur, Âme dans Isaïe et Phidias trempée, De l'ode étroite et haute à l'immense épopée! III Les grands hommes, héros ou penseurs, -demi-dieux! - Tour à tour sur le peuple ont passé radieux, Les uns armés d'un glaive et les autres d'un livre, Ceux-ci montrant du doigt la route qu'il faut suivre, Ceux-là forçant la cause à sortir de l'effet; L'artiste ayant un rêve et le savant un fait; L'un a trouvé l'aimant, la presse, la boussole, L'autre un monde où l'on va, l'autre un vers qui console; Ce roi, juste et profond, pour l'aider en chemin, A pris la liberté franchement par la main; Ces tribuns ont forgé des freins aux républiques; Ce prêtre, fondateur d'hospices angéliques, Sous son toit, que réchauffe une haleine de Dieu, A pris l'enfant sans mère et le vieillard sans feu, Ce mage, dont l'esprit réfléchit les étoiles, D'Isis l'un après l'autre a levé tous les voiles; Ce juge, abolissant l'infâme tombereau, A raturé le code à l'endroit du bourreau; Ensemençant malgré les clameurs insensées, D'écoles les hameaux et les coeurs de pensées, Pour nous rendre meilleurs ce vrai sage est venu; En de graves instant cet autre a contenu, Sous ses puissantes mains à la foule imposées, Le peuple, grand faiseur de couronnes brisées; D'autres ont traversé sur un pont chancelant, Sur la mine qu'un fort recelait en son flanc, Sur la brèche par où s'écroule une muraille, Un horrible ouragan de flamme et de mitraille; Dans un siècle de haine, âge impie et moqueur, Ceux-là, poètes saints, ont fait entendre en choeur, Aux sombres nations que la discorde pousse, Des champs et des forêts la voix auguste et douce Car l'hymne universel éteint les passions; Car c'est surtout aux jours des révolutions, Morne et brûlant désert où l'homme s'aventure, Que l'art se désaltère à ta source, ô nature! Tous ces hommes, coeurs purs, esprits de vérité, Fronts où se résuma toute l'humanité, Rêveurs ou rayonnants, sont debout dans l'histoire, Et tous ont leur martyre auprès de leur victoire. La vertu, c'est un livre austère et triomphant Où tout père doit faire épeler son enfant; Chaque homme illustre, ayant quelque divine empreinte, De ce grand alphabet est une lettre sainte. Sous leurs pieds sont groupés leurs symboles sacrés, Astres, lyres, compas, lions démesurés, Aigles à l'oeil de flamme, aux vastes envergures. -Le sculpteur ébloui contemple ces figures! - Il songe à la patrie, aux tombeaux solennels, Aux cités à remplir d'exemples éternels; Et voici que déjà, vision magnifique! Mollement éclairés d'un reflet pacifique, Grandissant hors du sol de moment en moment, De vagues bas-reliefs chargés confusément, Au fond de son esprit, que la pensée encombre, Les énormes frontons apparaissent dans l'ombre! IV N'est-ce pas? c'est ainsi qu'en ton cerveau, sans bruit, L'édifice s'ébauche et l'oeuvre se construit? C'est là ce qui se passe en ta grande âme émue Quand tout un panthéon ténébreux s'y remue? C'est ainsi, n'est-ce pas, ô maître! que s'unit L'homme à l'architecture et l'idée au granit? Oh! qu'en ces instants-là ta fonction est haute! Au seuil de ton fronton tu reçois comme un hôte Ces hommes plus qu'humains. Sur un bloc de Paros Tu t'assieds face à face avec tous ces héros Et là, devant tes yeux qui jamais ne défaillent, Ces ombres, qui seront bronze et marbre, tressaillent. L'avenir est à toi, ce but de tous leurs voeux, Et tu peux le donner, ô maître, à qui tu veux! Toi, répandant sur tous ton équité complète, Prêtre autant que sculpteur, juge autant que poète, Accueillant celui-ci, rejetant celui-là, Louant Napoléon, gourmandant Attila, Parfois grandissant l'un par le contact de l'autre, Dérangeant le guerrier pour mieux placer l'apôtre, Tu fais des dieux! -tu dis, abaissant ta hauteur, Au pauvre vieux soldat, à l'humble vieux pasteur: -Entrez! je vous connais. Vos couronnes sont prêtes. Et tu dis à des rois: -Je ne sais qui vous êtes. V Car il ne suffit point d'avoir été des rois, D'avoir porté le sceptre, et le globe, et la croix, Pour que le fier poète et l'altier statuaire Étoilent dans sa nuit votre drap mortuaire, Et des hauts panthéons vous ouvrent les chemins! C'est vous-mêmes, ô rois, qui de vos propres mains Bâtissez sur vos noms ou la gloire ou la honte! Ce que nous avons fait tôt ou tard nous raconte. On peut vaincre le monde, avoir un peuple, agir Sur un siècle, guérir sa plaie ou l'élargir, - Lorsque vos missions seront enfin remplies, Des choses qu'ici-bas vous aurez accomplies Une voix sortira, voix de haine ou d'amour, Sombre comme le bruit du verrou dans la tour, Ou douce comme un chant dans le nid des colombes, Qui fera remuer la pierre de vos tombes. Cette voix, l'avenir, grave et fatal témoin, Est d'avance penché qui l'écoute de loin. Et là, point de caresse et point de flatterie, Point de bouche à mentir façonnée et nourrie, Pas d'hosanna payé, pas d'écho complaisant Changeant la plainte amère en cri reconnaissant. Non, les vices hideux, les trahisons, les crimes, Comme les dévouements et les vertus sublimes, Portent un témoignage intègre et souverain. Les actions qu'on fait ont des lèvres d'airain. VI Que sur ton atelier, maître, un rayon demeure! Là, dans le silence, l'art, l'étude oubliant l'heure, Dans l'ombre les essais que tu répudias, D'un côté Jean Goujon, de l'autre Phidias, Des pierres, de pensée à demi revêtues, Un tumulte muet d'immobiles statues, Les bustes méditant dans les coins assombris, Je ne sais quelle paix qui tombe des labris, Tout est grand, tout est beau, tout charme et tout domine. Toi qu'à l'intérieur l'art divin illumine, Tu regardes passer, grave et sans dire un mot, Dans ton âme tranquille où le jour vient d'en haut, Tous les nobles aspects de la figure humaine. Comme dans une église à pas lents se promène Un grand peuple pensif auquel un dieu sourit, Ces fantômes sereins marchent dans ton esprit. Ils errent à travers tes rêves poétiques Faits d'ombres et de lueurs et de vagues portiques, Parfois palais vermeil, parfois tombeau dormant, Secrète architecture, immense entassement Qui, jetant des rumeurs joyeuses et plaintives, De ta grande pensée emplit les perspectives, Car l'antique Babel n'est pas morte, et revit Sous les front des songeurs. Dans ta tête, ô David! La spirale se tord, le pilier se projette; Et dans l'obscurité de ton cerveau végète La profonde forêt, qu'on ne voit point ailleurs, Des chapiteaux touffus pleins d'oiseaux et de fleurs! VII Maintenant, -toi qui vas hors des routes tracées, Ô pétrisseur de bronze, ô mouleur de pensées, Considère combien les hommes sont petits, Et maintiens-toi superbe au-dessus des partis! Garde la dignité de ton ciseau sublime. Ne laisse pas toucher ton marbre par la lime Des sombres passions qui rongent tant d'esprits. Michel-Ange avait Rome et David a Paris. Donne donc à ta ville, ami, ce grand exemple Que, si les marchands vils n'entrent pas dans le temple, Les fureurs des tribuns et leur songe abhorré N'entrent pas dans le coeur de l'artiste sacré. Refuse aux cours ton art, donne aux peuples tes veilles, C'est bien, ô mon sculpteur! mais loin de tes oreilles Chasse ceux qui s'en vont flattant les carrefours. Toi, dans ton atelier, tu dois rêver toujours, Et, de tout vice humain écrasant la couleuvre, Toi-même par degrés t'éblouir de ton oeuvre! Ce que ces hommes-là font dans l'ombre ou défont Ne vaut pas ton regard levé vers le plafond Cherchant la beauté pure et le grand et le juste. Leur mission est basse et la tienne est auguste. Et qui donc oserait mêler un seul moment Aux mêmes visions, au même aveuglement, Aux mêmes voeux haineux, insensés ou féroces, Eux, esclaves des nains, toi, père des colosse A La Statue De La Patrie. (1846) Théodore Weustenraad. (1805-1849) Chaque peuple, à son tour, ceindra le diadème. Parmi les monuments élevés par nos pères, Parmi les temples saints, les palais séculaires, Les gigantesques tours au belliqueux beffroi, Mon oeil, noble Statue, en remontant l’histoire, Cherche en vain un trophée adopté par la gloire, Qui parle au coeur plus haut que toi. Tu dédaignas, ô Reine, un piédestal vulgaire; Le Peuple, devançant l’oeuvre du statuaire, T’en fit un, en trois jours, des os de ses martyrs. S’il en est dont l’orgueil occupe plus d’espace, Pour nous, bronze ou granit, aucun ne le surpasse Par la grandeur des souvenirs. Quand, seul, perdu dans l’ombre, à l’heure du silence, Réveillant ton gardien du bruit de ma présence, Mon pas inattendu se heurte à tes tombeaux, Je crois entendre encor gronder par intervalle L’écho sourd du canon dont la voix triomphale Nous annonça des jours nouveaux. Je m’arrête, j’écoute, incliné vers la terre, Ce bruit qui tant de fois a fait pâlir ma mère; J’évoque avec transport un passé loin de nous, Et, secouant le poids d’un présent qui m’accable, Je dis: heureux celui qui dort là sous le sable, Mes frères, à côté de vous! Qu’ils étaient beaux ces jours où la Belgique armée, Par un prince étranger trop longtemps opprimée, Brisa son sceptre d’or au seuil de son palais, Et, debout sur son trône abattu par la hache, Le diadème au front, le front pur et sans tache, Se proclama libre à jamais! Partout flottait encor l’étendard de la guerre, Partout sous nos combats vibrait encor la terre, Quand, suivis de la foule, accourue à leur voix, S’avancèrent les chefs d’une race d’élite Qu’aux jours de sa justice un Dieu vengeur suscite Pour châtier l’orgueil des Rois. Tous, au bord d’une fosse, en priant s’arrêtèrent, Puis le tambour battit, les drapeaux s’inclinèrent, Le peuple agenouillé courba son front pieux, Et le prêtre, debout, élevant la croix sainte, Au nom du Rédempteur bénit trois fois l’enceinte Qui reçut nos futurs aïeux. Le canon répondit par des salves de fête, Et l’on vit se pencher sur la tombe muette Nos jeunes chefs, tribuns au magique renom, Rois d’un jour, dont la voix, au loin déjà célèbre, Promit aux héros morts un monument funèbre, Grand, immortel, comme leur nom. Triomphe! il est fondé. Qu’il garde leur mémoire! Le peuple peut enfin du haut de sa victoire T’admirer, ô Statue, à la face du ciel. Il peut montrer à tous, quand son honneur l’ordonne, Ton socle de granit, plus élevé qu’un trône, Presqu’aussi sacré qu’un autel. Ta sévère beauté, ton paisible courage, De ses moeurs, de sa foi, reflètent bien l’image. Mais tu serais plus belle et plus superbe encor, Si le grand statuaire à qui tu dois la vie N’avait, en te créant, arrêté son génie Au milieu de son libre essor. Pardonne! on dit qu’un jour, ô candeur juvénile, Quand tu dormais encor dans ton berceau d’argile, Le front déjà marqué du sceau de ta grandeur, Un homme, alors puissant, tressaillit à ta vue, Et recula d’effroi devant ta gorge nue, Qu’il fit voiler par la pudeur. Oh! ce n’est pas ton sein, Statue auguste et fière, Qu’il fallait dérober sous un voile de pierre Aux yeux émus d’un peuple heureux de t’admirer; Ton sein, si pur, si chaste, est le sein d’une mère, D’une mère qui peut le montrer à la terre, Sans peur de se déshonorer. Non, c’est ton front plutôt, ton front mâle et sublime, Ton front tout rayonnant d’un orgueil légitime, Mais qui semble aujourd’hui s’obscurcir de nouveau, Ce sont tes yeux surtout, tes yeux sereins et graves, Tes yeux dont un regard brûle le coeur des braves, Qu’il fallait couvrir d’un bandeau. Fidèle alors aux voeux d’un fils qui te révère, L’Art t’aurait épargné, dans ta paisible sphère, De nos tristes débats le spectacle agité, Et tu ne verrais pas tant d’actions honteuses Passer, le front levé, sur les tombes pieuses Où dort ton lion insulté. Non, tu ne verrais pas, dans leur soif de pillage, Tant de vils trafiquants d’un splendide héritage, Tant de vils imposteurs, tous payés pour mentir, S’abattre sur l’État avec des cris de joie, Se partager son or et dévorer leur proie, Mais sans jamais s’en assouvir. Non, tu ne verrais pas siéger dans nos Comices Tant de pâles tribuns tout gangrenés de vices, Qui, d’un mandat sacré trahissant les devoirs, Étalent au grand jour leur chaste indépendance, Et forniquent dans l’ombre, au prix fixé d avance, N’importe! avec tous les pouvoirs. Non, tu ne verrais pas l’honneur de notre armée, Belle, ardente, mais jeune, à peine encor formée, Reposer sur des chefs, fils d’un noble drapeau, Mais dont l’âge a brisé la force inoccupée, Et qui n’ont plus, hélas! gardé de leur épée Que la dragonne et le fourreau. Non, tu ne verrais pas notre infirme noblesse, Parant son ignorance et voilant sa faiblesse De l’orgueil belliqueux d’un blason respecté, S’armer contre le peuple, et, dans nos grandes luttes, Tenter de lui ravir, même après tant de chutes, Son humble part de royauté. Non, tu ne verrais pas le fils de l’industrie, Par le charbon natal la face encor noircie, Parodier des Grands les vices insolents, Et, dans sa vanité prompt à changer d’idole, Renier, sans pudeur, pour un titre frivole, Son nom, ses travaux, ses talents. Non, tu ne verrais pas le prêtre de notre âge S’élancer au Forum dans les instants d’orage, Pour s’atteler au char d’un pouvoir en péril, Et sourd, dans sa démence, aux coups de la tempête, Toujours d’un pas pressé marcher à la conquête De l’échafaud ou de l’exil. Mais ton regard baissé vers des tombes chéries Ne se relève pas au choc de nos folies; Rien ne trouble ta paix ni ta sérénité; Ta bouche implore et prie, et semble, encore émue, Adresser aux martyrs dont l’ombre te salue Les adieux de la liberté. Pourtant, dis-moi, ma Mère, en ces jours où la Presse Te dénonce, à regret, de sa voix vengeresse, Quelqu’outrage à des droits qu elle aime à protéger, Quelque pacte honteux dont le peuple s irrite, Quelque lâche attentat que dans l’ombre médite L’orgueil jaloux de l’Étranger; Ne sens-tu pas, dis-moi, dans sa fierté guerrière, Ton lion tout à coup se dresser sur la pierre, Et les anges gardiens rangés à tes genoux, Éblouis des éclairs que lancent ses prunelles, Se prosterner de crainte et replier leurs ailes Pour laisser passer son courroux? Ne sens-tu pas, dis-moi, dans leur lit de chaux vive. Tes morts, que presse en vain une tombe massive, Tressaillir, se heurter, se lever à leur tour, Et jetant, les premiers, le signal des alarmes, Leur linceul pour drapeau, nous appeler aux armes, Au son d’un funèbre tambour? Ah! si jamais tes morts offraient un tel spectacle, Dis-leur, sans t’émouvoir, toi qui fus leur oracle, Qu’ils peuvent sur ta foi se rendormir en paix, Que nous, peuple vivant, nous qu un affront soulève, Nous saurons, s’il le faut, défendre par le glaive Leurs conquêtes et leurs hauts faits. Dis-leur qu’un sang viril coule encor dans nos veines, Que jamais notre bras n’acceptera des chaînes, Que jamais notre front ne perdra sa fierté, Que toujours notre coeur battra pour la patrie, Que toujours nos trésors, que toujours notre vie Répondront de sa liberté. Dis-leur que nous avons, en moins de quinze années, Plus haut que tous leurs voeux fixé nos destinées, Fait refleurir la paix sous tes saints étendards, Fait bénir par l’Europe un nom quelle répète, Et reconquis l’honneur de marcher à sa tête Par l’industrie et par les arts. Mais notre mission est loin d’être accomplie. Gardons, sans l’affaiblir, toute notre énergie Pour les luttes d’un siècle aux progrès de Titan, Qui ne descendra pas dans l’abîme des âges Sans avoir salué, de ses derniers rivages, La chute du dernier tyran. Nos vrais jours de grandeur ne sont qu’à leur aurore. Il nous reste à t’abattre, à t’écraser encore, Passé, monstre rampant, sans oreilles, sans yeux, Qui te dresses dans l’ombre au pied de tous les trônes, Et montes, chaque jour, le long de leurs colonnes, Plus fort et plus audacieux! Nous t’abattrons. Ta chute affranchira la terre, Et sur le sol maudit où tu semais la guerre S’élèvera la sainte et splendide cité, Où régneront, un jour, sans trouble et sans orages, Dans un Ordre céleste inconnu de nos sages, La Justice et la Liberté. Peut-être, ô ma Patrie, avant ce jour suprême, Ton sang rougira-t-il encor ton diadème; Ne t’en alarme point, va, connais ton destin: Regarde! Il est écrit en divins caractères Sur ces monts, sur ces champs où le pied de nos pères S’ouvrit un si noble chemin. Quand Dieu, dans sa bonté, réunit notre race, Fonda notre demeure et fixa notre place Au centre lumineux de trois peuples puissants, Il voulut nous choisir comme un écho sonore Pour propager sa voix du couchant à l’aurore, Traduite en terrestres accents. Il nous plaça près d’eux sous sa garde divine, Marqués du sceau vivant d’une même origine, Pour réfléchir en nous leurs instincts si divers, Leur tendre, tour à tour, une main fraternelle, Et cimenter entr’eux une paix éternelle, Terme de tant de maux soufferts. Frères, soyons heureux! telle est la tâche austère Que Dieu nous réserva dans l’oeuvre de la terre; Notre nombre est petit, il le sait mieux que tous, Mais le peuple sauveur d’où sortit le Messie Pour racheter le monde et le rendre à la vie, N’était pas plus nombreux que nous. Contralto. Théophile Gautier. (1811-1872) On voit dans le musée antique, Sur un lit de marbre sculpté, Une statue énigmatique D'une inquiétante beauté. Est-ce un jeune homme? est-ce une femme, Une déesse, ou bien un dieu? L'amour, ayant peur d'être infâme, Hésite et suspend son aveu. Dans sa pose malicieuse, Elle s'étend, le dos tourné Devant la foule curieuse, Sur son coussin capitonné. Pour faire sa beauté maudite, Chaque sexe apporta son don. Tout homme dit: C'est Aphrodite! Toute femme: C'est Cupidon! Sexe douteux, grâce certaine, On dirait ce corps indécis Fondu, dans l'eau de la fontaine, Sous les baisers de Salmacis. Chimère ardente, effort suprême De l'art et de la volupté, Monstre charmant, comme je t'aime Avec ta multiple beauté! Bien qu'on défende ton approche, Sous la draperie aux plis droits Dont le bout à ton pied s'accroche, Mes yeux ont plongé bien des fois. Rêve de poète et d'artiste, Tu m'as bien des nuits occupé, Et mon caprice qui persiste Ne convient pas qu'il s'est trompé. Mais seulement il se transpose, Et, passant de la forme au son, Trouve dans sa métamorphose La jeune fille et le garçon. Que tu me plais, ô timbre étrange! Son double, homme et femme à la fois, Contralto, bizarre mélange, Hermaphrodite de la voix! C'est Roméo, c'est Juliette, Chantant avec un seul gosier; Le pigeon rauque et la fauvette Perchés sur le même rosier; C'est la châtelaine qui raille Son beau page parlant d'amour; L'amant au pied de la muraille, La dame au balcon de sa tour; Le papillon, blanche étincelle, Qu'en ses détours et ses ébats Poursuit un papillon fidèle, L'un volant haut et l'autre bas; L'ange qui descend et qui monte Sur l'escalier d'or voltigeant La cloche mêlant dans sa fonte La voix d'airain, la voix d'argent; La mélodie et l'harmonie Le chant et l'accompagnement; A la grâce la force unie, La maîtresse embrassant l'amant! Sur le pli de sa jupe assise, Ce soir, ce sera Cendrillon Causant près du feu qu'elle attise Avec son ami le grillon; Demain le valeureux Arsace A son courroux donnant l'essor, Ou Tancrède avec sa cuirasse, Son épée et son casque d'or; Desdemona chantant le Saule, Zerline bernant Mazetto, Ou Malcolm le plaid sur l'épaule; C'est toi que j'aime, ô contralto! Nature charmante et bizarre Que Dieu d'un double attrait para, Toi qui pourrais, comme Gulnare, Etre le Kaled d'un Lara, Et dont la voix dans sa caresse, Réveillant le coeur endormi, Mêle aux soupirs de la maîtresse L'accent plus mâle de l'ami! L'Art. Théophile Gautier. (1811-1872) Oui, l'oeuvre sort plus belle D'une forme au travail Rebelle, Vers, marbre, onyx, émail. Point de contraintes fausses! Mais que pour marcher droit Tu chausses, Muse, un cothurne étroit. Fi du rhythme commode, Comme un soulier trop grand, Du mode Que tout pied quitte et prend! Statuaire, repousse L'argile que pétrit Le pouce Quand flotte ailleurs l'esprit. Lutte avec le carrare, Avec le paros dur Et rare, Gardiens du contour pur, Emprunte à Syracuse Son bronze où fermement S'accuse Le trait fier et charmant; D'une main délicate Poursuis dans un filon D'agate Le profil d'Apollon. Peintre, fuis l'aquarelle, Et fixe la couleur Trop frêle Au four de l'émailleur. Fais les sirènes bleues, Tordant de cent façons Leurs queues, Les monstres des blasons; Dans son nimbe trilobe La Vierge et son Jésus, Le globe Avec la croix dessus. Tout passe. -L'art robuste Seul a l'éternité, Le buste Survit à la cité, Et la médaille austère Que trouve un laboureur Sous terre Révèle un empereur. Les dieux eux-mêmes meurent, Mais les vers souverains Demeurent Plus fort que les airains. Sculpte, lime, cisèle; Que ton rêve flottant Se scelle Dans le bloc résistant! LA Vierge De Tolède. Théophile Gautier. (1811-1872) On révère à Tolède une image de Vierge, Devant qui toujours tremble une lueur de cierge; Poupée étincelante en robe de brocart, Comme si l'or était plus précieux que l'art! Et sur cette statue on raconte une histoire Qu'un enfant de six mois refuserait de croire, Mais que doit accepter comme une vérité Tout poëte amoureux de la sainte beauté. Quand la Reine des cieux au grand saint Ildefonse Pour le récompenser de la grande réponse, Quittant sa tour d'ivoire au paradis vermeil, Apporta la chasuble en toile de soleil, Par curiosité, par caprice de femme, Elle alla regarder la belle Notre-Dame, Ouvrage merveilleux dans l'Espagne cité, Rêve d'ange amoureux, à deux genoux sculpté, Et devant ce portrait resta toute pensive Dans un ravissement de surprise naïve. Elle examina tout: -le marbre précieux; Le travail patient, chaste et minutieux; La jupe roide d'or comme une dalmatique; Le corps mince et fluet dans sa grâce gothique; Le regard virginal tout baigné de langueur, Et le petit Jésus endormi sur son coeur. Elle se reconnut et se trouva si belle, Qu'entourant de ses bras la sculpture fidèle, Elle mit, au moment de remonter aux cieux, Au front de son image un baiser radieux. Ah! que de tels récits, dont la raison s'étonne Dans ce siècle trop clair pour que rien y rayonne, Au temps de poésie où chacun y croyait, Devaient calmer le coeur de l'artiste inquiet! Faire admirer au ciel l'ouvrage de la terre, Cet espoir étoilait l'atelier solitaire, Et le ciseau pieux longtemps avec amour Pour le baiser divin caressait le contour. Si la Vierge, à Paris, avec son auréole Sur les autels païens de notre âge frivole Descendait et venait visiter son portrait, Croyez-vous, ô sculpteurs, qu'elle s'embrasserait? Tolède. Cariatides. Théophile Gautier. (1811-1872) Un sculpteur m'a prêté l'oeuvre de Michel-Ange, La chapelle sixtine et le grand jugement; Je restai stupéfait à ce spectacle étrange Et me sentis ployer sous mon étonnement. Ce sont des corps tordus dans toutes les postures, Des faces de lion avec des cols de boeuf, Des chairs comme du marbre et des musculatures A pouvoir d'un seul coup rompre un câble tout neuf. Rien ne pèse sur eux, ni coupole ni voûtes, Pourtant leurs nerfs d'acier s'épuisent en efforts, La sueur de leurs bras semble pleuvoir en gouttes; Qui donc les courbe ainsi puisqu'ils sont aussi forts? C'est qu'ils portent un poids à fatiguer Alcide; Ils portent ta pensée, ô maître, sur leurs dos, Sous un entablement, jamais Cariatide Ne tendit son épaule à de plus lourds fardeaux. Sur Deux Groupes Du statuaire E. Christophe. Leconte De Lisle. (1818-1894) I La Fatalité. L'épée en main, le pied sur la roue immortelle, Douce à l'homme futur, terrible au dieu dompté, Elle voiries yeux dardés droit devant elle, Dans sa grâce, sa force et sa sérénité! II. Le Baiser Suprême. Heureux qui, possédant la Chimère éternelle, Livre au Monstre divin un coeur ensanglanté, Et savoure, pour mieux s'anéantir en Elle, L'extase de la mort et de la volupté Dans l'éclair d'un baiser qui vaut l'éternité! La Venus De Milo. (1846) Leconte De Lisle. (1818-1894) Marbre sacré, vêtu de force et de génie, Déesse irrésistible au port victorieux, Pure comme un éclair et comme une harmonie, Ô Vénus, ô beauté, blanche mère des dieux! Tu n'es pas Aphrodite, au bercement de l'onde, Sur ta conque d'azur posant un pied neigeux, Tandis qu'autour de toi, vision rose et blonde, Volent les ris vermeils avec l'essaim des jeux. Tu n'es pas Cythérée, en ta pose assouplie, Parfumant de baisers l'Adonis bienheureux, Et n'ayant pour témoins sur le rameau qui plie Que colombes d'albâtre et ramiers amoureux. Et tu n'es pas la muse aux lèvres éloquentes, La pudique Vénus, ni la molle Astarté Qui, le front couronné de roses et d'acanthes, Sur un lit de lotos se meurt de volupté. Non! Les ris et les jeux, les grâces enlacées, Rougissantes d'amour, ne t'accompagnent pas. Ton cortége est formé d'étoiles cadencées, Et les globes en choeur s'enchaînent sur tes pas. Du bonheur impassible ô symbole adorable, Calme comme la mer en sa sérénité, Nul sanglot n'a brisé ton sein inaltérable, Jamais les pleurs humains n'ont terni ta beauté. Salut! à ton aspect le coeur se précipite. Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs; Tu marches, fière et nue, et le monde palpite Et le monde est à toi, déesse aux larges flancs! Bienheureux Phidias, Lysippe ou Praxitèle, Ces créateurs marqués d'un signe radieux; Car leur main a pétri cette forme immortelle, Car ils se sont assis dans le sénat des dieux! Bienheureux les enfants de l'Hellade sacrée! Oh! Que ne suis-je né dans le saint archipel, Aux siècles glorieux où la terre inspirée Voyait les cieux descendre à son premier appel! Si mon berceau flottant sur la Thétys antique Ne fut point caressé de son tiède cristal; Si je n'ai point prié sous le fronton attique Vénus victorieuse, à ton autel natal; Allume dans mon sein la sublime étincelle, N'enferme point ma gloire au tombeau soucieux; Et fais que ma pensée en rhythmes d'or ruisselle Comme un divin métal au moule harmonieux. Le Masque. Charle Baudelaire. (1821-1867) Statue Allégorique Dans Le Goût De La Renaissance. A Ernest Christophe, statuaire. Contemplons ce trésor de grâces florentines; Dans l'ondulation de ce corps musculeux L'Élégance et la Force abondent, soeurs divines. Cette femme, morceau vraiment miraculeux, Divinement robuste, adorablement mince, Est faite pour trôner sur des lits somptueux, Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince. -Aussi, vois ce souris fin et voluptueux Où la Fatuité promène son extase; Ce long regard sournois, langoureux et moqueur; Ce visage mignard, tout encadré de gaze, Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur: "La Volupté m'appelle et l'Amour me couronne!" A cet être doué de tant de majesté Vois quel charme excitant la gentillesse donne! Approchons, et tournons autour de sa beauté. O blasphème de l'art! ô surprise fatale! La femme au corps divin, promettant le bonheur, Par le haut se termine en monstre bicéphale! -Mais non! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur, Ce visage éclairé d'une exquise grimace, Et, regarde, voici, crispée atrocement, La véritable tête, et la sincère face Renversée à l'abri de la face qui ment. Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux; Ton mensonge m'enivre, et mon âme s'abreuve Aux flots que la douleur fait jaillir de tes yeux! -Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu, Quel mal mystérieux ronge son flanc d'athlète? -Elle pleure, insensé, parce qu'elle a vécu! Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle déplore Surtout; ce qui la fait frémir jusqu'aux genoux, C'est que demain, hélas! il faudra vivre encore! Demain, après demain et toujours! -comme nous! Pygmalion. (1844) Henry Murger. (1822-1861) Les prêtres de Vénus attendent sa statue, Mais l' artiste jaloux au temple athénien Refuse d' exposer la figure attendue, Car son coeur s' est épris de l' oeuvre de sa main. Devant lui la déesse étale toute nue L' immobile splendeur de son beau corps divin; Et l' artiste à genoux caresse de la vue Le marbre inanimé, qui s' anima soudain! Poëte! Le miracle eut lieu dans l' ère antique, Et les dieux exilés de la sphère olympique Comme l' artiste grec ne t' exauceront pas. Épris de la beauté de ta propre chimère, Comme Pygmalion son amante de pierre, Tu ne la verras point s' animer dans tes bras. Si tu veux être la madone... Henry Murger. (1822-1861) Si tu veux être la madone, Vierge comme elle, ô mes amours! Dis un mot, et mon ciseau donne Au marbre blanc tes purs contours. Des saintes qu' à Rome on admire Tu seras la plus belle encor, Et les poëtes, pour le dire, Vont préparer leur plume d' or. À ton gré choisis, -marbre ou toile, Statue ou tableau, -dès demain, Pour mettre à ton front une étoile, Mon coeur viendra guider ma main. Si tu veux être la madone, Dans une châsse de vermeil On viendra t' offrir pour couronne Le lis pur, à ton front pareil; Et, si tu veux, ô ma divine! Bientôt ton image à l' autel Rendra jalouse Fornarine, La maîtresse de Raphaël. Sous les piliers de ton église, Des pèlerins, de loin venus, Inclineront leur barbe grise Sur la blancheur de tes pieds nus; Et ceux que le bourreau menace, Guidés par un esprit sauveur, Viendront chercher asile et grâce À ton piédestal protecteur. Puisque ton front toujours se voile Quand je veux y mettre un baiser, Sur ton image, -marbre ou toile, Oh! Du moins laisse-moi poser! Laisse-moi poser, ô Marie! Pour baiser, pour sceau radieux, L' immortalité du génie; - C' est un manteau qu' ont mis les dieux. Si tu veux être la madone, Vierge comme elle, ô mes amours! Dis un mot, et mon ciseau donne Au marbre blanc tes purs contours. Février 1843. Sculpteur, cherche avec soin... Théodore De Banville. (1823-1891) Sculpteur, cherche avec soin, en attendant l'extase, Un marbre sans défaut pour en faire un beau vase; Cherche longtemps sa forme et n'y retrace pas D'amours mystérieux ni de divins combats. Pas d'Héraklès vainqueur du monstre de Némée, Ni de Cypris naissant sur la mer embaumée; Pas de Titans vaincus dans leurs rébellions, Ni de riant Bacchos attelant les lions Avec un frein tressé de pampres et de vignes; Pas de Léda jouant dans la troupe des cygnes Sous l'ombre des lauriers en fleurs, ni d'Artémis Surprise au sein des eaux dans sa blancheur de lys. Qu'autour du vase pur, trop beau pour la Bacchante, La verveine mêlée à des feuilles d'acanthe Fleurisse, et que plus bas des vierges lentement S'avancent deux à deux, d'un pas sûr et charmant, Les bras pendant le long de leurs tuniques droites Et les cheveux tressés sur leurs têtes étroites. Février 1846. A m’avouer pour son amant... Albert Mérat. (1840-1909) A m’avouer pour son amant Il faudra bien qu’on s’habitue. -Du marbre pur, rose et charmant. J’ai fait jaillir une statue. J’ai taillé le bloc de façon Que ma main s’y puisse connaître; Et l’on doit garder le soupçon Que je demeurerai son maître. Des bras pourront la posséder Et fléchir sous sa blanche étreinte; Nul oeil jaloux la regarder, Sans qu’il y trouve mon empreinte! Extrait De L’Adieu. (1873) Jason Et Médée. José-Maria De Heredia. (1842-1905) À Gustave Moreau. En un calme enchanté, sous l'ample frondaison De la forêt, berceau des antiques alarmes, Une aube merveilleuse avivait de ses larmes, Autour d'eux, une étrange et riche floraison. Par l'air magique où flotte un parfum de poison, Sa parole semait la puissance des charmes; Le Héros la suivait et sur ses belles armes Secouait les éclairs de l'illustre Toison. Illuminant les bois d'un vol de pierreries, De grands oiseaux passaient sous les voûtes fleuries, Et dans les lacs d'argent pleuvait l'azur des cieux. L'Amour leur souriait, mais la fatale Épouse Emportait avec elle et sa fureur jalouse Et les philtres d'Asie et son père et les Dieux. La Dame En Pierre. Charles Cros. (1842-1888) A Catulle Mendés. Sur ce couvercle de tombeau Elle dort. L'obscur artiste Qui l'a sculptée a vu le beau Sans rien de triste. Joignant les mains, les yeux heureux Sous le voile des paupières, Elle a des rêves amoureux Dans ses prières. Sous les plis lourds du vêtement, La chair apparaît rebelle, N'oubliant pas complètement Qu'elle était belle. Ramenés sur le sein glacé Les bras, en d'étroites manches, Rêvent l'amant qu'ont enlacé Leurs chaînes blanches. Le lévrier, comme autrefois Attendant une caresse, Dort blotti contre les pieds froids De sa maîtresse. Tout le passé revit. Je vois Les splendeurs seigneuriales, Les écussons et les pavois Des grandes salles, Les hauts plafonds de bois, bordés D'emblématiques sculptures, Les chasses, les tournois brodés Sur les tentures. Dans son fauteuil, sans nul souci Des gens dont la chambre est pleine, A quoi peut donc rêver ainsi, La châtelaine? Ses yeux où brillent par moment Les fiertés intérieures, Lisent mélancoliquement Un livre d'heures. Quand une femme rêve ainsi Fière de sa beauté rare, C'est quelque drame sans merci Qui se prépare. Peut-être à temps, en pleine fleur, Celle-ci fut mise en terre. Bien qu'implacable, la douleur En fut austère. L'amant n'a pas vu se ternir, Au souffle de l'infidèle, La pureté du souvenir Qu'il avait d'elle. La mort n'a pas atteint le beau. La chair perverse est tuée, Mais la forme est, sur un tombeau, Perpétuée. Chanson Des Sculpteurs. Charles Cros. (1842-1888) Proclamons les princip's de l'art! Que tout l'mond' s'épanche! Le marbre est un' matière à part, Y en n'a pas d'plus blanche. Proclamons les princip's de l'art! Que personn' ne bouge! La terr' glais', c'est comm' le homard; Quand c'est cuit, c'est rouge. Proclamons les princip's de l'art! Que tout l'mond' s'amuse! Le bronz' dure, à moins qu' par hasard, Pour des cloch's on n' l'use. Proclamons les princip's de l'art! Que tout l'mond' se soûle! Quoique l' plâtr' soit un peu blafard, Il coul' bien dans l'moule. Proclamons les princip's de l'art! Que tout l'mond' s'entende! Les contours des femm's, c'est du lard, La chair, c'est d' la viande. Statue Pour Tombeau. Paul Verlaine. (1844-1896) La Gueule parle: «L’or, et puis encore l’or, Toujours l’or, et la viande, et les vins, et la viande, Et l’or pour les vins fins et la viande, on demande Un trou sans fond pour l’or toujours et l’or encor!» La panse dit: «A moi la chute du trésor! La viande, et les vins fins, et l’or, toute provende, A moi! Dégringolez dans l’outre toute grande Ouverte du seigneur Nabuchodonosor!» L’oeil est de pur cristal dans les suifs de la face: Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux, Seule perfection parmi tous les défauts. L’Âme attend vainement un remords efficace, Et dans l’impénitence agonise de faim Et de soif, et sanglote en pensant à La Fin. 1881. Vieille Statue. Jean Richepin. (1849-1926) Oubliée en un coin du parc, seule, abattue, Sous le lierre qui ronge une vieille statue Gisait. Pauvre statue! elle me fit pitié. Je suis de ces rêveurs qui dans leur amitié Donnent aussi sa part à l'inerte matière Et partagent leur coeur à la nature entière. Je relevai le mort, et pour qu'il fût content, Pour qu'il eût le bonheur de revivre un instant Comme si nous étions aux époques anciennes Où parmi les chansons il avait eu les siennes, Je fis semblant de croire à sa divinité, Et je lui dis ces vers où son los est chanté: Ô Pan, gardien sacré de cette grotte obscure D'où sort le ruisseau clair qui sous tes pieds murmure, Toi qu'un lierre, en festons à l'entour de ton flanc, De son feuillage noir fait paraître plus blanc, Toi qui ris d'un air bon dans ta barbe de pierre, Et regardes, clignant un oeil sous ta paupière, Si quelque blonde enfant vient par le bois profond, Portant de ses bras nus une urne sur son front, Ô Pan, je poserai mes lèvres arrondies Sur la flûte dorée aux douces mélodies Et je te chanterai ma plus belle chanson, Et, comme à Jupiter le divin échanson Verse le saint nectar qui parfume les lèvres, Je verserai pour toi le lait pur de mes chèvres, Et mon bouc t'offrira, sous le couteau sacré, De sa gorge velue un flot de sang pourpré, Si tu veux bien remplir à la saison nouvelle De mon troupeau bêlant la traînante mamelle, Si tu fais que mon mâle aux amoureux travaux Donne à chaque femelle un couple de chevreaux, Ô Pan, dieu des bergers, dieu revêtu de lierre, Toi qui ris d'un air bon dans ta barbe de pierre. La Statuette. Emile Verhaeren. (1855-1916) C'était un jeu de quilles Dont la quille du milieu, Peinte en rouge, peinte en bleu, Était une statuette faite Au temps des Dieux. Vénus, Diane ou bien Cybèle, Aucun des vieux ne se rappelle En quels temples ou en quels bouges, L'avaient prise des marins rouges Pour la revendre Voici cent ans, aux gens des Flandres. Un marguillier disait: «C'est elle Qui sous l'ancien curé, Ornait le baldaquin de la chapelle. Elle étalait un manteau d'or moiré Comme la Vierge: Ma mère a fait flamber maint cierge Devant elle.» Un autre avait entendu dire, Par son père, qui le tenait D'un maréchal du Saint-Empire, Que l'image venait De Rome ou peut-être d'Espagne. On l'avait mise au carrefour, sous le tilleul Qui recouvrait, énorme et seul, Quatre chemins dans la campagne. Elle était bonne et vénérée, Jadis, dans toute la contrée. Des malades furent guéris Grâce à son aide et son esprit Et des paralytiques Marchèrent. Sans un vicaire despotique Qui combattait, sur mer et terre, Tous les païens prestiges, Son nom éclaterait encor, pieux et saint, En des recueils diocésains Où l'on consigne les prodiges. On la jeta, La nuit, en plein courant, dans la rivière, Mais un courant contraire Obstinément la rapporta, Aux pieds de la digue tranquille Où ceux de Flandre et de Brabant luttaient aux quilles. Elle était faite en bois plus dur Que les moellons du mur; Et néanmoins elle était fine comme un vase Et des roses ornaient sa base. Quelques joueurs la sauvèrent, à marée haute. On la planta, avec solennité, Dans le milieu du jeu, un jour de Pentecôte, Que les cloches s'interpellaient, de berge en berge, Que les premiers soleils d'été Brillaient et que les filles de l'auberge, Sur des plateaux de cuivre et de lumière, En bonnets frais et blancs, gaiement, servaient les bières. Et tous applaudirent celui Qui le premier, devant la foule, D'un seul et large coup de boule, L'abattit. Et tous applaudirent aussi, Ceux qui vinrent, après lui, Et la couchèrent, Cinq fois, par terre. Mais brusquement, celui qui le premier L'avait atteinte, Pâlit: Son clos des champs qui tintent Brûlait là-bas; et les fumiers Réverbéraient les crins rouges de l'incendie, Dans leurs mares effrayamment grandies. Et puis, Huit jours plus tard, l'un des plus francs buveurs Et des plus fiers vainqueurs au jeu de quilles, Rentrant, chez lui, la nuit, Trouva sa fille morte Devant sa porte. Il ne pensa d'abord à rien; Mais il s'abstint De s'en aller, chaque Dimanche, À l'auberge de la Croix-Blanche. Enfin, Un jour que le jeune échevin Rafla, d'un coup géant, le jeu entier, L'aile gauche de son grenier Dégringola dans le verger Et tua net le chien et le berger. Depuis ce temps, la peur filtra dans les esprits Et la terreur souffla et la terreur grandit Quand on apprit. Que l'hôtesse de la Croix-Blanche, allant Quérir, le soir, sous l'appentis, Du bois et des pailles pour la Saint-Jean, Vit, dans l'ombre, flamboyer devant elle, Les yeux en feu De la statuette immortelle. Le village trembla. Et le curé Eut beau exorciser Chaque quille, suivant les rites, La paroisse ne le tint quitte, Qu'au jour où l'étrange morceau de bois Eut son royal manteau de belle étoffe Et fut logé, comme autrefois, Dans sa niche, près de l'autel de Saint-Christophe. On déplaça le trop austère Et turbulent vicaire; Les pratiques des anciens jours Revécurent et reprirent leur cours; Et Cybèle, Vénus ou bien Diane Mêla, comme jadis, sa puissance profane Aux prodiges que Saint-Corneille Faisait surgir de son orteil Usé, depuis quels temps lointains, Par les lèvres et par les mains De l'innombrable espoir humain. Poèmes Légendaires De Flandre Et De Brabant. (1916) Sur L’Hélène De Gustave Moreau. Jules Laforgue. (1860-1887) Frêle sous ses bijoux, à pas lents, et sans voir Tous ces beaux héros morts, dont pleurent les fiancées, Devant l’horizon vaste ainsi que ses pensées, Hélène vient songer dans la douceur du soir. «Qui donc es-tu, Toi qui sèmes le désespoir? Lui râlent les mourants fauchés là par brassées, Et la fleur qui se fane à ses lèvres glacées Lui dit: Qui donc es-tu? de sa voix d’encensoir. Hélène cependant parcourt d’un regard morne La mer, et les cités, et les plaines sans borne, Et prie: «Oh! c’est assez, Nature! reprends-moi! Entends! Quel long sanglot vers nos Lois éternelles!» -Puis, comme elle frissonne en ses noires dentelles, Lente, elle redescend, craignant de «prendre froid»... Les Statues. Henri De Régnier. (1864-1936) Les feuilles, une à une, et le temps, heure à heure, Tombent dans le bassin dont le jet d'eau larmoie; Iphigénie en sang près d'Hélène de Troie, Danaé, Antigone, Ariane qui pleure, Marbres purs que le vent soufflette ou qu'il effleure! Si le torse se cambre ou si la tête ploie, Héroïque au destin qui caresse ou rudoie, La statue aux yeux blancs persévère ou demeure. L'éternelle beauté subsiste à jamais belle. Le Silence a ployé le crêpe de son aile Et songe, assis, le coude au socle où il inscrit Le nom de l'héroïne énergique ou morose Qui dérobe un sourire ou cache un sein meurtri Derrière les cyprès ou derrière des roses. A Une Petite Statue Chaldéo-Assyrienne Que J'ai. Lucie Delarue-Mardrus. (1868-1949) Pour Séb. Ch. Leconte. Toi qui n'eus qu'un pass& d'idole humble et fragile, Voici que, dans la gaine étroite des contours, Nourris de l'or des dieux et du granit des tours, Les siècles font un socle à ta gloire d'argile. Clouée au mur sourit ton apparition, Et le regard songeur et pieux qui t'englobe Croit voir, dans les pâleurs de l'inhumation, La terre de Chaldée encore sur ta robe. Le fantôme du sombre et royal Orient S'est roidi dans l'horreur tranquille de ta pose, Et, comme en ceux des sphinx que crispe l'ankylose, Dans tes yeux émoussés regarde le Néant. Mais ton sourire vit, ô roi, prêtre barbare Des longues voluptés du passé fabuleux! Babylone te coiffe ainsi qu'une tiare Et brûle en cette moue au sens mystérieux. Et je veux élever mes mains sacerdotales Dont reluit chaque doigt quadruplement bagué, Pour que l'air mécréant de ce temps soit nargué Par leur chair toute nue où pèsent des opales, Par leur chair d'aujourd'hui dont le geste incrusté S'offre, dans la douceur d'un rite énigmatique, Au calme, à m'ironie, à la perversité Que retrousse à demi ta bouche asiatique... A qui m'interroge... Renée Vivien. (1877-1909) Inscription à la base d'une statue. Vierges, quoique muette, je réponds... A qui m'interroge, ô vierges, je réponds D'une voix de pierre à l'accent inlassable: "Mon éternité, sous les astres profonds, M'attriste et m'accable. "Sereine, je vois ce qui change et qui fuit. Je fus consacrée à la vierge brûlante, Aithopia, soeur de l'amoureuse nuit, Par sa tendre amante, "Arista. J'ouïs l'ardeur de leur soupir, Par les nuits d'été dont le souffle m'effleure De regrets... Je suis l'immortel souvenir Des baisers d'une heure." Un Maître Ornemaniste. (1) Blanche Lamontagne. (1889-1958) «Comme la coupe du berger, l’oeuvre que nous voulons essayer de décrire a été sculptée avec un couteau, ou mieux, un simple canif, et il est bien permis de la qualifier aussi d’oeuvre divine» Henri D’Arles. I Depuis qu’à nos regards le matin se dévoile, Que le nuage vole aux cieux légèrement, Depuis que nous voyons scintiller une étoile, Et que l’astre des nuits gravite au firmament, Depuis que, de la terre aux racines profondes, Et des sombres lointains du monde reverdi, Sortent l’humble brin d’herbe, et les gerbes fécondes, Et la fleur souriant dans les feux du midi; Depuis, que nous voyons s’entr’ouvrir un pétale, Que le jour brille, que l’oiseau refait son nid, Depuis que le printemps magnifique s’étale, Les hommes ont crié leur soif de l’infini. L’homme, sans cesse, bat de l’aile vers les cimes, D’un but mystérieux il est illuminé Et l’artiste, vivant de ses élans sublimes, Cherche à donner un corps à son rêve obstiné. Vous êtes, ô vieillard, de la race bénie, De ceux à qui Dieu fit le don supérieur, Et vous avez reçu le superbe génie Qu’il faut pour exprimer son rêve intérieur. Le labeur patient de l’ouvrier antique, Maître de l’art ancien, artiste primitif, Se retrouve, dans cette oeuvre toute gothique, Que vous créez avec la pointe d’un canif. Le courage ancien guide vos doigts tenaces, Quand dans la chair du bois vous gravez les fleurons, Les chapiteaux massifs, les feuilles, les rosaces, Les tiges de rosiers, et les beaux liserons. Cet art vous revient-il de quelqu’obscur artiste, Un homme au doux visage, un ancêtre lointain, Qui traçait sur le tronc des arbres, seul et triste, La forme d’un beau lys s’ouvrant dans le matin? Avez-vous hérité de l’âme d’un ancêtre, Un poète songeur, au rêve illimité, Qui s’accoudait longtemps le soir, à la fenêtre, Et rêvait tout l’hiver aux charmes de l’été? Êtes-vous un très vieux génie en qui sommeille Le brûlant souvenir d’un beau ciel étranger, Et ne seriez-vous pas l’amoureux de Mireille, Qui fit de son couteau la «coupe du berger»? Vous avez fait surgir de la brillante lame Des fleurs plus belles que les roses d’un jardin, Et votre oeuvre, ô vieillard, peut nous remuer l’âme, Aussi bien que les grands chefs-d’oeuvre de Rodin! Car le même flambeau céleste vous éclaire, Artistes! Que ce soit Raphael ou Mozart, Qu’il se nomme Rubens ou qu’il se nomme Homère, Le même souffle court au fond de tous les arts! Tout art est grand! Qu’il soit harmonie ou peinture, Qu’il soit un trait vainqueur de plume ou de ciseau; La suprême beauté de l’ardente nature, Vit dans un simple vers et dans l’humble pinceau, Vous portez tous au coeur même divin martyre, Chantres du rêve humain! Et vous êtes touchants Une plainte éternelle accorde votre lyre, Et le même sanglot préside à tous vos chants! II Mais un jour, pour combler enfin notre espérance Et la divine soif que l’homme a du ciel bleu, La mort apparaîtra, portant la délivrance, Et les secrets inscrits dans les astres de feu. Mettant le jour au fond d’une nuit salutaire, Elle nous fera voir le vrai, l’essentiel, Et fermant pour toujours nos regards à la terre, Elle nous apprendra le miracles du ciel. Alors s’entr’ouvriront les lointains magnifiques Contre lesquels s’abat l’aile de nos désirs Et Dieu multipliera dans nos coeurs pacifiques, Ces bonheurs persistants qu’ils ne pouvaient saisir. Alors nos pauvres yeux las de chercher sans trêve Dans l’espace muet l’art et la vérité, Pourront voir, au milieu des brumes de leur rêve, Paraître ton visage immuable, ô Beauté! Alors tu nous appelleras à toi. Tes voiles, Deviendront le berceau de celui qui t’aimait: Le poète qui tord ses bras vers les étoiles, Le peintre, le savant, amoureux du sommet; L’artiste génial qui porte en sa poitrine Le nostalgique ennui d’un univers captif, Et cet humble sculpteur qui fit oeuvre divine, Patiemment, avec la lame d’un canif Et pour guérir nos yeux tout brulés de leurs larmes, Et nos coeurs que la vie écrase dans ses fers, Te dévoilant à nous dans ta grâce et tes charmes, Tu nous consoleras de tous les maux soufferts Tu nous appelleras à toi. Comme une mère Berce son doux enfant sur son coeur maternel, Tu nous endormiras dans tes bras de lumière, Et tu nous chanteras un cantique éternel! (1) M. Alphonse Leclaire, octogénaire de Montréal, qui fait avec un canif d’admirables sculptures sur bois. La Clairière. Robert Desnos. (1900-1945) Le socle sans statue, à l’ombre de ces arbres S’enfonce dans le sol un peu plus chaque jour Sous l’invisible poids d’un fantôme de marbre Qui le piétine et le talonne et se fait lourd. À moins qu’en s’en allant vers un fatal banquet Le commandeur ne l’ait renvoyé au naufrage. Comme un caillou qu’on jette à l’eau, du bord des plages, Il fait mouche à sa cible et rejoint son reflet. Mais je devrais entendre, au moins, près de l’étang La fanfare sonnée par Don Juan qui l’invite... La voici, les échos la portent, je l’entends. Je sens sous mes deux pieds la terre qui palpite. Source: http://www.poesies.net