Trente-Neuf Sonnets. Par Clovis Hesteau De Nuysement. (1555-1624) (Seigneur de Nuysement.) TABLE DES MATIERES. Le vautour affamé qui du vieil Prométhée... Muses si vous aviez vous mesmes fait un livre... Afin qu'à l'avenir on t'adore, ô Déesse ... Maintenant que le Ciel, plein d'une alme influence... Amour qui vois assez mes pensers descouvers... Combien, combien de fois, au soir sous la nuit brune... Ah que je sens le feu dans mes bouillantes veines... Amour pour se venger de ma rebelle audace... De la cime des monts les fiers torrents se roulent... Amour pour foudroyer les hommes & les Dieux... Du soleil radieux la brillante splendeur... Avoir pour geniteur Jupiter & Latonne... Avoir d'un bref repos une eternelle peine... Ce ne fut des le jour que j'eu veu tes beaux yeux... Ce fut un Vendredi que j'apperceu les Dieux... Ces beaux yeux dont amour ma sceu blesser de sorte... Passants, ne cherchez plus dessous l'Orque infernal... Cessez vos bruits sanglans nourricieres Citez... Puisse en dépit du Ciel et du grand Jupiter... Comme on voit en été une bruyante nue... Quand le grand oeil du Ciel tournoyant l'horizon... Comme le Nauple veit la flotte vangeresse... Comme on voit un chevreuil qu'un grand Tigre terrace... Helas divine face, helas divins regards... Helas donnez moy treve ô mes pensers ardens... Helas j'ay tant prié la mort à mon secours... Helas helas pourquoy les Dieux t'ont ils fait telle... Helas cher du plessis si la Parque felonne... Heureuse est la victoire & trois fois bien-heureuse... Un grand voile obscurci parmi l'air s'étendait... Quand je voy sur son chef ce grand maistre des Dieux... Quand l'or de tes cheveux qui ton beau front redore... Quand le grand oeil du Ciel tournoyant l’Orison... Si des celestes yeux de ma belle inhumaine... Si je vy par la mort, si je meurs par la vie... Si je chante ces vers d'une voix brusque & forte... Ta vertu, ta bonté, & ta rare valeur... Vous qui d'un seul clin d’oeil regissez l'univers... Vous rochers caverneux, & vous fleuves tortus... Or que le grand flambeau qui redore les Cieux... Le vautour affamé qui du vieil Prométhée... Le vautour affamé qui du vieil Prométhée Becquette sans repos le poumon renaissant, Et le vase maudit où le dieu punissant Envoya nos malheurs au fol Epiméthée, Celui par qui amont est la pierre portée, Celui qui altéré vit dans l'eau languissant, Celles qui vont en vain leurs cuves remplissant, Ce n'est que fiction à plaisir rapportée. Les amours d'Herculès et sa brûlante mort, Le pipeur qui les soeurs déshonora si fort, Te font avoir pitié d'une menteuse fable. Mais las! bouchant les yeux en mon affliction, Tu feins de n'en rien voir, et sans compassion Tu tiens pour fabuleux mon tourment véritable. Muses si vous aviez vous mesmes fait un livre... Muses si vous aviez vous mesmes fait un livre Qui de si rare don voudriez vous honorer, Sinon une qui peult en soy faire adorer Ce qui malgré les ans de l'oubli vous délivre? On vous pourrait dresser cent colonnes de cuivre, On vous pourroit de marbre un temple decorer, Mais tout ce que l'acier sçauroit ellabourer, Ne peut vainqueur du temps plus d'un Siecle revivre. La majesté, l'honneur, le sçavoir, les beautez, Et tout ce dont le Ciel orne les Deitez Me font voir en un corps quatre grandes Deesses. En tel temple mes voeus seront donc recogneus, Si en sacrifiant au Soleil des princesses Je sers Junon, Diane, & Palas, & Venus. Afin qu'à l'avenir on t'adore, ô Déesse... Afin qu'à l'avenir on t'adore, ô Déesse, Je plante en ton honneur ce laurier immortel, Je te sacre ce temple où j'offre à ton autel Les armes dont Amour a dompté ma jeunesse. Ceux qui t'invoqueront pour vierge chasseresse Et qui t'honoreront de maint voeu solennel Ne puissent du trépas sentir le dard cruel, Ains le trait bienheureux dont ta beauté me blesse. Fait nouvel Actéon, je veux hanter ces bois, Serf de ta déité mais non privé de voix, De mémoire, de sens, ou de vue ou d'oreilles, Mais bien veux-je à jamais t'appendre mille voeux, Chanter ta chasteté, et servir aux neveux De glace pour mirer tes divines merveilles. Maintenant que le Ciel, plein d'une alme influence... Maintenant que le Ciel, plein d'une alme influence, Chasse par ses doux feux l'outrageuse froideur De l'orageux hiver, et fait par la vigueur De l'humide et du sec féconder la semence, Maintenant que Zéphyr dompte la violence Du plus brave Aquilon, duquel l'âpre roideur Entrouvre de Thétis l'horrible profondeur, Et s'ouvrant jusqu'aux cieux ses entrailles élance, Or que les grands coteaux de pampre sont couverts, Que les champs sont ornés d'infinis sillons verts, Et que d'un bel émail la prée est revêtue, J'erre seul mi-transi dans ces lieux écartés, Et par le vain accent de mes vers rechantés, Je décèle aux rochers la poison qui me tue. Amour qui vois assez mes pensers descouvers... Amour qui vois assez mes pensers descouvers, Et les pas retracez dont tu ourdis la trame, Sonde jusqu'au profond & mon cueur & mon ame, Comme ils sont agitez des orages divers. Voy comme en te suivant mille brandons couverts, Consommant ma vigueur par qui mon sang s'enflame, Voy ma fidellité contre l'injuste blasme, Et ce que ta rigueur me fait peindre en ces vers. La helas je voy bien le feu qui me rallume, Mais mon dos n'est garni d'une divine plume, Pour te suivre en fuyant ou te guide ton vueil. Qu'attendray-je de toy si je fais le rebelle, Et que puis-je esperer si je te suis fidelle, Sinon, o fier destin, la voute d'un cercueil? Combien, combien de fois, au soir sous la nuit brune... Combien, combien de fois, au soir sous la nuit brune, Errant comme un taureau par amour furieux, Ai-je maudit le sort, la nature et les dieux, Le ciel, l'air, l'eau, la terre et Phébus et la Lune! Combien, combien de fois, d'une fuite importune, De soupirs embrasés ai-je éventé les cieux, Et d'un double torrent ruisselé de mes yeux Ai-je fait un séjour à quelque autre Neptune! Combien ai-je invoqué, par les ombreux détours Des bois remplis d'effroi, la mort à mon secours, Et souhaité me voir Prométhée ou Protée! Mais hélas maintenant - dont je suis en fureur - Je suis plus malheureux, connaissant mon erreur, Que ne furent jamais Protée et Prométhée! Ah que je sens le feu dans mes bouillantes veines... Ah que je sens le feu dans mes bouillantes veines, Ah que je sens de glace au milieu de mes os, Ah que je sens d'angoisse agiter mon repos, Ah de combien d'effors sens-je accroistre mes peines. Ah que je sens d'ardeur, & de douleurs certaines, Ah Dieux que de soupirs & de cuisans sanglots, Ah quelle mer d'ennuis furieuse en ses flots, Noye le triste accent de complaintes vaines. Ah qu'amour me tourmente, ah pourquoy suis-je né, A pourquoy m'avez vous à ces maux destiné, A pourquoy si long temps doy-je haïr ma vie. Je desdaigne de vivre, & mourir je ne puis: J'arrouse de mes pleurs l'aigreur de mes ennuis, Et la vie & la mort tousjours l'on me denie. Amour pour se venger de ma rebelle audace... Amour pour se venger de ma rebelle audace, Et punir en un jour mille crimes commis: Reprit son arc douté, & ses traits ennemys, Espiant de ma mort & le poinct, & la place. Ma force s'estoit jointe à mon cueur ceint de glace, Pour defendre mes yeux à la sienne sousmis: Lors que le coup mortel jusqu'en l'ame transmis, Grava dessus mon cueur les beaux traits de ta face. Qui çà qui là dans moy la force & la raison, Esperdument erroient yvres de sa poison: Et sans me secourir s'efforçoient au contraire. Ainsi mon cueur d'aimant s'amolit tout d'un coup, Ma force & ma raison s'attacherent au joug, De la cime des monts les fiers torrents se roulent... De la cime des monts les fiers torrents se roulent Quand les neiges font place aux trésors du printemps, Des fontainières eaux s'engorgent les étangs Et leurs calmes ruisseaux par les plaines découlent. Les troupeaux amoureux les fleurs à bonds refoulent, Les pasteurs font leur bal heureusement contents, Les glacés Aquilons s'enserrent pour un temps, Et de l'humeur d'en bas les Pléiades se saoulent. De mes yeux languissants découlent deux torrents, Ma plaie fait de sang un étang par dedans Qui regorgeant se crève et s'épand dans mes veines, Les Amours animés foulent mes jeunes ans, Mes soupirs cessent bien, mais ces astres ardents Sans fin tirent mon âme et influent mes peines. Amour pour foudroyer les hommes & les Dieux... Amour pour foudroyer les hommes & les Dieux, Non du feu dont Vulcan en sa caverne basse, Le tonnerre sifflant sur son enclume amasse: Ainsi d'un autre incogneu au monde spacieux. Ardantement jaloux de voir que des hauts Cieux, De son bras rougissant Jupiter seul terrace, Le sommet des rochers qui le contremenace: Rabaissant leur orgueil d'un esclat furieux. Dans mon chaut estomac il feit une fournaise, Il prist vostre froideur, & ma cuisante braise, Les rayons de voz yeux, mes souspirs, & mes pleurs: Et du tout mis ensemble il forgea son tonnerre, Ses esclairs, ses nuaux, pleins d'eaux, vents et chaleurs, Dont ore hommes & dieux foudroyant il atterre. Du soleil radieux la brillante splendeur... Du soleil radieux la brillante splendeur, Et de la lune aussi la lumineuse face Par un nuage épais, épars en l'air, s'efface, Lorsqu'ils vont tournoyant la céleste rondeur. L'hiver ravit aux fleurs la couleur et l'odeur, Et en moins d'une nuit les flétrit et terrasse, Le fruit trop avancé se passe en peu d'espace, Et bref tout est fauché par le temps moissonneur. Télie, vois ces lys, ces oeillets et ces roses Languir à chef baissé dès qu'elles sont décloses, Qui t'émeuvent d'avoir de toi-même pitié. Cueillons donques les fleurs de ta verde jeunesse, Et folle n'attends pas que la blanche vieillesse Te prive de sentir les fruits d'une amitié. Avoir pour geniteur Jupiter & Latonne... Avoir pour geniteur Jupiter & Latonne, Estre deeese en Terre, & second astre aux Cieux, Gesner l'ombre des morts sous l'Orque stigieux, Et porter sur le chef une triple couronne. Cela n'esgalle en rien la vertu qui rayonne, En ta pudique face: ou les tous voyans dieux, Ont planté comme au ciel deux astres radieux, Sous un globe jumeau qui leur rond environne. Luire sous le Soleil, sous Pan chasser és bois, Recevoir aux enfers les Plutoniques loix, C'est estre seulement de trois deitez serve. Mais tu n'as autre ciel, ny deité que toy, Tu tiens Phoebus, & Pan, & Pluton sous ta Loy: Son trait nous va tuant, & le tien nous conserve. Avoir d’un bref repos une eternelle peine... Avoir d’un bref repos une eternelle peine, D’un peu de seureté une mer de soupçon, D’un debat asseuré feinte dilection, L’ame vuide de foy & d’impieté pleine. Sous un ris blandissant masquer l’ardante haine, Couver sous la douceur une presomption, Deguiser son tourment par une fiction, Et sous un faux object une douleur certaine. Au feu d’un desespoir ralumer son desir, Voir en la fraude close un ouvert desplaisir, Rire une heure le jour pleurer toute une annee. Et d’un antiqu’penser faire un conte nouveau: C’est pour vous mon Soleil, ce que la destinee Engrave nuict & jour dans mon triste cerveau. Ce ne fut des le jour que j'eu veu tes beaux yeux... Ce ne fut des le jour que j'eu veu tes beaux yeux Qu'une si saincte ardeur se glissa dans mes veines: Car de mille beautez les algarades vaines, N'avoien sceu encanter mes esprits otieux. Mais helas aussi tost (ô merveille des Cieux), Que j'ouy tes discours, j'ouy chanter mes peines: Et comme ta parole eut des aelles soudaines, Aussi soudainement je devins soucieux. J'honore tes beautez, je prise tes richesses: Mais ce qui te peut rendre au nombre des deesses, A saisi le sommet de mes affections. Si je peins mieux ton corps que tes graces infuses, N'accuses mon vouloir, ny l'amour, ny les Muses: Moindres sont les beautez que les perfections. Ce fut un Vendredi que j'apperceu les Dieux... Ce fut un Vendredi que j'apperceu les Dieux, Verser sur les mortels d'une ballance esgalle, Et le bien & le mal, lors que leur main fatalle: Esclave m'attacha au joug de deux beaux yeux. J'errois aux borts de Seine, & contemplois aux Cieux, Des courciers de Phoebé la carriere journalle, Quand Amour plein de fiel parmy l'air se devalle, Et vint picquer mon cueur sainctement furieux. O jour trois fois heureux, ou la divine essence, Des on precieux sang lava l'antique offence De mes premiers ayeuls: ô douce cruauté, O bien-heureuse erreur, & plus heureuse encore Seine ou premier j'ay veu la Nymphe en qui j'adore, La chasteté, l'amour, l'honneur, & la beauté. Ces beaux yeux dont amour ma sceu blesser de sorte... Ces beaux yeux dont amour ma sceu blesser de sorte: Q'ils peuvent rendre seuls mes tourmens alentez, (Non le Baume charmé, ny les vers enchantez, Ou pierre, ou gomme, ou just qui de l'Egypte sorte.) M'ont de toute autre ardeur tellement clos la porte: Que d'un profond penser mes sens sont contentez, Et si mes tristes yeux d'autre object sont tentez Mon ame s'irritant rend leur lumiere morte. Donques de ces beaux yeux deux fares de mon cueur, Vient ma honte & le los de mon cruel vainqueur, Et d'eux mesmes j'attens le loyer de mes peines. Par eux je suis guidé sous l'eternelle nuict, Par eux du beau Soleil le bel astre me luit, Et seuls glissent ma vie & ma mort dans mes veines. Passants, ne cherchez plus dessous l'Orque infernal... Passants, ne cherchez plus dessous l'Orque infernal, D'Ixion, de Sisyphe et des Bellides soeurs, Comme aux siècles passés, les travaux punisseurs, Ni l'importune soif du malheureux Tantale. N'y cherchez plus le feu du serviteur d'Omphale, Ni du fils d'Agénor les oiseaux ravisseurs, Le fuseau, le travail, les oiseaux meurtrisseurs, Ni l'effroyable horreur de la troupe fatale. Car sans tenter Junon, sans tuer, sans voler, Je tourne, monte, emplis, roue, cuve, rocher, Et sans tromper les Dieux ou leurs secrets redire, La soif me cuit dans l'eau, et ne puis l'étancher, Mille fâcheux démons me ravissent ma chair, Et bref dans moi Pluton s'est fait un autre empire. Cessez vos bruits sanglans nourricieres Citez... Cessez vos bruits sanglans nourricieres Citez, Pour ouïr mes clameurs: & vous plaines liquides Arrestez tant soit peu voz glissades humides, Et accoisez voz flots par les vents agitez. Vous coutaux empamprez, sourgeons precipitez, Vous ceps porte-liqueur, que les Semeleides Sacrent au Cuissené: follastres Nereides, Et vous qui les forests chastement habitez. Vous flambeaux l'ornement de toute la machine, Vous les douze maisons ou le Soleil chemine, Et vous esseiulz du Ciel l'un de l'autre esloignez. Retenez ce grand corps, affin que le silence Me face de mon mal sentir la violence: Et qu'aussi mes mal-heurs vous soient mieux tesmoignez. Puisse en dépit du Ciel et du grand Jupiter... Puisse en dépit du Ciel et du grand Jupiter, Des signes, du Soleil, des Astres, de la Lune, De Nature, de l'Art, du Destin, de Fortune, D'Amour, des Éléments, mon tourment s'irriter! Que les vents enragés fassent précipiter Les étoiles du Ciel dans la mer une à une, Que Phoebus et Phoebé rendent sa face brune, Et que son foudre même il ne puisse éviter! Naisse à chaque moment mon amoureux martyre, Mes soupirs et mes pleurs, ton dédain et ton ire, Mon deuil et ton soupçon, ta crainte et mon désir. Du ciel et du destin la fureur inhumaine Ne me feront quitter le sujet de ma peine, Car de tous leurs efforts renaîtra mon plaisir. Comme on voit en esté une bruiante nue... Comme on voit en esté une bruiante nue, Que le roide Aquilon va parmy l'air roulant: Pleine de tous costez se crever grommelant, Et vomir le discort qui la rendoit esmeue: Tantost embraser l'air d'une flame incogneue, Tantost semer la gresle, & d'un tour violent, Rouer un tourbillon qui noir se devallant, Enveloppe le chef d'une roche chenue. Ainsi mon estomac comblé d'amoureux feu, Qui de tes chauds regards croist tousjours peu à peu, Veut vomir la douleur qui le brusle & l'entame: O beaux cheveux, bel oeil, ô glace, ô flame, au-moins, Puis qu'avez pris, espris, gelé, bruslé mon ame: Cognoissez mon amour dont mes maux sont tesmoins. Quand le grand oeil du Ciel tournoyant l'horizon... Quand le grand oeil du Ciel tournoyant l'horizon Se darde au Capricorne, où sa chaleur passée Se retirant de nous rend la terre glacée, Et nous fait ressentir l'hivernale saison, L'air lui voyant ravir l'amoureuse toison De mille et mille fleurs dont elle est tapissée, En pleure, et tout dépit d'une humeur amassée, Voile son chef doré d'un autre chef grison. Si donc l'air et le ciel lamentent la verdure, Si l'animal absent pour sa compagne endure, Pourquoi ne pourrons-nous user de même loi, Nous qui avons du ciel la première origine, Qui portons la raison enclose en la poitrine, Et qui sommes portraits d'un qui tient tout en soi? Comme le Nauple veit la flotte vangeresse... Comme le Nauple veit la flotte vangeresse Du rapt inhospital, parmy l'onde sallee Voisiner les hauts Cieux, puis à coup devallee, Jusqu'au plus creux des eaux par sa flame traitresse. Amour voit or mon ame en ceste mer d'angoisse, Dont la sourde terreur pourroit estre esgallee Aux rochers casharez: & l'alleine exallee, De mes poulmons gesnez à l'horreur vanteresse. Ou comme on voit grossir dessus l'alpe cornue, Un monceau blanchissant nourrisson de la nue, Qui fondant va noyant la prochaine campagne. Chacun jour sur mon chef un lourd amas de peines, Il charge puis à coup les espand par mes veines, Et fait la mer d'ennuys ou mon ame se baigne. Comme on voit un chevreuil qu'un grand Tigre terrace... Comme on voit un chevreuil qu'un grand Tigre terrace, Qui deçà qui delà, ore haut ore bas, Le vautrouille & l’estend dans son sanglant trespas, Pavant des os du sang & de sa peau la place: Puis en assouvissant sa carnagere audace Tranche, poudroye, hume, et foulle de ses pas, La chair, les os, le sang dont il fait son repas, Laissant parmy les bois mainte sanglante trace. Et comme on veit jadis les borgnes Ætneans, Rebattre à coups suivis les boucliers dicteans, Sous le fer rehaussé d'une force indomptable: Amour me va plongeant dans mon mortel tourment, Mon rond, trouble, ravit, os, sang, & sentiment, Et martelle mon chef d'un bras insuportable. Helas divine face, helas divins regards... Helas divine face, helas divins regards, Qui seuls peustes forcer ma liberté premiere: Helas divine main dont la force guerriere, A fiché dans mon cueur cent & cent mille dards. Helas divins cheveux folastrement espars, Autour des beaux Soleils peres de ma lumiere: Helas divine voix qui feustes la courriere, Du Dieu qu'en vostre honneur je fuy en toutes pars. Quelle austere rigueur, & quelle Loy trop dure, Quel destin vous esloigne, & d'un sinistre augure, M'offre en vous ravissant un monde de mal-heurs. O Ciel jaloux de l'heur qui suit l'humaine race, Par vous je suis sans eux un pré couvert de glace: Qui ne peut avancer le germe de ses fleurs. Helas donnez moy treve ô mes pensers ardens... Helas donnez moy treve ô mes pensers ardens, N'est-ce assez que l'Amour, le Ciel, & la Fortune, Bastissent en mon sein une place commune, Pour d'un cruel accord me combatre dedans. O cueur traistre à moy seul, par qui les soings mordans Enfantent le penser qui cruel m'importune, Appresteras-tu l'heure & la voye opportune, Au destin dont je sens les effects discordans. En toy seul des Amours la tourbe se retire, Le Ciel verse dans toy tout ce qu'il a de pire, Et la fortune en toy grave un dur souvenir. Si l'Amour & le Ciel triumphent de ma gloire? Si les tristes pensers sont fils de la Memoire? N'es-tu pere des maux qu'ils me font soustenir. Helas j'ay tant prié la mort à mon secours... Helas j'ay tant prié la mort à mon secours, Pour voir avec mes os mes tourmens sous la Terre: Que je sens peu à peu de ma cruelle guerre Diminuer la force en celle de mes jours. Voy voy donques mes pleurs rouller d'eternel cours, Voy les profonds sanglots que mon ame desserre, Et voy le dart meurtrier qui sans cesse m'enserre, Force, tesmoing, principe, & fin de mes amours. Mes pleurs ont hors de moy tant d'humeur attiree, Et mes cuisans sanglots tant d'ardeur respiree, Et le dart par ma playe, a tant perdu de sang, Que seiché, froit, & palle, autour de toy je volle, Sans poux, sans yeux, sans voix, comme une vaine idolle, Portant l'Amour, la Mort, & la Vie à mon flanc. Helas helas pourquoy les Dieux t'ont ils fait telle... Helas helas pourquoy les Dieux t'ont ils fait telle, Qu'il semble que les eaux s'arrestent pour te voir: Qu'il faille que les bois puissent appercevoir, Ce qui malgré les ans te peut rendre immortelle? Pourquoy t'ont-ils donné une beauté si belle, Pourquoy t'ont-ils cedé sur eux tant de pouvoir, Qu'un accent de ta voix qui les peut esmouvoir, Fait que chaque rocher espris d'aise sautelle? Pourquoy t'ont-ils donné tant d'effects merveilleux, Ou pourquoy m'ont-ils fait si foible & mal-heureux, Puis qu'ils m'avoient creé pour te faire service? Las je ne puis sacvoir la cause du meschef, Fors qu'ils ne pensoient pas enclorre dans ton chef, Comme ils ont à ma perte un amas de malice. Helas cher du plessis si la Parque felonne... Helas cher du plessis si la Parque felonne, Aguisant contre moy ses cousteaux meurtrissans, Vient trancher sans mon sceu le fillet de mes ans: Ainsi qu'à tous mortels la Nature l'ordonne. Honore mon tombeau d'une verte couronne De Laurier immortel, & de deux beaux croissans De roses, & d’oeillets, & de lys blanchissans: Tesmoings de la rigueur de ma fiere Bellonne. Esleve aux quatre coins de mon heureux tombeau, Quatre Nymphes de Bronze, ou de marbre plus beau, Qui tesmoignent l'ennuy que ma mort leur apporte. Ja desja j'apperçoy maint passant estranger, Qui pour scavoir ce dueil à toy se vient ranger: A tous il te faudra respondre en telle sorte. Heureuse est la victoire & trois fois bien-heureuse... Heureuse est la victoire & trois fois bien-heureuse, Ou le vaincu qu'on traine adore le vainqueur: Et sans que le desastre ait amoindry son cueur, Lonstre au fort de sa honte une ame genereuse. Mais une autre seconde est trop plus glorieuse, Ou vaincu du vainqueur ont sçait vaincre l'ardeur: Puis de vaincre soy-mesme, & domptant son erreur, Asservir à son vueil la main victorieuse. Cleopatre vainquit quand le fil de l'espece Sur la tombe entama sa poictrine frappee, Guidé du bras meurtrier alencontre haussé. J'ayme donc mieux mourir emportant la victoire, Qu'au defaut de la mort voir trespasser ma gloire: Car jamais d'un haut cueur le rempart n'est faussé. Un grand voile obscurci parmi l'air s'étendait... Un grand voile obscurci parmi l'air s'étendait, Qui rouant dans son sein une humeur détenue, Semait deçà delà une grêle menue Qui martelait la terre et tombant se fondait. Un autre vis-à-vis par le vide pendait Où se formait maint corps de figure inconnue, Tantôt jetant le feu à sillons de la nue, Sous qui l'arc assuré oblique se bandait, Quand celle que je sers follâtrement coiffée, Tenant de mille coeurs un superbe trophée, Rassérénant les Cieux effaça l'arc cornu, Puis pour donner vigueur aux fleurettes décloses, Contr'imita Zéphyr, et soudain mille roses Ornèrent de Junon le bel estomac nu. Quand je voy sur son chef ce grand maistre des Dieux... Quand je voy sur son chef ce grand maistre des Dieux Cordeler son beau poil qui fait honte à l'or mesme Je sens saisir mes sens d’une collere extreme, Et mille esclairs brillans s’esclattent de mes yeux. Je deviens tout à coup forcené, furieux, Jettant ore un haut cry, or parlant en moy-mesme, Ore pourprant mon front, ore devenant blesme, Ore cruel, superbe, & ore gracieux. Telle au temple des Dieux on voioit la prophette, Humant l'esprit du Dieu qui la tenoit sujette, Panchee au soupirail d'un caverneux rocher. Mais un divers sujet tien nostre ame saisie, Le Dieu se joint à elle, & je maudis ma vie, Que de sa deïté je ne m'ose approcher. Quand l'or de tes cheveux qui ton beau front redore... Quand l'or de tes cheveux qui ton beau front redore, En la belle saison de ton plus guay printemps: Et quant le cours aellé de tes ans fleurissans, Feront place au destin qui tout ronge & devore: Quand ce beau teint rosin qui ta face colore, Et quand les rais persans de tes Astres luisans, Perdront lustre,& vigueur: mille soupirs cuisans, Te sortiront du flanc, & te poindront encore. Mais il sera trop tard de maudire le jour, Que tu n'auras daigné cueillir les fruicts d'amour: Car ceux qui de t'aimer ont ore quelque envie, Se voyans repoussez par un maigre refus, S'eslongneront de toy: & lors tes sens confus, Te feront detester le reste de ta vie. Quand le grand oeil du Ciel tournoyant l’Orison... Quand le grand oeil du Ciel tournoyant l’Orison Se darde au Capricorne où sa chaleur passee, Se retirant de nous rend la Terre glacee, Et nous fait ressentir l’hyvernale saison. L’air lui voyant ravir l’amoureuse toison, De mille & mille fleurs dont elle est tapissee, En pleure, & tout despit d’une humeur amassee, Voelle son chef doré d’un autre chef grison. Si donc l’Air & le Ciel lamentent la verdure, Si l’animal absent pour sa compagne endure, Pourquoi ne pourrons nous user de même Loy? Nous qui avons du Ciel la premiere origine, Qui portons la raison enclose en la poictrine, Et qui sommes portraits d’un qui tient tout en soy? Si des celestes yeux de ma belle inhumaine... Si des celestes yeux de ma belle inhumaine, Sort le feu qui me brusle, & le neud qui me lie? Faut-il donc (ô destin) qu'humble je m'humilie, D'adorer les archers qui descochent ma peine? Et si par eux mon ame est de la mort prochaine, Pourquoy ne fuy-je au moins les haineurs de ma vie? Qui retient ma raison tellement asservie, Qu'elle ne rompt la chaisne & hors du feu m'emmeine? Mais si je me bannis de leur cuisante flame, Et qu'un ardant desir esguillonne mon ame, De revoir ma mort peinte aux rais de leur splendeur? Lon ne me peut nommer cause de mon martire, Ainsi Amour seul qui veut que tel fruict on retire, Apres mille labeurs) d'une si belle fleur. Si je vy par la mort, si je meurs par la vie... Si je vy par la mort, si je meurs par la vie, Si je transis au feu, si je brusle dans l’eau, Si j’appelle un chantant l’implacable tombeau, Mon ame est elle pas d’estranges maux suivie. Si je vy bien content, & si je meurs d’envie, Si je crois qu’un Aspic soit gracieux & beau, Si au pied d’un rocher je cherche son coupeau, Suis-je pas possedé d’une estrange manie. Helas ditte moy donc, ditte cher belle-fleur, Lequel me siet le mieux ou la joie ou le pleur: Dittes, en ce danger quel onguent m’est propice. Si je la veux charmer je me charme les sens, Je pers en vain le temps haletant mes accens, Ainsi que feit Orphee apres son Euridice. Si je chante ces vers d'une voix brusque & forte... Si je chante ces vers d'une voix brusque & forte, Leur peignant sur le front une image de mort: Je dy la cruauté de mon rigoureux sort, Et l'ardant desespoir qui de moy me transporte, Un chacun peut aymer, mais non de mesme sorte, Tous les vents soufflent bien, mais non d'un mesme effort: Les astres tournent tous, mais non d'un mesme accord: Car la pluralité la discordance apporte. Tous les humains sont faits de chair, d'os, & de sang, Et l'amour peut de tous esguilloner le flanc, Mais l'humeur differente en desguise la flame: C'est pourquoy seul poussé d'un sort trop rigoureux, Et seul qui meurt servant une parfaite dame, Seul je chante ces vers comme moy furieux. Ta vertu, ta bonté, & ta rare valeur... Ta vertu, ta bonté, & ta rare valeur, M'ont tellement charmé les yeux, les sens, & l'ame: Qu'il n'y a trait, lien, ni amoureuse flame, Qui plus blece, garrotte, & embrase autre cueur. C'est le fer, le cordeau, & l'ardant feu vainqueur, Qui me poinct, qui me tient, qui vivement m'enfame: C'est l'unguent, le couteu, & l'eau que je reclame, Pour guarir, deslier, & dompter mon ardeur. Voila cette unité qui (soudain t'ayant veuë) Entama, prit, brusla, ma pauvre ame deceuë: Mais la voix, le poil, l'oeil qu'il me faut adorer, C'est le trait, c'est le rets, c'est la vive estincelle, Qui me poinct, prend, & brusle en t'aimant ma rebelle, L'unguent, le glaive & l'eau, qui me peut restorer. Vous qui d'un seul clin d’oeil regissez l'univers... Vous qui d'un seul clin d’oeil regissez l'univers Que ne m'avez vous fait privé de coignoissance, Ou prendre le trespas avecque la naissance: Sans m'avoir asservi à tant de maux divers. Que ne m'avez vous fait la pasture des vers, Qu que n'avez vous fait qu'en prenant accroissance, J'accreusse ma raison: qui pour son impuissance S'attache sous le joug de ce traistre pervers. Que ne suis-je un Rodope, un Æme, un Erimante, Hé que ne suis-je au moins ceste fleur languissante Dont on plaint la beauté: ou le roc endurci De celle à qui despleut sa partie changee: Mon ame ne seroit ainsi qu'elle est rangee, Sous les loix d'un tyran qui n'a point de mercy. Vous rochers caverneux, & vous fleuves tortus... Vous rochers caverneux, & vous fleuves tortus, Vous odorantes fleurs l'ornement du rivage, Vous petis oiselets qui d'un divers plumage Estes bigarrement par nature vestus, Venez venez vers moy: venez coutaux bossus, Venez frais arbrisseaux couvers d'un beau fueillage, Venez ore conter d'un fremissant langaige, Les mal-heurs dont mes sens sans cesse sont battus. Amenez avec vous la triste Phillomene, Rechantez sous mon nom la mort du fils d'Alcmene, Comparez mes travaux à ses douze labeurs. Mais las n'oubliez pas sa chemise enflamee, Seulle comparraison de la flame allumee, Qui me va prolongeant mes cuisantes douleurs. Or que le grand flambeau qui redore les Cieux... Or que le grand flambeau qui redore les Cieux Se plonge sous les eaux, s'opposant à nos yeux Le ténébreux repli d'une courtine brune, J'errerai par l'obscur dans l'épaisseur des bois, Et redoublant le son de ma mourante voix, Je me plaindrai au ciel de ma triste infortune. Premier que l'Indien ait senti son retour, Et que mon oeil déclos aperçoive le jour, J'aurai fait mille plaints de mon cruel martyre, Et pour juste témoin de mes aigres douleurs, Je tordrai mes cheveux et ferai de mes pleurs Accroître des Tritons l'impétueux empire... Amour sous un plaisir m'a tramé mille maux, Il m'a rendu captif, comme les animaux, Au joug d'un désespoir, le désespoir me donne La fureur, le regret, le dépit, le courroux, La pâleur et la peur, qui me conduisent tous Sous le fatal pouvoir de la Parque félonne. De mille et mille traits il m'entrouvre le flanc, Il se baigne cruel dedans mon tiède sang, Il me suit en tous lieux amoindrissant ma force, Jamais je ne le vois apparent à mes yeux, Mais, hélas, je le sens dedans moi furieux, Et mon corps ne lui sert que d'une vaine écorce... Je cerne ces forêts de maints et maints circuits, J'imprime mille pas sur ces sablons recuits, Alors que de fureur ma pauvre âme est atteinte, Pleurant, plaignant, criant, deçà delà je cours, Les rochers et les bois et les fleuves sont sourds, Et nul sinon Écho n'accompagne ma plainte... Si par la sombre horreur de ces bois ténébreux, Où ne percent les traits du soleil radieux, J'invoque les Fureurs pour toute médecine, Elles oyent mes cris et s'approchent de moi, Mais cuidant me ranger sous leur fatale loi, Leurs yeux sont aveuglés de sa splendeur divine... Source: http://www.poesies.net