Poésies. Par Edouard D'Anglemont. (1796-1876) TABLE DES MATIÈRES. Nouveau Chant Français. La Pacification De L’Espagne. Veni, vidi, vici. LOUIS XVIII. Westminster Et Le Château De Windsor. Le Château De Windsor. Sainte-Hélène Et Les Invalides. L’Homme De Sedan. La Résurrection De La Colonne. La Horde Bonapartiste. Nouveau Chant Français. exécuté au premier-théatre-français, par dérivis, le jour de l’arrivée de S. A. R. Mgr le Duc D’Angoulême. Lorsque Louis, fier d’accomplir Les voeux de l’Espagne opprimée, Aux rives du Guadalquivir Envoyait sa fidèle armée, Au descendant du Béarnais Il disait avec confiance: Mon fils, va conquérir la paix: Honneur, honneur au Roi de France! Noble émule de Duguesclin, Dans les champs témoins de sa gloire, D’angoulême, sur son chemin, A toujours trouvé la victoire. À cet intrépide vainqueur Ferdinand doit sa délivrance; L’Espagne lui doit son bonheur: Honneur au Héros de la France! Tandis qu’avide de combats, Dans les plaines de l’Ibérie, Bourbon conduisait les soldats Dont s’enorgueillit la patrie; Brûlant de suivre son époux, Thérèse priait en silence: Le ciel a combattu pour nous: Honneur à l’Ange de la France! Vous qui jadis fûtes l’appui Du trône des lis, et des belles, Si la mort les prive aujourd’hui Du secours de vos bras fidèles, Chevaliers vaillans et courtois, Si chers à notre souvenance, Nous vous retrouvons en d’artois: Honneur au premier Fils de France! Fils de Berry, si ton berceau S’éleva dans le sein des larmes, Tu reprends un éclat nouveau Dans le triomphe de nos armes: Formé par le vengeur des rois, À la valeur, à la prudence, Un jour tu soutiendras leurs droits: Honneur à l’Espoir de la France! Ils avaient dit que nos drapeaux, Déshérités par la victoire, Toujours esclaves du repos, Ne se couvriraient plus de gloire! Mais sous un Bourbon, nos guerriers, Déjà si grands par leur vaillance, Se parent de nouveaux lauriers: Honneur aux Enfans de la France! La Pacification De L’Espagne. A Son Altesse Royale. Madame, Duchesse d’Angoulême. Tandis qu’effroi des factieux, Un Bourbon allait les combattre, Et briser les fers odieux D’un autre fils de Henri quatre, Sur des rives où tes bienfaits Révélaient ta présence heureuse, De ton noble époux orgueilleuse, Tu priais Dieu pour ses succès. Son bras, armé par la victoire, A détruit l’espoir des méchants: Je dois, en célébrant sa gloire, Te faire hommage de mes chants. Veni, vidi, vici. Tel que ce conquérant dont l’invincible épée Arrête tout-à-coup du superbe Pompée L’essor victorieux, Brave sur un esquif le courroux de Neptune, Vient, se montre, et commande à l’aveugle fortune En maître impérieux: Tel de Henri le Grand le rejeton illustre, Fier de donner encore un héroïque lustre Au plus beau sang des rois, Après avoir porté son triomphe rapide Du berceau de Pyrène aux colonnes d’Alcide, Couronne ses exploits. Mais la soif du pouvoir, cette flamme fatale Qui dévorait le sein du vainqueur de Pharsale, N’a point armé ses mains: Des oppresseurs du monde il dédaigne la gloire, Et son coeur généreux consacre la victoire Au repos des humains. Roi, jouet du destin, qui, paré d’un vain titre, Vis le crime jouir en souverain arbitre De ton sceptre usurpé, Le héros t’a rendu ce sceptre héréditaire: Les enfants de l’Espagne ont retrouvé leur père, Au poignard échappé. En vain l’affreux démon des discordes civiles Dans le sein de tes champs, dans le sein de tes villes, Agita son flambeau; En vain cet ennemi de tout ce qui respire Menaça de changer ton florissant empire En un vaste tombeau. Le courage immortel des guerriers de la France Lui ravit à jamais la coupable espérance De troubler l’univers: Sous le poids de la main qui brise son ouvrage, Il exhale en ces mots son impuissante rage, En rentrant aux enfers: «Je ne verrai donc plus les moissons ravagées, » Les temples sans autels, et les cités plongées «Dans des fleuves de sang! » Le fils va respecter la cendre de son père; » Le frère, avec orgueil, désormais de son frère» Épargnera le flanc! » À la voix de leurs chefs les nations dociles » Ne s’écarteront plus de ces routes faciles» » Que leur tracent les lois; » Et, juge sans pouvoirs, le sujet parricide » N’osera plus lancer l’anathème homicide » Sur la tête des rois!» Toi, dont l’astre éclatant luit sur notre contrée, À qui les souverains d’une guerre sacrée Ont confié le faix, Monarque fortuné, ton attente est remplie; Par le bras de ton fils tu vois l’oeuvre accomplie: Il a conquis la paix! Toi, qu’à de longs malheurs le sort a mise en proie, Héroïne des Francs, aux transports de la joie Abandonne ton coeur: Tel que ces anciens preux, appuis de la justice, Ton époux vient t’offrir, en sortant de la lice, Les lauriers du vainqueur. Temple vaste et superbe, où flottent sur nos têtes Ces drapeaux déchirés, monuments des conquêtes De tous nos demi-dieux, Ouvre tes saints parvis au moderne Vendôme: Il vient, il vient suspendre aux marbres de ton dôme L’étendard factieux. Et vous qui des mortels chéris par la victoire Avez transmis les noms et l’étonnante histoire À la postérité, Chastes soeurs d’Apollon, par les plus nobles veilles Du protecteur des rois consacrez les merveilles À l’immortalité. LOUIS XVIII. Ode. Toi qui reçus naguère, en tes caveaux antiques, D’un fils d’Henri-le-Grand les restes vénérés, Saint-Denis, ouvre encor tes lugubres portiques! Pleurez, Français, pleurez! Un Roi de l’étranger délivra nos campagnes, Fonda nos libertés sur un pacte immortel, Rendit à Ferdinand le trône des Espagnes, À la gloire un autel! Il n’est plus!!... mais quel nom au burin de l’histoire Pourra jamais offrir des traits plus éclatans? Dans tous les coeurs français on verra sa mémoire S’accroître avec le temps! Mais la plaine des airs de feux est sillonnée! N’entends-je pas des sons inconnus des humains? Tous mes sens sont émus, et ma lyre étonnée S’échappe de mes mains! Les Anges sur la terre annoncent leur présence! Au séjour des élus ils emportent Louis! Que vois-je! le Ciel s’ouvre, et vers Bourbon s’avance Un Monarque des lys![1] «Héritier de mon nom et de mon diadème, » Viens; dit-il, près de moi sur un trône éternel; » Mon fils; viens recevoir du Monarque suprême » Le rameau solennel. » Quand la Seine m’a vu régner sur son rivage, » Je n’ai jamais songé qu’à mon peuple chéri; » De l’habitant des champs j’ai détruit le servage, » Et la France a fleuri! » Malheur! malheur au Roi que l’encens environne, » Et qui laisse gémir son peuple sans appui! » Le Ciel sur notre front ne place la couronne » Que pour veiller sur lui! » Mais toi, tu ne crains pas la céleste colère: » Tu connus ton devoir et ton coeur l’a rempli! » D’un Roi j’ai commencé l’ouvrage tutélaire! » Tes lois l’ont accompli! » Dans Hartwell, des Français n’étais-tu pas le père? » Pour qui demandais-tu ta pourpre au Dieu clément, » Quand ta main y traçait de ton règne prospère » L’auguste monument? » Lorsque les Rois ligués, envahissaient la France, » Tu parus; devant eux ton sceptre se leva! » La patrie en toi seul plaçait son espérance: » Ton sceptre la sauva! » À tes sujets meurtris par les fers despotiques, » De droits chers et sacrés n’as-tu pas fait le don? » Comme Henri, n’as-tu pas au sein des lys antiques » Fait asseoir le pardon? » Lorsque l’Ibère a vu des hordes mutinées » Dans ses villes en feu déchaîner les forfaits, » Un héros à ta voix franchit les Pyrénées » Et lui rendit la paix! » La France avec orgueil a reçu ce trophée; » Elle a repris son rang parmi les nations, » Et dans la tombe enfin voit dormir étouffée » L’hydre des factions! » Viens... mais abaisse encor tes regards sur la terre » Vois la France du deuil revêtir les couleurs; » Vois ton Frère; en montant au trône héréditaire, » Le baigner de ses pleurs! » Vois ton peuple, mon Fils, que sa douleur honore, » Du Prince qu’il aimait entourer le tombeau, » Jeter les yeux sur Charle, et saluer l’aurore » Du règne le plus beau! Louis VI. Westminster Et Le Château De Windsor. And Santa Croce wants their migthy dust. Byron. L’Angleterre sans doute aux regards enchantés Étale sous sa brume un trésor de beautés! Que la Tamise est belle avec son onde verte, Calme, majestueuse et de voiles couverte, Qui des peuples connus porte les pavillons, Et qui sans les mêler unit les nations; Avec tous ces bateaux où la vapeur bouillonne, Dont la marche rapide en tous sens la sillonne, Avec ses ponts hardis qui cintrent l’horizon! Que j’aime ces bosquets, ces tapis de gazon, Ces bronzes ornements de tes places publiques, Tes parcs aux claires eaux, tes fraîches basiliques, Ô Londres! et tes docks incessamment ouverts Aux tributs qu’en ton sein apporte l’univers! Que j’aime ce tunnel, la merveille du monde, Montrant Brunel vainqueur de l’envie et de l’onde; Et ce square de tours par le fleuve enclavé, Commencé par César, par Guillaume achevé, Qui vit tant d’échafauds et dont les pierres noires Content au voyageur tant de tristes histoires! Et Richmond!... Le regard qui de Richmond descend N’a jamais rencontré d’aspect plus ravissant Que ce mélange frais de plaines, de vallées, De cottages, de bois et de prés verts mêlées, Que se plaît à couper de ses franges d’azur La Tamise contente encor d’un sort obscur, Image de la vierge humble et timide encore Qui, pour voir les cités que le luxe décore, N’a pas quitté le chaume abri de son berceau! C’est un beau monument que Saint-Paul, ce vaisseau, Du culte réformé superbe cathédrale, Que pare de Nelson la pierre sépulcrale, Dont la haute coupole et le dôme romain Ont de Newton aidé le glorieux chemin! Mais Londres, c’est surtout pour ton vieux monastère Que j’ai besoin de dire: Honneur à l’Angleterre! Oh! comme le regard et le coeur sont ravis, Gothique Westminster, en tes sacrés parvis, Qui de toute grandeur reflètent la mémoire, Dont Albion a fait le temple de sa gloire! Là c’est une chapelle au travail merveilleux, Aux dentelles de pierre enchantement des yeux, Où de l’ordre du Bain s’assemble le chapitre, Où chaque chevalier a sa stalle à pupitre, Et le carré flottant d’un soyeux gonfanon Étalant ses couleurs, ses armes et son nom; Où, quand Dieu l’a voulu, tombés du rang suprême, Gisent ceux dont le front porta le diadème! Près des autres Stuarts, sous un marbre noirci, Marie est là couchée! Élisabeth aussi! Ici c’est d’autres rois la dépouille glacée! Westminster donne asile aux rois de la pensée! Salut, Gray, Richardson, Row, Shakspeare et Dryden! Salut, chantre inspiré des exilés d’Éden!... Là ce sont les guerriers que sur l’onde ou la terre Ont consacré leur sang, leur âme à l’Angleterre, Et dont avec orgueil elle redit le nom! Salut, Kempenfelt, Howe, Wolfe, Shovell, Vernon! Ici les orateurs dont la voix souveraine Des whigs et des torys a dominé l’arène, Ces ministres fameux, esprits vastes, puissants, Que sacrent du pays les destins florissants! Salut, rivaux unis dans la lugubre enceinte, Pitt, ardent protecteur de la royauté sainte, Fox, dont le mâle accent, cher à l’humanité, Du noir qui le bénit fonda la liberté! Là c’est Garrick, l’acteur, l’aigle des jeux scéniques; Ici Newton, qui, fort des pensers tyranniques Dont il était rempli, flambeau victorieux, Dévoila les secrets de la terre et des cieux! Grands hommes que la gloire à son banquet rassemble, Oh! quel charme je trouve à vous voir tous ensemble! Car, avec les rayons de votre front vainqueur, Je vous contemple tous de l’esprit et du coeur; Car, ainsi que les morts ranimés par le Dante, À l’appel souverain de la pensée ardente Qui vous réveille tous, vous dites: Nous voilà! Vous ne murmurez pas! et Byron n’est point là! Oh! non, c’est vainement qu’un puissant statuaire, Thorlwaldsen, a sculpté son marbre mortuaire; Celui qui de la mort gouverne le palais A repoussé Byron du panthéon anglais? En accueillant Milton sous ces voûtes funèbres. On ne se souvint pas qu’ange aussi de ténèbres» Le chantre de Satan, niveleur orgueilleux, Dédaignant d’éclairer son rêve ambitieux Au feu que la vertu pour le poëte allume, Du meurtre de Stuart avait taché sa plume! Et l’on s’est souvenu qu’en un cri de douleur Un homme contre Dieu fit parler le malheur, Quand cet homme est Byron, miraculeux génie; Poëte à la féconde et magique harmonie; Byron, Childe-Harold, ce barde pèlerin Qui part comme un coursier délivré de son frein, Qui sur ses ailes d’or nous prend et nous emporte, Qui de son feu sublime en courant nous transporte, Soit qu’aux vallons du Tage, âme de volupté, Il chante son doux ciel, son rivage enchanté, Ses femmes aux yeux noirs que l’amour divinise! Soit qu’en donnant ses pleurs aux splendeurs de Venise, Aux sables du Lido battu des flots amers, Il effleure le sol comme l’oiseau des mers; Soit qu’il base, en peignant l’éternité de Rome, La grandeur du vrai Dieu sur le néant de l’homme; Soit que de lord Elgin il flétrisse le nom En évoquant Minerve où fut le Parthénon; Soit que, des coeurs français partageant la souffrance, Il foule à Waterloo la tombe de la France! Byron dont le nom brille au terrestre séjour Comme au dôme étoilé brille l’astre du jour, Byron qui, lorsqu’en proie aux vents de la détresse, Désespérant du sort de la moderne Grèce, Sparte, Athènes jetaient un vain appel aux rois, Est mort, vouant son or et son glaive à la croix! Londres, 14 septembre 1839. Le Château De Windsor. Majesty, Power, glory, Strengh, and beauty. Byron. Surge et ambula. Evang. saint Luc. Windsor, Pope a chanté ta forêt magnifique, Ses dômes de verdure aux mobiles réseaux, Ses opulents viviers à l’onde pacifique, Ses coteaux, ses vallons peuplés de mille oiseaux, Sa rivière qui tient son doux nom de Lodone, Cette nymphe des bois, vierge aux malheurs touchants, Et ces chênes rivaux des chênes de Dodone! Mais ton château n’a pas encor trouvé de chants! Et pourtant devant toi, vieux manoir de Guillaume, Devant tes hautes tours et tes murs imposants, Formidable rempart de son nouveau royaume, Sur qui s’est émoussé le ravage des ans, Dont le pavé n’est point une pierre muette, Où tant de souvenirs se groupent en faisceau, Comment ne pas sentir, alors qu’on est poëte, Couler sa poésie en abondant ruisseau? Comment ne pas chanter lorsque le vent enlève Le blanchâtre rideau des brumes du matin, Quand le géant de pierre à vos regards se lève, Heureux de dépouiller son masque de satin; Quand mon âme de feu que le passé féconde Repeuple ce château de ses hôtes divers, Ainsi que l’Éternel repeuplera le monde Au jour qu’il lui plaira de juger l’univers? Comment ne pas chanter quand sous les yeux défile Un essaim de héros, de belles et de rois? D’abord, parmi la longue et glorieuse file, Avec Salisbury se présente Edward-Trois! Alix, à ta beauté quelle autre peut atteindre! Oh! quel prestige en toi! je conçois qu’à te voir, En l’un de ces amours que rien ne peut éteindre, Edward-Trois ait d’un roi méconnu le devoir! Je conçois qu’Edward-Trois, heureux de ta tendresse, Au milieu d’une fête ait pu, le front courbé, En humble serviteur de sa belle maîtresse, Relever le ruban de ton genou tombé; Qu’il ait de son bonheur, de sa galanterie À l’immortalité voué le souvenir Par cet ordre éclatant de la chevalerie Pour qui Cromwell faillit vendre son avenir! Voici le fils d’Eward sous son armure noire! Ce prince belliqueux, qui nous fut si fatal, M’apparaît le front ceint de ses palmes de gloire, Au milieu des créneaux de son palais natal! Toi qui vis à Crécy poindre ta renommée, Dont tant de fois depuis le drapeau triomphant Flotta, signal de deuil pour la France alarmée, Je ne te maudis pas! Poitiers me le défend! Après cette bataille à jamais mémorable Qui jeta sur nos champs un voile de douleur, Sublime chevalier, vainqueur incomparable, N’as-tu pas dignement honoré le malheur En ce roi qui, brûlant d’une héroïque flamme, Une hache à la main et le front menaçant, Pour son trône, son fils, la France et l’oriflamme Combattit seul debout sur la plaine de sang! J’aperçois Henri-Huit portant sur sa poitrine L’armure qu’il reçut d’un empereur germain, Alors que l’Aragon enchaîna Catherine, La veuve de son frère, à son premier hymen! Mes cheveux malgré moi sur ma tête se dressent! Une invincible horreur glace mon sein tremblant! Oh! c’est qu’autour de lui ses victimes se pressent! C’est qu’il marque ses pas sur un pavé sanglant! Toi, je te reconnais à ta taille élancée, Aux perles dont les fleurs parent tes vêtements, À ton visage empreint d’une mâle pensée, À ton front rayonnant d’or et de diamants! Salut, Élisabeth, toi dont la main puissante Étouffa les serpents de la sédition, Dota le peuple anglais d’une paix florissante Et livra l’océan au sceptre d’Albion! Mais des taches de sang souillent la blanche moire De ta robe aux reflets ondoyants et soyeux; Et, malgré tout l’éclat que jette ta mémoire, De ton aspect royal je détourne mes yeux; Et je pleure, en lisant en mon âme attendrie, En proie au souvenir d’une autre majesté, La courageuse mort de la belle Marie, Dont le crime pour toi n’était que sa beauté! Voilà Charles-Premier sous l’armure dorée Dont Londres, en bénissant son règne paternel, À genoux, contemplant sa face vénérée, Lui présenta l’hommage en un jour solennel! Oh! qui pouvait penser, au milieu de la fête Où l’on voyait joyeux tout un peuple accourir, Que Stuart au billot irait porter sa tête Et que ce peuple ingrat le laisserait mourir!... Anne, toi dont le nom rayonne dans l’histoire, Que tu mérites bien l’éclat dont tu jouis! Ton règne ami des arts et cher à la victoire Balança la grandeur du règne de Louis! Si Marlborough, guerrier à la gloire éternelle, T’apporta ses lauriers, opulente moisson, Sous tes yeux, à ta voix, à l’ombre de son aile Naissaient les nobles chants de Pope et d’Adisson! Salut, George-Premier!... Mais quelle est cette femme À robe blanche, au front d’un diadème orné, Aux yeux noirs éclatant d’une divine flamme Et qui pose sa main sur le roi consterné! C’est la reine Sophie! Il me semble l’entendre, Après les saints avis de son dernier adieu, Dire à George, d’un ton et solennel et tendre: Cher sire, dans un an vous rendrez compte à Dieu! Quelle est cette autre femme et si pâle et si belle? C’est le sang des Cobourg! c’est la fille des rois, Charlotte qui repose en la sainte chapelle Que pour ses chevaliers a bâtie Edward-Trois, Charlotte dont la vie, hélas! trop éphémère Vous promettait, Anglais, un règne de splendeur, Que vous pleurez ainsi qu’un fils pleure sa mère Quand le monde n’a pas desséché sa candeur! Oh! pour vous consoler contemplez votre reine! Il ne se courbe point sous le royal bandeau Le front de votre rose blonde souveraine, Son beau sceptre n’est pas en ses mains un fardeau! Vers elle sont tournés les regards d’espérance Des nobles fils d’Érin, d’injustices lassés! Je la vois mettre un terme à leur longue souffrance! Règnes d’Élisabeth et d’Anne, pâlissez! Londres, 20 septembre 1838. Sainte-Hélène Et Les Invalides. (1840) Nec pluribus impar. Devise de Louis XIV. Facti sumus opprobrium vicinis nostris; subsannatio et illusio his qui in circuitu nostro sunt. David, ps. 78. C’est moi qui me tairais! Victor Hugo. Thémistocle a vaincu la Perse à Salamine, Une palme immortelle a couronné son front; Athènes, où l’Envie et s’ébat et domine, D’un exil lui vomit l’affront! Thémistocle demande un abri pour sa gloire Aux ennemis dont sa victoire A foulé l’orgueil insolent; Et, lui tendant la main, le monarque d’Asie, Cet hôte fastueux, des champs de Magnésie Lui crée un asile opulent! Mais quand cet aigle-roi, ce dieu de la conquête Qui nous fit tant de jours d’un magique soleil, Ainsi qu’un chêne altier brisé par la tempête, Tombe d’un trône sans pareil, Entraîné par l’élan d’un noble caractère, Vint à la foi de l’Angleterre Livrer le plus grand des malheurs, Au lieu de l’abriter en un royal partage, Albion, cette soeur de l’antique Carthage, L’abreuva du fiel des douleurs! Celui qui de son souffle a remué la terre, Qui laboura le monde esclave de sa voix, Ruine de géant, ruine solitaire, Comme Prométhée autrefois Fut enchaîné vivant sur un rocher sauvage, Débris de quelque vieux rivage, Sous un ciel aux feux dévorants; Et là, durant six ans, le vautour britannique Déchira sans pitié de son bec tyrannique Le coeur du roi des conquérants! Et quand Napoléon vaincu par la souffrance S’éteignit, quoiqu’il eût à ses derniers moments Réclamé le sommeil de la terre de France, Le rocher prit ses ossements! Lui qui vit de ses pieds, d’où jaillissait la foudre, Les nations baiser la poudre, Que les rois vinrent adorer, Mort, il n’eut en son lit, solitude profonde, Pour gémir sur son sort que l’ouragan et l’onde, Que des saules pour le pleurer! Mais, ô verbe guerrier, christ d’une nouvelle ère, Tes voeux d’agonisant bientôt seront remplis! Les ossements sacrés du héros populaire Chez nous vont être ensevelis! Et celui qui plaça les martyrs des batailles En d’impérissables murailles Où plane encor son nom si beau, Sous ce toit de drapeaux conquis par la victoire Louis-Quatorze donne au géant de l’histoire L’hospitalité du tombeau! À vous donc que le vent de notre république Exila des caveaux du royal Saint-Denis, Que sous la voûte d’or du temple catholique Napoléon a réunis, À vous par le repos de nouveaux mausolées Ombres maintenant consolées, À vous, lieutenants du grand Roi, Vauban, Turenne; à vous d’ouvrir le sanctuaire, Quand l’Empereur, vêtu du belliqueux suaire, Aux portes s’écrira: C’est moi! À vous de vous presser en vos lits funéraires! Car autour du guerrier qui n’a point de rivaux Il nous faudra trouver des tombes pour vos frères, Ces demi-dieux des jours nouveaux! Car le roi des combats, en sa couche dernière, Veut les guides de sa bannière Pour compagnons de son sommeil! Car toute royauté demande sa couronne; Car il faut, pour qu’aux cieux tout éclat l’environne, Des satellites au soleil! Il me semble déjà bercé par le génie Du culte d’Ossian, cette religion Qui vous peuplait de morts, monts de Calédonie, Et qui charmait Napoléon; Il me semble déjà voir ces illustres ombres Sortir de leurs demeures sombres Au bruit d’héroïques concerts; Et comme un camp d’aiglons, devant une mêlée, Sur la cendre par nous au triomphe appelée Planer d’une vague des airs!... Oh! qu’elle eût été noble et sainte et solennelle La pompe qu’au grand homme on promet aujourd’hui, Oh! comme cet hommage à sa gloire éternelle Aurait été digne de lui, Si le pays, au jeu du glaive et du tonnerre, Eût, vengeur du roi de la guerre, Gagné sa cendre à ses bourreaux! Si la France, traînant à son char de victoire Albion sous un faix de honte expiatoire, Eût conduit le deuil du héros!... Mais toi que ton idole avait habituée À t’entendre nommer la grande nation, Ô France, tu n’es plus qu’une prostituée Vouée à la dérision! L’Europe, qui depuis tes trois jours de folie Et te flagelle et t’humilie, A brisé ton masque trompeur! Pour toi plus de combats, de gloire, de trophées! Pour toi du fer guerrier les moissons étouffées Tombent au souffle de la peur! Conquérant, ceux qu’on vit refuser ta Belgique, Enlever à l’appui d’un élan valeureux Ta Pologne ployant en sa lutte énergique, Incendie allumé par eux, Tromper ton Italie à la voix de la France Redressant, ivre d’espérance, Son front par les fers avili, Et qui craignent d’aider l’Égypte renaissante, Cet épi que sema ta main resplendissante Et qu’arrose le bras d’Ali; Ceux qui te devaient tout, qui devant ton naufrage Perdant le souvenir de tes dons généreux, Te jetèrent à flots le mépris et l’outrage Ou te vendirent malheureux, Ces criminels pour qui l’histoire inexorable A d’un carcan inaltérable Éternisé le châtiment, Voilà, Napoléon, ceux qui seront en scène Pour fêter ton retour aux rives de la Seine, Pour honorer ton monument! Ces nains aux pieds desquels la France est inclinée, Osant mettre en oubli ton supplice immortel, Vont avec Albion sceller un hyménée Dont ton cercueil sera l’autel! Et c’est en se gorgeant sur ta cendre sacrée De l’or du peuple, leur curée, Que nos gouvernants jureront Tout ce que veut de nous la vénale Angleterre, Tout ce que nous prescrit l’union adultère, Tâche éternelle de leur front! Et devant ce spectacle aux scènes éhontées, Devant tant d’intérêts impudemment trahis, Devant tant de grandeurs lâchement insultées, Poète ami de mon pays, J’aurais été muet! devant ces chants serviles Dont nos muses pâles et viles Vont saluer l’ovation, Enfermée aux liens d’un odieux silence Ma muse n’aurait point jeté dans la balance L’hymne de malédiction! Quand d’autres vont, quêteurs d’un ignoble salaire, Déchaîner le torrent des adulations, Je n’aurais point crié dans ma sainte colère: Anathème à ces histrions Qui taillent sans pudeur en oripeaux scéniques, En de sacrilèges tuniques, Le plus auguste des manteaux, Qui vont avec les os du géant de l’Empire, Pareils au fossoyeurs du drame de Shakspeare, Jouer sur d’orgueilleux tréteaux; Qui rêvent, en l’éclat de la grande parade Où de tous leurs calculs l’habileté se fond, Pour nous Athéniens du chien d’Alcibiade Renouveler le jeu profond Et qui ne sentent pas, en la route insensée Où joyeuse court leur pensée, Que ce qu’il tiennent en leur main C’est ta robe, ô César, cette robe puissante Qu’Antoine déploya plaintive et menaçante Aux regards du peuple romain! 20 juin 1840. L’Homme De Sedan. Inauditum crimen. Cicéron. Les attentats sont grands dans les jours où nous sommes, Mais le plus grand forfait des peuples et des rois, Crime encore inconnu dans le monde des hommes, C’est le crime récent de Napoléon Trois! Ce n’était point assez pour celui dont la mère Vécut en des amours libres de toute loi, Dont, comme aux anciens temps sept villes pour Homère, Sept hommes ont pu dire: Il est issu de moi; Pour cet usurpateur, d’un nom que la Victoire, Souffle de son drapeau sur l’Europe flottant, A mis au rang des noms les plus grands de l’histoire, Qui nous, éblouissait, météore éclatant; D’avoir, par le parjure et la force brutale, Conquis effrontément un trône de hasard, Fait, volcan mitrailleur de notre Capitale, De notre sang français sa pourpre de César; D’avoir, pour engraisser les pieuvres ses conquêtes, Les parents, les soutiens du bandit potentat, Et se faire un butin à l’abri des tempêtes, Volé des monceaux d’or au trésor de l’État; Et spolié les fils du roi dont la clémence Deux fois avait laissé la vie au malandrin, Qui, deux fois, sous le flux géant de la démence, Tenta de lui ravir le pouvoir souverain! Il lui fallait, déchu d’une aveugle espérance, Riche encor de soldats, les livrer lâchement; Il lui fallait, vaincu, précipiter la France. Aux suprêmes horreurs de l’envahissement! Notre beau territoire est un champ de carnage; On brûle nos hameaux, on pille nos cités; L’ennemi dans notre or et dans notre sang nage; L’esprit ne peut atteindre à ses atrocités! Les Vandales, les Huns, ces brigands innombrables Que le Nord a vomis, dans, les siècles passés, À nos envahisseurs ne sont pas comparables! Geuséric, Attila, vous êtes, surpassés Mais, sous le crêpe noir dont sa tête est voilée, Sous son manteau de morts, de cendre et de débris, Notre pauvre patrie, aujourd’hui mutilée, Comme le vieux Rantzau garde son coeur, Paris; Paris, qui, Babylone, abandonnait naguère Et ses jours et ses nuits aux plaisirs, voile au vent, Et qui, transfiguré par la voix de la guerre, Est un camp formidable, un Gibraltar vivant; Paris, dont le sang bout, écume en chaque artère, Qui rugit sous l’ardeur de son vaste foyer, Comme la lave, prête à jaillir du cratère, Pousse un mugissement avant de foudroyer; Paris, qui sonnera les grandes représailles, Et qui terrassera, magnifique lutteur, Le barbare qui trône au palais de Versailles, Et se dit gravement l’ange exterminateur[1]! Et toi, faux Bonaparte en naufrage, aux délices D’une villa paisible et merveilleux séjour, Toi qui mériterais le dernier des supplices, Tu subiras aussi ton châtiment, un jour! Et Dieu te le fera! ton oeuvre satanique Ne pourrait ici-bas trouver un châtiment Assez grand pour celui dont le forfait unique Nous a jetés en proie au vautour allemand! Mais avant que, pour toi, la peine expiatoire, Éclate, en burinant ton exécrable nom Sur le poteau vengeur du pilori, l’histoire Te proclame le roi des traîtres en renom! 20 octobre 1870. L’événement a trahi mon espérance, à qui la faute? La Résurrection De La Colonne. Merses profundo, pulchrior evenit. Horace. Qu’elle était belle à voir, cette colonne altière, Ceinte d’une auréole aux rayons éclatants, Fille de ces canons que, dans l’Europe entière, Nos braves ont conquis, sans nombre, en d’autres temps, En ces jours les plus grands de notre grande histoire, Où l’héroïsme atteint les suprêmes hauteurs, Qui brillent couronnés du sceau de la victoire, Et qui font immortels les noms de nos lutteurs! Vous apparaissiez là, mémorables journées, Qu’attestent le Danube et la Sprée et le Rhin, Aux yeux de l’univers, l’une à l’autre enchaînées, Orbes étincelants d’un long serpent d’airain! Avec vos majestés paisibles et sereines Et l’éclat fulgurant de votre front vermeil, Vous apparaissiez là, comme une cour de reines, Sous les regards de feu d’un splendide soleil! Bible de nos exploits, monument populaire, Tu n’es plus! Des brigands souverains de Paris, Possédés d’une infâme et stupide colère, Dans la fange ont couché ton épique débris! En mil-huit cent quatorze, où le jeu des batailles Roula jusqu’en nos murs des ennemis nombreux, Colonne, ils ne t’ont point osé faire d’entailles, Ceux dont tu reflétais les combats désastreux; Et, ce qu’aux jours futurs on ne voudra pas croire, Des Français, des Français, lâches démolisseurs, Ont scié sans effroi l’arbre de notre gloire, Sous le rire infernal de nos envahisseurs! Bourreaux dont la mémoire est justement flétrie, Robespierre, Danton, quoi que vous ayez fait, Devant le saint pilier qui chantait la patrie, Vous n’auriez pas commis ce lugubre forfait! Pourvoyeurs de la mort, rois de la guillotine, Hideux profanateurs du saint mot: Liberté, Ces bandits allumeurs de la guerre intestine, Tueurs de monuments, sur vous l’ont emporté Mais qu’entends-je! une voix haute, retentissante Et qui trouve un écho magique dans nos coeurs, Dit: Colonne, renais, fière et resplendissante; Rouvre-toi, livre d’or de nos soldats vainqueurs! Regardez! Les palans, les échelles s’élèvent! Le marteau bat l’enclume et la fournaise bout! Pour se vêtir d’airain les pierres se soulèvent, Bientôt, trophée unique, on te verra debout! Nous reviendrons bientôt contempler ces images, Qu’en spirale étalait ton poëme guerrier; Nous reviendrons bientôt t’apporter nos hommages Et reverdir tes flancs de chêne et de laurier, Nous dont le coeur nourrit une sainte espérance, Au milieu des pâleurs de notre astre obscurci! Oh! oui, comme ce bronze, emblème de la France, France, nous te verrons te relever aussi! Nous dompterons encor le bras qui nous émonde, Qui veut nous arracher nos fruits avec nos fleurs! Celui qui dans sa main tient les phases du monde Brisera tes anneaux, chaîne de nos malheurs! Dieu me parle aujourd’hui comme aux anciens prophètes Le poëte a, comme eux, ses divinations! La gloire encore, ô France, aura pour toi des fêtes Tu seras grande encore entre les nations! Paris, 20 juin 1872. La Horde Bonapartiste. (1815) Usque ad quem finein se jactabit insolentia tua? Cicéron Après le deux décembre et la traîtrise immense Dont le César bandit couronna sa démence, Le croirez-vous, Français, on ose conspirer, Pour jeter la patrie en proie au fils de l’homme Monstre en crime, plus grand que les Césars de Rome! Gouvernement des loups, on veut te restaurer! Qui veut faire hériter l’avorton du vampire? Qui veut ressusciter cet exécrable empire, Dont Sedan a rompu les membres disloqués? Ce sont des malfaiteurs, des repris de justice, Qui veulent que leur nom encore retentisse, Qui se refont brigands pour être remarqués! Eh bien donc qu’il en soit ainsi! honte, infamie À ces machinateurs, dont la horde vomie Par l’or de Chislehurst nous travaille sans frein: Qui vers notre ruine effrontément nous pousse, Que la France indignée et maudit et repousse, Et contre qui je lutte avec mes Voix d’airain! C’est en vain qu’en leur antre ils menacent ma tête, Que leur tourbe me crie, en sa fureur: «Arrête: «Sinon, barde imposteur, ton jour est arrivé; «Sinon tu peux, serpent, faire venir un prêtre, «Notre bras devant Dieu te fera comparaître, «Le mot est dit: sur toi le poignard est levé!» Moi, poëte soldat, je battrais en retraite, Traître à la voix d’en haut dont je suis l’inteprète, Je ne remplirais pas ma sainte mission! Qui, moi, je sortirais de cette noble arène Où ma foi de son feu m’illumine et m’entraîne; Je m’anéantirais dans ma désertion! Devant ces égorgeurs de notre pauvre France, Que Verhuel second plongea dans la souffrance, Que j’aime d’un amour invincible et fervent, Qui, moi, mon glaive en main, retourner en arrière! Jamais! dût leur poignard me frapper par derrière, Car nul d’eux n’oserait me frapper par devant! Source: http://www.poesies.net