Arrière-Saison Et Autres Poésies. Par François Coppée. (1842-1908) TABLE DES MATIERES ARRIÈRE-SAISON. Ruines du Coeur. L'Aveu. Printemps Perdus. Minute Sentimentale. Crépuscule. Le Baiser. Flux et Reflux. Toast Champêtre. Retour. Rêve fleuri. Le Bon Lendemain. Accident D'Hiver. Dernière Flamme. L'Incorrigible. Désir de Gloire. DANS LA PRIÈRE ET DANS LA LUTTE. Le Devoir Nouveau. L'Étable. Aumône Royale. Eucharistie. Dans Une Eglise De Village. Le Clou. A Monsieur L'Abbé Bouquet. Une Preuve. Trois Ans Après. Après Une Visite Au Séminaire De Beauvais. L'Ombre De La Croix. A Jeanne D'Arc. Pour Un Bon Français. Après Le Service Funèbre. Au Président Kruger. La Réponse Du Moine. Prière Pour La France. ÉCRIT PENDANT LE SIÈGE. Lettre D'Un Mobile Breton. En Faction. Le Chien Perdu. A L'Ambulance. DE PIÈCES ET DE MORCEAUX. La Bague. Le Charpentier. Ecrit Sur Un Pierre Dupont. Pour Les Pauvres De Bordeaux. La Fille Du Médecin. Haute Ecole. Au Docteur Constantin Paul. Nostalgie Parisienne. A Claudius Popelin. Devant Un Raffet. A Mounet-Sully. A Sarah Bernhardt, Souvenir Profond. Compliment. A l'Exilée. A Toulouse. Souvenir De Genève. Aux Étudiants. A Georges Druilhet. Voyageurs. Pour Le Tombeau D'Agar. Bon Conseil. Son Charme. Taches De son. Confiance. ARRIÈRE-SAISON. Ruines du Coeur. Mon coeur était jadis comme un palais romain, Tout construit de granits choisis, de marbres rares. Bientôt les passions, comme un flot de barbares, L'envahirent, la hache ou la torche à la main. Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain. Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares. Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares; Et les ronces avaient effacé le chemin. Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre. Des midis sans soleil, des minuits sans un astre, Passèrent, et j'ai, là, vécu d'horribles jours; .Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière, Et, bravement, afin de loger nos amours, Des débris du palais j'ai bâti ma chaumière. L'Aveu. Tu n'as pas toujours été sage, Toi dont le coeur bat sur mon bras. Pour plus d'un amant de passage Tu souris et tu soupiras. D'une voix honteuse et farouche Tu me l'as dit par un soir bleu; Mais ma bouche a fermé ta bouche, Que purifiait ton aveu. J'avais prévu ta confidence, J'avais deviné ton roman, Fille du peuple sans prudence Et qui n'avais plus de maman. En Mai, sous le maigre feuillage, Chantaient les moineaux du faubourg, N'est-ce pas? Le vague ennui, l'âge?... Je connais ces tristes amours. Mais le coeur sur qui tu te serres, Ayant souffert, sait excuser; Et je vois dans tes yeux sincères Que j'ai ton vrai premier baiser. ARRIÈRE-SAISON 241 De nous deux, c'est toi la meilleure, Puisque tu sais aimer le mieux. Regarde, mon enfant, je pleure, Moi si blasé, moi déjà vieux! Par ta tendre et simple manière Dont tu m'avouas ton passé, je te dois ma larme dernière, Et par elle il est effacé. Printemps Perdus. Hélas! pourquoi si tard t'ai-je donc rencontrée, Rose de mon automne, ô mignonne adorée ? Pourquoi, pourquoi si tard?... Je songe bien souvent Que jadis, moi, jeune homme, et toi, petite enfant, Nous étions des voisins, et que, sans nous connaître, Moi, mûr trop tôt, et toi, venant presque de naître, Nous habitions tous deux dans ce coin de Paris, Où maintenant, ayant déjà des cheveux gris, Vieux garçon tout surpris de ma bonne fortune, Le long des boulevards déserts, les soirs de lune, Je vais en te serrant le bras, silencieux, Et m'arrête parfois pour te baiser les yeux. C'est ainsi, cependant, ô ma chère petite!... Le logis où, depuis plus de quinze ans, j'habite Est près de la maison dans laquelle, jadis, Pauvre et naïve enfant du peuple, tu grandis. Toi qui, par la chaleur de tes lèvres si douces, As fait sur mon vieux coeur fleurir de jeunes pousses, - Tel, au soleil d'octobre, un arbre faubourien, - Près de moi tu vivais; - et je n'en savais rien! Dire que j'ai souvent mené ma flânerie, Par les soirs de printemps bons pour la rêverie, Dans la paisible rue aux jardins odorants Où tu m'as confié que logeaient tes parents, Et que cette gamine aux pieds fins, droite et maigre, Qui sautait à la corde en criant : « Du vinaigre! » Et qui s'interrompait avec un peu d'humeur Pour laisser le passage au distrait promeneur, C'était peut-être toi vers ta dixième année, Toi que j'ai cent fois vue et jamais devinée!... La cruelle pensée!... Et dire que plus tard, Dans ce même quartier, sur ce long boulevard Où, par les nuits de juin, par les nuits étoilées, Le petit monde prend le frais sous les allées, Nous nous sommes croisés, sans doute, plus d'un soir, MOI, rêveur absorbé qui regardais sans voir, Toi, fille de seize ans, mise en apprentissage, Qui rentrais à la hâte et voulais rester sage; Et dire que jamais alors nos yeux n'ont lui, Moi m'écriant: « C'est elle! » et toi disant: « C'est lui!... Telle est la vie! On marche, on va, - quelle injustice! - Sans qu'un seul battement de coeur vous avertisse Du bonheur qu'on coudoie et qu'on laisse passer. Mais le hasard n'a pas voulu nous fiancer, Et nous avons tous deux, dans l'exil, dans l'absence, Perdu, moi, ma jeunesse, et toi, ton innocence. - Lorsque enfin sur mon sein ton front s'est reposé, Le sort t'avait meurtrie et j'étais bien blasé, Et je t'ouvris mes bras, ô ma simple maîtresse, Comme un port en ruine à la barque en détresse! Ah! certes, notre amour automnal nous est cher. Tout ce que notre vie a d'impur et d'amer, Nous l'oublions. La paix heureuse est dans notre âme. Jamais tu ne sauras assez, ô chère femme Qui parfumes mon coeur d'un dernier sentiment, Combien je me sens bon, combien tendre et clément, Quand je t'ai près de moi, douce, triste et jolie! Mais il est, vois-tu bien, plein de mélancolie, Le souvenir, qu'en vain je cherche à réprimer, De ces printemps perdus à ne pas nous aimer. Minute Sentimentale. Amour plus que beauté me touche, O ma mignonne, et j'aime mieux, Bien mieux, ton regard que tes yeux, .Et ton sourire que ta bouche! Pour tout le monde, c'est certain, Ta bouche est enfantine et ronde, Et tes yeux sont pour tout le monde Bleus comme le ciel du matin. Mais pour moi seul, tu me le jures, Brilla ce regard attendri; Pour moi, pour moi seul, ont souri Si doucement ces lèvres pures ! Avant de m'avoir pour amant, A d'autres tu semblais jolie; Mais par moi tu fus embellie De la beauté d'un sentiment. Son Charme Au premier regard elle plaît, Ma fine blonde au teint de rousse; Mais, seul, je sais combien elle est Silencieuse, tendre et douce. L'air anglais et mise avec goût, La taille svelte et gracieuse, Elle est exquise, mais surtout Tendre, douce et silencieuse. Ses yeux clairs sont de purs émaux, Et mon désir s'y laissa prendre; Mais son vrai charme est dans ces mots Douce, silencieuse et tendre. Taches de Son Su R ta peau si tendre et si lisse, Dont ma bouche sait la douceur, Le soleil d'été, par malice, A mis des taches de rousseur. C'est tous les ans la même chose; Et l'on dirait qu'il veut laisser Sur ton radieux teint de rose Une trace de son baiser. Mais j'aime tout de ce que j'aime; Et ton front, si frais et si doux, M'attire davantage même Constellé de quelques points roux. Quand â mes lèvres tu le portes D'un geste amoureux, je crois voir La neige d'or des feuilles mortes Sur le ciel vermeil d'un beau soir. Crépuscule. Ainsi qu'un malheureux, le corps frileux et gourd, Tâche de se chauffer en soufflant sur des braises, L'amer couchant d'octobre, au lointain du faubourg, A fait flamboyer ses fournaises. Dans les squelettes noirs des arbres nus et droits, Le vent du soir, tout bas, parle d'une voix rauque; Un archipel d'îlots couleur de feu, mais froids, Nage dans la paix du ciel glauque. Combien de fois déjà par des soirs tout pareils, Où l'esprit sur lui-même en souffrant se replie, L'adieu rouge et glacé des suprêmes soleils M'a versé sa mélancolie! Combien de fois ce vent aux sinistres soupirs, Dont le gémissement se glisse sous les portes, A fait devant mes yeux tourner mes souvenirs Dans la valse des feuilles mortes! Automne nostalgique, automne évocateur, Qu'ils me font mal, tes ciels qu'un dernier rayon moire, Tes purs et tristes ciels, froids comme la douleur Et profonds comme la mémoire! Le Baiser. Il ne fus heureux - pas souvent - Que par le baiser, je l'avoue. J'aimais les lèvres sur ma joue, Quand j'étais un petit enfant. Le baiser seulement me touche. Ma jeunesse et mon âge mûr L'ont cherché, sensuel ou pur; Et l'on me baisa sur la bouche. Aucuns fils ne me survivront; La saison d'amour est finie. A l'heure de mon agonie, Qui me baisera sur le front? Flux et Reflux. La nuit tombe et la mer descend. Ma chère âme, allons sur la grève, Auprès du flot retentissant! Le doute m'assaille sans trêve. M'aimes-tu vraiment? J'ai rêvé Que ta tendresse serait brève. Écoute le râle étouffé Du flot lointain! L'Angelus tinte Tristement son dernier Avé. Mon âme est par l'angoisse atteinte; Je tiens, comme pour un départ, Ta main, froide malgré l'étreinte. La falaise est dans le brouillard; Le vent humide nous pénètre. Entends ce goëland criard! Pour bien d'autres ton coeur fut traître; Ton passé n'est point innocent. Tu vas m'abandonner peut-être! La nuit tombe et la mer descend. Le jour grandit et la mer monte, Allons courir sur les galets! Comme le ciel est pur! Sois prompte. Plus d'un bateau plein de filets S'en va, le long du quai qu'il frôle, Vers les horizons violets. Serre-toi contre mon épaule, Et, le coeur joyeux, allons voir La vague écumer sur le môle! Que j'étais injuste, hier soir! Je doutais de toi, ma chère âme! Ce bleu matin me rend l'espoir. Ton passé cruel, pauvre femme, Nos larmes d'amour l'ont lavé, Comme est ce rocher par la lame. Vois! le bon soleil est levé. Aimons-nous sans crainte et sans honte. Notre bonheur est retrouvé! Le jour grandit et la mer monte. Toast Champêtre. Mai, qu'avait jusqu'alors désolé le vent aigre, Mai, frileux sous les fleurs, en habit de vinaigre, S'était enfui, Joyeux, dans le ciel enchanté, Le chaud soleil de juin proclamait : « C'est l'été! » Celle qui connaît bien mon sentiment pour elle Choisit sa robe claire et sa plus fraîche ombrelle; Et pour le beau pays de forêts et d'étangs Qui cache nos amours depuis quelques printemps, De grand matin, heureux de vivre, nous partîmes. Les poiriers du chemin sont nos amis intimes; Quand, dans la carriole au vieux cheval boiteux, Fous passons, les rameaux murmurent : « Ce sont eux! » Et, grise de plein air et de grand paysage, Ma mignonne leur prend des feuilles au passage. Rien n'a changé. Voici l'auberge. Sur le seuil, Le vieux chien du logis vient pour nous faire accueil. Notre chambre est la même. En ouvrant la fenêtre, La même saine odeur de forêt nous pénètre. Voici le pied tronqué de l'orme qu'on scia; En face, dans le parc, le même acacia Répand, comme jadis, son odeur printanière. J'entends le loriot comme la fois dernière, Et songe : « Le bonheur qui se peut retenir Est tout dans l'habitude et dans le souvenir. » Cependant, ma petite amie, - oh! comment dire Le charme tendre et fin de son joli sourire? - Bien contente, elle aussi, de ce coin retrouvé, A ri, comme autrefois, du portrait mal gravé Du pauvre Monsieur Thiers en toupet ridicule; Elle a mis son chapeau fleuri sur la pendule, Oté ses gants de Suède, et puis, ayant pensé, Tout à coup, qu'on ne s'est pas encore embrassé, Elle s'approche, avec son air sainte-n'y-touche, Et pose lentement sa bouche sur ma bouche. Quelle minute!... Un cri nous appelle soudain. Le déjeuner! On est servi dans le jardin, Sous la tonnelle basse, auprès du jeu de boules. On court se mettre â table en effarant les poules. Victoire encor! Rien n'a changé! Tout est pareil! Voici le gai vin blanc qu'il faut boire au soleil Et dont la courte ivresse en rires se dissipe, Le lourd couvert d'étain et de terre de pipe Dont un joyeux rayon fait vibrer les couleurs, Et des cerneaux tout frais dans une assiette à fleurs. ... Puisque après ce repas nous faisons une pause Et que mon verre est plein, effeuilles-y la rose, Ma chère, que tu fais tourner entre tes doigts; Car je veux boire au nid de nos amours! Je bois Au clocher du village, orné d'un coq de fonte, Qui depuis cinq printemps,-à mon âge, on les compte,- Le long des jeunes blés, pleins d'oiseaux et de chants, Nous a vus tant de fois faire un bouquet des champs. Je bois aux toits moussus où, comme nous fidèles, Reviennent, chaque été, les bonnes hirondelles. Je bois aux verts fourrés de ronce et de genêt Où l'écho semble aimer ta voix qu'il reconnaît. Je bois aux vieux témoins de nos gaîtés champêtres, Aux fleurs dans les grands prés, aux fraises sous les hêtres, A la forêt où chante au lointain le coucou, Aux sentiers dans lesquels, te baisant sur le cou, Je t'étreins brusquement pour te dire : « Je t'aime! » Enfin, je bois au cher pays, toujours le même, Où, depuis ce matin, nous sommes de retour, Chère, et qui n'a pas plus changé que notre amour! Retour. Viens! Je t'aime! Rentrons. La promenade est faite. La claire nuit de juin vient d'allumer ses feux; Le clocher du gros bourg, où nous logeons tous deux, Se rapproche, et la lune en argente le faîte. Regagnons lentement l'auberge, où l'on apprête La chambre et le grand lit aux draps frais. Je te veux! Et, pour qu'en cheminant je baise tes cheveux, Sur mon épaule heureuse abandonne ta tête. Mets un de tes chers bras au cou de ton ami; Traversons, enlacés, le village endormi; Et, comme nous voulons, dans la campagne verte, Dès l'aurore, demain, reprendre notre vol, Nous laisserons, ce soir, la fenêtre entr'ouverte; Pour être réveillés au chant du rossignol! Rêve fleuri. Ma chère, tu cueillais, en riant aux échos, Des gerbes de bleuets et de cgquelicots. O journée en plein air, adorable et trop brève!... Et, dans le large lit d'auberge où j'ai dormi En sentant, prés du mien, battre ton coeur ami, Pendant toute la nuit, j'ai vu des fleurs en rêve. Confiance. Souvent, libertin lassé de mon rôle, J'ai feint un amour à peine éprouvé. Mais tu m'as guéri, mais je suis sauvé, Depuis que je dors sur ta jeune épaule. C'est un sentiment si frais et si pur, C'est comme une fleur dans mon âme éclose, Lorsque tendrement ma tête repose Sur ton humble coeur dont je suis bien sûr. Je vieillis, j'ai fait deux tiers du voyage; Mais si, quelquefois, j'en suis attristé, Cela passe vite, ainsi qu'en été Glisse sur les champs l'ombre d'un nuage; Car j'ai mon bonheur sincère et permis, Car je suis certain, ô chère maîtresse, Que bientôt, hélas! quand fuira l'ivresse, Nous serons encor de bons vieux amis... Et c'est pour jamais! Et, chauds et fidèles, Mes derniers désirs vont vers ton amour, Comme, dans le ciel d'un dernier beau jour, S'attarde et tournoie un vol d'hirondelles. Le Bon Lendemain. J'ai, de façon presque incongrue, Bâillé dans le monde, hier soir... Ma petite amie, allons voir Les humbles passants dans la rue. Le musc est un affreux parfum; On m'a dit trop de platitudes... Dans le faubourg aux odeurs rudes, Écoutons les gens du commun. J'ai vu des messieurs pleins de morgue Et des dames raides d'empois... Vois donc, sur les chevaux de bois, Tourner le peuple au son de l'orgue! J'ai fait un dîner trop truffé, Qu'encore aujourd'hui je digère... Vivent nos dînettes, ma chère, Où je bois, assis, mon café! Un bas-bleu, sorte de girafe, M'accabla de pédants discours... Écris-moi souvent, mes amours; J'aime tes fautes d'orthographe! Quand j'ai pu m'enfuir, plein de thé, Il était une heure et demie... Couchons-nous, ma petite amie, Comme les oiseaux en été. Là-bas, une coquette obèse Croit que j'aspire à ses faveurs... Ma svelte blonde aux yeux rêveurs, Donne ta bouche qu'on la baise! Accident D'Hiver. Il fait froid. Rentrons vite. Il fait froid. Les gamins Achètent des marrons pour se chauffer les mains Et courent en frappant des pieds, comme en colère. Dans le ciel bleu d'acier, un ciel de nuit polaire, Le dur scintillement des étoiles s'accroît. Les ruisseaux sont gelés. Rentrons vite. Il fait froid. Tu me serres le bras bien fort, pauvre petite. Je te sens frissonner. Il fait froid. Rentrons vite, Et montons l'escalier quatre à quatre... Grand Dieu! Dans la chambre, on n'a rien préparé pour le feu. Nous grelottons. J'allume une triste bougie. Au bord du canapé, blême, sans énergie, Gardant voile, fourrure et manchon, tu t'assieds. Comme il fait froid! Je pousse un coussin à tes pieds Et j'y tombe à genoux, sans quitter ma pelisse. C'est si drôle, que tu souris avec malice. Voilà des amoureux qui ne sont pas fringants! Nous nous prenons les mains, mais sans ôter nos gants, Et nous partons d'un grand éclat de rire ensemble... Oui! mais je deviens fou, quand tu ris. Il me semble qu'il fait meilleur. Glissant mes mains sous ton manteau, Je te serre en mes bras comme dans un étau. Je me réchauffe là. Tant pis pour ta toilette! Levant du bout du nez le bord de ta voilette, Je te donne un baiser, et me sens - que c'est doux! - Au travers de ta jupe étreint par tes genoux. Elle tiédit enfin, ta bouche jeune et pure; Mes lèvres vont chercher ton cou dans la fourrure; Contre mon coeur, ton coeur ému fait un sursaut; Tu pousses un soupir... Dis donc, comme il fait chaud! Dernière Flamme. Oui! j'ai changé souvent de maîtresse et d'amours, Mais, chaque fois, j'ai cru que c'était pour toujours; Et, jusqu'à l'âge mûr, j'ai connu la misère De me duper moi-même, en me croyant sincère. Ah! dans cette heure exquise où le désir naissant Et les parfums d'avril troublent l'adolescent, Heureux, heureux celui qui résout le problème De n'aimer qu'une fois, d'aimer toujours la même! I1 ne connaîtra pas, celui-là, le frisson Qui - lorsque vient l'amour de l'arrière-saison, Sentiment moins ardent, sensation moins vive - Soudain glace le coeur et fait douter qu'il vive... C'est mon ancien regret, chère âme, et tu le sais! Car bonheurs et chagrins de mes amours passés Sont devenus des vers et j'en ai fait mon livre, Misérable rêveur qui me regarde vivre. Lorsque tu m'as choisi, tu savais bien, hélas! Que ton bras s'appuyait sur un bras déjà las. Quand, fixant sur mes yeux tes yeux d'esclave heureuse, Tu me tendais la fleur de ta bouche amoureuse « Laisse-moi seulement t'aimer! » me disais-tu. Et, j'en conviens, souvent mon coeur n'a pas battu, Malgré tous mes baisers sur ton front incrédule. Non! il ne battait point, - pareil à la pendule Dont on a pour toujours arrêté le ressort, Dans la chambre funèbre où quelque prince est mort. - Que j'ai souffert alors de ne pouvoir te rendre qu'un goût sentimental, qu'un peu d'amitié tendre ! Mais j'ai voulu t'aimer, parce que tu m'aimais. Aujourd'hui, chère enfant, viens dans mes bras, et mets, Mets ton front sur mon coeur... Tu l'entends'?... Il palpite!- Lentement, lentement, mais chaque jour plus vite, Ainsi qu'un voyageur par l'espoir soutenu, Le lointain exilé, l'absent, est revenu. Mon octobre frileux donne son chrysanthème. Ton charme et ta constance ont triomphé : Je t'aime!... Mon enfant, serre-moi bien fort entre tes bras Et jure, oh 1 jure-moi que tu l'entretiendras, La flamme que ta jeune haleine a fait renaître! Car c'est mon seul bonheur, ma seule raison d'être; Par elle seulement je suis poète encor. Gardons, ô mon enfant, ce suprême trésor! Veillons, ô ma plus chère et dernière maîtresse, Sur ce foyer d'amour qu'alluma ta tendresse, Comme un mineur perdu protège avec sa main Le flambeau qui lui fait retrouver son chemin! L'Incorrigible. Lorsque, vaincu d'un seul regard, je t'ai suivie, Plus d'un m'a dit : « Encore? A quarante ans passés! » Soit. J'ai des cheveux gris aux tempes, je le sais; Mais ma soif de tendresse est loin d'être assouvie. Celui-là qui me blâme, au fond du coeur m'envie. Non! je n'ai pas assez vécu, souffert assez, Et je vaux mieux que vous, jeunes vieillards glacés, Et l'amour est la grande affaire de la vie! Non! je ne deviendrai jamais pareil â vous, Dont quelques chaudes nuits font de calmes époux, Et qui n'aimez qu'un temps, comme on jette sa gourme. Regardons-les passer, ma mie, et plaignons-les, Ces couples sans désirs qui traînent leurs boulets, Ainsi que des forçats sous les coups de la chiourme! Désir de Gloire. J'ai vu des hardes surannées Dans la boutique d'un fripier; Telle sera, dans peu d'années, Ma pauvre gloire de papier. On me lit. Soit. J'en ai des preuves On réimprime encor mes vers. J'apprends, par les paquets d'épreuves, eue mes lauriers sont toujours verts. Mais, hélas! tout passe et tout lasse. Les meilleurs et les plus fameux A d'autres ont cédé la place, Et l'on m'oubliera tout comme eux. Tout bruit est vain et se dissipe, Et, fût-on, comme Béranger, Reproduit en tête de pipe, La Mode est femme et veut changer. Songe au passé, deviens modeste, O poète! et de tant d'efforts, De tant d'oeuvres, vois ce qui reste Des ruines! des arbres morts! Parfois, pourtant, la branche sèche A l'air de reverdir un peu; Sur le mur ouvert d'une brèche Grimpe un liseron rose et bleu; Et quelques vers, une élégie, Un sonnet, sauvés de l'oubli, Dans l'herbier de l'Anthologie Conservent leur charme pâli. Oh! si, par bonheur, doit survivre Un humble poème de moi, qu'il soit donc choisi dans ce livre, eue j'ai, mignonne, écrit pour toi! Vétéran n'ayant plus mon grade, Poète oublié, triste et vieux, Je serai mort, ma camarade, Et tu m'auras fermé les yeux; Tu te rappelleras, ma chère, Mes jours de la fin, si peu gais, Et ma gloire si mensongère, Quand tu passeras sur les quais Et verras mes recueils intimes, Jadis célébrés si souvent, Qui, dans la boîte à dix centimes, Seront feuilletés par le vent. Mais qu'une enfant du voisinage Qui te confiera ses amours, - Car pour ces choses, malgré l'âge, Tu seras clémente toujours, - Ranimant en toi, pauvre vieille, Le feu sous la cendre endormi, Murmure, un jour, à ton oreille, Un poème de ton ami, Les seuls vers de lui qu'on connaisse, Les seuls dont la tendre langueur Émeuve encore la jeunesse Et trouve un écho dans son coeur; Alors, joyeuse et rassurée, Tu me trouveras bien heureux Que ma chanson soit murmurée Par les lèvres des amoureux! Ces vers dont on garde mémoire Seront deux fois récompensés, S'ils défendent un peu ma gloire, Eux qui m'ont valu tes baisers. Des larmes mouillant tes lunettes, Tu te souviendras qu'autrefois, Accompagné par les fauvettes, Je te les disais dans les bois. Caressant, de ta main légère, Mon front posé sur tes genoux, Combien tu me savais sincère! Combien mes chants te semblaient doux! Oh! qu'à son tour, la Renommée Continue à les juger tels, Et que, pour t'avoir tant aimée, Je laisse des vers immortels! DANS LA PRIÈRE ET DANS LA LUTTE. Le Devoir Nouveau. Qui, je les vois hocher la tête, Mes compagnons du temps ancien, Et s'étonner que le poète Veuille finir en citoyen. Je sais qu'ils ne m'approuvent guère Et qu'ils ont froncé le sourcil, Quand j'ai pris ma plume de guerre Ainsi qu'on empoigne un fusil, Et quand, portant une cocarde, Moi si pacifique et si doux, Je vins me mettre à l'avant-garde, Au rang où l'on tire à genoux. Leur surprise, je me l'explique. Jadis ils m'ont vu, tourmenté Bien moins par la chose publique Que par l'art et par la beauté. Puis, dans les souffrances de l'âge, Quand Dieu, pris de pitié pour moi, A mon âme, avant le naufrage, Montra le phare de la Foi, Ils m'ont vu changer d'existence Et, converti par la douleur, Devenir, dans la pénitence, Moins impur, plus sage et meilleur. Et plus d'un m'enviait sans doute, Chrétien plein d'un serein espoir, Voyageur achevant ma route Dans la douce paix d'un beau soir; Poète dont l'oeuvre dernière Montrait à son siècle étonné La reconnaissante prière D'un pauvre pécheur pardonné; Et vieillard dont le front s'incline, Voyant, dans le champ du repos, Briller une clarté divine Entre les pierres des tombeaux. Ils m'enviaient, tous ces sceptiques; Et profond fut l'étonnement, Quand, dans les luttes politiques, Je me suis jeté bravement. « C'est son bonheur qu'il sacrifie, » Disent-ils, ne pouvant savoir Qu'avec la foi dans l'autre vie L'homme accepte un nouveau devoir, Et n'a, pour le fuir, nul refuge, Quand il se sent, et pour toujours, Responsable devant un juge Dont les arrêts sont sans recours. Ces gens à mine satisfaite, Je serais aussi calme qu'eux, Si j'étais encore un poète Égoïste et voluptueux. Mais tout est changé dans mon âme. Je lis, dans un code idéal, Cet ordre écrit en mots de flamme : « Faire le bien, vaincre le mal. » Or la France souffre et je souffre; Et nul n'a rien à ménager, Quand on la conduit droit au gouffre, Quand la patrie est en danger. Celui qui s'abstient est un lâche, Celui qui se réserve a peur. Je me suis donc mis à la tâche En honnête et bon travailleur. Oui, je maudis et j'incrimine Ce vieux juge, près de la mort, Mettant, laquais fourré d'hermine, Les lois aux ordres du plus fort; Ce pamphlétaire sans patrie, Outrageant drapeaux et soldats, Et que l'étranger salarie Avec les deniers de Judas; Ce tribun menteur qui se drape Dans ses vertus de jacobin, Quand de sa bouche encor s'échappe L'odeur du dernier pot-de-vin; Et cet imbécile sectaire Osant crier : « Je le défends! » Devant l'acte sacré d'un père Qui confie à Dieu ses enfants. Sans cesse mon verbe qui vibre, A présent sévère et viril, Répète à tous : « Le traître est libre Et le héros est en exil! » Et, pioche en main, plein de colère, Je creuse avec lenteur, hélas! Un canal au flot populaire, Vers le parlement d'Augias! C'est le devoir, il est austère; Car mon coeur ne sait point haïr. Mais n'est-ce pas, France, ô ma mère, Que me taire serait trahir? Dans un tel danger, la prudence Et le besoin de paix ont tort. Tout vaut mieux que la décadence, Que la lente marche à la mort. Voyez, devant l'ignoble histoire Que nous font nos bas tyranneaux, Pâlir les noms d'or que la gloire Broda jadis sur nos drapeaux! - Donc, luttons toujours, car nous sommes Las d'être vaincus et trahis Et las d'obéir à des hommes Qui déshonorent le pays; Et nous rêvons d'une autre France, Maternelle et clémente à tous, Où la bonté, la tolérance, Régneraient enfin parmi nous. Ah! qu'elle serait grande et belle, Citoyens, si vous le vouliez, Cette République nouvelle Des Français réconciliés! Oui, devant la démagogie, Devant nos maîtres prêts à tout Pour garder leur place à l'orgie, On doute d'en venir à bout. Mais deux forces sur notre terre Restent intactes pour le bien, L'esprit de devoir militaire Et de sacrifice chrétien. Nous sortirons, je veux le croire, De la honte et du désarroi, Par la prière et la victoire, Le Patriotisme et la Foi. Je garde l'espérance heureuse D'un chef, d'un général vainqueur, Suivi, sur la route poudreuse, De soldats qui chantent en choeur; Et dans un rêve d'épopée, Je vois le sauveur de demain Faire le salut de l'épée A toutes les croix du chemin! 14 février 1900. L'Étable. PAR ordre de César Auguste et pour connaître Le nombre des sujets dont il était le maître, On recensait alors le monde tout entier; Et pour qu'on l'inscrivît, Joseph, le charpentier, S'en fut à Bethléem, son pays d'origine. 11 cheminait, suivi d'un âne à maigre échine, Dont les sabots butaient aux pierres des ravins Et qui portait, assise entre les deux couffins, Marie humble et voilée, et tout près d'être mère. C'était l'hiver; la nuit était exquise et claire; Et deux astres surtout, au sombre azur des cieux, Brillaient, plus radieux que les plus radieux, Guidant de loin déjà les Bergers et les Mages. A travers plaines, monts, torrents, cités, villages, Les deux époux allaient au but, pleins de souci. Car la femme souffrait. Ils se hâtaient ainsi Depuis des jours, faisant halte près des eaux vives, Et, pendant leur repas de pain noir et d'olives, L'âne broutait, cherchant l'herbe entre les cailloux. C'était l'hiver, la nuit, mais le temps était doux; Un calme solennel planait sur la nature. Or, après un faux pas de son humble monture, Marie ayant gémi, l'homme étendit le bras Et, lui montrant au fond des ténèbres, là-bas, Une faible lumière, il dit : « Voici l'auberge. » O femme douloureuse, ô mère, ô Sainte Vierge! 11 te faudrait un lit, une chambre et du feu. Mais nul ne sait qu'en toi tu portes l'Homme-Dieu Dont bientôt l'univers chantera les louanges. Le secret n'est connu que de vous et des anges, Pauvre et timide couple arrêté sur le seuil! L'aubergiste n'a pas son air de bon accueil. Ce bonhomme à bâton, cette femme sur l'âne, Il les juge d'un seul regard et les condamne. Mendiants, vagabonds, qui sait? peut-être pis. Du reste, aux alentours, les chameaux accroupis Et les mulets tapant du pied dans l'écurie Prouvent qu'une cohue est à l'hôtellerie; Et, dans la salle basse où l'âtre flambe et luit, On entend chanter, rire, et parler à grand bruit Les marchands à qui sont ces animaux de charge. « Pas de place pour vous, dit l'hôtelier, au large! Tout est plein, bonnes gens. Au large! » Mais, tout bas, II grogne entre ses dents : « Ce n'est point, en tout cas, Pour ces gueux que ma table et mes chambres sont faites.» O Messie annoncé par la voix des Prophètes, Christ que le monde attend et qui viens le sauver, Je t'adore à genoux. Quoi? Tu veux éprouver, Dieu de paix, de bonté, de douceur, d'innocence, La dureté des coeurs même avant ta naissance. Toi qui pourrais, aux cieux ouverts et fulgurants, Paraître et triompher, tu veux que tes parents Soient outragés au seuil de cette hôtellerie, Et tu permets, Seigneur, que ta mère Marie, Succombant sous le poids de son divin fardeau, Ne trouve pas un gîte et pas un verre d'eau. Oui, tu le veux ainsi, Dieu né dans la misère, Afin que le chrétien voie en tout homme un frère Et, dans tout malheureux, un frère préféré, Et qu'à jamais pour lui le pauvre soit sacré. Mais le monde à ton ordre est-il resté docile, Divin maître? Devant tant d'errants sans asile, Qui donc aujourd'hui songe aux parents de Jésus, Jadis, à Bethléem si durement reçus? Hélas! qui se souvient de la Sainte Famille? Donc, sous tous les regards de la nuit qui scintille, Les voyageurs sont là, l'air si triste tous deux Que l'hôtelier finit par avoir pitié d'eux. D'ailleurs, il s'aperçoit que la femme défaille. e Holà! valets... Un coup de fourche dans la paille, A l'étable... Ces gens y passeront la nuit. » Et c'est dans cet endroit abject qu'on les conduit; C'est là qu'on fait un lit de paille sur la fange Pour celle que sacra le salut de l'Archange; 'Et, tandis que Joseph donne à l'âne son foin Et cherche à s'installer pour la nuit, dans un coin, Troublé par les intrus, un vieux boeuf qui rumine S'éveille, et d'un gros oeil mauvais les examine. Mais que se passe-t-il dans les hauteurs du ciel? Minuit! Voici l'instant promis par Gabriel! Une voix, à travers l'abîme solitaire, Dit: « Gloire au Dieu très-haut! Paix aux bons sur la terre!» Puis on entend le vol d'un ange qui s'enfuit. O sainte nuit, suave et formidable nuit, Nuit où va s'accomplir, dans cette étable immonde, Le plus immense fait de l'histoire du monde! O nuit, quelle splendeur! Les constellations Ont de tendres regards d'amour dans leurs rayons. Chaque étoile, ce soir, palpite, tout émue, Comme un coeur qu'une intime allégresse remue, Et suit de loin, avec un sourire d'ami, Les bergers laissant là leur bétail endormi, Et, là-bas, au désert, sous l'azur diaphane, Les trois rois d'Orient venant en caravane. Et pendant cette nuit, monde païen, tu dors, Repu, cruel, content, sans espoir ni remords, A tes faux dieux de marbre et de bronze incrédule. Et les pleurs de l'esclave aux fers, dans l'ergastule, Et les lions, au fond du Cirque, rugissant Vers leur prochain repas de chair d'homme et de sang.. Ne t'éveilleraient pas de ton sommeil sans rêve. C'est pourtant cette nuit que ton règne s'achève, Vieux monde, et que surgit le Dieu de la bonté. Bientôt, par ta bassesse et par ta lâcheté, Un Tibère, un Néron, auront leur temple à Rome. Mais le Dieu qui mourra pour nous, le Dieu fait homme, Jésus, notre Sauveur, vient de naître aujourd'hui. Tu dors et n'en sais rien. Mais le Ciel le sait, lui! Et c'est pourquoi, ce soir, dans la nuit étoilée, Où flotte doucement une musique ailée, S'en vont vers Bethléem le pasteur et le roi. C'est pourquoi le Ciel est en fête, et c'est pourquoi, Devant l'humanité. meilleure qu'ils pressentent, Tout le firmament prie et tous les astres chantent! « Rêves, chimères, dit un sceptique en riant, Légende fabuleuse et conte d'Orient. » J'ai nié comme lui... Pardon, Dieu véritable!... Mon âme était alors l'infecte et sombre étable Ouverte à tes parents, les pauvres voyageurs. Car, hélas! chez le moins coupable des pécheurs, Ne fût-ce qu'en désir, ne fût-ce qu'en pensée, Que de honte secrète et de fange amassée! En mon âme logeait un vice coutumier, Tel qu'un vil animal vautré sur son fumier; Et, dans l'ombre malsaine et d'un miasme imprégnée, Le remords me guettait, monstrueuse araignée! Mais Jésus qu'à présent je prie, agenouillé, N'a pas reçu le jour dans un lieu moins souillé. Si le moindre frisson de repentir pénètre Dans un coeur saturé de mal, Dieu peut y naître. J'ai connu cet espoir et cette vérité, Un jour béni, quand la douleur m'a visité. J'ai prié, demandant pardon de mon offense; Humblement j'ai rouvert au Dieu de mon enfance Mon âme, cet asile impur et ténébreux. Il y daigna descendre et, maître généreux, Qui même à l'ouvrier tardif donne un salaire, 11 y règne aujourd'hui, la parfume et l'éclaire. Prières! Sacrements! O bienfaits inouïs! Comme l'étable, aux yeux des bergers éblouis, Brilla d'une clarté merveilleuse et subite, Mon âme resplendit, depuis que Dieu l'habite. Sur la nuit bleue où vibre un hymne de Noël, S'ouvre le toit obscur qui me cachait le Ciel, Et le hideux remords, l'araignée en sa toile, Rayonne tout à coup et devient une étoile! Decembre r898. Aumône Royale. Quand saint Louis trouvait un pauvre en son chemin, li lui faisait l'aumône et lui baisait la main; Car il considérait la pauvreté chrétienne Comme une majesté plus haute que la sienne. A ses yeux, la misère était une faveur Divine qui nous fait ressembler au Sauveur. Et, songeant à Jésus exposé chez Pilate, Au fils de Dieu drapé d'un lambeau d'écarlate, Les épines au front, le roseau dans les doigts, Le pieux souverain, le meilleur de nos rois, Devant le malheureux sacré par la souffrance, Inclinait humblement la couronne de France. Eucharistie. CE pain de froment pur, ô chrétien, tu le crois, Est le corps de ton Dieu, Jésus mort sur la croix. Il te l'a dit. Adore, à genoux, le Mystère. Mais si, parfois, t'effleure un doute involontaire Que repousse aussitôt ton coeur qui se défend, Souviens-toi d'une mère allaitant son enfant, Car ce lait qu'elle donne au nouveau-né qu'elle aime, C'est son sang, c'est sa chair, c'est sa substance même. La nature est ici d'accord avec ta foi; Elle t'aide, elle rend plus éclatant pour toi L'inouï sacrifice où Dieu même est l'hostie. Vois la Madone, elle est déjà l'Eucharistie. Dans Une Eglise De Village. LE fin clocher du bourg, sur la côte normande, De loin semble petit devant la mer si grande. Il sert pourtant, debout dans le ciel sombre ou clair, De signal aux marins en péril sur la mer. Mais, ce matin, le flot bat doucement la plage. Allons par là. L'église est au bout du village, Et son ombre, au couchant, s'étend jusqu'au blé mûr. J'ai suivi la ruelle où, séchant contre un mur, Un filet suspendu répand son âpre arome, Et j'ai vu, par-dessus les épais toits de chaume, Grandir le clocher gris, bien d'aplomb sur sa tour, Et l'azur apparaître en ses trèfles à jour. Il me montrait le ciel, la mystique patrie, Et, de loin, il semblait me dire : « Viens et prie, » Le gothique clocher qu'obsèdent les corbeaux. J'ai suivi le sentier au milieu des tombeaux, Où les pavots épars jettent leur pourpre vive, Et, seul, dans la fraîcheur de la nef en ogive, M'étant agenouillé dans l'un des bancs de bois, J'ai fait avec respect le signe de la croix Et j'ai prié. Mon Dieu, que mon coeur est aride! Pourtant, vous le savez, je vous ai pris pour guide. Ardemment, tendrement, je redis le Credo. J'accepte votre joug, je Veux votre fardeau. Votre nom est au fond de toutes mes pensées. Jésus, je joins mes mains devant vos mains percées; Devant vos deux genoux douloureux et ployés, Je me prosterne et baise éperdument vos pieds, Et, voyant dans vos chairs la blessure cruelle, Je voudrais que mon coeur fût palpitant comme elle! Mais qu'il est froid et sec! Ai-je vraiment la foi ? Dieu de miséricorde, ayez pitié de moi! Rendez-moi, rendez-moi ma ferveur enfantine, Quand j'étais sûr, pendant ma prière latine, D'être écouté d'un Père et quand, après l'Ave, Je voyais - que de fois du moins l'ai-je rêvé! - La bonne Sainte Vierge,-en ses blancs et longs voiles, Incliner vers mon front sa couronne d'étoiles! Vous connaissez, mon Dieu, ma bonne volonté. J'ai vaincu mon orgueil et mon impureté. Exaucez-moi, rendez ma prière meilleure, Et faites que mon coeur se fonde et que je pleure. Je veux croire! Je crois! Ce doute est le dernier. O Jésus, donnez-moi la foi du Centenier, Afin que plus jamais, mon Dieu, je ne vous dise, Comme aujourd'hui, devant l'autel, dans votre église : « Seigneur, m'entendez-vous? Seigneur, êtes-vous là? Ainsi, pendant longtemps, ma plainte s'exhala. L'âme du vieux pécheur, sur le tard convertie, Est comme un sol couvert d'herbe folle et d'ortie. En vain il la travaille, acharné laboureur, Il n'en peut extirper la semence d'erreur, Et sa foi, que pourtant, seule, il sait bonne et vraie, Est comme un blé d'avril étouffé par l'ivraie. Pourtant cette humble église est un lieu doux au coeur; Et, tout en admirant, sur les dalles du choeur, Le reflet diapré qui tombe des verrières, Je crois que ces vieux murs, saturés de prières, Vont me verser la foi des simples paysans Qui parlent au bon Dieu, là, depuis six cents ans, Et dont aucun jamais n'a connu mon angoisse. Devant ce Saint Martin, patron de la paroisse, A cheval et coupant du glaive son manteau, Des coeurs d'or et d'argent sont mis en ex-voto, Et voici l'if de fer où brûle encore un cierge, Devant une rustique image de la Vierge Tenant sous son talon le serpent écrasé Et montrant dans son sein un coeur martyrisé Que sept poignards aigus font saigner sous leurs pointes. Le long contact des fronts courbés et des mains jointes A fini par polir le dossier des vieux bancs. Tout là-haut, avec ses vergues et ses haubans, - Don de pauvres marins sauvés d'une tempête, - Un petit trois-mâts pend au-dessus de ma tête. Tout enfin, dans l'église, évoque autour de moi La piété naïve et la profonde foi. O foi du peuple, foi des humbles, je t'envie! Ils sont sûrs que la mort est l'éternelle vie, Et quand, près de ce grand portail à deux vantaux, Un cercueil de sapin est mis sur les tréteaux Et reçu par les chants des clercs en lourde chape, Ils pensent dans leur coeur que l'âme qui s'échappe, Pure, de ce bas monde et vole aux cieux ouverts, Va recevoir le prix des maux qu'elle a soufferts. Cette foi simple habite en ces voûtes sacrées; Elles en sont, depuis six siècles, pénétrées. Dans cette vieille nef, tant de chrétiens pieux, Et leurs pères, et les aïeux de leurs aïeux, Perdus dans un passé dont plus rien ne surnage, Ont tant prié, depuis le lointain Moyen Age! Ici, leur âme a pris tant de fois son essor! Communion des Saints, je puise en ton trésor! Je respire de la prière accumulée; Elle verse son baume en mon âme troublée, Et mon coeur, qu'à grands coups irrités, je frappais, Se calme et se remplit d'espérance et de paix, Comme un golfe orageux soudain se tranquillise. Oui, bons paroissiens de cette pauvre église, Robustes gens de mer vêtus d'un tricot brun, Qui, baissant votre front boucané par l'embrun, Portez, aux Fête-Dieu, le dais à plumes blanches, Honnêtes marguilliers en blouse des dimanches, Sachant par coeur l'office et chantant les répons, Mamans avec un mioche ou deux près des jupons, Aïeules dont les doigts ridés par la misère Usent obstinément les grains durs d'un rosaire, Jeunes femmes levant au ciel vos yeux songeurs, Gamins du catéchisme et fillettes des Soeurs, Vous qui priez ici Jésus, pendant les messes, Pour devenir un jour dignes de ses promesses, Soyez bénis! C'est grâce à vous que j'ai dompté Mon vieux reste d'orgueil et d'incrédulité. Vos ancêtres et vous avez mis dans ces pierres Un don surnaturel par vos saintes prières. Sous cette voûte, à tous les angles du granit, Divins oiseaux de l'âme, elles ont fait leur nid. J'entends chanter en moi leur voix suave et pure; Mon coeur s'émeut enfin, ma bouche les murmure, Et, tout en pleurs, tendant mes deux mains vers la Croix, J'ose dire : « Mon Dieu, je vous aime et je crois! » 1899. Le Clou. O Dieu des pauvres gens, Dieu né dans une étable, Rends le coeur du chrétien toujours plus charitable! A ce disciple ayant du bien, qui te suivait, Tu l'as dit : « Que celui qui veut être parfait Vende tout, donne tout aux pauvres et me suive. » L'homme s'enfuit, vaincu par l'avarice juive. Hélas! combien de nous lui ressemblent, mon Dieu! On fait l'aumône, soit, mais si mal, mais si peu, Sans un élan du coeur, d'un geste d'automate. Sur le pauvre pourtant, Jésus, est ton stigmate, Et, dans la main tendue où nous mettons un sou, Nous devrions tous voir la blessure et le clou. A Monsieur L'Abbé Bouquet. « Croyez! » me disiez-vous, ami pieux et cher. Je répondais : « L'effort est trop grand; j'y renonce. Car je doute, en priant, des mots que je prononce, Et l'âme est morte en moi par l'abus de la chair. » Et, tel qu'un naufragé, jouet du gouffre amer, Je m'épuisais, criant : « Au secours!... Je m'enfonce... » Alors, prêtre du Christ, pour unique réponse, Vous m'avez ordonné de marcher sur la mer. Miracle! Sur les flots je vais au but sublime; Et si, parfois, je tombe et glisse vers l'abîme, Effrayé par le bruit des vagues et du vent, Vous êtes là, mon Père, et votre main bénie, Cette main qui m'absout et qui me communie, Me guide et me soutient sur le chemin mouvant. Une Preuve. UNE preuve entre cent que la Sainte Écriture Est un récit fidèle et fait d'après nature, C'est qu'ici les témoins s'accusent. Quel aveu Que celui des amis si chers du Fils de Dieu Confessant leur faiblesse et nous faisant connaître Qu'ils ont, dans le péril, abandonné leur maître! Pierre dit : « Je fus lâche, » et Thomas : « J'ai douté. » Donc, s'ils disent ailleurs : « Il est ressuscité... En tel lieu, nous l'avons vu faire tel prodige... » Je les crois. Cet accent de vérité, vous dis-je, Aux mots écrits par l'homme on le demande en vain. J'en suis sûr, l'Évangile est un livre divin. Dans un Cimetière le Jour des Morts LE nombre des croix diminue Au cimetière. Mais, alors, Pourquoi tant de fleurs, esprits forts, Entre les-ifs, dans l'avenue? Qu'importe à ce qui fut un corps Une demeure bien tenue? D'ailleurs la pierre sera nue, Tôt ou tard, sur les pauvres morts. Chrétiens, pour nos tombes aimées, Mêlons aux gerbes embaumées Un espoir qui soit immortel. Demain, nos fleurs seront poussière. Seul, le parfum d'une prière Dure éternellement au ciel. Trois Ans Après. Pour Les Victimes De L'incendie De la Rue Jean-Goujon. DANS Paris, dans la ville aux contrastes étranges, Où l'éternel combat des démons et des anges Plane et gronde sur la Cité, C'était, chaque printemps, une halte sereine Dans le bien, un recul de la misère humaine, Un triomphe de la bonté. Se rappelant alors, dans leurs âmes chrétiennes, Que les douleurs du pauvre, ô Jésus, sont les tiennes, Des femmès au coeur généreux, Exquise et noble élite au bienfait toujours prête, Faisaient ce bel effort et donnaient cette fête Pour secourir les malheureux. Quelques-unes portaient les plus grands noms de France, Et là, toutes, gaîment, se faisaient concurrence Pour le charitable trésor. Leur charme décuplait le prix des bagatelles, Et pour un bon regard, pour un sourire d'elles, Tous vidaient leurs mains pleines d'or. Jours bénis où chacun, petit ou grand, s'incline Vers la vieillesse infirme et l'enfance orpheline. C'est vrairnent le niveau chrétien! On voyait là, parmi cette belle noblesse, L'humble religieuse et la royale Altesse Égales dans l'oeuvre du bien. Que c'est doux et touchant, la bonté dans la grâce! Un parfum printanier circulait dans l'espace. C'était par un jour de ciel bleu. Cette foule goûtait une innocente joie... Soudain des cris de peur montent, le mur flamboie. C'est le feu, l'effroyable feu! Mais j'ai pitié de vous, qui pleurez en famille Une victime, épouse ou mère, soeur ou fille. Voilons le spectacle odieux. Bien vite, je vous veux montrer ces blanches âmes, Après avoir cueilli leur palme dans les flammes, S'envolant tout droit vers les cieux. Au fond de cet enfer je ne veux pas descendre. J'évite, en frissonnant, ce hideux tas de cendre, Horreur des époux et des fils, Où cette grande dame, où cette vierge pure, Pour trace n'ont laissé que l'or d'une parure Ou le cuivre d'un crucifix. De ces femmes qui sont dans la céleste gloire, Ici-bas, un lieu saint gardera la mémoire. L'édifice est déjà dressé; Et, sur les murs du cloître, auprès de la chapelle, J'ai pu lire, pensif, plus d'un nom qui rappelle La belle France du passé. Devant de tels malheurs, l'âme reste interdite; Puis, se tournant vers vous, Seigneur, elle médite Vos impénétrables desseins, Et se souvient alors que la terre est féconde En moissons de vertus, seulement quand l'inonde Le sang des martyrs et des saints. Seul, le mystérieux pouvoir du sacrifice Peut vaincre, parmi nous, l'athéisme et le vice, Objets de nos constants effrois; Et je songe que, dans cette atroce aventure, Les victimes offraient à Jésus leur torture Pour le triomphe de la Croix. Veufs, cessez de pleurer! Orphelins, plus de plaintes! A l'oeuvre! Combattez pour la Foi; car vos saintes Sont près de Dieu, je vous le dis, Lui demandant pour vous des forces dans la lutte, Après avoir, par un enfer d'une minute, Gagné l'éternel paradis! Elles savent qu'il faut que ce pays revienne Aux lois de l'Évangile, à la vertu chrétienne, Pour être fort et glorieux. Même au ciel, j'en suis sûr, on pense à la patrie. Je vois, dans la clarté, votre groupe qui prie, Nobles filles des grands aïeux! Et près de vous, prouvant aussi que l'espérance Jaillit du sacrifice et naît de la souffrance, Je vois une enfant à genoux, Une pauvre pastoure, une humble paysanne, La vierge qui chassa les Anglais, notre Jeanne, Morte par le feu comme vous. Quand le vent dispersa sa cendre et la fumée, La France, qu'elle avait si vaillamment aimée, Sentit le salut approcher... O victimes d'hier, est-ce une prophétie, Quand, rêvant d'un meilleur avenir, j'associe Cet incendie et ce bûcher? 5 avril 1900. Après Une Visite Au Séminaire De Beauvais. Communion des Saints, force extraordinaire, Trésor qui nous attend au delà du cercueil, Je te comprends, après le fraternel accueil De ces visages purs dans le doux séminaire. Oui, ces clercs de vingt ans, vieillard, je les vénère; Car ce sont mes péchés qui les mettent en deuil, Et, s'ils domptent ainsi leur chair et leur orgueil, C'est pour qu'au Jugement Dieu me soit débonnaire. Sur le tard, vers la Foi conduit par la douleur, J'ai honte, en comparant mon état d'âme au leur. Que vaut mon repentir? Où sont mes sacrifices? Mais vos jeunes vertus, enfants, vont me sauver. Priez pour moi! Déjà je vois se relever La sévère balance où pesaient mes vieux vices. L'Ombre De La Croix. Dieu ne veut qu'un seul pas qui vers lui nous ramène. Autrefois, entraînés par la folie humaine, Nous avons fui - pour quel mirage décevant! - La Croix vers qui montaient nos prières d'enfant. Puis l'âge vient. Un jour d'angoisse trop amère, Nous voulons revenir au Dieu de notre mère; Vers lui nous nous mettons en route avec effort. L'atteindrons-nous avant la nuit, avant la mort, La Croix, la sainte Croix, debout sur la colline? Mais, s'allongeant devant le soleil qui décline, L'ombre de cette Croix lointaine, tout là-bas, Vient à notre rencontre en nous tendant les bras. A Jeanne D'Arc. Nous prédisant la fin prochaine Des affronts subis tant de fois, Entendrons-nous bientôt des voix, Comme toi, Jeanne, sous le chêne? La France, après son deuil cruel Et tant d'espérance trompée, Découvrira-t-elle une épée, Comme toi, Jeanne, sous l'autel ? Partirons-nous pour la frontière, Sentant, dans nos drapeaux joyeux, Souffler un vent victorieux, Comme toi, Jeanne, en ta bannière? Oh! le jour qu'il faudra marcher Vers le grand but qui nous attire, Dans nos coeurs, ô Jeanne, ô martyre, Mets les flammes de ton bûcher! Pour Un Bon Français. I A AUL JÈZZOULÈDE PRISONNIER A LA CONCIERGERIE (Avril 1899) ILS t'ont mis, toi, soldat, dans le cachot de Hoche, Toi qui voulais dompter la terreur toute proche, Dans la prison des Girondins; Et saint Louis peut voir, dans son palais gothique, Comme on traite, sous la troisième république, Le dernier de nos paladins. Mais ils songent aussi que cette tour fermée Contient l'immense espoir d'un peuple et d'une armée; Ils en frissonnent sous leur peau; Et le factionnaire, un fusil sur l'épaule, Qu'on voit marcher devant la porte de ta geôle, Sait bien qu'il nous garde un drapeau. En lui remettant, dans sa cellule, à la Prison de la Santé, le 1" janvier 1900, un drapeau offert par les femmes de la Charente. Quand semble morte l'espérance Et quand est si noir l'horizon, O martyr, les femmes de France Viennent pavoiser ta prison. Jamais le soleil ne pénètre Dans le séjour de tes douleurs, Mais notre pitié peut y mettre Un arc-en-ciel, les trois couleurs. Ce drapeau que de pleurs tu mouilles, Tribun, est fait du même lin Qu'ont jadis filé les quenouilles Pour la rançon de Du Guesclin. Va, la colère s'accumule Contre un despotisme exécré. Aux tristes murs de ta cellule Suspends cet emblème sacré. Pour que le peuple entier se dise Que l'honneur, la gloire, la loi, - Tout ce qu'un drapeau symbolise, - Sont ici captifs avec toi, Pour que la bastille s'écroule Et qu'enfin libre et triomphant, Ce drapeau plane sur la foule, Brandi par toi, drapeau vivant! III A PAUL DÉIROULÈDE. Strophe dite par le graphophone, devant l'exilé, à Saint-Sébastien, Le Premier Janvier 1900. De puis qu'ils t'ont banni par un verdict infâme, O poète tribun dont le verbe de flamme Naguère nous guidait comme un drapeau flottant, Une mortelle année a passé tout entière. N'importe! Avec espoir regarde la frontière. Proscrit, la France est là, qui t'aime et qui t'attend. Après Le Service Funèbre. Célébré pour le Colonel de Villebois-Mareuil IIs viennent d'ouvrir leur kermesse Et sont ivres de ce succès. Nous avons entendu la messe Pour l'âme d'un héros français. Dans un décor de décadence, Ils ont dit des mots malfaisants. Nous avons gardé le silence Sous des voûtes de huit cents ans. Ils convièrent à l'orgie Le monde entier du sud au nord. Dans les chants de la liturgie, Nous avons prié pour un mort. Ils offraient le luxe et le vice A tous les rastas ébahis. Nous honorions un sacrifice Fait à la gloire du pays. Pour acclamer leur bande infâme, Les mouchards seuls se sont rués. Sur le parvis de Notre-Dame, Le peuple nous a salués. 18 avril 1900. Au Président Kruger, Qui Va Traverser La France. Donc, la France n'est pas le but de ton voyage, Donc, ce n'est pas à nous que tu penses en mer, Indomptable vieillard, ô stoïque Kruger, Sacré par le malheur, par l'exil et par l'âge. Jadis, à tout proscrit, à tout persécuté, La France ouvrait ses bras comme une tendre mère. Pour nous, ses fils déchus, quelle tristesse amère Qu'elle ne t'offre pas son hospitalité! Tu vas la traverser, mais l'ignoble police Écartera le peuple accouru sur tes pas. Passe vite, Kruger! Tu ne comprendrais pas Que des tyrans d'un jour il n'est pas le complice. Passe vite! A cette heure, ainsi qu'un vil troupeau, Il obéit à l'ordre infamant d'être lâche. On brise son essor vers toute noble tâche, Et la honte pâlit les couleurs du drapeau. Passe! La pauvre France est tout endolorie Du poison qui la ronge et qu'on lui verse encor. Passe! Tu pourrais voir se dresser le Veau d'or Où jadis s'élevait l'autel de la Patrie. Passe, mais ne sois pas injuste dans ton deuil. Devant toi, grand vaincu, sous le joug qu'il secoue, Tout Français rougira. Que ce sang sur sa joue Te rappelle le sang de Villebois-Mareuil! Sache bien que nos coeurs ne sont pas si débiles, Qu'ils ont frémi devant le combat inégal Où ces héros, les fiers paysans du Transvaal, De tous leurs défilés ont fait des Thermopyles. L'égoïsme et la peur, hélas! nous font la loi; Mais sache que ta cause est pour nous tous sacrée. Si l'Europe fut lâche et s'est déshonorée, N'accuse que les chefs; les peuples sont pour toi, Et le peuple français surtout! Non cette clique, Ce parlement pourri, ces ministres tremblants Qui, pour ton infortune et pour tes cheveux blancs, N'ont pas d'asile en leur soi-disant république! Mais le peuple, moi, tous!... Ah! notre bon renom D'autrefois, qu'en ont fait nos maîtres? Quel supplice!... Tu passes, grand vieillard, en demandant justice, Et l'Histoire écrira que la France a dit non. 9 Novembre 1900. La Réponse Du Moine. J'ai dit au moine : « Hélas! Vous allez disparaître. On va prendre les biens à l'aumône promis Et vous chasser. Le crime est près d'être commis, Et de honte et d'horreur d'avance il nous pénètre. « Avides, débauchés, rebelles à tout maître, Ils ne supportent pas, vos cruels ennemis, Que, pour eux, vous soyez pauvres, chastes,' soumis. Ils voteront leur loi. C'est pour demain peut-être. «A voir frapper la Foi, la Bonté, la Vertu, Nous résignerons-nous sans avoir combattu? Tant de chrétiens sont là, que la rage exaspère. «Contre ces malfaiteurs et leurs projets affreux, Que ferez-vous? Il faut vous défendre, mon Père. » Le moine répondit : « Je vais prier pour eux. » Prière Pour La France. Dieu des Chrétiens, Dieu véritable, En qui très humblement je crois, Dieu du Calvaire et de l'Étable, Dieu de la Crèche et de la Croix, Dieu des souffrants, né sur la paille Et mort sur un gibet affreux, Regarde... La France défaille, Et nous sommes bien malheureux! Un vent de discorde désole Ce pays aux douces saisons Où le bon grain de ta parole Jadis donna tant de moissons; Où, dans une simple fillette, Ta puissance se révéla, Quand Geneviève et sa houlette Ont fait reculer Attila; Où - merveille encor plus étrange! - Tu prêtas, contre l'ennemi, Le glaive enflammé de l'archange A la vierge de Domrémy. Hélas! La France qui fut tienne Depuis trop longtemps fuit ta loi; Mais son âme toujours chrétienne Dans l'angoisse revient vers toi. Oui, les dalles de ton église, Nous les userons à genoux!... Mais notre patrie agonise. Sauve-nous, Seigneur, sauve-nous! Vois. Tous les coeurs sont lourds de haine, On respire une odeur de sang, Et la catastrophe est prochaine... Pitié! pitié! Dieu tout-puissant! Qu'un soudain éclair de ta foudre, Pendant qu'il en est temps encor, Jette à terre et réduise en poudre L'idole infâme, le Veau d'or. Calme le pauvre plein d'envie, Qui gronde aux portes du festin, Et donne aux heureux de la vie Le coeur du Bon Samaritain. Cette noble France, tu l'aimes; Elle a fait ton geste souvent. Protège-nous contre nous-mêmes. Fais un miracle, ô Dieu vivant! Rends-nous vraiment égaux et frères, Sous un ciel pacifique et doux; Et, si c'est l'orage des guerres Qui menace, ô Jésus, rends-nous La foi du soldat catholique A qui le trépas semble beau, S'il voit ton Paradis mystique A travers les trous du drapeau! Arrête-nous au bord du gouffre. Pour Noël, divin nouveau-né, Dis-nous que ce peuple qui souffre, Par toi n'est pas abandonné. Car, cette nuit, fils de Marie, Tel qui prétend ne croire à rien Malgré lui sent son coeur qui prie Et se retrouve un peu chrétien. Vois, dans ces heures menaçantes, Les pauvres mères tout en pleurs Joindre les deux mains innocentes D'un petit enfant sous les leurs, Et vers les clartés sidérales Et les abîmes effrayants, Toutes nos vieilles cathédrales Tendre leurs clochers suppliants! ÉCRIT PENDANT LE SIÈGE. Paris, 1870 Lettre D'Un Mobile Breton. MAMAN, et toi, vieux père, et toi, ma soeur mignonne, Ce soir, en attendant que le couvre-feu sonne, Je mets la plume en main pour vous dire comment Je pense tous les jours à vous très tendrement, Très tristement aussi, malgré toute espérance; Car, bien qu'ayant juré de mourir pour la France Et certain d'accomplir jusqu'au bout mon devoir, Je ne puis pas songer au pays sans revoir La maison, le buffet et ses vaisselles peintes, La table, le poiré qui mousse dans les pintes, La soupière de choux qui fume et qui sent bon, Entre les vastes plats de noix et de jambon, La soeur et la maman priant, les deux mains jointes, Avec leurs bonnets blancs et leurs fichus à pointes, Et papa qui, pensant que je manque au souper, Fait sa croix sur le pain avant de le couper. Laissons cela. D'ailleurs je reviendrai peut-être. - Donc nous sommes campés sous le fort de Bicêtre Avec Monsieur le comte et tous ceux de chez nous. Je vous écris ceci, mon sac sur les genoux, Sous la tente, et le vent fait trembler ma chandelle. Bicêtre est une sombre et forte citadelle, Où des Bretons marins, de rudes compagnons, Dorment dans le caban auprès de leurs canons, Tout comme sur un brick à l'ancre dans la rade. Aussi j'ai trouvé là plus d'un bon camarade Parti depuis longtemps entre le ciel et l'eau, Car Saint-Servan n'est pas bien loin de Saint-Malo, Et nous avons vidé quelquefois un plein verre. Mon bataillon était de la dernière affaire, A preuve que Noël, le cadet du sonneur, Comme on dit à Paris, est mort au champ d'honneur. Il avait un éclat de bombe dans la cuisse. Il saignait, il criait. Je ne crois pas qu'on puisse Voir cela sans horreur, et chacun étouffait; Mais nos vieux officiers prétendent qu'on s'y fait. On nous a portés tous à l'ordre de l'armée. Moi, j'ai tiré des coups de feu dans la fumée Et j'ai marché toujours en avant, sans rien voir. Enfin on a sonné la retraite, et, le soir, Un vieux, au képi d'or, qui tordait sa barbiche Et qui de compliments paraît être assez chiche, Nous a dit : « Nom de nom! mes enfants, c'est très bien! » Et quoiqu'il blasphémât, c'est vrai, comme un païen, Et qu'il lançât sur nous un regard diabolique, Nous avons tous crié : « Vive la République! » - Ce mot-là, c'est toujours du français, n'est-ce pas? - Quelques-uns d'entre nous se plaignent bien tout bas Et sont, avec raison, mécontents qu'on ricane De notre vieil abbé qui trousse sa soutane, Marche à côté de nous droit au-devant du feu Et parle à nos blessés du pays et de Dieu; Mais aux mauvais railleurs nous faisons la promesse De bien montrer comment on meurt, après la messe. - Nous avons traversé Paris. Il m'a fait peur. Puis nous l'avons trouvé dans la grande stupeur, Sombre et lisant tout haut des journaux dans les rues. Huit jours les habitants logèrent les recrues. Nous étions, Pierre et moi, chez des bourgeois cossus, Où nous fûmes assez honnêtement reçus. Pourtant j'étais d'abord chez eux mal à mon aise Et je restais assis sur le bord de ma chaise, Confus de l'embarras où nous les avions mis. Mais leurs petits enfants devinrent nos amis; Ils riaient avec nous, jouaient avec nos armes Et couvraient, les démons! de leurs joyeux vacarmes Le bruit que nous faisions avec nos gros souliers. Bref, nous sommes partis bien réconciliés Et, les jours de congé, nous leur faisons visite. - Allons! il faut finir cette lettre au plus vite, Car le clairon au loin jette ses sons cuivrés. Je ne sais pas encor si vous la recevrez, Mais je suis bien content d'avoir suivi l'école : Grâce au savoir, qu'on raille au pays agricole, Me voilà caporal avec un beau galon, Er puis je vous écris ces mots par le ballon. Maintenant, au revoir, chers parents, je l'espère. Si je ne reviens pas, ô ma mère et mon père, Songez que votre fils est mort en défenseur De notre pauvre France; et toi, mignonne soeur, Quand tu rencontreras Yvonne à la fontaine, Dis-lui bien que je l'aime et qu'elle soit certaine Que dans ce grand Paris, effrayant et moqueur, Je suis toujours le sien et lui garde mon coeur. Baise ses cheveux blonds, fais-lui la confidence Que j'ai peur du grand gars qui lui parle à la danse; Dis-lui qu'elle soit calme et garde le logis Et que je ne veux pas trouver ses yeux rougis. - Adieu. Voici pour vous ma tendresse suprême, Et je signe, en pleurant, « votre enfant qui vous aime En Faction. S u R le rempart, portant mon lourd fusil de guerre, Je vous revois, pays que j'explorais naguère, Montrouge, Gentilly, vieux hameaux oubliés Qui cachez vos toits bruns parmi les peupliers. Je respire, surpris, sombre ruisseau de Bièvre, Ta forte odeur de cuir et tes miasmes de fièvre. Je vous suis du regard, pauvres coteaux pelés, Tels encor que jadis je vous ai contemplés, Et, dans ce ciel connu, mon souvenir s'étonne De retrouver les tons exquis d'un soir d'automne; Et mes yeux sont mouillés des larmes de l'adieu. Car mon rêve a souvent erré dans ce milieu Que va bouleverser la dure loi du siège. Jusqu'ici j'allongeais la chaîne de mon piège; Triste captif, ayant Paris pour ma prison, Longtemps ce fut ici pour moi tout l'horizon; Ici j'ai pris l'amour des couchants verts et roses; Penché dès le matin sur des papiers moroses, Dans une chambre où ma fantaisie étouffait, C'est ici que souvent, le soir, j'ai satisfait, A cette heure où la nuit monte au ciel et le gagne, Mon désir de lointain, d'air libre et de campagne. Me reprochera-t-on, dans cet affreux moment, Un regret pour ce coin misérable et charmant? Car il va disparaître à tout jamais. Sans doute, Les boulets vont couper les arbres de la route; Et l'humble cabaret où je me suis assis, Incendié déjà, fume au pied du glacis; Dans ce champ dépouillé, morne comme une tombe, Il croule, abandonné. Regardez. Une bombe A crevé ces vieux murs qui gênaient pour le tir; Et, tels que mon regret qui ne veut point partir, Se brûlant au vieux toit, quelques pigeons fidèles L'entourent, en criant, de leurs battements d'ailes. Le Chien Perdu. QUAND on rentre, le soir, par la cité déserte, Regardant sur la boue humide, grasse et verte, Les longs sillons du gaz tous les jours moins nombreux, Souvent un chien perdu, tout crotté, morne, affreux, Un vrai chien de faubourg, que son trop pauvre maître Chassa d'un coup de pied en le pleurant peut-être, Attache à vos talons obstinément son nez Et vous lance un regard si vous vous retournez. Quel regard! long, craintif, tout chargé de caresse, Touchant comme un regard de pauvre ou de maîtresse, Mais sans espoir pourtant, avec cet air douteux De femme dédaignée et de pauvre honteux. Si vous vous arrêtez, il s'arrête, et, timide, Agite faiblement sa queue au poil humide. Sachant bien que son sort en vous est débattu, 11 semble dire : u Allons, emmène-moi, veux-tu? » On est ému, pourtant on manque de courage; On est pauvre soi-même, on a peur de la rage, Enfin, mauvais, on fait la mine de lever Sa canne, on dit au chien : « Veux-tu bien te sauver! » Et, tout penaud, il va faire son offre à d'autres. La sinistre rencontre! et quels temps sont les nôtres Et quel mal nous ont fait ces féroces Prussiens, Que les plus pauvres gens abandonnent leurs chiens Et que, distrait du deuil public, il faille encore Plaindre ces animaux dont le regard implore! A L'Ambulance. Du couvent troublant le silence, Arrive, avec son bruit pressé, Une voiture d'ambulance. On amène un soldat blessé. Sur sa capote le sang brille; Il boite, éreinté par l'obus. Son fusil lui sert de béquille Pour descendre de l'omnibus. C'est un vieux aux moustaches rudes, Galonné d'un triple chevron, Qui hait les cagots et les prudes Et débute par un juron. Il a des propos malhonnêtes Et des regards presque insultants, Qui font rougir sous leurs cornettes Les novices de dix-huit ans. Croyant qu'il dort et qu'elle est seule Si la soeur prie auprès de lui, Vite il charge son brûle-gueule Et siffle un air avec ennui. Que lui font la veille assidue, L'intérêt qu'on peut lui porter? Il sait que sa jambe est perdue Et que l'on va le charcuter. 11 est furieux. - Laissez faire; On est, très patient ici; Puis il y règne une atmosphère Qui console et qui dompte aussi; L'influence est lente, mais sûre, De ces servantes de leur voeu, Douces en touchant la blessure Et douces en parlant de Dieu. - Aussi, sentant, à sa manière, Le charme pieux et subtil, Le grognard, à chaque prière, Dira bientôt : « Ainsi soit-il! DE PIÈCES ET DE MORCEAUX. La Bague. Tolu là-bas, dans le Nord, où sa famille règne, Dès que l'air du matin d'un frais brouillard s'imprègne Et que, dans les sapins, passe un souffle hivernal, Le Prince héritier tousse, a la fièvre et va mal. Aussi restera-t-il tout l'hiver, cette année, En Provence, devant la Méditerranée. - Tout l'hiver! - Pourra-t-il atteindre le printemps? Car il se meurt, hélas! cet enfant de vingt ans Qui, frileux au soleil, les genoux sous un châle, Roule sans cesse, autour de son doigt maigre et pâle, Une bague trop large et, l'oeil atone et clair, Regarde déferler les flots bleus de la mer. Le médecin, non loin du fauteuil à bascule, Fait les cent pas. Parmi le monde qui circule, - Monde des stations d'hiver, des villes d'eau, Promenant à travers l'Europe le fardeau Du plaisir monotone et de la vie oisive, - Tous sont émus devant la souffrance pensive Du jeune prince, et tous voudraient - par vanité - Distraire Monseigneur. Mais nul n'est présenté; Et, si quelque indiscret ose, avec politesse, Dire au vieux médecin : « Comment va Son Altesse? » Choqué par ce sans-gêne inconnu dans les cours, Le docteur sèchement répond : « Mieux. » Et toujours, Roulant son diamant entre ses doigts exsangues, Le malade, qui sait pourtant toutes les langues, Se tait et, sous le plaid aux plis droits de linceul, Reste devant la mer seul, royalement seul. Qu'il a de souvenirs, le Prince à l'agonie, Devant l'impitoyable et sereine ironie De l'abîme d'azur, du golfe éblouissant! Qu'il a de souvenirs, quand le soleil descend Vers les monts et quand l'or empourpré de son orbe Touche l'Esterel noir qui lentement l'absorbe! Car il est l'héritier d'un trône et d'un grand nom. 11 naquit, salué par cent coups de canon Qui du château royal firent trembler les vitres. L'Europe entière apprit son nom et tous ses titres; Au baptême, la Cour en habits de gala Vint en foule, et le vin pour le peuple coula. Dans son berceau paré d'un large ruban d'ordre, Dès qu'il ouvrit les yeux, l'enfant put voir se tordre En courbettes les dos souples des courtisans; Et, plus tard, quand, chétif colonel de dix ans, 11 passait, sur un barbe aux allures très douces, Devant ses grenadiers hauts de cinq pieds six pouces, Leur glorieux drapeau s'inclinait devant lui. Mais le pauvre phtisique, en son frileux ennui, Chasse ces souvenirs d'une enfance splendide. Toujours il se concentre en son rêve morbide Et songe, d'un regret unique consumé, Qu'il a vingt ans, qu'il meurt et qu'il n'a pas aimé. Sur cette belle plage où sa grandeur l'isole, Il est pourtant quelqu'un qui distrait et console Ce triste poitrinaire au soleil se chauffant. C'est une pauvre fille, encor presque une enfant, Qui, nu-tête et pieds nus, mais jolie et si fraîche, Attend là, chaque soir, le retour de la pêche, Afin d'aider son père à porter les paniers. Ils ont fait connaissance, un de ces jours derniers. Au bras de son docteur, pendant sa promenade, Le jeune homme admira ce beau teint de grenade, Ces cheveux lourds et noirs, ce corps svelte et hardi Et ces yeux où brillait la flamme du Midi. Il sourit, et l'enfant, ignorant l'étiquette, Timide, mais avec une grâce coquette, Vint lui donner la fleur qu'elle avait à la main. Le Prince lui fit signe encor, le lendemain; Et, depuis lors, on voit, sur l'élégant rivage, Aux pieds du moribond cette fille sauvage Qui rêve en tamisant du sable entre ses doigts. Comme la brune enfant ne sait que le patois, Il ne lui parle pas; mais c'est sa camarade. Elle lui dit les noms des barques dans la rade, Dont les voiles en plein azur ont l'air d'oiseaux, Et lui chante tout bas des noëls provençaux. Sans doute, ce n'est pas bien amusant pour elle, Mais elle agit ainsi par bonté naturelle, Par charitable instinct de son coeur innocent Et pour faire plaisir à cet agonisant. Or, un soir qu'elle était là comme d'habitude, Le mistral eut soudain une haleine plus rude. Le docteur dit : « Altesse, il faut être prudent... Rentrons. » Le Prince était heureux en regardant La belle enfant du peuple à ses pieds affaissée, Et, pour lui plaire, il eut la gentille pensée De lui faire - mais là, tout de suite - un cadeau. Lequel?... De l'argent? Non... Et pourquoi pas l'anneau Qu'il tourne sur son doigt séché par l'anémie? Alors, il prend la main de sa très humble amie Et, retrouvant encore un sourire charmant, 11 veut lui mettre au doigt le noble diamant. Mais elle a tressailli, prise d'une peur vague. Que lui veut ce mourant qui lui donne sa bague? Grand Dieu! Se fiancer avec elle! D'un bond, Elle est debout. Elle a l'horreur du moribond, Et recule, et dit non du geste et de la bouche. Le Prince a bien compris. 11 se lève, farouche, Prend le bras du docteur et rentre en sa villa. Mais le soleil couchant est très beau, ce soir-là, Et, parmi ses émaux et ses orfèvreries, Les nuages, là-bas, semblent des armoiries. Le rêve du malade y croit voir le blason Très illustre qui fait l'orgueil de sa maison. Oui, ce nuage noir, c'est - très reconnaissable -- Le lion sur champ d'or, le grand lion de sable; Et cet autre, si blond, que surmonte une croix, Figure, dans le ciel, la couronne des rois. Le jeune homme, malgré le spleen qui l'enveloppe, Se souvient que tous ceux qui règnent en Europe Seraient fiers d'allier leur sang avec son sang; Et sombre, le front bas, pensant et repensant A l'outrage qu'il vient de subir tout à l'heure, Le phtisique se dit qu'il vaut bien mieux qu'il meure, Puisqu'une pauvre fille - à lui, prince royal! - A refusé, ce soir, un anneau nuptial. Le Charpentier. (LÉGENDE DE NOÉL) Au vieux temps, qui valait le nôtre, Et qu'on regrette, s'il vous plaît, Où la Reine, tout comme une autre, Tenait sa quenouille et filait; Où le Roi, bonhomme en prière, Malgré son sceptre et son bandeau, Se laissait couper, par derrière, Le galon d'or de son manteau; Où, quand les souples hirondelles Glissaient dans l'air calme du soir, Le clocher montrait aux fidèles Un ciel plein de rêve et d'espoir; Où les pauvres, libres d'angoisses, Quand leurs chapelets étaient dits, Voyaient, aux vitraux des paroisses, S'ouvrir le lointain Paradis; Au temps, enfin, où l'ignorance Était si douce au monde entier, Dans un bourg de la vieille France, Vivait un pauvre charpentier. Certe, il était pieux dans l'âme, Pieux comme les plus fervents; Mais il avait perdu sa femme, Élevait trois petits enfants, Et, s'acharnant à la besogne, Sachant bien ce que le temps vaut, Souvent il manquait, sans vergogne, L'office, et n'était point dévot. Prenant à pleins poings par le manche Sa bonne hache, bien des fois On l'avait pu voir, le dimanche, Équarrir et tailler le bois. Le curé lui trouvait du vice. Mais bon, charitable, naïf, Toujours prêt à rendre service, Il disait : « Suis-je donc fautif? « Non pas, Dieu m'absout et passe outre... Monsieur saint Joseph, mon patron, Permets-moi de scier ma poutre Et de raboter mon chevron. « Jésus et toi, saint personnage, Vous êtes des gens du métier. Sans mes trois enfants en bas âge, Je ne serais pas au chantier. « Vous savez bien que je vous aime : Mais je n'ai pas droit au repos, Et je puis vous prier quand même Avec les pieds dans les copeaux. » Pourtant, une certaine année, On le vit, le jour de Noël, Noël, fête carillonnée, Fête de la terre et du ciel, (Le scandale mit en syncope La servante du marguillier) On le vit prendre sa varlope, Après la messe, et travailler. Les dévotes étaient en rage. Pauvre et fier, il n'avait pas dit Que le boulanger du village Venait de lui fermer crédit, Et que, dans un tel jour, sans honte, S'il façonnait chêne et sapin, C'était pour toucher un acompte, Pour que sa marmaille eût du pain. L'heure de vêpre étant venue, Chacun s'en retourna prier. L'herminette et la bisaiguë Allaient leur train chez l'ouvrier. Or, brusquement, s'ouvre la porte. Le charpentier regarde au seuil Et voit tomber là, demi-morte, Une vieille en loques de deuil. Le brave homme, tout en alarmes, Court, la relève. « Eh bien?... Voyons?... » Mais la pauvresse fond en larmes Et s'effondre dans ses haillons. « J'allais à la ville voisine. Car, par un cheminot, j'appris Que ma fille unique, en gésine, S'y meurt et m'appelle à grands cris. « Je suis partie à l'aube grise Pour embrasser ma pauvre enfant. Mais cette faiblesse m'a prise, Et je n'irai pas plus avant. » L'homme alors, se grattant la tête Et le front creusé d'un souci, Dit : « Je n'ai chariot ni. bête. La ville est encor loin d'ici. « Ces choses-là ne sont pas drôles... Bah! je suis fait aux lourds fardeaux. La mère, enfourchez mes épaules; Je vous porterai sur mon dos. » Et laissant l'ouvrage qui presse, Sûr de jeûner demain matin, Il part, chargé de la pauvresse, Comme le Bon Samaritain. Cependant, à la nuit tombée, Sur le chemin planté d'ormeaux, Il revient, la taille courbée, Et songe au pain de ses marmots. Demain, hélas! point de salaire. Très douteux, l'écu d'un ami. Triste et se répétant : « Que faire? » Il rentre au village endormi. Soudain - surprise violente! voit, comme en un cauchemar, Une lumière étincelante Briller là-bas, sous son hangar. Un trouble inconnu le pénètre. Il entend le bruit régulier Que fait le rabot dans du hêtre. Quelqu'un travaille à l'atelier. Il accourt, il entre... O merveille! Ce compagnon qui lui sourit Et qui pour lui besogne et veille, C'est Notre-Seigneur Jésus-Christ! Rayonnant dans la clarté blanche, Le Sauveur du Monde apparaît, Rabotant de bon coeur sa planche, Comme jadis, à Nazareth. Ce soir, pour cet humble, il s'évade Du ciel, le Charpentier divin, Ne voulant pas qu'un camarade Ait été charitable en vain. Et l'homme, tête prosternée, Voit, sans oser y croire encor, Dieu qui lui gagne sa journée, Radieux dans les copeaux d'or. Fable! dit-on. Conte stupide! Mais, pour le bien, qui donc est prompt? Qui donc, de son labeur cupide, Pour aider autrui, s'interrompt? Partout, l'égoïsme et l'envie. Chacun son droit. Défends le tien. Non. L'affreux combat pour la vie Fait horreur au passé chrétien. Car on s'y disait sans relâche « Mes frères, aimons-nous un peu; » Et chacun finissait sa tâche, Quand même, avec l'aide de Dieu. Ecrit Sur Un Pierre Dupont. O poète, ceux qui, joyeux, sous la tonnelle, Redisent tes refrains, dans l'orgueil des vingt ans, Les rediront encor, pauvres vieux chevrotants. Ta chanson gardera la jeunesse éternelle. Car l'inspiration sincère vibre en elle. Source pure, elle court sur les cailloux chantants, Aubépine sauvage, elle est blanche au printemps, Vive alouette, elle ouvre, en plein azur, son aile. Ce qui t'émeut, Dupont, nous touchera toujours, La noble liberté, le vin frais, les amours, La nature surtout, l'enivrante nature. Et tel rimeur, qui fit un livre in-folio, S'abîme dans le noir oubli, tandis que dure L'air qu'un petit berger trouva sur son flûtiau. Pour Les Pauvres De Bordeaux. Pour ses pauvres, Bordeaux me demande des vers... Je revois la cité fière et monumentale, Le beau quai, qui le long du grand fleuve s'étale, La rade aux mille mâts et les Quinconces verts. J'ai vécu là des jours d'été, calmes et clairs, Où, sur la magnifique et riche capitale, Le ciel du soir versait sa pourpre orientale, Où c'était du bonheur qui flottait dans les airs. Quoi? L'on a froid et faim, là-bas? Mon coeur se serre! Comment? Cette splendeur se double de misère. Ce luxueux décor cache des malheureux. Non. La main pleine d'or aisément s'ouvre et donne. Je sais que les Gascons ont l'âme tendre et bonne Et que le vin exquis rend le coeur généreux. La Fille Du Médecin. Lui, c'est le docteur gai, le médecin joyeux. Rien qu'à voir son regard clair et sa mine franche, Les pauvres alités vers lesquels il se penche Reprennent du courage et disent : « Ça va mieux. » Elle, c'est une enfant pieuse et douce, aux yeux Pleins de candeur, un coeur exquis, une âme blanche, Et, pour tous les souffrants, j'en suis sûr, le dimanche, A la messe, elle lance une prière aux cieux. Très savant, mais modeste et peu fier de ses grades, Il sait qu'il fait surtout du bien à ses malades Par le rayon d'espoir qu'il met dans leur esprit; Et, donnant preuve ainsi qu'elle est de la famille, Elle se dit tout bas, la bonne jeune fille, Que son père les soigne et que Dieu les guérit. Haute Ecole. L'averse tombant en déluge, Hier au soir, j'ai profité, Pendant une heure, du refuge Que m'offrait le Cirque d'Été. D'ordinaire, rien ne m'y lasse. J'applaudis tous les « numéros ». Que de courage et que de grâce! Ces baladins sont des héros. Mais, cette fois, - je m'en étonne, -- Ce spectacle, bien fait pour moi, Me semblait froid et monotone, Et je m'ennuyais fort, ma foi! En vain, en jupe diaphane, La ballerine avait dansé Sur le dos, blanc de colophane, D'un vieux cheval, trop bien dressé. En vain l'Anglais, qu'en une rixe Ne vaincraient pas quatre hommes forts, Fit dix fois, sur la barre fixe, Le moulinet avec son corps. En vain le clown, tête falote, Sur le nez tombé lourdement, Fut, par le fond de sa culotte, Relevé délicatement. Je bâillais, ayant peine à suivre Ces exercices et ces tours Que le dur orchestre de cuivre Rythmait d'accords vibrants et lourds. Le programme - vrai protocole - S'épuisait; quand, pour son début, Sur un bai-brun de haute école, La jeune écuyère parut. Bien en selle et très élancée, Elle était adorable à voir, Dressant sur la croupe bronzée Son buste moulé de drap noir. Chaque détail de sa personne Était correct, élégant, fier. On rêvait, devant l'amazone, D'une archiduchesse au Prater. Comme elle était jolie! Et comme Son pur profil aux lourds cheveux, Si brave sous le chapeau d'homme, Semblait dire au cheval : « Je veux! Sous l'éperon de la Viennoise, Il ronflait, rebelle au travail, Dans l'oeil une flamme sournoise, De l'écume plein le poitrail. Mais, ferme sur sa hanche ronde Bride et filet dans son gant blanc, Elle domptait, la svelte blonde, L'animal, de fureur tremblant, Le forçait, en parfaite artiste, A s'agenouiller sur le sol, A valser autour de la piste, A marcher au pas espagnol; Et cela, sans que son visage Parût s'animer du combat, Sans que du bouquet de corsage Une seule rose tombât. Aux très nobles jeux du manège, Je ne suis pas fin connaisseur; Mais, frêle enfant, - Dieu te protège! En toi je salue une soeur; Et, lorsque tu risques ta vie, Bravement, pour nous divertir, Bien fort, dans la foule ravie, Le vieux rimeur doit applaudir. Car ta cravache vaut sa plume. Nous sommes dompteurs aussi, nous, Lorsque frémit, s'ébroue et fume La Chimère entre nos genoux. Elle est rétive, et le poète Est obéi tout de travers, Souvent, par la terrible bête, Dans la haute école des vers. Plus d'un, ô mignonne intrépide, Est tombé du monstre volant; Et le Philistin, groom stupide, Ratissa le sable sanglant. Au Docteur Constantin Paul Pour L'Inauguration De Sa Créche, A L'Hôpital De La Charité. Dés qu'il ouvre à la vie un regard étonné, L'homme se plaint et cherche une main qu'on lui tende_ Même au bord de la tombe, avant qu'il y descende, La douleur, c'est la loi pour cet infortuné. Mais, plus que tout, le cri que pousse un nouveau-né Nous émeut. Car alors l'injustice est trop grande; Alors notre pitié se révolte et demande Pourquoi cet innocent est déjà condamné. Du moins, ami, chez vous, calmé dans sa souffrance, L'enfant pauvre est traité comme un Dauphin de France En son berceau royal paré d'un cordon bleu; Et tandis qu'entouré de bien-être, il sommeille, Ainsi que dans l'étable où vint au monde un Dieu, Une étoile est ici : la Science qui veille. Nostalgie Parisienne. Bon Suisse expatrié, la tristesse te gagne, Loin de ton Alpe blanche aux éternels hivers; Et tu songes alors aux prés de fleurs couverts, A la corne du pâtre, au loin, dans la montagne. Lassé parfois, je fuis la ville comme un bagne, Et son ciel fin, miré dans la Seine aux flots verts. Mais c'est là que mes yeux d'enfant se sont ouverts, Et le mal du pays me prend, à la campagne. Le vrai fils de Paris ne regrette pas moins Le relent du pavé que, toi, l'odeur des foins. Montagnard nostalgique, - il faut que tu le saches, - Mon coeur, comme le tien, fidèle et casanier, Souffre en exil, et l'air strident du fontainier Me ferait fondre en pleurs ainsi qu'un Ranz des Vaches. A Claudius Popelin. Claudius, au reçu de ton charmant message, J'ai lu paisiblement, les pieds sur les chenets, Tes deux cent trente beaux et gracieux sonnets, Sans y trouver jamais cheville ou remplissage. A présent, je te veux, selon l'ancien usage, Dire en quatorze vers bien rimés et bien nets, - Puisque ton amitié croit que je m'y connais, - Que ton livre est celui d'un poète et d'un sage. O toi, l'un des meilleurs entre nos vétérans, Tu me traites en chef et, sans sortir des rangs, Tu demandes, modeste, un galon pour ta manche. Je te le donne avec la médaille et la croix Et j'y joins, en songeant à tes nombreux exploits, Deux baisers fraternels sur ta moustachF blanche. Devant Un Raffet. IL pleut! Oh ! comme il pleut! C'est en France, en Champagne, Pendant cette suprême et terrible campagne Où, plus que jamais grand, Napoléon, devant la Patrie entamée, Seul, à coups de génie et presque sans armée, Lutta contre un torrent. A cheval, combinant ses plans, l'Empereur passe. Ses grenadiers, boueux, courbés, la tête basse, Mais toujours pleins d'espoirs.. Marchent par sections sous l'averse qui croule; Et les bonnets à poils s'amoncellent en foule Comino dos moutons noirs. C'est sa Garde, non plus telle qu'il l'a connue, Quand elle s'alignait, calme, en grande tenue, Et quand, d'un regard prompt, il revoyait, chez ces héros prêts à le suivre, Le soleil d'Austerlitz dans les aigles de cuivre Qui leur ridaient le front. Les voici, ceux d'Arcole et ceux des Pyramides, Qui l'ont vu, précédé de l'escadron des Guides Et suivi par des rois, Arrêtant brusquement l'escorte sans pareille, Venir vers ses grognards pour leur tirer l'oreille Ou leur donner la croix. Les voici, les anciens et d'autres qui les valent. Sur le coteau brumeux d'où leurs masses dévalent, Se dresse un vieux moulin. Hélas! C'est sur le sol français qu'ils font la guerre, Eux qu'il mena jadis des minarets du Caire Aux dômes du Kremlin. Mais c'est toujours sa garde. Ils vont, le coeur, tranquille, Le chien du régiment marchant en serre-file, Déguenillés, affreux. Abritant le fusil du pan de la capote, Ils défilent. Toujours l'éperon de sa botte Est le soleil pour eux. Qui donc pourrait douter, chez les Vieux de la.Vieille, De l'Empereur? Il fut victorieux la veille; Il va vaincre aujourd'hui. On est un contre cent, et plus d'un chef défaille, Mais qu'importe?... Il est là, qui pense à sa bataille; Eux ne pensent qu'à lui. Derrière les tambours, leur caisse sur l'épaule, Il chevauche, accablé comme Atlas sous le Pôle, Sombre et baissant les yeux. C'est la fin! L'Aigle en est à ses derniers coups d'ailes! Et c'est poignant à voir, tous ces regards fidèles Sur ce dos soucieux. Que tu les as bien peints, Raffet, ô noble artiste, Ces tragiques soldats, sous leur moustache triste, Mâchant des jurons sourds! Tu résumas d'un mot leur àme rude et grande « Ils grognaient » - as-tu dit, dans ta belle légende - « Et le suivaient toujours. » Or je rêve, ce soir, devant la vieille estampe... Nos drapeaux de vaincus sont roulés sur la hampe, Honneur, gloire, patrie, oh! les mots imprudents La guerre, horreur! La guerre est absurde et barbare! Pourtant, à force d'or, partout on s'y prépare. 0 peuples fraternels, armons-nous jusqu'aux dents! Nous aimons à ce point la paix, nous et nos maîtres, Qu'il faut que ce canon porte â dix kilomètres Et couche un régiment, d'un seul coup, sur le sol. L'homme enfin devient bon et n'est pas sanguinaire. Chimiste, asservis-nous la foudre et le tonnerre, Dussent tes explosifs servir à Ravachol ! Et plus de guerre ainsi. N'est-ce pas remarquable? La misère est atroce et l'impôt nous accable. Simple détail. Sachez, ô va-nu-pieds d'hiver, Que nouspourrions chausser demain vingt corps d'armée. Ne te révolte pas surtout, foule affamée! Pour qui réclamerait du pain, on a du fer. Admirons le progrès et ses bienfaits modernes. Que d'arsenaux bondés d'obus! Que de casernes! Tout le monde est soldat avec ou sans galons. Oui, tous, jusqu'aux curés, vont au tir à la cible. Mais nous rendons ainsi toute guerre impossible; Et c'est la paix, et c'est tout ce que nous voulons. Est-il fini, ce long massacre qu'est l'histoire? En tout cas, maintenant, c'est l'état transitoire. Plus de patrie!... Oui, c'est le but où nous marchons. Déjà maint orateur s'étonne en sa harangue Que des gens tout au plus différents par la langue Aillent s'entre-tuer sous de sanglants torchons. Voyez d'ailleurs quels bons effets, chauvins austères, La paix eut sur nos meurs et sur nos caractères, Et de quelle indulgence elle nous anima. Aristide ennuyeux, fuis, criblé de coquilles! Aux amputés d'honneur nous mettons des béquilles. Ils sont tous renommés, messieurs du Panama! L'important, le voici : I'as d'homme populaire! « Gloire », un mot à rayer dans le vocabulaire. Nous avons interdit les fleurs et les discours Pour un pauvre soldat, vainqueur de quelques nègres; Et nos législateurs - cette bande d'intègres! - En ont eu la colique au moins pendant huit jours. Décadence! dit-on?- Non pas : raison, sagesse. L'ordre est parfait. Le riche augmente sa richesse. Qui parle de Strasbourg, de Metz?... Faits accomplis. Tout le monde est content, puisque la Bourse monte. Eût-on fait au drapeau quelques taches de honte, Cela ne se voit pas; le vent y met des plis. Crachons la bile de nos bouches; Du présent détournons les yeux. O siècle, soleil qui te couches, Songe à ton lever radieux! France, ton coeur bat avec force En évoquant l'officier corse Qui, sous son pied, semble pétrir Un boulet dont la forme ronde Est pareille à celle du Monde Qu'il médite de conquérir. Peuple qu'au hasa,d on commande Et qu'oppresse un lourd cauchemar, Console-toi par la légende De ton Consul, de ton César. Oh! quel passé se développe! Ses aigles planent sur l'Europe; Tout tremble au bruit de ses canons. Les victoires, il les entasse; Et nos drapeaux n'ont plus de place Pour y broder de nouveaux noms. Oui, que de morts! que d'hécatombes! Mais, ô gloire, c'est ta rançon! Des lauriers fleuris sur les tombes Ne voyons plus que la moisson. Colonne de mil huit cent onze, Que d'hommes a coûtés ton bronze! Mais sur l'airain éblouissant Nos larmes amères, versées Par regret des grandeurs passées, Ont lavé les taches de sang. Devant l'avenir qui se voile, Nous sommes sans espoir ni foi. O chef qui montrais une étoile, Heureux ceux qui sont morts pour toi? Car ils songeaient, dans la tuerie, A la splendeur de leur Patrie Devant l'Univers stupéfait, Et, même en allant vers l'abîme, Ils gardaient votre ardeur sublime, Sombres grenadiers de Raffet! A Mounet-Sully. Après une représentation de la Grêve des Forgerons. VOILA près de trente ans qu'on s'aime, s'il vous plaît. Je revois l'Odéon au fond de ma mémoire. Alors mon Forgeron contait sa sombre histoire En empruntant la voix d'airain de Beauvallet. En ce temps-là, l'artiste en vous se révélait Déjà; mais nous étions peu nombreux à le croire. Puis, un jour, tout à coup, vous montiez dans la gloire, Vous étiez Hernani, Ruy Blas, OEdipe, Hamlet. Enfin, mon cher Mounet, vous eûtes le caprice D'être le Père Jean parlant à la justice. Grâce à vous, mon récit tout simple est devenu Un drame de pitié, de terreur, de tendresse. Le beau triomphe!... Et moi, j'écoutais, tout ému, Mon vieil ami disant les vers de ma jeunesse. A Sarah Bernhardt. Pour Une Représentation Triomphale. «Mignonne, c'est l'Avril. » -Que c'est loin le décor Tout bleu de lune, Agar avec sa voix profonde, Le Passant florentin à chevelure blonde, Et mes vers d'écolier dits par tes lèvres d'or! Sarah, ce souvenir est mon plus cher trésor. Avec toi, depuis lors, ô Muse vagabonde, L'art et la poésie ont fait le tour du monde, Et ton génie a pris un merveilleux essor. Tu triomphes, ce soir. Permets qu'en cette fête, La lointaine chanson de ton premier poète, En caressant ton coeur, dise : « T'en souvient-il? » Le passé ne peut pas attrister ta mémoire! Car, pour toi, belle et noble artiste en pleine gloire, C'est toujours la jeunesse et c'est toujours l'Avril! Souvenir Profond. Un nom cher fut gravé sur un arbuste frêle. L'arbre, aujourd'hui géant, ~a cent fois reverdi. Vois. Sur le tronc rugueux les lettres ont grandi. Tel, dans un coeur aimant, un souvenir fidèle. Compliment. Tous ces jours-ci, mes chers lecteurs, je désirais, Tel un petit garçon qui, frisé tout exprès, Présente son rouleau noué d'un ruban rose, Vous offrir un joli compliment - vers ou prose - Pour l'an qui, cette nuit, naquit et commença. Mais, quand j'étais enfant - oh! pas plus haut que ça! Dans ce genre déjà je n'ai pas fait merveille. Le texte, qu'à l'école on nous donnait, la veille, Et qu'il fallait, le soir, au logis copier, M'effrayait. J'ai noirci, depuis, bien du papier; Mais c'étaient mes débuts dans la littérature. Ces phrases, réclamant ma plus belle écriture, Étaient alors, pour moi, pleines de a mots d'auteur » Sur mon grand tabouret, pour être à la hauteur Du pupitre, j'avais un Boiste en deux volumes; Devant moi, sur la table, un encrier, des plumes, Plus un bristol orné d'un beau feston doré Et fleuri d'un petit bouquet peinturluré. Devant ce grand travail, que j'étais mal à l'aise! Fallait-il adopter la bâtarde ou l'anglaise ? Que faire? Je mouillais ma plume avec effroi, Je songeais au tableau du passage Jouffroy, Où monsieur Favarger mit trois ans de sa vie, Chef-d'oeuvre et dernier mot de la calligraphie, Qui, montre aux gens, par un tel art humiliés, Le « Lion d'Androclès » en « pleins » et « déliés »; Et, le dos rond, roulant les yeux, tirant la langue, Je transcrivais alors ma petite harangue. Pas mal le « Chers parents, à qui je dois le jour ». Mais, lorsque j'arrivais au « coeur rempli d'amour », Comment écrire « coeur » ? « Coeur », un mot difficile... Je m'agitais et, comme un petit imbécile, Je me mettais, avec des gestes consternés, De l'encre au bout des doigts, de l'encre au bout du nez. Alors, j'étais perdu. Les fautes d'orthographe Pleuvaient. Je signais mal et ratais mon paraphe, Et sur mes beaux souhaits de joie et de santé, Je laissais choir enfin un monstrueux pâté. C'était affreux! Pourtant, plein d'une angoisse énorme, Le lendemain, avec ce manuscrit informe, Quand je me présentais devant mes bons parents, Ils prenaient le papier, ouvraient les yeux tout grands, S'écriaient ; « C'est superbe! » et, sans dédains ni moues, Embrassaient tendrement leur fils sur les deux joues. Oui, ma page illisible, ils semblaient l'admirer. Et l'on ouvrait l'armoire, et j'en voyais tirer Des trésors, un tambour, un fusil à capsules! Et je m'en emparais, joyeux et sans scrupules, Ne sachant pas alors - pour l'enfant tout est beau - Pourquoi mon père avait toujours un vieux chapeau Et pourquoi la maman, sainte parmi les saintes, Portait des gants flétris et des jupes reteintes. Aux humbles, comme moi nés dans la pauvreté, je souhaite d'abord avec sincérité, Quand la nouvelle année entreprend sa carrière, Le pain quotidien de la vieille prière; Et puis, pour qu'ils ne soient jamais trop malheureux, je leur souhaite encor de bien s'aimer entre eux. Du pain et de l'amour! Tout est là. Le pauvre homme N'a vraiment pas le droit de trop se plaindre, en somme, Si, du berceau d'osier au cercueil de sapin, Toute sa vie, il a de l'amour et du pain. Mes honnêtes parents n'eurent pas davantage; Mais la bonté régnait dans leur coeur sans partage. Des sentiments profonds ils ont connu le prix, Et, si je sais aimer, c'est qu'ils me l'ont appris. Et tel riche, donnant de splendides étrennes, N'éprouve pas leur joie en ces heures sereines, Quand ils payaient, ayant épargné quelques sous, Mon mauvais compliment par de pauvres joujoux. Mes amis, en ce jour qui groupe la famille, Si cher que soit le pain, si peu que le feu brille, Épanouissez-vous, ne devenez pas durs. Quand les enfants viendront vous tendre leurs fronts purs, A défaut de cadeaux, comblez-les de caresses. Entretenez en eux le foyer des tendresses, Comme, en soufflant dessus, on rallume un charbon. Le méchant souffre, et presque aucun homme n'est bon Que grâce aux souvenirs de son enfance aimée, Dont son âme demeure à jamais parfumée. A l'Exilée. (Vingt-Cinq Ans Après) DANS l'église, qu'est-il de plus sacré? Le choeur. Et, dans le choeur? L'autel. Sur l'autel? Le calice. Pour qu'il te purifie et pour qu'il t'ennoblisse, Garde son souvenir, calice de mon coeur! A Toulouse. Éloge de Clémence Isaure prononcé à l'Académie des jeux Floraux. AINsI qu'un paysan qui défriche des landes, Pour semer de l'avoine où poussait l'ajonc d'or, Du passé, paysage hier sauvage encor, L'Histoire impitoyable arrache les légendes. Mais la plus gracieuse.ici n'a point péri. Toulouse croit toujours que, sous le ciel sonore, Les poètes jadis, devant Clémence Isaure, Accouraient, au printemps, dans le verger fleuri. Ils se rangeaient, le coeur et l'esprit en délire, Debout, rebec en main, dans l'agreste pourpris, Où la Dame aux vainqueurs devait donner ce prix Une fleur moins suave encor que son sourire. Tour à tour, ils chantaient, les premiers, les meilleurs... Et qu'ils devaient alors dire de belles choses, Trouvant là, sous l'abri des rameaux blancs et roses, Toute la poésie : une femme et des fleurs! Leurs doux vers, vous croyez encore les entendre, Et la Dame idéale, oui, vous croyez la voir, Distribuant, parmi les fils du Gay Savoir, Le Lys au plus candide et la Rose au plus tendre. Oui, vous vous souvenez, depuis cinq fois cent ans, D'Isaure et des rythmeurs réunis autour d'elle; Et Toulouse, à l'usage exquis restant fidèle, Célèbre par des vers le retour du printemps. Et parce qu'elle fut toujours fière et jalouse De ses anciens chanteurs et de sa Cour d'Amour, Parce que, chaque année, elle consacre un jour A la noble légende, un charme est sur Toulouse. II circule dans l'air de l'unique cité Où, dans le mois fleuri, l'idéal ait sa fête; Et chaque Toulousain se sent un peu poète, Quand le grand souvenir d'Isaure est exalté! Alors, trêve aux ennuis! Trêve aux vulgaires proses! Le soleil est plus chaud et les cieux sont plus purs. Sur la brique pâlie et tiède des vieux murs, Il semble, ce jour-là, qu'il ait neigé des roses. Ce jour-là, les amis qui chantent en patois - Fleur par Rome greffée au vieil arbre de Gaule - Et qui s'en vont par couple et se touchant l'épaule, Donnent plus d'harmonie à l'accord de leurs voix. Sous l'ombrage léger des frondaisons nouvelles, En ce pays fameux chez tous les voyageurs, Pour les regards de flamme et les lèvres de fleurs, Les femmes, ce jour-là, les femmes sont plus belles. Et l'étranger qui passe et soudain est ému Par cette poésie éparse qui l'enivre, S'il est jeune, se dit : « C'est là qu'il fait bon vivre! n Et s'il est vieux : « C'est là que j'aurais bien vécu! » Cet étranger, c'est moi. - Parisien quand même, Je ne médirai point, injuste et maladroit, De mon aigre printemps où les lilas ont froid. Je suis né sous ce ciel pâle et fin, et je l'aime. Mais le Midi d'azur et de vent parfumé, Le Nord brumeux, l'Ouest si frais sous les averses, Plaines et monts, climats changeants, races diverses, C'est notre France, c'est le pays bien-aimé! Et partout j'en suis fier. J'ai vu, dans la Garonne, Par un jour éclatant, Toulouse se mirer; Et, joyeux, j'y reviens encor pour admirer, Ma France, un des plus beaux joyaux de ta couronne! Vous m'avez appelé. Vers vous j'ai pris mon vol; Mais, moineau de Paris, me voilà tout timide Et confus de chanter dans ce Midi splendide Où l'on entend si tôt le chant du rossignol. Souvenir De Genève. C'EST un de mes plus vifs souvenirs. - A Genève, Par un brouillard épais, me trouvant, en hiver, Avec un bon ami, pour revoir le ciel clair, J'ai gravi lentement les pentes du Salève. Le voyage est très court, le but délicieux. Car, de la brume opaque, à mi-côte, on émerge; Et l'azur vous sourit de son regard de vierge, Et l'on est inondé par un soleil joyeux. Dire ce qu'on éprouve alors, oh! le pourrai-je?... Nous étions là, dans l'or et dans le bleu noyés; Et le nuage lourd, sous nos yeux, à nos pieds, Semblait un lac de lait, borné de monts de neige. Mais on sentait qu'au fond de l'océan lacté, Palpitait de la vie; et, de cette mer blanche, Montaient le tintement des cloches du dimanche, Des appels, tous les bruits confus de la ciré. C'était d'une beauté sublime, mais étrange, Et - féerique détail! - je voyais, tour à tour, Plonger dans le brouillard et reparaître au jour Les mouettes au vol puissant, aux ailes d'ange. Or, tout pensif, devant ce spectacle irréel, J'ai comparé l'oiseau du Léman au poète Dont toujours flotte et va la pensée inquiète Du gouffre de la vie à l'abîme du Ciel. :Décembre 1893. Aux Étudiants. Q-Uol? Des mascarades!... Ainsi On fera la noce quand même. Écoliers de la Mi-Carême, Le moment est-il bien choisi? La dynamite meurtrière Est toute prête, quelque part. Téméraires comme jean Bart, Vous fumez sur la poudrière. Lorsque dans sa boîte- de thon L'anarcko met sa poudre verte, Vraiment, cela me déconcerte, La musique d'un mirliton. Malgré l'échafaud et le bagne, Des fous mitraillent les oisifs. Et j'entends d'autres explosifs Qui sont des bouchons de champagne. Vous invitez pour le cancan Margot, Joséphine ou Constance; Vous écrivez : « Ici l'on danse » Près du cratère d'un volcan. Une neige de papier tombe Sur le passant abasourdi. Vous nous criblez de confetti, Camarades... Gare la bombe!... Ceci n'est point une leçon. Non, je me dis, en conscience, Que votre folle insouciance Contre ma tristesse a raison. A votre âge, L'espoir enivre. Vive demain!... Qu'importe hier?... On veut, même en des jours de fer, Jouir de ses vingt ans et vivre Soit! Riez et chantez en choeur. - La jeunesse est si tôt passée! - Pourtant qu'une grave pensée, Tout d'abord, vous vienne du coeur. Songez que ce siècle est coupable, qu'il sera bientôt châtié, S'il n'apaise par la pitié Le désespoir du misérable. Songez que votre Carnaval Serait effrayant, si la plainte D'un meurt-de-faim était éteinte Par les cuivres stridents du bal. Songez qu'elle est très nécessaire Et qu'on ne peut trop la grossir, Cette dîme que le plaisir Doit justement à la misère. Quand tant de coeurs sont endormis, Que le Pauvre, dans votre fête, Ait sa part, et largement faite! Donnez l'exemple, mes amis. Oui, c'est cela qu'il faut vous dire. Vous êtes bons, soyez meilleurs. Ce n'est qu'en séchant bien des pleurs Qu'on a droit à l'éclat de rire. Février 18??}. A Georges Druilhet. Pour son livre Au Temps des Lilas. PRÈS de ma 'treille aux tons de cuivre Dont se dore le chasselas, Poète, j'ai lu votre livre D'où sort un parfum de lilas. C'est du printemps à chaque ligne; Et, de mon coeur sec et fripé Comme les feuilles de ma vigne, Un gros soupir s'est échappé. Car j'entends le bruit monotone Des Parques tournant leurs fuseaux, Quand vous offrez à mon automne Votre Avril plein de chants d'oiseaux; Car, sans espoir qu'elle renaisse, Je respire, en vos lilas frais, Mon exquise et pauvre jeunesse, Et je suis navré de regrets. Vieillir! Grand chagrin des poètes! Je fus, ma parole d'honneur, Absolument tel que vous êtes, Aimeur, rimeur, rêveur, flâneur. L'attraction nous est commune, Qui vous mène et qui me menait Sur les quais, par les nuits de lune, Murmurant les vers d'un sonnet. La forêt et ses rouges-gorges Sont trop loin, l'hiver. J'allais voir Le couchant allumer ses forges Au bout d'un faubourg sale et noir; Et, comme vous, j'ai fait des lieues, Captif, pour mon pain, dans Paris, A travers les mornes banlieues Et sous leurs arbres rabougris. Oui, livre charmant, tu l'exhumes, Le souvenir des anciens jours. Oui, Georges Druilhet, nous eûmes Mcme printemps, mêmes amours. La maîtresse fausse et câline Dont vous vous plaignez aux échos,. Jadis trompeuse en crinoline, L'est encore en robe à gigots. Je te reconnais bien, ô folle Gamine de Paris, qui n'as qu'un sein jeune et qu'un coeur frivole Sous la toile ou le jaconas; Et l'autre infidèle que chante Ce poète en ses vers si doux, Elle est pareille à toi, méchante, Qui manquais tous nos rendez-vous. Que l'attente est longue et cruelle! Quand, dans l'ombre, luit un jupon, On tressaille... Ce n'est pas elle!... Et l'on souffre, mais que c'est bon! Car on la revoit, plein de haine; Niais elle a des yeux si touchants!... Et l'on pardonne; et dans la plaine, On va faire un bouquet des champs; Et quand juin fleurit les pelouses, Oh! l'enivrante volupté De sécher ses larmes jalouses Sur un frais corsage d'été! Maintenant vous êtes en rade, Loin des orageuses amours, Et dormez, heureux camarade, Sur un coeur à vous pour toujours. Niais n'importe, elle est bien jolie, Votre printanière chanson, Et m'emplit de mélancolie, Moi, vieux poète et vieux garçon. Je n'ose plus dire : « Je t'aime! » Et me voici tout triste, hélas! Dans la saison du chrysanthème, D'avoir respiré vos lilas. Voyageurs. UNE mer d'huile, un ciel étoilé. Pas un souffle. Deux passagers, cigare aux dents, sont sur le roufle Du steamer qui, poussé d'un furieux élan Par cette nuit d'azur, fait route pour Ceylan. Il dessert, en un mois, l'Inde et les mers de Chine. C'est un hôtel flottant, à la double machine, De lampes d'Édison partout illuminé, Où les deux « glob-trotter » tout à l'heure ont dîné, Des laquais en frac noir leur changeant les assiettes. Mais ils sont mécontents du pâté de mauviettes, Trop lourd, et du pomard qu'ils n'ont pas trouvé bon. Puis que de temps perdu pour faire du charbon, Aux escales! Quel long, quel ennuyeux voyage! Le paquebot, traçant un énorme sillage, Se hâte, et, sous l'effort, est fébrile et tremblant. Toujours les deux fumeurs se plaignent. « Que c'est lent. Dit l'un, sportman fameux et « fusil » redoutable, Grosse bête vivant pour chasser son semblable. J'ai grand'peur, après tant de retards et d'arrêts, De ne pas arriver, le quinze, à Bénarès, Où je suis attendu pour une chasse au tigre. Oui, l'on croirait que c'est pour toujours qu'on émigre, Répond l'autre, un marchand très riche. Si l'on va De ce train, s'il vous plaît, quand serai-je à Java, Où m'appelle, monsieur, une petite affaire Qui ne peut pourtant pas souffrir qu'on la diffère? Mon cigare est éteint... Un peu de feu... Merci... Et notez bien que dans six semaines d'ici, Il me faut, pour rentrer, prendre l'express à Brindes. » . . . . . . . . O Vasco de Gama, qui découvris les Indes, Je songe à toi. Combien de nuits, combien de jours Fallut-il donc à tes navires lents et lourds Pour suivre, par deux fois, la route aventurière? Je te vois, amiral, sur ton château d'arrière, Ayant doublé le Cap des Tourmentes, devant Le mystère liquide et l'infini mouvant Où tu sens un danger de mort sous chaque laine Et qui, pourtant, héros, est moins grand que ton âme. Tu regardes l'abîme et tu n'as pas d'effroi. - Le Cap au Nord! - Pour ton pays et pour ton Roi, Sonde en main, profitant des moindres vents propices, Tu cherches à tâtons le Chemin des Épices. - Droit au Nord! -litais entends la tempête hurler. Conquérant, cette mer que tu veux violer, Oppose à ton effort sa colère de vierge. Tantôt le vaisseau plonge et tantôt il émerge De la houle en fureur qui l'assaille et le mord. Mais tu ne cèdes pas. - Au Nord! Le Cap au Nord! L'orage se dissipe enfin. - Le calme est pire. Une orange qu'on a jetée hors du navire Sur le stagnant miroir est là, huit jours après. La voile en plis pesants pend le long des agrès. Tous crachent sur le pont de hideuses salives, Tant le scorbut cruel leur ronge les gencives. A la côte! Il le faut. Mais là, nouveaux périls : Car, tandis que d'eau douce on emplit les barils, On voit, dans les buissons, ramper des formes lentes. L'horrible peuple noir, crocs blancs, lèvres sanglantes, La sagaie à la main, des collines descend. Comment faire? On ne peut les vaincre, un contre cent, Même avec la bombarde et ses soudains ravages. Mais Vasco conviait l'art de dompter les sauvages; Il montre des présents, il voit à ses genoux Ces nègres demi-nus, ces Maures en burnous, Cerveaux d'enfants qu'un peu de clinquant émerveille; Et, libre, de nouveau, son escadre appareille. - Au Nord-Est maintenant! - Quand verra-t-on la fin Du long trajet? Toujours la fatigue et la faim, Toujours des corps jetés par-dessus le bordage. Mais, soudain, c'est un cri poussé par l'équipage. « Terre! » -Les morts sont morts. Gloire à qui survécut! Car cette ville blanche au loin, c'est Calicut! C'est l'Inde! Cette côte où la lame déferle, On y cueille le poivre, on y trouve la perle. Alexandre le Grand, seul, a vu ces Indiens; Mais les marins naïfs pensent qu'ils sont chrétiens, Car saint Thomas, dit-on, s'enfonçant dans l'Asie, Leur porta la parole et la foi du Messie. Mouille! L'ancre est tombée, au fracas des canons. L'amiral, entouré de ses durs compagnons, Aborde. Tout bardé de fer et les yeux calmes, Sans paraître surpris des monstrueuses palmes, Des teints bronzés, des hauts palais, des éléphants, Il va, parmi les cris de femmes et d'enfants, Vers une église, afin d'y faire sa prière. II entre, et le héros fait un pas en arrière Devant d'horribles dieux, mitrés d'or, aux vingt bras... Après mille dangers, Vasco, tu reviendras. Ton navire, dont sont usés tous les cordages, Les mâts rompus, les flancs rongés de coquillages, Remontera le Tage et reverra les murs De Lisbonne et ses beaux jardins de citrons mûrs. Oh! quel jour, quand venant d'Orient comme un mage Et de tes nobles mains présentant ton hommage De perles, de parfums, de diamants et d'or, Ce cri te saluera : - Gloire au Dcscubridor Qui partit sur la mer infinie et profonde, Conduit par un seul rêve, et qui rapporte un monde! Temps fabuleux! Pourquoi voyager maintenant? On peut errer dans l'un ou l'autre continent Et s'embarquer vingt fois sur la mer bleue ou grise; On ne rencontrera nulle part de surprise. Tout est cent fois décrit, tout est archi-connu, Et partout nous attend l'ennuyeux déjà vu. Un enfant, dès qu'il peut feuilleter des estampes, A fait le tour du monde à la lueur des lampes; Homme, il le referait sans trouver rien de plus. Est=11 un nom, dans tous les Atlas de Reclus, Qui nous fasse rêver encore et nous étonne? Le touriste qui court l'univers monotone Et pour qui, bien des fois, la Croix du Sud a lui, S'il voulait être franc, avouerait son ennui. Quand la cloche du bord sonne l'appareillage, Il se souvient, navré, qu'à son dernier voyage, Il songeait au retour, même avant qu'il partît. Depuis qu'on le connaît, le Monde est si petit! Pour Le Tombeau D'Agar. D'AUTRES rappelleront, Agar, ô noble amie, Sous le souple péplum ton air de royauté, Ton fier regard, ta voix profonde, l'eurythmie De ton geste, et ta pâle et tragique beauté! Ils diront que tu fus de la grande famille Des élus dont la vie est pour l'art un bienfait, Et que, quand tu jouais Hermione ou Camille, Racine était content et Corneille approuvait. D'autres diront aussi que ton sort, pauvre femme, Fut rigoureux, malgré tant de soirs éclatants, Qu'on disputa son trône à la reine du drame, Qu'un très injuste oubli l'exila trop longtemps; Que, dans les durs wagons, la généreuse artiste Reprit les longs chemins où roulèrent jadis, Par tous les temps, et sous un ciel joyeux ou triste, Le coche de Molière et le char de Thespis; Que, pleine de courage et de persévérance, N'emportant qu'un chef-d'oeuvre et quelques oripeaux, Elle fut l'ouvrier qui fait son tour de France, Voyageant, travaillant sans trêve ni repos; Et que, donnant partout un admirable exemple, Prêtresse du grand art et du rythme immortel, D'une grange enfumée elle faisait un temple Et, devant trois quinquets, allumait un autel. Enfin d'autres diront, ô grande àme sincère, Que vaincue, après tant d'efforts et de revers, Tu tombas, demi-morte, une nuit de misère, Sur des tréteaux obscurs, en disant un beau vers. Pour ma part, il suffit qu'aujourd'hui je rappelle - Oh ! mais du plus profond d'un coeur reconnaissant! - Ces vers écrits pour elle et célèbres par elle, Ce duo d'un rimeur écolier, le Passant. Étant l'inspiratrice, elle fut l'inspirée, Près du génie en fleur de la grande Sarah; Et dans l'inoubliable et magique soirée, Un peu de leur succès sur mon nom s'égara. Agar a, ce jour-là, décidé de ma vie. Poètes, tous le sont à vingt ans; mais qui sait? En serais-je encore un si la belle Silvie N'avait pas écouté le chanteur qui passait? Aussi mon souvenir bénit la chère morte, Servante de la Muse et prêtresse du Beau, Lorsque avec mes amis les poètes j'apporte Ma palme à son cercueil, ma pierre à son tombeau. Bon Conseil. Tu te dis en tremblant, mon frère : « 11 faut mourir Cependant la Mort seule est clémente et délivre. Chaque jour te vieillit et te fait plus souffrir; Tu devrais avoir peur en songeant : « 11 faut vivre. » Son Charme. Au premier regard elle plaît, Ma fine blonde au teint de rousse; Mais, seul, je sais combien elle est Silencieuse, tendre et douce. L’air anglais et mise avec goût, La taille svelte et gracieuse, Elle est exquise, mais surtout Tendre, douce et silencieuse. Ses yeux clairs sont de purs émaux, Et mon désir s’y laissa prendre; Mais son vrai charme est dans ces mots Douce, silencieuse et tendre. Taches De son. Sur ta peau si tendre et si lisse, Dont ma bouche sait la douceur, Le soleil d’été, par malice, A mis des taches de rousseur. C’est tous les ans la même chose; Et l’on dirait qu’il veut laisser Sur ton radieux teint de rose Une trace de son baiser. Mais j’aime tout de ce que j’aime; Et ton front, si frais et si doux, M’attire davantage même Constellé de quelques points roux. Quand à mes lèvres tu le portes D’un geste amoureux, je crois voir La neige d’or des feuilles mortes Sur le ciel vermeil d’un beau soir. Confiance. Souvent, libertin lassé de mon rôle, J’ai feint un amour à peine éprouvé. Mais tu m’as guéri, mais je suis sauvé, Depuis que je dors sur ta jeune épaule. C’est un sentiment si frais et si pur, C’est comme une fleur dans mon âme éclose, Lorsque tendrement ma tête repose Sur ton humble coeur dont je suis bien sûr. Je vieillis, j’ai fait deux tiers du voyage; Mais si, quelquefois, j’en suis attristé, Cela passe vite, ainsi qu’en été Glisse sur les champs l’ombre d’un nuage; Car j’ai mon bonheur sincère et permis, Car je suis certain, ô chère maîtresse, Que bientôt, hélas! quand fuira l’ivresse, Nous serons encor de bons vieux amis... Et c’est pour jamais! Et, chauds et fidèles, Mes derniers désirs vont vers ton amour, Comme, dans le ciel d’un dernier beau jour, S’attarde et tournoie un vol d’hirondelles. Source: http://www.poesies.net