Poésies. Par Félix Arvers (1806-1850) Tome II TABLE DES MATIERES Fête Du Peuple. La Femme Adultère. La Pauvreté. La Première Passion. La Ressemblance. La Saint-Barthélemy. La Vengeance. La Vie. La Villégiature. Le Commencement De L'Année. Le Livre De Mon Coeur. Le Poète. Le Retour De La Bien-Aimée. L'Immortalité. Lorsqu'Autrefois. Ospitalita. Pourtant, Si Tu M'Aimais. Fête Du Peuple. (1851) Quel trouble inattendu semble agiter les âmes? Pourquoi ces cris? pourquoi tous ces apprêts nouveaux? Pourquoi ces artisans, ces enfants et ces femmes Ont-ils déserté leurs travaux? Un désir inquiet se peint sur leur visage; Est-ce un espoir? Est-ce un présage? Oh voyez! comme ils sont empressés d'accourir! Une sourde rumeur s'élève dans la nue: Quel est cet appareil, cette fête inconnue? C'est un homme qui va mourir. Son crime fut d'un jour. D'une peine éternelle La loi va déployer l'appareil menaçant, Car le sang qui coula sous sa main criminelle Doit être expié par le sang. J'entends. Mais que lui veut cette foule empressée Qui, sur les chemins amassée. Va chercher des horreurs qui puissent l'émouvoir? -ils viennent prodiguer à sa lente agonie De leurs transports bruyants la farouche ironie! -Ils vont le plaindre? -Ils vont le voir! Marqués aussi du sceau d'un destin redoutable, Sur leurs têtes aussi l'anathème est lancé: Ils doivent tous subir l'arrêt inévitable Qu'un autre Juge a prononcé. Cet homme, son voisin, tous pourraient cesser d'être Quand cet autre qui va paraître Portera sous la hache un stérile remord; Car il faut tôt ou tard que la loi s'accomplisse; Mais, ignorant du moins le moment du supplice, Comme lui condamnés à mort, Ils cherchent sur son front quelque lueur nouvelle; Ils vont interroger ses gestes, ils ont faim D'aller dans tous ses traits chercher ce que révèle L'oeil d'un homme qui voit la fin, Qui, des profonds secrets dérobés à la terre, Près de percer le grand mystère, Voit le terme fatal s'approcher pas à pas, Dans chaque son qui fuit, dans chaque instant qui passe, Et qui peut calculer, au juste, quel espace Le sépare encor du trépas. Mais des gardes déjà devant le char placés Aux rayons du soleil les sabres ont relui, Et sur les hauts balcons les femmes entassées Nous ont crié déjà: C'est lui! A l'aspect de ce peuple, un moment il relève Cette tête promise au glaive Dont la justice humaine a brisé le fourreau; Puis au sort qui l'attend muet il s'abandonne, Entre l'homme qui frappe et le Dieu qui pardonne. Entre le prêtre et le bourreau. Il vient -à reculons assis dans la charrette. Pas plus loin, pas plus loin. -On dit qu'il a parlé! -Il descend. -Puis il faut remonter. -Il s'arrête! -Toi qui vois, a-t-il chancelé? Tout est là, tout est prêt; le panier est à droite: C'est par cette ouverture étroite... Silence! il est saisi par les exécuteurs! C'est fait. Que de bravos la place retentisse; C'est fait: il est où ceux qu'a jugés leur justice Ont leur tour d'être accusateurs. La Femme Adultère. (1851) Écoutez ce que c'est que la femme adultère. Sa joie est un tourment, sa douleur un mystère: Dans son coeur dégradé que le crime avilit Un autre a pris la place à l'époux réservée; D'impures voluptés elle s'est abreuvée; Un autre est venu dans son lit. Dévorée au dedans d'une flamme cachée, Toujours, devant les yeux son image attachée Jusqu'aux bras d'un époux vient encor la troubler; Elle reste au logis des heures à l'attendre. Prête l'oreille et dit, quand elle croit l'entendre, A ses enfants de s'en aller. Son complice! des lois il brave la vengeance! Qui pourrait, trahissant leur sourde intelligence, Éveiller dans les coeurs le soupçon endormi? De son crime impuni le succès l'encourage, La mère lui sourit, et l'époux qu'il outrage L'embrasse en disant: mon ami. Voici venir enfin l'heure tant retardée; Les voilà seuls, la porte est close et bien gardée: Pourquoi cet air pensif, pourquoi cet oeil distrait? Pourquoi toujours trembler et pâlir d'épouvante? Personne ne l'a vu monter, et la suivante A reçu le prix du secret. Dans un festin brillant le hasard les rassemble; Leurs sièges sont voisins. Que vont-ils dire ensemble? Quel sinistre bonheur dans leurs regards a lui! Oh retiens les éclairs de ta prunelle ardente, Garde de te trahir, et de boire, imprudente! Dans la même coupe après lui! Que dis-je? Du mépris et de l'indifférence Elle sait à son oeil imposer l'apparence: Un regard indiscret jamais ne révéla De son coeur déchiré la sombre inquiétude. Elle s'observe, et sait, à force d'habitude, Rester froide quand il est là! Ses tourments sont cachés à tous, soyez sans crainte; Aussi regardez-la sans gêne et sans contrainte Répondre à vingt propos, sourire... oh si du moins, Pour apaiser l'ardeur dont elle est embrasée, Elle pouvait, auprès d'une obscure croisée, L'avoir un instant sans témoins! Sentir le bruit léger de sa robe froissée, Dans les plis de satin sa jambe entrelacée, Lui donner d'un regard l'heure du lendemain, Et, dans ce tourbillon qui roule et qui l'emporte. Lui dire... ou seulement debout, près de la porte, En passant lui serrer la main! Cependant, pas à pas, la vieillesse est venue Troubler son coeur flétri d'une crainte inconnue. Le prestige enivrant s'est enfin dissipé: Il faut quitter l'amour, l'amour et son ivresse; Il faut se trouver seule et subir la tendresse De cet homme qu'elle a trompé. La Pauvreté. (1833) Hôtes de ce séjour d'angoisse et de souffrance, Où Satan sur le seuil a mis: Plus d'espérance! Qui vous brisez le front contre ses murs de fer, Et vîntes échanger, dans cette fange immonde, La perpétuité des peines de ce monde Pour l'éternité de l'enfer! Ô vous, bandits, larrons d'Italie ou d'Espagne, Hôtes des grands chemins, qui courez la campagne De Tarente à Venise, et de Rome au Simplon; Et vous, concitoyens, voleurs de ma patrie. Qui, les cheveux rasés et l'épaule flétrie. Ramiez dans Brest ou dans Toulon! Et vous qui, franchissant les monts et les cascades, Imploriez la madone, et braviez les alcades, Castillans, Grenadins! et vous qui, sourdement, Sous le ciel de l'Écosse, alliez dans les ténèbres Ressusciter les morts dans leurs linceuls funèbres Avant le jour du jugement! Filles de joie, ô vous qu'on voyait dans la rue. Autour d'un mauvais lieu, faire le pied de grue. Dont l'amour fut mortel, et le baiser fatal; Vous tous, morts dans le crime et dans l'impénitence, Spectres, qu'ont ainsi faits la roue ou la potence, La guillotine ou l'hôpital! Vous tous, mes vieux damnés, races de Dieu maudites, Approchez-vous ici, parlez-nous, et nous dites Aux gouffres de Satan combien a rapporté Chaque péché mortel qui damne l'autre vie; Combien l'Orgueil, combien l'Avarice ou l'Envie, Combien surtout la Pauvreté? C'est Elle qui flétrit une âme encor novice, L'enlace, et la conduit au crime par le vice. Courbant les plus hauts fronts avec sa main de fer; Qui mêle le poison et qui tire l'épée: Elle, la plus féconde et la mieux occupée Des pourvoyeuses de l'enfer! Pauvreté! vaste mot. Puissances de la terre, Qui portez de vos noms l'orgueil héréditaire, Savez-vous ce que c'est qu'avoir soif, avoir faim: L'hiver, dans un grabat juché sous la toiture, Passer le jour sans feu, la nuit sans couverture; Ce que c'est que le pauvre, enfin? -C'est un homme qui va, sur les places publiques, Colporter, tout perclus, une boîte à reliques; Un aveugle en haillons, qu'on voit par les chemins Accompagné d'un chien qui porte une sébile, Agenouillé par terre, et qui chante, immobile, Un cantique, en joignant les mains: C'est un homme qui veille au seuil la nuit entière, Et vient, sortants du bal, vous ouvrir la portière, Recommandant sa peine aux coeurs compatissants; C'est une femme en pleurs qui voile son visage Et tient à ses côtés deux enfants en bas-âge Dressés à suivre les passants. C'est cela: rien de plus. D'ailleurs, c'est une classe, Les pauvres: il faut bien que chacun ait sa place; Dieu seul sait comme tout ici doit s'ordonner: Il a mis la santé près de la maladie, Le riche près du pauvre: il faut que l'un mendie Pour que l'autre puisse donner. Et quand, lassés de voir qu'on vous suit à la trace, Vous vous êtes saignés, à grand'peine, et par grâce, Du denier qu'un laquais insolent a jeté: Grands seigneurs, financiers, belles dames, duchesses. Vous vous tenez contenus, et croyez vos richesses Quittes envers la pauvreté! Mais il en est une autre, une autre cent fois pire, Qui n'a point de haillons, celle-là, qui n'inspire Ni pitié, ni dégoût, qui se pare de fleurs: Qui ne se montre point, mendiante et quêteuse, Mais, sous de beaux habits, cache, toute honteuse. Ses ulcères et ses douleurs. Elle vient au concert, et chante: au bal, et danse: Jamais, jamais un geste, un mot dont l'imprudence Trahirait des tourments qui ne sont point compris; C'est un combat sans fin, une longue détresse, Une fièvre qui mine, un cauchemar qui presse Et tue en étouffant vos cris. C'est ce mal qui travaille une âme bien placée, Qui s'indigne du rang où le sort l'a laissée; Qui demeure toujours triste au sein des plaisirs, Parce qu'elle en sait bien le terme, et s'importune De n'égaler jamais ses voeux à sa fortune, Ni son espoir à ses désirs. C'est le fléau du siècle, et cette maladie Gagne de proche en proche, ainsi qu'un incendie: Le monde dans son sein porte un hôte inconnu: C'est un ver dans le coeur, c'est le cheval de Troie, D'où les Grecs tout armés tomberont sur leur proie Quand le moment sera venu. Or, quand cela se voit, c'est une marque sûre Qu'il s'est fait au-dedans une grande blessure. Enseignement certain, par où Dieu nous apprend Qu'une société vieillie et décrépite S'émeut au plus profond de sa base, et palpite Du dernier râle d'un mourant. Je vous en avertis, riches; prenez-y garde! L'édifice est usé: si quelqu'un par mégarde Passe trop chargé d'or sur ses planchers pourris, -Un grain de blé suffit pour combler la mesure: Au choc le plus léger cette vieille masure Vous étouffe sous ses débris. Peu de jours sont passés depuis qu'en sa colère Lyon a vu rugir le monstre populaire: Vous aviez cru le voir arriver en trois bonds, Le sang dans les regards, le feu dans les narines. Et vous aviez serré votre or sur vos poitrines. Pâles comme des moribonds. S'il n'a pas cette fois encor, rompu sa chaîne, Si la porte est de fer et la cage de chêne, Pourtant n'approchez pas des barreaux trop souvent. Car sa force s'accroît, et sa rage, en silence; Et gare qu'un beau jour il les brise, et s'élance Libre enfin, et les crins au vent! La Première Passion. (1833) I « Minuit! ma mère dort: je me suis relevée: Je craignais de laisser ma lettre inachevée; J'ai voulu me hâter, car peut-être ma main Ne sera-t-elle plus assez forte demain! Tu connais mon malheur; je t'ai dit que mon père A voulu me dicter un choix, et qu'il espère Sans doute me trouver trop faible pour oser Refuser cet époux qu'il prétend m'imposer. O toi qui m'appartiens! ô toi qui me fis naître Au bonheur, à l'amour que tu m'as fait connaître; Toi qui sus le premier deviner le secret Et trouver le chemin d'un coeur qui s'ignorait, Crois-tu qu'à d'autres lois ton amante enchaînée Méconnaisse jamais la foi qu'elle a donnée; Qu'elle puisse oublier ces rapides momens Où nos voix ont ensemble échangé leurs sermens, Où sa tremblante main a frémi dans la tienne, Et qu'à d'autre qu'à toi jamais elle appartienne? Tu veux fuir, m'as-tu dit: fuis; mais n'espère pas M'empêcher de te suivre attachée à tes pas! Qu'importe où nous soyons si nous sommes ensemble; Est-il donc un désert si triste, qui ne semble Plus riant qu'un palais, quand il est animé Par l'aspect du bonheur et de l'objet aimé? Et que me font à moi tous ces biens qui m'attendent? Lorsqu'on s'est dit: je t'aime! et que les coeurs s'entendent, Que sont tous les trésors, qu'est l'univers pour eux. Et que demandent-ils de plus pour être heureux? Mais comment fuir? comment tromper la vigilance D'un père soupçonneux qui m'épie en silence? Je m'abusais! Eh bien, écoute le serment Que te jure ma bouche en cet affreux moment: Puisqu'on l'a résolu, puisqu'on me sacrifie. Puisqu'on veut mon malheur, eh bien! je les défie: Ils ne m'auront que morte, et je n'aurai laissé Pour traîner à l'autel qu'un cadavre glacé! » II Lorsque je l'ai revue, elle était mariée Depuis cinq ans passés: « Ah! s'est-elle écriée, C'est vous! bien vous a pris d'être venu nous voir: Mais où donc étiez-vous? Et ne peut-on savoir Pourquoi, depuis un siècle, éloigné de la France, Vous nous avez ainsi laissés dans l'ignorance? Quant à nous, tout va bien: le sort nous a souri. -J'ai parlé bien souvent de vous à mon mari; C'est un homme d'honneur, que j'aime et je révère, Sage négociant, de probité sévère, Qui par son zèle actif chaque jour agrandit L'essor de son commerce, et double son crédit: Et puisque le hasard à la fin nous rassemble; Je vous présenterai, vous causerez ensemble; Il vous recevra bien, empressé de saisir Pareille occasion de me faire plaisir. Vous verrez mes enfans: j'en ai trois. Mon aînée Est chez mes belles-soeurs, qui me l'ont emmenée; Je l'attends samedi matin: vous la verrez. Oh, c'est qu'elle est charmante! ensuite, vous saurez Qu'elle lit couramment, écrit même, et commence A jouer la sonate et chanter la romance. Et mon fils! il aura ses trois ans et demi Le vingt du mois prochain; du reste, mon ami, Vous verrez comme il est grand et fort pour son âge; C'est le plus bel enfant de tout le voisinage. Et puis, j'ai mon petit. -Je ne l'ai pas nourri: Mes couches ont été pénibles; mon mari, Qui craignait pour mon lait, a voulu que je prisse Sur moi de le laisser aux mains d'une nourrice. Mais de cet embarras je vais me délivrer, Et le docteur a dit qu'on pouvait le sevrer. -Ainsi dans mes enfans, dans un époux qui m'aime, J'ai trouvé le bonheur domestique; et vous même, Vous dépendez de vous, j'imagine, et partant Qui peut vous empêcher d'en faire un jour autant? Je sais qu'en pareil cas le choix est difficile. Que vous avez parfois une humeur indocile; Mais on peut réussir, et vous réussirez: Vous prendrez une femme, et nous l'amènerez, Elle viendra passer l'été dans notre terre: Jusque-là toutefois, libre et célibataire, Pensez à vos amis, et venez en garçon Nous demander dimanche à dîner sans façon. » La Ressemblance. (1851) Sur tes riches tapis, sur ton divan qui laisse Au milieu des parfums respirer la mollesse, En ce voluptueux séjour, Où loin de tous les yeux, loin des bruits de la terre, Les voiles enlacés semblent, pour un mystère, Eteindre les rayons du jour, Ne t'enorgueillis pas, courtisane rieuse, Si, pour toutes tes soeurs ma bouche sérieuse Te sourit aussi doucement, Si, pour toi seule ici, moins glacée et moins lente, Ma main sur ton sein nu s'égare, si brûlante Qu'on me prendrait pour un amant. Ce n'est point que mon coeur soumis à ton empire, Au charme décevant que ton regard inspire Incapable de résister, A cet appât trompeur se soit laissé surprendre Et ressente un amour que tu ne peux comprendre, Mon pauvre enfant! ni mériter. Non: ces rires, ces pleurs, ces baisers, ces morsures, Ce cou, ces bras meurtris d'amoureuses blessures, Ces transports, cet oeil enflammé; Ce n'est point un aveu, ce n'est point un hommage Au moins: c'est que tes traits me rappellent l'image D'une autre femme que j'aimai. Elle avait ton parler, elle avait ton sourire, Cet air doux et rêveur qui ne peut se décrire. Et semble implorer un soutien; Et de l'illusion comprends-tu la puissance? On dirait que son oeil, tout voilé d'innocence, Lançait des feux comme le tien. Allons: regarde-moi de ce regard si tendre, Parle-moi, touche-moi, qu'il me semble l'entendre Et la sentir à mes côtés. Prolonge mon erreur: que cette voix touchante Me rende des accents si connus et me chante Tous les airs q'elle m'a chantés! Hâtons-nous, hâtons-nous! Insensé qui d'un songe Quand le jour a chassé le rapide mensonge, Espère encor le ressaisir! Qu'à mes baisers de feu ta bouche s'abandonne, Viens, que chacun de nous trompe l'autre et lui donne Toi le bonheur, moi le plaisir! La Saint-Barthélemy. (1833) I Les prêtres avaient dit: « En ce temps-là, mes frères, On a vu s'élever des docteurs téméraires, Des dogmes de la foi censeurs audacieux: Au fond du Saint des saints l'Arche s'est refermée, Et le puits de l'abîme a vomi la fumée Qui devait obscurcir la lumière des cieux. L'Antéchrist est venu, qui parcourut la terre: Tout à coup, soulevant un terrible mystère, L'impie a remué de profanes débats; Il a dressé la tête: et des voix hérétiques Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques Dans le langage impur qui se parle ici-bas. Mais si le ciel permet que l'Église affligée Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée; S'il lui plaît de l'abattre et de l'humilier: Si sa juste colère, un moment assoupie. Dans sa gloire d'un jour laisse dormir l'impie, Et livre ses élus au bras séculier; Quand les temps sont venus, le fort qui se relève Soudain de la main droite a ressaisi le glaive: Sur les débris épars qui gisaient sans honneur Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites Abattent sous leurs coups les vils Madianites, Comme fait les épis la faux du moissonneur. Allez donc, secondant de pieuses vengeances, Pour vous et vos parents gagner les indulgences; Fidèles, qui savez croire sans examen, Noble race d'élus que le ciel a choisie, Allez, et dans le sang étouffez l'hérésie! Ou la messe, ou la mort!» -Le peuple dit: Amen. II A l'hôtel de Soissons, dans une tour mystique, Catherine interroge avec des yeux émus Des signes qu'imprima l'anneau cabalistique Du grand Michel Nostradamus. Elle a devant l'autel déposé sa couronne; A l'image de sa patronne, En s'agenouillant pour prier. Elle a dévotement promis une neuvaine, Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine Et la branche du coudrier. « Les astres ont parlé: qui sait entendre, entende! Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon: Ils veulent qu'en un jour ma vengeance s'étende De l'Artois jusqu'au Roussillon. Les pieux défenseurs de la foi chancelante D'une guerre déjà trop lente Ont assez couru les hasards: A la cause du ciel unissons mon outrage. Périssent, engloutis dans un même naufrage. Les huguenots et les guisards! » III C'était un samedi du mois d'août: c'était l'heure Où l'on entend de loin, comme une voix qui pleure, De l'angélus du soir les accents retentir: Et le jour qui devait terminer la semaine Était le jour voué, par l'Église romaine. A saint Barthélémy, confesseur et martyr. Quelle subite inquiétude A cette heure? quels nouveaux cris Viennent troubler la solitude Et le repos du vieux Paris? Pourquoi tous ces apprêts funèbres, Pourquoi voit-on dans les ténèbres Ces archers et ces lansquenets? Pourquoi ces pierres entassées, Et ces chaînes de fer placées Dans le quartier des Bourdonnais? On ne sait. Mais enfin, quelque chose d'étrange Dans l'ombre de la nuit se prépare et s'arrange. Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron. D'un projet ignoré mystérieux complices. Ont à l'Hôtel-de-Ville assemblé les milices, Qu'ils doivent haranguer debout sur le perron. La ville, dit-on, est cernée De soldats, les mousquets chargés; Et l'on a vu, l'après-dînée. Arriver les chevau-légers: Dans leurs mains le fer étincelle; Ils attendent le boute-selle. Prêts au premier commandement; Et des cinq cantons catholiques, Sur l'Évangile et les reliques, Les Suisses ont prêté serment. Auprès de chaque pont des troupes sont postées: Sur la rive du nord les barques transportées; Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons, Des bandes de soldats dans Paris accourues Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues Des gens ont été vus qui marquaient des maisons. On vit, quand la nuit fut venue, Des hommes portant sur le dos Des choses de forme inconnue Et de mystérieux fardeaux. Et les passants se regardèrent: Aucuns furent qui demandèrent: -Où portes-tu, par l'ostensoir! Ces fardeaux persans, je te prie? -Au Louvre, votre seigneurie. Pour le bal qu'on donne ce soir. IV Il est temps; tout est prêt: les gardes sont placés. De l'hôtel Châtillon les portes sont forcées; Saint-Germain-l'Auxerrois a sonné le tocsin: Maudit de Rome, effroi du parti royaliste, C'est le grand-amiral Coligni que la liste Désigne le premier au poignard assassin. -« Est-ce Coligni qu'on te nomme? » -« Tu l'as dit. Mais, en vérité, Tu devrais respecter, jeune homme. Mon âge et mon infirmité. Va, mérite ta récompense; Mais, tu pouvais bien, que je pense, T'épargner un pareil forfait Pour le peu de jours qui m'attendent! » Ils hésitaient, quand ils entendent Guise leur criant: « Est-ce fait? » Ils l'ont tué! la tête est pour Rome. On espère Que ce sera présent agréable au saint père. Son cadavre est jeté par-dessus le balcon: Catherine aux corbeaux l'a promis pour curée. Et rira voir demain, de ses fils entourée, Au gibet qu'elle a fait dresser à Montfaucon. Messieurs de Nevers et de Guise, Messieurs de Tavanne et de Retz, Que le fer des poignards s'aiguise, Que vos gentilshommes soient prêts. Monsieur le duc d'Anjou, d'Entrague, Bâtard d'Angoulême, Birague, Faites armer tous vos valets! Courez où le ciel vous ordonne, Car voici le signal que donne La Tour-de-l'horloge au Palais. Par l'espoir du butin ces hordes animées. Agitant à la main des torches allumées, Au lugubre signal se hâtent d'accourir: Ils vont. Ceux qui voudraient, d'une main impuissante, Écarter des poignards la pointe menaçante. Tombent; ceux qui dormaient s'éveillent pour mourir. Troupes au massacre aguerries, Bedeaux, sacristains et curés, Moines de toutes confréries. Capucins, Carmes, Prémontrés, Excitant la fureur civile, En tout sens parcourent la ville Armés d'un glaive et d'un missel. Et vont plaçant des sentinelles Du Louvre au palais des Tournelles De Saint-Lazare à Saint-Marcel. Parmi les tourbillons d'une épaisse fumée Que répand en flots noirs la résine enflammée, A la rouge clarté du feu des pistolets, On voit courir des gens à sinistre visage, Et comme des oiseaux de funeste présage, Les clercs du Parlement et des deux Châtelets. Invoquant les saints et les saintes, Animés par les quarteniers, Ils jettent les femmes enceintes Par-dessus le Pont-aux-Meuniers. Dans les cours, devant les portiques. Maîtres, écuyers, domestiques. Tous sont égorgés sans merci: Heureux qui peut dans ce carnage, Traversant la Seine à la nage. Trouver la porte de Bussi! C'est par là que, trompant leur fureur meurtrière, Avertis à propos, le vidame Perrière, De Fontenay, Caumont, et de Montgomery, Pressés qu'ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse. Échappent aux soldats qui courent sur leur trace Jusque sous les remparts de Montfort-l'Amaury. Et toi, dont la crédule enfance, Jeune Henri le Navarrois. S'endormit, faible et sans défense, Sur la foi que donnaient les rois; L'espérance te soit rendue: Une clémence inattendue A pour toi suspendu l'arrêt; Vis pour remplir ta destinée, Car ton heure n'est pas sonnée, Et ton assassin n'est pas prêt! Partout des toits rompus et des portes brisées, Des cadavres sanglants jetés par les croisées, A des corps mutilés des femmes insultant; De bourgeois, d'écoliers, des troupes meurtrières. Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières. Et des hommes hideux qui s’en allaient chantant: « Valois et Lorraine Et la double croix! L'hérétique apprenne Le pape et ses droits! Tombant sous le glaive. Que l'impie élève Un bras impuissant; Archers de Lausanne, Que la pertuisane S'abreuve de sang! Croyez-en l'oracle Des corbeaux passants, Et le grand miracle Des Saints-Innocents. A nos cris de guerre On a vu naguère, Malgré les chaleurs, Surgir une branche D'aubépine franche Couverte de fleurs! Honni qui pardonne! Allez sans effroi, C'est Dieu qui l'ordonne, C'est Dieu, c'est le roi! Le crime s'expie; Plongez à l'impie Le fer au côté Jusqu'à la poignée; Saignez! la saignée Est bonne en été! » V Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue, Par la mort Dieu! que l'hydre enfin soit abattue! Qu'est-ce? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain? J'y mets empêchement: et, si je ne m'abuse, Ce coup est bien au droit. -George, une autre arquebuse, Et tenez toujours prête une mèche à la main. Allons, tout va bien: Tue! -Ah. Cadet de Lorraine, Allez-vous-en quérir les filles de la reine. Voici Dupont, que vient d'abattre un Écossais: Vous savez son affaire? Aussi bien, par la messe, Le cas était douteux, et je vous fais promesse Qu'elles auront plaisir à juger le procès. Je sais comment la meute en plaine est gouvernée; Comment il faut chasser, en quel temps de l'année. Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux; Comment on doit forcer la fauve en son repaire; Mais je n'ai point songé, par l'âme de mon père, A mettre en mon traité la chasse aux huguenots! » La Vengeance. (1851) Quand j'entrai dans la vie, au sortir de l'enfance, A cet âge innocent où l'homme sans défense, Inquiet, sans appui, cherche un guide indulgent, Et, demandant au ciel un ami qui l'entende. Sent qu'il a si besoin d'une main qu'on lui tende Et d'un regard encourageant; Toi seule, armant ta voix d'une affreuse ironie, As fait sur un enfant peser ta tyrannie: A tes rires amers que tu m'as immolé! Par un plaisir cruel prolongeant ma souffrance, Ta bouche comme un crime a puni l'ignorance Et tes dédains m'ont accablé. Sais-tu que se venger est bien doux? Mon courage A supporté l'affront et dévoré l'outrage: Comme une ombre importune attachée à tes pas J'ai su te fatiguer par ma fausse tendresse, J'ai su tromper ton coeur, j'ai su feindre l'ivresse D'un amour que je n'avais pas. Te souviens-tu d'abord comme ta résistance Par de cruels mépris éprouva ma constance. Mais je pleurai, je crois, je parlai de mourir... Et puis, on ne peut pas toujours être rebelle; A s'entendre sans fin répéter qu'on est belle, Il faut pourtant bien s'attendrir. Grâce au ciel! ma victoire est enfin assurée; Au mépris d'un époux et de la foi jurée. Enfin, tu t'es livrée à moi, tu m'appartiens! J'ai senti dans ma main frémir ta main tremblante Et mes baisers errants sur ta bouche brûlante Se sont mêlés avec les tiens! Et bien! sache à présent, et que ton coeur se brise. Sache que je te hais et que je te méprise, Sache bien que jamais je ne voulus t'avoir Que pour pouvoir un jour en face te maudire. Rire de tes tourments, à mon tour, et te dire Tout ce que je souffre à te voir! As-tu donc pu jamais, malheureuse insensée, Croire que ton image occupait ma pensée? Connais-moi maintenant et comprends désormais Quelle horreur me poussait, quelle rage m'enflamme, Et ce qu'il m'a fallu de haine au fond de l'âme Pour te dire que je t'aimais? J'ai donc bien réussi, je t'ai donc bien frappée; Par un adolescent ta vanité trompée A pu croire aux serments que ma voix te jurait! Malgré cet oeil perçant, malgré ce long usage, Tu n'as donc jamais rien trouvé sur mon visage Qui trahît cet affreux secret? Je te lègue en fuyant, une honte éternelle. Je veux que le remords, active sentinelle. S'attache à sa victime, et veille à tes côtés, Qu'il expie à la fois mes chagrins, mes injures Et cette horrible gêne et ces mille parjures Que la vengeance m'a coûtés. C'est bien. Je suis content: j'ai passé mon envie; D'un souvenir amer j'empoisonne ta vie. Va-t'en! pour me fléchir ces cris sont superflus. Va-t'en! pleure à jamais ta honte et ta faiblesse Et songe bien au moins que c'est moi qui te laisse Et que c'est moi qui ne veux plus! La Vie. (1833) Amis, accueillez-moi, j'arrive dans la vie. Dépensons l'existence au gré de notre envie: Vivre, c'est être libre, et pouvoir à loisir Abandonner son âme à l'attrait du plaisir; C'est chanter, s'enivrer des cieux, des bois, de l'onde, Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde! -C'est bien là le discours d'un enfant. Écoutez: Vous avez de l'esprit. -Trop bon. -Et méritez Qu'un ami plus mûr vienne, en cette circonstance, D'un utile conseil vous prêter l'assistance. Il ne faut pas se faire illusion ici; Avant d'être poète, et de livrer ainsi Votre âme à tout le feu de l'ardeur qui l'emporte. Avez-vous de l'argent? -Que sais-je?et que m'importe? -Il importe beaucoup; et c'est précisément Ce qu'il faut, avant tout, considérer. -Vraiment? -S'il fut des jours heureux, où la voix des poètes Enchaînait à son gré les nations muettes, Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps: Est-ce un bien, est-ce un mal, je l'ignore, et n'entends Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre. Le poète n'est plus l'enfant des immortels, A qui l'homme à genoux élevait des autels; Ce culte d'un autre âge est perdu dans le nôtre, Et c'est tout simplement un homme comme un autre. Si donc vous n'avez rien, travaillez pour avoir; Embrassez un état: le tout est de savoir Choisir, et sans jamais regarder en arrière, D'un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière. -Et ce monde idéal que je me figurais! Et ces accents lointains du cor dans les forêts! Et ce bel avenir, et ces chants d'innocence! Et ces rêves dorés de mon adolescence! Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés, Et ces grands peupliers, et ces fleurs! -Travaillez. Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître: Vous croyez que l'on n'a que la peine de naître, Et qu'on est ici-bas pour dormir, se lever, Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver; C'est ainsi qu'on se perd, c'est ainsi qu'on végète: Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette: Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat Quelque temps, et l'on va mourir sur un grabat. Ce tableau n'est pas gai, ce discours n'est pas tendre. C'est vrai; mais j'ai voulu vous faire bien entendre, Par amitié pour vous, et dans votre intérêt, Où votre poésie un jour vous conduirait. Cet homme avait raison, au fait: j'ai dû me taire. Je me croyais poète, et me voici notaire. J'ai suivi ses conseils, et j'ai, sans m'effrayer, Subi le lourd fardeau d'une charge à payer. Je dois être content: c'est un très bel office; C'est magnifique, à part même le bénéfice. On a bonne maison, on reçoit les jeudis; On a des clercs, qu'on loge en haut, dans un taudis. Il est vrai que l'état n'est pas fort poétique. Et rien n'est positif comme l'acte authentique. Mais il faut pourtant bien se faire une raison, Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison: Il faut que le notaire, homme d'exactitude, D'un travail assidu se fasse l'habitude; Va, malheureux! et si quelquefois il advient Qu'un riant souvenir d'enfance vous revient, Si vous vous rappelez que la voix des génies Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies; Si, poursuivant encor un bonheur qu'il rêva. L'esprit vers d'autres temps veut se retourner: Va! Est-ce avec tout cela qu'on mène son affaire? N'as-tu pas ce matin un testament à faire? Le client est fort mal, et serait en état, Si tu tardais encor, de mourir intestat. Mais j'ai trente-deux ans accomplis; à mon âge Il faut songer pourtant à se mettre en ménage; Il faut faire une fin, tôt ou tard. Dans le temps. J'y songeais bien aussi, quand j'avais dix-huit ans. Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée, Descendre sur ma couche une vierge voilée; Je la sentais, craintive, et cédant à mes voeux. D'un souffle caressant effleurer mes cheveux; Et cette vision que j'avais tant rêvée. Sur la terre, une fois, je l'avais retrouvée. Oh! qui me les rendra ces rapides instants, Et ces illusions d'un amour de vingt ans! L'automne à la campagne, et ses longues soirées, Les mères, dans un coin du salon retirées, Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus, Et ces airs si touchants que j'ai tous retenus? Tout à coup une voix d'en haut l'a rappelée: Cette vie est si triste! elle s'en est allée; Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords; Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts? Il s'agit bien ici d'un amour platonique! Me voici marié: ma femme est fille unique; Son père est épicier-droguiste retiré, Et riche, qui plus est: je le trouve à mon gré. Il n'est correspondant d'aucune académie. C'est vrai; mais il est rond, et plein de bonhomie: Et puis j'aime ma femme, et je crois en effet, En demandant sa main, avoir sagement fait. Est-il un sort plus doux, et plus digne d'envie? On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie: On boit, on mange, on dort, et l'on voit arriver Des enfants qu'il faut mettre en nourrice, élever, Puis établir enfin: puis viennent les années, Les rides au visage et les couleurs fanées, Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà. La Villégiature. (1851) J'ai souvent comparé la villégiature Aux phases d'un voyage entrepris en commun Avec des étrangers de diverse nature Dont on n'a de ses jours vu ni connu pas un. Au début de la route, en montant en voiture, On s'observe: -l'un l'autre on se trouve importun; L'entretien languissant meurt faute de pâture... Mais, petit à petit, on s'anime; et chacun A l'entrain général à son tour s'associe: On cause, on s'abandonne, et plus d'un s'apprécie. -Les chevaux cependant marchent sans s'arrêter; Et c'est lorsqu'on commence à peine à se connaître, Que l'on se juge mieux, -qu'on s'aimerait peut-être, -C'est alors qu'on arrive, -et qu'il faut se quitter. Le Commencement De L'Année. (1833) Écoutez bien: l'heure est sonnée; La dernière du dernier jour, Le dernier adieu d'une année Qui vient de s'enfuir sans retour! Encore une étoile pâlie; Encore une page remplie Du livre immuable du Temps! Encore un pas fait vers la tombe, Encore une feuille qui tombe De la couronne de nos ans! Et toi qui viens à nous, jeune vierge voilée, Dis-nous, dois-tu passer joyeuse ou désolée? Apprends-nous les secrets enfermés dans ta main: Quels dons apportes-tu dans les plis de ta robe, Vierge; et qui nous dira le mot que nous dérobe, Le grand mystère de demain? Dois-tu, comme la bien-aimée Au souffle du vent matinal, Passer rieuse et parfumée Des senteurs du lit virginal? Dois-tu nous apparaître amère Comme la douleur d'une mère Au tombeau de ses enfans morts. Ou, comme un lamentable drame, Laisser pour adieu dans notre âme Le désespoir et le remords? Mais qu'importe, mon Dieu, ce que ta main enserre De pluie ou de soleil, de joie ou de misère! Pourquoi tenter si loin le muet avenir? Combien, dans cette foule à la mort destinée. Qui voyant aujourd'hui commencer cette année. Ne doivent pas la voir finir! Moi-même, qui fais le prophète. Que sais-je, hélas! si ce flambeau Qui m'éclaire dans une fête Ne luira pas sur mon tombeau? Peut-être une main redoutable M'entraînera hors de la table Avant le signal de la fin. Comme une marâtre inhumaine Qui guette un enfant, et l'emmène Sans qu'il ait assouvi sa faim. Et l'homme cependant, si pauvre et si fragile. Passager d'un moment dans sa maison d'argile, Misérable bateau sur l'Océan jeté, Dans cet amas confus de rumeurs incertaines, Sent au fond de son coeur comme des voix lointaines Qui lui parlent d'éternité. Et quoiqu'un terrible mystère Lui laisse ignorer pour toujours Si sa part d'avenir sur terre Se compte par ans ou par jours, Il croit, dans sa pensée altière. Que pour jamais à la matière Ce rayon de l'âme est uni: Il cherche un but insaisissable: Pour le rocher prenant le sable. Et l'inconnu pour l'infini. Mais regarde en arrière, et compte tes années, Si promptes à fleurir et si vite fanées: Celles-là ne devaient non plus jamais finir: Qu'à des rêves moins longs ton âme s'abandonne, Imprudent! et du moins que le passé te donne La mesure de l'avenir. Toutefois de l'an qui commence Saluons la nativité, Cet anneau de la chaîne immense Qui se perd dans l'éternité; Et s'il est vrai que cette année Par grâce encor nous soit donnée, N'usons pas nos derniers instans A chercher si de son visage Ce voile épais est le présage De la tempête ou du beau temps. Et vous tous, mes amis, vous qui sur cette terre Semez d'ombre et de fleurs mon sentier solitaire, Des biens que je n'ai pas puisse Dieu vous doter; Sitôt que la clarté doive m'être ravie, Puisse-t-il ajouter aux jours de votre vie Ceux qu'il lui plaira de m'ôter! Le Livre De Mon Coeur. (1851) La Porte-Saint-Martin va donner des Mystères Où Paris tout entier se hâte d'accourir. Tout manque, les balcons, les loges, les parterres; J'ai pourtant une place et je vais vous l'offrir. Ce théâtre où jadis je vous ai rencontrée Me rappelle un passé bien cruel et bien doux. C'était un soir d'été, douce et chaude soirée; Je m'en souviens encor: vous en souvenez-vous? Que de choses depuis! -La vie est ainsi faite. Je voulais vous avoir, vous n'avez pas voulu Et j'ouvris devant vous oublieuse et distraite Le livre de mon coeur où vous n'avez rien lu. Eh bien, il est au moins un bienfait que j'implore, Triste et suprême appel que vous fera ma voix, Qu'une dernière fois je vous revoie encore Aux lieux où je vous vis pour la première fois! Comme un oiseau blessé qui vient, l'aile meurtrie, Mourir près de son nid, au bord de son ruisseau. Qu'ainsi mon pauvre amour, brisé par vous, Marie. Vienne chercher sa tombe auprès de son berceau! Le Poète. (1833) Qui peut empêcher l'hirondelle, Quand vient la saison des frimas, D'aller chercher à tire d'aile D'autres cieux et d'autres climats? Qui peut, lorsque l'heure est venue, Empêcher au sein de la nue - Le jour éteint de s'arrêter Sur les derniers monts qu'il colore? L'amant d'aimer, la fleur d'éclore Et le poète de chanter? Le transport d'un pieux délire A lui d'abord s'est révélé, Et des sons lointains d'une lyre Son premier rêve fut troublé: Tel que Janus aux deux visages Dont l'oeil plongeait sur tous les âges, Le ciel ici-bas l'a placé Comme un enseignement austère, Comme un prophète sur la terre De l'avenir et du passé. Mais hélas! pour qu'il accomplisse Sa tâche au terrestre séjour, Il faudra qu'un nouveau supplice Vienne l'éprouver chaque jour; Que des choses de cette vie Et de tous ces biens qu'on envie Il ne connaisse que les pleurs; Que brûlé d'une ardeur secrète Il soit au fond de sa retraite Visité par tous les malheurs. Il faut que les chants qu'il apporte Soient repoussés par le mépris; Qu'il frappe, et qu'on ferme la porte; Qu'il parle et ne soit point compris: Que nul de lui ne se souvienne, Que jamais un ami ne vienne Guider la nuit ses pas errants; Qu'il épuise la coupe amère Qu'il soit renié de sa mère. Et méconnu de ses parents. Il faut qu'il sache le martyre; Il faut qu'il sente le couteau Levé sur sa tête et qu'on tire Au sort les parts de son manteau; Il faut qu'il sache le naufrage. Le poète est beau dans l'orage, Le poète est beau dans les fers; Et sa voix est bien plus touchante Lorsqu'elle est plaintive, et ne chante Que les malheurs qu'il a soufferts. Il faut qu'il aime, qu'il connaisse Tout ce qu'on éprouve en aimant, Et tour à tour meure et renaisse Dans un étroit embrassement; Qu'en ses bras, naïve et sans crainte, Aux charmes d'une douce étreinte Une vierge au coeur innocent. Silencieuse, s'abandonne, Belle du bonheur qu'elle donne Et du bonheur qu'elle ressent. Et que bientôt la vierge oublie Ces transports et ces doux instants; Que d'une autre image remplie, Elle vive heureuse et longtemps; Que, si cette amour effacée Quelque jour s'offre à sa pensée, Ce soit comme un hôte imprévu. Comme un rayon pendant l'orage, Comme un ami du premier âge Qu'on se ressouvient d'avoir vu. Éprouvé par la destinée. Il entrevoit des temps meilleurs, Il sait qu'il doit de sa journée Recevoir le salaire ailleurs; Car loin de tous les yeux profanes, Un ange aux ailes diaphanes Vint au milieu de ses ennuis Lui révéler que cette vie Doit finir, pour être suivie De jours qui n'auront pas de nuits. Qu'un autre, épris d'une ardeur sainte, Les yeux tournés vers l'avenir, S'élance pour franchir l'enceinte Qui ne peut plus le contenir: Qu'il poursuive une renommée Qui par tout l'univers semée Retentisse chez nos neveux; Mêlée aux tempêtes civiles, Qu'au seuil des grands, au sein des villes. Sa voix résonne: moi, je veux Dans le silence et le mystère, Loin du monde, loin des méchants, Que l'on m'ignore, et que la terre Ne sache de moi que mes chants: A l'oeil curieux de l'envie Soigneux de dérober ma vie Et la trace de tous mes pas. Je me sauverai de l'orage; Comme ces oiseaux sous l'ombrage, Qu'on entend et qu'on ne voit pas. Le Retour De La Bien-Aimée. (1851) I Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies Où j'allais promener mes tristes rêveries, Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs, Que tout prenne une voix et retrouve des chants Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance Un hymne de bonheur et de reconnaissance! Celle, qui dans un chaste et pur embrassement, A reçu mon amour et mon premier serment, Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie Par d'injustes parents m'avait été ravie; Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats Avaient osé venir l'arracher de mes bras; Et jaloux de m'ôter la dernière espérance Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance, Un message trompeur nous avait informés Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés. Celui qui fut aimé, celui qui put connaître Ce bonheur enivrant de confondre son être, De vivre dans un autre, et de ne plus avoir Que son coeur pour sentir, et que ses yeux pour voir, Celui-là pourra seul deviner et comprendre Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre; Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir Un homme, et supporter de tourments sans mourir. Mais la main qui sur moi s'était appesantie Semble de mes malheurs s'être enfin repentie. Leur coeur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché, Que sais-je? Ou que la voix du remords l'ait touché. Celle que je pleurais, que je croyais perdue, Elle vit! elle vient! et va m'être rendue! Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux. Non! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées En cet heureux instant sont toutes effacées; Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis. Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits? Et moi! J'osais du ciel accuser la colère! Je reconnais enfin sa bonté tutélaire. Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix! II Quel bonheur est le mien! Pourtant -ces deux années Changent bien des projets et bien des destinées; -Je ne puis me celer, à parler franchement, Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment. Certes, le souvenir de notre amour passé N'est pas un seul instant sorti de ma pensée; Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait: Invité cet hiver aux bals chez le préfet. J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie Risqué de temps en temps quelque galanterie: Je convins aux parents, et fus bientôt admis Dans cette intimité qu'on réserve aux amis. J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture, Je présentais la main pour monter en voiture; Dans nos réunions en petit comité, Toujours près de la fille, assis à son côté. Je me rendais utile à tout, j'étais son page. Et quand elle chantait, je lui tournais la page. Enfin, accoutumé chaque jour à la voir. 60 Que sais-je? J’ai rendu, sans m'en apercevoir, Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne N'être pas dédaignés de la jeune personne: Si bien que je ne sais trop comment m'arranger: On jase, et les parents pourront bien exiger Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique, Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique. C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé, Et, comme un débutant, je me suis avancé. Mais, d'un autre côté, comment prévoir...? N'importe, Mes serments sont sacrés, et mon amour l'emporte, J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,- Je lui raconterai la chose comme elle est. -C'est bien! -Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire? Le monde est si méchant, et si prompt à médire! -Je le brave! et s'il faut, je verserai mon sang... Oui: mais toujours est-il que c'est embarrassant. III Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère, Et comme les malheurs changent un caractère! J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé Cette aimable candeur qui m'avait captivé. Celle que j'avais vue autrefois si craintive. Dont la voix résonnait si douce et si plaintive, Hautaine, au parler bref, et parfois emporté, A rejeté bien loin cette timidité. A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle. Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle? Jetant sur le passé des regards curieux, Elle m'a demandé d'un air impérieux Si, pendant tout ce temps que j'ai passé loin d'elle. Mon coeur à sa mémoire était resté fidèle: Et de quel droit, bon Dieu? Nous n'étions point liés. Et nous aurions très bien pu nous être oubliés! J'avais juré, promis! -Qu'est-ce que cela prouve? Tous les jours, en amour, on jure; et lorsqu'on trouve Quelque distraction, on laisse rarement Perdre l'occasion de trahir son serment: Il n'est pas défendu d'avoir un coeur sensible, Et ce n'est point du "tout un crime irrémissible. Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert. Entre nous, soyons franc, parlons à coeur ouvert: J'en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée S'est bien de son côté quelque peu consolée; Et si je persistais à demander sa main. C'était par conscience, et par respect humain; Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première. Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière, Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près, Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après. Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire N’a point à nos serments prêté son ministère. -Mais quels emportements! quels pleurs! car elle croit Exiger une dette et réclamer un droit. Or il faut en finir: quoi qu'elle dise ou fasse, J'en ai pris mon parti; j'irai lui dire en face, -Quoi? -Que son caractère est à n'y pas tenir. -Elle avait bien besoin aussi de revenir! Nous étions si bien tous, quand son humeur altière Vint troubler le repos d'une famille entière! On nous la disait morte; et je croirais aussi Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi. L'Immortalité. (1851) La mort vient dégager de la vile matière Notre esprit, souffle de la pur divinité, Et l'ombre des tombeaux nous cache une lumière Dont nos yeux ne pourraient soutenir la clarté. La mort vient délivrer notre âme prisonnière Et lui faire connaître enfin la liberté, Nous mourons, c'est la vie; et notre heure dernière Est le premier moment de l'immortalité. Ah! ne redoutons pas de tomber dans l'abîme Où paraît s'engloutir à jamais l'être humain, Le trépas nous promet l'éternel lendemain; Et par un privilège éclatant et sublime, Quand il meurt ici-bas, l'homme naît dans le ciel Car Dieu le fait mourir pour le rendre immortel. Lorsqu'Autrefois. (1851) A M. B *** Lorsqu'autrefois, au seuil des saintes basiliques, Des rois, couverts d'un sac, et baisant des reliques. Les reins ceints d'une corde, et les pieds tout meurtris, Venaient s'agenouiller repentants et contrits; En expiation de quelques grands scandales Humiliaient leur front dans la poudre des dalles. Et dans le sanctuaire où Dieu s'était caché Se frappaient la poitrine en criant: J'ai péché! Dans le fond de ces coeurs à qui voulait descendre L'orgueil apparaissait bientôt sous cette cendre, Et laissait voir à nu ce que de vanité Recelait en dedans si haute humilité. Mais quand un homme obscur qui n'eut jamais l'envie Que de cacher à tous la trace de sa vie, Qui va suivant sa route en marquant chaque pas, Par quelque oeuvre de bien que l'on ne connaît pas, Quand par hasard cet homme, après soixante années D'honneur et de vertus l'une à l'autre enchaînées, Arrivant près du terme, et las d'avoir marché, Dans cette voie étroite une fois a bronché. Alors il faut gémir qu'aux choses de la terre La main d'un Dieu jaloux ait fait ce caractère De ne pouvoir toujours, entre tant de combats, Garder une vertu qui n'est point d'ici-bas, Et vienne tôt ou tard jeter quelque mélange Sur cette pureté qu'il réserve pour l'ange. Comme pour faire voir que toujours d'un côté Un coeur, si haut qu'il soit, touche à l'humanité. Mais lors qu'après, cet homme, ayant dans le silence Pesé cette action au poids de sa balance, S'en revient devant tous pensif et recueilli, Dire en plein jour, tout haut: Mes frères, j'ai failli! Oh! s'il a fait cela, la victoire est plus belle Qu'il vient de remporter sur cette âme rebelle. Cet effort est plus grand et plus beau, que d'avoir Achevé, sans combat, la route du devoir. Là, ce n'est pas le cri d'un vain orgueil qui pense Dans son abaissement trouver sa récompense, C'est le sublime aveu d'un coeur qui ne veut pas Se faire un tel fardeau pour l'heure du trépas: -Donc, relevez la tête, et ne vous touchez guères De ce qu'ont dit en soi tous ces hommes vulgaires Qui n'ont jamais senti, n'ayant point combattu, Ce que donne de prix la lutte à la vertu. Laissez-les ces gens-là, traîner sans résistance Dans de froides vertus une pâle existence, Par les chemins battus laissez-les pas-à-pas S'avancer vers un but qu'ils ne comprennent pas; Et tenez pour certain qu'il est moins méritoire D'avoir toujours suivi sans lutte et sans victoire La monotone voix d'un honneur rétréci. Qu'après être tombé se relever ainsi. Ospitalita. (1833) Dans des vers immortels que vous savez sans doute, Dante acceptant d'un prince et le toit et l'appui, Des chagrins de l'exil abreuvé goutte à goutte, Nous a montré son coeur tout plein d'un sombre ennui; Et combien est amer, pour celui qui le goûte, Le pain de l'étranger, et tout ce qu'il en coûte De monter et descendre à l'escalier d'autrui... Moi, qui ne le vaux pas, j'ai trouvé mieux que lui. Ici, malgré ces vers de funèbre présage, J'ai trouvé le pain bon, et meilleur le visage, Et l'opulent bien-être et les plaisirs permis. C'est que Dante, égaré dans des sphères trop hautes, Avait un protecteur, et que moi j'ai des hôtes; C'est qu'il avait un maître et que j'ai des amis. Pourtant, Si Tu M'Aimais. (1833) Pourtant, si tu m'aimais! si cette raillerie Avait jeté racine et germé sourdement; Si, moi qui me jouais, si tu m'avais, Marie, De la bouche et du coeur appelé ton amant! Si je t'avais trompée, et si j'avais su rendre Si puissant et si doux mon sourire moqueur. Que ton âme crédule ait pu se laisser prendre Aux semblants d'un amour qui n'est point dans mon coeur, Malheur à tous les deux! Tôt ou tard l'imposture Rapportera ses fruits d'angoisse et de douleur; Et toi, qui n'a rien fait, toi, pauvre créature, Tu prendras comme moi ta moitié du malheur. Et si j'avais dit vrai; cependant, quand j'y songe... Ô femme! vois un peu ce que c'est que de nous! Pour peu que cette voix, qui riait du mensonge. Eût de torrents d'amour inondé tes genoux! Comme un berceau d'enfant à la branche fleurie, Si j'avais suspendu mon bonheur à tes pas, Malheur, encor malheur! car cette fois, Marie, Hélas! ce serait toi qui ne m'aimerais pas! Était-ce donc ta loi, pitoyable nature. De reculer toujours le but que j'entrevois, Et de ne mettre au coeur de chaque créature Qu'un désir sans espoir, et qu'un écho sans voix. Ô malédiction! était-ce ton envie De n'accomplir jamais qu'une part du souhait, Et le seul avenir est-il pour cette vie, De haïr qui nous aime, ou d'aimer qui nous hait. Source: http://www.poesies.net