Les Humbles. Par François Coppée. (1842-1908) TABLE DES MATIERES La Nourice I II III IV Le Petit Épicier. Un Fils. I II III Petits Bourgeois. En Province. I II III IV V Émigrants. Une Femme Seule. Simple Ambition. Dans La Rue. La Sceur Novice. La Famille Du Menuisier. Le Musée De Marine. Joujoux D'Allemagne. La Nourrice. I ELLE était orpheline et servait dans les fermes. Saint-Martin et Saint-Jean d'été sont les deux termes Où les gros métayers, au chef-lieu de canton, Disputant et frappant à terre du bâton, Viennent, pour la saison, louer des domestiques. A peine arrivait-elle en ces marchés rustiques, Qu'un fermier l'embauchait au plus vite, enchanté Par sa figure franche et sa belle santé; Et les plus rechignés comme ies plus avares Lui prenaient le menton en lui donnant ses arrhes Et lui payaient encore un beau jupon tout neuf. En effet, elle était robuste comme un boeuf, Exacte comme un coq, probe comme un gendarme. Sa tête, un peu commune, avait pourtant ce charme Que donnent des couleurs, deux beaux yeux de vingt ans; De plus, toujours noués de foulards éclatants, Ses cheveux se tordaient, noirs, pesants et superbes. Elle savait filer, coudre, arracher les herbes, Faire la soupe aux gens et soigner le bétail. La dernière à son lit, la première au travail, Aux mille soins du jour empressée et savante, C'était le type enfin de la bonne servante. Sage? Qui sait? Mais nul n'en médisait du moins. Ce n'est que l'autre été, quand on faucha les foins, Qu'elle fut tout à coup prise d'un goût étrange Pour un assez beau gars, mauvais batteur en grange, Qui courait les cafés et vivait de hasards, Mais qui, sept ans, avait servi dans les hussards. Tout fier d'avoir porté jadis la sabretache, II avait conservé la petite moustache Et ce certain air fat qui fait qu'on est aimé. Tout le village était par ce drôle opprimé. Au bal, c'était toujours pour lui les belles filles; Au billard, observant le choc savant des billes, Un cercle d'amateurs éblouis l'entourait. Elle épousa ce beau tyran de cabaret Dont aucun paysan n'avait voulu pour gendre Et qui, lorsque à sa main elle parut prétendre, Fit bien quelques façons, mais ne refusa pas, Sachant les louis d'or cachés dans un vieux bas, Et les rêvant déjà transformés en bouteilles. Toutes ces unions maudites sont pareilles La noce, quelques nuits de brutales amours, La discorde au ménage au bout de quinze jours, L'homme se dégageant brusquement de l'étreinte Pour retourner au vin quand la femme est enceinte, Les courroux que des mots ne peuvent apaiser, Et le premier soufflet près du premier baiser. Puis la misère. Ici l'événement fut pire. Ce fainéant avait des instincts de vampire. Ce monstre, le jour même où sa femme accoucha, - L'huissier ayant saisi le ménage, - chercha Le moyen d'exploiter encore sa femelle; Et, quand il vit son fils mordant à la mamelle, Il se frotta les mains. Chose horrible! il fallut, Pour sauver le vieux toit, la vache et le bahut, Que la mère quittât son pays, sa chaumière, Son enfant, les yeux clos encore à la lumière, Et qui, dans son berceau, gémissait, l'innocent! Qu'elle vendît, hélas! son lait, plus que son sang, Et que, le front courbé par cet acte servile, Douloureuse, elle prît le chemin de la ville. - Elle avait bien d'abord refusé de partir; Mais son homme montrait un réel repentir; Il pleurait; il avait juré de ne plus boire. L'hypocrite disait, - un père, on peut le croire : - « Plus un seul coup de vin! Quant au petit patron, Je' m'en vais, dès demain, le mettre au biberon, Et si Monsieur n'est pas content de la cuisine, Est-ce pour un seul fils que Jeanne, la voisine, A deux seins? L'un des deux sera pour ton petit. » Et, la mort dans le coeur, la nourrice partit. II 0 H ! dans le noir wagon l'horrible nuit passée! Sur le dur banc de bois, dans un coin affaissée, Comme elle médita sur son sort anormal! Ses pauvres seins gonflés de lait lui faisaient mal. Et là-bas, son enfant, éveillé dans sa couche, Réclamait à grands cris et cherchait de la bouche Ce giron où l'on boit la vie avec le lait, Premier asile humain duquel on l'exilait. C'est ainsi qu'elle dut passer la nuit entière, Tout en larmes, mettant la tête à la portière Et buvant à longs traits l'air glacé du ciel noir, Un peu pour se cacher, beaucoup pour ne pas voir, En face d'elle assis, plein de vin et de vice, Un groupe de soldats revenant du service Et qui, par sa présence honnête mis en train, Vociféraient en choeur un immonde refrain : Le tout puant le cuir, le rhum et le cigare. A Paris, un laquais l'attendait à la gare. - Un coupé qu'emportait un cheval très fringant La conduisit devant un perron élégant Où les autres laquais dirent : « C'est la nourrice. » Dans une chambre mauve, adorable caprice De blonde, elle aperçut un berceau près d'un lit; Et devant cet heureux spectacle elle pâlit. En voyant cette jeune et jolie accouchée, Blanche, et sur le berceau de dentelle penchée, Devant ce doux sommeil d'enfant s'extasier, Elle crut voir le sien dans son berceau d'osier, Pleurant auprès du lit d'un père sans vergogne Qui n'entend pas et dort son lourd sommeil d'ivrogne. Elle prit le petit, qui but avidement. La mère souriait. - Le père, en ce moment, Survint et fit la moue en sentant l'atmosphère De la chambre. - Il sortait... pour cette grosse affaire! Des dossiers sous le bras, en noir, un air subtil. « Ah! voici cette femme. Elle est furt bien, dit-il. Mariée? - Il paraît. - Et son pays? - Normande, Près de Caen. - Permettez, chère, cette demande : Le docteur n'est-il pas pour celles du Midi? - Croyez-vous? » Puis, riant de son rire étourdi, La mère dit : « Pour peu que cela vous convienne, Elle est brune, je vais la mettre en Arlésienne. Le costume est joli; puis c'est la mode au Bois. » Le père eut un léger sarcasme dans la voix, Et, s'en allant : « Fort bien. Amusez-vous, ma chère. » Comme elle sentait bien qu'elle était étrangère Et qu'elle allait souffrir dans ce monde nouveau! Son nourrisson n'était ni bien portant ni beau. C'était un pâle enfant, pauvre vie éphémère! Pauvre front condamné! C'est au bal que sa mère, Dans une valse, avait reconnu son état. Dépitée, il fallut bien qu'elle s'arrêtât, En songeant : « Quel ennui, huit longs mois de sagesse! » Et quand vint le moment d'avouer sa grossesse, L'homme - la Bourse avait baissé probablement - Ne trouva tout d'abord qu'un mot suspect : « Vraiment! » Mais, rempli d'à-propos, comme un joueur qui triche, Il s'attendrit bientôt, sa femme étant très riche. III Or la nourrice, ayant sans cesse l'embarras De l'enfant qui criait faiblement dans ses bras Et lui mordait le sein de ses lèvres avides, Errait seule parmi les appartements vides, Et, rustique au milieu du luxe des salons, Comptait les jours d'exil qui lui semblaient si longs. Triste foyer! La mère était toujours en course, Le père était au cercle, au Palais, à la Bourse; Et, quant à leur enfant, ils ne le voyaient pas, Sauf quelquefois, le soir, à l'heure des repas, Où le chef de maison, par pure bonté d'âme, S'écriait : « Votre fils est fort joli, madame! » Puis, époux plein d'égards et sachant ce qu'il doit, Il riait au petit et lui donnait son doigt. Mais Madame bâillait, n'étant pas satisfaite D'une robe apportée alors pour quelque fète, Et, jugeant qu'on avait assez de l'avorton, Disait : « Il se fait tard. Allez coucher Gaston. » Qu'importaient cependant à la pauvre nourrice L'abandon désolant, la maison corruptrice, Ce faible enfant malade et refusant son lait, Les habits d'opéra-comique qu'il fallait, Par les jours de soleil, montrer aux Tuileries, Les repas à l'office et les plaisanteries De la femme de chambre et des valets railleurs? Pauvre mère! son âme était toujours ailleurs; Toujours elle suivait - hélas! par la pensée - Sa lettre, la dernière au pays adressée, La réponse si lente et venant de si loin; Et puis elle courait chez l'écrivain du coin Dont l'enseigne, chef-d'oeuvre affreux de calligraphe, Présente un Béranger tracé d'un seul paraphe. Enfin on répondait : « L'enfant se porte bien; Il profite, il grandit, il ne manque de rien. Mais il faut de l'argent. L'huissier gronde et réclame. » Elle baisait la lettre, et, le bonheur dans l'âme, A l'époux qui mentait - dévouement incompris - Sur le libre flâneur qui se promène et fume, L'infecte odeur du poêle à qui l'on s'accoutume, Mais qui vous fait pourtant tousser tous les matins, Le journal commenté longuement, les festins De petits pains de seigle et de charcuterie, Le calembour stupide et dont il faut qu'on rie, L'entretien très vulgaire avec le sentiment De chacun sur les chefs et sur l'avancement, Le travail monotone, ennuyeux et futile, Le dégoût de sentir qu'on est un inutile, Et, pour moment unique où l'on respire enfin, Le lent retour, d'un pas affaibli par la faim Que doit mal apaiser un dîner toujours maigre. - En vieillissant, sa mère était devenue aigre. Son long chagrin, souffert avec tant de vertu, - Il faut bien l'avouer, - trop longtemps s'était tu : Le coeur subit deux fois les douleurs qu'il faut taire. De plus elle allait mal. Enfin son caractère, Même à ce fils chéri, paraissait bien changé. Le repas était donc par lui-même abrégé; II souffrait trop alors, pour lui comme pour elle, De la voir agiter quelque vaine querelle, Et toujours, le plus tôt possible, il s'en allait. - A cette heure, au surplus, son devoir l'appelait Dans le petit café-concert de la barrière, Où chaque soir, tenant son violon, derrière Un pianiste, chef d'orchestre sans bâton, Et non loin d'un troupier soufflant dans un piston, Il écoutait, distrait, et sans les trouver drôles, La chanteuse fardée et montrant ses épaules, Le baryton barbu gêné dans ses gants blancs, Et le pitre aux genoux rapprochés et tremblants, En grand faux col, faisant des grimaces atroces Et contant au public charmé sa nuit de noces. Vers minuit seulement, enfin il se levait, Rentrait, ouvrait parfois ses livres de chevet. Mais, de lire n'ayant même plus l'énergie, Il se couchait, afin d'épargner la bougie. Cela dura cinq ans, dix ans, quinze ans. Hélas! Quinze fois quand revint la saison des lilas, Dans la rue, il put voir, par les soirs de dimanches, Les fillettes du peuple, en fraîches robes blanches, Près du trottoir où sont les pères indulgents, Jouer à la raquette avec les jeunes gens, Tandis qu'il s'éloignait, toujours seul, le timide. 11 ne passa jamais devant la pyramide Des bols à punch ornant le comptoir d'un café, Où souvent il avait, au passage, observé De vieux garçons, amis des voluptés sans fièvres, Brassant les dominos, la pipe entre les lèvres, Qui s'appelaient « Mon vieux » et caressaient leur chien. Il enviait leur sort, car tel était le sien : Gagner le pain du jour et le terme au trimestre. Dans les commencements qu'il fut à son orchestre, Une chanteuse blonde et phtisique à moitié Sur lui laissa tomber un regard de pitié; Mais il baissait les yeux quand elle entrait en scène. Puis, peu de temps après, elle passa la Seine Et mourut toute jeune, en plein quartier Bréda. A vrai dire, il l'avait presque aimée, et garda Le dégoût d'avoir vu - chose bien naturelle - Les acteurs embrassés et tutoyés par elle; Et son métier lui fut plus pénible qu'avant. IV 0r l'état de sa mère allait en s'aggravant. Une nuit vint la mort, triste comme la vie; Et, quand à son dernier logis il l'eut suivie, En grand deuil et traînant le cortège obligé Des collègues heureux de ce jour de congé, Il rentra dans sa chambre et songea, solitaire. Il se vit sans amis, pauvre, célibataire, Vieil enfant étonné d'avoir des cheveux gris; II sentit que son âme et son corps avaient pris, Depuis vingt ans, la lente et puissante habitude De l'ennui, du silence et de la solitude; Qu'il n'avait prononcé qu'un mot d'amour : « Maman, » Et qu'il n'espérait plus que son simple roman Pût s'augmenter jamais d'un plus tendre chapitre. - Le jour à son bureau, le soir à son pupitre, Il revint donc s'asseoir, résigné, mais vaincu; Et, libre, il vit ainsi qu'esclave il a vécu. Même dans la maison qu'il habite, personne Ne songe qu'il existe, et, la nuit, quand il sonne, Le vieux portier - il a soixante-dix-sept ans Et perd la notion des choses et du temps - Se réveille, maussade, et murmure en son antre : « C'est le petit garçon du cinquième qui rentre. » Le Petit Épicier. C’était un tout petit épicier de Montrouge, Et sa boutique sombre, aux volets peints en rouge, Exhalait une odeur fade sur le trottoir. On le voyait debout derrière son comptoir, En tablier, cassant du sucre avec méthode. Tous les huit jours, sa vie avait pour épisode Le bruit d’un camion apportant des tonneaux De harengs saurs ou bien des caisses de pruneaux ; Et, le reste du temps, c’était dans sa boutique, Un calme rarement troublé par la pratique, Servante de rentier ou femme d’artisan, Logeant dans ce faubourg à demi paysan. Ce petit homme roux, aux pâleurs maladives, Était triste, faisant des affaires chétives Et, comme on dit, ayant grand’peine à vivoter. Son histoire pouvait vite se raconter. Il était de Soissons, et son humble famille, Le voyant à quinze ans faible comme une fille, Voulut lui faire apprendre un commerce à Paris. Un cousin, épicier lui-même, l’avait pris, Lui donnant le logis avec la nourriture ; Et, malgré la cousine, épouse avare et dure, Aux mystères de l’art il put l’initier. Il avait ce qu’il faut pour un bon épicier : Il était ponctuel, sobre, chaste, économe. Son patron l’estimait, et, quand ce fut un homme, Voulant récompenser ses mérites profonds, Il lui fit prendre femme et lui vendit son fonds. - Quand on trouve un garçon pareil, il faut qu’on l’aide Disait-il. La future était aisée et laide, Mais ce naïf resta devant elle tremblant ; Et quand il l’amena, blonde en costume blanc, La boutique aux murs noirs lui parut toute neuve. Or sa mère, depuis quelques mois, était veuve. Vite il l’alla chercher et lui dit, triomphant : - Viens donc, tu berceras notre premier enfant. C’était déjà son rêve, à cet homme, être père ! Mais il ne devait pas durer, le temps prospère : Sa femme n’aimait pas le commerce ; elle était Hargneuse, lymphatique et froide ; elle restait A l’écart et passait des heures dans sa chambre. De sa boutique ouverte au vent froid de décembre, Lui ne pouvait bouger, mais ne se plaignait pas ; Car sa mère, en bonnet et tricotant des bas, Était là, toute fière et de son fils et d’elle, Tandis qu’il débitait le beurre et la chandelle. Donc il était encor satisfait comme ça. Mais, dans un mauvais jour, sa femme s’offensa De ce qu’il ne rut pas seul comme elle, et l’épouse, - Vieille histoire, - devint de la mère jalouse. Celle-ci comprit tout : - Mon enfant, j’avais cru, Lui dit-elle, pouvoir bien vivre avec ma bru. Mais, à la fin, il faut que je le reconnaisse, Je la gêne et ne puis plaire à cette jeunesse. Je retourne à Soissons, vois-tu, cela vaut mieux. Elle dit, de l’air doux et résigné des vieux, Et partit, sans pleurer, mais affreusement triste. Hélas ! il n’avait pas ce qui fait qu’on résiste. Il consentit, devint plus morose qu’avant Et pria, tous les soirs, pour avoir un enfant. Car c’était là son but, décidément. Ce rêve, Cet instinct, ce besoin le poursuivait sans trêve, Il n’avait qu’un désir, il n’avait qu’un espoir : Être père ! c’était son idéal. - Le soir, Quand un noir ouvrier, portant un enfant rose, Entrait dans sa boutique acheter quelque chose, Soudain il se sentait plein d’attendrissement. Mais les ans ont passé, lentement, lentement. Il comprend aujourd’hui que ce n’est pas possible ; Il partage le lit d’une femme insensible, Et tous les deux ils ont froid au coeur, froid aux pieds. - Ah ! les rêves aussi durement expiés Allument à la longue un désespoir qui couve ! Cet homme est fatigué de l’existence. Il trouve, - Où de pareils dégoûts vont-ils donc se nicher - La colle et le fromage ignobles à toucher. Il hait le vent coulis qui souffle de la rue, Il ne peut plus sentir l’odeur de la morue, Et ses doigts crevassés, maudissant leur destin, Ont trop froid au contact des entonnoirs d’étain ! Pourtant il brille encore un rayon dans cette ombre. Derrière son comptoir, seul, debout, le coeur sombre, Quand il casse du sucre avec férocité, Parfois entre un enfant, un doux blondin, tenté Par les trésors poudreux du petit étalage. Dans la naïveté du désir et de l’âge, Il montre d’une main le bonbon alléchant Et de l’autre il présente un sou noir au marchand. L’homme alors est heureux plus qu’on ne peut le dire Et, tout en souriant, - s’ils voyaient ce sourire, Les autres épiciers le prendraient pour un fou, - Il donne le bonbon et refuse le sou. Mais aussi, ces jours-là, sa tristesse est plus douce ; S’il lui vient un dégoût coupable, il le repousse ; Il rêve, il croit revoir sa mère qui partit, Soissons, et le bon temps, quand il était petit. Le pauvre être pardonne, il s’apaise, il oublie, Et, lent, casse son sucre avec mélancolie. Un Fils. A Alexis Orsat. I Quand ils vinrent louer deux chambres au cinquième, Le portier, d’un coup d’oeil plein d’un mépris suprême, Comprit tout et conclut : - C’est des petites gens. Le garçonnet, avec ses yeux intelligents, Était gai d’être en deuil, car sa veste était neuve. Vieille à trente ans, sa mère, une timide veuve, Sous ses longs voiles noirs cachait ses yeux rougis ; Et quand on apporta dans ce pauvre logis Leur mobilier, - il faut que du terme il réponde, - Le portier s’assombrit : - C’est du tout petit monde, Pensa-t-il. Néanmoins, leur humble logement Étant payé le huit très-régulièrement, II corrigea son mot : - Du petit monde honnête. Mais quand il sut l’instant de leur coup de sonnette, Il ne se pressa plus pour tirer le cordon, - Par dignité ! - La veuve avait pourtant bon ton, Et, pour vivre, courait les leçons de solfége. A l’heure où son cher fils revenait du collége, Elle était de retour et faisait le dîner. Le dimanche, ils allaient souvent se promener Ensemble au Luxembourg, donnaient du pain aux cygnes Et revenaient. C’était de ces misères dignes Et qui, lorsqu’on leur veut montrer de l’intérêt, Ont un pâle sourire et gardent leur secret. Ils plurent aux voisins. D’abord froide, la loge Désarma. Le concierge eut quelques mots d’éloge ; Et quand, six ans plus tard, un soir, il eut appris Que le jeune homme avait obtenu tous les prix, Ce père, ému par tant de courage et de zèle, Rêva ceci : - Plus tard ?- Pour notre demoiselle ?- Or, ce jour-là, tandis que le rhétoricien, Radieux de l’orgueil de sa mère et du sien, Pour la vingtième fois lui montrait son trophée Et l’embrassait, au point qu’elle était étouffée, Lui parlant à genoux ainsi qu’un amoureux Et lui disant : - Maman, que nous sommes heureux ! Elle prit les deux mains de son fils dans les siennes Et, tout à coup, laissant les douleurs anciennes Toutes en même, temps s’échapper de son coeur, A ce naïf, à cet heureux, à ce vainqueur, Elle livra le mot de la science amère. Il apprit qu’il n’avait que le nom de sa mère Et qu’elle n’était pas veuve aux yeux de la loi. Elle gagnait sa vie à vingt ans. Mais pourquoi Laisser aller ainsi, seule, une jeune fille ? La maitresse de chant et le fils de famille : Un drame très-banal. Le coupable était mort Brusquement, sans avoir pu réparer son tort ; Elle eût voulu le suivre en ce moment funeste, Mais elle avait un fils : - Un fils ! tu sais le reste. Voilà, depuis seize ans, mon désespoir profond. Je n’ai plus de santé, mes pauvres yeux s’en vont, Tu n’as pas de métier, et nous avons des dettes. L’enfant avait rêvé gloire, sabre, épaulettes, Un avenir doré, les honneurs les plus grands. A présent, il voulait gagner douze cents francs. Il consola sa mère, il parla comme on prie : - Tu sais. Nous connaissons quelqu’un à la mairie Il me fera nommer ; c’est un chef de bureau. Ah ! pourvu qu’à vingt ans j’aie un bon numéro ! Mais oui, j’ai de la chance au jeu. Ne sois pas triste. Puis ce n’est pas pour rien que je suis un artiste. Et que je sais un peu jouer du violon. On peut faire un métier du talent de salon. Je me sens un courage indomptable dans l’âme ; Tu verras. Mais ris donc, maman. D’abord, madame, Je ne serai content que quand vous aurez ri. La pauvre heureuse mère ! un sourire attendri Éclaira, fugitif, sa figure chagrine, Puis, tendre, elle attira son fils sur sa poitrine, Et, le serrant bien fort, elle pleura longtemps. Le soir, quand il fut seul, l’enfant de dix-sept ans, En rangeant, à côté des autres sur leurs planches, Ses livres gaufrés d’or et tout dorés sur tranches, A ses rêves d’hier pour toujours dit adieu. Comme il l’avait prévu, d’ailleurs, le reste eut lieu. Un emploi très-modeste occupa sa journée ; Et la bonne moitié de sa nuit fut donnée A racler des couplets dans un café-concert ; Car il avait raison, et, pour vivre, tout sert. Mais, du jour où l’enfant accepta la bataille, Il cessa tout à coup de grandir ; et sa taille Resta petite ainsi que son ambition. Quand le portier connut cette décision, Offensé dans ses goûts d’homme aristocratique, Il ne put retenir quelques mots de critique : - Ces gens de peu, dit-il, ont des instincts trop bas. Ils voudraient s’élever, mais ils ne peuvent pas. Ce jeune homme pourtant donnait quelque espérance, C’est certain. Mais voilà ! pas de persévérance. Et dire que jadis mon épouse estima Qu’il pourrait convenir un jour à notre Emma ! Je souris quand je songe à ce projet folâtre. D’ailleurs nous destinons notre fille au théâtre. II Et le bon fils connut le spleen dans un bureau, Le long regard d’envie à travers le carreau Sur le libre flâneur qui se promène et fume, L’infecte odeur du poêle à qui l’on s’accoutume Mais qui vous fait pourtant tousser tous les matins, Le journal commenté longuement, les festins De petits pains de seigle et de charcuterie, Le calembourg stupide et dont il faut qu’on rie, L’entretien très-vulgaire avec le sentiment De chacun sur les chefs et sur l’avancement, Le travail monotone, ennuyeux et futile, Le dégoût de sentir qu’on est un inutile, Et, pour moment unique où l’on respire enfin, Le lent retour, d’un pas affaibli par la faim Que doit mal apaiser le dîner toujours maigre. - En vieillissant, sa mère était devenue aigre. Son long chagrin, souffert avec tant de vertu, - Il faut bien l’avouer, - trop longtemps s’était tu : Le coeur subit deux fois les douleurs qu’il faut taire De plus elle allait mal. Enfin son caractère, Même à ce fils chéri, paraissait bien changé. Le repas était donc par lui-même abrégé ; Il souffrait trop alors, pour lui comme pour elle, De la voir agiter quelque vaine querelle, Et toujours, le plus tôt possible, il s’en allait. - A cette heure, au surplus, son devoir l’appelait Dans le petit café-concert de la barrière, Où chaque soir, tenant son violon, derrière Un pianiste, chef d’orchestre sans bâton, Et non loin d’un troupier soufflant dans un piston, Il écoutait, distrait, et sans les trouver drôles, La chanteuse fardée et montrant ses épaules, Le baryton barbu, gêné dans ses gants blancs, Et le pitre aux genoux rapprochés et tremblants, En grand faux col, faisant des grimaces atroces Et contant au public charmé sa nuit de noces. Vers minuit seulement, enfin il se levait, Rentrait, ouvrait parfois ses livres de chevet, Mais de lire n’ayant même plus l’énergie, Il se couchait, afin d’épargner la bougie. Cela dura cinq ans, dix ans, quinze ans. Hélas ! Quinze fois, quand revint ja saison des lilas, Dans la rue, il put voir, par les soirs de dimanches, Les fillettes du peuple, en fraîches robes blanches, Près du trottoir, où sont les pères indulgents, Jouer à la raquette avec les jeunes gens, Tandis qu’il s’éloignait, toujours seul, le timide. Il ne passa jamais devant la pyramide Des bols à punch ornant le comptoir d’un café, Où souvent il avait, au passage, observé De vieux garçons, amis des voluptés sans fièvres, Brassant les dominos, la pipe entre les lèvres, Qui s’appelaient « Mon vieux » et caressaient leur chien. Il enviait leur sort ; car tel était le sien : Gagner le pain du jour et le terme au trimestre. Dans les commencements qu’il fut à son orchestre, Une chanteuse blonde et phthisique à moitié Sur lui laissa tomber un regard de pitié ; Mais il baissait les yeux quand elle entrait en scène. Puis, peu de temps après, elle passa la Seine Et mourut, toute jeune, en plein quartier Bréda. A vrai dire, il l’avait presque aimée, et garda Le dégoût d’avoir vu, - chose bien naturelle, - Les acteurs embrassés et tutoyés par elle ; Et son métier lui fut plus pénible qu’avant. III Or l’état de sa mère allait en s’aggravant. Une nuit vint la mort, triste comme la vie ; Et, quand à son dernier logis il l’eut suivie, En grand deuil et traînant le cortége obligé Des collègues heureux de ce jour de congé, Il rentra dans sa chambre et songea, solitaire. Il se vit sans amis, pauvre, célibataire, Vieil enfant étonné d’avoir des cheveux gris ; Il sentit que son âme et son corps avaient pris, Depuis vingt ans, la lente et puissante habitude De l’ennui, du silence et de la solitude ; Qu’il n’avait prononcé qu’un mot d’amour : « maman » Et qu’il n’espérait plus que son simple roman Pût s’augmenter jamais d’un plus tendre chapitre. - Le jour à son bureau, le soir à son pupitre, Il revint donc s’asseoir, résigné, mais vaincu ; Et, libre, il vit ainsi qu’esclave il a vécu. Même dans la maison qu’il habite, personne Ne songe qu’il existe, et, la nuit, quand il sonne, Le vieux portier, - il a soixante-dix-sept ans Et perd la notion des choses et du temps, - Se réveille, maussade, et murmure en son antre : - C’est le petit garçon du cinquième qui rentre. Petits Bourgeois. Je n'ai jamais compris l'ambition. Je pense Que l'homme simple trouve en lui sa récompense, Et le modeste sort dont je suis envieux, Si je travaille bien et si je deviens vieux, Sans que mon coeur de luxe ou de gloire s'affame, C'est celui d'un vieil homme avec sa vieille femme, Aujourd'hui bons rentiers, hier petits marchands, Retirés tout au bout du faubourg, près des champs. Oui, cette vie intime est digne du poète. Voyez : le toit pointu porte une girouette, Les roses sentent bon dans leurs carrés de buis Et l'ornement de fer fait bien sur le vieux puits. Près du seuil dont les trois degrés forment terrasse, Un paisible chien noir, qui n'est guère de race, Au soleil de midi, dort couché sur le flanc. Le maître, en vieux chapeau de paille, en habit blanc, Avec un sécateur qui lui sort de la poche, Marche dans le sentier principal et s'approche Quelquefois d'un certain rosier de sa façon Pour le débarrasser d'un gros colimaçon. Sous le bosquet, sa femme est à l'ombre et tricote; Auprès d'elle, le chat joue avec sa pelote. La treille est faite avec des cercles de tonneaux, Et sur le sable fin sautillent les moineaux. Par la porte, on peut voir, dans la maison commode, Un vieux salon meublé selon l'ancienne mode, Même quelques détails vaguement aperçus : Une pendule avec Napoléon dessus Et des têtes de sphinx à tous les bras de chaise. Mais ne souriez pas. Car on doit être à l'aise, Heureux du jour présent et sûr du lendemain, Dans ce logis de sage observé du chemin. Là sont des gens de bien, sans regret, sans envie, Et qui font comme ont fait leurs pères. Dans leur vie Tout est patriarcal et traditionnel. Ils mettent de côté la bûche de Noël, Ils songent à l'avance aux lessives futures Et, vers le temps des fruits, ils font des confitures. Ils boivent du cassis, innocente liqueur! Et chez eux tout est vieux, tout, excepté le coeur. Ont-ils tort, après tout, de trouver nécessaires Le premier jour de l'an et les anniversaires, D'observer le Carême et de tirer les Rois, De faire, quand il tonne, un grand signe de croix, D'être heureux que la fleur embaume et l'herbe croisse, Et de rendre le pain bénit à leur paroisse? - Ceux-là seuls ont raison qui, dans ce monde-ci, Calmes et dédaigneux du hasard, ont choisi Les douces voluptés que l'habitude engendre. - Chaque dimanche, ils ont leur fille avec leur gendre; Le jardinet s'emplit du rire des enfants, Et, bien que les après-midi soient étouffants, L'on puise et l'on arrose, et la journée est courte. Puis, quand le pâtissier survient avec la tourte, On s'attable au jardin, déjà moins échauffé, Et la lune se lève au moment du café. Quand le petit garçon s'endort, on le secoue, Et tous s'en vont alors, baisés sur chaque joue, Monter dans l'omnibus voisin, contents et las, Et chargés de bouquets énormes de lilas. - Merci bien, bonnes gens, merci bien, maisonnette, Pour m'avoir, l'autre jour, donné ce rêve honnête, Qu'en m'éloignant de vous mon esprit prolongeait Avec la jouissance exquise du projet. En Province. I L A petite maison à mine sépulcrale, Noire et basse, en plein nord, près de la cathédrale, Quand j'avais visité la ville, m'avait plu Par son air clérical, discret et vermoulu. L'espalier de la porte avec ses quelques roses Qui, pâles, se mouraient le long des murs moroses, Le pignon au vieux toit de tuile surplombant Les trois degrés du seuil, le trottoir et le banc Placé là tout exprès pour que le pauvre y dorme, L'ombre que sur le tout jetait l'église énorme, La rue où le gazon verdissait les pavés, Ces détails, plus complets qu'on ne les eût rêvés, Me prouvaient qu'il fallait en effet que je vinsse Pour voir cette maison dans ce coin de province. Causant de ce logis à des voisins, j'appris Qu'il était habité, moyennant un bas prix Et depuis fort longtemps, par une vieille fille Extrêmement dévote et d'ancienne famille. Or, étant un flâneur, et passant très souvent Devant cette maison au parfum de couvent, - N'allez pas croire au moins qu'à dessein je le fisse,- Vers midi, c'est-à-dire fine heure après l'office, Tous les jours, excepté les dimanches, je vis, A cet angle que fait la place du parvis Avec la vieille rue en question, paraître Et venir lentement un grand et maigre prêtre, En tricorne, portant son gros livre à fermoir, Proprement recouvert d'un morceau de drap noir. II s'approchait, pensif, de la vieille masure, Mais avec l'air tranquille et la démarche sûre Qu'on a lorsqu'on se livre à des soins réguliers. Il s'arrêtait au seuil, grattait ses lourds souliers, Frappait un petit coup qu'on entendait à peine, Et, vif, dès que la gâche avait jailli du pêne, Entrait et refermait doucement après lui. J'étais seul en province et m'ennuyais. L'ennui Rend maussade et vous fait céder aux injustices; Et voici que déjà, sur ces faibles indices, J'avais un roman noir et bête tout trouvé : Une dévote avare, un testament couvé, Des parents sur la paille, enfin toutes les suites D'une menée affreuse et sourde de jésuites. On devient quelquefois un voltairien fieffé Pour un rien, pour avoir lu le Siècle au café; Et, comme il est toujours pénible de se taire Quand on pense tenir la moitié d'un mystère, Je m'informai. - Ce fut bien fait pour moi, vraiment, Qui rêvais d'appeler un juste châtiment Sur quelque tortueuse et sombre stratégie; Car on ne me conta qu'une simple élégie Dont il me fallut être ému, bon gré mal gré. II A u retour des Bourbons; un vieux noble émigré Vint, ainsi que le fait un homme qui s'installe, Louer cette maison dans sa ville natale. Railleur et n'ayant plus les antiques respects, Il ne s'était enfui que lorsque les suspects Furent enfin inscrits sur la fameuse liste. Car il était resté très ardent royaliste Et partisan fougueux des orgueils du vieux temps. Quand il revint avec une enfant de huit ans, La fille de son fils, hélas! une orpheline, Ce fut triste. - Il était sans laquais ni berline, Seul, à pied et portant ce fardeau sur les bras. Mais, sceptique, il avait prévu les rois ingrats, Et, décemment râpé, sans misère apparente, Il vécut, dans un coin, d'une petite rente, Écrivant, par loisir, un traité de blason. Il 'avait justement choisi cette maison, Parce que, d'un côté, triste, inhospitalière, Avec ses murs verdis et son toit noir de lierre, Elle convenait fort à son âpre dédain, Et qu'elle avait, derrière, un carré de jardin Où, sous un frêle arceau de jaunes capucines, Dérobée aux regards des fenêtres voisines, L'enfant pouvait jouer au soleil, dans les fleurs. Comme il n'espérait pas revoir des jours meilleurs, Que son nom, nom fameux, vieux comme la bannière De saint Denis, c'était cette enfant, la dernière, Qui devait, fille pauvre et sans dot, le porter, Qu'une mésalliance était à redouter, Pour elle cet athée avait rêvé le cloître. Aussi souriait-il, plus calme, en sentant croître Dans ce coeur virginal le lys pur de la foi. D'autre part, il aimait son fauteuil, son chez soi, Trouvait l'office long et l'église glacée; Et l'unique servante était bien trop pressée Pour conduire l'enfant pieuse qui voulut Bientôt entendre messe, et vêpres, et salut. - A cette époque-là, venait chez ce vieux noble Qui possédait encor quelques champs, un vignoble Près d'une métairie, à l'ombre des pommiers, Un garçon de seize ans, le fils de ses fermiers, Qui, jugé trop chétif pour la vie ordinaire De la campagne, était élève au séminaire. Un beau jour, ce petit paysan fut chargé Par l'aïeul, le dimanche étant jour de congé, De se rendre à l'église avec la demoiselle Et de la ramener après cela chez elle. On l'en récompensait par sa place aux repas Et par l'accueil. C'était tout simple, n'est-ce pas? Cet humble protégé, collégien rustique, Pouvait, à la rigueur, servir de domestique, Bien que, pour être prêtre, il apprît le latin. - Depuis lors, les enfants, le dimanche matin, Côte à côte, et prenant toujours la même place Sous le vitrail en feu de la grande rosace, S'asseyaient dans la nef profonde et priaient Dieu. La petite fillette était vouée au bleu, Toilette qui sied bien aux couleurs enfantines, Et tous ses vêtements, chapeau, robe et bottines, Comme son âme, étaient de la couleur du ciel. Quant au pauvre garçon, le noir officiel Et les habits de drap, à coupe droite et triste, Pouvaient lui donner l'air un peu séminariste; Mais, chez les bonnes gens qui prenaient le chemin De l'église et voyaient, se tenant par la main, Passer les deux enfants avec leurs eucologes, C'étaient des hochements de tête et des éloges De leurs regards brillants de douce piété. Seulement ils étaient d'une timidité Extrême et rougissaient beaucoup quand, sur leur route, Un passant, étranger à la ville sans doute, Parlait d'eux, les prenant pour le frère et la soeur. L'un et l'autre, ils goûtaient vaguement la douceur Pénétrante que donne à l'habitude prise La province, où la vie est monotone et grise. Pour la triste orpheline et l'écolier captif, Chaque dimanche était un moment fugitif Fait de calme harmonie et de parfums de fête, Où, vibrantes de foi candide et satisfaite, Leurs deux voix se mêlaient dans tout ce qu'il y a D'allégresse à chanter les blancs Alleluia. Ils se sentaient égaux devant Dieu. La prière Entre eux avait détruit à jamais la barrière Qui, pour la loi du monde, encor les séparait; Et leurs deux coeurs s'étaient réunis en secret Par un de ces liens qui toujours se resserrent. III Naifs, ils grandissaient, et cinq ans se passèrent Sans que rien fût changé du train habituel. Tout en or, tout en noir, selon le rituel, Et lançant vers le ciel son chant mélancolique Ou son cri triomphal, la pompe catholique, Seule, pendant cinq ans, charma leurs coeurs nouveaux. Les marguilliers, les gens d'église, les dévots Qui font la révérence à toutes les chapelles, Chérissaient comme leurs ces deux enfants modèles Qui jouissaient près d'eux, sans se le définir, Du bonheur de se voir et de se réunir. Car si chez eux encor les doux rêves mystiques, Qui s'exaltent parmi l'encens et les cantiques, Avaient retardé l'heure où le désir naissant De l'enfant étonné fait un adolescent, Déjà leur âme était inquiète et subtile. Ce qu'ils eussent jadis trouvé simple ou futile Les laissait à présent très souvent timorés. Ils se troublaient. Un jour, ils étaient demeurés, Lui, la rougeur au front, elle, tout interdite, En effleurant leurs doigts humides d'eau bénite, De s'être dit tous deux à la fois : « Prenez-en. Elle avait oublié qu'il était paysan, Il avait oublié qu'elle était demoiselle, Mais, bien qu'il redoublât d'humbles soins et de zèle, Il ne lui donnait plus la main comme autrefois, Quand il la conduisait à l'église, et sa voix Tremblait en lui parlant de choses très vulgaires. IV UN dimanche matin, - il ne s'attendait guères Que son destin allait dater de ce jour-là, - Ainsi qu'il en avait l'habitude, il alla Chercher la jeune fille à l'heure accoutumée. La porte, qu'il trouvait d'ordinaire fermée, Malgré le froid d'hiver, s'ouvrait sinistrement. Inquiet, il crut voir comme un pressentiment Dans ce logis béant au vent noir de décembre, Et, songeant à l'aïeul, monta jusqu'à sa chambre, Mais pour s'arrêter court sur le seuil, en tremblant. Car il vit le vieillard, pâle sur le lit blanc, Râlant, les yeux grandis par les suprêmes fièvres, Et qui disait, serrant cruellement les lèvres, A sa fille courbée et pleurant sur sa main « Plus de larmes. Je sens que je mourrai demain. Or, c'est chez nous l'usage ordinaire, ma fille, Que, s'il meurt dans son lit, le chef de la famille Du plus proche héritier exige le serment De maintenir le nom toujours plus fièrement. Je te crois forte assez pour subir ces épreuves; Car celles de ton sang, du jour qu'elles sont veuves De quelque batailleur mis à mal n'importe où, Prennent sa lourde épée et la pendent au clou Et n'ont plus d'autre croix pour dire leur prière. Pour toi, tu restes fille, enfant, et la dernière De la race. Eh bien donc, sois-en digne et promets De garder le vieux nom vierge et pur à jamais. Si tu ne prends l'habit, point de mésalliance; Et fais-en le serment, pour qu'avec confiance Je puisse me coucher dans la paix du cercueil. » Alors la jeune fille, entendant sur le seuil Un faible bruit, tourna ses regards en arrière Et vit là son petit compagnon de prière (???) Qui, sans savoir pourquoi, mais désolé, pleurait. C'était un sentiment bien vague, bien secret, Bien indécis, exempt de toute ardeur qui tente, Fait d'amitié craintive et de langueur latente, Qu'ils avaient jusque-là l'un pour l'autre éprouvé. Leur timide désir n'avait jamais rêvé Plus loin que le bonheur de prier côte à côte, Par un jour de soleil comme à la Pentecôte, Sous le même rayon, devant le même autel. Mais l'accent du vieillard moribond était tel Qu'ils comprirent soudain que, pour toute leur vie, L'espérance de vivre ensemble était ravie. a Eh bien, petite? dit le vieillard irrité. - J'obéirai, » dit-elle avec simplicité Et comme promettant une chose ordinaire. V TouT était dit - Après cinq ans de séminaire, Le jeune écolier fut tour à tour tonsuré, Ordonné prêtre, puis enfin nommé curé D'un village lointain choisi sur sa demande. Il semblait avoir mis une hâte très grande A prononcer lui-même un éternel serment. - Ce n'est que devenu vieux, assez récemment, Qu'ayant réalisé son petit patrimoine, « Sauvez-vous. C'est une heure indue Pour vous qui logez tout là-bas, Et cette banlieue est perdue. Vous viendrez demain, n'est-ce pas? » Mais avant de partir, encore Un peu de musique; pas trop... Pendant que Julie élabore Trois humbles verres de sirop. Émigrants. Il fait nuit. - Et la voûte est ténébreuse où monte, Par la sonorité du bâtiment de fonte, Le jet de vapeur blanche au sifflement d’enfer, Hennissement affreux du lourd cheval de fer Qui vient à reculons et lui-même s’attelle, Avec un bruit strident d’enclume qu’on martèle, Au long train des wagons béants le long du quai. Attirés par ce bruit de fer entre-choqué, De pâles voyageurs, aux figures chagrines, Regardent, en collant leurs fronts las aux vitrines, Les machines qui vont les entraîner si loin, Chacun d’eux, sans le dire à l’autre, dans son coin, Se sentant envahir par l’effroi taciturne Qui nous prend au début d’un voyage nocturne. - Un départ est toujours triste ; mais ce départ Semble vraiment empreint d’une tristesse à part. D’abord, c’est un convoi de pauvres. Règle austère : Qu’il s’en aille en voyage ou qu’il s’en aille en terre, Vivant ou mort, le pauvre a sa voiture à lui. Et puis, ceux-là qui vont habiter aujourd’hui, Pendant toute une veille, en ces sombres voitures, Qui devront endurer, tremblantes créatures, Le froid de l’insomnie et le froid de l’hiver, Et que l’on jettera demain, prés de la mer, Devant les paquebots couverts de voiles blanches, Dont ils devront franchir le passage de planches Pour retrouver encor la nuit des entreponts ; Ces paysans, honteux de passer vagabonds Et que soutient à peine un espoir chimérique, Ce sont des émigrants qui vont en Amérique. Voilà de bien longs jours déjà qu’ils sont partis Le père tout chargé de paquets et d’outils, La mère avec l’enfant qui pend à la mamelle Et quelque autre marmot qui traîne la semelle Et la suit, fatigué, s’accrochant aux jupons ; Le fils avec le sac au pain et les jambons, Et la fille emportant sur son dos la vaisselle. Heureux ceux qui n’ont pas quelque vieux qui chancelle Et qui gronde et qu’on a, s’effarant, après soi ! Pourquoi donc partent-ils, ces braves gens ? Pourquoi s’en vont-ils par l’Europe et vers le nouveau monde, Étonnés de montrer leur douce pâleur blonde Et la calme candeur de leurs tristes yeux bleus Sur les chemins de fer bruyants et populeux ? C’est que parfois la vie est inhospitalière. Longtemps leur pauvreté naïve, pure et fière, En plein champ, près du pot de grès et du pain bis, A lutté, n’arrachant que de maigres épis A la terre trop vieille et devenue avare. Car il leur fut ingrat, implacable et barbare, Ce vieux sol paternel, ce sol religieux, Où parfois, comme un don laissé par les aïeux, Leur pioche déterrait un peu d’or ou des armes, Et que leur front baignait de sueurs et de larmes, Tristes et patients, longtemps ils ont lutté Contre son inertie et sa stérilité, Mais vainement. Alors, la vie étant trop chère Pour qu’ils pussent laisser, une année, en jachère Ce sol qui refusait toujours de les nourrir, Ils ont vu qu’il fallait s’en aller ou mourir ; Et tous, pleins du regret des récoltes futures, Ils sont partis vers les lointaines aventures. Oh ! comme je les plains, les humbles, les petits, Tous ceux-là qui sont nés et qui vivent blottis Timidement autour d’un clocher de village ; Ceux que retient, bien mieux que l’ancien vasselage Et que tous les vieux jougs du monde féodal, L’étroit et tendre amour de leur pays natal ; Ceux-là que le galop d’un voyageur étonne, Qui sentent que le vrai bonheur est monotone Et qui ne veulent pas d’autre sort que le sort De leurs pères, de qui la naissance et la mort S’inscrivaient, - c’était tout, - aux marges d’une Bible. Quand il leur faut quitter la masure paisible, Le foyer près duquel leur enfance a rêvé Et le champ que leurs bras virils ont cultivé ; Quand ils s’en vont, tirant ou poussant la charrette, Et jetant un regard suprême et qui regrette A mille objets qui sont pour eux de vieux amis : Au pâturage avec les grands boeufs endormis, Au vieux pont, à l’auberge en face de l’église, A l’enseigne où le grand Frédéric prend sa prise, Au lavoir plein du bruit des linges que l’on bat, Oh ! qu’il doit se livrer un lugubre combat Dans leurs âmes déjà se sentant orphelines, Tandis qu’ils voient grandir ces lointaines collines Où naguère pour eux le monde finissait, Et qu’ils songent avec amertume que c’est La terre maternelle et dont vécut leur race, La terre qui devient marâtre et qui les chasse ! Encor si l’avenir était riant pour eux, Et s’ils étaient certains d’un lendemain heureux ! Mais ils n’ont presque pas d’espoir qui les soutienne. L’Amérique n’est plus cette jeune Indienne Souriante en son île au milieu des roseaux Et couronnant son front de plumages d’oiseaux, Telle qu’ils l’ont rêvée autrefois, à l’école. Pour eux, durs ouvriers du labeur agricole, Ce qu’ils comptent trouver là-bas, c’est seulement La forêt monstrueuse au noir tressaillement, Où, rampant et glissant, la hideuse famille De la nature vierge et féroce fourmille ; C’est la bataille avec la hache, avec le pic, Contre les troncs noueux et les rochers à pic ; C’est le miasme lourd du terrain noir et riche Qu’en grelottant de fièvre, avec rage, on défriche ; Les grands feux dans les bois et les nuits sans repos Où l’on voit scintiller, autour de ses troupeaux, Dans l’ombre, les yeux d’or des jaguars et des onces ; C’est la bêche tranchant les serpents et les ronces ; - Enfin, comme un bonheur qu’on n’ose pas prévoir, Et si Dieu plus clément daigne un jour s’émouvoir Des cantiques chantés en choeur sous les étoiles, C’est, après le sommeil frileux entre deux toiles Et les maigres soupers de lard et de biscuits, La famille restée encore entière, et puis De gais et longs repas, par les soirs de dimanches, Devant une moisson, près d’un logis de planches. Pour l’instant, du trop long voyage tout meurtris, Dans cette gare, en haut d’un faubourg de Paris, Ils attendent, muets du regret qui les navre, Le convoi qui les doit jeter aux quais du Havre Comme on n’a pas pour eux allumé de quinquets, On croit qu’ils dorment tous, penchés sur leurs paquets, Dans la salle aux longs bancs, sombre comme une geôle. Mais l’époux qui soutient, lasse sur son épaule, Une tête de femme où sont clos de doux yeux, Promène autour de lui des regards anxieux ; Mais la mère est en proie aux présages funèbres, Qui cache sous ses mains jointes, dans les ténèbres, Des fronts d’enfants serrés contre elle avec terreur ; Mais il pâlit, ce jeune et triste laboureur, Qui sent, en la serrant sous la sienne pressée, Frissonner une main douce de fiancée ! - Sinon pour soi, du moins pour l’être faible et cher, Chacun songe au pays dans cette nuit d’hiver, Et, jugeant que la salle est très-mal éclairée, Essuie, en se cachant, une larme ignorée. Une Femme Seule. Dans le salon bourgeois où je l’ai rencontrée, Ses yeux doux et craintifs, son front d’ange proscrit, M’attirèrent d’abord vers elle, et l’on m’apprit Que d’un mari brutal elle était séparée. Elle venait encor chez ces anciens amis, Dont la maison avait vu grandir son enfance Et qui, malgré le bruit dont le monde s’offense, Au préjugé cruel ne s’étaient point soumis, Mais elle savait bien, résignée et très-douce, Qu’on ne la recevait qu’en petit comité, Et s’attendait toujours, dans sa tranquillité, Au mot qui congédie, à l’accueil qui repousse. Donc, les soirs sans dîner ni bal au piano, Elle venait broder près de l’âtre, en famille, Et c’est là que, devant son air de jeune fille, Je m’étonnai de voir à son doigt un anneau. Stoïque, elle acceptait son étrange veuvage, Sans arrière-pensée et très naïvement ; Pour prouver qu’elle était fidèle à son serment, Sa main avait gardé le signe d’esclavage. Elle était pâle et brune, elle avait vingt-cinq ans. Le sang veinait de bleu ses mains longues et fières, Et, nerveux, les longs cils de ses chastes paupières Voilaient ses regards bruns de battements fréquents. Ni bijou, ni ruban. Nulle marque de joie. Jamais la moindre fleur dans le bandeau châtain ; Et le petit col blanc, étroit et puritain, Tranchait seul sur le deuil de la robe de soie Brodant très-lentement et d’un geste assoupli Et ne se doutant pas que l’ombre transfigure, Sa place dans la chambre était la plus obscure ; Elle parlait à peine et désirait l’oubli. Mais, à la question banale qu’on adresse Quand elle répondait quelques mots en passant, Cela faisait du mal d’entendre cet accent Brisé par la douleur et fait pour la tendresse, Cette voix lente et pure, et lasse de prier, Qu’interrompait jadis la forte voix d’un maître Et qu’une insulte, hélas ! un bras levé peut-être, De honte et de terreur un jour firent crier. Quand un petit enfant présentait à la ronde Son front à nos baisers, oh ! comme lentement, Mélancoliquement et douloureusement, Ses lèvres s’appuyaient sur cette tête blonde ! Mais aussitôt après ce trop cruel plaisir, Comme elle reprenait son travail au plus vite ! Et sur ses traits alors quelle rougeur subite, En songeant au regret qu’on avait pu saisir ! Car je m’apercevais, quoiqu’on fût bon pour elle, Qu’on la plaignît d’avoir fait un si mauvais choix, Que ce monde aux instincts timorés et bourgeois Conservait une crainte, après tout naturelle. J’ avais bien remarqué que son humble regard Tremblait d’être heurté par un regard qui brille, Qu’elle n’allait jamais près d’une jeune fille Et ne levait les yeux que devant un vieillard. - Jeune homme qui pourrais aimer la pauvre femme Et qui la trouveras quelque jour sur tes pas, Ne la regarde pas et ne lui parle pas. Ne te fais pas aimer, car ce serait infâme ! Va, je connais l’adresse et les subtilités Du sophisme, aussi bien que tu peux les connaître. Je sais que son oeil brûle et que sa voix pénètre, Et quel sang bondira dans vos coeurs révoltés. Je sais qu’elle succombe et qu’elle est sans défense, Qu’elle meurtrit son sein devant le crucifix, Qu’elle t’adorerait comme un dieu, comme un fils ; Je sais que ta victoire est certaine d’avance. Oui, pour toi je suis sûr qu’elle sacrifierait Son unique trésor, l’honneur pur et fidèle, Et que tu voudrais vivre et mourir auprès d’elle. - C’est bien. Mais je suis sûr aussi qu’elle en mourrait. Simple Ambition. Être un modeste croque-notes Donnant des leçons de hasard, Qui court Paris en grosses bottes, Mais qui comprend Gluck et Mozart ; Avoir quelque part un vieux maitre ; Aimer sa fille ; et, chaque soir, Brosser son vieil habit et mettre Du linge pour aller les voir ; Ils logent loin ! Faire une lieue En chantonnant quelques vieux airs, Ilété sous la douce nuit bleue Et par les bons quartiers déserts ; Aimer d’un amour très-honnête ; Avoir peur, en portant la main A certain cordon de sonnette Dont on sait pourtant le chemin- - Ah ! monsieur Paul !- - Mademoiselle ! - Mon père vous attend. Voyez. Voici votre violoncelle, Son violon et les cahiers. Demander comment va le maître, Qui survient, simple et cordial ; Oh ! le bon moment ! - La fenêtre S’ouvre sur le ciel nuptial ; Les brises déjà rafraichies Entrent avec des papillons Bien vite brûlés aux bougies Qui jettent de faibles rayons. Le concert commence. Elle écoute, Blonde, accoudée et tout en blanc, Et son coeur frissonne sans doute Avec l’allegretto tremblant. Puis, c’est le menuet, l’andante, Tout le beau poëme du bruit, Toute la symphonie ardente. Et le temps passe. Il est minuit. - Sauvez-vous. C’est une heure indue Pour vous qui logez tout là-bas ; Et cette banlieue est perdue. Vous viendrez demain, n’est-ce pas ? Mais avant de partir, encore Un peu de musique ; pas trop- Pendant que Julie élabore Trois humbles verres de sirop. Dans La Rue. Les deux petites sont en deuil; Et la plus grande - c'est la mère - A conduit l'autre jusqu'au seuil Qui mène à l'école primaire. Elle inspecte, dans le panier, Les tartines de confiture Et jette un coup d'oeil au dernier Devoir du cahier d'écriture. Puis comme c'est un matin froid Où l'eau gèle dans la rigole, Et comme il faut que l'enfant soit En état d'entrer à l'école, Écartant le vieux châle noir Dont la petite s'emmitoufle, L'aînée alors tire un mouchoir, Lui prend le nez et lui dit : « Souffle. » La Sceur Novice. Lorsque tout douloureux regret fut mort en elle Et qu'elle eut bien perdu tout espoir décevant, Résignée, elle alla chercher dans un couvent Le calme qui prépare à la vie éternelle. Le chapelet battant la jupe de flanelle, Et pâle, elle venait se promener souvent Dans le jardin sans fleurs, bien abrité du vent, Avec ses plants de choux et sa vigne en tonnelle. Pourtant elle cueillit, un jour, dans ce jardin, Une fleur exhalant un souvenir mondain, Qui poussait là malgré la sainte obédience; Elle la respira longtemps, puis, vers le soir, Saintement, ayant mis en paix sa conscience, Mourut comme s'éteint l'âme d'un encensoir. La Famille Du Menuisier. Le marchand de cercueils vient de trousser ses manches Et rabote en sifflant, les pieds dans les copeaux. L'année est bonne; il n'a pas le moindre repos Et même il ne boit plus son gain tous les dimanches. Tout en jouant parmi les longues bières blanches, Ses enfants, deux blondins tout roses et dispos, Quand passe un corbillard, lui tirent leurs chapeaux Et bénissent la mort qui fait vendre des planches. La mère, supputant de combien s'accroîtra Son épargne, s'il vient un nouveau choléra, Tricote, en souriant, au seuil de la boutique; Et ce groupe joyeux, dans l'or d'un soir d'été, Offre un tableau de paix naïve et domestique, Da bien-être honorable et de bonne santé. Le Musée De Marine. Au Louvre, je vais voir ces délicats modèles Qui montrent aux oisifs les richesses d'un port, Je connais l'armement des vaisseaux de haut-bord Et la voilure des avisos-hirondelles. J'aime cette flottille avec ses bagatelles, Le carré d'Océan qui lui sert de support, Ses petits canons noirs se montrant au sabord, Et ses mille haubans fins comme des dentelles. Je suis un loup de mer et sais apprécier Le blindage de cuivre et les ancres d'acier : Car tous ces riens de bois, de ficelle et de liège M'ont souvent fait trouver les dimanches bien courts, Et, forçat de Paris dès longtemps pris au piège, C'est là que j'ai rêvé le voyage au long cours. Joujoux D'Allemagne. L'autre soir, je voyais la petite Marie Rester, près de la lampe, en extase et sans voix; Car elle avait tiré de son coffre de bois Ce jouet d'Allemagne appelé bergerie. Les moutons étaient gros comme la métairie, Qui, certes, n'aurait pu loger les villageois; Les arbres sur leurs pieds naïfs étaient tout droits, Et le vieux tapis vert jouait mal la prairie. Et moi, plus que l'enfant, je me suis amusé, Et puisque le voyage, hélas! m'est refusé, Une heure j'ai joui d'un mirage illusoire. L'odeur de ces joujoux, mal taillés et mal peints, M'a permis de courir tes déserts de sapins, Et j'ai connu ton ombre immense, ô forêt Noire! Source: http://www.poesies.net