Les Contrerimes. Par Paul Jean Toulet. (1867-1920) (Edition De 1920) TABLE DES MATIERES Avril, dont l’odeur nous augure. . . Toi qu’empourprait l’âtre d’hiver. . . Iris, à son brillant mouchoir. . . Ces roses pour moi destinées. . . Dans le lit vaste et dévasté. . . Il pleuvait. Les tristes étoiles. . . Le microbe : Botulinus. . . Dans le silencieux automne. . . Nocturne. Fô a dit... C’était Longtemps Avant La guerre. Le Garno. Princes De La Chine. Le coucou chante au bois qui dort.. . . En souvenir des grandes Indes. . . Trottoir de l’Élysé’-Palace. . . D’un noir éclair mêlés, il semble. . . Géronte d’une autre Isabelle. . . Rêves D’Enfant. Amarissimes. La Première Fois. Boulogne. Carthame chatoyant, cinabre. . . Éléphant De Paris. Ô poète, à quoi bon chercher. . . Comme les dieux gavant leur panse. . . Cet huissier, qui jetait, l’été. . . Le sonneur se suspend, s’élance. . . Tel variait au jour changeant. . . La Cigale. Tandis qu’à l’argile au flanc vert. . . Chevaux De Bois. L’Ingénue. Ce fut par un soir de L’automne. . . Un Jurançon 93. . . Comme à ce roi laconien. . . De tout ce gala de province. . . Quel pas sur le pavé boueux. . . Embrassez-moi, petite fille. . . L’immortelle, et l’oeillet de mer. . . Bayonne ! Un pas sous les Arceaux. . . À l’Alcazar neuf, où don Jayme. . . Ainsi, ce chemin de nuage. . . Vous qui retournez du Cathai. . . Molle rive dont le dessin. . . Douce plage où naquit mon âme. . . Nous jetâmes l’ancre, Madame. . . Saigon : entre un ciel d’escarboucle. . . J’ai beau trouver bien sympathique. . . J’ai vu le Diable, l’autre nuit. . . On descendrait, si vous l’osiez. . . C’était, dans les vapeurs du nard. . . Enfin, puisque c’est Sa demeure. . . Tout ainsi que ces pommes. . . À Londres je connus Bella. . . Au détour de la rue étroite. . . Dans la rue-des-Deux-Décadis. . . C’était sur un chemin crayeux. . . Dessous la courtine mouillée. . . Pour une dame imaginaire. . . Pâle matin de Février. . . Me rendras-tu, rivage basque. . . Toute allégresse a son défaut. . . Toi, pour qui les dieux du mystère. . . Épitaphe. Sur l’océan couleur de fer. . . Ô jour qui meurs à songer d’elle. . . In Memoriam J. G. M. Quand l’âge, à me fondre en débris. . . La vie est plus vaine une image. . . CHANSONS. En Arles. Les Trois Dames D’Albi. Plus Oultre. Le Temps D’Adonis. Le Tremble Est Blanc. Longtemps si j’ai demeuré seul. . . Quelquefois, après des ébats polis. . . Toi qui fais rêver, ô brune. . . Vous souvient-il de l’auberge. . . Aimez-vous le passé. . . L’Alchimiste. En l’an 801 de Rome. . . Vêtue à l’envi d’un beau soir. . . Soir De Montmartre. Vous me reprochez, entre tant. . . Réveil. Alcôve Noire. DIXAINS. Nane, as-tu gardé souvenir. . . Église de Saint-Augustin. . . Si ta grande ombre, ô Moréas. . . Chandelier toujours sans chandelle. . . Non, ce taxi, quelle charrette.. . . L’un vainqueur ou l’autre battu. . . Industrieux fils de Dédale. . . Sur le canal Saint-Martin glisse. . . Ce pavé que l’Europe foule. . . Qu’Allard, sur la caricature. . . Tant pis si Boulenger m’attrape. . . Puisque tes jours ne t’ont laissé. . . COPLES. Le sable où nos pas ont crié. . . Toi qui blessas Vénus. . . Tant de travail, docteur. . . Quoi, c’est vrai, tu m’aimas. . . Scarabée amoureux. . . Que ce fut douce, hélas. . . Hélas, rien ne varie. . . Mopse prétend pécher. . . Tel qui soûla de sang. . . Vénus hait le soleil. . . Lorsque Timour partit. . . Bénarès, dont le nom. . . Qu’importe si l’automne. . . L’amour n’est plus. . . Boy, une pipe encor. . . Tout autour de la lampe. . . Quand les os sont pareils. . . Brouillard de l’opium. . . Invisibles regards. . . La dure alcôve. . . Dans ce charnier d’amants. . . Ô nuit parmi les nuits. . . Contemple un autre monde. . . On dirait une main. . . Cette averse, Badoure. . . Quoi, nul amour encor. . . Admire des glaïeuls. . . Toi qu’arment les pavots. . . Paradis d’ombre fraîche. . . Madame, qui l’eût dit. . . Je me rappelle un jour. . . Stendhal, si revenait. . . Tout ce réseau, cette ombre. . . C’est la R. H. Ellen. . . Presque une enfant encor. . . J’adore les magasins. . . Arc vermeil, mais des arcs. . . Augagneur va parler. . . Tu m’avais dit. . . Agnès, pleurer ? Dit Charle. . . La mer étincelait. . . Heure céruléenne. . . Toi dont pendent les fleurs. . . Jardin qu’un dieu sans doute. . . Alger, ville d’amour. . . Salut, Côte-Rotie, et toi, rouget trilibre. . . Dolhia, au poète Fô. En l’an 1910. . . Sous le soir jaune et vert. . . De faire amant ensemble. . . Le Mardi gras, ni toi, ni moi. . . Mopse, pour tous émoluments. . . Voici que j’ai touché. . . Sur une statue de Michel-Ange. Tu as beau me parler de vieillesse. . . Sur un portrait de Madame Récamier. Ces moires dont Zéphire incline la prairie. . . Sur la Halte de chasse de Van Loo. Cette fraîcheur du soir. . . Sur un tableau de Vinci. Elle est noire, c’est vrai. . . Eh, jeûnes à ta faim d’aimer. . . Dessous le flamboyant. . . Que je t’aime au temps chaud. . . Ne crains pas que le Temps. . . Deux vrais amis vivaient. . . Le lys. Sous ta paupière bleue, Albe. . . Des bords du canal noir. . . Va, laisse notre amour en paix. . . Il m’en souvient. . . Il n’est plus, ce jour bleu. . . Mère d’un seul amour. . . Ô femmes, dites-moi. . . Vieillesse, lendemain d’amour. . . Filles de la fumée. . . Le soleil se levait. . . Mon chien s’appelait Tom. . . Spongieux, panaché de bambous. . . Ciel ! Isadora Duncan. . . Comme je lui levais sa jupe. . . Eh quoi, le monde tourne. . . Nous fumâmes toute la nuit. . . Sous le ciel noir, j’entends. . . L’ombre, ni le mystère. . . Telle qu’étincelait sa gorge. . . Nous bûmes tout le jour. . . La demoiselle, de vieillesse. . . Ne cherche pas l’amour. . . Ce qu’il fait, Z. a cru. . . Je songe aux plats sucrés. . . Le bouc et la brebis. . . Le tournebroche à poids. . . Pour un cuino, se mettre à trois. . . La guirlande n’est plus. . . Toi dont un tendre coeur. . . Le parc ruisselle encore. . . J’ai connu dans Séville. . . Dans l’océan des nuits. . . Ô Diane, ô nuit pure. . . Dans quelle Inde nouvelle. . . (Traduit de Voltaire.) Le Roi Boit. Étranger, je sens bon. . . In memoriam Henry de Bruchard. Gloire aux victorieux. . . C’est Dimanche aujourd’hui. . . Nuit d’amour qui semblais fuir. . . Si vivre est un devoir. . . I Avril, dont l’odeur nous augure Le renaissant plaisir, Tu découvres de mon désir La secrète figure. Ah, verse le myrte à Myrtil, L’iris à Desdémone : Pour moi d’une rose anémone S’ouvre le noir pistil. II Toi qu’empourprait l’âtre d’hiver Comme une rouge nue Où déjà te dessinait nue L’arôme de ta chair ; Ni vous, dont l’image ancienne Captive encor mon coeur, Île voilée, ombres en fleurs, Nuit océanienne ; Non plus ton parfum, violier Sous la main qui t’arrose, Ne valent la brûlante rose Que midi fait plier. III Iris, à son brillant mouchoir, De sept feux illumine La molle averse qui chemine, Harmonieuse à choir. Ah, sur les roses de l’été, Sois la mouvante robe, Molle averse, qui me dérobe Leur aride beauté. Et vous, dont le rire joyeux M’a caché tant d’alarmes, Puissé-je voir enfin des larmes Monter jusqu’à vos yeux. IV Ces roses pour moi destinées Par le choix de sa main, Aux premiers feux du lendemain, Elles étaient fanées. Avec les heures, un à un, Dans la vasque de cuivre, Leur calice tinte et délivre Une âme à leur parfum Liée, entre tant, ô Ménesse, Qu’à travers vos ébats, J’écoute résonner tout bas Le glas de ma jeunesse. V Dans le lit vaste et dévasté J’ouvre les yeux près d’elle ; Je l’effleure : un songe infidèle L’embrasse à mon côté. Une lueur tranchante et mince Échancre mon plafond, Très loin, sur le pavé profond, J’entends un seau qui grince... VI Il pleuvait. Les tristes étoiles Semblaient pleurer d’ennui. Comme une épée, à la minuit, Tu sautas hors des toiles. -Minuit ! Trouverai-je une auto, Par ce temps ? Et le pire, C’est mon mari. Que va-t-il dire, Lui qui rentre si tôt ? -Et s’il vous voyait sans chemise, Vous, toute sa moitié ? -Ne jouez donc pas la pitié. -Pourquoi ?... Doublons la mise. VII Le microbe : Botulinus Fut, dans ses exercices, Découvert au sein des saucisses Par un Alboche en us. Je voudrais, non moins découverte, Floryse, que ce fût Vous que je trouve, au bois touffu, Dormante à l’ombre verte ; Si même l’archer de Vénus Des traits en vous dérobe Plus dangereux que le microbe Nommé : Botulinus. VIII Dans le silencieux automne D’un jour mol et soyeux, Je t’écoute en fermant les yeux, Voisine monotone. Ces gammes de tes doigts hardis, C’étaient déjà des gammes Quand n’étaient pas encor des dames Mes cousines, jadis ; Et qu’aux toits noirs de la Rafette, Où grince un fer changeant, Les abeilles d’or et d’argent Mettaient l’aurore en fête. IX Nocturne. Ô mer, toi que je sens frémir À travers la nuit creuse, Comme le sein d’une amoureuse Qui ne peut pas dormir ; Le vent lourd frappe la falaise... Quoi ! si le chant moqueur D’une sirène est dans mon coeur- Ô coeur, divin malaise. Quoi, plus de larmes, ni d’avoir Personne qui vous plaigne... Tout bas, comme d’un flanc qui saigne, Il s’est mis à pleuvoir. X Fô a dit... « Ce tapis que nous tissons comme « Le ver dans son linceul « Dont on ne voit que l’envers seul « C’est le destin de l’homme. « Mais peut-être qu’à d’autres yeux, « L’autre côté déploie « Le rêve, et les fleurs, et la joie « D’un dessin merveilleux. » Tel Fô, que l’or noir des tisanes Enivre, ou bien ses vers, Chante, et s’en va tout de travers Entre deux courtisanes. XI C’était longtemps avant la guerre. Sur la banquette en moleskine Du sombre corridor, Aux flonflons d’Offenbach s’endort Une blanche Arlequine. ... Zo’ qui saute entre deux MMrs, Nul falzar ne dérobe Le double trésor sous sa robe Qu’ont mûri d’autres cieux. On soupe... on sort... Bauby pérore... Dans ton regard couvert, Faustine, rit un matin vert... ... Amour, divine aurore. XII Le Garno. L’hiver bat la vitre et le toit. Il fait bon dans la chambre, À part cette sale odeur d’ambre Et de plaisir. Mais toi, Les roses naissent sur ta face Quand tu ris près du feu... Ce soir tu me diras adieu, Ombre, que l’ombre efface. XIII Princes De La Chine. 1) Les trois princes Pou, Lou et You, Ornement de la Chine, Voyagent. Deux vont à machine, Mais You, c’est en youyou. Il va voir l’Alboche au crin jaune Qui lui dit : « I love you. » -Elle est Française ! assure You. Mais non, royal béjaune. Si tu savais ce que c’est, You ; Qu’une Française, et tendre ; Douce à la main, douce à l’entendre : Du feu... comme un caillou. 2) Mgr Pou n’aime ici-bas Que le sçavoir antique, Ses aïeux, et la politique Du Journal des Débats. Elle qui naquit sous le feutre Des chevaliers mandchoux, Sa femme a le coeur dans les choux : Dieu punisse le neutre ! Mgr Pou, mauvais époux, Tu cogites sans cesse. Pas tant de g. pour la Princesse : Fais-lui des petits Pous. 3) Sous les pampres de pourpre et d’or, Dans l’ombre parfumée, Ivre de songe et de fumée, Le prince Lou s’endort. Tandis que l’opium efface Badoure à son côté, Il rêve à la jeune beauté Qui brilla sur sa face. Ainsi se meurt, d’un beau semblant, Lou, l’ivoire à la bouche. Badoure en crispant sa babouche Pense à son deuil en blanc. XIV Le coucou chante au bois qui dort. L’aurore est rouge encore, Et le vieux paon qu’Iris décore Jette au loin son cri d’or. Les colombes de ma cousine Pleurent comme une enfant. Le dindon roue en s’esclaffant : Il court à la cuisine. XV En souvenir des grandes Indes, Harmonieux décor, La Rafette nourrit d’accord Un paon et quatre dindes. Et l’on croirait -tous ces échos Gloussants, l’autre qui grince- D’un préfet d’or, dans sa province, Borné de radicaux. XVI Trottoir de l’Élysé’-Palace Dans la nuit en velours Où nos coeurs nous semblaient si lourds Et notre chair si lasse ; Dôme d’étoiles, noble toit, Sur nos âmes brisées, Taxautos des Champs-Élysées, Soyez témoins ; et toi, Sous-sol dont les vapeurs vineuses Encensaient nos adieux- Tandis que lui perlaient aux yeux Ses larmes vénéneuses. XVII D’un noir éclair mêlés, il semble Que l’on n’est plus qu’un seul. Soudain, dans le même linceul, On se voit deux ensemble Près des flots aux chantants adieux Dinard tient sa boutique... Ne pleure pas : d’être identique, C’est un rêve des dieux. XVIII Géronte d’une autre Isabelle, À quoi t’occupes-tu D’user un reste de vertu Contre cette rebelle ? La perfide se rit de toi, Plus elle t’encourage. Sa lèvre même est un outrage. Viens, gagnons notre toit. Temps est de fuir l’amour, Géronte, Et son arc irrité. L’amour, au déclin de l’été, Ni la mer, ne s’affronte. XIX Rêves D’Enfant. Circé des bois et d’un rivage Qu’il me semblait revoir, Dont je me rappelle d’avoir Bu l’ombre et le breuvage ; Les tambours du Morne Maudit Battant sous les étoiles Et la flamme où pendaient nos toiles D’un éternel midi ; Rêves d’enfant, voix de la neige, Et vous, murs où la nuit Tournait avec mon jeune ennui... Collège, noir manège. X Amarissimes. Est-ce moi qui pleurais ainsi -Ou des veaux qu’on empoigne- D’écouter ton pas qui s’éloigne, Beauté, mon cher souci ? Et (je t’en fis, à pneumatique, Part, -sans aucun bagou) Ces pleurs, ma chère, avaient le goût De l’onde adriatique. Oui, oui : mais vous parlez de cri, Quand je repris ma lettre. Grands dieux !... J’aurais mieux fait, peut-être, D’écrire à son mari. XI La Première Fois. -« Maman !... Je voudrais qu’on en meure. » Fit-elle à pleine voix. -« C’est que c’est la première fois, Madame, et la meilleure. » Mais elle, d’un coude ingénu Remontant sa bretelle, -« Non, ce fut en rêve », dit-elle. « Ah ! que vous étiez nu... » XXII Boulogne. Boulogne, où nous nous querellâmes Aux pleurs d’un soir trop chaud Dans la boue ; et toi, le pied haut, Foulant aussi nos âmes. La nuit fut ; ni, rentrés chez moi, Tes fureurs plus de mise. Ah ! de te voir nue en chemise, Quel devint mon émoi ! On était seuls (du moins j’espère) ; Mais tu parlais tout bas. Ainsi l’amour naît des combats : Le dieu Mars est son père. XXIII Carthame chatoyant, cinabre, Colcothar, orpiment, Vous dont j’ai goûté l’ornement Sur la rive cantabre : Orpiment, dont l’éclat soyeux Le soleil qui reflète ; Colcothar, tendre violette Éclose dans ses yeux ; Fleur de cinabre, étroite et rare, Secret d’un beau jardin ; Carthame et toi, rose soudain, Dont sa pudeur se pare... XXIV Éléphant De Paris. Ah, Curnonsky, non plus que l’aube, N’était bien rigolo. Il regardait le fil de l’eau. C’était avant les Taube. Et moi j’apercevais -pourtant Qu’on fût loin de Cythère- Un objet singulier. Mystère : C’était un éléphant. Notre maison étant tout proche, On le prit avec nous. Il mettait, pour chercher des sous Sa trompe dans ma poche. Hélas, rue-de-Villersexel, La porte était trop basse. On a beau dire que tout passe. Non -ni le riche au Ciel. XXV Ô poète, à quoi bon chercher Des mots pour son délire ? Il n’y a qu’au bois de ta lyre Que tu l’as su toucher. Plus haut que toi, dans sa morphine, Chante un noir séraphin. Ma nourrice disait qu’Enfin Est le mari d’Enfine. XXVI Comme les dieux gavant leur panse, Les Prétendants aussi. Télémaque en est tout ranci : Il pense à la dépense. Neptune soupe à Djibouti, (Près de la mer salée). Pénélope s’en est allée. Tout le monde est parti. Un poète, que nuls n’écoutent, Chante Hélène et les OEufs. Le chien du logis se fait vieux : Ces gens-là le dégoûtent. XVII Cet huissier, qui jetait, l’été, Toute autre odeur que l’ambre, Avait le nom d’un pot de chambre Et la fétidité. L’autre, et noir, que, sous les lanternes, On vit à ses leçons Avarier les beaux garçons, Est charognard aux Ternes. Celui-là, qui fut président De ses jolis compères, A l’air de suer ses affaires Par son fanon pendant. Mais l’autre (o père de famille, Poète méconnu) Ne me laissa qu’un lit tout nu : Telle y couchait sa fille. XVIII Le sonneur se suspend, s’élance, Perd pied contre le mur, Et monte : on dirait un fruit mûr Que la branche balance. Une fille passe. Elle rit De tout son frais visage : L’hiver de ce noir paysage A-t-il soudain fleuri ? Je vois briller encor sa face, Quand elle prend le coin. L’Angélus et sa jupe, au loin, L’un et l’autre, s’efface. XXIX Tel variait au jour changeant -Avec l’or de tes boucles, Le sang d’un collier d’escarboucles Dans ma tasse d’argent Qui, tout de roses couronnée, -Sur la ligne où se joint L’ombre au soleil -jetait au loin Une pourpre alternée ; Lilith, et, telle, un jour d’été, J’ai vu noircir ta joue, Quand le désir trouble, et déjoue, Ta pliante fierté. (Talmud babylon.) XXX La Cigale. Quand nous fûmes hors des chemins Où la poussière est rose, Aline, qui riait sans cause En me touchant les mains ;- L’Écho du bois riait. La terre Sonna creux au talon. Aline se tut : le vallon Était plein de mystère... Mais toi, sans lymphe ni sommeil, Cigale en haut posée, Tu jetais, ivre de rosée, Ton cri triste et vermeil. XXXI Tandis qu’à l’argile au flanc vert, Dessus ton front haussée, Perlait le pleur d’une eau glacée, Les dailleurs, à couvert : « Enfant, riait leur voix lointaine, Voilà temps que tu bois. Si Monsieur Paul est dans le bois, Avise à la fontaine. « Mais avise aussi de briser Ta cruche en tournant vite. Ah, que dirait ta mère. Évite Son bras. Prends le baiser. » ... Le temps était couleur de pêche. Sur le Saleys qui dort Un oiseau d’émeraude et d’or Fila comme une flèche. XXXII Chevaux De Bois. À Pau, les foires Saint-Martin, C’est à la Haute Plante. Des poulains, crinière volante, Virent dans le crottin. Là-bas, c’est une autre entreprise. Les chevaux sont en bois, L’orgue enrhumé comme un hautbois, Zo’ sur un bai cerise. Le soir tombe. Elle dit : « Merci, « Pour la bonne journée ! « Mais j’ai la tête bien tournée... » -Ah, Zo’ : la jambe aussi. XXXIII L’Ingénue. D’une amitié passionnée Vous me parlez encor, Azur, aérien décor, Montagne Pyrénée, Où me trompa si tendrement Cette ardente ingénue Qui mentait, fût-ce toute nue, Sans rougir seulement, Au lieu que toi, sublime enceinte, Tu es couleur du temps : Neige en Mars ; roses du printemps... Août, sombre hyacinthe. XXXIV Ce fut par un soir de l’automne À sa dernière fleur Que l’on nous prit pour Mgr L’Évêque de Bayonne, Sur la route de Jurançon. J’étais en poste, avecque Faustine, et l’émoi d’être évêque Lui sécha sa chanson. Cependant cloches, patenôtres, Volaient autour de nous. Tout un peuple était à genoux : Nous mêlions les nôtres, Ô Vénus, et ton char doré, Glissant parmi la nue, Nous annonçait la bienvenue Chez Monsieur Lesquerré. XXXV Un Jurançon quatre-vingt-treize Aux couleurs du maïs, Et ma mie, et l’air du pays : Que mon coeur était aise. Ah, les vignes de Jurançon, Se sont-elles fanées, Comme ont fait mes belles années, Et mon bel échanson ? Dessous les tonnelles fleuries Ne reviendrez-vous point À l’heure où Pau blanchit au loin Par delà les prairies ? XXXVI Comme à ce roi laconien Près de sa dernière heure, D’une source à l’ombre, et qui pleure, Fauste, il me souvient ; De la nymphe limpide et noire Qui frémissait tout bas -Avec mon coeur -quand tu courbas Tes hanches, pour y boire. XXXVII De tout ce gala de province Où l’on donnait Manon, Je ne revois plus rien sinon Ta forme étrange, et mince ; Et lorsqu’à ce duo troublant Tes yeux me firent signe, Frissonner le frimas d’un cygne Sur ton bel habit blanc ; Sinon ton frère sur le siège Du fiacre vingt-et-huit Où tu avais l’air, dans la nuit D’une image de neige. XXXVIII Quel pas sur le pavé boueux Sonne à travers la brume ? Deux boutiquiers, crachant le rhume, S’en retournent chez eux. -« C’est ce cocu de Lagnabère. -Oui, Faustine. -Ah, mon Dieu, En çà de Cogomble, quel feu ! -Oui, c’est le réverbère. -Comme c’est gai, le mauvais temps... Et recevoir des gifles. -Oui, Faustine. » À présent, tu siffles L’air d’Amour et Printemps. Querelles, pleurs tendres à boire- Et toi qu’en tes détours J’écoute, ô vent, contre les tours Meurtrir ta plume noire. XXXIX « -Embrassez-moi, petite fille, Là, bien. Quoi de nouveau ? As-tu retrouvé le cerveau Qui manque à ta famille ? Dis-moi, c’est vrai que le curé Est mal avec la poste ? Et comment va Chose... Lacoste, L’ami de Poyarré ? » Je devinais, dans la pénombre, Que tu tirais tes bas. Ton coeur d’oiseau battait tout bas : La chambre était très sombre... XL L’immortelle, et l’oeillet de mer Qui pousse dans le sable, La pervenche trop périssable, Ou ce fenouil amer Qui craquait sous la dent des chèvres, Ne vous en souvient-il, Ni de la brise au sel subtil Qui nous brûlait aux lèvres ? XLI -« Bayonne ! Un pas sous les Arceaux, Que faut-il davantage Pour y mettre son héritage Ou son coeur en morceaux ? Où sont-ils, tout remplis d’alarmes, Vos yeux dans la noirceur, Et votre insupportable soeur, Hélas ; et puis vos larmes ? » Tel s’enivrait, à son phébus, D’un chocolat d’Espagne, Chez Guillot, le feutre en campagne, Monsieur Bordaguibus. XLII À l’Alcazar neuf, où don Jayme Gratte un air maugrabin, Carmen dansant dans son lubin : Ce n’est pas ce que j’aime. Mais, à Triana, la liqueur D’une grappe où l’aurore Laissa des pleurs si froids encore Qu’ils m’ont glacé le coeur. XLIII Ainsi, ce chemin de nuage, Vous ne le prendrez point, D’où j’ai vu me sourire au loin Votre brillant mirage ? Le soir d’or sur les étangs bleus D’une étrange savane, Où pleut la fleur de frangipane, N’éblouira vos yeux ; Ni les feux de la luciole Dans cette épaisse nuit Que tout à coup perce l’ennui D’un tigre qui miaule. XLIV Vous qui retournez du Cathai Par les Messageries, Quand vous berçaient à leurs féeries L’opium ou le thé, Dans un palais d’aventurine Où se mourait le jour, Avez-vous vu Boudroulboudour, Princesse de la Chine, Plus blanche en son pantalon noir Que nacre sous l’écaille ? Au clair de lune, Jean Chicaille, Vous est-il venu voir, En pleurant comme l’asphodèle Aux îles d’Ouac-Wac, Et jurer de coudre en un sac Son épouse infidèle, Mais telle qu’à travers le vent Des mers sur le rivage S’envole et brille un paon sauvage Dans le soleil levant ? XLV Molle rive dont le dessin Est d’un bras qui se plie, Colline de brume embellie Comme se voile un sein, Filaos au chantant ramage- Que je meure et, demain, Vous ne serez plus, si ma main N’a fixé votre image. XLVI Douce plage où naquit mon âme ; Et toi, savane en fleurs Que l’Océan trempe de pleurs Et le soleil de flamme ; Douce aux ramiers, douce aux amants, Toi de qui la ramure Nous charmait d’ombre et de murmure, Et de roucoulements ; Où j’écoute frémir encore Un aveu tendre et fier- Tandis qu’au loin riait la mer Sur le corail sonore. XLVII Nous jetâmes l’ancre, Madame, Devant l’île Bourbon À l’heure où la nuit sent si bon Qu’elle vous troublait l’âme. (Ô monts, ô barques balancées Sur la lueur des eaux, Lointains appels, plaintes d’oiseaux Étrangement lancées.) ... Au retour, je vous vis descendre L’écumeux barachois, Dans les bras d’un nègre de choix : Virgile, ou Alexandre. XLVIII Saigon : entre un ciel d’escarboucle Et les flots incertains, Du bruit, des gens de fièvre teints, Sur le sanglant carboucle. Et, seule où l’oeil se recréât, Pendait au toit d’un bouge L’améthyste, dans tout ce rouge, D’un bougainvilléa : Tel aujourd’hui, sous la voilette, Calice double et frais, Mon regard vous boit à longs traits, Beaux yeux de violette. XLIX J’ai beau trouver bien sympathique Feu Loufoquadio, Ses Japs en sucre candiot, Son Bouddha de boutique ; J’aime mieux le subtil schéma, Sur l’hiver d’un ciel morne, De ton aérien bicorne, Noble Foujiyama, Et tes cèdres noirs, et la source Du temple délaissé, Qui pleurait comme un coeur blessé, Qui pleurait sans ressource. L J’ai vu le Diable, l’autre nuit ; Et, dessous sa pelure, Il n’est pas aisé de conclure S’il faut dire : Elle, ou : Lui. Sa gorge, -avait l’air sous la faille, De trembler de désir : Tel, aux mains près de le saisir, Un bel oiseau défaille. Telle, à la soif, dans Blidah bleu, S’offre la pomme douce ; Ou bien l’orange, sous la mousse, Lorsque tout bas il pleut. -« Ah ! » dit Satan, et le silence Frémissait à sa voix, « Ils ne tombent pas tous, tu vois, Les fruits de la Science ». LI On descendrait, si vous l’osiez, D’en haut de la terrasse, Jusques au seuil, où s’embarrasse Le pas dans les rosiers. D’un martin pêcheur qui s’élance L’éclair n’a que passé ; Et la source, à son pleur glacé, Alterne un noir silence. L’Angélus, dans le couchant roux, Comme un parfum s’efface. Lilith, en détournant sa face, A tiré les verroux. LII C’était, dans les vapeurs du nard, Un cri, des jeux infâmes, Et ces yeux fatals qu’ont les femmes Du cruel Fragonard. Parfois, pour ranimer l’orgie, Brillait un sang nouveau. Bacchus, rose comme le veau, Cuvait sa nostalgie. Cet air des Brigands l’attristait. Il voulait qu’on s’en aille. Une voix se tut. La canaille Dansait, et sanglotait. LIII -« Enfin, puisque c’est Sa demeure, Le bon Dieu, où est-Y ? -« Chut, me dit-elle : Il est sorti, On ne sait à quelle heure. » « Et de nous tous le plus calé, Je dis : Satan lui-même, Ne sait en ce désordre extrême Où diable Il est allé. » LIV Tout ainsi que ces pommes De pourpre et d’or Qui mûrissent aux bords Où fut Sodome ; Comme ces fruits encore Que Tantalus, Dans les sombres palus, Crache, et dévore ; Mon coeur, si doux à prendre Entre tes mains, Ouvre-le, ce n’est rien Qu’un peu de cendre. LV À Londres je connus Bella, Princesse moins lointaine Que son mari le capitaine Qui n’était jamais là. Et peut-être aimait-il la mangue ; Mais Bella, les Français Tels qu’on le parle : c’est assez Pour qui ne prend que langue ; Et la tienne vaut un talbin. Mais quoi ? Rester rebelle, Bella, quand te montre si belle Le désordre du bain ? LVI Au détour de la rue étroite S’ouvre l’ombre et la cour Où Diane en plâtre, et qui court N’a que la jambe droite. Là-bas sur sa flûte de Pan, Un Ossalois nous lance Ces airs aigus comme une lance Qui percent le tympan, Ô Faustine, et je vois se tendre L’arc pur de ton sourcil ; Telle une autre Diane, si Le trait n’était si tendre. LVII Dans la rue-des-Deux-Décadis Brillait en devanture Un citron plus beau que nature Ou même au Paradis ; Et tel qu’en mûrissait la terre Où mes premiers printemps Ombrageaient leurs jours inconstants Sous ton arbre, ô Cythère. Dans la rue-des-Deux-Décadis Passa dans sa voiture Une dame aux yeux d’aventure Le long des murs verdis. LVIII C’était sur un chemin crayeux Trois châtes de Provence Qui s’en allaient d’un pas qui danse Le soleil dans les yeux. Une enseigne, au bord de la route, -Azur et jaune d’oeuf-, Annonçait : Vin de Châteauneuf, Tonnelles, Casse-croûte. Et, tandis que les suit trois fois Leur ombre violette, Noir pastou, sous la gloriette, Toi, tu t’en fous : tu bois... C’était trois châtes de Provence, Des oliviers poudreux, Et le mistral brûlant aux yeux Dans un azur immense. LIX Dessous la courtine mouillée Du matin soucieux, Tu balances, harmonieux, Ta branche dépouillée, Beau peuplier qui de l’été Fais voir encor la grâce : Pourquoi l’âge a-t-il sur ma face Aboli ma fierté ? LX Pour une dame imaginaire Aux yeux couleur du temps, J’ai rimé longtemps, bien longtemps : J’en étais poitrinaire. Quand vint un jour où, tout à coup, Nous rimâmes ensemble. Rien que d’y penser, il me semble Que j’ai la corde au cou. LXI Pâle matin de Février Couleur de tourterelle Viens, apaise notre querelle, Je suis las de crier ; Las d’avoir fait saigner pour elle Plus d’un noir encrier... Pâle matin de Février Couleur de tourterelle. LXII Me rendras-tu, rivage basque, Avec l’heur envolé Et tes danses dans l’air salé, Deux yeux, clairs sous le masque. LXIII Toute allégresse a son défaut Et se brise elle-même. Si vous voulez que je vous aime, Ne riez pas trop haut. C’est à voix basse qu’on enchante Sous la cendre d’hiver Ce coeur, pareil au feu couvert, Qui se consume et chante. LXIV Toi, pour qui les dieux du mystère Sont restés étrangers, J’ai vu ta mâne aux pieds légers, Descendre sous la terre, Comme en un songe où tu te vois À toi-même inconnue, Tu n’étais plus, -errante et nue,- Qu’une image sans voix ; Et la source, noire, où t’accueille Une fauve clarté, Une étrange félicité, Un rosier qui s’effeuille... LXV Épitaphe. I. M. N. Plus souple à dénouer mes plis Que le serpent n’ondule, Ayant tous, ô Vénus Pendule, Tes rites accomplis ; Quand vint l’heure où le coeur se navre, Et des fatals ciseaux, Je mourus, comme les oiseaux, Sans laisser de cadavre. LXVI Sur l’océan couleur de fer Pleurait un choeur immense Et ces longs cris dont la démence Semble percer l’enfer. Et puis la mort, et le silence Montant comme un mur noir. ... Parfois au loin se laissait voir Un feu qui se balance. LXVII Ô jour qui meurs à songer d’elle Un songe sans raison, Entre les plis du noir gazon Et la rouge asphodèle ; N’est-ce pas, aux feux du plaisir Inclinée et rebelle, Elle encor, mais cent fois plus belle, Et de flamme à saisir ? ... Là-bas monte la voix dernière D’un bouvier sous les cieux. On n’entend plus que ses essieux Qui grincent dans l’ornière. LXVIII In memoriam J. G. M. M. C. M. III. Dormez, ami ; demain votre âme Prendra son vol plus haut. Dormez, mais comme le gerfaut, Ou la couverte flamme. Tandis que dans le couchant roux Passent les éphémères, Dormez sous les feuilles amères. Ma jeunesse avec vous. LXIX Quand l’âge, à me fondre en débris, Vous-même aura glacée Qui n’avez su de ma pensée Me sacrer les abris ; Qui, du saut des boucs profanée, Pareille sécherez À l’herbe dont tous les attraits, C’est une matinée ; Quand vous direz : « Où est celui De qui j’étais aimée ? » Embrasserez-vous la fumée D’un nom qui passe et luit ? LXX La vie est plus vaine une image Que l’ombre sur le mur. Pourtant l’hiéroglyphe obscur Qu’y trace ton passage M’enchante, et ton rire pareil Au vif éclat des armes ; Et jusqu’à ces menteuses larmes Qui miraient le soleil. Mourir non plus n’est ombre vaine. La nuit, quand tu as peur, N’écoute pas battre ton coeur : C’est une étrange peine. Chansons. I Romances Sans Musique. En Arles. Dans Arle, où sont les Aliscams, Quand l’ombre est rouge, sous les roses, Et clair le temps, Prends garde à la douceur des choses. Lorsque tu sens battre sans cause Ton coeur trop lourd ; Et que se taisent les colombes : Parle tout bas, si c’est d’amour, Au bord des tombes. Les Trois Dames D’Albi. Filippa, Faïs, Esclarmonde, Les plus rares, que l’on put voir, Beautés du monde ; Mais toi si pâle encor d’avoir Couru la lune l’autre soir Aux quatrerues, Écoute : au bruit noir des chansons Satan flagelle tes soeurs nues ; Viens, et dansons. Plus Oultre. Au mois d’aimer, au mois de Mai, Quand Zo’ va cherchant sous les branches Le bien-aimé, Son jupon, tendu sur les hanches, Me fait songer à l’aile blanche Du voilier : Mers qui battez au pied des mornes Et dont un double Pilier Dressa les bornes. Le Temps D’Adonis. Dans la saison qu’Adonis fut blessé, Mon coeur aussi de l’atteinte soudaine D’un regard lancé. Hors de l’abyme où le temps nous entraîne, T’évoquerai-je, ô belle, en vain -ô vaines Ombres, souvenirs. Ah ! dans mes bras qui pleurais demi-nue, Certe serais encore, à revenir, Ah ! la bienvenue. II Le Tremble Est Blanc. Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève. Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve, Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève, Tes yeux plus clairs. À travers le passé ma mémoire t’embrasse. Te voici. Tu descends en courant la terrasse Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent Parmi les fleurs. Par un après-midi de l’automne, au mirage De ce tremble inconstant que varient les nuages, Ah ! verrai-je encor se farder ton visage D’ombre et de soleil ? III Longtemps si j’ai demeuré seul, Ah ! qu’une nuit je te revoie. Perce l’oubli, fille de joie, Sors du linceul. D’une figure trop aimée, Est-ce toi, spectre gracieux, Et ton éclat, cette fumée Devant mes yeux ? Ta pâleur, tes sombres dentelles, Le bal qui berçait nos pieds las, Un corps qui plie entre mes bras : Je me rappelle... IV Quelquefois, après des ébats polis, J’agitai si bien, sur la couche en déroute, Le crincrin de la blague et le sistre du doute Que les bras t’en tombaient du lit. Après ça, tu marchais, tu marchais quand même, Et ces airs, hélas, de doux chien battu, C’est à vous dégoûter d’être tendre, vois-tu, De taper sur les gens qu’on aime. V Toi qui fais rêver, ô brune Si pâle, de clair de lune ; Des heures blanches et lentes Où les colombes lamentent ; Le jour efface la lune, Les blondes se rient des brunes. Je t’ai onze jours aimée : L’amour, n’est-ce pas fumée ? VI Vous souvient-il de l’auberge Et combien j’y fus galant ? Vous étiez en piqué blanc : On eût dit la Sainte Vierge. Un chemineau navarrais Nous joua de la guitare. Ah ! que j’aimais la Navarre, Et l’amour, et le vin frais. De l’auberge dans les Landes Je rêve, -et voudrais revoir L’hôtesse au sombre mouchoir, Et la glycine en guirlandes. VII Aimez-vous le passé Et rêver d’histoires Évocatoires Aux contours effacés ? Les vieilles chambres Veuves de pas Qui sentent tout bas L’iris et l’ambre ; La pâleur des portraits, Les reliques usées Que des morts ont baisées, Chère, je voudrais Qu’elles vous soient chères, Et vous parlent un peu D’un coeur poussiéreux Et plein de mystère. (Musique de René de Castera.) VIII L’Alchimiste. Satan, notre meg, a dit Aux rupins embrassés des rombières : « Icicaille est le vrai paradis « Dont les sources nous désaltèrent. « La vallace couleur du ciel « Y lèche le long des allées « Le pavot chimérique et le bel « Iris, et les fleurs azalées. « La douleur, et sa soeur l’Amour, « La luxure aux chemises noires « Y préparent pour vous, loin du jour, « Leurs poisons les plus doux à boire. « Et tandis qu’aux portes de fer « Se heurte la jeune espérance, « Une harpe dessine dans l’air « Le contour secret du silence. » Ainsi (à voix basse) parla Le sorcier subtil du Grand OEuvre, Et Lilith souriait, dont les bras Sont plus frais que la peau des couleuvres. IX En l’an 801 de Rome César Claudius convint De quelques mesures, afin D’aider au bonheur des hommes. Un aqueduc fut parfait, Une loi réprima l’usure ; Et trois caractères furent Ajoutés à l’alphabet : Savoir (ainsi nous enseigne Tacite) l’F inversé, L’antisigma, l’I barré, (Cf. le Corpus du règne). Cependant, -louange à Vénus !- Messaline, et moins assouvie, Oubliait le poids de la vie Dans les bras du beau Silius. X Vêtue à l’envi d’un beau soir D’une liquette d’écarlate Et d’un seul bas noir, délicate À voir, Telles, divin marquis, les seules Couleurs peignant à ton désir La mort de sable, et du plaisir Les gueules. XI Soir De Montmartre. Décor d’encre. Sur le ciel terne Court un fil de fer : Mansarde où l’on aima, vanterne Sans carreaux, où l’on a souffert. Une enfant fait le pied de grue Le long du trottoir. Le bistro, du bout de la rue, Ouvre un oeil de sang dans le noir ; Tandis qu’on pense à sa province, À Faustine, à Zo’... Mais c’est pour Lilith que j’en pince : Autres chansons, autres oiseaux. XII Vous me reprochez, entre tant, D’être chipé pour la boniche. Mais vous donner mon coeur, autant Porter des cerises à Guiche. Ne prenez pas cet air pointu En parlant d’amour ancillaire. Achille a taxé sa vertu Au prix des captives, ma chère. Et je sais, brûlé d’autres cieux, Un village sous les goyaves, Peuplé des fils par mes aïeux Qu’ils avaient fait à leurs esclaves. XIII Réveil. Si tu savais encor te lever de bonne heure, On irait jusqu’au bois, où, dans cette eau qui pleure Poursuivant la rainette, un jour, dans le cresson Tremblante, tes pieds nus ont leur nacre baignée. Déjà le rossignol a tari sa chanson ; L’aube a mis sa rosée aux toiles d’araignée, Et l’arme du chasseur, avec un faible son, Perce la brume, au loin, de soleil imprégnée. XIV Alcôve Noire. Ces premiers froids que l’on réchauffe d’un sarment, -Et des platanes d’or le long gémissement, -Et l’alcôve au lit noir qui datait d’Henri IV, Où ton corps, au hasard de l’ombre dévêtu, S’illuminait parfois d’un rouge éclair de l’âtre, Quand tu m’aiguillonnais de ton genou pointu, Chevaucheuse d’amour si triste et si folâtre ; -Et cet abyme où l’on tombait : t’en souviens-tu ? Dixains. I Nane, as-tu gardé souvenir Du Panthéon-Place Courcelle Qui roulait à cris de crécelle, Sans au but jamais parvenir ; Du jour où te sculptait la brise Sous ta jupe noire et cerise ; De l’impérial au banc haut, Où se scandait comme un ïambe La glissade avec le cahot, -Et du vieux qui lorgnait tes jambes ? II Église de Saint-Augustin, Au porche maigre, à l’ample dôme Dont les cloches seraient à Rome Beaucoup mieux qu’ici, le matin, Si ta circonspecte opulence Ignore cette violence Qui nous abyme en oraison, C’est que Dieu même est resté triste Qu’on prît pour bâtir sa maison Un architecte calviniste. III Si ta grande ombre, ô Moréas, Revient aux cabarets des Halles Parmi les filles de trois balles Et leurs gitons complets à l’as, Puissé-je au soir d’un beau Dimanche, Près de l’homme à la souris blanche, À l’Ange ou dans l’affreux Caveau, Entendre encor ta voix cuivrée Telle, de sagesse enivrée, Une cigale, au renouveau. IV Chandelier toujours sans chandelle Mais qu’il y faudrait trop de suif, Atricaille à revendre au Juif Et qui fais peur à l’hirondelle : Qu’Eiffel ait trouvé ton schéma Dans les marais de Panama Ça vaut-il à jamais qu’en France, Sous couleur de parler sans fil Aux nègres de l’île-à-Morfil, Ta laideur soit sans espérance ? V « -Non, ce taxi, quelle charrette. C’est sous les toits, votre entresol ? Je t’aime... Oui c’est un tournesol... Si tu savais comme il me traite : Des claques voilà mes cadeaux ! Je croyais n’être jamais prête. ... Ça ? C’est moi. Laissez les rideaux. » « -Le coeur vous est bien en dentelle. » « -Mais il faut une heure » dit-elle « Rien qu’à me lacer dans le dos. » VI L’un vainqueur ou l’autre battu, Ces beaux soldats qui vous ont faite Gardaient jusque dans la défaite Le sourire de leur vertu. Vous, pour avoir rendu les armes, Je vous trouve fondue en larmes Et qui m’insultez entre tant. Que si l’on doit, toute sa vie, Déplorer l’éclair d’un instant, Mieux vaut coucher sur son envie. VII Industrieux fils de Dédale Qui ressuscitez dans Paris- Pourquoi, j’y entrave que dale- Tant de singes en vain péris ; Et de quoi sert que Dieu les tue Si vous nous fichez leur statue ? Il faut vivre, se faire un nom. -Eh ! Qui de savoir s’évertue, Par la racine ou non, Comment vous mangez la laitue. VIII Sur le canal Saint-Martin glisse, Lisse et peinte comme un joujou, Une péniche en acajou, Avec ses volets à coulisse, Un caillebot au minium, Et deux pots de géranium Pour la Picarde, en bas, qui trôle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je rêve d’un soir rouge d’or, Et d’un lougre hindou qui s’endort : -Siffle la brise... eh toi ! créole. IX Ce pavé que l’Europe foule Est gras encor du suif des morts. Leurs os, qui n’ont plus de remords, Y dorment au pas de la foule, D’un sommeil noir, à pleins paniers. -Dors-tu, Cathau, loin des charniers Où tes crapauds, sous l’herbe verte, Enchantaient le coeur des passants : Toi qu’un jour l’aube, aux Innocents, Trouva nue, et la gorge ouverte ? X Qu’Allard, sur la caricature De ce malcuit, de ce Dolet, Aille râler du Michelet, Que le Vieux Sçavant s’aventure À débrouiller son plagiat- Dieu les garde ! Mais tant y a Qu’un éditeur c’est bon à prendre. Et nos aïeux, en ayant un Sous la main, le menèrent pendre : Ainsi soit de tout importun. XI Tant pis si Boulenger m’attrape, Je n’irai plus à Chantilly Pâmer sur un lièvre assailli Par deux chiens à la forte gueule, Sauf à vous y trouver encor, Fille de France au ciel d’accord. Telle -et le printemps nous présage- L’onde où tremble un pur paysage N’est si délicieux décor Que ses rêves sur son visage. XII Puisque tes jours ne t’ont laissé Qu’un peu de cendre dans la bouche, Avant qu’on ne tende la couche Où ton coeur dorme, enfin glacé, Retourne, comme au temps passé, Cueillir, près de la dune instable, Le lys qu’y courbe un souffle amer, -Et grave ces mots sur le sable : Le rêve de l’homme est semblable Aux illusions de la mer. Coples. I Le sable où nos pas ont crié, l’or, ni la gloire, Qu’importe, et de l’hiver le funèbre décor. Mais que l’amour demeure, et me sourie encor Comme une rose rouge à travers l’ombre noire. II Toi qui blessas Vénus, ah, si Vénus te blesse, Diomède, bénis sa force, et sa faiblesse. III Tant de travail, docteur, pour découvrir enfin Que l’Être se nourrit, et meurt de pourriture ? Ah ! cesse, à tes fourneaux, d’avilir la nature : Ce n’est que songe et fleurs dont nos âmes ont faim. IV Quoi, c’est vrai, tu m’aimas, qui de moi fus aimée ? Amour, divine flamme ; amour, triste fumée... V Scarabée amoureux, qu’un enivrant délice, Et la rose brûlée aux feux de Messidor, Captivent, tu n’es pas, ni dans cette ombre d’or, Le premier qu’on ait vu mourir d’un beau calice. VI Que ce fut douce, hélas ; que c’est lointaine chose, Votre jupe bleu-lin, et ce transparent rose. VII Hélas, rien ne varie ; et quoi qu’on ait coutume D’en dire, tout est comme à son commencement. Les fruits n’ont pas changé d’odeur, ni mêmement Les femmes de mensonge, ou Thétis d’amertume. VIII Mopse prétend pécher contre l’Esprit : c’est être Bien fat. Pour L’offenser, il faudrait Le connaître. IX Tel qui soûla de sang ses rêves et son fer, Aujourd’hui pardonné, son opprobre s’efface. C’est ainsi que sur nous Dieu fait tonner Sa grâce. Ne force pas qui veut les portes de l’enfer. X Vénus hait le soleil. Sous le couvert éclose, Jadis à son coeur noir m’enivrait une rose. XI Lorsque Timour partit avec sa femme en croupe D’un cheval comme lui boiteux mais fier encor, Son épée à ton coeur subtil battait d’accord, Daoude aux longues mains. Et tu portais sa coupe. XII Bénarès, dont le nom est rempli de parfums, Je n’ai vu, sur tes bords, fumer que trois défunts. XIII Qu’importe si l’automne a fané le séjour Où nous avons brûlé, Faustine, aux mêmes flammes. Je sais d’autres secrets pour endormir les âmes ; Et ma chambre de nacre irise encor le jour. XIV L’amour n’est plus. Le jour viendra-t-il que j’oublie, Nouvel et noir venin, ta puissante folie ? XV Boy, une pipe encor. Douce m’en soit l’aubaine Et l’or aérien où s’étouffent les pas Du sommeil. Mais non, reste, ô boy : n’entends-tu pas Le dieu muet qui heurte à la porte d’ébène ? XVI Tout autour de la lampe à deux fois rallumée Les papillons d’émail sont ivres de fumée. XVII Quand les os sont pareils à des roseaux légers ; L’heure, comme une flûte au bord de la prairie : Pavots de pourpre, ô vous dont l’ombre s’est fleurie, Défendez-nous du jour et des pieds étrangers. XVIII Brouillard de l’opium tout trempé d’indolence, Robe d’or suspendue aux jardins du silence. XIX Invisibles regards qu’on sait qui nous verront, Fumée où se dérobe une présence abstraite, Les flambeaux ont noirci. Quel mystère s’apprête, Qui met une sueur d’épouvante à mon front ? XX La dure alcôve au bénarès est parfumée, À s’y pourrir le coeur. Venez, ô bien-aimée. XXI Dans ce charnier d’amants qu’a dévorés la Chine Où tu glapis ton coeur sur leurs os corrompus, N’es-tu pas lasse encor d’opium ni de pus, Hyène jaune, à qui frémit sa haute échine ? XXII Ô nuit parmi les nuits de laque et de vermeil, Es-tu l’aurore, -ou les degrés d’un noir sommeil ? XXIII -« Contemple un autre monde » a chuchoté la fée, Cependant que les murs s’entr’ouvraient devant moi, Découvrant Londre aux ombres d’or, son triste émoi, Et la pendante Hécate, au ciel, sanglant trophée. XXIV On dirait une main qui chiffonne un linceul. Qui donc vient de parler tout bas ? Serais-je seul ? XXV Cette averse, Badoure, où ma langueur balance À t’émouvoir, s’éloigne ainsi qu’un messager. Écoutes-en tarir le battement léger Dans nos coeurs, et l’amour s’enchanter de silence. XXVI Quoi, nul amour encor ne t’enseigna ses veilles, Paradis que n’ont pas animé les abeilles ? XXVII Admire des glaïeuls l’écarlate pointu, Et, sous le noir cyprès, cette glycine encore. Ça, c’est un ibiscus, dont le coeur se décore D’une touffe d’or vert. C’est vrai : pourquoi ris-tu ? XXVIII Toi qu’arment les pavots de leur sombre vertu, Karahissar, Karahissar, que me veux-tu ? XXIX Paradis d’ombre fraîche et de chaleur extrême, Où mûrit la grenade, et, non loin du jasmin, Cette double pastèque agréable à la main : Badoure, il n’est jardin que des fleurs où l’on aime. XXX Madame, qui l’eût dit que dans vos bras habite Amour si tristement et subie, et subite ? XXXI Je me rappelle un jour de l’été blanc, et l’heure Muette, et les cyprès... Mais tu parles : soudain, Je rêve, les yeux clos, à travers le jardin, D’une source un peu rauque, et qu’on entend qui pleure. XXXII Stendhal, si revenait ta blonde Chastellux, Mes crayons à la peindre en deviendraient poilus. XXXIII -Tout ce réseau, cette ombre, invisible séjour D’un amour que trahit ton sourire et ta robe Nous cache... -Mainte fleur au regard se dérobe, Ami. -Plus d’un corail rougit au loin du jour. XXXIV C’est la R. H. Ellen De Northeambrie, Qui m’avait fait cadeau de ce mouchoir de poche. XXXV Presque une enfant encor, mais déjà grande et belle, Je vis un jour ses pleurs, par l’orgueil retenus À force rejaillir, comme les joyaux nus Que fait naître le fer, d’une source rebelle. XXXVI J’adore les magasins du passage Choiseul, C’est un véritable divertissement pour l’oeil. XXXVII Arc vermeil, mais des arcs le plus lâche en sa corde. Ignorant à me vaincre autant que de plier Sous la flèche qui chante, ah, traîne ta discorde De la maison Tellier à la maison Sohlier. XXXVIII Augagneur va parler. France est à la campagne : Nous n’aurons aujourd’hui ni Colbert, ni Montaigne. XXXIX Tu m’avais dit : « Je t’embrasserai, si tu veux, Dans le parc. » Je suivis, sous la basquine blanche, Tes pieds vifs. Dans l’air d’or, où sonne un beau Dimanche, Des papillons volaient autour de tes cheveux. XL -Agnès, pleurer ? Dit Charle. Oui, quand à Marly mouille Ra la pluie. Il faudrait... -Boire ! dit la Trémoïlle.- XLI La mer étincelait ainsi qu’une gitane Sous ses volants d’azur où scintille le fer ; Et tu m’as dit : « Que je suis lasse de la mer. Venez : l’heure est plus douce à l’ombre du platane. » XLII Heure céruléenne, et vous, regards couverts : Émeraude fondue, Aden, de tes soirs verts. XLIII Toi dont pendent les fleurs au rivage de Loire, Jardin harmonieux, que je hais la forêt Noire et verte, et des bois où le faune apparaît L’épouvante cachée à l’ombre de leur gloire. XLIV Jardin qu’un dieu sans doute a posé sur les eaux, Maurice, où la mer chante, et dorment les oiseaux. XLV Alger, ville d’amour, où tant de nuits passées M’ont fait voir le henné de tes roses talons, Tu nourrissais pour moi, d’une vierge aux doigts longs, L’orgueil, et l’esclavage, et les fureurs glacées. XLVI Salut, Côte-Rotie, et toi, rouget trilibre, Qui remplissez le ventre, en laissant le coeur libre. XLVII Dolhia, au poète Fô. Ces arondes de jade, et l’or qui les emmanche Dans mes cheveux -qu’un soir ton amour délia, Je te les donne en souvenir. Quand il y a Du brouillard, il les faut polir avec ta manche. XLVIII En l’an 1910 de phrases -et du Christ, Nous nous sommes, ma chère enfant, beaucoup écrit. XLIX Sous le soir jaune et vert nous ne reviendrons pas Le long du chemin creux qui penche vers Bilhère, Faustine. Ni, du bois embelli de bruyère, L’argile n’a gardé la forme de tes pas. L De faire amant ensemble, ah, c’est un doux barème : La fille couche avec, et la mère les aime. LI Le Mardi gras, ni toi, ni moi, nous n’étions gais. Des carreaux où du ciel le jour semblait descendre Sur notre âme, on eût dit qu’il pleuvait de la cendre : -Ah, ah ! t’écriais-tu parfois en portugais. LII Mopse, pour tous émoluments, longtemps vécut De coups de pied au cul. LIII Voici que j’ai touché les confins de mon âge. Tandis que mes désirs sèchent sous le ciel nu, Le temps passe et m’emporte à l’abyme inconnu, Comme un grand fleuve noir, où s’engourdit la nage. LIV Sur une statue de Michel-Ange. Esclave, mais non pas de l’homme, et qu’au matin À peine de ta vie, accable le destin. LV Tu as beau me parler de vieillesse, ah, que n’ai-je Pareil déclin. Mais toi, dessous tes cheveux blancs, On dirait, à ton coeur grave et tes gestes lents, D’un roseau qui s’incline, où pèse un peu de neige. LVI Sur un portrait de Madame Récamier. Madame Récamier. Pour un sourire d’elle On vit Chateaubriand cesser d’être infidèle. LVII Ces moires dont Zéphire incline la prairie, Ou si quelque déesse invisible a passé, Ainsi courait Camille. Ainsi passa Marie : Sur l’herbe et dans mon âme, ô méandre effacé. LVIII Sur la Halte de chasse de Van Loo. On rit, on se baise, on déjeune... Le soir tombe : on n’est plus très jeune. LIX Cette fraîcheur du soir, qu’on dirait que tamise Une émeraude, a fait se joindre tes genoux, Et tu sembles moins nue ainsi. Mais, entre nous, Ton mari te dirait : « Comme vous voilà mise. » LX Sur un tableau de Vinci. Ah, mon frère aux beaux yeux, ce n’est pas sans douceur, Ce n’est pas sans péril, que tu serais ma soeur. LXI Elle est noire, c’est vrai. Corail ni jameroses Ne rient dans sa figure, ou l’or non plus des blés. Mais, les charbons sont noirs comme elle. Allume-les : On dirait un buisson de roses. LXII Eh, jeûnes à ta faim d’aimer si le déboire Te suffit. Mais c’est être fou de ne plus boire. LXIII Dessous le flamboyant qui couvre l’herbe nue D’un dôme violet, où je vous vois encor Fraîche comme l’eau vive en un brûlant décor, Jeanne aux yeux ténébreux, qu’êtes-vous devenue ? LXIV Que je t’aime au temps chaud, la soeur et bientôt mûre D’un fruit couleur de feu sous la verte ramure. LXV Ne crains pas que le Temps sçache les cieux briser ; Ni qu’en ses mains varient les fleurs ou les Empires. Rien ne change. Le même lys tu le respires Qu’autrefois Cléopâtre, -et le même baiser. LXVI Deux vrais amis vivaient au Monomotapa ... Jusqu’au jour où l’un vint voir l’autre, et le tapa. LXVII Le lys. Le divin parfum de Chine emplissait la chambre. Soudain, secouant les pleurs de l’hiver mouillé, Tu parus, Faustine. Ah ! que n’est-ce encor Décembre, Et toi, hors de ton linge épars, lys effeuillé. LXVIII Sous ta paupière bleue, Albe, ton regard d’or : Tel palpite l’éclair aux nuits de Messidor. LXIX Des bords du canal noir où tu quittas ton linge, Le noir tchocra te guette avec des yeux luisants, Floryse. Au loin blanchit la mer sur les brisants, Parfois sur Chamarel on voit passer un singe. LXX Va, laisse notre amour en paix : du feu de joie Mourant, n’agite pas la cendre qui rougeoie. LXXI Il m’en souvient : ta robe claire dans l’allée. Le fleuve dont le soir éclairait le détour -Tel un sabre, la nuit, qui brille -et sous la tour, Cette sinistre voix au vent du nord mêlée. LXXII Il n’est plus, ce jour bleu -ni ses blanches colombes- Ce jour brûlant, où tu m’aimas parmi les tombes. LXXIII Mère d’un seul amour, ô Vénus Uranie, Je te sacre d’un bras d’onze lustres glacé, Ma coupe, et cette lyre où chanta l’Ionie, Et le style d’or pur qui mon rêve a tracé. LXXIV Ô femmes, dites-moi, dans la nuit qui passez, Ce qu’à travers vos yeux pleurent les trépassés. LXXV Vieillesse, lendemain d’amour, tristes ébats... Sur les carreaux d’azur rampait la fleur du givre. Un Arlequin caduc pleure. Est-il las de vivre ? Va, nous dormirons tous. Mais les lits, c’est plus bas. LXXVI Filles de la fumée, à qui l’aube décente Rougit de voir le jarret nu, la main pressante. LXXVII Le soleil se levait dans un ciel sans nuage. L’aube aux tendres couleurs se mirait dans les eaux. Un râle épouvanté courut dans les roseaux, Qui prit pour un serpent la corde de halage. LXXVIII Mon chien s’appelait Tom, et ma chienne Djaly. Ah, que de noms pompeux méritaient mieux l’oubli. LXXX Spongieux, panaché de bambous, triste, plat, S’étendait sous nos yeux le Delta d’émeraude. Quelqu’un avait porté du bon yunnam de fraude : Vos regards étaient pleins de rêves et d’éclat. LXXX Ciel ! Isadora Duncan Va danser. F...ons le camp. LXXXI Comme je lui levais sa jupe, curieux De voir son bas plus rose où le jarret l’affleure, -« Fumez plutôt, mon cher. Fleurter, ce n’est pas l’heure », Me dit-elle immobile, « et soyons sérieux ». LXXXII Eh quoi, le monde tourne, et mon bol, et ce livre Que je tiens dans ma main. Ô ciel tu es donc ivre ? LXXXIII Nous fumâmes toute la nuit. Puis un boy vint Pour ouvrir la fenêtre. Une aurore embaumée Entra, chassant la nuit, les rêves, la fumée. -« Une encor, dit Scilla. Ça fera juste 20. » LXXXIV Sous le ciel noir, j’entends les fruits tomber, Faustine, Temps n’est plus ni printemps de te chanter matine. LXXXV L’ombre, ni le mystère enchanté des fontaines, Et l’éclair noir du merle, ou l’auberge aux murs bas : Je n’ai rien oublié. Non plus quand tu courbas Ce front trop orgueilleux, que paraient deux antennes. LXXXVI Telle qu’étincelait sa gorge un soir de fête, Pétris ma coupe. Et puis signe : Douris m’a faite. LXXXVII Nous bûmes tout le jour, un autre -et, le suivant, Dans l’ombre un luth chanta qui disait que l’on m’aime. Hélas vous varierez, ô Badoure. Moi-même Ne suis-je las d’aimer ? Poussière, et toi du vent ? LXXXVIII La demoiselle, de vieillesse, est presque morte. Elle frissonne encore un peu : le vent l’emporte. LXXXIX Ne cherche pas l’amour en dehors de soi-même. L’infini se mesure à son seul infini, Et la métaphysique en sait moins que Nini Quand au frisson du myrte elle répond : je t’aime. XC Ce qu’il fait, Z. a cru longtemps que c’est des vers. Avez-vous jamais lu de la prose à l’envers ? XCI Je songe aux plats sucrés de ma vieille Detzine, Et du service Empire en son jaune marli. Un lamba madécasse enveloppait mon lit, Sous le pastel usé d’une affreuse cousine. XCII Le bouc et la brebis enfantent le titire. Mais le musmon, de chèvre et de bélier, se tire. XCIII Le tournebroche à poids qui réglait la cuisine S’est tu, comme le dur et noir magnolier Où grimpait en chantant ma petite voisine. L’ombre des cyprès tourne. Est-ce pour oublier ? XCIV Pour un cuino, se mettre à trois, ah c’est beaucoup. Le bélier seul et toi suffirez à ce coup. XCV La guirlande n’est plus, ni le brun violier, Qu’un arôme qui meurt au fond de ton armoire À glace. Que ne puis-je aussi bien oublier Un acide parfum qui perce ma mémoire. XCVI Toi dont un tendre coeur, sous son ferme corsage, N’a jamais fait un fol... ah, tu n’es pas bien sage. XCVII Le parc ruisselle encore, où l’averse a passé, Badoure. Approche-toi. Non, laisse, que je goûte Ce bruit voluptueux d’un orme qui s’égoutte : Tel est le pleur furtif d’un plaisir effacé. XCVIII J’ai connu dans Séville, une enfant brune et tendre Nous n’eûmes aucun mal, hélas ! à nous entendre. XCIX Dans l’océan des nuits où l’oeil plonge et s’enchante Diane vient laver la poudre des combats. Et vous, plus nue encore, ô belle, parlez bas : Il n’est voix de la nuit qu’au rossignol qui chante. C Ô Diane, ô nuit pure où chante un rossignol, Ô belle, nue et blanche, en ce lit espagnol. CI Dans quelle Inde nouvelle, ou que ce soit demain Endormi ton caprice et ton âme envolée, A-t-elle su guérir la crueur de ta plaie, Et ce coeur nostalgique où se portait ta main ? CII (Traduit de Voltaire.) Sous le double ornement d’un nom mol ou sonore, Non, il n’est rien que Nanine et Nonore. CIII Le Roi Boit. (d’après Omar Queyam). Derrière les deux tours qui gardent son manoir, Entre son fou qui raille et sa dame au coeur ferme Le roi boit. Tout à coup une voix crie : « on ferme ! » Nous tombons. Quelqu’un clôt le couvercle. -Il fait noir. CIV Étranger, je sens bon. Cueille-moi sans remords : Les violettes sont le sourire des morts. CV In memoriam Henry de Bruchard. Ici repose Henry de Bruchard ; si la cendre Dormait, d’un si beau feu. Trahi dans son propos, France, il tomba, le jour qu’il ne te put défendre ; Comme un fer suspendu, qu’outrage le repos. CVI Gloire aux victorieux. Mais, de celui qui tombe, Laurier, que ton frisson enveloppe la tombe. CVII C’est Dimanche aujourd’hui. L’air est couleur du miel. Le rire d’un enfant perce la cour aride : On dirait un glaïeul élancé vers le ciel. Un orgue au loin se tait. L’heure est plate et sans ride. CVIII Nuit d’amour qui semblais fuir entre deux dimanches. Tel un grand oiseau noir dont les ailes sont blanches. CIX Si vivre est un devoir, quand je l’aurai bâclé, Que mon linceul au moins me serve de mystère. Il faut savoir mourir, Faustine, et puis se taire : Mourir comme Gilbert en avalant sa clé. Source: http://www.poesies.net