L'Engagement Téméraire. (1747) Par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) Comédie En Vers. TABLE DES MATIERES Avertissement. Acteurs. ACTE I Scène I Scène II Scène III Scène IV Scène V Scène VI ACTE II Scène I Scène II Scène III Scène IV Scène V Scène VI Scène VII Scène VIII Scène IX ACTE III Scène I Scène II Scène III Scène IV Scène V Scène VI Scène VII Avertissement. Rien n’est plus plat que cette Pièce: Cependant j’ai garde quelque attachement pour elle, à cause de la gaîté troisième Acte & de la facilite avec laquelle elle fut fait en trois jours, grâce à la tranquillité & au contentement d’esprit, où je vivois alors sans connoître l’art d’écrire & sans aucune prétention. Si je fais moi-même l’Edition générale, j’espère avoir assez de raison pour en retrancher ce barbouillage, sinon je laisse à ceux que j’aurai charge de ce entreprise le soin de juger de ce qu’il convient, soit à ma mémoire, soit au goût présent du Public. Acteurs. DORANTE, VALERE, Amis. ISABELLE, Veuve. ELIANTE, Cousine d’ISABELLE. LISETTE, Suivant d’ISABELLE. CARLIN, Valet de Dorante. UN NOTAIRE. UN LAQUAIS. La scène est dans le Château d’Isabelle. ACTE I Scène I ISABELLE, ELIANTE. ISABELLE. L’Hymen va donc, enfin, ferrer des noeuds si doux: Valère, à son retour, doit être votre époux, Vous allez être heureuse. Ah! ma chère Eliante! ELIANTE. Vous soupirez? Hé bien! Si l’exemple vous tente, DORANTE vous adore & vous le voyez bien. Pourquoi gêner ainsi votre coeur & le sein? Car, vous l’aimez un peu: du moins, je le soupçonne. ISABELLE. Non, l’hymen n’aura plus de droits sur ma personne, Cousine; un premier choix m’a trop mal réussi. ELIANTE. Prenez votre revanche en faisant celui-ci. ISABELLE. Je veux suivre la loi que j’ai su me prescrire; Ou du moins....Car Dorante a voulu me séduire, Sous le feint nom d’ami s’emparer de mon coeur. Serois-je donc ainsi la dupe d’un trompeur, Qui par le succès même en seroit plus coupable? Et qui l’est trop, peut-être. ELIANTE. Il est donc pardonnable. ISABELLE. Point; il ne m’aura pas trompée impunément. Il vient. Éloignons-nous, ma Cousine, un moment. Il n’est pas de son but aussi pries qu’il le pense, Et je veux à loisir méditer ma vengeance. Scène II DORANTE. Elle m’évite encor! Que veut dire ceci? Sur l’ état de son coeur quand serai-je éclairci? Hazardons de parler....Son humeur m’épouvante.... Carlin connoît beaucoup sa nouvelle Suivante; Je veux.... Il apperçoit Carlin. Carlin? Scène III CARLIN, DORANTE. CARLIN. Monsieur? DORANTE. Vois-tu bien ce château? CARLIN. Oui, depuis fort long-temps. DORANTE. Qu’en dis-tu? CARLIN. Qu’il est beau. DORANTE. Mais encor? CARLIN. Beau, très-beau, plus beau qu’on ne peut-être. Que diable! DORANTE. Et si bientôt j’en devenois le maître, T’y plairois-tu? CARLIN. Selon; s’il nous restoit garni. Cousine foisonnante, & cellier bien fourni. Pour vos amusemens, Isabelle., Eliante. Pour ceux du sieur Carlin, Lisette la suivante: Mais, oui, je m’y plairois. DORANTE. Tu n’es pas dégoûté. Hé bien, réjouis-toi, car il est.... CARLIN. Acheté? DORANTE. Non, mais gagne bientôt. CARLIN. Bon! par quelle aventure? Isabelle n’est pas d’âge ni de figure A perdre ses châteaux en quatre coups de dé. DORANTE. Il est à nous, te dis-je, & tout est décidé Déjà dans mon esprit.... CARLIN. Peste! la belle emplette! Résolue à part-vous? c’est une affaire faite, Le château déformais ne fauroit nous manquer. DORANTE. Songe à me seconder au lieu de te moquer. CARLIN. Oh! Monsieur, je n’ai pas une tête si vive; Et j’ai tant de lenteur dans l’imaginative, Que mon esprit grossier toujours dans l’embarras, Ne sait jamais jouir des biens que je n’ai pas: Je serois un Crésus sans cette mal-adresse. DORANTE. Sais-tu mon tendre ami, qu’avec ta gentillesse Tu pourrois bien, pour prix de ta moralité; Attirer sur ton dos quelque réalité? CARLIN. Ah! de moraliser je n’ai plus nulle envie. Comme on te traite, hélas! pauvre philosophie! Cà, vous pouvez parler; j’écoute sans souiller. DORANTE Apprends-donc un secret qu’a tous i1 faut celer, Si tu le peux, du moins. CARLIN. Rien ne m’est plus facile. DORANTE. Dieu le veuille! En ce cas tu pourras m’être utile. CARLIN. Voyons. DORANTE. J’aime Isabelle. CARLIN. Oh! quel secret! Ma foi Je le savois sans vous. DORANTE. Qui te l’a dit? CARLIN. Vous. DORANTE. Moi? CARLIN. Oui, vous: vous conduisez avec tant de mystère Vos intrigues d’amour, qu’en cherchant à les taire, Vos airs mystérieux, tous vos tours & retours En instruisent bientôt la ville & les fauxbourgs. Passions. A votre belle amour la Belle répond-elle? DORANTE. Sans doute. CARLIN. Vous croyez être aime d’Isabelle? Quelle preuve avez-vous du bonheur de vos feux? DORANTE. Parbleu! Monsieur Carlin, vous êtes curieux! CARLIN. Oh? ce ton-là, ma foi, sent la bonne fortune; Mais trop de confiance en fait manquer plus d’une, Vous le savez fort bien. DORANTE. Je suis sur de mon fait, ISABELLE en tout lieu me fuit. CARLIN. Mais en effet C’est de sa tendre ardeur une preuve constante! DORANTE. écoute jusqu’au bout. Cette veuve charmante A la fin de son deuil déclara sans retour Que son coeur pour jamais renonçoit à l’amour. Presque des ce moment mon âme en fut touchée; Je la vis, je l’aimai; mais toujours attachée Au voeu qu’elle avoir fait, je sentis qu’il faudroit Ménager son esprit par un détour adroit: Je feignis pour l’hymen beaucoup d’antipathie, Et réglant mes discours sur sa philosophie, Sous le tranquille nom d’une douce amitié, Dans ses amusemens je fus mis de moitié, CARLIN. Peste! ceci va bien. En amusant les Belles On vient au sérieux. Il faut rire auprès d’elles; Ce qu’on fait en riant est autant d’avance. DORANTE. Dans ces ménagemens plus d’un an s’est passe. Tu peux bien te douter qu’après toute une année On est plus familier qu’après une, journée; Et mille aimables jeux se passent entre amis, Qu’avec un étranger on n’auroit pas permis. Or, depuis quelque tems j’apperçois qu’Isabelle. Se comporte avec moi d’une façon nouvelle. Sa cousine toujours me reçoit de même oeil; Mais sous l’air affecte d’un favorable accueil, Avec tant de réserve Isabelle me traite, Qu’il faut, ou qu’en secret prévoyant sa défaite, Elle veuille éviter de m’en faire l’aveu, Ou que d’un autre amant elle approuve le feu. CARLIN. Eh! qui voudriez-vous qui put ici lui plaire? Il n’entre en ce Château que vous seul & Valère, Qui près de la cousine en esclave enchaîne, Va bientôt par l’hymen voir son feu couronne. DORANTE. Moi donc, n’appercevant aucun rival à craindre; Ne dois-je pas juger que, voulant se contraindre Isabelle aujourd’hui cherche à m’en imposer Sur le progrès d’un feu qu’elle veut déguiser? Mais avec quelque soin qu’elle cache sa flamme; Mots coeur à pénétré le secret de son âme, Ses yeux ont sur les miens lance ces traits charmans, Présages fortunes du bonheur des amans, Je suis aime, te dis-je, un retour plein de charmes Paye enfin mes soupirs, mes transports & mes larmes. CARLIN. Economisez mieux ces exclamations; Il est, pour les placer, d’autres occasions Ou cela fait merveille. Or, quant à notre affaire, Je ne vois pas encor ce que mon ministère, Si vous êtes aime, peut en votre faveur; Que vous faut-il de plus? DORANTE. L’aveu de mon bonheur. II faut qu’en ce Château....Mais j’apperçois Lisette, Va m’attendre au logis. Sur-tout, bouche discrette. CARLIN. Votes offensez, Monsieur, les droits de mon métier. On doit choisir son monde & puis s’y confier. DORANTE le rappellant. Ah! J’oubliois....Carlin? J’ai reçu de Valère Une Lettre d’avis que pour certaine affaire Qu’il ne m’explique pas, il arrive aujourd’hui, S’il vient, cours aussi-tôt m’en avertir ici. Scène IV DORANTE, LISETTE. DORANTE. Ah! c’est toi belle enfant? Et bonjour ma Lisette Comment vont les galans? A ta mine coquette On pourroit bien gager au moins pour deux ou trois: Plus le nombre en est grand & mieux on fait son choix. LISETTE. Vous me prêtez, Monsieur, un petit caractère, Mais fort joli, vraiment! DORANTE. Bon, bon! point de colère. Tiens, avec ces traits-là, Lisette, par ta foi Peux-tu défendre aux gens d’être amoureux de toi? LISETTE. Fort bien. Vous débitez la fleurette à merveilles Et vos galans discours enchantent!es oreilles. Mais au fait, croyez-moi. DORANTE. Parbleu! tu me ravis, Feignant de vouloir l’embrasser J’aime à te prendre au mot. LISETTE. Tout doux, Monsieur! DORANTE. Tu ris Et je veux rire aussi. LISETTE. Je le vois. Malepeste! Comme à m’interpréter, Monsieur, vous êtes leste! Je m’entends autrement, & sais qu’auprès de nous Ce jargon séduisant de Messieurs tels que vous, Montre, par ricochet, ou le discours s’adresse. DORANTE. Quoi! tu penserois donc qu’épris de ta maîtresse.... LISETTE. Moi? je ne pense rien, mais si vous m’en croyez Vous porterez ailleurs des feux trop mal payes. DORANTE, vivement. Ah! Je l’avois prévu! l’ingrate a vu ma flamme, Et c’est pour m’accabler qu’elle a lu dans mon âme. LISETTE. Qui vous a dit cela? DORANTE. Qui me l’a dit! c’est toi. LISETTE. Moi? je n’y songe pas. DORANTE. Comment? LISETTE. Non par ma foi. DORANTE. Et ces feux mal payes est-ce un rêve? est-ce un conte? LISETTE. Diantre! comme au cerveau d’abord le feu vous monte! Je ne m’y frotte plus. DORANTE. Ah! daigne m’éclaircir. Quel plaisir peux-tu prendre à me faire souffrir? LISETTE. Et pourquoi si long-tems, vous, me faire mystère D’un secret dont je dois être dépositaire? J’ai voulu vous punir par un peu de souci. à part. Isabelle n’a rien apperçu jusqu’ici. haut. C’est mentir. Mais gardez qu’elle ne vous soupçonne; Car je doute en ce cas que son coeur vous pardonne. Vous ne sauriez penser jusqu’où va sa fierté. DORANTE. Me voilà retombe dans ana perplexité. LISETTE. Elle vient. Essayez de lire data son âme, Et sur-tout avec soin cachez lui votre flamme; Car vous êtes perdu si vous la laissez voir. DORANTE. Hélas.! tant de lenteur me met au désespoir. Scène V ISABELLE, DORANTE, LISETTE. ISABELLE. Ah! Dorante, bonjour. Quoi! tous tête-a-tête! Eh mais! vous faisiez donc votre cour à Lisette? Elle est vraiment gentille & de bon entretien. DORANTE. Madame, il me suffit qu’elle vous appartient Pour rechercher en tout le bonheur de lui plaire. ISABELLE. Si c’est-là votre objet, rien ne vous reste à faire, Car Lisette s’attache à tous mes sentimens. DORANTE. Ah! Madame!.... ISABELLE. Oh! sur-tout, quittons les complimens, Et laissons aux amans ce vulgaire langage. La sincère amitié de son froid étalage A toujours dédaigne le fade & vain secours: On n’aime point assez quand on le dit toujours. DORANTE. Ah! du moins une fois, heureux qui peut le dire. LISETTE, bas. Taisez-vous donc, jaseur. ISABELLE. J’oserois bien prédire Que, sur le ton touchant dont vous vous exprimez, Vous aimerez bientôt, si déjà vous n’aimez. DORANTE. Moi, Madame? ISABELLE. Oui, vous. DORANTE. Vous me raillez, sans doute. LISETTE. à part. Oh! ma foi, pour le coup mon homme est en déroute. ISABELLE. Je crois lire en vos yeux des symptômes d’amour. DORANTE. (haut à Lisette avec affectation.) Madame, en vérité.... Pour lui faire ma cour, Faut-il en convenir? LISETTE, bas. Bravo, prenez courage. Haut à Dorante. Mais il faut bien, Monsieur, aider au badinage. ISABELLE. Point ici de détour: parlez-moi franchement; Seriez-vous amoureux? LISETTE, bas, vivement. Gardez de.... DORANTE. Non vraiment, Madame, il me déplaît fort de vous contredire. ISABELLE. Sur ce ton positif, je n’ai plus rien à dise: Vous ne voudriez pas, je crois, m’en imposer. DORANTE. J’aimerois mieux mourir que de vous abuser. LISETTE, bas. Il ment, ma foi, fort bien; j’en suis assez contente. ISABELLE. Ainsi donc, votre coeur qu’aucun objet ne tente, Les a tous dédaignes, & jusques aujourd’hui N’en a point rencontre qui fut digne de lui. DORANTE, à part. Ciel! Se vit-on jamais en pareille détresse! LISETTE. Madame, il n’ose pas, par pure politesse Donner à ce discours son approbation; Mais je sais que l’amour est son aversion. Bas à Dorante. Il faut ici, du coeur. ISABELLE. Eh bien, j’en suis charmée, Voilà notre amitié pour jamais confirmée, Si ne sentant, du moins, nul penchant à l’amour, Vous y voulez pour moi renoncer sans retour. LISETTE. Pour vous plaire, Madame, il n’est rien qu’il ne fasse. ISABELLE. Vous répondez pour lui? c’est de mauvaise grâce. DORANTE. Hélas! j’approuve tout; direz vos volontés. Tous vos ordres par moi seront exécutes. ISABELLE. Ce ne sont point des loix, Dorante, que j’impose, Et si vous répugnez à ce que je propose, Nous pouvons dis ce jour nous quitter bons amis. DORANTE. Ah! mon goût à vos voeux sera toujours soumis. ISABELLE. Vous êtes complaisant; je veux être indulgente, Et pour vous en donner une preuve évidente, Je déclare à présent qu’un seul jour, un objet Doivent borner le voeu qu’ici vous avez fait. Tenez pour ce jour seul votre coeur en défense; Evitez de l’amour jusques à l’apparence; Envers un seul objet que je vous nommerai; Résistez aujourd’hui, demain je vous ferai Un don.... DORANTE, vivement. A mon choix? ISABELLE. Soit, il faut vous satisfaire; Et je vous laisserai régler votre salaire. Je n’en excepte rien que les loix de l’honneur, Je voudrois que le prix fut digne du vainqueur. DORANTE. Dieux! quels légers travaux pour tant de récompense! ISABELLE. Oui, mais si vous manquez un moment de prudence, Le moindre acte d’amour, un soupir, un regard, Un trait de jalousie, enfin, de votre part, Vous privent à l’instant du droit que je vous laisse: Je punirai sur moi votre propre foiblesse, En vous voyant alors pour la dernière fois. Telles sont du pari les immuables loix. DORANTE. Ah! que vous m’épargnez de mortelles alarmes! Mais quel est donc enfin cet objet plein de charmes Dont les attraits pour moi sont tant à redouter? ISABELLE. Votre coeur aisément pourra les rebuter; Ne craignez rien. DORANTE. Et c’est? ISABELLE. C’est moi. DORANTE. Vous? ISABELLE. Oui, moi-même. DORANTE. Qu’entends-je? ISABELLE. D’ou vous vient cette surprise extrême? Si le combat avoit moins de facilité Le prix ne vaudroit pas ce qu’il auroit coûté. LISETTE. Mais regardez-le donc; sa figure est à peindre! DORANTE, à part. Non; je n’en reviens pas. Mais il faut me contraindre. Cherchons en cet instant à remettre mes sens. Mon coeur contre soi-même à lutte trop long-tems; Il faut un peu de trêve à cet excès de peine. La cruelle a trop vu le penchant qui m’entraîne, Et je ne sais prévoir, à force d’y penser, Si l’on veut me punir ou me récompenser. Scène VI ISABELLE, LISETTE. LISETTE. De ce pauvre garçon le sort me touche l’âme. Vous vous plaisez par trop à maltraiter sa flamme, Et vous le punissez de sa fidélité. ISABELLE. Va, Lisette; il n’a rien qu’il n’ait bien mérite. Quoi! pendant si long-tems il m’aura pu séduire? Dans ses pièges adroits il m’aura su conduire? Il aura, sous le nom d’une douce amitié.... LISETTE. Fait prospérer l’amour? ISABELLE. Et j’en aurois pitié? Il faut que ces trompeurs trouvent dans nos caprices Le juste châtiment de tous leurs artifices. Tandis qu’ils sont amans, ils dépendent de nous: Leur tour ne vient que trop si-tôt qu’ils sont Epoux? LISETTE. Ce sont bien, il est vrai, les plus francs hypocrites! Ils vous savent long-tems faire les chatemites: Et puis gare la griffe; oh! d’avance auprès d’eux Prenons notre revanche. ISABELLE. en soi-même. Oui, le tour est heureux. A Lisette. Je médite à Dorante une assez bonne pièce Ou nous aurons besoin de toute ton adresse. Valère en peu de jours doit venir de Paris? LISETTE. Il arrive aujourd’hui, Dorante en a l’avis. ISABELLE. Tant mieux, à mon projet cela vient à merveilles. LISETTE. Or explique-nous donc la ruse sans pareilles. ISABELLE. Valère & ma Cousine unis d’un même amour Doivent se marier peut-être des ce jour. Je veux de mon dessein la faire confidente. LISETTE. Que ferez-vous, hélas! de la pauvre Eliante? Elle gâtera tout. Avez-vous oublie Qu’elle est la bonté même, & que peu délie Son esprit n’est pas fait pour le moindre artifice, Et moins encor son coeur pour la moindre malice? ISABELLE. Tu dis fort bien, vraiment; mais pourtant mon projet. Demanderoit....attends....mais oui; voilà le fait. Nous pouvons aisément la tromper elle-même; Cela n’en fait que mieux pour notre stratagême. LISETTE. Mais si Dorant, enfin, par l’amour emporte, Tombe dans quelque piège ou vous l’aurez jette, Vous ne pousserez pas, du moins, la raillerie Plus loin que ne permet une plaisanterie? ISABELLE. Qu’appelles-tu, plus loin? Ce sont ici des jeux, Mais dont l’événement doit être sérieux. Si Dorante est vainqueur & si Dorante m’aime Qu’il demande ma main, il l’a des l’instant même: Mais si son foible coeur ne peut exécuter La loi que par ma bouche il s’est laisse dicter; Si son étourderie un peu trop loin l’entraîne, Un éternel adieu va devenir la peine Dont je me vengerai de sa séduction, Et dont je punirai son indiscrétion. LISETTE. Mais s’il ne commettoit qu’une faute légère Pour qui la moindre peine est encor trop sévère? ISABELLE. D’abord, à ses dépens nous nous amuserons, Puis, nous verrons après ce que nous en ferons. ACTE II Scène I ISABELLE, LISETTE. LISETTE. Oui tout a réussi, Madame, par merveilles, Eliante ecoutoit de toutes ses oreilles, Et sur nos propos feints, dans sa vaine terre Nous donne bien, je pense, au Diable de bon coeur. ISABELLE. Elle trait tout de bon que d’en veux à Valère? LISETTE. Et que trouvez-vous la que de fort ordinaire? D’une amie en secret s’approprier l’amant Dame! attrape qui peut. ISABELLE. Ah! très-assurément Ce procède va mal avec mon caractère. D’ailleurs.... LISETTE. Vous n’aimez point l’amant qui fait lui plaire Et la vertu vous dit de lui laisser son bien. Ah! qu’on est généreux quand il n’en coûte rien! ISABELLE. Non, quand je l’aimerois je ne suis pas capable.... LISETTE. Mais croyez-vous au fond d’être bien moins coupable? ISABELLE. Le tour, je te l’avoue, est malin. LISETTE. Très-malin. ISABELLE. Mais.... LISETTE. Les frais en sont faits, il faut en voir la fin, N’est-ce pas? ISABELLE. Oui, je vais fausse lettre. A Valère feignant de la vouloir remettre Tu tacheras tantôt, mais très-adroitement, Qu’elle parvienne aux mains de Dorante. LISETTE. Oh! vraiment! Carlin est si nigaud que.... ISABELLE. Le voici lui-même. Rentrons. Il vient à point pour notre stratagême. Scène II CARLIN. Valère est arrive, moi j’accours à l’instant; Et voilà la façon dont Dorante m’attend. Ou diable le chercher? Hom, qu’il m’en doit de belles! On dit qu’au dieu Mercure on a donne des ailes: Il en faut en effet pour servir un amant, S’il ne nourrit son monde assez légèrement Pour compenser cela. Quelle maudite vie Que d’être assujettis à tant de fantaisies! Parbleu! Ces maîtres-là sont de plaisans sujets! Ils prennent, par ma foi, leurs gens pour leurs valets! Scène III ELIANTE, CARLIN. ELIANTE. Ciel que viens-je d’étendre! &, qui voudra le croire? Inventa-t-on jamais perfidie aussi noire? CARLIN. ELIANTE paroit: elle a les yeux en pleurs! A qui diable en a-t-elle? ELIANTE. A de telles noirceurs Qui pourroit reconnoître Isabelle & Valère? CARLIN. Ceci couvre a coup sur quelque nouveau mystère. ELIANTE. Ah! Carlin, qu’a propos je te rencontre ici! CARLIN. Et moi, très-à-propos je vous y trouve aussi, Madame, si je puis vous y marquer mon zèle. ELIANTE. Cours appeller Dorante & dis-lui qu’Isabelle; Lisette, & son ami nous trahissent trous trois. CARLIN. Je le cherche moi-même, & déjà par deux fois J’ai couru jusqu’ici pour lui pouvoir apprendre Que Valère au logis est reste pour l’attendre. ELIANTE. Valère? Ah le perfide! il méprise mon coeur, Il épouse Isabelle, sa coupable ardeur A son ami Dorante arrachant sa maîtresse, Outrage en même tems l’honneur & la tendresse. CARLIN. Mais de qui tenez-vous un si bizarre fait? Il faux se défier des rapports qu’an nous fait. ELIANTE. J’en ai, peur mon malheur, la preuve trop certaine. J’etois par pur hazard dans la chambre prochaine; ISABELLE & Lisette arrangeoient leur complot. A travers la cloison, jusques au moindre mot J’ai tout entendu.... CARLIN. Mais, c’est de quoi me confondre! A cette preuve-là je n’ai rien à répondre. Que puis-je, cependant, faire pour vous servir? ELIANTE. LISETTE en peu d’instans sûrement doit sortir. Pour porter à Valère elle-même une lettre Qu’Isabelle en ses mains tantôt a dû remettre. Tache de la surprendre, ouvre-la, porte-la Sur-le-champ à Dorante; il pourra voir par-la De tour leur noir complot la trame criminelle Qu’il tache à prévenir cette injure cruelle, Mon outrage est le sien. CARLIN. Madame, la douleur Que je ressens pour vous dans le fond de mon coeur.... Allume dans mon âme....une telle colère.... Que mon esprit....ne peut....si je tenois Valère.... Suffit.... je ne dis rien.....Mais, ou nous ne pourrons, Madame, vous servir....ou nous vous servirons. ELIANTE. De mon juste retour tu peux tout te promettre. Lisette va venir: souviens-toi de la lettre. Un autre procède seroit plus généreux, Mais contre les trompeurs on peut agir comme eux. Faute d’autre moyen pour le faire connoître, C’est en le trahissant qu’il faut punir un traître, Scène IV CARLIN. Souviens-toi! C’est bien dit: mais pour exécuter Le vol qu’elle demande, il y faut méditer. Lisette n’est pas grue, & le diable m’emporte Si l’on prend ce qu’elle a que de la bonne forte. Je n’y vois qu’embarras. Examinons pourtant Si l’on ne pourroit point....Le cas est important; Mais il s’agit ici de ne point nous commettre, Car mon dos.... C’est Lisette, & j’apperçois la lettre. Eliante, ma foi, ne s’eut trompée en rien. Scène V CARLIN, LISETTE avec une Lettre dans le sein. LISETTE, à part. Voilà déjà mon drôle aux aguets, tout va bien. CARLIN. A part. Hazardons l’aventure. Haut. Et comment va, Lisette? LISETTE. Je ne te voyois pas; on diroit qu’en vedette. Quelqu’un t’auroit mis-là pour détrousser les gens. CARLIN. Mais j’aimerois assez à piller les passans Qui te ressembleroient. LISETTE. Aussi peu redoutables? CARLIN. Non, des gens qui seroient autant que toi volables. LISETTE. Que leur volerois-tu, pauvre enfant, je n’ai rien? CARLIN. Carlin de ces riens-la s’accommoderoit bien. Par exemple, d’abord je tacherois de prendre.... essayant d’escamoter la lettre. LISETTE. Fort bien, mais de ma part tachant de me défendre, Vous ne prendriez rien, du moins pour le moment. Elle met la lettre dans la poche de son tablier du, coté de Carlin. CARLIN. Il faudroit donc tacher de m’y prendre autrement. Qu’est-ce que cette lettre? ou vas-tu donc la mettre? LISETTE, feignant d’être embarrassée. Cette lettre, Carlin? Eh! mais, c’est une lettre.... Que je mets dans ma poche. CARLIN. Oh! vraiment! je le vois. Mais voudrois-tu me dire à qui.... Il tache encore de prendre la lettre. LISETTE, mettant la lettre dans l’autre poche opposée à Carlin. Déjà deux fois Vous avez essaye de la prendre par ruse. Je voudrois bien savoir.... CARLIN. Je te demande excuse; Je dois à tes secrets ne prendre aucune part. Je voulois seulement savoir si par hazard Cette lettre n’est point pour Valère ou Dorante. LISETTE. Et si c’etoit pour eux.... CARLIN. D’abord, je me présente, Ainsi que je serois même en tout autre cas, Pour la porter moi-même & vous sauver des pas. LISETTE. Elle est pour d’autres gens. CARLIN. Tu mens; voyons la lettre. LISETTE. Et si vous la donnant, je vous faisois promettre De ne la point montrer, me le tiendriez-vous? CARLIN. Oui, Lisette, en honneur, j’en jure à tes genoux. LISETTE. Vous m’apprenez comment il faudra me conduire: De ne la point montrer on a su me prescrire, J’ai promis en honneur. CARLIN. Oh! c’est un autre point: Ton honneur & le mien ne se ressemblent point. LISETTE. Ma foi, Monsieur Carlin, j’en serois très-fâchée. Voyez l’impertinent. CARLIN. Ah! vous êtes cachée! Je connois maintenant quel est votre motif. Votre esprit en détours seroit moins inventif, Si la lettre touchoit un autre que vous-même; Un traître de rival est l’objet du stratagême, Et j’ai, pour mon malheur, trop su le pénétrer, Par vos précautions pour ne la peint montrer. LISETTE. Il est vrai; d’un rival devenue amoureuse, De vos soins désormais je suis peu curieuse. CARLIN, en déclamant. Oui, perfide, je vois que vous me trahissez. Sans retour pour mes soins, pour mes travaux passés. Quand je vous promenois par toutes les guinguettes. Lorsque je vous aidois à plisser vos cornettes, Quand je vous faisois soir la foire ou l’Opéra, Toujours, me disiez-vous, notre amour durera. Mais déjà d’autres feux ont chasse de ton âme Le charmant souvenir de ton ancienne flamme. Je sens que le regret m’accable de vapeurs; Barbare, c’en est fait, c’est pour toi que je meurs. LISETTE. Non, je t’aime toujours; mais il tombe en foiblesse: Pendant que Lisette le soutient & lui fait sentir son flacon, CARLIN lui vole la lettre. Pourquoi vouloir aussi lui cacher ma tendresse? C’est moi qui l’assassine. Eh! vite mon flacon; Sens, sens, mon pauvre enfant. à part. Ah! le ruse fripon! Haut. Comment te trouves-tu? CARLIN. Je reviens à la vie. LISETTE. De la mienne bientôt ta mort seroit suivie. CARLIN. Ta divine liqueur m’a tout réconforté. LISETTE, à part. C’est ma lettre, coquin, qui t’a ressuscité. Haut. Avec toi cependant, trop long-tems je m’amuse; Il faudra que je rêve à trouver quelque excuse, Et déjà je devrois être ici de retour. Adieu, mon cher Carlin. CARLIN. Tu t’en vas, mon amour? Rassure-moi, du moins, sur ta persévérance. LISETTE. Eh quoi! peux-tu douter de toute ma constance? A part. Il croit m’avoir dupée, & rit de mes propos; Avec tout leur esprit les hommes sont des sots. Scène VI CARLIN. A la fin je triomphe & voici ma conquête. Ce n’est pas tout; il faut encore un coup de tête: Car, à Dorante ainsi si je vais le porter, Il la rend aussi-tôt sans la décacheter, La chose est immanquable: & cependant Valère Vous lui souffle Isabelle, & sous mon ministre Je verrai ses appas, je verrai ses écus. Passer en d’autres mains & mes projets perdus! Il faut ouvrir la lettre....Eh! oui; mais si je l’ouvre, Et par quelque malheur que mon vol se découvre, Valère pourroit bien.....la peste soit du sot! Qui diable le saura? moi, je n’en dirai mot. Lisette aura sur moi quelque soupçon peut-être: Et bien, nous mentirons.....Allons, servons mon maître, Et contentons sur-tout ma curiosité. La cire ne tient point: tout est déjà faute: Tant mieux: la refermer sera chose facile. Il lit en parcourant. Diable! voyons ceci. Il lit. Je vous prévins par cette lettre, mon cher Valère, supposant que vous arriverez aujourd’hui, comme nous en sommes convenus. Dorante est notre dupe plus que jamais: il est toujours persuade que c’est à Eliante que vous en voulez, & j’ai imagine là-dessus un stratagême assez plaisant, pour nous amuser à ses dépens & l’empêcher de troubles notre mariage: j’ai fait avec lui une espèce de pari, par lequel il s’est engage à ne me donner d’ici à demain aucune remarque d’amour ni de jalousie, sous peine de ne me voir jamais. Pour le séduire plus sûrement, je l’accablerai de tendresses outrées, que vous ne devez prendre à son égard que pour ce qu’elles valent; s’il manque à son engagement, il m’autorise à rompre avec lui sans détour; & s’il l’observe, il nous délivre de ses importunités jusqu’à la conclusion de l’affaire. Adieu; le Notaire est déjà mande; tout est prêt pour l’heure marquée, & je puis être à vous des ce soir. ISABELLE. Tubleu! le joli style! Après de pareils tours on ne dit rien, sinon Qu’il faut pour les trouver être femme ou démon. Oh! que voici de quoi bien réjouir mon maître! Quelqu’un vient: c’est lui-même. Scène VII DORANTE, CARLIN. DORANTE. Ou te tiens-tu donc, traître? Je te cherche par-tout. CARLIN. Moi, je vous cherche aussi; Ne m’avez-vous pas dit de revenir ici? DORANTE. Mais pourquoi si long-tems.... CARLIN. Donnez-vous patience. Si vous montrez en tout la même pétulance Nous allons voir beau jeu. DORANTE. Qu’est-ce que ce discours? CARLIN. Ce n’est rien; seulement à vos tendres amours Il faudra dire adieu. DORANTE. Quelle sotte nouvelle Viens-tu.... CARLIN. Point de courroux: Je sais bien qu’Isabelle Dans le fond de son coeur vous aime uniquement; Mais, pour nourrir toujours un si doux-sentiment, Voyez comme de vous elle parle à Valère. DORANTE. L’ecriture, en effet, est de son caractère. Il lit la lettre. Que vois-je? malheureux! d’ou te vient ce billet? CARLIN. Allez-vous soupçonner que c’est moi qui l’ai fait? DORANTE. D’ou te vient-il, te dis-je? CARLIN. A la chère Suivante Je l’ai surpris tantôt par ordre d’Eliante. DORANTE. D’Eliante! Comment? CARLIN. Elle avoir découvert Toute la trahison qu’arrangeoient de concert Isabelle & Lisette, &, pour vous en instruire, Jusqu’en ce vestibule a couru me le dire. La pauvre enfant pleuroit. DORANTE. Ah! je suis confondu! Aveugle que j’etois! comment n’ai-je pas du Dans leurs airs affectes voir leur intelligence? On abuse aisément un coeur sans défiance. Ils se rioient ainsi de ma simplicité! CARLIN. Pour moi, depuis long-tems je m’en étois doute. Continuellement on trouvoit ensemble. DORANTE.. Ils se voyoient fort peu devant moi, ce me semble. CARLIN. Oui, c’etoit justement pour mieux cacher leur jeu: Mais leurs regards.... DORANTE. Non pas; ils se regardoient peu Par affectation. CARLIN. Parbleu! voilà l’affaire. DORANTE. Chez moi-même à l’instant ayant trouve Valère, J’aurois du voir au ton dont parlant de leurs noeuds D’Eliante avec art il faisoit l’amoureux, Que l’ingrat ne cherchoit qu’à me donner le change. CARLIN. Jamais crédulité fut-elle plus étrange? Mais que sert le regret, & qu’y faire, après tout? DORANTE. Rien; je veux seulement savoir si jusqu’au bout Ils oseront porter leur lâche stratagême. CARLIN. Quoi! vous prétendez donc être témoin vous-même. DORANTE. Je veux voir Isabelle, & feignant d’ignorer Le prix qu’a ma tendresse elle a su préparer; Pour la mieux détester je pretends me contraindre Et sur son propre exemple apprendre l’art de feindre. Toi, va tout préparer pour partir des ce soir. CARLIN va & revient. Peut-être.... DORANTE. Quoi? CARLIN. J’y cours. DORANTE. Je suis au désespoir. Elle vient. A ses yeux déguisons ma colère. Qu’elle est charmante! Hélas! comment se peut-il faire Qu’on esprit aussi noir anime tant d’attraits? Scène VIII ISABELLE, DORANTE. ISABELLE. DoranteO, il n’est plus tems d’affecter désormais Sur mes vrais sentimens un secret inutile. Quand la chose nous touche on voit la moins habile A l’erreur qu’elle feint se livrer rarement. Je pretends avec vous agir plus franchement, Je vous aime, Dorante, & ma flamme sincère Quittant ces vains dehors d’une sagesse austère Dont le faste sert mal à déguiser le coeur, Veut bien à vos regards dévoiler son ardeur. Après avoir long-tems vante l’indifférence, Après avoir souffert un an de violence, Vous ne sentez que trop qu’il n’en coûte pas peu Quand on se voit réduite à faire un tel aveu. DORANTE. Il faut en convenir; je n’avois pas l’audace De m’attendre, Madame, à cet excès de grâce. Cet aveu me confond & je ne suis douter Combien, en le faisant, il a du vous coûter. ISABELLE. Votre discrétion, vos feux, votre constance, Ne meritoient pas moins que cette récompense; C’est au plus tendre amour, à l’amour éprouve. Qu’il faut rendre l’espoir dont je l’avois prive. Plus vous auriez d’ardeur, plus, craignant ma colère, Vous vous attacheriez à ne pas me déplaire; Et mon exemple seul a pu vous dispenser De me cacher un feu qui devoit m’offenser. Mais quand à vos retards toute ma flamme éclate Sur vos vrais sentimens peut-être je me flatte, Et je ne les vois point ici se déclarer, Tels qu’après cet aveu j’aurois pu l’espérer. DORANTE. Madame, pardonnez au trouble qui me gêne, Mon bonheur est trop grand pour le croire sans peine, Quand je songe quel prix vous m’avez destine, De vos rares bontés je me sens étonne. Mais moins à ces bontés j’avois droit de prétendre, Plus au retour trop du vous devez vous attendre, Croyez, sous ces dehors de la tranquillité, Que le fond de mon coeur n’est pas moins agite. ISABELLE. Non, je ne trouve point que votre air soit tranquille, Mais il semb!e annoncer plus de torrens de bile, Que de transports d’amour: je ne crois pas pourtant, Que mon discours, pour vous, ait eu rien d’insultant, Et, sans trop me flatter, d’autres à votre place L’auroient pu recevoir d’un peu meilleure grâce. DORANTE. A d’autres, en effet, il eut convenu mieux. Avec autant de goût on a de meilleurs yeux, Et je ne trouve point, sans doute, en mon: mérite De quoi justifier ici votre conduite: Mais, je vois qu’avec moi vous voulez plaisanter: C’est à moi de savoir, Madame, m’y prêter. ISABELLE. Dorante, c’est pousser bien loin la modestie: Ceci n’a point trop l’air d’une plaisanterie, Il nous en coûte assez en déclarant nos feux, Pour ne pas faire un jeu de semblables aveux. Mais, je crois pénétrer le secret de votre âme; Vous craignez que; cherchant à tromper votre flamme, Je ne veuille abuser du défi de tantôt Pour tacher aujourd’hui de vous prendre en défaut. Je ne vous cache point qu’il me paroit étrange Qu’avec autant d’esprit on prenne ainsi le change: Pensez-vous que des feux qu’allument nos attraits Nous redoutions si fort les transports indiscrets, Et qu’un amour ardeur jusqu’à l’extravagance, Ne nous flatte pas mieux qu’un excès ce prudence. Croyez., si votre sort dependoit du pari, Que c’est de le gagner que vous feriez puni. DORANTE. Madame, vous jouez fort bien la Comédie; Votre talent m’étonne, il me fait même envier, Et, pour savoir répondre à des discours si doux, Je voudrois en cet art exceller comme vous: Mais, pour vouloir trop loin pousser le badinage, Je pourrois à la fin manquer mon personnage Et reprenant, peut-être, un ton trop sérieux.... ISABELLE. A la plaisanterie, il n’en feroit que mieux. Tout de bon, je ne fais ou de cette boutade, Votre esprit a peche la grotesque incartade. Je m’en amuserois beaucoup en d’autres tems. Je ne veux point ici vous gêner plus long-tems. Si vous prenez ce ton par pure, gentillesse, Vous pourriez l’assortir avec la politesse: Si vos mépris pour moi veulent se signaler, Il faudra bien chercher de quoi m’en consoler. DORANTE, en fureur. Ah! per.... ISABELLE, l’interrompant vivement. Quoi? DORANTE, faisant effort pour se calmer. Je me tais. ISABELLE, à part. De peur d’étourderie, Allons faire en secret veiller sur sa furie. Dans ses emportemens je vois tout son amour.... Je crains bien à la fin de l’aimer à mon tour. Elle sort en faisant d’un air poli, mais railleur, une révérence à Dorante. Scène IX DORANTE. Me suis-je assez long-tems contraint en sa présence? Ai-je montre près d’elle assez de patience? Ai-je assez observe ses perfides noirceurs? Suis-je assez poignarde de ses fausses douceurs? Douceurs pleines de fiel, d’amertume & de larmes, Grands Dieux! que pour mon coeur vous eussiez eu de charmes, Si sa bouche, parlant avec sincérité N’eut pas au fond du sien trahi la vérité! J’en ai trop endure, je devois la confondre; A cette Lettre, enfin, qu’eut-elle ose répondre? Je devois à mes yeux un peu l’humilier; Je, devois....mais plutôt, songeons à l’oublier. Fuyons, éloignons-nous de ce séjour funeste; Achevons d’étouffer un feu que je déteste, Mais ne partons qu’après avoir tire raison Du perfide Valère ex de sa trahison. ACTE III Scène I LISETTE, DORANTE, VALERE. LISETTE. Que vous faire tous deux ardens à la colère? Sans moi, vous alliez faire une fort belle affaire! Voilà mes bons amis si prompts à s’engager Ils sont encore plus prompts, souvent, à s’égorger. DORANTE. J’ai tort, mon cher Valère, & t’en demande excuse: Mais pouvois-je prévoir une semblable ruse? Qu’un coeur bien amoureux: est facile à duper! Il n’en faloit pas tant, hélas! pour me tromper. VALERE. Ami, je suis charme du bonheur de ta flamme. Il manquoit à celui qui pénétré mon âme, De trouver dans ton coeur les mêmes sentimens, Et de nous voir heureux tous deux en même tems. LISETTE à Valère. Vous pouvez en parler tout-à-fait à votre aise; Mais pour Monsieur Dorante, il faut, ne lui déplaise, Qu’il nous fasse l’honneur de prendre son conge. DORANTE. Quoi! songes-tu..... LISETTE. C’est vous qui n’avez pas songe A la loi qu’aujourd’hui vous prescrit Isabelle. On peut se battre, au fond, pour une bagatelle, Avec les gens qu’on croit qu’elle veut épouser: Mais Isabelle est femme à s’en formaliser. Elle va, par orgueil, mettre en sa fantaisie, Qu’un tel combat s’est fait par pure jalousie; Et sur de tels exploits, je vous laisse à juger Quel prix à vos lauriers elle doit adjuger? DORANTE. Lisette, ah! mon enfant, ferois-tu bien capable De trahir mon amour en me rendant coupable Ta maîtresse de tout se rapporte à ta foi; Si tu veux me sauver cela dépend de toi. LISETTE. Point, je veux lui conter vos brillantes prouesses Pour vous faire ma cour. DORANTE. Hélas! de mes foiblesses Montre quelque pitié. LISETTE. Très-noble Chevalier, Jamais un Paladin ne s’abaisse à prier: Tuer d’abord les gens c’est la bonne manière. VALERE. Peux-tu voir de sang-froid comme il se désespéré, Lisette? Ah! sa douleur auroit du t’attendrir, LISETTE. Si je lui dis un mot, ce mot pourra l’aigrir, Et contre moi, peut-être, il tirera l’épée. DORANTE. J’avois compte sur toi, mon attente est trompée; Je n’ai plus qu’a mourir. LISETTE. Oh! le rare secret! Mais il est du vieux tems, j’en ai bien du regret, C’etoit un beau prétexte. VALERE. Eh! ma pauvre Lisette! Laisse de ces propos l’inutile défaite Sers-nous si tu le peux, si tu le veux du moins, Et compte que nos coeurs acquitteront tes soins. DORANTE. Si tu rends de mes feux l’espérance accomplie Dispose de mes biens, dispose de ma vie; Cette bague d’abord.... LISETTE prenant la bague. Quelle nécessité? Je pretends vous servir par générosité. Je veux vous protéger auprès de ma maîtresse; Il faut qu’elle partage enfin votre tendresse; Et voici mon projet. Prévoyant de vos coups, Elle m’avoit tantôt envoyé près de vous Pour empêcher le mal & ramener Valère, Afin qu’il ne vous put éclaircir le mystère: Que si je ne pouvois autrement tout parer, Elle m’avoir charge de vous tout déclarer. C’est donc ce que j’ai fait quand vous vouliez vous battre, Et qu’il vous a falu, Monsieur, tenir à quatre. Mais je devois de plus observer avec soin Les gestes, dits & faits dont je serois témoin, Pour voir si vous étiez fidele à la gageure. Or, si je m’en tenois à la vérité pure, Vous sentez bien, je crois, que c’est fait de vos feux: Il faudra donc mentir; mais pour la tromper mieux Il me vient dans l’esprit une nouvelle idée.... DORANTE. Qu’est-ce?.... VALERE. Dis-nous un peu.... LISETTE. Je suis persuadée.... Non....si....si-fait....je crois.....ma foi, je n’y suis plus. DORANTE. Morbleu! LISETTE. Mais à quoi bon tant de soins superflus? L’idée est toute simple; ecoutez-bien, Dorante: Sur ce que je dirai, bientôt impatiente ISABELLE chez vous va vous faire appeller, Venez; mais comme si j’avois su vous celer Le projet qu’aujourd’hui sur vous elle médite, Vous viendrez sur le pied d’une simple visite, Approuvant froidement tout ce qu’elle dira, Ne contredisant rien de ce qu’elle voudra. Ce soir un feint contrat pour elle & pour Valère Vous sera propose pour vous mettre en colore; Signez-le sans façon; vous pouvez être sur D’y voir par-tout du blanc pour le nom du futur. Si vous vous tirez bien de votre peut rôle, Isabelle, obligée à tenir sa parole, Vous cède le pari, peut-être des ce soir, Et le prix, par la loi, reste en votre pouvoir. DORANT. Dieux! quel espoir flatteur succède à ma souffrance! Mais n’abuses-tu point ma crédule espérance? Puis-je compter sur toi? LISETTE. Le compliment est doux! Vous me payez ainsi de ma bonté pour vous? VALERE. Il est fort question de te mettre en colère! Songe à bien accomplir ton projet salutaire, Et loin de t’irriter contre ce pauvre amant, Connois à ses terreurs l’excès de son tourment. Mais je brûle d’ardeur de revoir Eliante, Ne puis-je pas entrer? Mon âme impatiente.... LISETTE. Que les amans sont vifs! Oui, venez avec moi. A Dorante. Vous, de votre bonheur fiez-vous à ma foi, Et retournez chez vous attendre des nouvelles. Scène II DORANTE. Je verrois terminer tant de peines cruelles! Je pourrois voir enfin mon amour couronné! Dieux! à tant de plaisirs serois-je destiné? Je sens que les dangers ont irrite ma flamme; Avec moins de fureur elle brûloit mon âme, Quand je me figurois par trop de vanité Tenir déjà le prix dont je m’étois flatte. Quelqu’un vient. Evitons de me laisser connoître, Avant le tems prescrit je ne dois point paroître. Hélas! mon foible coeur ne peut se rassurer, Et je crains encor plus que je n’ose espérer. Scène III ELIANTE, VALERE. ELIANTE. Oui, Valère, déjà de tout je suis instruite, Avec beaucoup d’adresse elles m’avoient séduite, Avec un entretien feint entre elles concerté, Et que, sans m’en douter, j’avois trop écouté. VALERE. Eh! quoi, belle Eliante, avez-vous donc pu croire Que Valère à ce Point ennemi de sa gloire, De son bonheur, sur-tout, cherchât en d’autres noeuds Le prix dont vos bontés avoient flatte ses voeux? Ah! que vous avez mal juge de ma tendresse! ELIANTE. Je conviens avec vous de toute ma foiblesse. Mais que j’ai bien paye trop de crédulité! Que n’avez-vous pu voir ce qu’il m’en à coûté Isabelle, à la fin, par mes pleurs attendrie A, par un franc aveu, calmi ma jalousie: Mais cet aveu, pourtant en exigeant de moi, Que sur tel secret je donnasse ma foi Que Dorante par moi n’en auroit nul indice. A mon amour pour vous j’ai fait ce sacrifice: Mais il m’en coûte fort pour le tromper ainsi. VALERE. Dorante est comme vous instruit de tout ceci. Gardez votre secret en affectant de feindre. Isabelle bientôt lasse de se contraindre, Suivant notre projet peut-être des ce jour Tombe en son propre piège & se rend à l’amour. Scène IV ISABELLE, ELIANTE, VALERE. & LISETTE un peu après. ISABELLE en soi-même. Ce sang-froid de Dorante & me pique & m’outrage. Il m’aime donc bien peu, s’il n’a pas le courage De rechercher du moins un éclaircissement! LISETTE arrivant. Dorante va venir, Madame, en un moment. J’ai fait en même tems appeller le Notaire, ISABELLE. Mais il nous faut encor le secours de Valère: Je crois qu’il voudra bien nous servir aujourd’hui. J’ai bonne caution qui me répond de lui. VALERE. Si mon zele suffit & mon respect extrême, Vous pourriez bien, Madame, en répondre vous-même. ISABELLE. J’ai besoin d’un mari seulement pour ce soir, Voudriez-vous bien l’être? ELIANTE. Eh! mais! il faudra voir. Comment! il vous faut donc des cautions, Cousine, Pour pleiger vos maris? LISETTE. Oh! oui; car pour la mine, Elle trompe souvent. ISABELLE à Valère. Et bien, qu’en dites-vous? VALERE. On ne refuse pas, Madame, un sort si doux; Mais d’un terme trop court.... ISABELLE. Il est bon de vous dire, Au reste, que ceci n’est qu’un hymen pour rire. LISETTE. Dorante est la; sans moi, vous alliez tout gâter. ISABELLE. J’espère que son coeur ne pourra résister Au trait que le lui garde. Scène V ISABELLE, DORANTE, ELIANTE, VALERE, LISETTE. ISABELLE. Ah! vous voilà, Dorante, De vous voir aussi peu, je ne suis pas contente: Pourquoi me fuyez-vous? trop de présomption M’a fait croire, il est vrai, qu’un peu de passion De vos soins près de moi pouvoit être la cause: Mais faut-il pour cela prendre si mal la chose? Quand j’ai voulu tantôt par de trop doux aveux Engager votre cour à dévoiler ses feux, Je n’avoir pas pense que ce fut une offense A troubler entre nous la bonne intelligence; Vous m’avez, cependant, par des airs suffisans Marque trop clairement vos mépris offensans; Mais si l’amant méprise un si foible esclavage, Il faut bien’que l’ami du moins m’en dédommage; Ma tendresse n’est pas un tel affront, je crois, Qu’il faille m’en punir en rompant avec moi: DORANTE. Je sens ce que je dois à vos bontés, Madame, Mais vos sages leçons ont si touche mon âme, Que pour vous rendre ici même sincérité, Peut-être mieux que vous j’en aurai profité. ISABELLE, bas à Lisette. LISETTE, qu’il est froid! il a l’air tout de glace. LISETTE, bas. Bon! c’est qu’il est pique; c’est par pure grimace. ISABELLE. Depuis notre entretien, vous serez bien surpris D’apprendre en cet infant le parti que j’ai pris. Je vais me marier. DORANTE, froidement. Vous marier! vous-même? ISABELLE. En personne. D’ou vient cette surprise extrême? Ferois-je mal, peut-être? DORANTE. Oh non: c’est fort bien fait. Cet hymen-là s’est fait un grand secret. ISABELLE. Point. C’est sur le refus que vous m’avez su faire Que je vais épouser.... devinez. DORANTE. Qui? ISABELLE. Valère. DORANTE. Valère? Ah! Mon ami, je t’en fais compliment. Mais Eliante, donc?.... ISABELLE. Me cède son amant. DORANTE. Parbleu! voilà, Madame, un exemple bien rare. LISETTE. Avant le mariage, oui, le fait est bizarre; Car, si c’etoit après; ah! qu’on en cederoit ISABELLE, bas à Lisette. LISETTE, il me paroit Qu’il ne s’anime point. LISETTE, bas. Il croit que l’on badine: Attendez le contrat, & vous verrez sa mine. ISABELLE, à part. Périsssent mon caprice & mes jeux insensés! UN LAQUAIS. Le Notaire est ici. DORANTE. Mais, c’est être presses. Le contrat des ce soir! Ce n’st pas raillerie. ISABELLE. Non, sans doute, Monsieur, & même je vous prie, En qualité d’ami, de vouloir y signer. DORANTE. A vos ordres toujours je dois me résigner. ISABELLE, bas. S’il signe, c’en est fait, il faut que j’y renonce. Scène VI LE NOTAIRE, & les Acteurs de la Scene précédente. LE NOTAIRE. Requiert-on que tout haut le contrat je prononce? VALERE. Non, Monsieur le Notaire; on s’en rapporte en tout, A ce qu’a fait Madame; il suffit qu’a son goût Le contrat soir passe. ISABELLE, regardant Dorante d’un air de dépit. Je n’ai pas lieu de craindre, Que de ce qu’il contient personne ait à se plaindre. LE NOTAIRE. Or puisqu’il est ainsi, je vais sommairement, En bref, succinctement, compendieusement Résumer, expliquer, en style laconique, Les points articules en cet acte authentique, Et jouxte la minute entre mes mains restant, Ainsi que selon droit & coutume s’entend. D’abord pour les futurs. Item, pour leurs familles, Bisayeuls, trisayeuls, y père, enfans, fils & filles, Du moins repûtes tels, ainsi que par la loi, Quem nuptiae monstrant il appert faire foi. Item, pour leur pays séjour & domicile, Passé, présent, futur, tant aux champs qu’a la ville. Item, pour tous leurs biens., acquêts, conquêts, dotaux Préciput, hypothèque, & biens paraphernaux. Item, encor, pour ceux de leur estoc & ligne.... LISETTE. Item, vous nous feriez une faveur insigne, Si de ces mots cornus le poumon dégagé, Il vous plaisoit, Monsieur, abréger l’abrégé. VALERE. Au vrai, tous ces détails nous sont fort inutiles. Nous croyons le contrat plein de clauses subtiles, Mais on n’a nul désir de les voir aujourd’hui. LE NOTAIRE. Voulez-vous procéder, approuvant ci-celui (????) A le corroborer de votre signature. ISABELLE. Signons, je le veux bien, voilà mon écriture. A vous Valère. ELIANTE, bas à Isabelle. Au moins, ce n’est pas tout de bon, Vous me l’avez promis, Cousine? ISABELLE. Eh! mon Dieu, non. Dorante veut-il bien nous faire aussi la grâce..... Elle lui présente la plume. DORANTE. Pour vous plaire, Madame, il n’est rien qu’on ne fasse. (????) ISABELLE, à part Le coeur me bat: je crains la fin de tout ceci. DORANTE, à part. Le futur est en blanc; tout va bien jusqu’ici. ISABELLE, bas. Il signe sans façon!..... à la fin je soupçonne..... A Lisette. Ne me trompez-vous point? LISETTE. En voici d’une bonne! Il seroit fort plaisant que vous le pensassiez! ISABELLE. Hélas! Et plut au ciel que vous me trompassiez; Je serois sure au moins de l’amour de Dorante. LISETTE. Pour en faire, quoi? ISABELLE. Rien. Mais je serois contente. LISETTE, à part. Que les pauvres enfans te contraignent tous deux! ISABELLE, à Valère. Valère, enfin, l’hymen va couronner nos voeux; Pour en serrer les noeuds sous un heureux auspice; Faisons en les formant un acte de justice. A Dorante à l’instant je cède le pari. J’avois cru qu’il m’aimoit, mais mon esprit guéri. S’apperçoit de combien je m’étois abusée. En secret mille fois je m’étois accusée. De le désespérer par trop de cruauté. Dans un piège allez fin, il s’est précipité; Mais il ne m’est reste pour fruit de mon adresse. Que le regret de voir que son coeur sans tendresse Bravoit également & la ruse & l’amour. Choisissez donc, Dorante, & nommez en ce jour, Le prix que vous mettez au gain de la gageure; Je dépens d’un epoux, mais je me tiens bien sure Qu’il est trop généreux pour vous le disputer. VALERE. Jamais plus justement vous n’auriez pu compter Sur mon obéissance. DORANTE. II faut donc vous le dire Je demande..... ISABELLE. Eh bien, quoi? DORANTE. La liberté d’écrire. ISABELLE. D’écrire! LISETTE. Il est donc fou. VALERE. Que demandes-tu la? DORANTE. Oui; d’écrire mon nom dans le blanc que voilà. ISABELLE. Ah! vous m’avez trahie! DORANTE, à ses pieds. Eh! quoi! belle Isabelle, Ne vous lassez-vous point de m’être si cruelle? Faut-il encor.... Scène VII CARLIN, botte & un fouet à la main. Tous les Acteurs de la Scene précédente. CARLIN. Monsieur, les chevaux sont tout prêts, La chaise nous attend. DORANTE. La peste des Valets! CARLIN. Monsieur, le tems se passe. VALERE. Eh! quelle fantaisie De nous troubler.... CARLIN. Il est six heures & demie. DORANTE. Te tairas-tu? CARLIN. Monsieur, nous partirons trop tard. DORANTE. Voilà bien, à mon gré, le plus maudit bavard! Madame, pardonnez.... CARLIN. Monsieur, il faut me taire, Mais nous avons ce soir bien du chemin à faire! DORANTE. Le grand diable d’enfer puisse-t-il t’emporter! ELIANTE. Lisette, explique lui.... LISETTE. Bon, veut-il m’écouter? Et peut-on dire un mot ou parle Monsieur Carle? CARLIN, un peu vite. Eh! parle au nom du ciel! avant qu’on parle, parle: Parle, pendant qu’on parle: & quand on a parlé Parle encor, pour finir sans avoir déparlé. DORANTE. Toi, déparleras-tu, parleur impitoyable? A Isabelle. Puis-je, enfin, me flatter qu’un penchant favorable. Confirmera le don que vos loix m’ont promis? ISABELLE. Je ne sais si ce don vous est si bien acquis, Et j’entrevois ici de la friponnerie; Mais en punition de mon étourderie Je vous donne ma main & vous laisse mon coeur. DORANTE, baisant la main d’Isabelle. Ah! vous mettez par-la le comble à mon bonheur. CARLIN. Que diable sont-ils donc? aurois-je la berlue. LISETTE. Non, vous avez, mon cher, une très-bonne vue, Riant. Témoin la lettre.... CARLIN. Eh! bien; de quoi veux-tu parler? LISETTE. Que j’ai tant eu de peine à me faire voler. CARLIN. Quoi c’etoit tout exprès?.... LISETTE. Mon Dieu, quel imbécile! Tu t’imaginois donc être le plus habile? CARLIN. Je sens que j’avois tort; cette ruse, d’enfer Te doit donner le pas sur Monsieur Lucifer. LISETTE. Jamais comparaison ne fut moins méritée; Au bien de mon prochain toujours je suis portée: Tu vois que par mes soins ici tout est content; Ils vont se marier, en veux-tu faire autant? CARLIN. Tope; j’en fais le saut, mais sois bonne diablesse; A me cacher tes tours mets toute ton adresse; Toujours dans la maison fais prospérer le bien; Nargue du demeurant quand je n’en saurai rien. LISETTE. Souvent parmi les jeux le coeur de la plus sage Plus qu’elle ne voudroit en badinant s’engage; Belles, sur cet exemple apprenez en ce jour Qu’on ne peut sans danger se jouer à l’amour. Source: http://www.poesies.net