L’Heure Enchantée. (1890) Par Gabriel Vicaire. (1848-1900) TABLE DES MATIERES Une Fée. I II III IV V Beau Page De La Reine. Merlin. I II III IV V VI VII VIII IX X Isoline. I II III IV V VI VII Les Sauvageons. Quelques Chansons. I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV Les Rois Mages. I II III Marie-Madeleine. I II III IV V VI Tristesse De La Vierge. I II III Clairs De Lune. I II III Jeunesse. I II III IV Une Fée. I Ah! c’est une fée Toute jeune encor, Ah! c’est une fée De lune coiffée. À sa robe verte Un papillon d’or, À sa robe verte, À peine entr’ouverte. Elle va légère, Au son du hautbois, Elle va légère Comme une bergère. Elle suit la ronde Des dames des bois, Elle suit la ronde Qui va par le monde. Sa gorge enfantine Tremble doucement, Sa gorge enfantine Couleur d’églantine. Elle ignore même Qu’on ait un amant. Elle ignore même Ce doux mot: Je t’aime! II Or, une nuit d’été, sous la lune d’opale, Comme elle passait blanche, une fleur à la main, À cette heure où le ciel se teint de rose pâle, Tremblante, elle s’arrête au détour d’un chemin. Parmi les boutons d’or, dans l’herbe, sous les saules, Un jeune homme était là, qui semblait endormi. De blonds cheveux couvraient ses robustes épaules. Sa bouche souriait, entr’ouverte à demi. Il se lève, et ses yeux, d’où sort une lumière, Regardent fixement le fantôme enchanté. Est-ce un rêve? Jamais châtelaine ou fermière N’eut cet air de candeur et cette pureté. Elle aussi le regarde et bientôt s’émerveille. Robin n’approche pas de cet adolescent. «Quel songe!» pense-t-elle, et voici que s’éveille L’aurore de l’amour en son coeur innocent. -«Miraculeuse enfant de cette nuit charmante, Viens-tu pour m’éblouir d’un pays fabuleux? Dis à ton serviteur une parole aimante; Laisse-moi, sans colère, adorer tes yeux bleus.» Il s’est mis à genoux au milieu des pervenches, Radieux et fleuri comme le fils du roi. Elle avait peur. Bien vite il a pris ses mains blanches Et murmure tout bas: -«Je te veux; réponds-moi.» Elle aurait dû s’enfuir. Déjà les vieilles fées, Là-bas, là-bas, sous terre, apprêtaient leurs fuseaux. D’invisibles lilas envoyaient leurs bouffées; On entendait au loin le réveil des oiseaux. Elle aurait dû s’enfuir. Mais les bois et la plaine, La rivière et le vent, tout lui parlait d’aimer, Et, laissant de ses doigts tomber la marjolaine, Elle sentait son coeur prêt à se consumer... Ô merveilleux hymen du ciel et de la terre! Chantez, beaux rossignols, la chanson des époux. Ouvrez, sombres forêts, vos portes de mystère. Éternelle jeunesse, épanouissez-vous! Chaque jour, depuis lors, dès que la nuit câline En ses bras maternels berce le monde enfant, Dans le bois qui scintille en haut de la colline, Ils vont cueillir la fleur de l’amour triomphant. L’étoile du berger les cherche dans l’espace. Les murmures d’en bas leur viennent apaisés. Comme un vol d’oiseaux blancs qui passe et puis repasse, La lune sur leur bouche argente leurs baisers. Elle dit: «Prends-moi toute, ô mon seigneur superbe. Je tremblais. Ton regard m’a bientôt rassuré. Je suis le liseron qui se cache dans l’herbe; Toi, maître, le grand arbre au feuillage doré.» Il répond: «Comme un prêtre à la porte du temple, J’aime à tes pieds divins, chère, à m’agenouiller. Toute mon âme brûle alors que je contemple L’anémone d’argent que je n’ose effeuiller.» Parfois, en pleins fourrés, une harde s’élance, Et, l’oreille aux aguets, suit le bruit de leurs pas. Ils vont. Leur amour seul éveille le silence. Le temps heureux s’envole. Ils ne s’en doutent pas. Mais quand l’aube, en chantant, les mains pleines de roses, Frappe à coups redoublés à la porte des cieux, Quand les heures de jour passent en robes roses, Oh! la peine cruelle et les tristes adieux? -«Entends-tu, cher trésor, le chant de l’alouette?» -«L’Orient s’illumine. Il faut nous séparer.» En leurs yeux attristés pâlit la violette. La fée a pris son vol et s’est mise à pleurer. Elle s’évanouit, ainsi qu’une fumée Que le vent éparpille à l’horizon lointain, Et, lui, regarde encor l’image bien aimée Se fondre lentement dans le bleu du matin. III Hélas! hélas! on épie Ton amour, pauvre garçon. Voici beau jour que la pie L’a dit au colimaçon. Depuis longtemps la vipère S’en gausse avec le corbeau. Tous deux font très bien la paire. Des secrets c’est le tombeau. Carabosse et Mélusine À leur tour ont clabaudé. -«Écoutez, voisin, voisine, Notre soeur a cascadé. «Et celui qu’elle préfère, C’est le garçon du moulin.» -«Pas possible! Quelle affaire! Seigneur, que c’est donc vilain! «Narrez-nous toujours la chose.» -«Voici: C’était un beau blond. Ils se rencontraient... Je n’ose Vraiment en dire plus long.» -«Bah, racontez tout de même.» -«Eh bien! donc, il lui parla. Elle répondit: Je t’aime.» -«Tiens, tiens, voyez-vous cela.» -«Et depuis lors, Dieu sait comme En plein bois ils se baisaient.» -«Oh, maman! Baiser un homme!» -«C’est pourtant ce qu’ils faisaient.» -«Et d’où vient cette nouvelle?» -«C’est Robin qui l’apporta.» -«Pauvre Soeur!» -«Pas de cervelle!» -«Patati -et patata!» IV Titania, la reine aux doux yeux d’améthyste, Ignorait tout encor. Sa fine camériste Lui conte l’aventure, un soir, en la coiffant: -«Que dis-tu là, ma bonne, une si douce enfant!» -«Hélas! madame, hélas! la chose est trop certaine.» -«Encore si c’était avec un capitaine!» Et le soir même, avant d’entrer en son lit bleu, La belle a tout appris à son époux. -«Corbleu! Fait Obéron, ceci dépasse un peu les bornes. N’est-il plus au village assez de maritornes Pour qu’on laisse en repos les dames de ma cour! Un homme à notre soeur déclarer son amour! L’affaire est scandaleuse; un exemple s’impose. Vite, allez-moi quérir la coupable, et qu’elle ose Faire à nos pieds l’aveu de son indignité.» Un grand lit de justice est sur l’heure arrêté. On s’y rend de partout et même du royaume De Belzébuth. Follet, Sylphe, Lutin ou Gnome, Chacun veut avoir part à la fête. Voici D’aimables compagnons sentant fort le roussi, Puck, Robin Bon-Enfant qui joue avec les filles, Et le soir, dans leur lit, fourre un paquet d’aiguilles, Ariel qui soupire on ne sait trop pourquoi, Jacques l’enchifrené qui reste toujours coi, Charlot, Jean de la Lune et Pierre les Dimanches, Et le roi des Coucous et la reine des Tanches. Comme des églantiers les uns sont droits et verts, Les autres sont tortus et vont tout de travers. Il en est qui sont fiers d’arborer une bosse. Les uns vont à cheval, les autres en carrosse. D’aucuns marchent courbés sur d’énormes bâtons; Leur nez fait la causette avec leurs trois mentons, Et, branlants comme il sied à des personnes d’âge, Ils gémissent: «Oh, oh! que de dévergondage!» Avec un galurin sur sa tête d’oiseau, Plus d’une mère-grand file son blanc fuseau. Derrière on aperçoit, en robes dégrafées, Les ondines du bois joli, les jeunes fées Qui se poussent du coude et rient du coin de l’oeil. Et tout ce monde, heureux ou triste, en joie, en deuil, Va, vient, court, coassant comme un cent de grenouilles. Des vieilles en fureur brandissent leurs quenouilles. Plick fait un pied de nez, Plock un saut périlleux, Quand tout à coup plus rien. Silence merveilleux. Le Seigneur Obéron paraît sur la pelouse Et donne galamment la droite à son épouse, Dont le corsage en fleur semble tout un jardin. -«Messieurs, la cour, glapit l’huissier, un vieil ondin. Silence et chapeau bas, on appelle la cause.» Et voici venir, fraîche et blonde et toute rose, La délinquante. Hélas! Elle est en grand émoi, Très fière cependant. -«Approche, dit le roi, On m’en a raconté de belles sur ton compte. Une fée embrasser un homme, quelle honte! Si le fait est prouvé, tu sais ce qui t’attend. Nous ne te voulons plus chez nous. En un instant, Comme ton bel ami, tu deviendras mortelle. Plus de robes d’argent, d’or ou de brocatelle, Plus de rondes, le soir, dans le cercle enchanté. La bise, en peu de temps, fanera ta beauté. Il te faudra bientôt, villageoise enlaidie, Subir la pauvreté, le froid, la maladie, Mener paître les veaux tous les jours que Dieu fait, Et danser, ventre vide, en face du buffet. Le front ceint de fenouil, de rue et d’amourette, Nous irons, folâtrant et riant. Toi, pauvrette, Tu tireras la langue avec ton étourdi.» À grands coups de battoir l’auditoire applaudit. L’enfant tremble et pâlit un peu. Toujours coquette, Elle fait trois saluts comme veut l’étiquette, Et murmure: «Madame, et vous, Seigneur...» -«Bon, bon, Est-il vrai qu’on t’ait vue avec ce vagabond?» Une faible rougeur est montée à sa joue; Frémissante et superbe, elle répond: -«J’avoue. «Mon gentil roi, Ma douce reine, L’amour m’entraîne; Oubliez-moi. «Et vous de même, Esprits mutins, Sylphes, lutins, Frères que j’aime. «Je n’irai plus Voir sur la lande La sarabande Des nains velus, «Au loin surprendre Le doux secret Qu’à la forêt Dit la nuit tendre, Faire, en soufflant, Quand l’aube approche, Tinter la cloche Du muguet blanc. «Adieu, fleurettes Au coeur rusé Dont j’ai frisé Les collerettes, «Adieu, adieu, Beaux scarabées, Perles tombées Du grand ciel bleu, «Ombres légères Du bois joli Où j’ai mon lit Dans les fougères, «Lune d’argent, Miroir céleste, Adieu, je reste Avec mon Jean! «Combien sa bouche A de douceur! Mon ravisseur N’est point farouche. «D’un bras vaillant, Blanc comme neige, Il me protège En souriant. «À la rosée, Plus de cent fois, Il m’a dit: Sois Mon épousée. «Rire, jaser, La pauvre affaire! Moi, je préfère Un franc baiser... «Mon roi, ma reine, Toute la cour, Vive l’amour Qui nous entraîne! «De ce garçon Je suis coiffée. Adieu la fée Et sa chanson!» V Dans un pré semé de fleurettes jaunes, Un pré qui scintille au soleil levant, Je sais quelque part, sous un bouquet d’aulnes, Une maisonnette à l’abri du vent. Elle est fort ancienne et toute petite. Mais quand le matin point à l’horizon, Comme elle sourit, dans la clématite, Avec son toit bleu, la chère maison! C’est là qu’oubliant les métamorphoses De la lune pâle et du vent moqueur, L’adorable enfant effeuille des roses, Son fidèle ami tout près de son coeur! Elle n’est plus fée, elle est toujours sage, Et, tendre et jolie, elle garde encor Un brin d’églantine à son fin corsage, Un noeud de ruban dans ses tresses d’or. Le jupon troussé comme une bergère, Elle vole ainsi qu’un oiseau des bois! Elle apaise tout de sa main légère; Un charme est encore au bout de ses doigts. L’époux qui revient, au soir, de l’ouvrage, Les bras fatigués et le pied poudreux, S’arrête un instant et reprend courage. Son coeur bat gaiement, son coeur amoureux. Il a vu de loin sa mignonne blonde, Douce comme un rêve au milieu des blés, Bercer, en chantant quelque vieille ronde, Un amour d’enfant aux cheveux bouclés. Beau Page De La Reine. Qu’avez-vous, dites-moi, Beau page de la reine? Qu’avez-vous, dites-moi, Gentil menin du roi? Madame a les yeux doux Et vous portez sa traîne, Madame a les yeux doux: Pourquoi donc pleurez-vous? -Hélas! je ne suis rien Qu’un enfant qui soupire; Hélas! je ne suis rien, L’amour est tout mon bien. Si je n’aimais pas tant, Comme il ferait bon rire! Si je n’aimais pas tant, J’aurais le coeur content. -Madame a dans les yeux Le bleu de la pervenche, Madame a dans les yeux Quelque chose des deux. Madame entre ses doigts Tient une rose blanche, Madame entre ses doigts Tient la rose des bois, Et ses cheveux dorés Comme la fraîche aurore, Et ses cheveux dorés Ont la senteur des prés. -Ah! plutôt des lilas, J’en pleurerais encore, Ah! plutôt des lilas, Mais ne m’en parlez pas. -Bah! souriez un peu, Beau page de la reine; Bah! souriez un peu, Beau page rose et bleu. -Non, j’ai trop écouté Le chant de la sirène; Non, j’ai trop écouté Le rossignol d’été. Entre les deux sentiers Qui vont à la rivière, Entre les deux sentiers Recouverts d’églantiers, Du côté du Levant, Dans une chènevière, Du côté du Levant, Est un petit couvent. C’est l’a que bien caché Au fond d’une cellule, C’est là que bien caché, J’expierai mon péché. Mais lorsque tendrement Viendra le crépuscule, Mais lorsque tendrement Luira le firmament, Du haut de la grand’tour Qui regarde la plaine, Du haut de la grand’tour, J’épierai ton retour, Ô mon royal trésor, Ma blonde châtelaine, Ô mon royal trésor, Ma reine aux cheveux d’or. Merlin. I Merlin revient d’Écosse. Il a tant navigué, Tant livré de combats et pris de citadelles, Qu’à la fin, par Saint George, il se sent fatigué. Mais dans le clair matin glissent des hirondelles Et Merlin, par les bois, cueille la fleur d’oubli. Son coeur, prêt à renaître, est loin des infidèles. L’âge courbe son front, les veilles l’ont pâli. Bah! d’un jeune garçon il revêt l’apparence. On dirait à le voir un écolier joli. Tout rit. Le ciel est bleu, du bleu de l’espérance. L’escarcelle au côté, la plume au chaperon, Merlin est plus gaillard que le soleil de France. Il s’amuse, en passant, du vol d’un moucheron, D’un lièvre qui s’enfuit, d’une chèvre qui broute, D’un bourdon qui bourdonne au coeur d’un liseron. Des oiseaux chantent. Lui, gravement les écoute. Il respire les fleurs, il regarde le vent Faire danser de folles ombres sur la route. Et c’est ce grand Merlin, brave autant que savant, Qui tranche deux païens d’un coup de son épée, Et parle mieux latin qu’un moine en son couvent. II De rosée, au matin, la campagne est trempée; Une églantine d’or brille à chaque buisson; La forêt, de silence, est toute enveloppée. Merlin, pour marcher mieux, entonne une chanson, Et voici qu’il arrive auprès d’une fontaine Que borde joliment un ruban de cresson. Ô devin sans rival, ô grave capitaine, Que vois-tu se mirer dans le flot indolent? Est-ce le faon timide ou la biche hautaine? Non; mais ses cheveux d’or noués à son bras blanc, Une enfant de quinze ans à peine, qui repose Et, sous un dais de fleurs, sommeille ou fait semblant. Merlin, riant, s’approche et lui jette une rose. Lentement la dormeuse entr’ouvre ses doux yeux, Et l’eau n’est pas si fraîche et le ciel est moins rose. Le sage pour le coup en devient tout soyeux. Depuis cent ans passés qu’il rôde par le monde, A-t-il jamais rien vu qui soit plus merveilleux? -«Enfant délicieuse, es-tu la Rosemonde Qu’emporte en plein azur l’aile du colibri, Ou la fille aux yeux bleus du roi de Trébizonde?» La belle, à ce discours, a gentiment souri. Une clarté descend des bois à la ravine; Il semble que l’aurore ait de nouveau fleuri. -«Surement vous rêvez, messire..» -«Ah! je devine: Une fée. On s’en doute à voir ce pied mignon.» -«Nenni, fait l’innocente, et sa bouche est divine. «Je ne suis qu’une enfant. Viviane est mon nom. Mon père est d’ici près, qu’on dit bon gentilhomme. Il a trente écuyers qui portent son pennon. «Et vous, beau page? -«Moi, dit Merlin, je me nomme Merlot de la Huchette et je suis écolier. Mon maître est plus puissant que l’empereur de Rome. «Il a, pour le servir, un lutin familier. Qu’une femme lui plaise, il la transforme en cygne. Un jour il a changé le Diable en cordelier.» -«En vérité!» -«Mais oui. Moi-même, quoique indigne, J’ai dans mon sac plus d’un joli tour, grâce à Dieu! Pour appeler le vent il me suffit d’un signe. «J’évoque le soleil à minuit. Pauvre jeu! Chacun sait que l’Aurore est une aventurière. -«M’est avis, Monseigneur, que vous mentez un peu.» III Merlin, ses longs cheveux rejetés en arrière, Va couper un bâton au buisson d’églantiers Et trace un rond magique au coeur de la clairière. Ô merveille! Le bois, les mousses, les sentiers, Tout s’efface à l’instant et l’on voit apparaître Un palais où l’amour nicherait volontiers. Les murs en sont d’ivoire. À chaque porte un reître Veille, l’épée au poing, la pertuisane au flanc. Une princesse blonde est à chaque fenêtre. Tout autour, un jardin s’éveille, étincelant, Comme pris au réseau d’une brume argentée, Et chaque fleur qui s’ouvre a son papillon blanc. Une folle clameur vers le ciel est montée. Par l’escalier de marbre et d’or, sous les jasmins, Descend nonchalamment une foule enchantée. C’est Lancelot du Lac et ses cousins germains, La reine Blanchefleur avec ses demoiselles, Et tous, en amoureux, s’entre-croisent les mains. Les belles ont les yeux langoureux des gazelles; Les galants sont hardis et frappent des talons; Un ramier bleu sur chaque couple bat des ailes. Voici les tambourins avec les violons. En avant, cavaliers! Et la ronde tournoie. Hourrah! Les cheveux bruns s’entremêlent aux blonds. Des mots enamourés, des paroles de joie S’envolent vers l’azur et le vont embraser. Autour des roses flotte un nuage de soie. Hourrah! La ronde passe et repasse. Un baiser S’échappe tout à coup, implorant qui le veuille, Et parmi tant de fleurs ne sait où se poser. De l’oeillet au muguet, du lys au chèvrefeuille, Il plane, dans la brise embaumée, et toujours Une bouche adorable est là qui le recueille. IV Viviane regarde. En ses yeux de velours Tremble languissamment la radieuse image Du palais fantastique avec ses quatre tours. Merlin se dresse. Il fait un grand geste de mage. Dames, seigneurs, château, tout disparaît soudain. Et Viviane dit: «Oh! comme c’est dommage! «Ami, si vous m’aimez, épargnez ce jardin. Mais lui n’a déjà plus son allure farouche. C’est, comme tout à l’heure, un amoureux blondin. -«Vois ces fleurs. Qu’en passant ta douce main les touche, Leur tendre coloris sera plus éclatant; Elles n’auront jamais la fraîcheur de ta bouche. «Ce jardin, où le ciel se regarde en chantant, N’a pas le charme pur de ton adolescence. Puisqu’il a su te plaire, accepte-le pourtant.» Viviane rougit et, dans son innocence, Elle frappe des mains et saute de plaisir. Ses yeux sont pleins d’amour et de reconnaissance. Passe un grand papillon. Il faut bien le saisir. Preste comme le vent, elle vole où l’entraîne L’aile capricieuse et tendre du désir. Elle charme les lys de sa voix de sirène Et parle couramment la langue des oiseaux; Le parterre magique a reconnu sa reine. Mais qu’une demoiselle, au milieu des roseaux, La frêle brusquement, elle revient, peureuse, Près de Merlin, qui rêve au bord des claires eaux. -«Ah! que la vie est douce et que je suis heureuse! Comment faites-vous donc pour avoir tant d’esprit, Mon beau page? On dirait que je suis amoureuse. «Pour que ce fût l’aurore et que mon coeur s’ouvrît, Voyez: il a pourtant suffi d’une parole.» Et ses lèvres s’en vont à Merlin, qui sourit. Puis, entre deux baisers: -«Peut-être suis-je folle. Emmenez-moi. J’ai tort de vous le demander, Mais j’aurais tant de joie à vous suivre à l’école!» Le front baissé, comme un enfant qu’on va gronder, Elle tombe à genoux. Son amant la relève; Sur son coeur à jamais il voudrait la garder. Hélas! cette heure d’or n’est pour lui qu’une trêve. Arthur est encor faible et réclame son bras. Il ne peut s’attarder dans le jardin du rêve. -«Ô mon enfant chéri, jamais tu n’aimeras Comme je t’aime. Adieu. Les anémones blanches Fleuriront de nouveau quand tu me reverras.» -«Me quitter!... -«Vois, déjà le soleil sous les branches Ne jette autour de nous qu’un reflet adouci. Quand tu me reverras fleuriront les pervenches. «Ce que tu veux, enfant, je le voudrais aussi. Ne pleure pas; mon coeur est tien, comme naguère. Si tu crois à l’amour, il faut m’attendre ici.» V Un an s’est écoulé. Merlin revient de guerre. Il a tant combattu qu’il se sent fatigué. Bah! la fatigue est loin. Car il n’y pense guère. Par la forêt joyeuse il chemine, il est gai; Il est redevenu l’écolier en maraude Qui chante la jeunesse et l’espérance, ô gué. Un lièvre qui détale, une abeille qui rôde, C’est tout ce qu’on peut voir et tout ce qu’on entend, Et la lumière est d’or sous le bois d’émeraude. Bientôt s’est éveillé le rossignol chantant. Le bon Merlin lui rend ses devoirs, puis il pense À l’oiseau merveilleux qui soupire et l’attend. Arthur de tout service aujourd’hui le dispense. Il est libre et voici le jardin sans pareil Où comme un lys d’amour fleurit sa récompense. Ô bonheur! Viviane est là dans le soleil; À la claire fontaine elle rêve, seulette, Et jamais un printemps n’eut le teint si vermeil. Ce n’est plus la timide et simple bachelette Qui tremblait comme un faon que le chasseur poursuit; La rose s’est ouverte après la violette. Sa beauté, c’est le jour qui dissipe la nuit, Le grand feu qu’on allume au sommet des montagnes; Sa divine jeunesse a la saveur d’un fruit. Telle, au milieu des fleurs, ses rieuses campagnes, Apparaît Viviane aux yeux de son amant. Et lui, songe. Il a vu le soleil des Espagnes, Il a bu l’âpre vin du pays Allemand Et goûté la douceur des filles d’Italie; Jamais il n’a connu pareil enchantement. -«Oh! pourquoi, Viviane, êtes-vous si jolie? Quand vous me regardez, qu’avez-vous dans les yeux? Il passe sur mon front comme un vent de folie. «Devant ce frais visage à l’air impérieux Je ne sais que plier les genoux comme un lâche. Je tremble et rependant je vois s’ouvrir les cieux.» Et Viviane dit: -«Qu’est-ce donc qui vous fâche? Si je suis belle ainsi, c’est de vous avoir plu. Vous plaire est tout mon rêve et mon unique tâche. «Tout ce qui charme en moi, le maître l’a voulu. Ô maître, doux ami, rapportez-vous ce livre Où, si près l’un de l’autre, un jour nous avons lu? «J’étais comme en prison. Votre voix me délivre. Ne m’entendiez-vous pas? Mon coeur vous appelait, Allez dans la lumière et laissez-moi vous suivre.» Ils se sont pris la main. Leur bonheur est complet, Ils s’en vont effeuillant les roses du parterre, Écoutant la fauvette et le rossignolet. Merlin, qui tant de mois a vécu solitaire, Contemple Viviane et ne peut s’en lasser. Son coeur est si rempli qu’il a peine à se taire. -«Peut-être, mon amour, vas-tu te courroucer. Je ne suis pas l’enfant que je te parais être. J’ai l’habit d’un danseur et ne sais pas danser. «Mon nom d’ailleurs est grand et tu dois le connaître. On m’appelle Merlin. Les Mages d’Orient Comme les gens d’Arthur m’ont proclamé le Maître.» Oh! que l’oeil de la belle est devenu brillant! -«Bel ami, doux ami, vous manquez de prudence. J’avais tout deviné, dit-elle en souriant. «Si vous n’étiez qu’un page, un marjolet qui danse, Auriez-vous en mon coeur allumé si grand feu! Un beau merci pourtant pour votre confidence.» - VI C’est l’heure du silence et l’heure de l’adieu. Sur le jardin qu’endort une béatitude La nuit délicieuse étend son manteau bleu. Grand Dieu, qu’a Viviane et quelle inquiétude! Dans les bras de Merlin elle parle en rêvant: -«Mon âme pour aimer n’a pas besoin d’étude; «Mais vous, mon roi, mais vous, le mage et le savant, Ne rougirez-vous pas d’une si pauvre amante, Vous qui faites pâlir jusqu’au soleil levant?» Et Merlin, attentif à ce qui la tourmente, La berce en chantonnant, comme un enfant mutin, Et baise mille fois sa figure charmante. Pour vaincre sa tristesse il évoque un lutin Qui sur un cheveu blond de la lune gambade, Éveillant jusqu’aux fleurs, de son rire argentin. Des violons cachés soupirent une aubade, Et Viviane enfin sourit au point du jour. L’Aurore a triomphé de son esprit malade. Elle est folle, elle chante et jase tour à tour. Mais quand revient la nuit, à l’heure décevante Où l’homme le plus fort succombe sous l’amour: -«Ah! dit-elle, à vos pieds voyez votre servante, Ne m’apprendrez-vous pas quelque beau talisman? Hélas! j’ai tant besoin de devenir savante!» -«Savante! Mon amour, y penses-tu vraiment? À peine tu parais, que la terre est charmée. Ta jeunesse est encor le meilleur nécromant.» -«Non, je le vois, jamais vous ne m’avez aimée, Vous me croyez bien sotte.» -Et l’enfant en courroux Tremble comme un roseau dans la nuit parfumée. -«Vive Dieu, fait Merlin, m’amour, consolez-vous. On me dit tout-puissant, mais c’est chose bien vaine Que mon pauvre savoir auprès de vos yeux doux.» Il lui montre comment on fait pousser l’aveine Ou sourdre en plein désert une source d’argent, Et tous les grands secrets qu’on lit dans la verveine. Comme une fine guêpe au corselet changeant, Au milieu des bosquets éclatants de lumière, Viviane babille et s’en va voltigeant. VII Et la vie a repris sa marche coutumière. Le jour s’en est allé, le jour est revenu. Viviane, un matin, s’éveille la première. Au cou de l’enchanteur elle met son bras nu, Et, toute frissonnante encore, un peu lassée: -«Je n’étais qu’une enfant quand je vous ai connu. «Mais vous m’avez laissé lire en votre pensée, Mon maître; je vous aime et je vous dis merci; J’ai vécu de nouveau quand vous m’avez bercée. «C’est votre ouvrage à vous, la belle que voici. Ah! pour être parfaite, il lui manque une chose. Hélas! vous allez rire et j’ai tant de souci!» Merlin a répondu: -«Qu’est-ce donc, ô ma rose? Parlez, je vous écoute et vous le savez bien.» Et Viviane: -«Enfin, j’essaierai..., mais je n’ose. «Un désir m’est venu... Pas même... oh! presque rien. «Vous courroucerez-vous si j’en dis davantage?» Et, folâtre, elle met son coeur contre le sien. -«Doux ami, qu’il fait bon vivre en notre ermitage! Je suis à vos genoux comme aux genoux d’un roi Et vous êtes à moi, n’est-ce pas, sans partage. «Je ne vous cache rien de mes rêves. Pourquoi, Le soir, parlez-vous seul, sans que je puisse entendre? On dirait, à vous voir, que vous doutez de moi. «S’il vous plaisait pourtant, je saurais bien comprendre... N’endormiriez-vous pas qui bon vous semblerait? Ami, le joli jeu! le voudrais bien l’apprendre?» Merlin docilement lui livre son secret. Mais la belle: -«Endormir quelqu’un, la belle affaire! Au premier vent qui passe il se réveillerait. «Il faudrait qu’en riant à l’ami qu’on préfère On le rendît, d’un charme, à jamais prisonnier! Oh! quel tour amusant! J’ai rêvé de le faire.» Jamais son clair regard ne fut si printanier Et toute l’aurore a passé dans son sourire. «Accordez-moi ce voeu, maître; c’est le dernier.» Merlin, qui la comprend, la regarde et soupire. -«Mon amour, mon enfant, ma Viviane!... -Et puis Il est resté trois jours avant de lui rien dire. Avant de lui rien dire il est resté trois nuits. On n’entend frissonner, sous le vent qui défaille, Que le jardin magique avec ses mille bruits. VIII Ô barde qui cherchiez lutteur à votre taille Et défendiez vos droits de si rude façon, Voici venir enfin la suprême bataille! Vous entriez en guerre avec une chanson. Mais il est un danger que la vaillance ignore, Un plus souple ennemi que le géant Saxon. Viviane est si triste! En vain le soleil dore Le suave incarnat de sa jeunesse en fleur, Elle pleure, en chantant, comme la mandragore. Qu’elle est belle, si fraîche encor sous sa pâleur! Sa grâce languissante a cent fois plus de charmes, Et le coeur de Merlin s’est rempli de douleur. -«Arrivent les païens; qu’on apporte mes armes! Les coups, même la mort, je puis tout endurer; Mais comment supporter de voir couler tes larmes? «Parle comme autrefois, enfant, viens te mirer, Toujours insouciante et folle, en ma tendresse. Je suis trop malheureux quand je te vois pleurer.» Et Viviane alors l’embrasse et le caresse. C’est le baiser qu’il a connu, mais plus divin; La même flamme encor, avec plus d’allégresse. -«Peut-être vouliez-vous partir. Oh! c’est en vain. Votre amour sur mon front est comme un diadème. Vous serez à jamais mon maître et mon devin. «Un signe; c’est assez. J’obéis, je vous aime. Je suis à vous, c’est vrai, mais vous m’appartenez. Regardez-moi sourire et vous ferez de même. Clairons de la défaite, aux quatre vents sonnez! Viviane triomphe et Merlin s’abandonne. Du même rayon rose ils sont illuminés. -«Mon beau magicien, voyez si je suis bonne. Je vous ai fait un lit dans l’or de mes cheveux; Mais il faut obéir lorsque je vous l’ordonne. «Il me plaît, à mon tour, d’écouter vos aveux. Ne suis-je pas l’enfant que vous avez choisie? N’êtes-vous pas venu pour accomplir mes voeux? «Pourquoi vous rebeller contre ma fantaisie? Puisque vous m’adorez, j’ai droit de commander. C’est moi votre science et votre poésie. «Ce secret... Mon amour, pourriez-vous le garder? Ne suis-je pas votre âme? -Et Merlin qui succombe Ne pense qu’à l’entendre et qu’à la regarder. Oh! ce bras plus léger qu’une aile de colombe, Ces yeux étincelants comme le soleil d’août, Cette blancheur pareille à la neige qui tombe! Et ces lèvres!... Merlin sent bien qu’il est à bout. -«Viviane, sans toi, comment pourrais-je vivre? Aime-moi seulement et je te dirai tout!» IX Maintenant il chancelle. On croirait qu’il est ivre. -«Adieu la blanche mer que fendaient mes vaisseaux Et mon pays Gallois où resplendit le givre. «Adieu mon pâle ciel et le chant des ruisseaux Qui berça le sommeil de ma première enfance, Adieu la verte lande avec ses arbrisseaux! «Mon pays, en tout temps, j’ai pris votre défense. Dans la joie ou le deuil je vous ai bien servi. Souvenez-vous de moi si quelqu’un vous offense. «Et vous, mes compagnons, vous qui m’avez suivi Contre le roi d’Islande et le Saxon vorace, Vous qu’un rêve de gloire enflammait à l’envi, «Ô le sang de mon coeur et la fleur de ma race, Gardez fidèlement le trésor des aïeux; Faites que nos enfants marchent sur notre trace. «Les jeunes, c’est la loi, poussent du pied les vieux. Mais quand reverdira le temps des primevères, Entonnez bravement quelque refrain joyeux. «Dans le courtil en fleur entre-choquez vos verres, Rappelez-vous, enfants, le Merlin d’autrefois, Et que vos jugements ne soient pas trop sévères. «Les temps sont accomplis. Dieu l’a voulu. Ma voix Ne retentira plus dans les champs de Cambrie. Je ne poursuivrai plus le sanglier des bois. «Vienne le dragon rouge ou la louve en furie, Ma puissance est à terre et mon bras désarmé. Que d’autres à présent gardent la bergerie. «Arthur, mon souverain, vous que j’ai tant aimé, Soyez mon héritier, achevez mon ouvrage; Protégez comme moi le faible et l’opprimé. «J’ai lutté de mon mieux et vécu sans outrage. Je défiais la mort comme la trahison. Pareil au tiercelet, j’ai crié dans l’orage. «C’est fini; je m’en vais. La lune à l’horizon, Comme une fleur, pâlit, pâlit. L’heure est prochaine. On bâtit, cette nuit, les murs de ma prison. «Le bois dont elle est faite est plus dur que le chêne, Il est plus parfumé que le bois d’oranger, Et c’est en souriant que j’ai forgé ma chaîne. «Ô ma harpe galloise, adieu ton chant léger. Toi si pure, vas-tu frissonner sous l’orgie? Pourras-tu supporter la main d’un étranger? «Et vous par qui je meurs, adieu, belle magie, Fanez-vous, ma verveine, aux doigts de l’impuissant. Puisque j’entre en servage, adieu mon énergie!» Viviane sourit d’un sourire innocent, Doux comme la jeunesse et comme la fortune, Et le Sage à ses pieds se couche, obéissant. Elle a pris dans ses mains la belle tête brune Qu’elle baise, en pleurant, d’un air passionné; Ses yeux ont le bleu tendre et changeant de la lune. Puis autour d’un rosier elle a sept fois tourné, En murmurant sept fois l’incantation lente. Merlin s’endort. C’est fait; il est emprisonné. X Les grands arbres, les fleurs, la fontaine coulante Se sont évanouis comme un songe, et l’enfant, Fière de son triomphe, en est toute tremblante. Elle jette à l’entour un regard triomphant. Et voici qu’un château miraculeux se dresse Et qu’au loin retentit le son de l’olifant. Un château s’est dressé dont elle est la maîtresse, Où restera fidèle, ah! pour l’éternité! L’enchanteur aux genoux de son enchanteresse. Merlin voit devant lui sa dame de beauté, Et, sur un lit de pourpre, indolemment respire L’ineffable senteur de la rose d’été. Au seuil de cet Éden toute misère expire. Une brise odorante y souffle mollement; C’est le pays du Rêve et l’amoureux empire. Le rossignol s’éveille et chante son tourment. Des couples d’autrefois il célèbre la gloire; Il dit le mal divin qu’on éprouve en aimant. Une eau fraîche murmure en des vasques d’ivoire. Mille fleurs, dans l’azur, aiment à s’y baigner. Mille oiselets à l’aile rose y viennent boire. Viviane les flatte et se plait à régner Sur sa cour qui volette avec effronterie, Quand la reine aux yeux bleus commence à se peigner. Comme une aube d’avril elle est toute fleurie. Sur ses robes couleur du soleil du matin Brillent tous les joyaux du pays de féerie. Mais ses lèvres encore ont la fraîcheur du thym; Son visage a gardé sa grâce naturelle, On ne sait quoi de tendre et de presque enfantin. Elle rit franchement comme une pastourelle. Son maître est désormais le rossignol charmeur; Un voile de douceur s’est répandu sur elle. Parfois Merlin s’agite. Une sourde rumeur Du château léthargique a troublé le silence. Un lointain bruit de guerre éveille le dormeur. Puis la bataille éclate avec sa violence. Merlin gronde. Il entend les chevaux s’écraser. Holà? mes gens, à moi! Qu’on décroche ma lance!» Mais Viviane chante afin de l’apaiser. Sur l’épaule du barde elle met sa main douce Et lui montre sa bouche où fleurit le baiser. -«Écoutez, mon amour, la verveine qui pousse. Endormez-vous, tranquille, en la paix de mes seins. Que mon corps à jamais soit votre lit de mousse. «Je veux que mes bras blancs vous servent de coussins. Mes lèvres souriront si votre coeur est triste; Si vous souffrez, mes yeux seront vos médecins.» Sa fine gorge est rose à travers la batiste. Ses cheveux envolés lui font un nimbe d’or. Elle sait bien, l’enfant, que rien ne lui résiste. Ainsi, dans ce féerique et radieux décor, Les amants enchantés laissent couler leur vie. Les siècles passeront. Ils s’aimeront encor. L’heure ici va, légère, et d’une aile ravie, Comme un oiseau qui vole à travers la clarté; D’une autre, plus charmante, elle sera suivie. L’amante gardera sa folle royauté, Et l’amant bien épris bénira son servage, Tant qu’il aura sa douce reine à son côté. Qu’au loin le vent bataille avec la mer sauvage! La galère d’argent qui porte leur amour Restera, dans les fleurs, enchaînée au rivage. Ils verront sans regret s’envoler tour à tour Leurs songes, plus légers que le vol d’une abeille; Ils seront toujours beaux comme le point du jour. La tendresse en leurs coeurs sera toujours pareille; Sans se lasser jamais, leurs baisers chanteront, Comme un nid dans les bois, que le matin réveille. Ils iront côte à côte, une lueur au front, Et, les soleils couchés, quand finira le monde, Une dernière fois leurs lèvres se joindront. Je ne plains pas Merlin, prisonnier de sa blonde! Isoline. I Isoline, à la fenêtre, Regarde la mer couler. -«Oh! je voudrais m’envoler, Comme un aiglon, loin du maître, «Enfoncer mon éperon Dans les flancs du vent qui passe, Tourbillonner dans l’espace, Comme un feu de bûcheron, «Au jour nouveau près d’éclore, Jeter ma vie et mon sang, M’abîmer en frémissant Dans l’eau fraîche de l’aurore! «Mon coeur est épouvanté Du temps qui me reste à vivre; J’attends l’amour qui délivre. J’ai soif de la liberté II Chut! Est-ce un rêve? Un très doux chant Dans le couchant Tremble et s’élève. L’étrange voix, Pleine de larmes! Qu’elle a de charmes Au fond des bois! Par la nuit folle, Au firmament, Divinement Elle s’envole, Et dans le coeur Qui s’émerveille, Soudain éveille L’amour vainqueur, L’amour qui gronde, Pleure et sourit, Par qui fleurit L’âme du monde. Le ciel est clair, La nuit rougeoie. Un vent de joie Court sur la mer. À mille lieues, Voyez grandir Et rebondir Les vagues bleues. Voyez, voyez Comme elles jouent Et puis secouent Leurs crins mouillés. Sur le prestige De leur beauté, Une clarté Passe et voltige. Leurs seins menus S’épanouissent, Des perles glissent Sur leurs bras nus. Gloire éternelle Au vert printemps! Hourrah! J’entends Sa ritournelle. Au gai refrain De la folie, Le monde oublie Ses vieux chagrins. Bientôt Dieu même Apparaîtra, Hourrah! hourrah! Pourvu qu’on aime. III Isoline a senti son coeur se courroucer. Adieu la vie esclave au château des Ténèbres! Elle va lentement par les salles funèbres, Et les portraits d’aïeux la regardent passer. Isoline descend l’escalier de la dune; Isoline se penche et rêve sur les flots. Une flamme d’orage avive ses yeux clos, Et son vague sourire est tout fleuri de lune. L’eau berce, en bruissant, son visage qui luit; Ses cheveux dénoués s’envolent dans la brise. Pareille au faon sauvage, elle écoute, surprise, La douce voix qui tremble et se meurt dans la nuit. Et la voix se rapproche et se fait plus câline. -«Ô reine au corps plus frais que le jardin des cieux, Le rossignol chanteur a reconnu tes yeux; Il ne veut plus quitter le jardin d’Isoline. «J’arrive, pour te voir, du royaume des fleurs, Et mon bouquet magique est trempé de rosée; Je viens à sa prison ravir mon épousée, L’aurore est devant moi qui porte mes couleurs. «Tourterelle dorée, amoureuse colombe, N’as-tu pas dans les fers assez longtemps gémi? Ton coeur va-t-il rester à jamais endormi? Ne lèvera-t-il pas la pierre de sa tombe? «Ô ma belle de nuit, n’attends-tu pas le jour? Ces lâches t’ont murée ici toute vivante. Quand donc briseras-tu le joug qui t’épouvante, Pour tomber dans les bras de l’éternel amour? «Écoute tressaillir la parole enchantée Qui délivre les coeurs et commande au destin; Écoute frissonner la chanson du matin. Surgis en plein azur, belle ressuscitée.» Isoline s’étonne et, tout à coup, voici Qu’un jeune homme divin s’est dressé devant elle. Il baise éperdument sa robe de dentelle. -«Ô ma reine, ô ma vie, ô mon trésor, merci! «Merci de ta beauté, merci d’être venue. Du jour où j’ai vécu, je t’ai donné ma foi. Je t’attendais. Mon âme errait autour de toi. Tu n’as fait qu’apparaître, et je t’ai reconnue.» -«Le baron, mon époux...» -«Ton époux, le voilà. C’est toi, vois-tu, c’est toi qui m’étais destinée. Au livre de l’amour j’ai lu notre hyménée. Si je n’ai pas ton coeur, c’est qu’on me le vola. «Viens; je t’emporterai dans un pan de ma mante, Sous la lune de mai, comme un enfant qui dort. Viens; nous chevaucherons la cavale aux crins d’or. La nuit sera splendide et tu seras aimante. «Au pays du soleil, sous le ciel embrasé, Il est un paradis radieux qu’on ignore, Où ne frémit au vent de l’immortelle aurore Que l’aile délicate et folle du baiser. «Dès que l’aube a posé son pied sur les collines, Mille roses de mai tombent de son manteau. Mes pages vont t’ouvrir les portes du château; Viens, partons pour le rêve, au son des mandolines.» Le jeune homme se lève. On dirait qu’un brasier Flambe au fond de ses yeux, noirs comme le mystère. Son ombre de géant couvre un arpent de terre Et sa bouche a fleuri comme un jeune rosier. -«Ô reine, devant moi courbe ta tête altière, Viens, j’ai trop attendu; viens, c’est toi que je veux.» Isoline se pâme à son tour! Ses cheveux, Comme une robe d’or, la couvrent tout entière. Isoline se pâme. Elle boit l’étranger. L’amour terrible en elle a déjà pris racine. Pareille au rossignol que le serpent fascine, Elle n’a même plus la force de bouger. -«Un charme est sur tes yeux qui me force à te suivre. Mon coeur est dans ta main comme un oiseau blessé. Qui donc es-tu, réponds, toi qui l’as ramassé? Ce n’est qu’en te voyant que je commence à vivre.» -«Rassure-toi. Vos gens me traitent de bandit. Mais ne suis-je pas fils de roi, puisque tu m’aimes? Mon père est souverain de toutes les Bohèmes; Je n’ai qu’à faire un signe et le monde obéit. «Le monde radieux ou sombre est mon ouvrage. J’ai dérobé les fruits de l’arbre défendu. Le piège de la nuit, c’est moi qui l’ai tendu, C’est moi qu’on entend rire au milieu de l’orage.» Isoline se pend au cou du réprouvé. Ainsi que deux ramiers dont les chants se répondent Ils sont unis. Leurs voix, leurs souffles se confondent. Voici l’instant divin qu’elle avait tant rêvé. Isoline a goûté la bouche qui l’enchante. Tout son corps s’abandonne aux lèvres de l’amant. Son coeur s’en va, s’en va délicieusement Comme, au milieu des fleurs, la rivière qui chante. Il a vaincu, le fier et libre adolescent. Ivre de joie, il jette au ciel un cri sauvage. Comme lui sans mesure et vierges de servage, La mer, les champs, les bois ont reconnu leur sang. IV Allons, belle fille, Charmer l’Orient; Partons, en riant, Sur la mer qui brille. De l’ombre émergeant, Gracieuse et claire, La nuit, pour te plaire, S’habille en argent. Le vent se mutine Et veut t’emporter; Écoute chanter Sur la brigantine. La coque est d’or pur, Les vergues d’ébène; Au mât de misaine La voile est d’azur. Glisse, ma couleuvre, Au milieu des flots, Tous les matelots Sont à la manoeuvre. Adieu la prison Du corps et de l’âme. Vois donc quelle flamme À notre horizon! Adieu les mensonges Qui nous font mourir. Vois d’ici fleurir Le pays des songes. Nous embarquerons Pour les îles roses; Nous aurons des roses À nos avirons. Sur la mer hautaine La nef dansera, Et l’amour sera Notre capitaine! V -«Et hop, et hop, mon bon cheval, Plus vite encor, plus vite encore. L’air a fraîchi, le ciel se dore, Franchis les monts, saute le val. «En son lit blanc mon Isoline, Depuis hier, m’appelle en vain. Elle rêve. Son corps divin S’est perdu dans la mousseline. «Elle est pure comme le feu, Elle est noble comme la reine. Trente servants portent sa traîne Quand elle s’en va prier Dieu. «Trente filles sont occupées Rien qu’à peigner ses cheveux d’or. Elle a la clef de mon trésor, Et la garde de mes épées. «Pourquoi donc cet air de souci, Et dans ses yeux tant de colère? Quand je m’ébaudis pour lui plaire, Qu’a-t-elle donc à rire ainsi?» À son cheval qu’il éperonne Ainsi parle le vieux baron. Tout blanc, c’est encore un luron. Il ne pense qu’à sa baronne. Et hop, et hop, voici le jour. Partout du rose; une merveille! -«Va devant, page, et qu’on éveille Isoline, la fleur d’amour. Je veux la voir. Gens de sa suite, Qu’avez-vous tous? Éveillez-la.» «Hélas! seigneur!» -«Eh bien?» -«Voilà. Notre maîtresse a pris la fuite. «Elle est sur le vaisseau doré Avec le prince de Bohême.» -«Gueux, vous mentez. Celle que j’aime Ne m’aurait pas déshonoré. «Isoline est de noble souche. Qu’on l’aille prendre. Elle m’attend.» -«Hélas, maître! -«Eh bien?» -«En partant, Tous deux se baisaient sur la bouche. «Leurs gens battaient du tambourin, Leurs drapeaux flottaient dans la nue. Elle riait, à demi nue, Entre les bras du malandrin.» Ah! le vieux baron, comme il jure! On voit luire ses yeux ardents Il bat des pieds, grince des dents. -«Ai-je vécu pour cette injure? «Mon Dieu, la honte est sous mon toit; Ma vieille gloire est dans la boue. C’est comme un soufflet sur ma joue. Chacun va me montrer au doigt. «Prostituée, infâme, infâme! A-t-elle un jour manqué de rien? J’étais à ses pieds compte un chien. Lui fallait-il m’arracher l’âme? «Pour lui faire un peu de bonheur J’aurais conquis toute la terre. Seigneur, ma femme est adultère, Elle a craché sur mon honneur. «J’aurais dû dans la chambre haute Nuit et jour la cadenasser. Je ne pensais qu’à l’embrasser. Ah! je l’aimais trop. C’est ma faute.» Le vieux baron monte à la tour D’où si souvent la châtelaine Contempla la mer et la plaine Avec le soleil à l’entour. Il a, d’une main toujours sûre, Brisé les meubles précieux Qu’aimaient à regarder ses yeux, Ses yeux où flambe la luxure. Il met en pièces le grand lit Tiède encor de leur hyménée, Où, depuis l’heureuse journée, Tant d’amour est enseveli. Le miroir qui l’a reflétée, Il l’écrase sous ses talons, Le miroir où ses cheveux blonds Faisaient une brume enchantée. -«Au vent, oiseaux de paradis, Au vent, joyaux de l’infidèle, Au vent, vous tous qui parlez d’elle, Au vent, au vent! Je vous maudis! «Qu’on apporte l’or et la soie, Complices de sa trahison, Son livre d’heures, son blason, J’en veux faire un grand feu de joie! «Puisque son coeur s’est parjuré, Je veux qu’en ce monde elle souffre, En attendant la mer de soufre Où le pêcheur est torturé. «Mon coeur, à moi, n’a plus de larmes. Elle me croit anéanti. Non, non. À moi tout mon parti. Vaillants reîtres, bons hommes d’armes; Vous qui m’avez suivi, blessés, Hâves, sanglants, dans la bataille, Soldats de fer que rien n’entaille, Sortez de l’ombre, apparaissez! «Accourez tous, joyeuse foule, Vous dont l’épée aime à fleurir. Hourrah! La chasse va s’ouvrir! Flairez, limiers, le sang qui coule. Et voilà les drapeaux au vent. Toute une armée est sur la grève. Le clairon sonne; un cri s’élève -«À vos ordres, maître. En avant!» VI Quand l’aube jette aux monts sa lumière nacrée Dont un reste de lune argente la pâleur, Regardez-vous sortir, comme une tendre fleur, L’île de pourpre et d’or de la mer azurée? Aux divines clartés du ciel oriental, Avez-vous reconnu la jeunesse du monde? Voyez-vous cette femme, adorablement blonde, Qui se penche au balcon du palais de cristal? C’est Isoline, c’est la pâle enchanteresse Dont les doigts allongés portent le faucon blanc. À ses pieds est couché le maître étincelant. Il écoute chanter le coeur de sa maîtresse. Il regarde, en riant, voler ses cheveux blonds, Trembler ses jeunes seins qu’emperle la rosée, Et d’un reflet d’amour tout emparadisée, L’île heureuse s’éveille au son des violons. Au bercail est rentré le troupeau des étoiles. Le soleil qui se lève illumine les eaux. Comme une lande rose où passe un vol d’oiseaux, La mer, en un moment, s’est couverte de voiles. La rivière qui jase autour du bois fleuri, Se trouble. Elle a senti l’esprit de la tempête. Les roses dolemment ont incliné leur tête; L’horizon radieux et doux s’est assombri. On entend des appels guerriers, des cris de rage, Des blasphèmes mêlés au cliquetis du fer. La flotte se rapproche et sillonne la mer. L’île toute entière a frémi. Voici l’orage. C’est fait. Le vieux baron est maître du château. Dès qu’il voit Isoline, il lui saute à la gorge. -«Je t’ai donc retrouvée à la fin! Par Saint George, Tu n’imaginais pas me revoir de sitôt. «Belle trouvaille, ah! oui, parlons-en! Quelle flamme! Un être vil, un gueux, que la potence attend. Comment as-tu traité l’homme qui t’aimait tant? Réponds, fille de chien, qu’as-tu fait de mon âme? «Puissance, honneur, argent, je t’avais tout donné; À toi mes champs, mes bois, mes vignes et mes granges. Je te croyais pareille à la reine des anges, Et ton coeur est plus noir que celui d’un damné.» Isoline grandit. Elle est cent fois plus belle Qu’au temps où l’univers éperdu l’adorait. On dirait un sapin géant dans la forêt, Elle a les yeux flambants de l’archange rebelle. -«Baron, tes champs, tes prés, tes vignes et tes bois, Je n’en veux rien savoir, je les crache à ta face. Je ne puis être à toi, vois-tu, quoi que je fasse. Il me vient un dégoût dès que je t’aperçois. «Ta barbe et tes cheveux me donnent la nausée. Comment as-tu donc pu croire que je t’aimais! Tes caresses de vieux m’ont souillée à jamais. Du jour où je t’ai plu, je me suis méprisée. «Mon maître, le voilà. Regarde: à demi-nu, Sanglant, inanimé, c’est encor lui ma vie. Jusque dans sa misère il doit te faire envie, Et je peux bien mourir puisque je l’ai connu. «Hélas! Il est à bas, le chêne de Bohême. L’aventurier superbe a fermé ses beaux yeux. En vain il a lutté, tout seul, en furieux; La mort qu’il insultait l’a terrassé quand même. «En vain trente des tiens, parmi les plus hardis, Sont tombés sous l’éclair joyeux de son épée! Il ne voit pas les pleurs dont sa joue est trempée. Il n’entend plus la voix qui l’éveillait jadis!» -«Femme, tais-toi, tais-toi. Plus de colère. Écoute: Je ne puis oublier ta cruelle beauté. Peur-être as-tu péché contre ta volonté. Qui t’a volé le coeur? C’est le diable sans doute. «Mais la bête est râlante et mort est son venin. Lave-toi, coeur impur, pour que Dieu te pardonne. Laisse couler ta honte aux pieds de la madone, Au couvent de Saint-Jean va te rendre nonnain.» -«Au couvent! mais quel ciel vaudra jamais le nôtre? Non, non, je veux mourir avec mon coeur païen. J’ai bu l’amour à flots; je ne regrette rien. J’ai vu le paradis; je n’en connais pas d’autre.» -«Arrête, malheureuse, arrête, Dieu t’entend.» -«Que m’importe? Est-ce à lui que je me suis donnée? J’ai moi-même cueilli la rose empoisonnée; J’ai creusé de mes mains la fosse qui m’attend. «À l’horizon sanglant notre soleil se couche. Adieu la douce main qui m’enlevait au ciel, Adieu la manne d’or et le gâteau de miel Qui tant de fois, au lit, m’ont parfumé la bouche. «Tu triomphes, baron, tu crois avoir vaincu; Tu ris, vieillard, de ma faiblesse. Elle te brave, J’ai régné. Voudrais-tu me traiter en esclave? Puisque l’amour est mort j’ai bien assez vécu. «Je ne me repens pas. Si j’ai péché, mon crime M’est plus cher que jamais et je hais le bourreau. Pourquoi donc remets-tu ton épée au fourreau? Compte bien. Il te manque au moins une victime. «Égorger une femme, eh! c’est digne de toi. As-tu peur? Joins-moi vite au maître que j’adore; Vois, je l’aime toujours. Vois, je l’embrasse encore. Il faut qu’au pays noir je parte avec mon roi.» -«Ainsi, tu ne veux pas de ma miséricorde?» -«Non, scélérat, non, non; de toi je ne veux rien.» Le baron réfléchit. Tout son corps tremble. -«Eh bien! Puisqu’il en est ainsi, qu’on apprête la corde!» Douze hommes tout d’abord ont pris le vagabond. On le larde, on l’assomme, on le crible de boue. Puis son corps pantelant, accroché sur la roue, Tourne sans fin et tourne encor. Mais à quoi bon? Il a depuis longtemps rendu son âme au diable. C’est maintenant au tour d’Isoline à mourir. Qui peut la voir si jeune et ne pas s’attendrir? Le baron se détourne. Il est impitoyable. Trois goujats ont lié ce corps délicieux, Chair en fleur que l’amour a si souvent baisée. Trois goujats ont meurtri cette gorge rosée Qui donnait à la bouche un avant-goût des cieux. Ils ont broyé ces doigts qui tenaient l’églantine, Tordu ces cheveux faits d’un rayon de soleil, Souffleté ce visage adorable, pareil À l’aurore de mai sur la mer argentine. Le baron dans son coeur en est tout réjoui. Isoline a senti la mort planer sur elle. Sa beauté tout à coup devient surnaturelle, Nul ne peut l’approcher sans en être ébloui. Elle est femme après tout. Sa vie aventureuse Chevauche à l’horizon et la fait tressaillir. Elle est femme. Elle semble un instant défaillir; Il lui vient un regret de sa jeunesse heureuse. Elle revoit le vieux château de ses parents. Sa mère, au grand soleil, file sur la terrasse; Son père aux cheveux blancs arrive de la chasse, Sur son cheval tranquille, entre ses chiens courants. Une larme, une seule, étoile sa paupière. Les vieux vivent toujours et vont prendre le deuil. Mais ce n’est qu’un moment. Elle frémit d’orgueil Et de nouveau son coeur est froid comme la pierre. -«Voyons, te repens-tu?» crie encor le baron. -«Me repentir? Jamais.» -«Eh bien, qu’on en finisse. C’est toi qui l’as voulu; je te livre au supplice. Il tremble. Sa voix rauque expire en un juron. Oiseaux de l’île rose, oiseaux, faites silence; Pleurez, folâtres fleurs de l’île de beauté! Vous ne reverrez plus le cortège enchanté; Isoline au plus haut d’un chêne se balance. Elle n’a pas souffert, dit-on. L’horrible mort, Craintive, a respecté cette forme charmante. C’était l’oiseau qui prend son vol dans la tourmente. Elle est quitte à présent, elle a touché le port. Devant elle le flot épais des hommes d’armes Roule, clairons en tête et drapeaux dans le vent. Ah! pareil défilé ne se vit pas souvent. Bien dur serait celui qui retiendrait ses larmes. Le vieux baron, muet, s’est assis à l’écart, Et le front dans ses mains, pleure à la dérobée. Après le châtiment sa fureur est tombée. Il voudrait pardonner maintenant. C’est trop tard. Il regarde, navré, pendre à la verte branche Ce corps divin qui l’a jadis ensorcelé. Il a pleuré trois jours son bonheur écroulé, Il a pleuré trois nuits son Isoline blanche. VII Frémissante encor De sa chevauchée, Sous terre est couchée La belle aux yeux d’or. L’univers l’oublie En son froid linceul; Le vent berce, seul, Sa mélancolie. Près des flots chantants La belle repose, Et pas une rose Ne manque au printemps. De papillons jaunes Les prés sont couverts; Les chênes sont verts Ainsi que les aulnes. C’est du même feu Que le soir se dore; Les yeux de l’aurore Ont le même bleu. Toujours solitaire En son lit étroit, Isoline a froid Sous la froide terre. Ô doux écoliers, Fillettes bien aises, Qui cachez des fraises Dans vos tabliers, Blondes printanières, Maîtres enjôleurs Qui portez des fleurs À vos boutonnières, L’amour, en passant, Vous prend dans sa ronde; Allez, par le monde, En vous embrassant. La libre nature Entend qu’on soit gai. En avant, ô gué, La bonne aventure. Écoutez courir Le sang dans vos veines; Comme les verveines, Laissez-vous fleurir. Mais quand vient l’extase, Pensez, en vos jeux, Aux coeurs orageux Que le ciel écrase. Quand le point du jour Fleurit la colline, Songez qu’Isoline Est morte d’amour! Les Sauvageons. Ce sont trois vieilles soeurs, trois vénérables fées. D’antiques nénuphars grotesquement coiffées. En tuniques d’argent, hélas! pleines de trous, Elles hantent encor la forêt de Jailloux. Lorsque le vent du soir pleure comme une harpe, D’aucuns ont aperçu le bout de leur écharpe, Et c’est avec leurs yeux, doucement étonnés, Leurs yeux naïfs, pareils à ceux des nouveau-nés. Tout ce qu’on entrevoit des féeriques royaumes. Elles ont cousiné jadis avec les gnomes; Elles datent du temps où l’on dansait en rond, Dans la clairière, autour du petit Obéron, Où Miranda montrait, aux cloches de matines, Son gracieux visage entre les églantines, Où Merlin l’enchanteur, las d’avoir tant lutté, Par l’amour à la fin s’endormait enchanté. Le bois est leur asile... Elles n’en sortent guère, Car l’homme, toujours lâche et fou, leur fait la guerre, Et le maître, au doux front couronné de jasmin, Le maître n’est plus là pour leur tendre la main. On dit que leurs regards souilleraient l’innocence, Que le diable autrefois leur a donné naissance, Près de la mer qui brille, au pays des ajoncs, Et tous les gens d’ici les nomment Sauvageons. Tant que le dur soleil illumine la terre, Elles restent ainsi dans ce bois solitaire, Le front dans les genoux, n’osant même parler, Comme la mère en deuil qu’on ne peut consoler. Mais quand la nuit aux calmes yeux, la nuit clémente, Sur les collines d’or jette un pan de sa mante Et berce doucement l’univers endormi, À cette heure où déjà se mêlent à demi La rivière et les bois, les prés et les fontaines, Dans cette paix auguste où des formes lointaines Semblent en s’effleurant échanger un secret, Quelle sérénité tombe de la forêt! Comme elle se fait douce et tendre et maternelle! Est-ce l’esprit des morts qui ressuscite en elle? A-t-elle reconnu celui qui doit venir? On dirait un tombeau qui garde un souvenir, Et les trois vieilles soeurs savent bien la comprendre. Elle aime à les revoir, se plais à les entendre. Son rêve est immuable et beau comme le leur. Frôlant une broussaille, effeuillant une fleur, Elles vont, elles vont, pauvres petites fées. Le vent court à travers leurs robes dégrafées Et sur leurs cous ridés mêle leurs cheveux blancs. Elles vont, elles vont toujours. Leurs bras tremblants Dans la nuit qui s’effare ont des battements d’ailes. Leurs jambes en fuseaux, ridiculement grêles, Ont peine à se tenir, en dépit des bâtons... Leurs nez crochus d’oiseaux picorent leurs mentons, Leur tête branle ainsi que leurs mains maigrelettes Et leurs os font du bruit comme ceux des squelettes. Elles vont. Les chevreuils sortent de leurs abris Et, pour les voir passer, ouvrent des yeux surpris. L’écureuil les regarde et fait une culbute, Le crapaud les salue avec un air de flûte, Et les chauves-souris aux ailes de velours Les frôlent lourdement. Elles marchent toujours, Écoutant le passé divin qui les appelle. La forêt, n’est-ce pas la suprême chapelle Ou gît encore au bas de l’autel renversé Le Dieu mystique en beau qu’on n’a pas remplacé? Les trois soeurs voient partout sa radieuse image, Et, complice, la brise accueille leur hommage. Voici le carrefour où tourna tant de fois La ronde des ondins et des dames des bois. Que de perles alors au cou de la nuit brune! Quel chapelet d’éclats de rire au clair de lune! Comme tous les échos épient enamourés! Ainsi qu’un fol essaim de papillons dorés, Passaient et repassaient dans la lumière bleue Les pourpoints de satin et les robes à queue. La viole d’amour, mêlée aux violons, Disait l’éclat tendre et charmant des cheveux blonds, Les yeux de violette où resplendit l’aurore, Les bouches de vingt ans que le baiser colore. Et tout à coup la douce voix s’alanguissait. Beau comme le soleil d’Avril, apparaissait Celui dont le sourire ensorcelle le monde, Le jeune homme qui tient la Rose. Oh! quelle ronde! Comme elle déroulait ses anneaux gracieux! Quelle musique folle éclatait sous les cieux. Comme on s’aimait! Les fleurs étaient surnaturelles. Et dans l’azur profond volaient des tourterelles. Hélas! Le vent du Nord a soufflé méchamment. Un jour a dissipé l’antique enchantement; Demoiselles des bois, sylphes, lutins et gnomes Sont partis de concert au pays des fantômes Et le cercle magique est près de s’effacer. Les vieilles soeurs pourtant voudraient encor danser. Soulevant tour à tour leurs tuniques fanées Où s’effeuille un bouquet de roses surannées, Elles vont murmurant une espère de chant, Et c’est tout à la fois ridicule et touchant. Elles ont oublié les syllabes de joie Qui font en plein hiver que le printemps verdoie. Et cependant, voyez: À la pâle clarté De la nuit, leur visage a repris sa beauté. Voyez: ce ne sont plus déjà les béquillardes Sur qui s’apitoyaient les louves et les hardes. Elles ont redressé leur dos endolori Et leur bouche maussade a presque refleuri. L’esprit consolateur a détaché leurs chaînes. L’âme de la forêt, l’âme antique des chênes A passé dans leur âme et la fait tressaillir Comme le gui sacré qu’un prêtre va cueillir. Celle qu’on appelait jadis la soeur aînée, La plus grave des trois et la plus obstinée, Celle qui conduisait, en des temps plus heureux, La ronde merveilleuse autour des chemins creux, S’est tout à coup dressée au bord de la clairière, Et la nuit en silence écoute sa prière, La nuit, qui reconnais la voix de son enfant Et ne se courbe pas sous l’homme triomphant: -«Filles du vieux Bélen, quelles métamorphoses Depuis le jour sacré qui reçut nos aveux, Lorsque nous regardions, des lys dans nos cheveux, L’aurore se lever sur les campagnes roses! «Le ciel nous souriait comme un père indulgent. L’univers nu riait en sa beauté sans voiles, Et nous aimions a voir du réseau des étoiles Sortir la lune blonde et le soleil d’argent. «Quelle fleur de gaieté! La terre adolescente Offrait ses jeunes seins à tous, sans se lasser. L’amour, comme un enfant, se laissait caresser, La vie était sans tache et la mort innocente. «Des hommes sont venus, stupides et méchants, Dont l’haleine glacée a soufflé notre joie. Ils ont dit: «Fais silence» à l’aube qui flamboie, Ils ont voilé de noir la pourpre des couchants. «Et maintenant le monde a peur de la lumière. L’azur délicieux ne saurait l’enchanter. Il n’ose plus sourire et n’ose plus chanter; La seule fleur qu’il aime est la rose trémière. «L’homme a tout désappris des rites vénérés. Son corps lui fait horreur, son âme l’épouvante. Adieu, la source vive et claire. Il vente, il vente, Il vente sans relâche aux bois désespérés! - Tandis que la nuit douce apaise ses murmures Et que le vent s’endort au milieu des ramures, Ainsi parle la fée indomptable, et sa voix S’éparpille en échos douloureux dans le bois. Avec sa face morne et sa haute stature, Elle semble évoquer l’immortelle nature; La rigide forêt la regarde en pleurant. Une brise a soufflé sur le monde expirant. Et voici qu’en rêvant, la clairière soupire Et que les fleurs au loin s’efforcent de sourire. La plus jeune des soeurs s’est levée à son tour. Au fond de ses yeux passe une image d’amour, Une image tremblante et qui se décolore. En vain tout la délaisse. Elle revoit encore Le jeune homme idéal qui l’avait su toucher, Et son coeur attendri ne s’en peut détacher: -«Ô face rieuse, Divin oiseleur Aux beaux yeux couleur De la scabieuse, Chasseur ingénu, Qu’es-tu devenu? «Dès que je m’éveille, Tes paroles d’or Comme un son de cor Frappent mon oreille. Oiseau du printemps, C’est toi que j’entends. «La pierre des fées Vire lentement. Un bruissement De voix étouffées, Et je t’aperçois, Pervenche des bois. «Alouette franche, Au ciel prends ton vol; Chante, rossignol, Sur la verte branche, Que mon bien-aimé En soit consumé. «Marguerites folles, Voici mon époux; Vite effeuillez-vous, Et que vos corolles Volent sur les jeux Du maître joyeux. «Je veux qu’il repose Jusqu’au matin bleu Sur ma couche en feu, Mes lèvres de rose, Sans que mon baiser Puisse s’épuiser... «Ah! toujours l’attendre Au bord de l’étang! Pourquoi tarder tant, Ô mon amour tendre? As-tu déserté Le cercle enchanté? «L’amandier que l’âge N’a point trop pâli, L’amandier joli, L’amandier sauvage, Vaudrait refleurir Avant de mourir!» - Elle a fini. Ses pleurs, comme une fraîche ondée, Inondent lentement sa figure ridée. À voir son désespoir, qui ne s’attendrirait? Les oiseaux bigarrés qui peuplent la forêt Se sont tous éveillés pour lui rendre courage. Le torrent dont le bruit est pareil à l’orage Murmure à petits coups comme un ruisseau des champs. Il semble qu’on entende au loin de vagues chants. Au plus épais du bois, dans les hautes fougères, Passent, en soupirant, mille formes légères. C’est partout comme un tendre et lent susurrement; Mais la troisième soeur se lève brusquement; Tout son geste menace et sa voix irritée Retentit sourdement dans cette nuit hantée: -«Hélas! Il est mort, ils l’ont égorgé! L’enfant radieux, l’enfant de notre âme, Et son doux esprit ressemble à la flamme Qui plane au-dessus d’un bourg saccagé! «Plus de lâches cris, de vaines prières. Que sert d’appeler de nos bras tremblants? Il ne viendra plus, avec ses chiens blancs, Boire à l’eau qui dort au fond des clairières. «Le front couronné de volubilis, Il ne viendra plus, comme un faon sauvage, À l’eau des torrents baigner son visage, Beau comme une rose au milieu des lys. «L’homme vil a peur de la poésie, Le hibou s’effare au lever du jour; Ils l’ont égorgé, l’enfant de l’amour, Son rire insultait leur hypocrisie. «Ô maître des coeurs, frêle adolescent Qui faisais rêver la forêt superbe, Ton corps adorable est couché sur l’herbe Et tes cheveux d’or traînent dans le sang. «Tes beaux cheveux, blonds comme une saulaie, Un matin d’avril, dans les prés fleuris, Tes cheveux d’amour, les voilà flétris. Comme ils t’ont fait mal! montre-moi ta plaie, «Montre ton front pâle et ton coeur charmant, Tes yeux sans regard, ta bouche entr’ouverte; Ô gentil seigneur de la combe verte, Dormiras-tu donc éternellement? «Quand le jour s’apaise et que la nuit tombe Entre les bouleaux du bois endormi, Ne verrons-nous plus se perdre à demi Ta forme légère, ô blanche colombe? «Chut!... Là-bas, là-bas, dans cette clarté Qui baigne les pieds de la forêt brune, Comme un rossignol dans un rais de lune, Chante doucement le cor enchanté. «Est-ce toi qui viens, prince du mystère, En son abandon parler au coeur las? Est-ce toi qui viens, branche de lilas, De son lourd sommeil éveiller la terre? «Ah! tout nous accable, et nous languissons Loin du clair soleil et de la rosée. Nos coeurs ont à tous servi de risée; Le temps est fini des belles chansons. «Ne diras-tu pas le mot qui délivre? Ainsi qu’autrefois, parle en souriant; De tes flèches d’or crible l’Orient, Fais qu’on aime encore et qu’on puisse vivre!» Les trois soeurs maintenant chantent à l’unisson. Dans la forêt, où passe un magique frisson, On dirait qu’un oiseau vole de branche en branche, Et voici que la jeune Lune, en robe blanche, Paraît, cueillant les lys du céleste jardin. Elle semble, en passant, faire un signe. Et soudain La nuit se fait plus douce encor, plus caressante. Le monde, comme aux jours de sa grâce naissante, S’épanouit sans crainte et redevient heureux. Les arbres enchantés, qui murmurent entre eux, S’éveillent à la fin du sommeil séculaire; Le vent a pour toujours oublié sa colère. Voyez, voyez: Là-bas, dans le ciel incertain, Qui donc surgit parmi les roses du matin? C’est lui, le précurseur de l’éternelle aurore, Lui qui dit au printemps silencieux d’éclore, Qui fait que l’oiseau chante et qu’embaume la fleur, Lui, le chasseur divin, l’immortel oiseleur Dont l’arc épouvantait les bêtes de mensonge, Le jeune homme adorable, aux yeux couleur de songe, Qui souffle son ardeur dans les vents embrasés Et sème à pleines mains l’amour et les baisers! Quelques Chansons. I Le printemps, couronné de folles marjolaines, Sur la pointe des monts a mis son pied léger; Une flûte à la main, comme un jeune berger, Du pays de l’azur il descend vers les plaines. Quelque musique flotte à l’horizon lointain, Pareille à l’oiseau bleu qui jamais ne se pose, Et la colline d’or se perd dans le ciel rose Comme un rêve d’amour dans la paix du matin. Douce forêt, profonde et mystique chapelle, Ouvre ton porche vert à qui vient en ami; C’est l’heure tendre; éveille-toi, bel endormi, Éveille-roi, mon coeur, au désir qui t’appelle. II C’est le mois des mois. Les rosiers boutonnent; Voici que fleuronnent Les arbres des bois. L’épine vinette Commence à pousser; On va voir danser La bergeronnette. Les ruisseaux chantants De pourpre se teignent; Des saules y baignent Leurs cheveux flottants. Dites-moi, Rosette, Pourquoi riez-vous? Que vos yeux sont doux, Ma folle amusette! J’entends un oiseau Perché sur ce hêtre; Je vois apparaître Une fleur dans l’eau. Ah! ah! la pervenche, Qui la cueillera? Qui l’attrapera, L’oiseau sur la branche?... III Dans une rose Au coeur mouillé S’est éveillé Le matin rose, Le vert matin Qui fait tapage, Effronté page, Tout en satin. Quelle jonchée De roses d’or Sous l’aube encor Un peu fâchée. Le bois riant Est dans la brume; Tout le ciel fume À l’Orient, Et l’alouette Vient de chanter; J’entends monter Sa voix fluette. Volez autour Des marguerites, Ô mes petites Chansons d’amour; Parmi la mousse, Au long des blés, Allez, allez Trouver ma douce, Et murmurez À son oreille: «Mignonne, éveille Tes yeux dorés, «Tes yeux, ta bouche, Brin de lilas, Ton coeur, hélas! Toujours farouche. «Oh! montre-toi, La beauté même! Celui qui t’aime Est en émoi. «Lève-toi, reine Du monde heureux; Ton amoureux Est dans la peine. «Il ne veut rien Que ton sourire; Il ne sait dire Qu’un nom, le tien. «Que ta voix tendre S’élève au loin, Il n’a besoin Que de l’entendre. «Il t’aime, et vois, Pleine de grâce, L’aurore passe Entre tes doigts.» IV C’est l’heure chantante. La terre a souri; Un frisson d’attente Passe au bois fleuri. Pervenche, anémone, Égayez les prés; Voici la mignonne Aux sourcils dorés. Joli vent, caresse La pointe des houx; Voici la maîtresse Qu’on sert à genoux. Buvez la rosée, Lys et liseron; Voici l’épousée, La couronne au front. Ô belle si sage Qu’on t’arme en tremblant, Pique à ton corsage Un papillon blanc. Soulève ton voile, Déesse ou lutin; Flotte, belle étoile, Au vent du matin. Ta voix est plus douce, Avec son babil, Que l’eau sous la mousse, Au printemps d’avril. La plus fraîche rose, Sous le firmament, Ma mie, est éclose En ton coeur aimant. Comment prendre garde Au soleil des cieux? Le jour me regarde À travers tes yeux. V Belle aux longs cheveux, Ma tourlourisette, Belle aux longs cheveux, C’est vous que je veux. Belle aux tresses d’or, Faites-moi risette, Belle aux tresses Souriez encor. Robe de satin, Souliers d’écarlate; Robe de satin, Couleur du matin. Sur tous gros atours Le soleil éclate, Sur tous vos atours, Fleur de mes amours. Gloire à vos vingt ans, Fleur de primevère; Gloire à vos vingt ans, Fleur de mon printemps! À votre santé Je vide mon verre; À votre santé, Fleur de mon été! VI Puisque chacune À son chacun, Mon joli brun, Je suis ta brune. Puisque le jour S’habille en rose, Je suis ta rose, Ô mon amour. Vois, à l’orée Du bois dormant, Venir gaiement L’aube dorée. En plein rayon Qui vole, vole? C’est l’aile folle Du papillon. Ah! turlurette, Que vois-je ici? C’est le souci Et l’amourette. Mon joli roi, Je te désire; En un sourire Embrasse-moi. Doucement cueille, Sous l’oranger, Mon coeur léger Comme la feuille. VII Que je t’aime, Joli berger, Plus léger Que l’amour même! En tes yeux Où le ciel passe, Que de grâce, Enfant joyeux! Sur ta bouche Oh! quelle fleur, Enjôleur Que rien ne touche! Trop souvent Ton coeur s’envole, Plume folle, Au gré du vent. À chacune Tu ris un brin, Pèlerin Du clair de lune. Mais ce jeu Nous plaît encore; On t’adore, Et puis adieu. Sur la branche À l’abandon, Cueille donc La rose blanche. VIII Marion s’est endormie, À l’ombre d’un églantier. -Apprends-moi le doux métier, Marion, ma belle amie. Le soleil est à l’entour Qui lui caresse la joue. -Montre-moi comment on joue, Marion, le jeu d’amour. D’un brin de muguet fleurie, Sa chevelure est au vent. -Marion, rends-moi savant En l’art de folâtrerie. Marion, c’est Nicolas Qui voudrait bien, mais qui n’ose. Marions-nous sous la rose, Sous la rose et le lilas. IX Chiffon, chiffonnette, Lève, en souriant, Ta blanche cornette Et ton nez friand, Chiffon, chiffonnette, Ma jolie Annette. Chiffon, chiffonnette, Que de fleurs! Holà! L’épine vinette N’a pas ce teint-là, Chiffon, chiffonnette Ce teint de nonnette. Chiffon, chiffonnette, J’ai lu dans tes yeux; Comme une rainette Mon coeur est joyeux. Chiffon, chiffonnette, Êtes-vous honnête? Chiffon, chiffonnette, J’ai, pour te loger, Une maisonnette En bois d’oranger, Chiffon, chiffonnette, En bois d’épinette. Chiffon, chiffonnette, Tra déri déra, Bientôt, ma brunette, Ton pied poussera, Chiffon, chiffonnette, La barcelonnette. X Qu’il fait bon voir, Quand vient la brune, Danser la lune Sur l’abreuvoir! Une fillette En jupon blanc S’en va, filant Sa quenouillette. Un gas la suit Comme son ombre, Dans le bois sombre Qu’emplit la nuit. Elle se montre: Il est tout près. Sans faire exprès, L’on se rencontre. Ah! quel tourment D’aller ensemble! La belle tremble; Aussi l’amant. On peut oser Plus d’une chose. Vive la rose Et le baiser! XI Mon Dieu, que les garçons Ont de peine en ce monde, Tourne la ronde, Envolez-vous, chansons! Tous, leur sort est le même; Les belles font aussi Trop de souci À celui qui les aime! On n’est jamais content Du jour où l’on courtise; Quelle sottise De les regarder tant! Leur amoureux langage Nous tient à leurs genoux; C’est fait de nous Si notre coeur s’engage. Vous écoutez leur voix: C’est comme une musique, Mais leur doigt pique Comme le houx des bois. -«Mets-toi là, je t’en prie, Je veux t’apprendre un jeu. Regarde un peu Si ma rose est fleurie.» Et quand on vient, friand, Tâter leur gorgerette, Sous la coudrette Elles fuient en riant. De ce dur esclavage Je me veux préserver. J’irai trouver Le rossignol sauvage. -«Cousin, j’ai tant pleuré! Chante-moi ta romance. Allons, commence, Je t’accompagnerai. «Ma mignonne est si folle! J’en ai trop de tourment. Dis-moi comment Au bois on se console.» J’aurai soin d’emporter Un flacon de vin rose. Aucune chose Ne vous fait mieux chanter. Je rirai de la blonde Et de la brune aussi. Plus de souci: Tourne, tourne, la ronde! XII Au ciel qui s’emplit de reflets dorés Monte, en gazouillant, l’alouette grise. Avec le matin vole dans la brise, Vole, mon coeur, vole au delà des prés! Le baiser revient aux lèvres mi-closes, Comme l’hirondelle aux toits du château. La porte d’argent s’ouvrira tantôt; Vole, mon coeur, vole au milieu des roses! L’heure virginale, attendant le jour, Au creux de sa main boit de la rosée; Et puis elle rit comme une épousée. Vole, mon coeur, vole au jardin d’amour! Et voici venir, sommeillant encore, Ses cheveux si blonds sur le ciel tout bleu, Celle qui prétend qu’elle t’aime un peu. Vole, mon coeur, vole au fond de l’aurore! XIII C’était par un beau jour De la saison fleurie. J’ai rencontré Marie, Vive l’amour! J’ai rencontré Marie, Au fond de la prairie. -Belle aux fraîches couleurs, Aux yeux de violette, Qu’as-tu donc, bachelette, Vivent les fleurs! Qu’as-tu donc, bachelette, À soupirer seulette? -Cher amoureux, bonjour. Mon coeur, où peut-il être? L’oiseau, par la fenêtre, Vive l’amour! L’oiseau, par la fenêtre, A fui loin de son maître. Ce sont les oiseleurs Ou les enfants, que sais-je? Qui l’auront pris au piège, Vivent les fleurs! Qui l’auront pris au piège, En forêt, sous la neige. Il était sans détour, Si naïf et si tendre! Il n’a su se défendre, Vive l’amour! Il n’a su se défendre. On a bien pu le prendre. -Belle, sèche tes pleurs. Ton coeur est libre encore. Il chante dans l’aurore, Vivent les fleurs! Il chante dans l’aurore Pour celui qui t’adore. XIV Tu m’aimes pourtant, Ô rose des roses, Tu m’aimes pourtant, Toi que j’aime tant. J’ai vu dans tes yeux, J’ai vu tant de choses! J’ai vu dans tes yeux L’infini des cieux! Ton corps enchanté Me suit comme un rêve; Ton corps enchanté N’est que volupté. Ta bouche sourit; C’est la bouche d’Ève. Ta bouche sourit Et tout refleurit. Je suis le foyer; Toi, la belle flamme. Je suis le foyer: Viens m’incendier. Écrase mon coeur, Souffle sur mon âme; Écrase mon coeur, Perdu de langueur. Je te bercerai Dans la mousseline, Je te bercerai, Tout un soir doré. Et tu dormiras Câline, câline, Et tu dormiras, Câline, en mes bras! Les Rois Mages. I À minuit sonnant passent les Rois Mages. Ils viennent tous trois du pays lointain Où fleurit la rose, où naît le matin. Ils vont à Jésus rendre leurs hommages. Ils vont saluer l’enfant printanier, Son père Joseph, sa mère Marie. Deux sont blancs, avec la barbe fleurie; Le troisième est noir comme un charbonnier. Tandis qu’ils dormaient, la couronne en tête, Un ange du ciel éblouit leurs yeux: -«Ô rois, levez-vous, le monde est joyeux; Ô rois, levez-vous, la terre est en fête. «Allez promptement. Le Sauveur est né, Parmi les pasteurs, au fond d’une crèche.» La brise souffla, divinement fraîche, Et tout le palais fut illuminé. Ils ont pris congé de la reine brune Dont la bouche en fleur a soudain pâli. Ils ont embrassé l’héritier joli; Les voilà partis dans la nuit sans lune. Ils vont, galopant par monts et par vaux, Franchissant les bois et les chènevières; Ils sautent d’un bond fleuves et rivières, Et la terre tremble sous leurs chevaux. Ils vont. Leurs manteaux traînent sur la brande Où filent gaiement par les prés mouillés. Trente petits nains, de rouge habillés, Sur des coussins verts portent leur offrande. Et toujours, loin, loin dans le firmament, Une étoile brille et les accompagne. Sa douce lueur endort la campagne, Sous la nuit sans lune, ineffablement. Voici qu’en pleins champs apparaît l’étable. L’étoile s’arrête et la troupe aussi. «Holà, font les Rois, entrons. C’est ici Que nous trouverons l’enfant délectable.» II Ah! ce n’était pas un riche palais, Tout fleuri d’argent, d’or et de lumière; Pas même la grange où rit la fermière, Au tomber du jour, avec ses valets. Rien qu’un toit qui branle. Oh! quelle demeure Pour la bonne Dame et pour l’enfant Dieu! Il vente, à grands coups, dans l’âtre sans feu, Et la Vierge chante à Jésus qui pleure. Le loquet tiré, sont entrés les Rois. Ils ont, dès le seuil de la bergerie, Salué Joseph, salué Marie, Fait une risette au poupon, tous trois. -«Fontaine d’amour où le ciel se mire, Perle qui brillez au milieu du foin, Pour vous adorer nous venons de loin, Nous vous apportons l’encens et la myrrhe.» Derrière le boeuf, tout près de l’ânon Qui s’est mis à braire, en signe de joie, Ils sont à genoux. Jésus leur envoie Un baiser à tous de son doigt mignon. Aux fentes du mur on voyait l’escorte Qui regardait tout de grande amitié; De ces pauvres gens Marie a pitié. Elle dit: -«Joseph, ouvrez donc la porte.» Ils entrent. Chacun paiera son écot D’une chansonnette à la bonne hôtesse. Mais, pour le savoir et la politesse, Nul ne vaut Gaspard, le roi moricaud. Comme un enchanteur agitant ses manches, Il bat la mesure et conduit le choeur. Il rit largement et de tout son coeur; Dans sa face noire on voit ses dents blanches. -«Voici quinze jours que je n’ai dormi, Pour te voir plus tôt, avec ma Fanchette. Si j’ai le cuir noir, mon âme est blanchette; Baille-moi cinq sous, mon petit ami.» III L’étoile d’amour, qui perce la brume, Illumine encor la pauvre maison. Un trait d’or soudain barre l’horizon. L’Orient rougit et le jour s’allume. Par une ouverture au milieu du toit, Apparaît, au ciel, un nuage rose; Et l’enfant, frais comme un bouton de rose, S’endort en tétant le bout de son doigt! Marie-Madeleine. I Madeleine était blonde Comme un champ de froment Et jamais rien au monde Ne fut aussi charmant. Madeleine était fraîche Comme une rose en pleurs Et d’une belle pêche Elle avait les couleurs. Avec son auréole De longs cheveux dorés, Madeleine était folle Comme l’herbe des prés. Quand elle allait, bergère, Filant son blanc fuseau, Son âme était légère Comme un petit oiseau Et sa voix si touchante, Sous le ciel enchanté, Que l’amandier qui chante Pâlissait à côté. Or, près d’une fontaine, Le soir d’un beau lundi, Un jeune capitaine, En passant, l’entendit. -«Qu’avez-vous, bergerette, À chanter si gaiement?» -«Seigneur, une fleurette S’entr’ouvre en ce moment. «C’est la fleur qui commande Aux gens de s’embrasser; C’est la fleur de la lande Où vous allez passer.» Et lui, répond: - «Mignonne, Je suis le fils du roi. Le printemps qui fleuronne Est moins épris que moi. «Écoute ma promesse Et donne-moi la main; Le prêtre, à la grand’messe, Nous mariera demain!» La fontaine était blanche Et rose tour à tour; Sur la plus haute branche, Le rossignol d’amour, Le rossignol sauvage Disait l’enchantement De vivre en esclavage Aux pieds de son amant. -Petite Madeleine, Que mon coeur est joyeux! J’ai vu la marjolaine Qui fleurit dans tes yeux. -«Combien je suis heureuse, Mon chevalier si doux! Voici votre amoureuse Qui s’abandonne à vous. Un mot, pour se connaître, Suffit bien à vingt ans. Quant à quérir le prêtre, Ils n’ont pas eu le temps. Sans remords et sans crainte Ils se sont caressés. Une autre, une autre étreinte. Jamais ce n’est assez. Et sentant même flamme Prête a les consumer, Ils ont perdu leur âme À force de s’aimer. II Hélas! Le mois joli, le mois des amourettes, Qui s’habille de rose et de vert et de bleu, S’en va, tout comme un autre, à la grâce de Dieu, Dans son tablier court emportant ses fleurettes. Le chant du rossignol ne vibre qu’un instant, Le feu qui nous brûlait n’est fait que de brindilles Et la gaieté meurt vite au coeur des belles filles Quand elles ont perdu ce qu’elles aimaient tant. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Qu’est devenu l’enfant aux boucles emmêlées Qui chaque nuit baisait ses yeux avec douceur? Où donc est le Seigneur des bois, le beau chasseur Dont l’appel s’entendait par delà les vallées? Comme il apparaissait, superbe, à l’horizon! Qu’il était doux! Comme il jurait d’être fidèle! -«Ne le verrai-je plus? -«Demande à l’hirondelle Quand elle reviendra nicher dans ta maison.» Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Elle à qui le soleil d’avril portait envie, De la nuit à l’aurore elle est par les chemins. Ses cheveux dénoués, tordant ses blanches mains, Elle crie au passant: -«Qu’as-tu fait de ma vie? As-tu vu chevaucher le fier adolescent, Qui charme d’un regard les oiseaux de la nue? Mon âme est avec lui. L’as-tu pas reconnue?» Et pas un n’a pour elle un mot compatissant. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Le prêtre fait la moue et le chantre ricane: -«Ainsi nos rendez-vous dans le bois ont cessé. Montre donc, mon bijou, l’anneau du fiancé.» Les vieilles, se signant, murmurent: «Courtisane!» Elle, pourtant, se dit: «Qui sait, beau romarin, Quand ton souffle à nouveau glissera sur ma joue?» Et les enfants du bourg lui jettent de la boue Et son coeur est gonflé de honte et de chagrin. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Elle dit: -«Mon trésor, ton haleine est plus douce Que le parfum lointain qui vient des orangers. Tes yeux sont le feu clair qu’allument les bergers, Ta bouche est une rose éclose dans la mousse.» Elle dit: -«Mon Seigneur, laisse-moi t’implorer. Tu m’aimais tant jadis! Écoute mes prières.» On la montre du doigt, on lui jette des pierres; Elle n’a même pas la force de pleurer... Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Et voici qu’un petit enfant demande à naître... Triste fruit du péché, maudit dès le berceau, Maladie et douleur l’ont marqué de leur sceau. Personne ne voudra seulement le connaître. On ne lui dira pas: «Viens te faire embrasser.» Il apporte avec lui le remords, non la joie; En un rêve innocent, tissé d’or et de soie, Il ne verra jamais les anges le bercer. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Elle va chez les gens: -«Donnez-moi de l’ouvrage. Que me faut-il pour vivre? Un morceau de pain bis. Je sais traire la vache et garder les brebis; Essayez, s’il le faut, ma force au labourage.» Mais eux: -«Te crois-tu donc au milieu des païens! Va-t’en, fille de peu, va trouver tes pareilles. Le frelon ne doit pas entrer chez les abeilles, Le pain que nous mangeons n’est pas fait pour les chiens! Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Devant la huche vide elle s’est étendue. Pressant contre son coeur le maigre nourrisson, Elle chante et sanglote. Oh! Dieu, quelle chanson! Et la nuit l’enveloppe. Elle se sent perdue. De misère, à la fin, tout son lait s’est tari. -«Ta mère n’a que toi; reste encor, ma colombe, Reste,» soupire-t-elle. -Et la nuit tombe, tombe. L’enfant râle: il est mort avant d’avoir souri. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! Comme elle revenait seule, du cimetière, Le front échevelé comme un chardon bourru, Une vieille édentée après elle a couru: -«Eh! folle! vas-tu donc pleurer ta vie entière? Écoute un peu; chez moi des marchands sont venus. Ils cherchent, m’ont-ils dit, où fleurit la verveine. Viens; ce sont de beaux gars, ils ont la bourse pleine.» Et la fillette a peur en voyant ses seins nus. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! -«Non, laissez-moi. Mon âme à jamais s’est donnée, Et celui qui l’avait dans ses mains n’en veut plus. J’étais jolie et fraîche, alors que je lui plus; Ma couronne de myrte est maintenant fanée.» -«Innocente! Elle va refleurir avec toi. Une fille un peu triste en est souvent plus belle. Viens: nos hommes là-bas vident leur escarcelle; Le baiser d’un marchand vaut cent écus du roi.» Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! La rougeur au visage, elle tremble, indécise; Son enfance, un instant, passe devant ses yeux. Elle revoit les prés en fleur, le ciel joyeux, Le sentier verdoyant qui monte vers l’église: On dirait qu’une voix lui parle d’amitié, Une voix d’autrefois qui vient de la prairie. Mais non: tous l’ont battue et marquée et flétrie; De son enfant malade ils n’ont pas eu pitié. Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! -«Eh bien, puisqu’il le faut, qu’un tourbillon m’emporte! J’ai souffert, j’ai prié, j’ai lutté bien longtemps. Mais je suis faible, ô Dieu, je n’ai pas dix-huit ans. Avec le mois de mai mon espérance est morte. Adieu donc l’allégresse et les fleurs de chez nous, Adieu, source où j’ai bu le feu qui me dévore. Primevères d’amour, bluets de mon aurore, Au vent de cette nuit vite éparpillez-vous!» Pauvre Madeleine, Pauvre coeur en peine! III Au déclin du jour, Dans la maison rose, Madelon repose, Du sommeil d’amour. On la dirait morte En ses cheveux longs. Trente violons Chantent à la porte: -«Holà! Belle enfant, Fille de bohème, Dévoile à qui t’aime Ton corps triomphant. «Prépare la couche Aux rideaux soyeux; Donne, avec tes yeux, La fleur de ta bouche.» Au refrain connu, Madelon s’éveille. Ah! quelle merveille Que ce beau corps nu! Ses épaules blanches Sont grêles encor; Sa crinière d’or Lui baigne les hanches. Mais son front pâlit Sous les améthystes Et ses yeux sont tristes Au fond du grand lit. Flûtes et violes Meurent de langueur: -«Prépare, mon coeur, Tes étreintes folles. «Donne à ton galant Ta bouche peureuse; Colombe amoureuse, Montre ton sein blanc. Madelon se mire, Se mire en chantant: -«Et voila pourtant Ce teint qu’on admire! «Fleur de ma gaieté, Jeunesse ingénue, Qu’es-tu devenue Dans la volupté? «Toujours l’éphémère Lueur du désir, Toujours du plaisir La saveur amère! «Et, je le sais bien, Ma beauté se fane. Je suis courtisane Et je n’aime rien!» Quelque chose pleure Dans les instruments: -«À tes pieds charmants Veux-tu que je meure?» -«Ô menteuses voix, Tristes ritournelles, Amours éternelles Qui durent un mois! «Ils chantent l’ivresse De mes yeux fleuris; Pas un n’a compris Mon coeur en détresse.» Tout en soupirant Madelon s’évente. Sa folle servante Arrive en courant: -«Voyez donc, Madame, Ce jeune étranger, Beau comme un berger, Doux comme une femme! «Il parle de Dieu, De l’âme et du monde, Et sa barbe est blonde Et son manteau bleu. «Chacun veut entendre Cet adolescent; Quel air innocent! Que sa voix est tendre!» -«Ô passant divin, Tourne un peu la tête; Toi, petite, apprête Les coupes de vin. «Bonne camériste, Couvre ma beauté D’un voile enchanté De fine batiste, «Et tu répandras Ces parfums qu’on aime; Je veux, ce soir même, Mourir en ses bras!» IV C’était l’heure confuse où la lumière expire. Sur les monts d’alentour, ineffablement bleus, Le jour, en s’en allant, jetait ses derniers feux; C’était l’heure divine où le ramier soupire. Dans la paix du couchant, parmi les fleurs des prés, Jésus parlait. Sa voix arrivait jusqu’aux âmes; Au milieu du soleil qui les baignait de flammes On voyait ruisseler ses longs cheveux dorés. Tout un peuple était là. Retenant leur haleine, Laboureurs, mendiants, bourgeois oubliaient tout. Comme la nuit tombait, voici que tout à coup, En ses riches atours, parut la Madeleine. Son visage fardé luisait insolemment. Elle portait au front la tiare étrangère; Ses jeunes seins pointaient, sous la robe légère. Comme un fruit d’or promis aux lèvres de l’amant. Et mille anneaux couraient sur sa chair parfumée, Pareils à des serpents qui se cherchent entre eux; Sa bouche frissonnait comme un rosier peureux. Tout en elle disait: Je suis la Bien-Aimée. Les femmes à sa vue ont frémi: -«Hors d’ici, Toi qui prends nos époux au piège de tes charmes. Sorcière de malheur, as-tu compté nos larmes? Oses-tu regarder le maître que voici?» Mais Jésus d’un regard aussitôt les fait taire. Il dit l’enchantement du royaume des cieux; Sa voix est pénétrante et pure, et dans ses yeux S’alanguit doucement une fleur de mystère. Ah! comme il savait bien d’un mot compatissant Ramener l’infidèle et la brebis perdue! Quelles lampes d’amour éclairaient l’étendue! Comme le Paradis était resplendissant! On entendait au loin les cloches du dimanche; L’éternité passait en un divin tableau; Les agneaux du Berger paissaient au bord de l’eau Et l’âme en plein azur s’envolait toute blanche. Madeleine soudain s’agenouille en pleurant. Tout à l’heure son front restait fier sous l’outrage; Mais cette voix céleste emporte son courage Et c’est comme un oeillet tombé dans le torrent. Elle rougit, pâlit tour à tour; elle compte Les péchés dont le poids l’accable à tout jamais! «Oh! dit-elle, maudit soit tout ce que j’aimais!» Le désir anxieux a fait place à la honte. Elle pleure, elle pleure, et d’un geste éperdu, Arrachant de son sein le velours et la soie, Elle dépouille tout de la fille de joie; Comme un vase trop plein son coeur s’est répandu: -«Mon âme qui dormait, Seigneur, s’est éveillée; Mes yeux s’ouvrent: Je vois ma vie en frémissant. J’étais comme un jardin sous les pieds du passant Et la divine fleur en moi s’est effeuillée.» Elle foule en pleurant ses ornements païens Et jette aux quatre vents l’or et les pierreries. Aussi doux que l’Aurore au-dessus des prairies, Jésus dit: -«Pauvre soeur, c’est pour toi que je viens.» -«Est-ce vous qui parlez à celle qu’on méprise? Ô pur entre les purs, est-ce vous que j’entends? Votre voix en mon âme éveille le printemps; Elle effleure mon coeur comme une douce brise. «Comme on voit un seigneur aux portes du château Donner aux affamés les restes de sa table, Vous nourrissez le monde, ô maître charitable, Et les petits enfants baisent votre manteau. «Vous tenez en vos mains tous les rois de la terre. Prince du grand amour, père au coeur indulgent, Vous êtes, ô mon Dieu, la fontaine d’argent Où le déshérité boit et se désaltère. «Mais vous que l’univers adore prosterné, En qui le Paradis se regarde et se loue, Irez-vous ramasser cette fleur dans la boue? Voudrez-vous bien encor de ce coeur profané?» - Et Jésus dit: -«Pauvre âme, il faut bien qu’on espère; Combien, dans cette nuit, ont perdu leur chemin! Mais qu’ils viennent à moi. Je leur tendrai la main Et je leur ouvrirai la maison de mon père. «Le royaume des cieux est comme un grain de blé Qui porte en lui l’espoir de la moisson future. J’apporte le salut à toute créature; Heureux celui qui pleure, il sera consolé.» Comme une pâle rose au bord de l’eau courante, Madeleine frissonne aux genoux du Sauveur; Son sein brûle déjà d’une unique ferveur, Tout son passé n’est plus qu’une ombre indifférente. L’éternité commence et le ciel va s’ouvrir. Elle voit, dans les fleurs, la source de délices, Et, comme ceux qui vont au-devant des supplices, Pour racheter son âme elle est prête à mourir. Le peuple s’émerveille et crie: «Est-ce bien celle Qui nous scandalisait jadis? Quel changement!» Jésus, le doigt levé, montre le firmament; D’une étrange beauté sa figure étincelle. C’était l’heure troublante où le pâtre interdit Entend passer au loin des rumeurs et des plaintes; Une lumière d’or baignait les villes saintes; C’était l’heure ineffable où la nuit resplendit? V Et maintenant, c’est le silence, Le travail et la pauvreté; C’est le désert illimité, C’est la douce mort qui commence. Où sont, reine du fol amour, Les diamants de ton corsage? Quelle ombre sur ton beau visage, Rose comme le point du jour! Qu’as-tu fait de ton âme étrange Qui vibrait comme un violon? Qu’as-tu fait, belle Madelon, De tes yeux fous de mauvais ange? Depuis la nuit de ses aveux, Son front blanc s’est couvert de cendre; Elle a meurtri sa gorge tendre, Elle a coupé ses longs cheveux. Dans une grotte de feuillage, Elle est seule au pied de la croix; Elle mange les fruits des bois Et l’eau de pluie est son breuvage. Parfois un oiseau bigarré Vient se poser à côté d’elle; Elle regarde une hirondelle Qui traverse le soir doré. La mésange et le hoche-queue Enchantent souvent son réveil; Elle aime à voir, en plein soleil, Une fleurette faune ou bleue. Mais, comme tout va lentement! De quel pas traînant marche l’heure! Quand donc s’ouvrira la demeure Où l’attend l’immortel amant? Elle regrette ses folies Et le trésor de sa beauté; Un âcre goût de volupté Remonte à ses lèvres pâlies. Et puis elle pleure: «Pitié, Pitié, maître, pour mes faiblesses. C’est donc vrai que tu me délaisses?» Et son coeur se brise à moitié. Voici qu’à l’heure où le soir tombe, Dans la pourpre du ciel en feu, Apparaît un ange de Dieu Dont la main porte une colombe: -«Ô Madeleine aux cheveux d’or, Que diras-tu du temps qui passe?» -«Seigneur, Seigneur, je suis si lasse!» -«Tu resteras sept ans encor.» La douce image est envolée, Et soudain tout s’est assombri. Sur le paysage fleuri Tombe la neige désolée. Quels cris d’angoisse à l’horizon! Comme il éclaire et comme il vente! Madeleine, en son épouvante, A presque perdu la raison. Et tandis que tout se lamente, La terre et l’eau, le ciel, les bois, On entend rire, à pleine voix, Au plus épais de la tourmente. Toujours brûlants, jamais lassés Sous les étreintes qui les pressent, Apparaissent et disparaissent Des couples d’amants enlacés. Un oeil brille, une gorge éclate; Il passe des mots embrasés; On entend le vol des baisers, Parmi les bouches d’écarlate. Un choeur chante: «Maudits, maudits Les yeux tristes, les fronts moroses; Le bonheur est parmi les roses, L’amour est le seul Paradis.» Le souffle de l’Aurore emporte Toutes ces âmes de langueur. Madeleine, le trait au coeur, Reste blanche comme une morte. Que lui sert de s’agenouiller? Pauvre brebis sans assistance, Au livre de sa pénitence Tous les mots semblent se brouiller. Voici qu’à l’heure où le soir tombe, Dans la paix du firmament bleu, Elle revoit l’ange de Dieu Qui tient en ses mains la colombe. -«Madeleine du vert printemps, Que dis-tu, belle pécheresse?» -«Ô Seigneur, voyez ma détresse!» -«Tu resteras encor sept ans.» Et de nouveau chaque heure passe D’un pied traînant comme l’ennui; Et le jour succède à la nuit Du même pas que rien ne lasse. Les yeux tournés vers l’Orient, Madeleine voit chaque année Jeter sa couronne fanée Au vent qui l’effeuille en riant. Sous le soleil et sous la pluie, Au souffle gelé des hivers, Comme la fraîcheur des prés verts, Sa beauté s’est évanouie. C’est fini de sa chair en fleur, Si délicate et diaphane. Comme une rose qui se fane. Son doux visage est sans couleur. Sa bouche heureuse, fraîche et gaie, A perdu son rire éclatant; On voit en son oeil pénitent S’alanguir l’âme fatiguée. Mais Jésus n’est plus si lointain; Il lui sourit au fond des nues; Les larmes lui sont revenues Comme la rosée au matin. Sa jeunesse qui fut si blonde A bien fini par s’endormir. Elle regarde sans frémir Le vain simulacre du monde, Parfois un vent délicieux Vient se mêler à son haleine. C’est l’odeur de la marjolaine Qui fleurit au jardin des cieux. Voici qu’à l’heure où sous les branches Pointe l’Aube, timide un peu, Paraît encor l’Ange de Dieu, La colombe dans ses mains blanches. -«Madeleine, le jour a lui; Veux-tu voir le Maître en sa gloire?» - -«Oh non, Seigneur, je n’y peux croire; Mon coeur est indigne de lui. «Comment m’aimerait-il encore? J’ai si peur et j’ai tant péché! Mon coeur est un oiseau caché Qui chante de loin pour l’Aurore.» -«Madeleine, l’époux charmé Qui voit tes yeux, sait toute chose. Viens refleurir, ô blanche rose, Dans le palais du Bien-Aimé.» - L’Ange, ayant dit cette parole, Sourit comme un adolescent Et, dans l’azur éblouissant, La colombe plane et s’envole. VI Les portes du Ciel, les portes mystiques Viennent de s’ouvrir au bruit des cantiques, Les portes d’ivoire et d’or et d’argent, Par où le roi passe après l’indigent. Un rayon divin baigne la prairie Où file, en riant, la Vierge Marie. Mille oiseaux de pourpre aux vives couleurs Jouent à se poursuivre au milieu des fleurs; On entend l’eau claire en son lit de mousse Et l’arbre qui chante et l’herbe qui pousse. Partout resplendit l’éternel Matin. Sur les boutons d’or, la menthe et le thym, Glisse doucement la troupe bénie Qui porte en son coeur ta joie infinie, Le choeur bienheureux, tout de blanc vêtu, De ceux dont la terre aimait la vertu. Comme un pâtre assemble, à l’aube fleurie, Son troupeau qui sort de la bergerie, Ainsi l’ineffable et divin berger Mène ses agneaux paître en son verger Et tous le saluent dans la paix de l’âme, Lui, le Roi des Rois que l’Aurore acclame, Qui parle au tonnerre et commande au vent Et tient en ses mains le soleil levant. Pareille à l’azur, quand le jour se lève, Avec ses doux yeux tout fleuris de rêve, La Vierge adorable est à son côté Comme un lys au bord d’un lac enchanté; Quand elle parait, l’horizon s’éclaire Et la nuit s’argente afin de lui plaire. Mais qui vient là-bas par les prés charmants, Au milieu des voix et des instruments? Quel choeur nuptial conduisent les Anges Qui jadis berçaient Jésus dans ses langes? Tout effarouchée et le sein tremblant, Madeleine marche en son manteau blanc. Elle rit aux yeux, la jeune épousée, Comme un églantier trempé de rosée. Ses cheveux cendrés, ses beaux cheveux blonds, Traînent maintenant jusqu’à ses talons. Comme l’eau courante au milieu des saules, On voit au travers ses fines épaules; En ses doigts mignons la rose a fleuri Et son coeur malade est soudain guéri. Elle a vu le Maître. Elle est consolée. La cloche d’or sonne à toute volée Et, comme au matin les oiseaux des bois, Tous les Bienheureux chantent à la fois -«Merveille d’amour, belle pénitente, Foulez à jamais la nue éclatante. «L’époux glorieux vous a pardonné; Votre front d’oeillets sera couronné. «Vos pieds fatigués, beaux comme la neige, Suivront désormais le divin cortège. «Vos yeux qui pleuraient, vos yeux, ô ma soeur, De la violette auront la douceur. «Rentrez au bercail, brebis égarée; Foulez à jamais la nue azurée.» Ô voix d’allégresse et jour de bonheur! Madeleine tombe aux pieds du Seigneur. L’aurore céleste éclaire ses charmes Et de blancs muguets naissent de ses larmes, De frêles muguets et de grands lys d’eau, Diamants au front du printemps nouveau. Paix délicieuse et joie éternelle! Son âme d’enfant ressuscite en elle, Son coeur d’autrefois chante et refleurit; Dans l’or et les fleurs la Vierge sourit Et le Saint des Saints donne avec tendresse Sa main à baiser à la pécheresse. Tristesse De La Vierge. I Relevant de sa main blanche Ses cheveux couleur de miel, La Vierge un instant se penche Au balcon doré du ciel. Elle regarde le monde Qui s’éveille à l’Orient, Les étoiles dont la ronde Passe, passe en tournoyant. Aucun bruit dans l’étendue À peine le cri lointain D’une alouette éperdue, Appelant le gai matin. Et cette voix qui s’élance Vers l’azur et les clartés, Se fond dans le grand silence Des espaces enchantés. II La Vierge écoute. Elle rêve, Seulette au balcon des cieux. Doucement le jour se lève, Illuminant ses doux yeux. Tout semé de rayons roses, Le ciel s’éclaire, et soudain La terre, au milieu des roses, Apparaît comme un jardin. Avec sa verte ceinture De forêts au front changeant, Elle semble, à l’aventure, Voguer sur un lac d’argent. Qu’elle est charmante et fleurie, Sa face au-dessus des eaux! Que d’allégresse attendrie Dans le chant de ses oiseaux! La vierge rêve. Elle admire La parure des prés verts; En ses yeux divins se mire La fraîcheur de l’univers. Son âme s’est envolée, Légère comme autrefois, Vers l’heureuse Galilée Où l’eau chante dans les bois. Elle a connu cette aurore, Quand elle était parmi nous; Elle croit sentir encore Son enfant sur ses genoux. À quoi bon le choeur des anges, Le Paradis et sa cour, Puisque Jésus dans ses langes Lui sourit avec amour! III Délicate fleur du songe, Que ton éclat dure peu! Était-ce donc un mensonge, Cette paix du grand ciel bleu? Sur le riant paysage Une ombre noire a passé; L’homme a montré son visage, La vie a recommencé. La vierge qui s’inquiète Se penche, et son coeur aimant Entend la plainte que jette Le monde éternellement. Dieu, là-bas, tant de souffrance Et qui fait si peu de bruit! Que d’êtres sans espérance Ont pleuré toute la nuit! C’est grand’pitié. Notre Dame Soupire en joignant les mains, Comme au temps où, pauvre femme, Elle errait par les chemins. Elle se voit quasi morte De lassitude et d’effroi; Chacun lui ferme sa porte; Son petit Jésus a froid. Son enfant, tout son courage, Ah! comment le protéger! Les bourreaux sont à l’ouvrage, On va venir l’égorger. Et celle dont la parole Éblouit le firmament, Sur la terre, hélas! si folle, Pleure, pleure amèrement. Clairs De Lune. I Ô perle du monde, Délices des cieux! Lune aux jolis yeux, Lune rose et blonde, Belle au coeur changeant, Dame de mon rêve, Dont le vent soulève Les tresses d’argent, Par delà les saules À demi dans l’eau, Derrière un bouleau J’ai vu tes épaules. Dans un halo d’or, Ta forme hautaine Apparaît lointaine, Indécise encor. Et puis elle passe, Lente, sur les prés. Tes cheveux cendrés Parfument l’espace. En sa douce fleur, Ta gorge ressemble À l’oiseau qui tremble Devant l’oiseleur. Où ton doigt se pose, Frêle papillon, S’envole un rayon, S’entr’ouvre une rose. Ta beauté soudain Resplendit sans voiles. Des claires étoiles Pâlit le jardin. L’étang qui s’allume Berce ton corps blanc, Ton corps nonchalant, Tout fleuri d’écume. Est-ce le grand jour Ou la jeune aurore Qui charme et colore Les blés d’alentour? Ô nuit toute blanche, Nuit d’enchantements! De purs diamants Sont à chaque branche! II Dodo, dodinette, Dors, marionnette! La nuit est brune. On entend le pipeau. C’est dame Lune Qui garde son troupeau. Dodo, dodinette, Dors, marionnette! Ma petite âme, Envole-roi gaiement. On te réclame, Là-bas, au firmament. Dodo, dodinette, Dors, marionnette! Voici qu’on ouvre La maison du bon Dieu. Pars et découvre Le nid de l’oiseau bleu. Dodo, dodinette, Dors, marionnette! Vois dans les roses, Au milieu du jardin, Les moutons roses Qui font dredin din din. Dodo, dodinette, Dors, marionnette! Pour toi, mon ange, C’est fête en Paradis. Chacun se range Devant tes yeux hardis. Dodo, dodinette, Dors, marionnette! Jésus t’ordonne De venir l’embrasser, Et la madone A voulu te bercer. Dodo, dodinette, Dors, marionnette! III Tous les vains bruits se sont apaisés. Dans l’or et le bleu du soir qui tombe, Doux comme l’appel de la colombe, Frémissent encor quelques baisers. Bleu du crépuscule, ô bleu si tendre, Doux comme les yeux qu’on aime tant, Robe que la nuit passe en chantant, Dès qu’un rossignol s’est fait entendre, Rais de lumière au-dessus des monts, Plaintes d’angelus dans la fumée, Gazouillis d’oiseaux sous la ramée, Pareils aux refrains que nous aimons, Comme vous savez d’un autre monde Parler à mi-voix au coeur lassé! Évoquez pour moi le cher passé, Le cher passé mort avec ma blonde. Tous les vains bruits se sont apaisés. Le soleil expire et la nuit tombe. Au firmament avec la colombe, Vite envolez-vous, derniers baisers. Dans l’or et le bleu la lune rose, Comme autrefois, s’éveille à demi. À sa lueur le bourg endormi Semble un insecte au coeur d’une rose. Entrecoupé d’ombre et de clarté, Le ruisseau d’argent bruit à peine. On croirait entendre une âme en peine, Pleurant tout bas le temps enchanté. Et l’air fraîchit et le vent se lève. Un souffle a passé par la forêt. Sous les bouleaux voici qu’apparaît, Dans l’or et le bleu, mon ancien rêve. C’est la pâle fleur de mon printemps, Cueillie à l’aube un jour de dimanche. Un bouquet fané dans sa main blanche, C’est le triste amour de mes vingt ans. Sa chevelure qui se défrise Nonchalamment flotte sur son cou. Ses yeux, trop clairs, sont les yeux d’un fou. Son manteau brodé fuit dans la brise. Il vient lentement, et, sur ses pas, Les lys d’antan s’efforcent d’éclore. Ah! c’est la nuit et c’était l’aurore; Il voudrait sourire et ne peut pas. Ses belles couleurs sont effacées Et l’heure est prochaine ou sur son front, Dans l’or et le bleu, s’effeuilleront Les volubilis et les pensées! Jeunesse. I Le jardin des églantines Où mon coeur chantait Matines, Le jardin s’est embrumé Où nous avons tant aimé; Adieu, visions si blanches Sur le vert doré des branches, Baisers plus vite envolés Que la caille dans les blés; Languissante, languissante, S’en va l’heure adolescente, Et dans la coupe des fleurs J’ai vu scintiller des pleurs. Ô chercheuse d’aventures, Ô charme des créatures, Lumière aux flots radieux, As-tu déserté les cieux? Compatissantes étoiles, Chères soeurs, pourquoi ces voiles? Quand vos flammes, ô couchants, Brûlent la mer et les champs, Quelle peine vous rend tristes? Qui pâlit vos améthystes, Crépuscules si légers Parmi les bois d’orangers? -Ah! comment ne pas comprendre? Cette amoureuse si tendre, Ce trésor de pureté, Cette idéale beauté, Ce n’était que ta jeunesse; Crois-tu donc qu’elle renaisse? II Ô jeunesse aux grands yeux, jeunesse aux cheveux blonds Qui poses, dés l’aurore, un pied dans la rosée; Dame du clair matin, pareille à l’épousée Que le seigneur amène au son des violons, Toi qui vas les bras nus, les tresses dénouées, Rieuse, à travers l’ombre et la nuit et le vent; Toi qui pour diadème as le soleil levant Et dont la robe rose est faite de nuées, Que ton charme est puissant et doux! Les plus hardis, Fléchissant le genou, t’adorent en silence; Pur comme l’encensoir qu’une vierge balance, Le ciel se teint pour toi d’un bleu de Paradis; Et dans le pays vert où ta grâce ingénue Sous le baiser d’avril éclate en liberté, Pleins de ton allégresse et fous de ta beauté, Les oiseaux, par milliers, célèbrent ta venue. Ta sveltesse ineffable est celle du bouleau, Ta voix nous berce ainsi qu’une chanson lointaine; Comme un lys qui s’effeuille au bord d’une fontaine, Ton corps délicieux a la fraîcheur de l’eau. Tu ressembles parfois à la biche craintive Qui, l’oreille aux aguets, sent venir le chasseur; Ta bouche, au clair de lune, a l’étrange douceur De la belle-de-nuit et de la sensitive. Parfois, lasse d’avoir suivi les papillons, Tu mires ton visage à la source des fées, Et l’odeur des lilas t’arrive par bouffées Dans la brise qui vague et le chant des grillons. Et puis, comme Diane errant par la clairière, Le carquois sur l’épaule, avec ses lévriers, Sur un fond d’azur pâle et de genévriers Tu resplendis, superbe et chaste, ô ma guerrière. Telle je t’aperçus pour la première fois Dans le brouillard léger de l’aube qui se lève, À cette heure où la vie est comme un divin rêve Que traverse un soupir de flûte ou de hautbois. Près du ruisseau d’argent, dans la forêt mystique Où tremble, vers le soir, un chant de volupté; Près des cascades d’or, dans le cirque enchanté, Ton appel virginal était comme un cantique. Enfant émerveillé, j’allais par le chemin; Je regardais danser le soleil sur la mousse. Adorable et terrible, éblouissante et douce, Tu m’apparus, Jeunesse, une rose à la main! III Et, tandis qu’au ciel montait l’alouette, Je courus à toi, timide et joyeux Je courus à toi, charmeuse aux doux yeux Couleur de pervenche et de violette. L’aurore, en sa robe aux mille couleurs, S’éveillait parmi les blondes feuillées; De sa traîne un flot de perles mouillées Tombait lentement sur la terre en fleurs. Sur le val fleuri, dans l’herbe fleurie, Comme un ruban bleu la brume ondulait; Par delà les bois, au loin s’envolait, Dans le grand silence, une sonnerie. Avec la lumière, au lever du jour, Égrenez longtemps vos notes légères, Du frêle bonheur folles messagères, Cloches de cristal, ô cloches d’amour! Je suis prisonnier de dame Jeunesse Et mon coeur bénit sa douce prison; Le jardin féerique est mon horizon, Le seul à jamais que je reconnaisse. Ô fraîcheur exquise, ô paix du matin, Souffles vagabonds, brises familières! La source bruit parmi les bruyères, En son lit de moire et de vert satin. Muguet, primevère, oeillet, campanule, Calices d’argent, d’or où de vermeil, Tout s’ouvre au premier rayon de soleil Où se jouent l’abeille et la libellule. Dans l’air assoupi, sous les noirs fourre Où le rossignol ardemment prélude Passe un long soupir de béatitude Dont tous les échos sont enamourés. Et partout voici que se fait entendre, Ainsi qu’un orchestre invisible et doux, Le choeur des lutins caché dans les houx, La chanson d’avril, éperdument tendre. Ah! ta chère aubade, ô musicien, Comme elle nous berce, et comme elle est brève! Où vont les serments qu’on se fait en rêve, La voix qui se meurt et le charme ancien? Délices de l’âme, adorable ivresse, Pourquoi tout à coup nous abandonner? Printemps de nos coeurs, pourquoi te faner Sous les doigts rosés de l’Enchanteresse? IV C’en est fait, c’en est fait. La rafale a soufflé, Les arbres dépouillés ont incliné leur tête, Le château de la Joie, hélas! s’est écroulé. Les ombrages discrets et les salles de fête Où voltigeaient le rire et les propos galants, N’entendront désormais parler que la tempête. Porches enguirlandés, marbres étincelants, Images de douceur et de mélancolie, Endormez-vous, dans l’herbe, avec les rosiers blancs. Celui qui vous a faits maintenant vous oublie; Votre gloire est à terre et ne peut refleurir. Vous avez moins duré qu’un moment de folie! Au prochain renouveau bien des coeurs vont s’ouvrir, Mais tu ne viendras plus, à l’aube, ô mon aimée, Me dire un de ces mots dont on voudrait mourir; Je n’irai plus, craintif, à travers la ramée, Éveiller d’un baiser la Belle au bois Dormant; La porte aux clous d’ivoire est à jamais fermée. Pourtant j’ai retenu le vieil enchantement. Du profond de ma nuit, l’enfant aux longues tresses Se lève comme un ange au seuil du firmament. La voici comme au jour des dernières tendresses, Un brin de marjolaine à son corset doré; J’ai sur la bouche encor le miel de ses caresses. Je revois la splendeur de son corps adoré, Mon désespoir tressaille au souffle de sa joie, Je reconnais ses yeux qui n’ont jamais pleuré. Ô Jeunesse, il te faut, sous l’azur qui flamboie, Dans la maison qu’endort l’arôme du jasmin, Le doux frémissement des échelles de soie. Tu n’as pas comme nous la peur du lendemain, Tu restes aux pays des fêtes éternelles, Ton coeur est sans pitié pour qui tombe en chemin. Ah! combien vont brûler au feu de tes prunelles? Dis-leur tout bas ces mots qui nous rendaient heureux, Unis pour un instant leurs âmes fraternelles. Laisse nonchalamment, laisse tomber sur eux L’illusion céleste et le divin mensonge; Qu’une chère minute ils se croient amoureux! Moi, semblable à l’enfant qu’on éveille en plein songe Et qui ne peut se faire à la réalité, Je regarde, anxieux, ma route qui s’allonge. Qui sait à quel désert, quelle morne cité Aboutira soudain cette route inconnue? Devant ce blanc serpent je suis épouvanté. Quel silence de mort dans la campagne nue! Où sont les mille voix qui, sous les chênes verts, Aux matins triomphants disaient ma bienvenue? Dois-je croire à présent que le vieil univers, Comme un tableau fané, passe et se décolore? N’est-ce pas moi, jadis, qui vis les cieux ouverts? Il faut tourner le dos au pays de l’aurore? Quels marais abhorrés trouverai-je en marchant? Quelles roses de deuil à mon soir vont éclore? N’importe! Je m’en vais, je m’en vais sans un chant Qui puisse réjouir mon âme désolée, Je m’en vais sans espoir au-devant du couchant. Mais avant d’arriver à la sombre vallée, Je veux sentir encor l’odeur de tes lilas, Jeunesse inoubliable, enfant immaculée! Je ne blasphème pas, je ne t’accuse pas. Je sais trop aujourd’hui, Déesse que je pleure, Quel éternel printemps doit naître sous tes pas. Nous disparaissons tous et ta beauté demeure. Immortelle, combien tu dois nous mépriser, Nous dont l’enivrement ne dure pas une heure? Parfois nos coeurs chétifs ont l’air de s’embraser; Ce n’est qu’un feu de paille et la brise qui passe Emporte nos ardeurs avec notre baiser. Mais, toujours accablés du poids de ta disgrâce, Comme des courtisans loin de leur souverain, Nous languissons, privés du charme de ta grâce. Et toujours nous revient le son du tambourin Qui servait de signal à ceux de tes fidèles Que fleurit la verveine avec le romarin. Oiseau bleu, bel oiseau qui fuis à tire d’ailes, Que ne peux-tu venir, ne fût-ce qu’un instant, Consoler notre toit comme les hirondelles? Rien ne t’arrête, hélas! Idéal inconstant; À peine voyons-nous ton ombre, ô Poésie, Que vers d’autres soleils tu t’en vas en chantant. Princesse du caprice et de la fantaisie, Échanson de la joie, à de meilleurs que nous Porte la coupe rose où mousse l’ambroisie. Mais qu’une fois encor je tombe à tes genoux, Comme l’amant qui pleure au nom de sa maîtresse Et dont le triste amour ne fait pas de jaloux; Permets qu’à travers bois, ô nymphe chasseresse, Je suive de bien loin le coeur de tes élus; Laisse-moi te bénir du fond de ma détresse Jeunesse aux cheveux blonds qui ne me connais plus! Source: http://www.poesies.net