OEuvres De L’Invention De L’Auteur. (1552) Par Joachim Du Bellay. (1522-1560) TABLE DES MATIERES La Complainte Du Désespéré. Hymne Chrestien. La Monomachie De David Et De Goliath. Ode Au Reverendiss. Cardinal Du Bellay. La Lyre Chrestienne. Discours Sur La Louange De La Vertu Et Sur Les Divers Erreurs Des Hommes. Les Deux Marguerites. Ode Au Seigneur des Essars sur le discours de son Amadis. Au Seigneur. Rob. De La Haye, Pour Estrene. Estrene, A D.M. De La Haye. Ode Pastorale, A Un Sien Ami. A Salm. Macrin. SONNETS DE L'HONNESTE AMOUR. I Comme En L’Object D’Une Vaine Peincture. II Ce Ne Sont Pas Ces Beaux Cheveux Dorez. III Je Ne Me Plaing’ De Mes Yeux Trop Expers. IV Une Froydeur Secretement Brulante. V Ce Paradis, Qui Souspire Le Bâsme. VI Quand Je Suis Pres De La Flamme Divine. VII Le Dieu Bandé A Desbandé Mes Yeux. VIII Non Autrement Que La Prestresse Folle. IX L’Aveugle Enfant, Le Premier Né Des Dieux. X J’Ay Entassé Moimesme’ Tout Le Bois. XI Pour Affecter Des Dieux Le Plus Grand Heur. XII La Docte Main, Dont Minerve Eust Appris. XIII Puis Que La Main De La Saige Nature. L'Adieu Aux Muses. La Complainte Du Désespéré. Qui prêtera la parole À la douleur qui m’affole? Qui donnera les accents À la plainte qui me guide: Et qui lâchera la bride À la fureur que je sens? Qui baillera double force À mon âme, qui s’efforce De soupirer mes douleurs? Et qui fera sur ma face D’une larmoyante trace Couleur deux ruisseaux de pleurs?... Et vous mes vers, dont la course A de sa première source Les sentiers abandonnés. Fuyez à bride avalée. Et la prochaine val part que je me tourne, Le long silence y séjourne Comme en ces temples dévots, Et comme si toutes choses Pêle-mêle étaient r’encloses Dedans leur premier Chaos... Maudite donc la lumière Qui m’éclaira la première, Puisque le ciel rigoureux Assujettit ma naissance À l’indomptable puissance D’un astre si malheureux... Heureuse la créature Qui a fait sa sépulture Dans le ventre maternel! Heureux celui dont la vie En sortant s’est vue ravie Par un sommeil éternel!... Sus, mon âme, tourne arrière, Et borne ici la carrière De tes ingrates douleurs. Il est temps de faire épreuve, Si après la mort on trouve La fin de tant de malheurs. Hymne Chrestien. O Seigneur Dieu, mon rampart, ma fience, Rampare moy du fort de pacience Contre l'effort du corps injurieux, Qui veult forcer l'esprit victorieux. L'ardeur du mal, dont ma chair est attainte, Me faict gemir d'une eternelle plainte, Moins pour l'ennuy de ne pouvoir guerir, Que pour le mal de ne pouvoir mourir. Certes, Seigneur, je sens bien que ma faulte Me rend coupable à ta majesté haulte: Mais si de toy vers toy je n'ay secours, Ailleurs en vain je cherche mon recours. Car ta main seule inviciblement forte Peult des enfers briser l'avare porte, Et me tirer aux rayons du beau jour Qui luyt au ciel, ton eternel sejour. Si je ne suys que vile pouriture, Tel que je suis, je suis ta creature. N'est-ce pas toy, dont la divine main De vil bourbier forma le corps humain, Pour y enter l'ame, que tu as feinte Sur le protraict de ton image saincte? N'est-ce pas toy, qui formas la rondeur De l'univers, tesmoing de ta grandeur? Et qui fendis l'obscurité profonde, Pour en tirer la lumiere du monde? N'est-ce pas toy, qui as prefix le tour De l'Ocëan, qui nous baigne à l'entour, Fichant aux cieux du jour la lampe clere, Et la flambeau qui à la nuict eclaire? Et toutesfois ces grands oeuvres parfaiz, Que ta main saincte heureusement a faiz, Doyvent perir, non ta parole ferme, De qui le temps n'a point borné le terme. Cete parole a promis aux esleuz, Dont les saincts noms en ton livre sont leuz, Ennuy, travail, servitude moleste, Le seul chemin de ton regne celeste. O trop ingrat! ô trop ambicieux! Cil qui premier nous defferma les yeux, Et qui premier, par trop vouloir congnoistre, Fist le peché entre nous apparoistre. Ce feut alors que le ciel peu benin Vomit sur nous son courroux et venin, Faisant sortir du centre de la terre La pasle faim, et la peste, et la guerre. Le monde alors d'une nüe empesché Vivoit captif soubz les loix du peché, De qui l'horreur sur tant d'ames immondes Fist deborder la vengeance des ondes. Alors Seigneur, d'ung clin d'oeil seulement Tu moissonnas la terre egalement, Ne reservant de tant de miliers d'hommes Qu'une famille en ces lieux où nous sommes. O bienheureux et trois et quatre fois, Qui a gouté le sucre de ta vois! Et dont la foy, qui le peché defie, En ton effort sa force fortifie! Certes celuy qui tel bien a receu De son espoir ne se verra deceu: S'il est ainsi que la foy sauva l'Arche, Et d'Israël le premier Patriarche, Ce fut celuy, Seigneur, à qui tu fis Multiplier le nombre de ses filz, Plus qu'on ne voit d'estoiles flamboyantes, Ou de sablon aux plaines ondoyantes. Ce peuple alors contrainct de se ranger Dessoubz les loix du barbare estranger, Vivoit captif: quand ta main favorable Luy fist sentir ton pouoir secourable: Pendant le cours de l'onde rougissant, Dont a pié sec ton peuple feut yssant, Et vid encor' loing derriere sa fuyte Floter sur l'eau l'Egyptienne suyte. Puis au mylieu des travaulx et dangers Tu le guydas aux peuples estrangers Par les desers, ou vingt, et vingt années Feurent par toy ces bandes gouvernées. Là ta pitié, pour leur soif amortir, Fist des rochers les fontaines sortir, Et fist encor' de ta main planteureuse Neger sur eulx la manne savoureuse. Là feut soubs toy Moyze ton amy Chef de ta gent, qui murmuroit parmy Les longs erreurs de ce desert sauvage, D'avoir laissé l'Egyptien rivage. Là maintefois le cours de ta fureur Se desbrida sur l'obstinée erreur De ces mutins: et tes loix engravées Se virent là mile fois depravées. O quantefois de ton grave sourcy Tu abysmas ce faulx peuple endurcy! Qui mesprisant de son Dieu les louanges Idolatroit après les Dieux estranges. Justice adonq' sur le peché naissant Faisoit brandir son glayve punissant, Et la pitié loing du ciel exilée Erroit çà bas triste et deschevelée. Finablement, ce peuple belliqueur Guydé par toy, haulsa le chef vainqueur Sur mile roys, et peuples, que la guerre Fist renverser horriblement par terre, Ains que les tiens par sentiers incongnuz Feussent aux champs planteureux parvenuz, Où tu avois dès mainte et mainte année Au paravant leur demeure bornée. Qui contera les dangers et horreurs, Les fiers combaz, et vaillantes fureurs De Josüé? et la brave entreprize De Gedëon, que ta main favorize? Qui descrira ce guerrier ordonné Pour le rampart de ton peuple estonné, Et le forfaict de la main desloyale Qui luy embla sa perruque fatale? Qui chantera l'oracle d'Israël, Ce grand prophete et prestre Samüel, Säul, Jonathe, et les despouilles vides Rouges du sang de tes Israëlides? O Dieu guerrier! des victoires donneur! Donne à mes doigz cete grace, et bonheur De n'accorder sur ma lyre d'ivoyre Pour tout jamais que les vers de ta gloire. S'il est ainsi, arriere les vains sons, Les vains soupirs et les vaines chansons, Arriere amour, et les songes antiques Elabourez par les mains poëtiques. Ce n'est plus moy, qui vous doy' fredonner: Car le Seigneur m'a commandé sonner Non l'Odissée, ou la grand'Iliade, Mais le discours de l'Israëliade. Lors je diray ce grand pasteur Hebrieu Qui s'opposa pour le peuple de Dieu: Les saincts accords de sa lyre faconde, Le certain coup de sa fidele fonde, Avec' l'honneur de son premier butin, Et le grand tronq du brave Philistin. Je chanteray par combien de traverses Il sceut tromper les embusches diverses De ses hayneux, ainsi que Dieu l'eust assis Pour commender au peuple circoncis. Heureux vray'ment si l'oeil de Bersabée Sa liberté n'eust onques desrobée, Et s'il n'eust mis en proye à l'estranger Celuy qui feut de sa mort messager. Las, ce qu'on voit de bonheur en ce monde, Jamais constant et ferme ne se fonde, Et nul ne peut suyvre d'ung cours entier De la vertu le penible sentier. Quel siecle encor' ne porte tesmoignage Du Roy congneu par le surnom de sage? Qui attraynant des plus barbares lieux L'or, et l'argent, et le bois precieux, Elaboura d'estofe et d'artifice Du temple sainct le superbe edifice. Ce n'est icy que descrire je veux De ses vieux ans les impudiques feuz, De sa maison la grand'troppe lascive, Sa vanité, et sa pompe excessive, Pour ses faulx Dieux le vray Dieu meprisé Et de son filz le sceptre divisé. Je voy encor' les campagnes humides Rougir au sang de ces Abrahamides, Peuple endurcy entre tous les humains: Qui adorant l'ouvrage de ses mains, Parfume Bâl d'encens et sacrifice. Peuples, et roys, apprenez la justice: Et si de Dieu quelque peur vous avez, Dedans voz coeurs hardiment engravez La mort d'Achab, et la serve couronne De tant de roys, captifz en Babilonne. Mais toy, Seigneur, de qui le braz puissant Decaptiva ton peuple languissant, Si de bon coeur devant toy je lamente, Romps le lien du mal qui me tormente, Ou mon esprit, pour de toy l'approcher, Tire dehors la prison de la chair. Je ne veulx point par ung autel de terre Encourtiné de verveine et d'ïerre, Par vers charmez, ny par prodigues voeuz, Mottes, encens, ou meurtre de cent boeufz, De ma santé haster la course lente, Las! qui tant feut au partir violente. Gueriz, Seigneur, gueriz moy de peché, Dont le remede à tout autre est caché. Alors mes vers, louant tes faictz loüables, Te pourront estre offrandes agrëables. La Monomachie De David Et De Goliath. Celuy en vain se vante d'estre fort, Qui aveuglé d'une ire outrecuydée Ne voit combien peu sert ung grand effort, Quand de raison la force n'est guidée. L'humble foiblesse est voluntiers aydée De cetuy là qui donne la victoire: Mais du haultain la fureur debridée Pert en ung coup et la force et la gloire. Ny le canon, ny le glaive tranchant, Ny le rampart, ni la fosse murée Ont le pouvoir de sauver le meschant, Dont le Seigneur la vengeance a jurée. Les fiers torrens n'ont pas longue durée: Et du sapin, umbrage des montaignes, La hauteur n'est si ferme et asseurée Que l'arbrisseau, qui croist par les campagnes. O Dieu guerrier, Dieu que je veulx chanter, Je te supply', tens les nerfz de ma lyre: Non pour le Grec, ou le Troyen vanter, Mais le Berger que tu voulus eslire: Ce feut celuy qui s'opposant à l'ire Du Philistin mesprisant ta hautesse, Montra combien puissante se peut dire Dessou' ta main une humble petitesse. Toy, qui armé du sainct pouvoir des cieux Devant l'honneur et les yeux de la France Domtas jadis l'orgueil ambicieux, Qui sa fureur perdit au camp d'outrance: Puis que tu as de ce Dieu congnoissance, Qui des plus grands a la gloire étoufée, Escoute moy, qui louant sa puissance Te viens icy eriger ung trophée. Le Philistin, et le peuple de Dieu S'estoient campez sur deux croppes voisines. Icy estoit assis le camp Hebrieu: Là se montroient les tentes Philistines: Quand un Guerrier flambant d'armes insignes, Sorty du camp du barbare exercite, Vint defier, et par vois, et par signes Tous les plus fors du peuple Israëlite. Vingt et vingt fois ce brave Philistin Estoit en vain sorty hors de sa tente, Et nul n'aspire à si riche butin: Dont Säul pleure et crie et se tormente. Où est celuy (disoit il) qui se vente De s'opposer à si grand vitupere? A cestuy là ma fille je presente, Et affranchis la maison de son pere. O Israël, jadis peuple indomté! Où estoit lors ceste grande vaillance, Dont tu avois tant de fois surmonté Les plus gaillars par le fer de ta lance? Las, il fault bien que quelque tienne offence Eust provoqué la vangeance divine, Puis que ton coeur eut si foible defence Contre une audace et gloire Philistine. On voit ainsi de peur se tapissant Par les buyssons les humbles colombelles, Qui ont de loing veu l'aigle ravissant Tirer à mont, et fondre dessus elles. Alors ce fier avec' sifflantes ailes Ores le hault, ores le bas air tranche, Et craquetant de ses ongles cruelles, Raude à l'entour de l'espineuse branche. Tel se monstroit ce Guerrier animé: Et qui eust veu la grandeur de sa taille, Il eust jugé ou ung colosse armé Ou une tour desmarcher en bataille. Son corps estoit tout hérissé d'escaille: D'airain estoit le reste de ses armes. Le fer adonq', et l'acier, et la maille N'estoient beaucoup usitez aux alarmes. Son heaume feut comme ung brillant escler; Sur qui flotoit ung menaçant pennache: Nembroth estoit protraict en son boucler: Sa main branloit l'horreur d'une grand'hache. Ainsi armé, par cent moyens il tasche Son ennemy à la campagne attraire: Mais Israël en ses tentes se cache, Epoüanté d'ung si fier aversaire. O (disoit-il) fuyarde nation, Nourrie au creux des antres plus sauvages, Qui as laissé ton habitation Pour labourer noz fertiles rivages: Où est ce Dieu, où sont ces grands courages, Dont tu marchois si superbement haute? Voicy le braz vangeur de tant d'outrages, Qui te fera recongnoistre ta faulte. Je suis celuy qui avec' ces deux mains Me feray voye au celeste habitacle. Lequel des Dieux, ou lequel des humains Osera donc' s'opposer pour obstacle? O sotte gent, qui pour ung faulx miracle Te vas paissant de ces vaines merveilles, Ce n'est pas moy, que la voix d'ung oracle Si doucement tire par les oreilles. Où est celuy qui batailloit pour toy, Je dy celuy qu'Israel tant honnore? Que ne vient il s'opposer contre moy, Qui autre Dieu que ma force n'adore? Pauvre soldat, qui sur toy verras ore' D'ung rouge lac cete plaine arrouzee, Mieux te valust en tes dezers encore' Vivoter d'eau et de blanche rozee. O gaillard peuple! ô hardy belliqueur Parmy les boys, ou sur quelque montaigne! Est-ce ton Dieu, ou bien faulte de coeur, Qui te defend descendre à la campagne? Ung coeur vaillant, que la force accompagne, En ung rampart voluntiers ne se fie. Si quelqu'ung donq' en la vertu se bagne, Voicy au camp celuy qui le defie. Comme en ung parc, qui est environné Du peuple oyzif à quelque jour de feste, Le fier taureau au combat ordonné Deça delà va contourant sa teste: Ce Philistin, qui au combat s'appreste, Bravant ainsi de menaces terribles, Faisoit floter les plumes de sa creste, Rempissant l'air de blasphemes horribles. Le camp Hebrieu tremblant à cete fois D'ung teinct de mort alla peindre sa face, Criant au ciel d'une publique vois: Vange Seigneur, la sacrilege audace De ce crüel, qui ton peuple menace. Lors le Seigneur esbranlant sa main dextre, Donnoit aux siens ung signe de sa grace, Heureusement tonnant à la senestre: Et sur le champ apparoistre lon voit Ung Bergerot à la chere eveillée: Sa pennetiere en escharpe il avoit, Et à son braz sa fondé entortillée. Lors des deux camps la tourbe emerveillée D'ung oeil fiché en bëant le regarde, Quand d'une grace au danger aveuglée Le gay Berger au combat se hazarde. Mais quand ce fier vint à le regarder Si bravement marchant parmy la plaine, D'ung riz amer se prist à l'oeillader, Et de le voir plaignoit quasi la peine. Puis tout soudain d'une audace haultaine Se renfrongnant en horrible furie, Haussa la teste, et d'une vois loingtaine Le survenant par tels mots il escrie: Dy moy chetif, de ta vie ennuyé, Petit bout d'homme, et honte de nature, Quel tien hayneux t'a icy envoyé, Pour estre faict des corbeaux la pasture? Tu me fais honte, ô vile crëature! Quand je t'aguigne, et quand je me contemple. Si mouras-tu, ô la belle avanture! Pour en dresser la despouille en ung temple. Mais que ne vient sur cete arene icy Ce fier Säul avec' sa lance? voire Ce fort Abner, et ce Jonathe aussi, A qui son arc a donné tant de gloire? C'est là, c'est là, que ma vertu notoire Se deust baigner: non point en cete fange, Qui souillera l'honneur de ma victoire, Et par sa mort accroitra sa louange. Ha grand mastin (respondit le Berger) Tes gros aboys me donnent assurance. Car Dieu, qui veult tes blasphemes vanger, Est le boucler de ma ferme esperance. Desjà sa main sur ton chef se ballance, Pour ton grand cors accabler sou' sa foudre: Et me voicy, que sa juste vangeance Pousse vers toy, pour te rüer en poudre. Ce diable adonq' tonnant horriblement, Et tout baveux d'ecumeuze fumiere, Grinsa les dents espoüantablement, Et en fronçant nez, et front, et paupiere, Blasphema Dieu, le ciel, et la lumiere. Ainsi entre eux de parolle ilz s'attachent: Puis se hastant d'une alure plus fiere Diversement au combat contre-marchent. Le Philistin de fureur aveuglé, Roüant sa masse, alloit d'ardent courage, A gueule ouverte, et à pas deregle Portant la peur, la tempeste et l'orage. Mais le Berger d'une allure plus sage Son ennemy ores costoye, et ores Subtilement luy met droict au visaige Le vent, la poudre, et le soleil encores. Comme lon void au pié d'une grand' tour, Qu'à la campagne egaler on s'eforce, Le pionnier myrant tout à l'entour Faire une trace à la poudreuze amorce: Non autrement, par une longue entorce Ce cault Berger guygnant à teste basse Contre-gardoit son impareille force Contre l'horreur de la pesante masse. Le grand Guerrier à tour et à travers Menoit les braz d'une force incroyable, Et fendant l'air par ung sifflant revers Alloit finir ce combat pitoyable: Quand du Seigneur la bonté secourable Trompa le coup de la crüelle dextre, Qui lourdement foudroyant sur le sable, Raza les pieds du Berger plus adextre. Finablement courbé sur les genous, Panché à droict, d'ung pié ferme il se fonde: Ainsi que Dieu, lors qu'il darde sur nous Le feu vangeur des offences du monde: Ce fort Hebrieu roüant ainsi sa fonde Deux fois, trois fois, assez loing de sa teste, Avec' un bruit qui en fendant l'air gronde, Fist descocher le traict de sa tempeste. Droict sur le front, où le coup fut donné, Se va planter la fureur de la pierre. Le grand Colosse à ce coup estonné D'un sault horrible alla broncher par terre. Son harnois tonne, et le vainqueur le serre: Puis le cyant mesmes de son espée, Entortilla, pour le prix de sa guerre, Au tour du bras la grand' teste coupée. Lors Israël, que la peur du danger Suyvoit encor' en sa victoire mesme, Sort de son camp, et du vainqueur Berger Envoye au ciel la louange supreme. Le Philistin pasle de peur extreme Montre le doz, d'une fuyte vilaine: Abandonnant le grand tronq froid et blesme, Qui gist sans nom sur la dezerte plaine. Chantez, mes vers, cet immortel honneur, Dont vous avez la matiere choizie. Ce vous sera plus de gloire et bonheur Que les vieux sons d'une fable moizie. Car tout au pis, quand vostre poëzie Du long oubly devroit estre la proye, Si avez vous plus saincte fantaizie Que le sonneur des Pergames de Troye. Ode Au Reverendiss. Cardinal Du Bellay. Cetuy là qui s’estudie Representer en ses vers Tous les accidens divers De l’humaine tragedie, Celuy encores descrive Tous les floz tumultueux Qui retournent à la rive D’Euripe l’impetueux. L’air, le feu, la terre, l’onde, Et les ästres conjurez Nous rendent peu asseurez Contre l’orage du monde. Le sort cruel nous devore Par non revocable loy: Mais l’homme n’a point encore’ Plus grand ennemy que soy. Tout autre animal apporte Plus grande commodité, Armant sa nativité D’une defence plus forte. L’homme seul à sa naissance Par gemissemens et pleurs Tesmoigne son impuissance, Presage de ses malheurs. Mais si la Nature amere Aux hommes tant seulement, Nous est eternellement Trop plus meratre que mere, Il ne faut pourtant que l’homme Entre tous les animaux Seul miserable se nomme, Esclave de mile maux. L’Ame en l’univers enclose Baillant nourriture aux cieux, A l’onde, à la terre, aux yeux, Qui eclerent toute chose, N’est-ce pas Dieu, qui embrasse Les membres de ce grand corps, Agitant toute la masse Par amyables discors? Cete Ame de la Nature Forma le dernier de tous L’Animal qui est plus doux Et plus noble creature: Affin qu’il feust seul capable D’ung sens plus divin, et hault, Estant aussi plus coupable, Si la raizon luy defaut. La Providence divine Mist en nous ses petiz feux, Nous faisant sentir par eux Le lieu de nostre origine. Ainsi de raizon l’usage, Qui n’est en autre animal, Fait que l’homme, qui est sage, Discourt le bien et le mal. Mais le gros fardeau moleste, Dont nostre esprit est vestu, Tarde souvent la vertu De l’ame, qui est celeste. De là provient la lïesse, La douleur et le souci, La peur, et la hardïesse, La haine et l’amour aussi. De là provient la furie De toutes les passions, Qui sur noz affections Exercent leur seigneurie: Si la raizon, seule guide De noz espris aveuglez, Souvent ne hause la bride Aux apetiz dereglez. Ung chacun durant sa vie Porte ung domestique Dieu, Qui tousjours et en tout lieu Secretement le convie. Voylà pourquoy nous ne sommes D’ung mesme desir domtez: Autant que nous voyons d’hommes, Autant sont de voluntez. Mais ny la court, ny les princes, Ny le fer victorieux, Ny l’honneur laborieux De commander aux provinces, Ny les Muses, que j’adore, Ny ung plus grave sçavoir Le souverain bien encore Ne me feront pas avoir. Je ne blame la richesse, Ny les honneurs, ny les biens, Que pourroit bien faire miens Du Roy la grande largesse. J’admire la bonne grace, La beauté plaist à mes yeux, J’honnore une antique race, Mais la vertu me plaist mieux. Tout ce qui est hors de l’homme, L’homme le desire, afin De parvenir à la fin Que suffizance lon nomme. Mais la vertu, estimable Plus que tout l’Indique honneur, Pour elle mesme est aimable, Et non pour autre bonheur. L’ayant pour ta guide prize, O l’ornement des prelaz! Tu montre’ bien que tu l’as En tes premiers ans apprize: Fuyant l’alechante amorce Qui noz plus jeunes desirs Tire d’une doulce force Aux peu durables plaisirs. Car sortant du jeu d’enfance Aux exercices plus fors, Ta vertu sortit alors Devant les yeux de la France. Puis d’une aile plus legere Volant aux peuples divers, La publique Messagere La porta par l’univers. Quel nombre pourroit suffire A raconter les dangers Qui par les floz etrangers Ont agité ta navire? Et celle de ton grand frere, Qui par l’heur de sa vertu Rendoit la France prospere Et l’Espagnol abatu. Comme du haut des montaignes, Alors que la nege fond, Deux hardis fleuves se font Divers cours par les campaignes, Et puis en une valée Venant à se joindre en ung, Courent à bride avalée, Avecques ung nom commun: Ainsi, l’indomté couraige Du vaillant-docte Langé, Qui par la mort s’est vangé De l’oblivieux outrage, Joingnant son nom et sa course. Au tien, qui n’est moins congneu, Nous monstre de quelle source Et l’ung et l’autre est venu. La Lyre Chrestienne. Moy cestuy là, qui tant de fois Ay chanté la Muse charnelle, Maintenant je haulse ma vois Pour sonner la Muse eternelle. De ceulx là qui n'ont part en elle, L'applaudissement je n'attens: Jadis ma folie estoit telle, Mais toutes choses ont leur temps. Si les vieux Grecz et les Romains Des faux Dieux ont chanté la gloire, Seron' nous plus qu'eulx inhumains, Taisant du vray Dieu la memoire? D'Helicon la fable notoire Ne nous enseigne à le vanter: De l'onde vive il nous fault boyre, Qui seule inspire à bien chanter. Chasse toute divinité (Dict le Seigneur) devant la mienne: Et nous chantons la vanité De l'idolatrie ancienne Par toy, ô terre Egyptienne! Mere de tous ces petiz Dieux, Les vers de la Lyre Chrestienne Nous semblent peu melodieux. Jadis le fameux inventeur De la doctrine Academique Chassoit le poëte menteur Par les loix de sa republique. Où est donq' l'esprit tant cynique, Qui ose donner quelque lieu Aux chansons de la Lyre ethnique, En la republique de Dieu? Si nostre Muse n'estoit point De tant de vanitez coyfée, La saincte voix, qui les coeurs poingt, Ne seroit par nous estoufée. Ainsi la grand' troppe echaufée Avec son vineux Evöé Estrangloit les chansons d'Orphée Au son du cornet enroué. Cestuy-là, qui dict, que ces vers Gastent le naïf de mon style, Il a l'estomac de travers, Preferant le doux à l'utile: La plaine heureusement fertile, Bien qu'elle soit veufve de fleurs, Vault mieulx, que le champ inutile Emaillé de mile couleurs. Si nous voulons emmïeller Noz chansons de fleurs poëtiques, Qui nous gardera de mesler Telles douceurs en noz cantiques? Convertissant à noz pratiques Les biens trop long temps occupez Par les faux possesseurs antiques, Qui sur nous les ont usurpez. D'Israël le peuple ancien Affranchi du cruel service, Du riche meuble Egyptien Fit à Dieu plaisant sacrifice: Et pour embellir l'edifice, Que Dieu se faisoit eriger, Salomon n'estima pas vice De mandier l'or estranger. Nous donques faisons tout ainsi: Et comme bien ruzéz gendarmes, Des Grecz et des Romains aussi Prenons les bouclers et guyzarmes: L'ennemy baillera les armes Dont luy mesme' sera batu. Telle fraude au faict des alarmes Merite le nom de vertu. O fol, qui chante les honneurs De ces faulx Dieux! ou qui s'amuse A farder le loz des seigneurs Plus aimez qu'amys de la Muse. C'est pourquoy la mienne refuse De manïer le luc vanteur. L'espoir des princes nous abuse, Mais nostre Dieu n'est point menteur. Celuy (Seigneur) à qui ta vois Vivement touche les oreilles, Bien qu'il sommeille quelquefois, Finalement tu le reveilles: Lors en tes oeuvres non pareilles Fichant son esprit, et ses yeux, Il se rid des vaines merveilles Du miserable ambicieux, Qui eslongné du droict sentier Suyt la tortueuse carriere, Où celuy qui est plus entier Plus souvent demeure en arrière, Humant la faveur journaliere Compaigne des souciz cuyzans, Et la vanité familiere A la tourbe des courtizans. Ma nef, evitez ce danger, Et n'attendez pas que l'orage Par force vous face ranger Au port après vostre naufrage. L'homme ruzé par long usage N'est follement avantureux: Mais qui par son peril est sage, Celuy est sage malheureux. Bien heureux donques est celuy Qui a fondé son asseurance Aux choses dont le ferme appuy Ne desment point son esperance. C'est luy que nulle violence Peult esbranler, tant seulement, Si bien il se contreballence En tous ses faictz egalement. Celuy encor' ne cherche pas La gloire, que le temps consomme: Saichant que rien n'est icy bas Immortel, que l'esprit de l'homme. Et puis le poëte se nomme Ores cigne melodieux, Or' immortel et divin, comme S'il estoit compaigon des Dieux. Quand j'oy les Muses cacqueter, Enflant leurs motz d'ung vain langage, Il me semble ouyr cracqueter Ung perroquet dedans sa cage: Mais ces folz qui leur font hommage, Amorçez de vaines doulceurs, Ne peuvent sentir le dommage Que traynent ces mignardes Soeurs. Si le fin Grec eust escouté La musique Sicilienne Peu cautement: s'il eust gouté A la couppe Circeïenne, De sa doulce terre ancienne Il n'eust regouté les plaizirs: Et Dieu chassera de la sienne Les esclaves de leurs dezirs. O fol, qui se laisse envieillir En la vaine philosophie, Dont l'homme ne peut recueillir L'esprit, qui l'ame vivifie! Le Seigneur, qui me fortifie Au labeur de ces vers plaisans, Veut qu'à luy seul je sacrifie L'offrande de mes jeunes ans. Puys quelque delicat cerveau, D'une impudence merveilleuse, Dict que pour ung esprit nouveau La matiere est trop sourcilleuse. Pandant la vieillesse honteuse D'avoir pris la fleur pour le fruict, Haste en vain sa course boyteuse Apres la vertu, qui la fuyt. Celuy qui prenoit double prix De ceux qui sous ung autre maistre L'art de la Lyre avoient appris, M'enseigne ce que je dois estre. Sus donques, oubliez, ma dextre, De ceste Lyre les vieux sons, Afin que vous soyez adextre A sonner plus haultes chansons. Mais (ô Seigneur) si tu ne tens Les nerfz de ma harpe nouvelle, C'est bien en vain que je pretens D'accorder ton loz dessus elle. Que si tu veulx luy prester l'aisle, Alors d'ung vol audacieux, Cryant ta louange immortelle, Je voleray jusques aux cieux. Le luc je ne demande pas, Dont les filles de la Memoire Apres les Phlegrëans combas Sonnerent des Dieux la victoire. Desormais sur les bordz de Loyre Imitant le sainct pouce Hebrieu, Mes doigtz fredonneront la gloire De celuy qui est trois fois Dieu. Discours Sur La Louange De La Vertu Et Sur Les Divers Erreurs Des Hommes. Bien que ma Muse petite Ce doulx-utile n'immite Qui si doctement escrit, Ayant premier en la France Contre la saige ignorance Faict renaistre Democrit: Pourtant, Macrin, ne te fasche Si la bride ung peu je lasche Au soing qui l'esprit me rompt: Et se pour t'aider à rire, J'ay entrepris de t'escrire, Pour me derider le front. La felicité non faulse, L'eschelle qui nous surhaulse Par degrez jusques aux cieux, N'est-ce pas la vertu seule, Qui nous tire de la gueule De l'Orque avaricieux? L'homme vertueux est riche: Si sa terre tumbe en friche, Il en porte peu d'ennuy: Car la plus grande richesse Dont les Dieux luy font largesse Est tousjours avecques luy. Il est noble, il est illustre: Et si n'emprunte son lustre D'une vitre, ou d'ung tumbeau, Ou d'une image enfumée Dont la face cousumée Rechigne dans ung tableau. S'il n'est duc, ou s'il n'est prince D'une et d'une autre province, Si est-il roy de son coeur: Et de son coeur estre maistre, C'est plus grand' chose que d'estre De tout le monde vainqueur. Si les mains de la nature Toute sa linëature N'ont mignardé proprement, Si en est l'esprit aymable: Et qui est plus estimable, le corps, ou l'accoustrement? La richesse naturelle, C'est la santé corporelle: Mais si le ciel est donneur D'une ame saine, et lavée De toute humeur dépravée, C'est le comble du bonheur. Que me sert la docte escolle De Platon, ou que j'accolle Tout cela que maintenoit Le grand Peripatetique, Ou tout ce qu'en son portique Zenon jadis soustenoit: Si l'ignorant et pauvre homme Tout ce que vertu on nomme Garde precieusement, Pandant que monsieur le sage, Qui n'a vertu qu'au visage, En parle ocieusement? Que me sert-il que j'embrasse Petrarque, Vergile, Horace, Ovide, et tant de secrez, Tant de Dieux, tant de miracles, Tant de monstres, et d'oracles Que nous ont forgé les Grecz: Si pandant que ces beaux songes M'apastent de leurs mensonges, L'an, qui retourne souvent, Sur ses ailes empennées De mes meilleurs années, M'enporte avecques le vent? Que me sert la thëorique Du nombre Pythagorique: Ung rond, une ligne, ung poinct: Le pinceter d'une chorde, Ou sçavoir quel ton accorde Et quel ton n'accorde point: Que me sert voir tout le monde En papier, ou je me fonde A l'arpanter pas à pas: Si en mon coeur je n'eu' onques Mesure, ou nombre quelquonques, Accord, reigle ny compas? Que me sert l'architecture, La perspective, et peincture, Ou au mouvement des cieux Contempler les choses haultes, Si pour congnoistre mes faultes Je ne me voy que des yeux? Que sert une longue barbe, Ung clystere, une reubarbe, Pour me faire vertueux? Ou une langue sçavante, Ou une loy mise en vante Au barreau tumultueux? Que me sert-il que je vole De l'ung jusqu'à l'autre pole, Si je porte bien souvent La peur et la mort en pouppe, Avecques l'horrible trouppe Des ondes grosses du vent? Que me sert que je m'ottroye Pour quelque petite proye Au sort douteux des combaz, Si la fortune crüelle Et la mort continüelle Me talonnent pas à pas? Que me sert-il que je suyve Les princes, et que je vive Aveugle, müet et sourd, Si apres tant de services Je n'y gaigne que les vices Et les bons jours de la court? C'est une divine ruze De bien forger une excuze, Et en subtil artizan, Soit qu'on parle ou qu'on chemine, Contrefaire bien la myne D'ung vieil singe courtizan. C'est une loüable envie A ceux qui toute leur vie Veulent demourer oyzeux, D'ung nouveau ne faire conte, Et pour garder qu'il ne monte, Tirer l'eschelle apres eulx. C'est belle chose, que d'estre Des hommes appellé maistre: Et du vulgaire eslongné, Ne parlant qu'en voix d'oracle, Espouänter d'ung miracle Et d'ung sourcy renfrongné. C'est chose fort singuliere Qu'une reigle irreguliere Dessoubs ung front de Caton: Ou dire qu'on est fragile, Affeublant de l'Evangile La charité de Platon. C'est une heureuse poursuytte, Estre dix ans à la suyte D'ung benefice empestré: Et puis pour toute resource Vider et procez et bourse Par ung arrest non chastré. C'est une belle science, Pour faire une experience Avant qu'estre vieil routier, Par la mort guerir les hommes, Et puis dire que nous sommes Des plus sçavans du mestier. C'est ung vertueux office, Avoir pour son exercice Force oyzeaux, et force aboys, Et en meutes bien courantes Clabauder toutes ses rentes Par les champs et par les boys. C'est une chose divine, Qu'une femme ou sotte, ou fine. C'est encor' ung heureux poinct De l'avoir pauvre et foeconde: Puis monstrer à tout le monde Les cornes qu'on ne void point. C'est ung heureux advantage, Qu'ung alambic en partage, Ung fourneau Mercurien: Et de toute sa sustance Tirant une quinte essence, Multiplier tout en rien. C'est une chose fort grave, Estre magnifique, et brave: Et sans y espargner Dieu, S'obliger en beau langage: Et puis mettre tout en gage Pour enrichir sainct Matthieu. C'est chose noble, que d'estre En lice, en carriere adextre, Soit de nuict, ou soit de jour: Bon au bal, bon à l'escrime: Puis d'ung luc et d'une ryme Trionfer dessus l'amour. Ce sont beaux motz, que bravade, Soldat, cargue, camyzade Avec' ung brave san-dieu. Trois beaux detz, une querelle, Et puis une maquerelle, C'est pour faire ung Demy-dieu. Ce sont choses fort aigües, Par sentences ambigües Philosopher haultement: Et voyant que la fortune Ne vous veult estre opportune, Nous feindre ung contentement. Quel estat doy' je donq' suyvre, Pour vertueusement vivre? Je ne parle desormais Du courtizan, ou agreste: Car c'est la fable d'Oreste, Qui ne s'acheve jamais. Le tonneau Dïogenique, Le gros sourcy Zenonique, Et l'ennemy de ses yeux, Cela ne me deïfie: La gaye philosophie D'Aristippe me plaist mieulx. Celuy en vain se travaille, Soit en terre, ou soit qu'il aille Où court l'avare marchant, Qui fasché de sa presence, Pour trouver la suffisence, Hors de soy la va cherchant. Macrin, pandant qu'à Ivrée Dessus ta lyre enyvrée Du nectar Aönien, Tu refredones la gloire, Qui consacre à la memoire Ton Mecenas, et le mien: Ma Muse, qui se pourmeine Par Anjou, et par le Meine, A faict ce discours plaisant: Ryant les erreurs du monde, Où en raison je me fonde, Le sage contrefaisant. Les Deux Marguerites. Sus, ma Lyre, desormais Chante plus doulx que jamais L'une et l'autre Marguerite: Ce sont les deux fleurs d'eslite, Où il fault cuillir le miel Des chansons dignes du ciel. Jadis les Dieux transformoient En astres ceulx qu'ilz aimoient, Et si les vers sont croyables, Les campagnes pitoyables Grosses de sang, et de pleurs Enfantoient les belles fleurs. Le ciel, qui donne ses lois Soubz le sceptre de Valois, A mis au rang des planettes Les plus ardentes et nettes Tous les rameaux bienheureux De ce Tige planteureux. Là, est l'honneur d'Angoumois Charles, et le grand François, François, et Charles encores, Deux feuz, qui eclairent ores Tout ainsi que les flambeaux Des freres qui sont jumeaux. Ilz luyzent d'ordre là hault, Et si des mortelz il chault A ceux là qui plus ne meurent, Noz Rois, qui au ciel demeurent, Ne rejectent pas les veuz De leurs enfans et neveuz. Du sang que j'ay tant loué, Qui des Dieux est avoué, Deux belles fleurs sont venues: L'une vole sur les nues Qui a le ciel eclaircy, Et l'autre florist icy. Ce dyamant, que voilà, Est frere de cestuy-là; Ces rozes s'appellent rozes, Ces deux fleurettes declozes, Qui se ressemblent ainsi, Ont ung mesme nom aussi. Ne me vantez plus, ô Grecz, De Narcisse les regrez, Ny la fleur de ses pleurs née: Ny l'ardeur Apollinée, Hyacint', dont le malheur Fist naistre une rouge fleur. Ne me vantez plus aussi Ny Phebus ny son soucy, Ny la fleur Adonienne, Ny la Telamonienne, Ny celles par qui Junon Aquist de mere le nom. Ne me vantez le sejour Qui voit revivre le jour, Où du marinier sont quises Les Marguerites exquises: De la France le bonheur Surmonte l'Indique honneur. Sus donc, ô François espris, Donnez l'honneur et le pris A la Marguerite saincte: Faictes de sa mort complaincte, Par qui les avares cieux Ont ravy tout nostre mieux. Dictes comme elle avoit eu L'honneur, l'esprit, la vertu, Qui tout nostre siecle honnore: Et de celle dont encore' Les jours ne sont revoluz, Dictes en autant, ou plus. C'est de mes vers l'ornement: Seule, qui divinement Anime, enhardist, inspire Les bas fredons de ma Lyre: C'est elle, et je sçay combien Mes chansons luy plaisent bien. Si des premiers je n'ay pas Orné le Royal trespas, Aussi ma Muse est trop basse Pour une premiere place: Et qui sçait si les derniers Se feront point les premiers? Les artizans bien subtilz Animent de leurs outilz L'airein, le marbre, le cuyvre: Mais châcun ne peut pas suyvre Si hault et brave argument Comme ung royal monument. Cestuy son sepulchre a bien, Et cestuy cy a le sien: Mais François, dont la memoire, Seule tumbe de sa gloire, Par tout le monde s'etend, Son sepulchre encor' attend. L'edifice elabouré Dont Mausole est honnoré, Les erreurs Dedaliennes, Les poinctes Egyptiennes, Et tout autre oeuvre parfaict, En ung jour ne fut pas faict. Qui a le stile assez hault, Pour epuyser, comme il fault, Une gloire si feconde? Le grand Monarque du monde De tout peintre et engraveur Ne cherchoit pas la faveur. Si me puis-je bien vanter De faire icy rechanter Les trois Angloizes Charites, Qui l'une des Marguerites Portent aux astres plus haulx En deux cents pas inegaulx. Les Dieux de noz biens jaloux T'avoient plantée entre nous, Royale fleur de Navarre, Et puis, d'une main avare T'arrachant de ces bas lieux, Ilz t'ont replantée aux cieux. Là, le chault et la froideur Ne seichent point ta verdeur, Verdeur que tousjours evante Ung Zephyre, qui doulx-vante En ces lieux, où en tout temps On voit rire le printemps. Là, de mile et mile espriz Qui volent par le pourpris, Le ciel, qui sienne t'appelle, Ne voit une ame plus belle: Le ciel ne peut il pas bien Reprendre ce qui est sien? Le ciel t'a reprise donc, Nous laissant d'ung mesme tronc Cete autre Fleur, ta compaigne, Et ta fille, qui se baigne En ce labeur glorieux Qui t'a mise au rang des Dieux. Permette le ciel amy Qu'apres ung siecle et demy La Fleur icy florissante A la Fleur non perissante Puisse voler d'ung prinsault, Pour se rejoindre là hault. Ce pendant nous, qui vivons, Ces doux vers nous escrivons, Affin que de race en race L'immortalité embrasse La non mortelle valeur De l'une et de l'autre Fleur. Ode Au Seigneur des Essars sur le discours de son Amadis. Celuy qui vid le premier Avec’ sa torche etherée L’embrassement coutumier De Mars et de Cytherée, Ce fut le tout-voyant Dieu, Celuy qui tient le milieu Du choeur Hypocrenien, Dieu par qui fut revelée Cette amour long temps celée Au Feuvre Junonien. Ce Feuvre couvert alors De sueur et de poudriere Doroit ung harnoys de cors A la sçavante Guerriere: Ouvrage laborieux, Où l’ouvrier industrieux Avoit feinct subtilement Les sciences, et les armes, Que sa soeur docte aux alarmes Favorize egalement. Mais la honte, et le desdain, Qui luy domtent le courage, Luy font oublier soudain Cet ingenieux ouvrage. Lors de ses plus fins outilz Il forge les nez subtilz Attachez à clouds d’aymant, Dont la mesme Jalouzie, Si on croit la poëzie, Lia l’ung et l’autre amant. Ayant dressé ses appaz, Il sort de son domicile, Tournant feintement ses paz Aux fournaizes de Secile: Où les braz acoustumez Des Cyclopes enfumez Coup sur coup vont martelant, D’une tenaille mordente Retournant la masse ardente Du tonnerre etincelant. Là ce vieillart Lemnien Feint d’aller à l’heure, à l’heure, Pour donner au Thracien L’oportunité meilleure: Puis avecques ung long tour Celant son traistre retour Pour surprendre l’estranger, Ce sot jaloux delibere Par ung plus grand vitupere Sa grande honte vanger. A peine ce Dieu boyteux Avoit la porte passée, Et jà l’amant convoyteux Tenoit sa dame embrassée: Et pressant l’ivoyre blanc, Or’ la cuysse, ores le flanc, Or’ l’estomac luy serroit, Cueillant à levres desclozes L’ame, qui parmy les rozes Entre deux langues erroit. Jà-jà le feu ravissant Des doulces flammes cruëlles D’ung long soupir languissant Humoit leurs tiedes moëlles: Et voicy de toutes pars Mile petiz neuds espars, Dont les deux amans lacez Plus fort s’estraignent et lient, Que les vignes ne se plient Sur les ormes embrassez. Pres du lict, qui gemissoit, Tesmoing d’ung si doulx martyre, Le jaloux se tappissoit, Mordant ses deux levres, d’ire. Puis courant deçà delà, En sa chambre il appella Toute la trouppe des Dieux, Et palissant de colere Leur montra cet adultere, Joyeuse fable des cieux. Mars paizible à cete fois, Fronçant le hault de sa face, Remachoit à base vois Je ne sçay quelle menace. Venus d’ung regard piteux Tenoit en bas l’oeil honteux, Et de ses beaux doigts poliz En vain mignardant sa force, Çà et là cacher s’efforce Et les rozes, et les lyz. Celuy qui a veu le tour De l’yraigne mesnagere, Filant ses rez à l’entour De la mouche passagere, Il a veu Mars et Venus Enchainez à membres nuds, Et Vulcain guignant au près De son embusche yraigneuze, Qui la couple vergongneuze Alloit serrant de si pres. Alors les plus renfrongnez De la bande Olympienne Soudain s’en sont eslongnez D’une ire Saturnienne. Mais quelqu’ung des moins facheux Voyant ces folastres jeux, Se sent chatouiller le coeur, Et en souriant desire D’apprester ainsi à rire A l’injurieux moqueur. Celuy qui chanta jadis En sa langue Castillane Les proesses d’Amadis Et les beautez d’Oriane, Par les siecles envieux D’ung sommeil oblivieux Jà s’en alloit obscurci, Quand une plume gentile De cete fable subtile Nous a l’obscur eclerci. C’est le Phebus des Essars, Lumiere Parizienne, Qui nous montre le dieu Mars Joint avec’ la Cyprienne: Chantant sous plaisant discours Les armes et les amours D’ung stile aussi violant, Lors qu’il tonne les alarmes, Comme aux amoureuses larmes Il est doulcement coulant. Si de ce brave suject On goute bien l’artifice On y verra le project De maint royal edifice: Qui tesmoigne le grand heur De la Françoise grandeur. Là, se peut encores voir Maint siege, mainte entreprise, Ou celuy qui en devise Jadis a faict son devoir. Là, se voit du grand François La foy constante, et loyale, Ses faictz, sa grandeur, ançois Sa posterité royale: Dont l’ung, qui tient en sa main L’heur du monarque Romain, De la France est gouverneur, L’autre, tesmoing de sa race, Porte escrit dessus sa face Des Princesses tout l’honneur. Là, ce gentil artizan Nous montre au vif: quel doit estre Le prince, le courtizan, Le sertiteur et le maistre: Combien d’ung fort bataillant Peut le courage vaillant: Quel est ou l’heur, ou malheur D’une entreprise amoureuse, Et la chanse malheureuse D’ung injuste querelleur. Qui du cygne Dorien Le vol immiter desire, D’ung ozer Icarien Se joint des ailes de cire. Et celuy se geynne en vain Après ce doulx ecrivain, Qui s’efforce d’egaler (Soit que les armes il vante, Soit que les amours il chante) Le sucre de son parler. Vous, que les Dieux ont esleuz Pour combatre l’ignorance, Et dont les escriz sont leuz Des voisins de nostre France, Donnez à cetuy l’honneur, Qui les faict par son bonheur De nostre langue apprentiz: Langue, qui estoit bornée Du Rhin, et du Pyrenée, Des Alpes, et de Thetis. Peut estre aussi que les ans Apres ung long et long âge Par estrangers courtizans Brouilleront nostre langage: Adonques la purité De sa doulce gravité Se pourra trouver icy. Du Grec la veine feconde Et la Romaine faconde Revivent encor’ ainsi. Quel esprit tant sourcilleux Contemplant la Thebaïde, Ou le discours merveilleux De l’immortelle Eneïde, Se plaint que de ces autheurs Les poëmes sont menteurs? Ainsi l’Aveugle divin Nous faict voir sous feint ouvrage D’ung guerrier le fort courage Et l’esprit d’ung homme fin. Des poëtiques espris L’utile et doulce escriture Comprent ce qui est compris Au ciel et en la nature. Les Roys sont les argumens De leurs divins monumens: Et si nous montrent encor’ Le beau, l’honneste, l’utile, Avec’ ung plus docte stile Que Chrysipe ne Crantor. Mais je souhaite souvent D’estre banny jusqu’au More, Ou que la fureur du vent Me pousse jusq’à l’Aurore: Quand j’oy bruyre quelque fois Du peuple l’indocte vois, Ou quand j’escoute les criz De ces pourceaux d’Epicure, Qui en despit de Mercure Grongnent aux doctes escriz. L’ung plaint la contagion De la jeunesse abuzée: L’autre, la religion Par noms payens deguizée. Cetui-cy fort elegant Va ung songer alligant: Cetuy-là trop rigoreux Approuve l’edict d’Auguste, Et le bannissement juste De l’Artizan amoureux. Vous les diriez, tant ilz sont D’une hayneuze nature, Qu’avecques Tymon ilz ont Jadis pris leur nourriture. Caton semble dissolu A cetuy là, qui a leu Dessus leur front Curien: Du reste, je m’en raporte Au tesmoignage que porte Leur ventre Epicurien. Puis ces graves enseigneurs D’une effrontée assurance Se prennent aux grands Seigneurs, Les accusant d’ignorance. Mesmes leurs cler-voyans yeux Se monstrent tant curieux, Que d’abaisser leurs edictz Jusq’aux simples damoizelles, Et aux cabinetz de celles Qui lizent nostre Amadis. Si le Harpeur ancien, Qui perdit deux fois sa femme, Corrumpit l’air Thracien D’une furieuse flamme: Pourtant nous n’avons appris D’avoir l’amour à mespris Dont la saincte ardeur nous poingt, Non celle desnaturée Qui de Venus ceincturée Les lois ne recongnoist point. Mais pourquoy se sent blessé Par nostre façon d’escrire Celuy qui a tout laissé Fors son vice de mesdire? Lequel pour se deffacher, Voulant (ce semble) attacher Or’ cetuy, ores celuy, Par ne sçay queles sornettes Faict ung present de sonnettes A qui moins est fol que luy. Si est ce, que le japper De telz indoctes volumes N’a le pouvoir de coupper L’aile aux bien-volantes plumes: Qui sous ung argument feint Nous ont si vivement peint Toutes noz affections, L’honneur, la vertu, le vice, La paix, la guerre, et l’office Des humaines actions. Or entre les mieux appris Le choeur des Muses ordonne Qu’à Herberay soit le pris De la plus riche couronne: Pour avoir si proprement De son propre acoutrement Orné l’Achille Gaulloys, Dont la douceur allechante Donne à celuy qui le chante Le nom d’Homere François. Si j’avoy’ l’archet divin De la harpe Ronsardine, Le bas fredon Angevin Diroit la gloire Essardine: Neantmoins tel que je suis, Je la diray, si je puis, Non icy tant seulement, Mais en cent papiers encore, Afin que son bruit decore Le mien eternellement. Au Seigneur. Rob. De La Haye, Pour Estrene. ORes, que l'an dispos, Qui tourne sans repos Par une mesme trace, Nous figure en son rond Du pere au double front Et l'une et l'autre face: Amy, pour toy je veulx En poëtiques voeux De la nouvelle année Le jour solennizer, Afin d'eternizer Nostre amour nouveau-née. Je t'offriroy les dons, Qui feurent les guerdons Des plus vaillans de Grece: Ou l'or malicieux, Qui tenteroit les yeux D'une chaste Lucrece: Je t'offriroy encor' L'ambicieux thezor, Que le marchant avare Au plus pres du matin Pille pour son butin Au rivage barbare: Mais tant, et tant de biens, Que je desire tiens, Ne sont en ma puissance: Et l'avare soucy N'apauvrist point aussi Ta riche suffisance. Si ma main eust acquis Le sçavoir tant exquis D'un Lysippe, ou Apelle, Tu devrois au pinceau, Au marbre, et au cizeau Ta louange plus belle. Je n'oubliroy icy Ton Sybilet aussi, Dont le docte artifice Nous rechante si bien Du Roy Mycenien Le triste sacrifice. Mais la Muse, et les Dieux Ne t'ont faict studieux D'une peincture morte, Et puis contre le tems En mes vers tu attens Une image plus forte. Mais que dy-je, en mes vers? Les tiens, qui l'univers Rempliront de leur gloire, Sur le marbre des cieux Engraveront trop mieux Le vif de ta memoire. Tes phaleuces tant doulx, Qui coulent entre nous Mile graces infuses, De nous sont adorez, Pour estre redorez Du plus fin or des muses. Tu vyvrois par les sons De plus haultes chansons Si je sçavois eslire L'inimitable vois, Que le grand Vandomoys Accorde sur sa lyre. Quelz parfaicts artizans N'ont bien donné dix ans Au rond de leur science? Qui veult ravir le pris, Doit estre bien appris Par longue experience. Estrene, A D.M. De La Haye. Je fay present de fleurettes descloses A Flore mesme, et à Venus de rozes: Quand par ces vers peu florissans j'essaye Faire florir la florissante Haye: Qui par l'hyver de son âge touchée Comme ces fleurs, ne se verra seichée: Mais florira trop mieux, que la couronne De son Printems, qui maintenant fleuronne. Excusez donq' ma puissance peu haulte, Immitant ceux, qui n'ayans de rien faulte Prennent en gré l'humble present des hommes. Mesmes le Dieu de ce mois, où nous sommes, Clavier de l'an, qui rien plus ne demande Que miel, et palme, et figues pour offrande. Le coeur sans plus les Deïtez contente: Et c'est le don, lequel je vous presente. Ode Pastorale. A Un Sien Ami. Bergers couchez à l’envers, A l’ombre des saules verds: Bergers, qui au près des ondes Du Clain lentement fuyant Arrestez le cours oyant De ses Nymfes vagabondes, Desmanchez voz chalumeaux, Et dictes à ces ormeaux A ces antres et fontaines, N’escoutez plus noz chansons, Ni ces ruisseaux, ny leurs sons, Enfans des roches haultaines: Mais oyez le son divin Du chalumeau Poictevin, Renouvelant la memoire Du pasteur Sicilien, Et du grand Italien La vive et durable gloire. N’a gueres nostre Berger, Traversant d’ung pié leger Le doz chenu des montaignes, R’amena les doctes Soeurs, Abreuvant de leurs doulceurs Les Poictevines campaignes. C’est luy premier des bergers, Qui dedaignant les dangers De l’envieuse ignorance A ses vers osta le frain, Les faisant d’ung libre train Galloper parmy la France. Ses vers de fureur guydez, Comme fleuves desbridez, D’une audacieuse fuyte Noz campaignes vont foulant, Mais les ruisseaux vont coulant Tousjours d’une mesme suyte. O qu’ilz ont tardé souvent Et les ondes et le vent, Quand les Nymphes Poictevines Et les Dieux aux piedz de bouc Trepignoient dessoubz le joug De ses cadanses divines. Mais bien les troupeaux barbuz, Oyant des sommez herbuz Ses aubades nompareilles, Ont faict mile et mile saux, Et les plus lourds animaux En ont chauvy des oreilles. Ainsi le grand Thracien, De son luc musicien Tiroit les pierres oyantes, Les fleuves esmerveillez, Et des chesnes oreillez Les testes en bas ployantes. Heureux Berger desormais, Tu seras pour tout jamais: L’honneur des champs et des prées, L’honneur des petiz ruisseaux, Des bois et des arbrisseaux, Et des fontaines sacrées: Pour sonner si bien tes vers, Sur les chalumeaux divers, Dont la doulceur esprouvée Aux oreilles de bon goust Coule plus doulx que le moust De la premiere cuvée. L’amour se nourrist de pleurs, Et les abeilles de fleurs: Les prez ayment la rozée, Phoebus ayme les neuf Soeurs, Et nous aymon’ les doulceurs Dont ta Muse est arrousée. Ores ores il te fault, Avec ung style plus hault Poulser la royale plaincte, Jusqu’aux oreilles des Roys, Sacrant du pré Navarroys La fleur nouvellement saincte. Ainsi l’Arcadique Dieu, Te favorize en tout lieu, Et tes brebis camuzettes: Ainsi à toy seulement Demeure eternellement, L’honneur des vieilles muzettes. A Salm. Macrin Par ung tumbeau Arthemize honnora Et son Mauzole, et sa gloire, qui dure Au monument de la vie escriture, Non en celuy, que l’art elaboura. Son coeur ardent le corps mort adora, Luy erigeant du sien vif sepulture : Mais la saison defist l’architecture, L’autre cercueil, la mort le devora. Tes vers, Macrin, bruslans d’amour semblable Ta Gelonis font plus emerveillable Au seul tumbeau de l’immortalité. De ces deux là, reste ung peu de memoire : De cestuy-cy la plus durable gloire Ne craint la mort, ny la posterité. SONNETS DE L'HONNESTE AMOUR. A Salm. Macrin. I Comme en l’object d’une vaine peincture Comme en l’object d’une vaine peincture Je repaissoy’ plus l’esprit, que le coeur, A contempler du celeste vainqueur La non encor’ bien comprise nature, Je projetoy’ sou’ feincte couverture Les premiers traicts de sa doulce rigueur, Mieux figurant le mort de sa vigueur, Qu’imaginant le vif de sa poincture: Quand les saincts voeuz de mon humble vouloir Ne feurent mis du tout en nonchaloir Au Paradis du Dieu de ma victoire, Où de sa main ce divin guerdonneur M’a consacré prestre de son HONNEUR, Pour y chanter les hymnes de sa gloire. II Ce ne sont pas ces beaux cheveux dorez Ce ne sont pas ces beaux cheveux dorez, Ny ce beau front, qui l’honneur mesme honnore, Ce ne sont pas les deux archets encore’ De ces beaux yeux de cent yeux adorez: Ce ne sont pas les deux brins colorez De ce coral, ces levres que j’adore, Ce n’est ce teinct emprunté de l’Aurore, Ny autre object des coeurs enamourez: Ce ne sont pas ny ces lyz, ny ces rozes, Ny ces deux rancz de perles si bien closes, C’est cet esprit, rare present des cieux: Dont la beauté de cent graces pourvëue Perce mon ame, et mon coeur, et mes yeux Par les rayons de sa poignante vëue. III Je ne me plaing’ de mes yeux trop expers Je ne me plaing’ de mes yeux trop expers, Ny de mon coeur trop leger à les croyre, Puis qu’en servant à si haulte victoire Ma liberté si franchement je pers. Amour, qui void tous mes secrez ouvers, Me faict penser au grand heur de ma gloire, Lors que je peins au tableau de Memoire Vostre beauté, le seul beau de mes vers: Mais si ce beau ung fol dezir m’apporte, Vostre vertu plus que la beauté, forte, Le coupe au pié: et veult qu’un plus grand bien Prenne en mon coeur une accroissance pleine: Ou autrement, que je n’attende rien De mon amour, fors l’amour de la peine. IV Une froydeur secretement brulante Une froydeur secretement brulante Brule mon corps, mon esprit, ma raizon, Comme la poix anime le tyzon Par ung ardeur lentement violente. Mon coeur tiré d’une force allechante Dessou’ le joug d’une franche prizon, Boit à longs traicts l’aigre-doulce poyzon, Qui tous mes sens heureusement enchante. Le premier feu de mon moindre plaizir Faict halleter mon alteré dezir: Puis de noz coeurs la celeste Androgyne Plus sainctement vous oblige ma foy: Car j’ayme tant cela que j’ymagine, Que ne puis aymer ce que je voy. V Ce Paradis, qui souspire le bâsme Ce Paradis, qui souspire le bâsme, D’une Angelique, et saincte gravité M’ouvre le ryz, mais bien le Deïté, Ou mon esprit divinement se pâsme. Ces deux Soleilz, deux flambeaux de mon âme, Pour me rejoindre à la Divinité, Perçent l’obscur de mon humanité Par les rayons de leur jumelle flâme. O cent fois donq, et cent fois bienheureux L’heureux aspect de mon Astre amoureux! Puis que le ciel voulut à ma naissance Du plus divin de mes affections Par l’allambic de voz perfections Tirer d’Amour une cinquiesme essence. VI Quand je suis pres de la flamme divine Quand je suis pres de la flamme divine, Ou le flambeau d’Amour est allumé, Mon sainct dezir sainctement emplumé Jusq’au tiers ciel d’un prin-vol m’achemine. Mes sens ravyz d’une doulce rapine Laissent leur corps de grand ayze pasmé, Comme le Sainct des douze mieux aymé, Qui repoza sur la saincte poitrine. Ainsi l’esprit dedaignant nostre jour Court, fuyt, et vole en son propre sejour Jusques à tant, que sa divine dextre Haulse la bride au folastre dezir Du serviteur, qui pres de son plaizir Sent quelquefois l’absence de son maistre. VII Le Dieu bandé a desbandé mes yeux Le Dieu bandé a desbandé mes yeux, Pour contempler celle beauté cachée Qui ne se peut, tant soit bien recherchée, Representer en ung coeur vicieux. De son autre arc doucement furieux La poincte d’or justement descochée Au seul endroict de mon coeur s’est fichée, Qui rend l’esprit du corps victorieux. Le seul dezir des beautez immortelles Guynde mon vol sur ses divines ailes Au plus parfaict de la perfection. Car le flambeau, qui sainctement enflamme Le sainct brazier de mon affection, Ne darde en bas les saints traiz de sa flamme. VIII Non autrement que la Prestresse folle Non autrement, que la Prestresse folle, En grommelant d’une effroyable horreur, Secoüe en vain l’indomtable fureur Du Cynthien, qui brusquement l’afolle: Mon estomac gros de ce Dieu qui vole, Espoüanté d’une aveugle terreur Se faict rebelle à la divine erreur, Qui brouille ainsi mon sens, et ma parole. Mais c’est en vain: car le Dieu, qui m’estrainct, De plus en plus m’eguillonne, et contrainct De le chanter, quoy que mon coeur en gronde. Chantez le donq, chantez mieux que devant, O vous mes vers! qui volez par le monde, Comme fueillars esparpillez du vent. IX L’aveugle Enfant, le premier né des dieux L’aveugle Enfant, le premier né des dieux, D’une fureur sainctement eslancée Au vieil Caos de ma jeune pensée Darda les traicts de ses tou’-voyans yeux: Alors mes sens d’ung discord gracieux Furent liez en rondeur ballencée, Et leur beauté d’ordre egal dispensée Conceut l’esprit de la flamme des cieux. De voz vertuz les lampes immortelles Firent briller leurs vives estincelles Par le voulté de ce front tant serain: Et ces deux yeux d’une fuyte suyvie Entre les mains du Moteur souverain Firent mouvoir la sphere de ma vie. X J’ay entassé moimesme’ tout le bois J’ay entassé moimesme’ tout le bois, Pour allumer celle flâme immortelle, Par qui mon âme avecques plus haulte aile Se guinde au ciel, d’ung egal contre-pois. Ja mon esprit, ja mon coeur, ja ma vois, Ja mon amour conçoit forme nouvelle D’une beauté plus parfaictement belle, Que le fin or epuré par sept fois. Rien de mortel ma langue plus ne sonne: Ja peu à peu moimesme’ j’abandonne, Par cete ardeur, qui me faict sembler tel, Que se monstroit l’indomté filz d’Alcméne, Qui dedaignant nostre figure huméne, Brula son corps, pour se rendre immortel. XI Pour affecter des Dieux le plus grand heur Pour affecter des Dieux le plus grand heur, Et pour avoir, ô sacrilege audace! Sou’ le mortel d’une immortelle grace Idolatré une saincte grandeur: Pour avoir pris de la celeste ardeur Ce, qui de moy toute autre flâme chasse, Je sen’ mon corps tout herissé de glace Contre le roc d’une chaste froideur. L’aveugle oyzeau, dont la perçante flâme S’afile aux rayz du soleil de mon âme, Aguize l’ongle, et le bec ravissant Sur les dezirs, dont ma poictrine est pleine, Rongeant mon coeur, qui meurt en renaissant, Pour vivre au bien, et mourir à la peine. XII La docte main, dont Minerve eust appris La docte main, dont Minerve eust appris, Main, dont l’yvoire en cinq perles s’allonge, C’est, ô mon coeur! la lyme qui te ronge, Et le rabot, qui polist mes escris. Les chastes yeux, qui chastement m’ont pris, Soit que je veille, ou bien soit que je songe, Ardent la nuict de mon oeil, qui se plonge Au centre, ou tend le rond de mes espris. L’esprit divin, et la divine grace De ce parler, qui du harpeur de Thrace Eust le ennuiz doulcement enchantez, Vous ont donné la voix inusitée, Dont (ô mes vers) sainctement vous chantez Le tout-divin de vostre Pasithée. XIII Puis que la main de la saige nature Puis que la main de la saige nature Bastit ce corps, des graces le sejour, Pour embellir le beau de nostre jour De plus parfaict de son architecture: Puis que le ciel trassa la protraiture De cet esprit, qui au ciel faict retour, Habandonnant du monde le grand tour Pour se rejoindre à sa vive peincture: Puis que le Dieu de mes affections Y engrava tant de perfections, Pour figurer en cete carte peinte L’astre bening de ma fatalité, J’appen’ ce voeu à l’immortalité Devant les pieds de vostre image saincte. L'Adieu Aux Muses. Pris Du Latin De Buccanan. Adieu ma Lyre, adieu les sons De tes inutiles chansons. Adieu la source, qui recrée De Phebus la tourbe sacrée. J'ay trop perdu mes jeunes ans En voz excercices plaisans: J'ay trop à voz jeuz asservie La meilleure part de ma vie. Cherchez mes vers, et vous aussi O Muses, jadis mon souci! Qui à voz doulceurs nompareilles Se laisse flatter les oreilles. Cherchez, qui sou' l'oeil de la nuyt Enchanté par vostre doulx bruit Avec' les Nymphes honnorées Danse au bal des Graces dorées. Vous trompez, ô mignardes soeurs! La jeunesse par voz douceurs: Qui fuit le Palais, pour elire Les vaines chansons de la Lyre. Vous corrompez les ans de ceux, Qui sou' l'ombrage paresseux Laissent languir efeminée La force aux armes destinée. L'hyver, qui naist sur leur printens, Voulte leur corps devant le tens: Devant le tems l'avare Parque Les pousse en la fatale barque. Leur teinct est tousjours palissant. Leur corps est tousjours languissant De la mort l'efroyable image Est tousjours peinte en leur visage. Leur plaisir traine avecques luy. Tousjours quelque nouvel ennuy: Et au repos, ou ilz se baignent, Mile travaux les accompaignent. Le miserable pïonnier Ne dort d'un sommeil prisonnier: Le nocher au milieu de l'onde Sent le commun repos du monde: Le dormir coule dans les yeux Du laboureur laborieux: La mer ne sent tousjours l'orage: Les vens appaizent leur courage. Mais toy sans repos travaillant, Apres Caliope baillant, Quel bien, quel plaisir as tu d'elle, Fors le parfun d'une chandelle? Tu me sembles garder encor' Les chesnes se courbans sou' l'or, Et les pommes mal attachées, Par les mains d'Hercule arrachées. Jamais le jour ne s'est levé Si matin, qu'il ne t'ayt trouvé Resvant dessus tes Poëzies Toutes poudreuses, et moizies. Souvent, pour ung vers allonger, Il te fault les ongles ronger: Souvent d'une main courroussée L'innocente table est poussée. Ou soit de jour, ou soit de nuyt Cete rongne tousjours te cuyt: Jamais cete humeur ne se change: Tousjours le style te demange. Tu te distiles le cerveau Pour faire ung poëme nouveau: Et puis ta Muse est deprizée Par l'ignorance authorizée. Pendant, la mort qui ne dort pas, Haste le jour de ton trespas: Adonques en vain tu t'amuses A ton Phebus, et à tes Muses. Le Serpent, qui sa queue mord, Nous tire tous après la mort. O fol, qui haste les années, Qui ne sont que trop empennées! Ajouste à ces malheurs ici De pauvreté le dur souci: Pesant fardeau, que tousjours porte Des Muses la vaine cohorte: Ou soit, que tu ailles sonnant Les batailles d'un vers tonnant: Ou soit que ton archet accorde Un plus doulx son dessus ta chorde. Soit, qu'au thëatre ambicieux Tu montres au peuple ocieux Les malheurs de la tragedie, Ou les jeuz de la comedie. Sept villes de Greces ont debat Pour l'autheur du Troyen combat: Mais le chetif, vivant, n'eut onques Ny maison, ny païs quelquonques. Tytire pauvre, et malheureux Regrete ses champs planteureux: Le pauvre Stace à peine evite De la faim l'importune suyte. Ovide au Getique sejour, Faché de la clarté du jour, De son bannissement accuse Ses yeux, ses livres, et sa Muse. Mesmes le Dieu musicien Sur le rivage Amphrisien D'Admete les boeufz mena paistre, Et conta le troppeau champestre. Mais fault-il, pour les vers blâmer, Nombrer tous les floz de la mer? Et toute l'arene roulante Sur le pavé d'une eau coulante? Malheureux, qui par l'univers Jeta la semence des vers: Semence digne qu'on evite Plus que celle de l'aconite. Malheureux, que Melpomené Veid d'un bon oeil, quand il fut né: Luy inspirant des sa naissance De son sçavoir la congnoissance. Si le bonheur est plus amy De celuy, qui n'a qu'à demy Des doctes Soeurs l'experience, O vaine, et ingrate science! Heureux et trois, et quatre fois Le sort des armes, et des lois: Heureux les gros sourcils encore, Que le peuple ignorant adore. Toy, que les Muses ont eleu, De quoy te sert il d'estre leu, Si pour tout le gaing de ta peine Tu n'as, qu'une louange vaine? Tes vers sans fruict, laborieux, Te font voler victorieux Par l'esperance, qui te lie L'esprit, d'une doulce folie. Tes ans, qui coulent ce pandant, Te laissent tousjours attendant: Et puis ta vieillesse lamente Sa pauvreté, qui la tormente: Pleurant d'avoir ainsi perdu Le tems au livres despandu: Et d'avoir semé sur l'arene De ses ans la meilleure grene. Donne congé, toy qui es fin, Au cheval, qui vieillist, afin Que pis encor' ne luy advienne: Et que poussif il ne devienne. Que songe'tu? le lendemain Du corbeau, n'est pas en ta main. Sus donq', la chose commençée, Est plus qu'à demy avancée. Malheureux, qui est arresté De vieillesse, et de pauvreté. Vieillesse, ou pauvreté abonde, C'est la plus grand' peste du monde. C'est le plaisir, que vous sentez, O pauvres cerveaux evantez! C'est le profit, qui vient de celles, Que vous nommez les neuf pucelles. Heureuses nymphes, qui vivez Par les forestz, ou vous suyvez La saincte Vierge chasseresse. Fuyant des Muses la paresse. Soit donq' ma Lyre ung arc turquois: Mon archet devienne ung carquois: Et les vers, que plus je n'adore, Puissent traictz devenir encore'. S'il est ainsi, je vous suivray O nymphes! tant que je vivray: Laissant dessus leur double croppe Des muses l'ocieuse troppe. Coelo Musa Beat. Source: http://www.poesies.net