Oeuvre Poétique Complète Connue. De Christine de Pisan. (1363-1430) TABLE DES MATIERES CENT BALADES I. Pour acomplir leur bonne voulenté II. Digne d'estre de lorier couronné III. Voyez comment amours amans ordonne! IV. En traïson, non pas par vacellage V. Quant cil est mort qui me tenoit en vie VI. Et si ne puis ne garir ne morir VII. Qui ma vie tenoit joyeuse VIII. C'est bien raison que me doye doloir IX. Que mes griefs maulx soyent par toy delivré X. Puis que Fortune m'est contraire XI. Seulete suy sanz ami demourée XII. Que ses joyes ne sont fors que droit vent XIII. Car trop griefment est la mer perilleuse XIV. Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort XV. Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture XVI. C'est souvrain bien que prendre en pacience XVII. Cuer qui en tel tristour demeure XXIII. Car trop grief dueil est en mon cuer remais XIX. De faire ami, ne d'amer XX. Encor n'en suis pas a chief XXI. Qu'a peine le puis escondire XXII. De reffuser ami si gracieux XXIII. Certes c'est cil qui tous les autres passe XXIV. Car vous tout seul me tenez en leece XXV. Helas! que j'aray mautemps! XXVI. Les mesdisans qui tout veulent savoir. XXVII. J'en ay fait a maint reffus. XXVIII. Pour le desir que j'ay de vous veoir. XXIX. Par Dieu, c'est grant grace. XXX. Qu'a vraye amour puissent faire grevance. XXXI. Je vueil quanque vous voulez. XXXII. Se demeurez loing de moy longuement. XXXIII. Puis que partir vous convient. XXXIV. Pour la doulçour du jolis moys de May. XXXV. Tant ont a durer mes peines. XXXVI. Et qui pourroit telle amour oublier? XXXVII. Et si ne m'en puis partir. XXXVIII. Puis que le terme est passé. XXXIX. Il en pert a ma coulour. XL. Pour un seul bien plus de cinq cens doulours. XLI. Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort. XLII. Cil nonce aux gens mainte chose notable. XLIII. Ce me fait la maladie. XLIV. Je m'en sçay bien a quoy tenir. XLV. Et a la fois grant joye aporte. XLVI. Ne nouvelles ne m'en vient. XLVII. Puisqu'il m'a mis en nonchaloir. XLVIII. Je ne m'i vueil plus tenir. XLIX. Vous me ferez d'environ vous foïr. L. Je m'en raport a tous sages ditteurs. LI. Ce poise moy quant ce m'est avenu. LII. Et que jamais leur meschance ne fine. LIII. Qui plus se plaint n'est pas le plus malade. LIV. Ainsi sera grance en vous assouvie. LV. Car le voiage d'oultremer A fait en amours maint dommage. LVI. Car l'oeuvre loe le maistre. LVII. Jusques a tant que je le reverray. LVIII. Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier! LIX. Sont ilz aise? certes je croy que non. LX. Mais vous parlez comme gent pleins d'envie. LXI. Mais il n'est nul si grant meschief Qu'on ne traye bien a bon chief. LXII. De moy laissier ainsi pour autre amer. LXIII. A il doncques tel guerredon? LXIV. Qui maintenir veult l'ordre a droite guise. LXV. Ne me vueilliez, doulce dame, escondire. LXVI. Et vous retien pour mon loial ami. LXVII. Hé Dieux me doint pouoir du desservir! LXVIII. Dame, pour Dieu, mercy vous cry. LXIX. Sire, de si tost vous amer. LXX. Que vigour et cuer me fault. LXXI. Doulce dame, je me rens a vous pris. LXXII. Ne sçay qu'on vous a raporté. LXXIII. Las! que feray, doulce dame, sanz vous? LXXIV. Je vous laisse mon cuer en gage. LXXV. Ne vous oubli je nullement. LXXVI. De son ami, desirant qu'il reviegne. LXXVII. Dame, qu'a vous servir j'entende. LXXVIII. Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait! LXXIX. Si vous en cry mercy trés humblement. LXXX. Voulez vous donc que je muire pour vous? LXXXI. Prenez en gré le don de vostre amant. LXXXII. Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins. LXXXIII. Ha desloial! comment as tu le cuer? LXXXIV. Se vous me faittes tel grief. LXXXV. Mais, se Dieux plaist, j'en seray plus prochains. LXXXVI. Se les fables dient voir. LXXXVII. A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeux. LXXXVIII. Ce sera fort se je vif longuement! LXXXIX. Ou autrement l'amour est fausse et fainte. XC. BALADE POUETIQUE. Il y morra briefment, au mien cuidier. XCI. N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire. XCII. Ainsi est il de vous certainement, En qui Dieux a toute proece assise. XCIII. Il a assez science acquise. XCIV. Mais fol ne croit jusqu'il prent. XCV. Nostre bon Roy qui est en maladie. XCVI. S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille. XCVII. Se font pluseurs sages qui font a croire. XCVIII. Qui des sages font grant derrision. XCIX. Dieux nous y maint trestous a la parclose! C. En escrit y ay mis mon nom. VIRELAYS I. Je chante par couverture. II. Amis, je ne sçay que dire. III. Pour le grant bien qui en vous maint. IV. Comme autre fois me suis plainte. V. Belle ou il n'a que redire. VI. Mon gracieux reconfort. VII. La grant doulour que je porte. VIII. Puis que vous estes parjure. IX. Je suis de tout dueil assaillie. X. Trés doulz ami, or t'en souviegne. XI. En ce printemps gracieux. XII. Se pris et los estoit a departir. XIII. Dieux! que j'ay esté deceüe. XIV. Trestout me vient a rebours. XV. De meschief, d'anui, de peine. XVI. On doit croire ce que la loi commande. BALADES D'ESTRANGE FAÇON Balade retrograde. Acueil bel et agreable. Balade a rimes reprises. Renge mon cuer qui fors vous ne desire. Balade a responses. Voire aux loiaulz. Tu as dit voir. Balade a vers a responses. Aime le; si feras que sage. Je, Christine, qui ay plouré. . . LAYS Lay de clxv vers leonimes. Amours, plaisant nourriture. Lay Si je ne finoye de dire. RONDEAUX I. Com turtre suis sanz per toute seulete. II. Que me vault donc le complaindre? III. Je suis vesve, seulete et noir vestue. IV. Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil. V. Quelque chiere que je face. VI. En esperant de mieulx avoir. VII Je ne sçay comment je dure. VIII. Puis que vous vous en alez. IX. Bel a mes yeulx, et bon a mon avis. X. Puis qu'Amours le te consent. XI. De triste cuer chanter joyeusement. XII. Pour ce que je suis longtains. XIII. C'est grand bien que de ces amours. XIV. M'amour, mon bien, ma dame, ma princesse. XV. Quant je ne fois a nul tort. XVI. Doulce dame, que j'ay long temps servie. XVII. Je suis joyeux, et je le doy bien estre. XVIII. Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris. XIX. Tout en pensant a la beauté, ma dame. XX. Sage maintien, parement de beauté. XXI. S'espoir n'estoit, qui me vient conforter. XXII. De tous amans je suis le plus joyeux. XXIII. Belle, ce que j'ay requis. XXIV. Jamais ne vestiray que noir. XXV. En plains, en plours me fault user mon temps. XXVI. Visage doulz, plaisant, ou je me mire. XXVII. A Dieu, ma dame, je m'en vois. XXVIII. A Dieu, mon ami, vous command. XXIX. Il me semble qu'il a cent ans. XXX. Il a au jour d'ui un mois. XXXI. Se loiaulté me puet valoir. XXXII. Trés doulz regart, amoureux, attraiant. XXXIII. Le plus bel qui soit en France. XXXIV. J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire. XXXV. De mieulx en mieulx vous vueil servir. XXXVI. Helas! le trés mauvais songe. XXXVII. Trés doulce dame, or suis je revenu. XXXVIII. Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier. XXXIX. Doulce dame, je vous requier. XL. Se m'amour voulsisse ottroier. XLI. De tel dueil m'avez rempli. XLII. Or est mon cuer rentré en double peine. XLIII. Hé lune! trop luis longuement. XLIV. Amis, ne vous desconfortez. LXV. Souffise vous bel accueil. XLVI. Se souvent vais au moustier. XLVII. Combien qu'adès ne vous voie. XLVIII. Comme surpris. XLIX. Vous en pourriez exillier. L. Pour attraire. LI. Amis, venez encore nuit. LII. Il me tarde que lundi viengne. LIII. Cest anelet que j'ay ou doy. LIV. La cause de mon annuy. LV. Dure chose est a soustenir. LVI. Cil qui m'a mis en pensée novelle. LVII. Vostre doulçour mon cuer attrait. LVIII. Se d'ami je suis servie. LIX. Chiere dame, plaise vous ottroier. LX. Vous n'y pouez, la place est prise. LXI. S'il vous souffist, il me doit bien souffire. LXII. Source de plour, riviere de tristece. LXIII. Bel et doulz et gracieux. LXIV. Pour quoy m'avez vous ce fait? LXV. S'ainsi me dure. LXVI. Amoureux oeil. LXVII. Ma dame. LXVIII. Je vois. LXIX. Dieux.. JEUX A VENDRE. 1. Je vous vens la passerose 2. la fueille tremblant 3. la paternostre 4. le papegay 5. la fleur de mellier 6. l'esparvier apris 7. le vert muguet 8. Du dieu d'amours vous vens le dart 9. Du pré d'Amours vous vens l'usage 10. Je vous vens la fleur de lis 11. du rosier la fueille 12. la turterelle 13. le cerf voulant 14. le chappel de saulx 15. la harpe et la lire 16. les gans de laine 17. la fleur de parvanche 18. la rose amatie 19. le pont qui se haulce 20. le panier d'ozier 21. l'oisellet en cage 22. le vers chapellet 23. la clere fontaine 24. le chappel de soie 25. le cuer du lion 26. la couldre qui ploie 27. l'anelet d'or fin 28. D'un esparvier vous vens la longe 29. Je vous vens le coulomb ramage 30. le songe amoureux 31. l'aloe qui vole 32. l'espée de guerre 33. la fleur d'acolie 34. la branche d'olive 35. la fleur d'ortie 36. le chapel de bievre 37. la rose de may 38. la fleur de seür 39. la violete 40. le blanc corbel 41. l'aloue volant 42. le dyamant 43. le tourret de nez 44. la marjoleine 45. la fueille de houx 46. la blonde tresce 47. le souspir parfont 48. le blanc orillier 49. la voulant aronde 50. Du blanc pain vous vens la mie 51. Je vous vens la rose d'Artois 52. la colombelle 53. le blanc cueuvrechief 54. de soye le laz 55. l'anelet d'argent 56. la fleur de glay 57. la perle fine 58. Je ne vens ne donne les yeulz 59. Chascun vous vens, mais je vous vueil donner 60. Je vous vens la fleur de peschier 61. du rosier la branche 62. d'Amours la prison 63. la rose vermeille 64. plein panier de flours 65. la feuille de tremble 66. Le saphir vous vens d'Orient 67. Flours vous vens de toutes couleurs 68. Je vous vens le levrier courant 69. la fleur mipartie 70. l'escrinet tout plein. AUTRES BALADES I. Car qui est bon doit estre appellé riche. Éloge de Charles d'Albret. II. Si com tous vaillans doivent estre. A Charles d'Albret. III. Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir. IV. Et honneur en toutes querelles. V. Avisons nous qu'il nous convient morir VI. Ne les princes ne les daignent entendre. VII. Car de Juno n'ay je nul reconfort. VIII. Il veult trestout quanque je vueil. IX. Amours le veult et la saison le doit. X. Amours le veult et la saison le doit. XI. Assez louer, ma redoubtée dame. XII. Si qu'a tousjours en soit memoire. XIII. Vous semble il que ce fausseté soit? XIV. Juno me het et meseür me nuit. XV. Se Dieu et vous ne la prenez en cure. XVI. A Charles d'Albret, connétable de France. Ce premier jour que l'an se renouvelle. XVII. N'on n'en pourroit assez mesdire. XVIII. A la reine Isabelle de Bavière Ce jour de l'an, ma redoubtée dame. XIX. A Louis de France, duc d'Orléans Ce jour de l'an vous soiez estrené. XX. A Marie de Berry, comtesse de Montpensier. Ce plaisant jour premier de l'an nouvel. XXI. Christine fait hommage à Charles d'Albret de son poème «Du Débat de deux Amans» Si le vueilliez recepvoir pour estreine. XXII. Christine recommande son fils aîné au duc. d'Orléans Si le vueilliez, noble duc, recevoir. XXIII. Faittes voz faiz a voz ditz accorder. XXIV. Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure. XXV. Chapiaulx jolis, violetes et roses, Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours. XXVI. Et certes le doulz m'aime bien. XXVII. Et ce vous fait tout le monde plaire. XXVIII. En ce jolis plaisant doulz moys de May. XXIX. Au duc d'Orléans, sur le combat de sept Français contre sept. Anglais (19 mai) De hault honneur et de chevalerie. XXX. Sur le combat des sept chevaliers français et des sept. chevaliers anglais (19 mai) Sera retrait de leur haulte vaillance XXXI. Même sujet On vous doit bien de lorier couronner. XXXII. A pou que mon cuer ne font! XXXIII. Au sénéchal de Hainaut, D'entreprendre armes et peine XXXIV. Apercevoir Vueillez le voir. XXXV. Vostre doulceur me meine dure guerre. XXXVI. A la reine Isabelle de BavièreSoit, sanz cesser, toute joye mondaine. RONDEL. Mon chier seigneur, soiez de ma partie XXXVII. On est souvent batu pour dire voir XXXVIII. Sur la Cour du duc Philippe de Bourgogne, Selon seigneur voit on maignée duite XXXIX. Car je vous ay retenue a ma vie XL. Je mourray se m'estes dure XLI. Qu'en France soit si mençonge eslevée XLII. Sur la mort du duc de Bourgogne (27 avril) Affaire eussions du bon duc de Bourgongne XLIII. Et ne croyez flajolz de decepveurs XLIV. Ne mon penser nulle heure ne s'en part XLV. Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye XLVI. Je m'en mettré a mon aise XLVII. Et me vueillez ottroyer vostre amour XLVIII. Je le sçay bien, il fault que je m'en sente XLIX. Je dis que c'est pechié a qui le fait L. S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige LI. Et ait ou mal fort et poissant couraige LII. Ce jour de May gracieux plain de joye LIII. Quant bien me doit venir, meseur l'en chace. ENCORE AULTRES BALADES I. Je t'ameray et tiendray chier. II. Certes trop m'est dure la departie. III. A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault. IV. Et qui n'aroit regrait a tel plaisance. Et a si trés doulce amour eslongner? V. Quant chascun s'en revient de l'ost. VI. Car de ce vueil savoir le compte. VII. Qui vous en a tant appris? VIII. Le plus bel des fleurs de liz. IX. De bien en mieulx vous puist il avenir. COMPLAINTES AMOUREUSES I Doulce dame, vueillez oïr la plainte. II Vueillez oÿr en pitié ma complainte. L'ÉPISTRE AU DIEU D'AMOURS. LE DIT DE LA ROSE. LE DÉBAT DE DEUX AMANTS. LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS. LE LIVRE DU DIT DE POISSY. LE DIT DE LA PASTOURE. UNE ÉPISTRE A EUSTACHE MOREL. CENT BALLADES. CI COMMENCENT CENT BALADES. I Aucunes gens me prient que je face Aucuns beaulz diz, et que je leur envoye, Et de dittier dient que j'ay la grace; Mais, sauve soit leur paix, je ne sçaroye Faire beaulz diz ne bons; mès toutevoye, Puis que prié m'en ont de leur bonté, Peine y mettray, combien qu'ignorant soie, Pour acomplir leur bonne voulenté. Mais je n'ay pas sentement ne espace De faire diz de soulas ne de joye: Car ma douleur, qui toutes autres passe, Mon sentement joyeux du tout desvoye; Mais du grant dueil qui me tient morne et coye Puis bien parler assez et a plenté; Si en diray: voulentiers plus feroye Pour acomplir leur bonne voulenté. Et qui vouldra savoir pour quoy efface Dueil tout mon bien, de legier le diroye: Ce fist la mort qui fery sanz menace Cellui de qui trestout mon bien avoye; Laquelle mort m'a mis et met en voye De desespoir; ne puis je n'oz santé; De ce feray mes dis, puis qu'on m'en proie, Pour accomplir leur bonne voulenté. Princes, prenez en gré se je failloie; Car le ditter je n'ay mie henté, Mais maint m'en ont prié, et je l'ottroye, Pour accomplir leur bonne voulenté. II Ou temps jadis, en la cité de Romme, Orent Rommains maint noble et bel usage. Un en y ot: tel fu que quant un homme En fais d'armes s'en aloit en voyage, S'il faisoit la aucun beau vasselage, Après, quant ert a Romme retourné, Cellui estoit, pour pris de son bernage, Digne d'estre de lorier couronné. De cel' honneur on prisoit moult la somme; Car le plus preux l'avoit ou le plus sage. Pour ce pluseurs, qu'yci pas je ne nomme, S'efforçoient d'en avoir l'avantage; Bien y paru, car de hardi visage Domterent ceulz d'Auffrique en leur regné, Dont maint furent, au retour de Cartage, Digne d'estre de laurier couronné. Ce faisoit on jadis; mais une pomme Ne sont prisié en France, c'est domage, Adès les bons, mais tous ceulz on renomme Qui ont avoir ou trés grant heritage. Mais par bonté, trop plus que par lignage, Doit estre honneur et pris et loz donné A ceulx qui sont, pour leur noble corage, Digne d'estre de lorier couronné. Princes, par Dieu c'est grant dueil et grant rage Quant les biens fais ne sont guerredonné A ceulx qui sont, au dit de tout lengage, Digne d'estre de lorier couronné. III Quant Lehander passoit la mer salée, Non pas en nef, ne en batel a nage, Mais tout a nou, par nuit, en recellée, Entreprenoit le perilleux passage Pour la belle Hero au cler visage, Qui demouroit ou chastel d'Abidonne, De l'autre part, assez près du rivage; Voyez comment amours amans ordonne! Ce braz de mer, que l'en clamoit Hellée, Passoit souvent le ber de hault parage Pour sa dame veoir, et que cellée Fust celle amour ou son cuer fu en gage. Mais Fortune qui a fait maint oultrage, Et a mains bons assez de meschiefs donne, Fist en la mer trop tempesteux orage. Voiés comment amours amans ordonne! En celle mer, qui fu parfonde et lée, Fu Lehander peri, ce fu domage; Dont la belle fu si fort adoulée Qu'en mer sailli sanz querir avantage. Ainsi pery furent d'un seul courage. Mirez vous cy, sanz que je plus sermone, Tous amoureux pris d'amoureuse rage. Voyez comment amours amans ordonne! Mais je me doubt que perdu soit l'usage D'ainsi amer a trestoute personne; Mais grant amour fait un fol du plus sage. Voyez comment amours amans ordonne! IV Par envie, qui le monde desroye, Est trayson couvertement nourrie En mains faulz cuers, qui se mettent en voye De mettre a fin leur fausse lecherie, Et en leurs fais usent de tricherie, Dont ilz prenent sur maint grant avantage, En traïson, non pas par vacellage. En grant pouoir fu la cité de Troye, Un temps qui fu, sur toute seigneurie; Et la regnoit de ce monde, a grant joye, En haulte honneur, fleur de chevalerie; Qui par Grigois fu puis arse et perie, Et Troyens pris et menez en servage, En traïson, non pas par vacellage. Alixandre qui du monde ot la proye Si fu trahy; aussi grant desverie Reffist Mordret a Artus par tel voye, Dont maint dient qu'il est en faerie. Le preux Hector, ou ot bonté florie, Ne l'occist pas Achillès par oultrage, En traïson, non pas par vacellage. Princes, je dis, nel tenez moquerie, Que l'en se gard de tel forsennerie, Voire qui puet, car on fait maint domage En traïson, non pas par vacellage. V Hé! Dieux, quel dueil, quel rage, quel meschief, Quel desconfort, quel dolente aventure, Pour moy, helas, qui torment ay si grief, Qu'oncques plus grant ne souffri creature! L'eure maudi que ma vie tant dure, Car d'autre riens nulle je n'ay envie Fors de morir; de plus vivre n'ay cure, Quant cil est mort qui me tenoit en vie. O dure mort, or as tu trait a chief Touz mes bons jours, ce m'est chose molt dure, Quant m'as osté cil qui estoit le chief De tous mes biens et de ma nourriture, Dont si au bas m'as mis, je le te jure, Que j'ay desir que du corps soit ravie Ma doulante lasse ame trop obscure, Quant cil est mort qui me tenoit en vie. Et se mes las dolens jours fussent brief, Au moins cessast la dolour que j'endure; Mais non seront, ains toudis de rechief Vivray en dueil sanz fin et sanz mesure, En plains, en plours, en amere pointure. De touz assaulz dolens seray servie. D'ainsi mon temps user c'est bien droitture, Quant cil est mort qui me tenoit en vie. Princes, voiez la trés crueuse injure Que mort me fait, dont fault que je devie; Car choite suis en grant mesaventure, Quant cil est mort qui me tenoit en vie. VI Dueil engoisseux, rage desmesurée, Grief desespoir, plein de forsennement, Langour sanz fin, vie maleürée Pleine de plour, d'engoisse et de tourment, Cuer doloreux qui vit obscurement, Tenebreux corps sus le point de perir, Ay, sanz cesser, continuellement; Et si ne puis ne garir ne morir. Fierté, durté de joye separée, Triste penser, parfont gemissement, Engoisse grant en las cuer enserrée, Courroux amer porté couvertement, Morne maintien sanz resjoïssement, Espoir dolent qui tous biens fait tarir, Si sont en moy, sanz partir nullement; Et si ne puis ne garir ne morir. Soussi, anuy qui tous jours a durée, Aspre veillier, tressaillir en dorment, Labour en vain, a chiere alangourée En grief travail infortunéement, Et tout le mal, qu'on puet entierement Dire et penser sanz espoir de garir, Me tourmentent desmesuréement; Et si ne puis ne garir ne morir. Princes, priez a Dieu que bien briefment Me doint la mort, s'autrement secourir Ne veult le mal ou languis durement; Et si ne puis ne garir ne morir. VII Ha! Fortune trés doloureuse, Que tu m'as mis du hault au bas! Ta pointure trés venimeuse A mis mon cuer en mains debas. Ne me povoyes nuire en cas Ou tu me fusses plus crueuse, Que de moy oster le soulas, Qui ma vie tenoit joyeuse. Je fus jadis si eüreuse; Ce me sembloit qu'il n'estoit pas Ou monde plus beneüreuse; Alors ne craignoie tes las, Grever ne me pouoit plein pas Ta trés fausse envie haïneuse, Que de moy oster le soulas, Qui ma vie tenoit joyeuse. Horrible, inconstant, tenebreuse, Trop m'as fait jus flatir a cas Par ta grant malice envieuse Par qui me viennent maulx a tas. Que ne vengoyes tu, helas! Autrement t'yre mal piteuse, Que de moy oster le solas, Qui ma vie tenoit joyeuse? Trés doulz Princes, ne fu ce pas Cruaulté male et despiteuse, Que de moy oster le solas, Qui ma vie tenoit joyeuse? VIII Il a long temps que mon mal comença, N'oncques despuis ne fina d'empirer Mon las estat, qui puis ne s'avança, Que Fortune me voult si atirer Qu'il me convint de moy tout bien tirer; Et du grief mal qu'il me fault recevoir C'est bien raison que me doye doloir. Le dueil que j'ay si me tient de pieça, Mais tant est grant qu'il me fait desirer Morir briefment, car trop mal me cassa Quant ce m'avint qui me fait aïrer; Ne je ne puis de nul costé virer, Que je voye riens qui me puist valoir. C'est bien raison que me doye doloir. Ce fist meseur qui me desavança, Et Fortune qui voult tout dessirer Mon boneür; car depuis lors en ça Nul bien ne pos par devers moy tirer, Ne je ne scay penser ne remirer Comment je vif; et de tel mal avoir C'est bien raison que me doye doloir. IX O dure Mort, tu m'as desheritée, Et tout osté mon doulz mondain usage; Tant m'as grevée et si au bas boutée, Que mais prisier puis pou ton seignorage. Plus ne me pues en riens porter domage, Fors tant sanz plus de moy laissier trop vivre. Car je desir de trestout mon corage Que mes griefs maulx soyent par toy delivre. Il a cinq ans que je t'ay regraittée Souventes fois, a trés pleureux visage, Depuis le jour que me fu joye ostée, Et que je cheus de franchise en servage. Quant tu m'ostas le bel et bon et sage, Laquelle mort a tel tourment me livre Que moult souvent souhait, pleine de rage, Que mes griefs maulx soyent par toy delivre. Se trés adonc tu m'eusses emportée, Trop m'eusses fait certes grant avantage, Car depuis lors j'ay esté si hurtée De grans anuis, et tant reçu d'oultrage, Et tous les jours reçoy au feur l'emplage, Que riens ne vueil, ne n'ay desir de suivre, Fors seulement toy paier tel truage Que mes griefs maulx soyent par toy delivre. Princes, oyés en pitié mon language, Et toy Mort, pri, escry moy en ton livre, Et fay que tost je voye tel message, Que mes griefs maulx soyent par toy delivre. X Se Fortune a ma mort jurée, Et du tout tasche a moy destruire, Ou soye si maleürée, Qu'il faille qu'en dueil vive et muire, Que me vault donc pestrir ne cuire, Tirer, bracier, ne peine traire, Puis que Fortune m'est contraire? Pieça de joye m'a tirée, Ne puis ne fina de moy nuire, Encore est vers moy si yrée, Qu'adès me fait de mal en pire, Quanque bastis elle descire, Et quel proffit pourroye attraire, Puis que Fortune m'est contraire? Son influance desraée Cuidoye tous jours desconfire, Par bien faire a longue endurée, Cuidant veoir aucun temps luire Pour moy qui meseür fait fuire. Mais riens n'y vault, je n'y puis traire, Puis que Fortune m'est contraire. XI Seulete suy et seulete vueil estre, Seulete m'a mon doulz ami laissiée, Seulete suy, sanz compaignon ne maistre, Seulete suy, dolente et courrouciée, Seulete suy en languour mesaisiée, Seulete suy plus que nulle esgarée, Seulete suy sanz ami demourée. Seulete suy a huis ou a fenestre, Seulete suy en un anglet muciée, Seulete suy pour moy de plours repaistre, Seulete suy, dolente ou apaisiée, Seulete suy, riens n'est qui tant me siée, Seulete suy en ma chambre enserrée, Seulete suy sanz ami demourée. Seulete suy partout et en tout estre. Seulete suy, ou je voise ou je siée, Seulete suy plus qu'autre riens terrestre, Seulete suy de chascun delaissiée, Seulete suy durement abaissiée, Seulete suy souvent toute esplourée, Seulete suy sanz ami demourée. Princes, or est ma doulour commenciée: Seulete suy de tout dueil menaciée, Seulete suy plus tainte que morée, Seulete suy sanz ami demourée. XII Qui trop se fie es grans biens de Fortune, En verité, il en est deceü; Car inconstant elle est plus que la lune. Maint des plus grans s'en sont aperceü, De ceulz meismes qu'elle a hault acreü, Trebusche tost, et ce voit on souvent Que ses joyes ne sont fors que droit vent. Qui vit, il voit que c'est chose commune Que nul, tant soit perfait ne esleü, N'est espargné quant Fortune repugne Contre son bien, c'est son droit et deü De retoulir le bien qu'on a eü, Vent chierement, ce scet fol et sçavent Que ses joyes ne sont fors que droit vent. De sa guise qui n'est pas a touz une Bien puis parler; car je l'ay bien sceü, Las moy dolens! car la fausse et enfrune M'a a ce cop trop durement neü, Car tollu m'a ce dont Dieu pourveü M'avoit, helas! bien vois apercevent Que ses joyes ne sont fors que droit vent. XIII C'est fort chose qu'une nef se conduise, Es fortunes de mer, a tout par elle, Sanz maronnier ou patron qui la duise, Et le voile soit au vent qui ventelle; Se sauvement a bon port tourne celle, En verité c'est chose aventureuse; Car trop griefment est la mer perilleuse. Et non obstant que parfois soleil luise, Et que si droit s'en voit que ne chancelle, Si qu'il semble que nul vent ne lui nuise, Ne nul decours, ne la lune nouvelle, Si est elle pourtant en grant barelle De soubdain vent ou d'encontre encombreuse; Car trop griefment est la mer perilleuse. Si est pitié, quant fault que mort destruise Nul bon patron, ou meneur de nacelle; Et est bien droit que le cuer dueille et cuise. Qui a tresor, marchandise ou vaisselle, Ou seul vaissel qui par la mer brandelle: N'est pas asseur, mais en voie doubteuse; Car trop griefment est la mer perilleuse. XIV Seulete m'a laissié en grant martyre, En ce desert monde plein de tristece, Mon doulz ami, qui en joye sanz yre Tenoit mon cuer, et en toute leesce. Or est il mort, dont si grief dueil m'oppresse, Et tel tristour a mon las cuer s'amord Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort. Qu'en puis je mais, se je pleure et souspire Mon ami mort, et quelle merveille est ce? Car quant mon cuer parfondement remire Comment souef j'ay vescu sans asprece Trés mon enfance et premiere jeunece Avecques lui, si grant doulour me mord Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort. Com turtre sui sanz per qui ne desire Nulle verdour, ains vers le sec s'adrece, Ou com brebis que lop tache a occire, Qui s'esbaïst quant son pastour la laisse; Ainsi suis je laissiée, en grant destrece, De mon ami, dont j'ay si grant remord Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort. XV Helas! helas! bien puis crier et braire, Quant j'ay perdu ma mere et ma nourrice, Qui doulcement me souloit faire taire. Or n'y a mais ame qui me nourrice, Ne qui ma faim de son doulz lait garisse. Jamais de moy nul ne prendra la cure, Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture. Plaindre et plourer je doy bien mon affaire; Car je me sens povre, foiblet et nyce, Et non sachant pour aucun proffit faire; Car jeune suis de sens et de malice. Or convendra qu'en orphanté languisse, Et que j'aye mainte male aventure, Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture. Le temps passé, a tous souloie plaire, Et m'offroit on honneurs, dons et service, Quant ma mere la doulce et debonnaire Me nourrissoit; or fault que tout tarrisse, Et qu'à meschief et a doleur perisse Plein de malons et de pouvre enfonture, Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture. XVI Qui vivement veult bien considerer Ce monde cy ou il n'a joye entiere, Et les meschiefs qu'il fault y endurer, Et comment mort vient qui tout met en biere, Qui bien penser veult sus ceste matiere, Il trouvera, s'il a quelque grevance, Que sur toute reconfortant maniere, C'est souvrain bien que prendre en pascience. Puis qu'ainsi est qu'on n'y puet demorer, Pourquoy a l'en ceste vie si chiere? Et une autre convient assavourer, Qui aux pecheurs ne sera pas legiere. Si vault trop mieulx confession plainiere Faire en ce monde, et vraye penitence; Et qui ara la penance trop fiere, C'est souvrain bien que prendre en pascience. Chascun vray cuer se doit enamourer De la vraye celestiel lumiere, Et du seul Dieu que l'en doit aourer. C'est nostre fin et joye derreniere: Qui sages est, autre solas ne quiere, Tout autre bien si n'est fors que nuisance, Et se le monde empesche ou trouble arriere, C'est souvrain bien que prendre en pascience. XVII Se de douloureux sentement Sont tous mes dis, n'est pas merveille; Car ne peut avoir pensement Joyeux, cuer qui en dueil traveille. Car, se je dors ou se je veille, Si suis je en tristour a toute heure, Si est fort que joye recueille Cuer qui en tel tristour demeure. N'oublier ne puis nullement La trés grant douleur non pareille Qui mon cuer livre a tel tourment, Que souvent me met a l'oreille Grief desespoir, qui me conseille Que tost je m'occie et accueure; Si est fort que joye recueille Cuer qui en tel tristour demeure. Si ne pourroye doulcement Faire dis; car, vueille ou ne vueille, M'estuet complaindre trop griefment Le mal, dont fault que je me dueille; Dont souvent tremble comme fueille, Par la douleur qui me cueurt seure. Si est fort que joye recueille Cuer qui en tel tristour demeure. XVIII Aucunes gens ne me finent de dire Pour quoy je suis si malencolieuse, Et plus chanter ne me voyent ne rire, Mais plus simple qu'une religieuse, Qui estre sueil si gaye et si joyeuse. Mais a bon droit se je ne chante mais; Car trop grief dueil est en mon cuer remais. Et tant a fait Fortune, Dieu lui mire! Qu'elle a changié en vie doloreuse Mes jeux, mes ris, et ce m'a fait eslire Dueil pour soulas, et vie trop greveuse. Si ay raison d'estre morne et songeuse, Ne n'ay espoir que j'aye mieulx jamais; Car trop grief dueil est en mon cuer remais. Merveilles n'est se ma leesce empire; Car en moy n'a pensée gracieuse, N'autre plaisir qui a joye me tire. Pour ce me tient rude et maugracieuse Le desplaisir de ma vie anuieuse, Et se je suis triste, je n'en puis mais; Car trop grief dueil est en mon cuer remais. XIX Long temps a que je perdi Tout mon soulas et ma joye, Par la mort que je maudi Souvent; car mis m'a en voye De jamais nul bien avoir; Si m'en doy par droit blasmer; N'oncques puis je n'oz vouloir De faire ami, ne d'amer. Ne sçay qu'en deux ne fendi Mon cuer, du dueil que j'avoye Trop plus grant que je ne di, Ne que dire ne sçaroye, Encor mettre en nonchaloir Ne puis mon corroux amer; N'oncques puis je n'oz vouloir De faire ami, ne d'amer. Depuis lors je n'entendi A mener soulas ne joye; Si en est tout arudi Le sentement que j'avoye. Car je perdi tout l'espoir Ou me souloie affermer. N'oncques puis je n'oz vouloir De faire ami, ne d'amer. XX Comment feroye mes dis Beaulx, ne bons, ne gracieux, Quant des ans a près de dix Que mon cuer ne fu joyeux, N'il n'a femme soubz les cieulx Qui plus ait eu de meschief? Encor n'en suis pas a chief. J'os des biens assez jadis; Mais en yver temps pluieux Si pesent, si enlaidis, N'est, ne si trés anuieux, Comme adès en trestous lieux M'est le temps; mais, par mon chief, Encor n'en suis pas a chief. Si ay bien droit se je dis Mes plains malencolieux; Car en tristour est tousdis Mon dolent cuer, ce scet Dieux, Ne jamais je n'aray mieulx, Se ma pesance n'achief; Encor n'en suis pas a chief. XXI Tant me prie trés doulcement Cellui qui moult bien le scet faire, Tant a plaisant contenement, Tant a beau corps et doulz viaire, Tant est courtois et debonaire, Tant de grans biens oy de lui dire Qu'a peine le puis escondire. Il me dit si courtoisement, En grant doubtance de meffaire, Comment il m'aime loyaument, Et de dire ne se peut taire, Que neant seroit du retraire; Et puis si doulcement souspire Qu'a peine le puis escondire. Si suis en moult grant pensement Que je feray de cest affaire; Car son plaisant gouvernement, Vueille ou non, Amours me fait plaire, Et si ne le vueil mie attraire; Mais mon cuer vers lui si fort tire Qu'a peine le puis escondire. XXII Tant avez fait par vostre grant doulceur, Trés doulz ami, que vous m'avez conquise. Plus n'y convient complainte ne clamour, Ja n'y ara par moy deffense mise. Amours le veult par sa doulce maistrise, Et moy aussi le vueil, car, se m'ait Dieux, Au fort c'estoit folour quant je m'avise De reffuser ami si gracieux. Et j'ay espoir qu'il a tant de valour En vous, que bien sera m'amour assise, Quant de beaulté, de grace et tout honnour Il y a tant que c'est drois qu'il souffise; Si est bien drois que sur tous vous eslise; Car vous estes digne d'avoir trop mieulx, Et j'ay eu tort, quant tant m'avez requise, De reffuser ami si gracieux. Si vous retien et vous donne m'amour, Mon fin cuer doulz, et vous pri que faintise Ne soit en vous, ne nul autre faulx tour; Car toute m'a entierement acquise Vo doulz maintien, vo maniere rassise, Et vos trés doulz amoureux et beaulz yeux. Si aroye grant tort en toute guise De reffuser ami si gracieux. Mon doulz ami, que j'aim sur tous et prise, J'oy tant de bien de vous dire en tous lieux Que par raison devroye estre reprise De reffuser ami si gracieux. XXIII Bien doy louer Amours de ses biens fais, Qui m'a donné ami si trés parfait, Qu'en trestous lieux chascun loue ses fais Et sa beaulté, sa grace et tout son fait, Qu'il n'a en lui ne blasme ne meffait; Dieu l'a parfait en valeur et en grace, N'on ne pourroit mieulx vouloir par souhait; Certes c'est cil qui tous les autres passe. Et avec ce qu'il est sur tous parfais, Et que son bien est en mains lieux retrait, Pour moy servir porte tous pesans fais, Et m'aime et craint plus que riens sanz retrait; Ne paour n'ay d'y trouver ja faulz trait. Car il est tel que trestous maulx efface De son bon cuer, ou il n'a nul forfait. Certes c'est cil qui tous les autres passe. Si a mon cuer du tout a lui attrais Qui est tout sien, c'est bien raison qu'il l'ait; Car tout acquis l'a par ses trés doulx trais; Et vrayement si en mon cuer portrait Est son gent corps, qu'il n'en sera fors trait Jamais nul jour, se ma vie ne passe; Car sanz mentir dire puis tout a fait: Certes c'est cil qui tous les autres passe. XXIV Ma doulce amour, ma plaisance cherie, Mon doulz ami, quanque je puis amer, Vostre doulceur m'a de tous maulz garie, Et vrayement je vous puis bien clamer Fontaine dont tout bien vient, Et qui en paix et joye me soustient, Et dont plaisirs me vienent a largece; Car vous tout seul me tenez en leece. Et la doulour qui en mon cuer norrie S'est longuement, qui tant m'a fait d'amer, Le bien de vous a de tous poins tarie; Or ne me puis complaindre ne blasmer De Fortune qui devient Bonne pour moy, se en ce point se tient. Mis m'en avez en la voye et adrece; Car vous tout seul me tenez en leece. Si lo Amours qui, par sa seigneurie, A tel plaisir m'a voulu reclamer; Car dire puis de vray sanz flaterie, Qu'il n'a meilleur de la ne de ça mer De vous, m'amour, ainsi le tient Mon cuer pour vray, qui tout a vous se tient, N'a aultre rien sa pensée ne drece; Car vous tout seul me tenez en leece. XXV Dites moy, mon doulz ami, S'il est voir ce que j'oy dire, Que dedens la Saint Remi Devez aler en l'Empire, En Alemaigne, bien loings, Demourer, si com j'entens, Quatre moys ou trois du moins? Helas! que j'aray mautemps! Ne me puet jour ne demi Sanz vous veoir riens souffire, Et quant vous serez de mi Loins, quel sera mon martire! De mourir me fust besoings Mieulx que le mal que j'atens; Rungier me fauldra mes froins. Helas! que j'aray mautemps! Mon cuer partira par mi, Au dire a Dieu j'en souspire Souvent et de dueil fremi. Car je fondray com la cire Des soussis et des grans soings Que pour vous aray par temps; Se je vous pers de tous poins, Helas! que j'aray mautemps! XXVI Mon doulz ami, n'aiez malencolie Se j'ay en moy si joyeuse maniere; Et se je fais en tous lieux chiere lie, Et de parler a maint suis coustumiere, Ne croiez pas pour ce, que plus legiere Soye envers vous, car c'est pour decepvoir Les mesdisans qui tout veulent savoir. Car se je suis gaye, cointe et jolie, C'est tout pour vous que j'aim d'amour entiere. Si ne prenez nul soing qui contralie Vostre bon cuer, car pour nulle priere Je n'ameray autre qui m'en requiere; Mais on doit moult doubter, a dire voir, Les mesdisans qui tout veulent savoir. Sachiez de voir qu'amours si fort me lie En vostre amour que n'ay chose tant chiere. Mais ce seroit a moy trop grant folie De ne faire, fors a vous, bonne chiere. Ce n'est pas drois, ne chose qui affiere Devant les gens, pour faire apercevoir Les mesdisans qui tout veulent savoir. XXVII Ne cuidiez pas que je soye Si fole, ne si legiere, Sire, qu'accorder je doye M'amour a toute priere; Trop seroye vilotiere, Ce que oncques mais ne fus; J'en ay fait a maint reffus. Ja pour ce ne vous anoye, Ne me faittes pire chiere, Car amer je ne saroye, Ne je n'en suis coustumiere, Pour homme qui m'en requiere; Aprendre n'en vueil les us; J'en ay fait a maint reffus. Ne faire je n'en vouldroie En fais, en dis, en maniere, Chose que faire ne doye Femme qui honneur a chiere. Trop mieulx vouldroie estre en biere. Pour ce, soyent beaulx ou drus, J'en ay fait a maint reffus. XXVIII Mon doulz ami, vueilliez moy pardonner, Se je ne puis, si tost com je vouldroye, Parler a vous, car ainçois ordener Me fault comment sera, ne par quel voye. Car mesdisans me vont gaitant Qui du meschief et du mal me font tant, Que je ne puis joye ne bien avoir, Pour le desir que j'ay de vous veoir. Si pry a Dieu qu'il leur vueille donner La mort briefment; car leur vie m'anoye, Pour ce qu'en dueil me font mes jours finer Sanz vous veoir, ou est toute ma joye: Car ilz se vont entremettant De moy gaitier nuit et jour, mais pourtant Ne vous oubli, ce pouez vous savoir, Pour le desir que j'ay de vous veoir. Mais ne sçaront ja eulx si fort pener, Que, maugré tous, bien briefment ne vous voie. Car tant feray, se g'y puis assener, Que vous verray, quoy qu'avenir m'en doye, Et vous feray savoir quant. Mon doulz ami, deportez vous atant. Car g'y mettray peine, sachiez de voir, Pour le desir que j'ay de vous veoir. XXIX Le gracieux souvenir, Qui de vous me vient, Me fait gaiement tenir. Et il appertient, Car tout adès me souvient Comment vostre bonté passe Tous autres, chascun le tient, Par Dieu, c'est grant grace. Joye doy bien maintenir, Quant si bien m'avient, Qu'amours mon cuer retenir, Dont plus lié devient, Vous a fait a qui avient Bien et bel en toute place Faire quanque honneur contient, Par Dieu, c'est grant grace. Ne mal ne me peut venir; Car mon cuer maintient Qu'a joye puis avenir, Par vous qui retient Pense, dit, fait et detient Tout bien, et tout mal efface La bonté qui vous soustient, Par Dieu, c'est grant grace. XXX Faulx mesdisans aront ilz le pouoir De moy faire mon ami eslongnier? Nanil, par Dieu! combien que leur savoir Mettent a moy grever sanz espargnier, Mais ja pourtant ne feront recreant Mon cuer d'amer; a cellui le creant Qui l'a du tout, car n'ont pas la poissance Qu'a vraye amour puissent faire grevance. Grever peut bien mon corps ou mon avoir Leur faulx agait, que ne puis engigner, Ou mon honneur, et si puis recepvoir Par eulx maint mal; si le doy ressoigner; Mais se mon fait devoyent en riant Partout compter en la ville criant, Si n'ay je pas ne doubte n'esperance Qu'a vraye amour puissent faire grevance. Par leurs lengues ou il n'a mot de voir (Je pri a Dieu que l'en leur puist roignier,) Me destournent mon ami a veoir; De ce les voy assez embesoignier, Et ja par eulx vont maintes gens creant Pis qu'il n'y a, et ainsi vont grevant Maint vray amant; mais n'ay point de doubtance Qu'a vraye amour puissent faire grevance. XXXI Mon ami, ne plourez plus; Car tant me faittes pitié Que mon cuer se rent conclus A vostre doulce amistié. Reprenez autre maniere; Pour Dieu, plus ne vous doulez, Et me faittes bonne chiere: Je vueil quanque vous voulez. Ne plus ne soiez reclus, Ne pensif, ne dehaitié; Mais de joye aprenez l'us. Car bien avez exploitié Vers Amours qui n'est pas fiere Encontre vous; or alez, J'acorde vostre priere: Je vueil quanque vous voulez. Trop mieulx m'atachent qu'a glus, Et d'amours font le traittié, De voz larmes les grans flus Qui m'occient a moitié, Ne plus je n'y met enchiere; Doulz ami, or m'acolez, Je suis vostre amie chiere; Je vueil quanque vous voulez. XXXII Helas! m'amour, vous convient il partir Et eslongnier de moy qui tant vous aim? Ce poise moy, s'ainsi est, car sentir Me convendra, de ce soyez certain, Trop de griefté jusqu'au retour. En dueil vivray, en peine et en tristour, Et me mourray de dueil certainement, Se demourez loing de moy longuement. Car vostre est tout mon cuer, sanz repentir, Ne n'a nul bien sanz vous, ne soir, ne main, Ne il n'est rien qui le feist alentir De vous amer, tant fust malade ou sain; Et, comme en une forte tour, Est enfermé en lui vo gent atour Qui m'ocira, n'en doubtez nullement, Se demourez loing de moy longuement. Or me ditez, doulz ami, sanz mentir, Quant revendrez. Pour le dieu souverain Ne demourez! car ce feroit martir Mon povre cuer, qui n'a autre reclaim; Et ne m'oubliez par nul tour, Loyal soyez, et loing et cy entour; Car tant vous aim qu'il m'yra durement Se demourez loing de moy longuement. XXXIII En plourant a grosses goutes, Trés triste et pleine de dueil, Ma vraye amour dessus toutes, Cil que j'aim, n'autre ne vueil, Vous di a Dieu a grant peine. Car trop grant doulour soustient Mon cuer, qui grief dueil demaine, Puis que partir vous convient. Or sont mes joyes desrouptes; Plus ne chant, si com je sueil; Des tristes suivray les routes, J'en ay ja passé le sueil, Puis que je seray longtaine De vous, et il apertient. Je demeure de dueil pleine, Puis que partir vous convient. Je mourray, n'en faites doubtes, Sans veoir vo doulz accueil. Ha! Fortune, tu me boutes En dur point, puis que my oeil, Fors par pensée prochaine, Ne verront cil qui retient Mon cuer: c'est chose certaine, Puis que partir vous convient. XXXIV Or est venu le trés gracieux moys De May le gay, ou tant a de doulçours, Que ces vergiers, ces buissons et ces bois, Sont tout chargiez de verdure et de flours, Et toute riens se resjoye. Parmi ces champs tout flourist et verdoye, Ne il n'est riens qui n'entroublie esmay, Pour la doulçour du jolis moys de May. Ces oisillons vont chantant par degois, Tout s'esjouïst partout de commun cours, Fors moy, helas! qui sueffre trop d'anois, Pour ce que loings je suis de mes amours; Ne je ne pourroye avoir joye, Et plus est gay le temps et plus m'anoye. Mais mieulx cognois adès s'oncques amay, Pour la doulçour du jolis moys de May. Dont regreter en plourant maintes fois Me fault cellui, dont je n'ay nul secours; Et les griefs maulx d'amours plus fort cognois, Les pointures, les assaulx et les tours, En ce doulz temps, que je n'avoye Oncques mais fait; car toute me desvoye Le grant desir qu'adès trop plus ferme ay, Pour la doulçour du jolis moys de May. XXXV Je suis loings de mes amours, Dont je pleure mainte lerme; Mais en espoir prens secours Que tost revendra le terme Qu'il m'a mis de retourner. Ja sont passées trois sepmaines, Six en devoit sejourner, Tant ont a durer mes peines. Tant le desire tousjours Qu'en suis malade et enferme. Or venez doncques le cours, Amis que j'aim d'amour ferme, Et vous ferez destourner Mes angoisses trés grevaines; Car jusques au retourner Tant ont a durer mes peines. Pour mener mon dueil en plours, Souvent a par moy m'enferme; Mais ce garist mes doulours Qu'a bon espoir je m'afferme Que Dieu vous vueille amener, Ou tost nouvelles certaines; Jusques la me fault pener, Tant ont a durer mes peines. XXXVI Se vraye amour est en un cuer fichée Sanz varier et sanz nulle faintise, Certes c'est fort que de legier dechée; Ainçois adès de plus en plus l'atise Ardent desir et l'amour qui s'est mise Dedens le cuer, qui si le fait lier Qu'il n'en pourroit partir en nulle guise, Et qui pourroit telle amour oublier? Pour moy le sçay, qui suis toute sechée Par trop amer; car, sans recreandise, Ay si m'amour fermement atachée A cil amer, ou je l'ay toute assise, Qu'en ce monde nul autre avoir ne prise, Ne je ne fais fors melencolier. Quant loings en suis, riens n'est qui me souffise, Et qui pourroit telle amour oublier? Si ne pourroit jamais estre arrachée Si faitte amour, car, pour droit que g'i vise, Je n'ay pouoir qu'en moy de riens dechée, Et si suis je d'autres assez requise; Mais riens n'y vault: un seul m'a tout acquise; Tant pourchaça, par soy humilier, Que je me mis du tout a sa franchise, Et qui pourroit telle amour oublier? XXXVII Pour vous, m'amour desirée, Ay joye si adirée, Sanz mentir, Qu'adès vouldroye sentir La mort, pour estre tirée Du mal qui m'a empirée, Et si ne m'en puis partir. Ne, pour tost estre curée La peine qu'ay endurée, Consentir Ne me puis ne assentir A autre amour procurée; J'en seroye perjurée, Et si ne m'en puis partir. C'est pour vostre demourée, Ma doulce amour savourée, Qui partir Fera mon cuer com martir, J'en suis taintte com morée, Et toute descoulourée, Et si ne m'en puis partir. XXXVIII Helas! doulz loyaulx amis, En grant desir attendoie Le terme que m'aviez mis De retourner, mais ma joye Tourne en dueil: tout est cassé Le bon espoir que j'avoye, Puis que le terme est passé. Vous m'aviez dit et promis, Et aussi je l'esperoie, Que deux moys ou trois demis, Demourriez en ceste voye, Dont je me doubt que lassé Vous soyez que plus vous voye, Puis que le terme est passé. Or est de tous poins desmis Le soulas qu'avoir soloie, En pensant que ja remis, Du retour fussiez en voye De venir; mais effacé Est mon bien; car trop m'anoie, Puis que le terme est passé. XXXIX Qui a mal, souvent se plaint; Car maladie le doit, Et pour ce sont mi complaint Doulereux, car chascun voit Comment tourmentée suis Pour amer, et ma doulour Nullement celer ne puis; Il en pert a ma coulour. On cognoist bien qui se faint; Car qui grant griefté reçoipt, Le visage en a destaint. Se le cuer est fort destroit, Et pour ce mes griefs anuis Amenrissent ma vigour, Car repos n'ay jour ne nuys; Il en pert a ma coulour. Mais cil, par qui j'ay mal maint, Ne scet, ne cognoist, ne voit Comment mon cuer est attaint; Helas! comment le sçaroit, Car je ne le vis depuis Demi an, mais son sejour De la mort m'ovrira l'uis; Il en pert a ma coulour. XL Amours, amours, certes tu fis pechié De moy lier en tes perilleux las, Ou mon cuer est si durement fichié, Que moult souvent me convient dire helas! Et voirement dit l'en voir Que tu ne scés nullui si chier avoir, Qu'il n'ait, souvent avient, de ses amours Pour un seul bien plus de cinq cens doulours. Au commencier m'as le cuer aluchié, Par moy donner assés de tes soulas; Mais quant tu l'as fermement atachié, Adonc de ses plaisirs despouillié l'as; Car, sans lui faire assavoir, Trestout le bien qu'il souloit recevoir Lui as osté, et lui rens tous les jours Pour un seul bien plus de cinq cens doulours. Et se cellui, par qui en dur point chié, Ne vient briefment, mal oncques m'affulas De tes dangiers par qui du tout dechié De joye avoir, et s'il est d'amer las Trop me convendra douloir; Car plus que riens le desir a veoir, Et, s'il ne vient, j'aray pour mes labours Pour un seul bien plus de cinq cens doulours. XLI Helas! au moins se aucune nouvelle Peusse ouïr, par quoy sçeusse comment Le fait cellui qui mes maulx renovele, Et qui tenu l'a ja si longuement De moy loingtain, ce feist aucunement Moy resjouïr, mais nul n'en fait raport, Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort. Ne sçay s'en nef, en barge, ou en nacelle, Passa la mer ou s'il va autrement; S'en Aragon, en Espaigne, en Castelle, Ou autre part soit alé, ou briefment Ne puist venir, ou si prochainement; Car je ne sçay ou il est, n'a quel port, Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort. Ou peut estre qu'il aime autre plus belle Que je ne suis, si ne lui chaut granment De revenir; mais il n'est damoiselle Ne nulle autre, ce sçay certainement, Qui jamais jour l'aime plus loiaument; Mais que me vault? quant je n'en ay confort, Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort. XLII Ovide dit qu'il est un messagier, Qui en dormant les nouvelles aporte, Les gens endort, et puis les fait songier De joye ou dueil, songes de mainte sorte. Morpheüs cil messager on appelle; Au dieu qui dort est filz, ce dit la fable, Qui en pluseurs formes se renouvelle, Cil nonce aux gens mainte chose notable, Et cellui dieu de someil alegier, Soye mercy, veult le mal que je porte. Car nouvelles m'envoye sanz dongier De mon ami, autre ne me conforte. Mais quant chose me dit qui ne m'est belle, Mon cuer tremble plus que feuille d'arable; Car en nul cas de riens le voir ne celle, Cil nonce aux gens mainte chose notable. Et ma doulour fait moult assouagier Le dieu qui dort, certes je fusse morte Se il ne fust; mais plorer de legier Me fait souvent, car trop me desconforte Quant il me dit qu'une autre damoiselle Tient mon ami, et qu'il soit veritable J'ay grant paour; car, de toute querelle, Cil nonce aux gens mainte chose notable. XLIII Hé Dieux! que le temps m'anuie, Un jour m'est une sepmaine; Plus qu'en yver longue pluie, M'est ceste saison grevaine. Helas! car j'ay la quartaine, Qui me rent toute estourdie Souvent et de tristour pleine: Ce me fait la maladie. J'ay goust plus amer que suye, Et coulour pasle et mausaine; Pour la toux fault que m'appuye Souvent, et me fault l'alaine. Et quant l'excès me demaine, Adonc ne suis tant hardie Que je boive que tysaine: Ce me fait la maladie. Je n'ay garde que m'enfuye; Car, quant je vois, c'est a peine Non pas l'erre d'une luie, Mais par une chambre plaine Encor convient qu'on me maine, Et souvent fault que je die: «Soustenez moy, je suis vaine.» Ce me fait la maladie. Medecins, de mal suis plaine, Garissez moy, je mendie De santté qui m'est longtaine; Ce me fait la maladie. XLIV Amours, il est fol qui te croit, Ne qui a toy servir s'amuse; Car qui mieulx te sert plus reçoit De grans anuis, et sa vie use A grant meschief qui s'i esluse; Grant faissel lui fault soutenir, Je m'en sçay bien a quoy tenir. Ton bel accueil chascun deçoit, Chascun attrait, nul ne reffuse, Assez promet et moult accroit; Mais au payer trestous cabuse, Et pis y a, car on accuse Qui ta vie veult maintenir, Je m'en sçay bien a quoy tenir. A la perfin chascun le voit, Ton fait n'est fors que droitte ruse, Et s'au commencier on savoit Comment la fin en est confuse, Tel s'en retrairoit qui y muse; Mais on ne s'i scet contenir, Je m'en sçay bien a quoy tenir. XLV Le messagier de Renommée, Qui Pegasus est appellé, Par qui grant parole est semée, Car ce qu'il scet n'est pas cellé, Cil vole plus tost qu'une aronde, Et telles nouvelles raporte, Souvent qu'il semble que tout fonde; Et a la fois grant joye aporte. Les nouvelles de mainte armée, Ou s'un païs s'est rebellé, Ou s'aucune chose est blasmée, A tantost dit et revellé; Mais souvent ment, car il abonde En grant parole droitte et torte; Par lui sont dolent maint au monde; Et a la fois grant joye aporte. Cellui m'a la guerre nommée, Ou mon ami s'en est alé, Et m'a dit qu'une aultre enamée A, dont j'ay le cuer adoulé, N'est ne premiere, ne seconde Fois, qu'il ainsi me desconforte; Dont plourer me fait a grant onde; Et a la fois grant joye aporte. Ainsi, en pensée parfonde Songe m'euvre de deuil la porte, Si qu'il m'est vis qu'en plours ja fonde; Et a la fois grant joye apporte. XLVI Mesprendroye vers amours De faire nouvel ami, Quant j'ay, sens avoir secours, Attendu an et demi Cellui que je tant amoye? Bien voy qu'il ne lui souvient De moy, quant ne vient, n'envoye, Ne nouvelles ne m'en vient. Pour lui ay eu mains maulx jours, Et se tel mal eust pour mi, Plus tost venist que le cours; Car oncques puis ne dormi Bien, qu'il parti, ne n'oz joye; Ne sçay quel cause le tient, Mais n'en oz ne vent ne voye, Ne nouvelles ne m'en vient. Se ne vueil plus en telz plours Vivre, j'ay assez gemi; Estre y pourroye tousjours, Qu'il n'en donroit un fremi. Ce n'est pas drois que je doie Lui amer, quant ne lui tient; Ne ne chault que je le voie, Ne nouvelles ne m'en vient. XLVII Jamais a moi plus ne s'attende, Cellui a qui plus ne m'attens, Puis que vers moy ne vient ne mende. Attendu l'ay deux ans par temps, Plus ne m'en quier donner mau temps; Folie m'en feroit douloir, Puis qu'il m'a mis en nonchaloir, Au vray corps Dieu le recomende, Qui le gard de mauvais contens, Et de tout peril le deffende, Combien que plus je ne l'attens, Et a m'en retraire je tens; Et de ce fais je mon devoir, Puis qu'il m'a mis en nonchaloir. Mespris a vers moy, mais l'amende N'affiert pas de deniers contens, Mais du devoir qu'Amours comende A ceulz qui sont entremettans D'amours servir; mais mal contens S'en tient mon cuer, a dire voir, Puis qu'il m'a mis en nonchaloir. XLVIII Je ne te vueil plus servir, Amours, a Dieu te comand. Tu me veulz trop asservir, Et paier mauvaisement; Pour loier me rends tourment. C'est fort chose a soustenir: Je ne m'i vueil plus tenir. Pour ta grace desservir Je t'ay servi loiaument, Mais je ne puis assovir Mon service, car griefment, Me tourmentes, dont briefment Aime mieulx m'en revenir: Je ne m'i vueil plus tenir. Qui a toy se veult plevir, Et donner entierement, Puis descendre, puis gravir, Selon ton commandement, Lui convient peniblement; Si m'en doit bien souvenir: Je ne m'i vueil plus tenir. XLIX N'en parlez plus, je ne vueil point amer; Sire, pour Dieu vueilliez vous en retraire, Ne me devez ne haïr ne blasmer, Se je ne vueil a nul en tel cas plaire; Helas! pour Dieu, vueilliez vous ent retraire. Car plus ne vueil telle complainte oïr; Vous me ferez d'environ vous foïr. Par telz semblans me feriez diffamer; A vous seroit grant pechié de ce faire. Ja vont pluseurs partout dire et semer, Que cy entour vous n'avez riens que faire, Et si n'est nul qui autant y repaire; Mais se vous voy de tel plait esjouïr, Vous me ferez d'environ vous fouïr. Il n'est chanteur, ne sereine de mer, Qui cuers de gens scevent si bien soubtraire, Ne beau parler, prier, ne reclamer, Qui me feïst a telle amour attraire, Si vous suppli que vous en vueilliez taire; Car s'autrement ne puis de ce joïr, Vous me ferez d'environ vous foïr. L Aucunes gens porroient mesjugier Pour ce sur moy que je fais ditz d'amours; Et diroient que l'amoureux dongier, Je sçay trop bien compter et tous les tours, Et que ja si vivement N'en parlasse, sanz l'essay proprement, Mais, sauve soit la grace des diseurs, Je m'en raport a tous sages ditteurs. Car qui se veult de faire ditz chargier Biaulz et plaisans, soient ou longs ou cours, Le sentement qui est le plus legier, Et qui mieulx plaist a tous de commun cours, C'est d'amours, ne autrement Ne seront fait ne bien ne doulcement, Ou, se ce n'est, d'aucunes belles meurs, Je m'en raport a tous sages ditteurs. Qui pensé l'a, s'en vueille deschargier, Qu'en verité ailleurs sont mes labours. Pour m'excuser ne le dis ne purgier; Car amé ont assez de moy meillours, Mais d'amours je n'ay tourment Joye ne dueil; mais pour esbatement En parlent maint qui ont ailleurs leurs cuers, Je m'en raport a tous sages ditteurs. LI Ce n'est pas drois que vous face priere De moy amer; car mie n'apartient Que nul amant dame d'amours requiere, Car de l'amant ce communement vient. Mais vraiement c'est grant duel s'il avient Qu'on ait un tel pour ami retenu, Qui loiaulté ne verité ne tient; Ce poise moy quant ce m'est avenu. Et non obstant qu'a moy pas il n'afiere D'en plus parler, puis qu'a vous n'en souvient, Si ne me puis je encor tenir si fiere Que ne die le dueil qui me survient. Car le mien cuer pour mal content se tient De vous trouver de vraye amour si nu, Dont je voy bien retraire m'en convient; Ce poise moy quant ce m'est avenu. Trop me deçut Amours par vostre chiere, Qui demonstroit, mon cuer bien le retient, Que m'amissiez de vraye amour entiere. Et vrayement je croy que qui maintient Tel trayson, pou de preu en retient; Mais je voy bien qu'il vous est souvenu Moult pou de moy, mais puis que vous n'en tient, Ce poise moy quant ce m'est avenu. LII De tous les dieux dont Ovide parole En ses dittiez qui amerent jadis Tant, par amours qui tous les cuers afole, Qu'ilz en vindrent ça jus de paradis, Soient trestouz les faulz amans maudiz. Je pri Pluto, Cerberus, Proserpine, Que grant meschief ne leur soit pas tardis, Et que jamais leur meschance ne fine. Cupido pri le dieux d'amours qui vole, Et Jupiter, Apollo, Palladis, La grant Venus qui d'amours tient escole, Que de leurs cours banis et entredis Soient adès, et tous bien contredis, Et qu'en leurs cuers mettent d'amours l'espine, Et qu'ilz soient en tous lieux escondis, Et que jamais leur meschance ne fine. Et le dieu Mars qui pas ne porte escole, Cil qui aïde en battaille aux hardis, Vueille sur eulx descochier tel bricole, Dont ilz gissent vaincus, maz, estourdis; L'honneur d'armes soit en eulx reffroidis, Et pri Juno la deesse benigne Que povreté et mal leur doint tousdis, Et que jamais leur meschance ne fine. Et s'oultremer s'en vont en ce tendis, Le dieu de mer si trouble la marine Qu'ilz y soient tous peris et laidis, Et que jamais leur meschance ne fine. LIII Sage seroit qui se saroit garder Des faulx amans qui adès ont usage De dire assez pour les femmes frauder; Trop se plaignent de l'amoureuse rage Qui plus les tient que l'oisellet la cage, Et vont faignant qu'ilz en ont couleur fade; Mais quant a moy tiens de certain corage, Qui plus se plaint n'est pas le plus malade. Qui les orroit jurer et bien bourder, Faire semblant d'estre plus serf qu'un page, Aler, venir, muser et regarder, Et en parlant recouper leur langage Pour decepvoir, a pou n'est il si sage Eulx guermenter a la plaisant et sade! Mais on peut bien jugier a leur visaige, Qui plus se plaint n'est pas le plus malade. De telz amans Dieux les vueille amender. Il en est moult, je croy, dont c'est dommage, Qui partout vont aux dames demander Grace et mercy, ou envoyent message, Qui ne le font fors pour querre avantage En certains lieux; pour ce dit ma balade, Qu'en ce cas cy, tant soit de hault parage, Qui plus se plaint n'est pas le plus malade. LIV Vrays amoureux, jeunes, jolis et gais, Qui desirez a monter en hault pris, Ayez les cuers nobles, doulz et en paix, Blasme et mesdit soit de vous en despris, D'acquerre honneur soiez chaulx et espris, Courtois, loiaulx, sages et gracieux, Et beaulx parliers, larges, n'aiés envie, Portez honneur aux vaillans et aux vieulx; Ainsi sera grace en vous assouvie. Ne vous chault ja s'estes ou beaulz ou lais, Granz ou petiz, ja n'en serez repris, Mais que renom tesmoigne voz bons fais, Et que soiez en toute honneur apris. Du fait d'autrui ne parlez en mespris, Vostre maintien soit bel, et en tous lieux Soit plaisamment dame de vous servie, Esbatez vous a honnourables jeux; Ainsi sera grace en vous assouvie. Suivez les bons, ne vous vantez jamais, Ne a mentir souvent n'aiés apris, Et voulentiers d'armes portez le fais; Qui ce mestier faire a entrepris Nul ne blasmez, comment qu'il vous soit pris, Dieu et les sains et les saintes des cieulx Amez, servez trestoute vostre vie, Et en tous cas vous en sera de mieulx, Ainsi sera grace en vous assouvie. Gentiz amans, or soiez doncques tieulx, Et deshonneur sera de vous ravie. Les fais des bons aiez devant les yeulx, Ainsi sera grace en vous assouvie. LV Qui bien aime n'oublie pas Son bon ami pour estre loings Car en voyage avient maint cas, Dont li sejourners est besoings; Mais aucuns on sieult moult amer Qu'on oublie par long passage. Car le voiage d'oultremer A fait en amours maint dommage. Pluseurs en Chipre ou a Damas, Ou demeurent trois ans ou moins, S'en vont, ou au corps saint Thomas En Ynde, ou ilz ont mains besoings; Mais Amours qui les fait armer Leur rend souvent pou d'avantage, Car le voiage d'oultremer A fait en amours maint dommage. Par telz sejours souvent sont las Les cuers d'amer, et par telz poinz Sont oubliez ceulz qui maint pas Font par le monde en divers coings; Aussi n'oseroie affermer Qu'amis ne changent leur corage, Car le voiage d'oultremer A fait en amours maint dommage. LVI Mon bel ami, je voy trop bien De vray, quel que le semblant soit, Que vostre cuer ne m'aime en rien. Bien borgnes est qui ne le voit; Vous le dites quoy qu'il en soit, Mais c'est tout pour moy faire pestre, Car l'oeuvre loe le maistre. Il appert a vostre maintien Comment vo cuer d'amer recroit; Car tout un moys, si com je tien, De moy veoir ne vous chauldroit. Que m'amissiez qui le croiroit? Certes, ce ne pourroit estre, Car l'oeuvre loe le maistre. Dont trop pour fole je me tien, Et aussi chascun m'i tendroit, De vous amer; car nesun bien De ce venir ne me pourroit, Puis qu'en riens ne vous en seroit, Et j'aperçoy trop bien vostre estre; Car l'oeuvre loe le maistre. LVII Se j'ay le cuer dolent je n'en puis mais, Car mon ami s'en vait en Angleterre, Ne je ne sçay quant le reverray mais Le bel et bon qui mon cuer tient en serre; Car entre luy et moy ara grant barre; Mais jamais jour joye ne bien n'aray, Jusques a tant que je le reverray. Et quant je pense a ses gracieux fais Doulz et plaisans, trop fort le cuer me serre; Et comment pour morir, certes, jamais Ne me courçast, et ou pourroye querre Nul plus plaisant? or vueil je Dieu requerre Qui le convoit; mais dolente seray, Jusques a tant que je le reverray. Or est mon cuer chargié de pesant fais, Dont plains et plours me feront dure guerre; Et en lui seul seront tous mes regrais; Car je l'aim plus que riens qui soit sus terre. Si convendra que le renvoye querre, Ou a douleur et meschief languiray, Jusques a tant que je le reverray. LVIII Dant chevalier, vous amez moult beaulz ditz; Mais je vous pri que mieulx amiez beaulz faiz. Au commencier estes un pou tardis, Mais encor vault trop mieulx tart que jamais, Vous ne servez fors d'un droit entremais: Parmi ces cours voz baladez baillier; C'est le beau fait que vous ferez jamais. Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier! Vous estes bon chevalier et hardis, Mais vous amez un petit trop la paix, Si avez droit, car aux acouardiz Est trop pesant des armes le grief fais. Tel chevalier soit honnis et deffais Qui pour honneur ressongne a travailler! Mais le repos vous siet bien desormais. Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier! Et pis y a, par Dieu de paradis, C'est villain fait se vous en pouez mais; Car malparlier, jengleur, plein de mesdis, Estes tenus et pis, mais je m'en tais, Dont a la Court partout et au Palais Vont maint disant qu'on le puist exillier; De quoy sert il? De faire virelais. Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier! Le mesdire d'autrui laissiez en paix, Dant chevalier, car pire en un millier Il n'a de vous, si dient clers et lais: Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier! LIX Par ces moustiers voy venir et aler Maint amoureux gracieux et faitis, Qui n'osent pas a leurs dames parler Pour mesdisans qui trop sont ententis D'eulx agaitier, dont les amans gentilz S'en vont souvent qu'ilz n'en ont se mal non. Et quant ilz sont de l'eglise partis, Sont ilz aise? certes je croy que non. Et se bien ont, je croy qu'au paraler Moult chierement il leur soit departis Car, qui se veult selon amours riuler, Il n'a mie pour soy tous bons partis. Amours les tient subgiez et moult craintis Que de leur fait il soit aucun renom. Ytelle gent, soient grans ou petiz, Sont ilz aise? certes je croy que non. Mais des mauvais on ne se doit mesler; Car bien n'en ont, ne mal, mais alentis Ilz sont d'amer et ne scevent celer; Malicieux, decepvans et faintis Sont, et mauvais et en leurs fais soubtilz; Mais ne leur chault s'ilz sont amez ou non. Se bien leur vient a si pou d'apetis, Sont ilz aise? certes je croy que non. LX Du mal d'amours soiez vous tourmentez, Vous qui parlez sus les vrais amoureux! De les blasmer je dis que vous mentez, D'eulx diffamer, ne mesdire sur eulx, Car bonne gent sont et beneüreux D'avoir empris si gracieuse vie; Mais vous parlez comme gent pleins d'envie. Car il n'est nul si villain, n'en doubtez, S'il a gousté des doulz biens savoreux Qu'Amours depart a ceulx qu'il a domtez, Que tout gentil, poissant et vigoreux Il n'en deviegne et de biens plantureux. Tache de mal est d'eulx du tout ravie; Mais vous parlez comme gent pleins d'envie. De mieulx valoir qu'ilz ne font vous vantez, Faulx mesdisans, villains, maleüreux, Qui en tous lieux estes si deboutez, Que chascun fait de vous le dongereux; Faillis, lasches estes et paoureux, Et en eulx est toute grace assouvie; Mais vous parlez comme gent pleins d'envie. LXI Io fut une damoiselle Que Jupiter ama moult fort. Juno en ouÿ la nouvelle; Se ne lui fu jeu ne deport: Du ciel descent en une nue Pour son mary surprendre ou fait; Sur eulx est tout a coup venue Si les y eust surpris de fait; Mais il n'est nul si grant meschief Qu'on ne traye bien a bon chief. Car Jupiter d'une cautelle Se couvri; car il fist un sort Par quoy il tresmüa la belle En une vache, mais au fort S'en est Juno si près tenue, Qui souspeçon a du meffait, Qu'elle a la vache retenue Malgré que Jupiter en ait. Mais il n'est nul si grant meschief Qu'on ne traye bien a bon chief. La vache en garde bailla celle A Argus, qui jamais ne dort; Cent yeulz avoit et la pucelle Toudis gaitoit, mais il fu mort Par Mercures qui l'en desnue, Car au vachier tant tint de plait Qu'il l'endort, puis l'a detenue; Et ce fu a Juno moult lait. Mais il n'est nul si grant meschief Qu'on ne traye bien a bon chief. Pour ce je di qu'une cenelle Ne vault la garde tant soit fort, Ne a vallet ne a basselle; Puis qu'ilz sont tous deux d'un acort, L'amour d'eulz sera maintenue Et verront, qui que dueil en ait, L'un l'autre, et en est avenue Mainte chose par tel agait; Mais il n'est nul si grant meschief Qu'on ne traye bien a bon chief. LXII Ha! mon ami, que j'ay long temps amé! Comment as tu le cuer si desloiaulx, Que moy qui t'ay si doulcement clamé Ami long temps, tu me fais tant de maulz? Parjur, mauvais, plein de mençonge et faulz, On te devroit par dessus tous clamer, De moy laissier ainsi pour autre amer. Je t'avoye dessus tous affermé Pour mon ami sur tous especiaulx, Et tous jours t'ay chery et reclamé De tout mon cuer qui t'a esté loyaulz; Mais plus mauvais n'a n'en France n'en Caulx, Ne autre part, le cuer as trop amer De moy laissier ainsi pour aultre amer. Est donc ton cuer si pris et enflammé De celle qui tant me fait de travaulx, Que de s'amour soies si affamé Que de moy fais contre elle petit taux? Tu t'avances de ce faire a bas saulx, Ce m'est avis, et te doit on blasmer De moy laissier ainsi pour aultre amer. LXIII Amours! Amours! ce m'as tu fait, Qui m'as mis en si dur parti. Se ne te feis je oncques meffait, Et si ay tant de maulx parti Largement m'en as departi; Et qui te fait de son cuer don, A il doncques tel guerredon? Ton soulas est bien contrefait, Il s'est de moy tost departi, Contre le bien mal me reffait; En grant doulour s'est converti, Tu m'occis sanz dire «gar t'y!» Va il ainsi qui te sert don, A il doncques tel guerredon? Et pour quoy, ne pour quel tort fait, M'as tu un tel ami sorti, Qui ma vie et mes jours deffait? Car par lui suis en tel parti Que tout mon sens est amorti. Qui tu esprens de ton brandon, A il doncques tel guerredon? LXIV Sages et bons, gracieux et courtois, Doivent estre par droit tous chevaliers; Larges et frans, doulz, paisibles et cois, Pour acquerir honneur grans voiagiers, En fais d'armes entreprenans et fiers, Droit soustenir et deffendre l'Eglise, D'armes porter doit estre leur mestiers, Qui maintenir veult l'ordre a droite guise. Hanter les cours des princes et des roys, Les fais des bons recorder voulentiers; Estre doivent d'orphelins et de lois Et des femmes deffendre coustumiers, Acompagnier les nobles estrangiers, Preux et hardiz et sanz recreandise, Et voir disans, fermes, vrais et entiers, Qui maintenir veult l'ordre a droite guise. Et noblece dont il est si grant voix Les doit tenir loiaulx et droituriers; Pour le renom qu'il est des bons françois Leur doit estre tous pesans fais legiers, Ne orgueilleux, vanteurs ne losengiers Ne soient pas, car chascun trop desprise Si fais mahains, bourdeurs ne noveliers, Qui maintenir veult l'ordre a droite guise. Telz chevaliers doit on avoir moult chiers; Dieu et les sains et le monde les prise. Or suive donc toudis si fais sentiers, Qui maintenir veult l'ordre a droite guise. LXV Dame sanz per, ou tous biens sont assis, A qui m'amour j'ay trestoute donnée, Corps gracieux de doulz maintien rassis, Belle beaulté doulcement atournée, Que j'aim et craim plus qu'autre chose née, Apercevez que je n'ose Parler a vous, ne conter mon martire; Mais s'il m'esteut le dire a la parclose Ne me vueilliez, doulce dame, escondire. Car il a ja des ans bien près de six Que j'ay en vous m'amour toute assenée, N'oncques n'osay vous requerir mercis Pour la paour que ne soiez tanée De m'escouter, mais ne puis plus journée La douleur qui est enclose Dedens mon cuer endurer sanz le dire; Mais se voyez que pour vous ne repose, Ne me vueilliez, doulce dame, escondire. Gentil cuer doulz, or soient adoulcis Par vous mes maulz, et ma douleur sanée. Car de plorer et plaindre je m'occis, Ne je ne puis sanz mort passer l'année, Se ma douleur n'est brief par vous finée. Belle, plus fresche que rose, Vo doulce amour demand que tant desire; Et quant ne vueil ne requier autre chose, Ne me vueilliez, doulce dame, escondire. LXVI Mon chevalier, mon gracieux servant, Je sçay de vray que de bon cuer m'amez, Et de long temps je vois apercevant L'amoureux mal dont tant vous vous blamez. Or ne faites plus mate chiere, Ne vous doulez plus ne jour ne demi, Car je vous vueil amer d'amour entiere, Et vous retien pour mon loial ami. Et la douleur qui tant vous va grevant Pour moye amour, dont pour mort vous clamez, Je gariray et vous verray souvent. Ja ne sera mon corps si enfermez Que je ne treuve bien maniere De vous veoir; or soiez tout a mi, Car estre vueil aussi vo dame chiere, Et vous retien pour mon loial ami. Si gardez bien, ne m'alez decevant, Car les loyaulz amans sont clersemez; Ce croy je bien, mais n'alez ensuivant Les faulz mauvais qui tant sont diffamez. Pour ce, se je ne vous suis fiere, Et ay pitié dont tant avez gemi; Par quoy ottroy m'amour a vo priere, Et vous retien pour mon loial ami. LXVII Chiere dame, certes je ne pourroie Vous mercier assez souffisamment Du noble don que vo doulz cuer envoie A moy, qui suis vostre serf ligement, De me donner l'amour entierement De vous que j'aim et desir a servir; Hé Dieux me doint pouoir du desservir! Or avez vous remply de toute joye Mon povre cuer, et osté le tourment Que par long temps pour vous souffert avoye; Or m'avez vous mercy trop grandement. Pensé avez de mon avancement De moy vouloir de tous biens assouvir; Hé Dieux me doint pouoir du desservir! Or seray gay trop plus que ne souloie, Et bien est drois que vive liement; Car tant me plaist que vostre amour soit moye Que, se le monde estoit mien quittement, Mieulz vouldroie le perdre entierement Que vostre amour, ou me vueil asservir; Hé Dieux me doint pouoir du desservir! LXVIII Dame, oncques mais je ne vous vi Que maintenant; mais, sanz mentir, Mon cuer avez du tout ravi A tousjours mais, sanz departir. Si me fauldra mains maulz sentir, Se m'escondissiez; ce vous pry. Dame, pour Dieu, mercy vous cry. Grandement m'arez assouvi, S'il vous plaist a moy consentir Vostre amour, et je vous plevi Que tout vostre, sanz alentir, Suis et seray, n'en quier partir. A jointes mains je vous depry; Dame, pour Dieu, mercy vous cry. Durement m'ara asservi, Vostre beaulté qui amatir Fera mes ris, et assouvi Sera mon bien; se assentir Voulez ma mort, comme martir Me mourray; si oyez mon cry: Dame, pour Dieu, mercy vous cry. LXIX Il vous est bien pris en sursault Le mal d'amours qui si vous blece; Ne voulez pas avoir deffault Pour avoir de prier paresce. Je ne suis pas d'amer maistresse, Et nyce on me devroit clamer, Sire, de si tost vous amer. Car il m'est vis que dame fault Contre honneur et contre noblece, De tost donner ce que tant vault, Qu'il n'est nulle plus grant richece Aux desirans, ne tel leesce. On vous lairoit pou affamer, Sire, de si tost vous amer. Et desservir avant vous fault Les biens d'amours a grant destrece, Et souffrir le froit et le chault, Que vous en aiez tel largece; Bien me tendriez a musarresse, Vous meismes me devriez blasmer, Sire, de si tost vous amer. LXX Voulez vous donc que je muire, Trés belle, pour vous amer? Helas! ou pourray je fuire, Se vo doulz cuer m'est amer? Je ne me pourroye armer Contre amours qui si m'assault Que vigueur et cuer me fault. Pour Dieu ne me vueilliez nuire, Trés doulce estoille de mer Par qui je me vueil conduire; Vous seule vueil reclamer, Vueillez moy ami clamer, Ou je vous diray tout hault Que vigour et cuer me fault. A vo vouloir me vueil duire, Et de tous poins confermer; Autre ne me puet deduire. Si m'i fault du tout fermer, Sanz nul jour me deffermer De vous, dont j'ay tel deffault Que vigour et cuer me fault. LXXI Vostre beaulté, vo gracieux accueil, A si mon cuer de vous enamoré, Dame plaisant, et vo doulz riant oeil, Que, se je n'ay vostre amour, je morré Prochainement, et fremir Fait tout mon cuer quant vo beaulté remir; Tant suis forment de vostre amour espris, Doulce dame, je me rens a vous pris. Voiez comment pour vous de plours me mueil, Par quoy vivre longuement ne porré Pour l'amoureux mal dont si fort me dueil, Que ja m'a près que mort et acouré. Dame que je vueil cremir, Aiez pitié de moy qui escremir Ne puis vers vous, et com d'amer surpris, Doulce dame, je me rens a vous pris. Et trés plaisant cuer, gentil, sanz orgueil, Doulz corsellet de moy trés aouré, Je ne desir autre chose, ne vueil Qu'un doulz baisier de vous assavoré; Plus ne devroye gemir Se du trés doulz viaire ou je me mir Avoye ce; mais se j'ay riens mespris, Doulce dame, je me rens a vous pris. LXXII Ma dame, je ne sçay que dire De vous et de vostre maniere; Vous me voulez du tout destruire De moy faire si mate chiere; Debouter me voulez arriere De vous, dont suis desconforté; Ne sçay qu'on vous a raporté. Riens ne fais qui vous puist souffire, Ne chose que je vous requiere Ne faites, dont j'ay trop grant yre. Ne souliez estre coustumiere D'envers moy estre si trés fiere, Sanz que me soye mal porté; Ne sçay qu'on vous a raporté. Fondre me feriez com la cire, Et mon corps moult tost metre en biere, De moy de tous biens escondire, Ou je ne sçay, ma dame chiere, S'un autre en mes biens met enchiere Qui vo cuer ait mal enorté; Ne sçay qu'on vous a raporté. Si ne vueilliez qu'a la mort tire Sanz cause, pour un autre eslire Qui mon bien en ait enporté; Ne sçay qu'on vous a raporté. LXXIII Helas! ma dame, il me fault eslogner De vo beaulté, dont le cuer trop me deult. Si m'assauldront tous maulz sanz espargnier, Car plus vous aim que Tristan belle Ysseult, Belle, ou sont tuit mi ressort. Or deffauldront mi gracieux deport; Car vous estes mon reconfort sur tous, Las! que feray, doulce dame, sanz vous? Et tous les jours faudra en plours bagner Mon pouvre cuer, qui trop de mal recueult; Car autre bien ne convoite a gaigner Fors vous, belle, ce demande et ce veult. Si suis en grant desconfort; Car je ne puis vivre sanz vous au fort, N'estre de mort par nulle autre rescous, Las! que feray, doulce dame, sanz vous? Le departir je doy bien ressongner, Par quoy perdray ce qu'esjoïr me seult: C'est vo doulçour quant lui plaist a daigner Moy conforter, et doulcement m'acueult; Or n'en aray reconfort, Dont grief doulour trop durement me mort; Or suis je bien de tous biens au dessoubz, Las! que feray, doulce dame, sanz vous? LXXIV Doulce dame, a Dieu vous command, Aler m'en fault, dont il me poise, Cent fois a vous me recommand, Et vous suppli, doulce et courtoise, Ne m'oubliez ou que je voise; Et pour retour de ce voiage, Je vous laisse mon cuer en gage. Amis, vostre departement Petitement mon cuer renvoise, Et se m'oubliez nullement, Il ne sera nul qui racoise Mon dolent plour. A basse noise Vous di a Dieu, et pour partage, Je vous laisse mon cuer en gage. Belle, sachiez certainement Que, pour dame ne pour bourgoise, Ne vous oublieray vraiement; D'autre amour ne donne une boise, Tost revendray comment qu'il voise, Et de vous renvoier message, Je vous laisse mon cuer en gage. LXXV Ne me vueilliez pas oublier Pour tant si je vous suis lontains, Belle, je vous vueil supplier Qu'il vous souviengne que je n'aims Fors vous, et pour tant, se je mains Hors du païs si longuement, Ne vous oubli je nullement. Ce me feroit com fol lier, Et com dervez, et piez et mains, S'a aultre veoie alier Vostre doulz cuer, mieulz vouldroie ains Morir que part y eussent mains; Mais pour peine, ne pour tourment, Ne vous oubli je nullement. Si me fault melancolier Loings de vous, en plours et en plains; Ne le courroux entroublier Ne puis, dont li miens cuers est pleins; Et si ne sçavez mes reclaims; Mais sachiez qu'un tout seul moment Ne vous oubli je nullement. LXXVI Je pri a Dieu qu'il lui doint bonne nuit A la trés belle, ou sont tous mes reclaims, Et qu'il ne soit chose qui lui anuit, Fors seulement que d'elle si loings mains. Car de tel mal moult bien me plaist qu'atains Soit son doulz cuer, si qu'adès lui souviegne De son ami, desirant qu'il reviegne. C'est la plus belle et la meilleur, je cuid, Qui soit ou monde, et si suis tous certains Que loiaulté du tout gouverne et duit Son noble cuer, qui n'est fier ne haultains, Ne de villain penser taché ne tains; Si requier Dieu que nouvelles lui viegne De son ami, desirant qu'il reviegne. Ha! que fusse je ores ou doulx reduit, Ou elle maint, la porté ou ampains! A lui seroit et a moy grant deduit, Si seroient un pou noz maulx estains; Dieux! que sceust elle au moins comment je l'aims? Si le sçara, mais qu'en l'amour se tiegne De son ami, desirant qu'il reviegne. LXXVII Je ne suis pas vostre pareil, Car vous estes la non pareille Du monde, belle sanz orgueil, A qui servir je m'appareille; Mais sachiez qu'Amours me traveille Pour vostre amour et me commande, Dame, qu'a vous servir j'entende. Si oiez le plaint de mon dueil En pitié, de vo doulce oreille; Et prenez garde que je vueil Estre tout vostre, et ja ne vueille Vostre doulz cuer que tant me dueille, Ains lui plaise affin que j'amende, Dame, qu'a vous servir j'entende. Regardez moy de vo doulz oeil, Dame, car je tremble comme fueille. Present vous, ne passer le sueil N'ose que vo courrouz n'acueille, Vostre grant valour ne s'orgueille Contre moy, ains tel bien me rende, Dame, qu'a vous servir j'entende. LXXVIII Que ferons nous de ce mary jaloux? Je pry a Dieu qu'on le puist escorchier. Tant se prent il de près garde de nous Que ne pouons l'un de l'autre approchier. A male hart on le puist atachier, L'ort, vil, villain, de goute contrefait, Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait! Estranglé puist estre son corps des loups, Qu'aussi ne sert il, mais que d'empeschier! A quoy est bon ce vieillart plein de toux, Fors a tencier, rechigner et crachier? Dyable le puist amer ne tenir chier, Je le hé trop, l'arné, vieil et deffait, Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait! Hé! qu'il dessert bien qu'on le face coux Le baboïn qui ne fait que cerchier Par sa maison! hé quel avoir! secoux Un pou sa pel pour faire aler couchier, Ou les degrez lui faire, sanz marchier, Tost avaler au villain plein d'agait, Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait! LXXIX Helas! ma dame, amours le m'a fait dire Ce que j'ay dit com rude et mal apris; Si ay parlé com dolent et plein d'yre. Mais ne vueilliez, pour Dieu, tourner a pris Ce que j'ay dit, doulce dame de pris; Car je sçay bien qu'ay parlé rudement, Si vous en cry mercy trés humblement. Car a raison toudis pas ne se tire Le cuer qui est de jalousie espris, Car il n'est dueil, ne maladie pire; Et on m'a dit, l'autryer le vous rescrips, Que vous avez a autre amer empris; Et ce me fist parler plus follement, Si vous en cry mercy trés humblement. Mais je vous pry qu'il vous vueille souffire Moy a ami, combien que plus grant pris Ont mains meilleurs et je soye le pire, Puet bien estre, mais n'aiez en despris Mon loial cuer de vostre amour surpris, Je vous nommay fausse, certes je ment, Si vous en cry mercy trés humblement. LXXX Ne pourray je donc jamais avenir A vostre amour, ma dame debonnaire, Pour bien amer et loyaulté tenir, Ne pour prier ou pour service faire? N'ay je pouoir de vo doulz cuer attraire, Belle plaisant, mon gracieux cuer doulz, Voulez vous donc que je muire pour vous? Helas! pour Dieu, vueilliez moy retenir Pour vostre ami! car il m'est neccessaire Se vivre vueil, ne puis plus soustenir Vostre escondit qui m'oste mon salaire; Et plus vous serfs et plus m'estes contraire, Dame d'onneur, me haïez vous sur tous, Voulez vous donc que je muire pour vous? Au moins s'un pou vous daignast souvenir Du dueil amer qu'il me fault pour vous traire; Pour quoy vous pleust, quant me voiez venir, Vous dire ce dont je ne me puis taire, Que me feissiez de vostre doulz viaire Un doulz semblant, mais, quant ne suis rescoux, Voulez vous donc que je muire pour vous? Quant tout mon fait et tout mon maintenir N'est autre part et ne veez le contraire, Ne vous deust il quelque foiz souvenir Du mal que j'ay pour vous que ne puis taire? N'a il pitié quelconque en vostre affaire? Me lairez vous finer en tel courroux?] LXXXI Ce jour de l'an que l'en doit estrener, Trés chiere dame, entierement vous donne Mon cuer, mon corps, quanque je puis finer; A vo vouloir de tous poins abandonne Moy, et mes biens vous ottroy, belle et bonne; Si vous envoy ce petit dyamant, Prenez en gré le don de vostre amant. Je vous doy bien tout quanque j'ay donner; Car ou monde n'a nulle autre personne Qui les me peüst tant guerredonner, Com vous, belle, qui la fin et la bonne Estes, qui tous mes biens drece et ordonne; Si vueil estre tout vostre en vous amant, Prenez en gré le don de vostre amant. Or vueilliez donc vo doulz cuer assener A moy aussi; ne soiez si felonne Que me faciez jusqu'a la mort pener. Ostez le mal qui en mon cuer s'entonne. Si porteray des amans la couronne; Mon cuer vous donne et le vostre demand, Prenez en gré le don de vostre amant. LXXXII Doulce dame, vueilliez moy pardonner Se demouré ay un pou longuement; Car je n'ay peü plus tost retourner, Dont me desplaist; car trop d'empeschement M'est survenu, mais croiez fermement Que vostre suis, ou soie près ou loings, Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins. J'ay bien cuidé la ma vie finer, Tant eus de mal pour le departement De vous, trés belle, et, sanz joye mener, J'ay la esté trés le commencement Jusqu'a la fin; car resjouïssement Je n'ay sanz vous, fors mal et tous besoings, Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins. Or suis venu, vueillez moy ordener Vostre vouloir, car vo commandement Vueil obeir, et je me doy pener De vous servir; ne feray autrement Tant quan vivray, sachiez certainement. Car la sont tous mes pensers et mes soins, Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins. LXXXIII Trés faulz parjur, renoyé plein de vice, Plus que Judas rempli de traïson, De tout mon cuer t'ay amé comme nyce, N'oncques vers toy ne pensay mesprison, Et pour autre me laisses sanz raison. Ne deusses pas ce moy faire a nul fueur; Car tu me metz en trop dure friçon. Ha desloial! comment as tu le cuer? Dieux, que feist on de telle gent justice? On en pent maint a trop moins d'achoison, Se m'en vengier peüsse, je garisse Des maulx que j'ay pour toy a grant foison. Que fusses tu destroit en ma prison? Ton grant orgueil m'atasse, et la grandeur Dont tu me fais vivre a tel cuisançon. Ha desloial! comment as tu le cuer? De mes bienfais me rens tel benefice, Ne plus ne moins com fist le faulz Jason A Medée, qui lui fist tel service Qu'il en conquist la dorée toyson, Pour lui laissa sa terre et sa maison, Dont lui rendi après petit d'onneur; Encor me fais pis sanz comparoison. Ha desloial! comment as tu le cuer? LXXXIV Se vous me donnez congié Par conseil de mesdisans, Dame que servie j'é Par l'espace de dix ans, Au lit me mettrez gisans: N'oncques ne m'amastes brief, Se vous me faites tel grief. N'ay desservi qu'estrangié Soye, mon devoir faisans, Et se je suis deslogié Pour aultre moins souffisans, Qui a vous soit plus plaisans, Sur lui vendra le meschief, Se vous me faittes tel grief. Vo cuer est vers moy changié; Car tousdis par moz cuisans Je suis de vous laidengié, Com je fusse un païsans; Mais je croy que mes nuisans Leur part aront du relief, Se vous me faittes tel grief. LXXXV L'espoir que j'ay de reveoir ma dame Prochainement, me fait joyeux chanter A haulte voix ou vert bois soubz la rame, Ou par deduit j'ay apris a hanter Pour un petit les maulx que j'ay domter, Pour ce qu'adès suis d'elle si longtains; Mais, se Dieux plaist, j'en seray plus prochains. Et je doy bien avoir desir par m'ame D'elle veoir, car je m'ose vanter Qu'il n'est ne roy, ne duc, ne prince, n'ame Qui ne voulsist a elle honneur porter, Pour les grans biens qu'on en ot raconter; Si me desplait dont d'elle si loins mains; Mais, se Dieux plaist, j'en seray plus prochains. Et sa beaulté, qui le mien cuer enflamme, Me fait souvent gemir et guermenter Pour le desir, qui m'estraint et affame, D'elle veoir, pour moy reconforter; Je chanteray pour mon cuer deporter. Adès suis loings d'elle ou sont mes reclains; Mais, se Dieu plaist, j'en seray plus prochains. LXXXVI Jadis par amours amoient Et les dieux et les deesses, Ce dit Ovide, et avoient Pour amours maintes destresses; Foy, loiaulté et promesses Tenoient sanz decepvoir, Se les fables dient voir. Et du ciel jus descendoient, Non obstant leurs grans hauteces, Et a estre amez queroient Les haulz dieux pleins de nobleces; Pour amours leurs grans richeces Mettoient en nonchaloir, Se les fables dient voir. Lors si trés contrains estoïent, Nymphes et enchanterresses, Et les dieux qui lors regnoient, Satirielz et maistresses, D'amours, qu'a trop grans largeces Mettoient corps et avoir, Se les fables dient voir. Pour ce, princes et princepces Doivent amer et savoir D'amours toutes les adresces, Se les fables dient voir. LXXXVII Puis qu'ainsi est que je ne vous puis plaire, Ma belle amour, ma dame souveraine, Pour nul travail que mete a vous complaire, Je n'y fais riens fors que perdre ma peine; Ainçois me lairiez mourir, Que daignissiez le mal que j'ay garir. Si ne vueil plus vous faire l'anuieux, A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeux. Ce poise moy, quant je ne puis attraire Vostre doulz cuer, car je vous acertaine Que se pleü vous eüst mon affaire, Oncques plus fort Paris n'ama Heleine Que feisse vous; mais pourrir Y pourroie attendant que merir Me deüssiez; et pour ce, pour le mieulx, A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeulx. Et non pourtant ne m'en vueil si retraire, Que s'il est riens, de ce soiez certaine, Que je puisse pour vous dire ne faire A vostre gré, dame de doulçour pleine, Je le feray, mais perir Me laisseriez ainçois que secourir Me voulsissiez; pour ce, ains que soie vieulx, A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeulx. LXXXVIII Qu'en puis je mais, se je porte le noir, Quant il convient qu'a tous mes plaisirs faille, Puis qu'eslongner me fault le doulz manoir Ou l'en ne veult plus que je viegne n'aille, Dont mon cuer est entrez en grant bataille, Qui de dueil est plus noirci qu'errement; Mais quant fauldra que tout bien me deffaille, Ce sera fort se je vif longuement! Ha! ma dame, je me doy bien doloir, Quant il convient que hors du païs saille Ou vous estes, m'amour et mon vouloir; Ne pouoir n'ay que d'aultre riens me chaille; Tout autre amour je ne prise une maille; De vous venoit tout mon avancement. Mais puis qu'Amours si pesant fais me baille, Ce sera fort se je vif longuement! En grant languour vivray et main et soir. Que maudit soit qui telz morseaux me taille Par quoy vous pers, dont mieulz vouldroie avoir La mort briefment que vous perdre sanz faille; Car ou monde n'a dame qui vous vaille, Ne de beaulté, ne de gouvernement. De vous me part, las! je ne sçay ou j'aille, Ce sera fort se je vif longuement! LXXXIX Maintes gens sont qui veulent par maistrise Les biens d'amours avoir et acquerir; C'est grant folour; car n'est drois qu'en tel guise On doie amours contraindre et surquerir. Car humblement on doit ce requerir Qui est donné franchement sanz contrainte, Ou autrement l'amour est fausse et fainte. Et s'il avient qu'aucuns aient acquise Icelle amour par grant soing de querir, A eulx vuelent qu'elle soit si soubzmise, Comme se droit leur faisoit conquerir; Pour ce souvent font la doulçour perir Qui doit estre par doulce grace attainte, Ou autrement l'amour est fausse et fainte. Si n'y doit nul user de seigneurise, N'en fait, n'en dit, mais mieulz voloir morir, Que maistrisier le doulz don que franchise Fait ottroier et rigueur fait perir; Bien servir doit, pour guerredon merir, Le vray amant obeïr en grant crainte, Ou autrement l'amour est fausse et fainte. XC BALADE POUETIQUE Se de Juno, la deesse poissant, N'est Adonnis bien briefment secouru, Le fier dieu Mars l'ira trop angoissant. Es fors lians Vulcans est encoru; Venus l'ama jadis, bien y paru, Mais ne lui peut adès en riens aidier; Il y morra briefment, au mien cuidier. Et durement lui est Pallas nuisant, Mais Mercures est pour lui acouru, Qui fait son fait trouble apparoir luisant, Devant le dieu Jupiter comparu Est Adonnis, contre lui apparu C'est Cerberus qui trop scet de plaidier; Il y morra briefment, au mien cuidier. Trestous les dieux lui sont mal advisant, Fors Mercures par qui Argus moru, Mais s'a Juno aloit abellissant Il ne seroit de nul a mort feru; Mès s'Appollo le fiert a trop grand ru, Sauldra le sang, tout lui fera vuidier; Il y morra briefment, au mien cuidier. XCI Aucunes gens mettent entente et cure A espier ce que les autres font, Et d'autruy fait moult parlent, et n'ont cure De riens celer, et les bons contrefont; Mais envie, qui si les frit et fond, Les fait parler et de chascun mesdire, N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire. C'est grant meschief que la vie tant dure A telle gent, et que Dieu ne confont Si fais gloutons, par lesquelz grant injure Reçoivent maint qui desservi ne l'ont, Simples et bons semblent de premier bont, Mains en y a qui sont de Judas pire, N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire. Leur faulz parler et leur male murmure Empeschent gent, meismes l'air en corront, Et qui plus ment volentiers plus en jure, C'est le droit cours que gent mesdisant vont; Merveilles est que la terre ne font Dessoubz tel gent, car d'eux le monde empire, N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire. XCII Avec les preux bien devez estre mis, Bon chevalier vaillant, plein de proece, Qui par valeur d'armes avez soubsmis Maint grant païs et mainte forteresse. Du preux Hector vous ensuivez l'adrece, Et de Cesar qui fu sage et vaillant, Alixandre qui s'ala travaillant Tant qu'il conquist le monde entierement, Et a Judas Machabée ensement, Au bon David, Josüé, par tel guise, Ainsi est il de vous certainement, En qui Dieux a toute proece assise. Charles le grant a qui Dieu fu amis, Le bon Artus ou tant ot de noblece, A Godefroy qui fut grans anemis Aux mescreans, trop leur fist de destrece, Vostre bonté d'eulx ensuivir s'adrece. Par emploier trestout vostre vaillant A conquerir a l'espée taillant Pris et honneur, si semblez droittement Le droit soleil qui luit ou firmament, Que chascun veult desirer, aime et prise, Ainsi est il de vous certainement, En qui Dieux a toute proece assise. Et tant vous a Dieu donné et promis De ses hauls biens et a si grant largece, Que se vivoit adès Semiramis, Qui jadis fu roÿne et grant maistresse, L'amour de vous tendroit a grant richece. Car bien qui soit n'est en vous deffaillant; N'en nesun cas nul ne vous voit faillant, Par tout le monde en tient on parlement. Les bons Rommains jadis si vaillamment Se porterent qu'ilz ont louange acquise, Ainsi est il de vous certainement, En qui Dieux a toute proece assise. XCIII Les roys, les princes et les sages, Et les preux du temps ancïen, Ilz avoient tout plein d'usages, Dont l'en ne fait maintenant rien; Ilz amoient sur toute rien Honneur trop plus que convoitise. Mais adès qui garde le sien, Il a assez science acquise. Proece, honneur, grans vacelages Ot l'empereur Ottovien, Sage fu, prudent et moult larges, Pour ce de ses fais lui prist bien; Mais qui tient en destroit lien Son avoir, adès cil on prise, Quel que soit le nyce maintien, Il a assez science acquise. Et pour ce font de grans oultrages Les convoiteux de mal merrien Aux pouvres gens, et mains domages; Mais jamais ne diroient «tien», Mais trop bien «ce cy sera mien»; Qui de traire a soy scet la guise, Par flaterie ou par moyen, Il a assez science acquise. XCIV Qui que die le contraire, On doit loiaulté tenir En tout quanque l'en veult faire, Qui veult a grant preu venir; Et qui barat maintenir Veult, a la fin mal lui prent, Mais fol ne croit jusqu'il prent. Loiaulté est neccessaire A qui tent a avenir A honneur et grant salaire; N'il ne doit apartenir Que cil doye bien fenir, Qui a barater se prent, Mais fol ne croit jusqu'il prent. Et trop mieulx se vauldroit taire, Que de dire et soustenir Que de loiaulté retraire Se convient, qui devenir Veult riche, et fraude tenir; Qui le fait au laz se prent, Mais fol ne croit jusqu'il prent. XCV Nous devons bien, sur tout aultre dommage, Plaindre cellui du royaume de France, Qui fut et est le regne et heritage Des crestiens de plus haulte poissance; Mais Dieux le fiert adès de poignant lance, Par quoy de joye et de soulaz mendie; Pour noz pechiez si porte la penance Nostre bon Roy qui est en maladie. C'est grant pitié; car prince de son aage Ou monde n'yert de pareille vaillance, Et de tous lieux princes de hault parage Desiroient s'amour et s'aliance. De tous amez estoit trés son enfance; Encor n'est pas, Dieux mercis, reffroidie Ycelle amour, combien qu'ait grant grevance Nostre bon Roy qui est en maladie. Si prions Dieu, de trés humble corage, Que au bon Roy soit escu et deffence Contre tous maulz, et de son grief malage Lui doint santé; car j'ay ferme creance Que, s'il avoit de son mal allegance, Encor seroit, quoy qu'adès on en die, Prince vaillant et de bonne ordenance Nostre bon Roy qui est en maladie. XCVI Bien nobles est qui en soy a bonté, Il n'est tresor qui a tel valeur monte, Et en hault pris bien doit estre monté Cil qui est bon; et aussi toute honte Doit bien le mauvais avoir; Pour tant, s'il a grant poissance ou avoir, Ou que si bel soit que riens ne lui faille, S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille. Et quant les fais des bons sont raconté, On s'esjouït partout ou l'en les conte; Et que des bons mauvais soient donté A chascun plaist, et par nombre on les conte Les bons pour ramentevoir. Chascun vouldroit, plus qu'il ne fait, valoir; Car il n'est nul, tant sa richece vaille, S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille. Plus nobles est et plus est ahonté, Soit prince ou roy, duc, chevalier ou conte, Se en valeur les autres surmonté N'a et en bien. Gentillece que monte Se mieulx ne se fait valoir Qu'autres ne font? Il est bon assavoir Qu'il n'est nulz homs, de quelque lieu qu'il saille, S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille. XCVII De commun cours chascun a trop plus chiers De Fortune les biens, que de Nature; Mais c'est a tort, car ilz sont si legiers Qu'on n'en devroit a nul fuer avoir cure. Boëce en fait mension En son livre de Consolacion, Qui repreuve de Fortune la gloire; Si font pluseurs sages qui font a croire. Et non obstant que ces dons soient chiers, Et que chascun a les avoir met cure, Si veons nous qu'honneurs et grans deniers Tost deffaillent, et a maint petit dure La grant exaltacion De Fortune, qui a condicion De tost changier, ce nous dit mainte hystoire; Si font pluseurs sages qui font a croire. Mais si certains de Nature et entiers Sont les grans biens, que nulle creature N'en est rempli, qui lui soit ja mestiers D'avoir paour de Fortune la dure. C'est sens et discrecion Entendement, consideracion, Aristote moult apreuve memoire; Si font pluseurs sages qui font a croire. XCVIII Tous hommes ont le desir de savoir Et a bon droit il n'est si grant richece; Mais puis que tous veulent science avoir, Comment veult nul desprisier tel hautece, Car ilz sont maint qui n'en ont pas largece. Ne de leur fait n'est nulle mension, Qui des sages font grant derrision. Et pour ce dit le philosophe voir, Que le plus grand anemi de sagece C'est l'ignorant; mais maint pour nul avoir Ne pourroient hebergier tel hostesse, Dieux la donne par esleue promesse; Mais pluseurs sont sanz nulle occasion, Qui des sages font grant derrision. Si doit on bien mettre force et devoir A acquerir si trés noble richece; Car qui bien l'a, trop est grant son pouoir. Trés eureux sont ceulz dont elle est princece De gouverner tous leurs fais com maistrece. Entre eulz et ceulz sont en division Qui des sages font grand derrision. XCIX Si comme il est raison que chascun croie En un seul Dieu, sanz faire aucune doubte, Qui aux esleus son paradis ottroie Et les pervers laidement en deboute, Est il a tous neccessaire De parvenir au souverain repaire A la parfin, ou toute riens repose. Dieux nous y maint trestous a la parclose! Et non obstant qu'en peschié se desvoye Tout cuer humain, et que le monde boute En maint meffais, si doit on toutevoie Soy retourner vers Dieu; car une goute De larme fait a Dieu plaire Le repentant, tant est trés debonnaire; Si est rescript en la divine prose. Dieux nous y maint trestous a la parclose! Si devons, tous et toutes, querir voie De parvenir avec la noble route Des benois sains, ou vit et regne a joye Le trés hault Dieu, en qui est bonté toute, Qui nous donra tel salaire, Se nous voulons repentir et bien faire, Ou joye et paix et grant gloire est enclose. Dieux nous y maint trestous a la parclose! C Cent balades ay cy escriptes, Trestoutes de mon sentement. Si en sont mes promesses quites A qui m'en pria chierement. Nommée m'i suis proprement; Qui le vouldra savoir ou non, En la centiesme entierement En escrit y ay mis mon nom. Si pry ceulz qui les auront littes, Et qui les liront ensement, Et partout ou ilz seront dittes, Qu'on le tiengne a esbatement, Sanz y gloser mauvaisement; Car je n'y pense se bien non, Et au dernier ver proprement En escrit y ay mis mon nom. Ne les ay faittes pour merites Avoir, ne aucun paiement; Mais en mes pensées eslittes Les ay, et bien petitement Souffiroit mon entendement Les faire dignes de renom, Non pour tant desrenierement En escrit y ay mis mon nom. EXPLICIT CENT BALADES VIRELAYS CI COMMENCENT VIRELAYS I Je chante par couverture, Mais mieulx plourassent mi oeil, Ne nul ne scet le traveil Que mon pouvre cuer endure. Pour ce muce ma doulour Qu'en nul je ne voy pitié, Plus a l'en cause de plour Mains treuve l'en d'amistié. Pour ce plainte ne murmure Ne fais de mon piteux dueil; Ainçois ris quant plourer vueil, Et sanz rime et sanz mesure Je chante par couverture. Petit porte de valour De soy monstrer dehaitié, Ne le tiennent qu'a folour Ceulz qui ont le cuer haitié. Si n'ay de demonstrer cure L'entencion de mon vueil, Ains, tout ainsi com je sueil, Pour celler ma peine obscure, Je chante par couverture. II Amis, je ne sçay que dire De vous, car vostre maniere Monstre que d'amour legiere M'amez, dont j'ay trop grant yre. Je ne sçay se vous rusez, Mais a vous ne puis parler, Et toudis vous excusez Qu'il vous fault ailleurs aler. Bien voy que vo cuer ne tire Qu'en sus de moy traire arriere; Et pour vostre morne chiere, Qui tousdis vers moy empire, Amis, je ne sçay que dire. De maint estes encusez, Si ne le pouez celer, Qu'en un lieu souvent mussez, Ou l'en vous fait engeler Pour attendre, et je souspire Quant l'en me dit que j'enquiere De vous, combien qu'il n'affiere. Mais pour ce que oy tant mesdire, Amis, je ne sçay que dire. III Pour le grant bien qui en vous maint, Bel et bon, ou mon cuer remaint, Je vueil vivre joyeusement, Car vous me donnez sentement De trés grans plaisirs avoir maint. Car quant j'oy dire que l'en tient Que vostre gent corps se contient, Si haultement, en toute honnour, Que grace et loz vous apartient Sur tous autres, bien le retient Mon cuer qui ne pourroit grigneur Joye avoir, et quant il attaint A vostre amour qui l'a attaint, C'est moult grant resjouïssement Et pour ce vit trés liement Mon cuer qui d'amer ne se faint Pour le grant bien qui en vous maint. Et quant je pense et me souvient Du trés grant plaisir qui me vient De vous, amis, de tous la flour, J'ay tel joye, souvent avient, Que ne sçay que mon cuer devient, Tant suis prise de grant doulçour. En ce penser giette un doulz plaint Mon cuer, qui a vous se complaint, Quant vous estes trop longuement Sanz moy veoir; car seulement L'amour de vous le mien cuer vaint, Pour le grant bien qui en vous maint. IV Comme autre fois me suis plainte Et complaintte, De toy, desloial Fortune, Qui commune Es a tous, en guise mainte, Et moult faintte. Si n'es pas encore lasse De moy nuire, Ainçois ta fausse fallace Me fait cuire Le cuer, dont j'ay couleur tainte; Car attainte Suis de douleur et rancune, Non pas une Seule mais de mille ençainte Et estrainte, Comme autre fois me suis plainte. Mais il n'est riens qui ne passe; Pour ce cuire Me convient en celle masse Pour moy duire En tes tours qui m'ont destraintte Et contraintte, Si que n'ay joye nesune O enfrune! Desloial! tu m'as enpaintte En grant craintte, Comme autre fois me suis plainte. V Belle ou il n'a que redire, De qui l'en ne peut mesdire, Sanz mentir, Or vous vueilliez consentir A estre de mes maulz mire; Car Amours m'a fait eslire Vous que j'aim sanz alentir. Regardez ma voulenté, Et comment entalenté Suis par desir D'obeir a vo bonté; Car vous avez surmonté A vo plaisir Mon cuer qui ne puet desdire Vo vueil, mais trop grief martire Fault sentir, A moy qui n'en vueil partir Pour riens, car je ne desire Fors vous, sanz y contredire, Que j'aim sanz ja repentir, Belle ou il n'a que redire. A vous qui m'avez dompté Je me suis tant guermenté A long loisir, Si doy bien estre renté Des biens, dont avez plenté; Doncques choisir Vueillés moy si que souffire Vous daigne sanz escondire, Car partir Ferez mon cuer com martir, Si que le mal qui m'empire Ostez, car trop me martire; Et vous vueilliez convertir, Belle ou il n'a que redire. VI Mon gracieux reconfort, Mon ressort, Mon ami loial et vray, De ma joye le droit port, Et le port Que toudis, tant com vivray, Poursuivray. En vous, dont je me navray, Mon vivre ay Mis, et jusques a la mort Jamais autre ami n'avray; Ce devray Faire, et j'en ay doulz enort. Car par vo gracieux port, Que je port En mon cuer, je recevray Joye, plaisir et confort, Ne de fort Amer ne vous decevray; Si avray Mon gracieux reconfort. Ne oncques ne dessevray Ne seuvray Mon cuer de loial acort, Et toudis, si com savray, M'esmouvray A vivre en ce doulz recort. Car tant me vient doulz raport, Sanz nul tort, De vous, que j'apercevray Que vivre sanz desconfort Doy au fort; Et pour ce joye ensuivray, Et suivray Mon gracieux reconfort. VII La grant doulour que je porte Est si aspre et si trés forte Qu'il n'est riens qui conforter Me peüst ne aporter Joye, ains vouldroie estre morte, Puis que je pers mes amours, Mon ami, mon esperance Qui s'en va, dedens briefs jours, Hors du royaume de France. Demourer, lasse! il emporte Mon cuer qui se desconforte; Bien se doit desconforter, Car jamais joye enorter Ne me peut, dont se deporte La grant doulour que je porte. Si n'aray jamais secours Du mal qui met a oultrance Mon las cuer, qui noye en plours Pour la dure departance De cil qui euvre la porte De ma mort et qui m'enorte Desespoir, qui raporter Me vient dueil et enporter Ma joye, et dueil me raporte La grant doulour que je porte. VIII Puis que vous estes parjure Vers moy, dont c'est grand laidure A vous qui m'aviez promis Moy estre loyaulz amis; Vostre loiaulté pou dure. Je vous avoye donnée M'amour toute entierement, Cuidant l'avoir assennée En vous bien et haultement. Car vous aviez mis grant cure A l'avoir, mais je vous jure Et promez, puis qu'entremis S'est vo cuer d'estre remis, Que de vostre amour n'ay cure Puis que vous estes parjure, Tost est ceste amour finée Dont me desplaist grandement, Car ja ne fusse tanée De vous amer loyaument. Mais n'est pas drois que j'endure Vostre grant fausseté pure; Ce poise moy quant g'y mis Mon cuer, s'il en est desmis Point ne vous feray d'injure, Puis que vous estes parjure. IX Je suis de tout dueil assaillie Et plus qu'oncques mais maubaillie, Quant cellui se veult marier Que j'amoye sanz varier, Si suis de joye en dueil saillie. Helas! il m'avoit promis Que ja ne se marieroit, Quant tout mon cuer en lui mis, Et qu'a tousjours tout mien seroit; Mal eschange m'en a baillie, Car hors s'est mis de ma baillie; Une autre veult apparier, Et encontre moy guerrier; Puis que s'amour or m'est faillie Je suis de tout dueil assaillie. Cellui devient mes anemis Qui jadis vers moy se tiroit Comme mes vrais loiaulx amis, En moy regardant souspiroit. Or est celle amour tressaillie En autre, et vers moy deffaillie; Car ne lui puis, pour tarier, Sa voulenté contrarier, Dont d'en morir j'en suis taillie, Je suis de tout dueil assaillie. X Trés doulz ami, or t'en souviegne Que au jour d'ui je te retien Pour mon ami, et aussi mien Vueil je que tout ton cuer deviegne; Car c'est la guise, et bien l'entens, Entre les amans ordennée, Que le premier jour du printemps On retiengne ami pour l'année. A celle fin que l'amour tiegne Un chappellet vert fait trés bien; On doit donner chascun le sien, Tant que l'autre année reviegne Trés doulx ami, or t'en souviegne. Si t'ay choisi et bien attens; Car m'amour te sera donnée; Grant peine as souffert, mais par temps Te sera bien guerredonnée. Afin que la guise maintiengne Le jour Saint Valentin, or tien Mon chappellet, mais ça le tien, Je t'ameray, quoy qu'il aviegne, Trés doulx ami, or t'en souviegne. XI En ce printemps gracieux D'estre gai suis envieux, Tout a l'onnour De ma dame, qui vigour De ses doulz yeulz Me donne, dont par lesquielx Vifs en baudour. Toute riens fait son atour De mener joye a son tour, Bois et préz tieulx Sont, qu'ilz semblent de verdour Estre vestus et de flour Et qui mieulx mieulx. Oysiaulx chantent en maint lieux; Pour le temps delicieux Et plein d'odour Se mettent hors de tristour Joennes et vieux; Tous meinent et ris et jeux Ou temps paschour, En ce printemps gracieux. Et moy n'ay je bien coulour D'estre gay, quant la meilleur, Ainsi m'aist Dieux, Qui soit, je sers sanz erreur, N'a autre je n'ay favour, Car soubz les cieulx N'a dame ou biens soient tieulx; Si doy estre curieux Pour sa valour D'elle servir sanz sejour, Car anieux Ne pourrait estre homs mortieulx De tel doulçour En ce printemps gracieux. XII Se pris et los estoit a departir Et a donner, selon mon jugement; J'en sçay aucuns qui bien petitement Y devraient a mon avis partir. Et non obstant qu'ilz cuident bien avoir Assez beauté, gentillece et proece, Et que chascun cuide un prince valoir, A leurs beaulx fais appert leur grant noblece. Mais puis qu'on voit, qui qu'il soit, consentir A villains fais et parler laidement, Pas nobles n'est; ains deust on rudement D'entre les bons si faitte gent sortir, Se pris et los estoit a departir. Ne en leurs dis il n'a nul mot de voir, Grans vanteurs sont, n'il n'est si grant maistrece Qu'ilz n'osent bien dire que leur vouloir En ont tout fait, hé Dieux! quel gentillece! Comme il siet mal a noble homme a mentir Et mesdire de femme! et vrayement Telle gent sont drois villains purement, Et devrait on leur renom amortir, Se pris et los estoit a departir. XIII Dieux! que j'ay esté deceüe De cellui, dont je bien cuidoie Qu'entierement s'amour fust moye! A tart me suis aperceüe. Or sçay je toute l'encloüre Et comment il se gouvernoit; Une autre amoit, j'en suis seüre, Et si beau semblant me monstroit, Que j'ay ferme creance eüe, Qu'il ne desirast autre joye Fors moy; mais temps est que je voie La traïson qu'il m'a teüe; Dieux! que j'ay esté deceüe! Mais d'une chose l'asseüre, Puis que je voy qu'il me deçoit, Que jamais sa regardeüre, Ne le semblant qu'il me monstroit, Ne les bourdes dont m'a peüe, Ne feront tant que je le croie; Car oncques mais, se Dieux me voie, Ne fu tel traïson veüe. Dieux! que j'ay esté deceüe! XIV Trestout me vient a rebours, Mal a point et au contraire, En tous cas, en mon affaire: Je pers en vain mes labours. Ce n'est pas de maintenant Qu'ainsi je suis demenée, Car dix ans en un tenant J'ay esté infortunée. Mal me prent de commun cours De tout quanque je vueil faire, Et ce que me devroit plaire Me deffuit, et à tous tours Trestout me vient a rebours. Pour riens me vais soustenant Puis que Fortune encharnée Est sus moi, qui demenant Par mainte trés dure année Me va, et Dieux est si sours Qu'il ne daigne vers moy traire Son oreille debonnaire; Pour ce, plus tost que le cours, Trestout me vient a rebours. XV De meschief, d'anui, de peine, Je fais dis communement, Car selon mon sentement Sont, et de chose certaine; Mais quant d'autrui voulenté Faire dis me vueil chargier, De cuer mal entalenté Les me fault si loings cerchier, Et de pensée foraine; Pour ce y metz je longuement: C'est un droit controuvement; Car a toute heure suis pleine De meschief, d'anui, de peine. Et se le cuer dolent é Il ne m'est mie legier Joyeux ditz faire a plenté, Mais pour un pou alegier La doulour qui m'est prochaine Je les fais communement Joyeux, trestout ensement, Comme se je fusse saine De meschief, d'anui, de peine. XVI On doit croire ce que la loy commande; Il est trop folz qui encontre s'opose; Et s'elle fait a croire, je suppose Que maint devront envers Dieu grant amende. Il est bien voir que naturelement Nous sommes tous enclins et entechiez A tost pechier; mais plus orriblement Cheent aucuns en trop plus grant pechiez Qu'autres ne font, et se l'en me demande Quelz gens ce sont, verité dire n'ose Pour leur grandeur, mais Dieux scet toute chose, Et s'il est voir qu'en enfer on descende, On doit croire ce que la loy commande. Merveilles n'est s'on voit communement Au monde moult avenir de meschiefs; Car trop de maulx sont fait couvertement De maint meismes qui sont docteurs et chiefs, De doctriner le monde qu'il s'amende. Mais Dieux scet bien quelle pensée enclose Est en leurs cuers, combien qu'on les alose Pour leur estas; mais, a quoy que l'en tende, On doit croire ce que la loy commande. BALADES D'ESTRANGE FAÇON BALADE RETROGRADE QUI SE DIT A DROIT ET A REBOURS Doulçour, bonté, gentillece, Noblece, beaulté, grant honnour, Valeur, maintien et sagece, Humblece en doulz plaisant atour, Conforteresse en savour, Dueil angoisseux secourable, Acueil bel et agreable. Flour plaisant, de grant haultece Princece, ma prisiée amour, Tour forte noble fortresse, Largece en honneste sejour, Deesse, estoille, cler jour, Oeil, mirouer aimable, Acueil bel et agreable. Coulour fine, vraie adrece, Tresce blonde, et bonne oudour, Ardour, souesve simplece, Parece sanz nulle foulour, Lucrece de simple cremour, Brueil de soulas delictable, Acueil bel et agreable. Maistresse loyal, ma tenrour, Leesse plaisant, ma doulour, Vueil dire a vous trés louable Acueil bel et agreable. BALADE A RIMES REPRISES Flour de beaulté en valour souverain, Raim de bonté, plante de toute grace, Grace d'avoir sur tous le pris a plain, Plain de savoir et qui tous maulz efface, Face plaisant, corps digne de louenge, Ange en semblant ou il n'a que redire, D'yre vuidié, a vous des preux ou renge, Renge mon cuer qui fors vous ne desire. Et j'ay espoir qu'il soit en vostre main Main jour et nuit en gracieux espace, Passe le temps, car ja a bien haultain Atain par vous, et amours qui m'enlasce Lasce mon cuer qui du vostre est eschange, Change vous fais de lui qui vous remire, Mire plaisant, a vous qui joye arrange, Renge mon cuer qui fors vous ne desire. Si me contraint a l'amour dont vous aim L'aim de voz yeulz ou grant doulçour s'amasse, Masse d'onneur ou j'ay tout mon reclaim, Claim des vaillans dont nul temps ne me lasse. Lasse! comment or a prime m'i prenge? Pren je en amer riens qui mon bien dessire, Sire, en vo main qui des bons ne desrenge Renge mon cuer qui fors vous ne desire. Amis loyaulx, cil qui maint meschief venge, Venge mon cuer du vostre en lieu eslire, Lire a doulz son, afin que je le prenge, Renge mon cuer qui fors vous ne desire. BALADE A RESPONSES Mon doulz ami. Ma chiere dame. S'acoute a moy. Trés volentiers, M'aimes tu bien? Ouïl, par m'ame. Si fais je toy. C'est doulz mestiers. De quoy? D'amer. Voire, sanz tiers. Deux cuers en un. Sanz decepvoir Voire aux loiaulz. Tu as dit voir. Dame sanz per. Amis sanz blasme. Quant vous verray? T'est il mestiers? Oïl; tost soit. Je crain diffame. Qui le saroit? Les nouveliers. Occions les! Ilz sont trop fiers. Nuisent ilz doncques? Ouïl voir. Voire aux loiaulz. Tu as dit voir. Las! que feray? Sueffre la flamme. De qui? D'amours. Voire, et dongiers Elle m'art tout. Et moy entame. Que ferons nous? Soyons entiers. Sanz reconfort. Nannil, mestiers A aux amans. Quoy? Bon espoir. Voire aux loiaulz. Tu as dit voir. Dame ottroiez. Ami, requiers Que vous voie. Quier les sentiers. Peine y mettray. C'est le devoir. Voire aux loiaulx. Tu as dit voir. BALADE A VERS A RESPONCES Amours, escoute ma complainte? Or dis: qu'as tu? de quoy te plains? De toy par qui je suis destraintte. Tort as quant de ce te complains? Non ay voir, car ma joye estains. Joye en aras s'en toy ne tient? Trop crain le grant mal qui en vient. Pense au bien, non pas au dommage? Vueille ou non, d'un seul me souvient. Aime le; si feras que sage. Veulz tu que j'aime? est ce contrainte? C'est drois quant ton cuer est attains. Sera ce cil qui m'a estraintte? Ouïl, car de tout bien est pleins. Je n'ay donc pas tort si je l'aims? Non, car chascun a bon le tient. Mais se mon honneur ne soustient? Si fera voir, c'est son usage. Or m'en di ce qu'il apartient? Aime le; si feras que sage. Raison me met en trop grant crainte? Ne la croys, joye toult a mains. Tu m'as vers elle en guerre enpainte? Desconfis la, joing moy les mains. Honneur dit qu'en vauldroie mains? Il ment, chascun bon en devient. Fait et donc amer me convient? Ce te sera grant avantage. Que feray donc se cil revient? Aime le; si feras que sage. Princes gentilz, Amours me tient? Il apertient bien a ton aage. Un bel ami mon cuer retient? Aime le; si feras que sage. Variantes: Elle ment et qui le maintient? Helas! merveilleux cas m'avient. De quoy? D'amer; est ce folage? Ouïl, quant d'amy me souvient. Amours, ou yray? ou me tient? Ne fuy plus, mais fay moy hommage. Que feray je se cil revient? Je, Christine, qui ay plouré. . . I Je, Christine, qui ay plouré Unze ans en abbaye close Où j'ay toujours puis demeuré Que Charles (c'est estrange chose!), Le filz du roy, se dire l'ose, S'en fouy de Paris, de tire, Par la traïson là enclose: Ore à prime me prens à rire. II A rire bonement de joie Me prens pour le temps, por vernage Qui se départ, où je souloie Me tenir tristement en cage Mais or changeray mon langages De pleur en chant, quant recouvré Ay bon temps. . . Bien me part avoir enduré. III L'an mil quatre cens vingt et neuf, Reprint à luire li soleil Il ramene le bon temps neuf Que on n'avoit veu du droit oeil Puis longtemps; dont plusieurs en deuil Orent vesqui. J'en suis de ceulx Mais plus de rien je ne me deuil, Quant ores voy ce que je veulx. IV Si est bien le vers retourné De grant duel en joie nouvelle, Depuis le temps qu'ay séjourné Là où je suis; et la très belle Saison, que printemps on appelle, La Dieu merci, qu'ay désirée, Où toute rien se renouvelle Et est du sec au vert temps née. V C'est que le dégeté enfant Du roy de France légitime, Qui longtemps a esté souffrant Mains grans ennuiz, qui or à prime Se lieva ainsi que vous, prime Venant comme roy coronné, En puissance très grande et fine Et d'esprons d'or esperonné. VI Or fesons feste à nostre roy; Que très-bien soit-il revenu! Resjoïz de son noble arroy Alons trestous, grans et menu, Au devant; nul ne soit tenu, Menant joie le saluer, Louant Dieu, qui l'a maintenu, Criant Noël en hault huer. VII Mais or veuil raconter comment Dieu a tout ce fait de sa grâce, A qui je pri qu'avisement Medoint que rien je n'y trespasse. Raconte soit en toute place, Car ce est digne de mémoire Et escript, à qui que desplacc, En mainte cronique et histoire. VIII Oyez par tout l'univers monde Chose sur toute merveillable; Notez se Dieu, en qui habonde Toute grace, est point secourable Au droit enfin. C'est fait notable, Considéré le présent cas; Si soit aux deceùs valable Que fortune a flati à cas. IX Et note comment esbahir Ne se doit nul pour infortune, Se voiant à grant tort haïr, Et com vint sus par voie comune. Votez comment toujours n'est une Fortune, qui à nuit a maint; Car Dieu, qui aux torts fait rexune, Ceulx relieve en qui espoir maint. X Qui vit doncques chose avenir Plus hors de toute opinion, Qui à noter et souvenir Fait bien en toute région, Que France, de qui mention En faisoit que jus est ruée, Soit, par divine mission, Du mal en si grant bien muée. XI Par tel miracle vrayement Que, se la chose n'est notoire Et évident quoy et comment, Il n'est homs qui le peust croire? Chose est bien digne de mémoire Que Dieu, par une vierge tendre, Ait adès voulu (chose est voire) Sur France si grant grace estendre. XII O! quel honneur à la couronne De France par divine preuve! Car par les graces qu'il lui donne Il appert comment il l'apreuve, Et que plus foy qu'autre part treuve En l'estat royal, dont je lix Que oncques (ce n'est pas chose neuve) En foy n'errèrent fleurs de lys. XIII Et tu, Charles roy des François, Septiesme d'icellui hault nom, Qui si grant guerre as eue ainçois Que bien t'en prensist, se peu non; Mais Dieu grâce, or voiz ton renom; Hault eslevé par la Pucelle, Que a soubzmis sous ton penon Tes ennemis; chose est nouvelle. XIV En peu de temps, que l'en cuidoit Que ce feust com chose impossible Que ton pays, qui se perdoit, Reusses jamais: or est visible Menction, qui que nuisible T'ait esté, tu l'as recouvré. C'est par la Pucelle sensible, Dieu mercy qui y a ouvré. XV Si croy fermement que tel grâce Ne te soit de Dieu donnée, Se à toy, en temps et espace, Il n'estoit de lui ordonnée Quelque grant chose solempnée A terminer et mettre à chief; Et qu'il t'ait donné destinée D'estre de très grans faiz le chief. XVI Car ung roi de France doit estre, Charles fils de Charles nommé, Qui sur tous rois sera grant maistre; Prophéciez l'ont surnommé Le cerf-volant; et consomé Sera par cellui conquéreur Maint fait; Dieu l'a à ce somé, Et enfin doit estre empereur. XVII Tout ce est le prouffit de l'âme. Je prie à Dieu que cellui soies, Et qu'il te doint, sans le grief d'âme, Tant vivre qu'encoures tu voyes Tes enfants grans; et toutes joyes Par toy et eulz soient en France; Mais en servant Dieu toutes voies, Ne guerre n'y face oultreuance. XVIII Et j'ay espoir que bon seras, Droiturier et amant justice Et tous les autres passeras; Mais que orgueil ton fait ne honnisse; A ton peuple doulz et propice Et craignant Dieu qui t'a esleu Pour son servant, si com prémisse En as; mais que-faces ton deu. XIX Et comment pourras-tu jamais Dieu mercier à souffîsance, Servir, doubler en tous tes fais, Que de si grant contrariance T'a mis à paix, et toute France Relevée de tel ruyne, Quant sa très grant saint providence T'a fait de si grant honneur digne? XX Tu en soyes loué, hault Dieu A toy gracier tous tenus Sommes, que donné temps et lieu As, où ces biens sont avenus. A jointes mains, grans et menus, Grâces te rendons, Dieu céleste, Par qui nous sommes parvenus A paix, et hors de grant tempeste. XXI Et toy, Pucelle beneurée, N'y dois-tu mie estre obliée, Puisque Dieu t'a tant honnourée, Qui as la corde desliée, Qui tenoit France estroit liée. Te pourroit-on assez louer Quant, ceste terre humiliée Par guerre, as fait de paix douer? XXII Tu, Johanne, de bonne heure née, Benoist soit cil qui te créa! Pucelle de Dieu ordonnée, En qui le Saint-Esprit réa Sa grant grâce et qui ot et a Toute largesse de hault don, N'onc requeste ne te véa Que te rendront assez guerdon? XXIII Que peut-il d'autre estre dit plus Ne des grans faiz du temps passez? Moyses, en qui Dieu afflus Mist grâces et vertus assez, Il tira sans estre lassez Le peuple Israel hors d'Egipte. Par miracle ainsi repassez Nous a de mal, Pucelle eslite. XXIV Considérée ta personne, Qui est une joenne pucelle A qui Dieu force et povoir donne D'entre le champion, et celle Qui donne à France la mamelle De paix et doutce nourriture; A ruer jus la gent rebelle: Veci bien chose oultre nature. XXV Car se Dieu fist par Josué Des miracles à si grant somme, Conquérant lieux, et jus rué Y furent maints il estoit homme Fort et puissant. Mais tout en somme Veci femme, simple bergière, Plus preux qu'onc homsne fut à Romme. Quant à Dieu, c'est chose légère; XVI Mais quant à nous, oncques parler N'oymes de si grant merveille; Car tous les preux au long aler, Qui ont esté, ne s'appareille Leur proesse à ceste qui veille A bouter horz noz ennemis. Mais ce fait Dieu, qui la conseille, En qui cuer plus que d'omme a mis. XVII De Gédéon en fait grant compte, Qui simple laboureur estoit, Et Dieu le fist (se dit le conte), Combattre, ne nul n'arrestoit Contre lui, et tout conquestoit. Mais onc miracle si appert Ne fist, quoyqu'il ammonestoit, Com pour ceste fait il appert. XVIII Hester, Judith et Delbora Qui furent dames de grant pris, Par lesqueles Dieu restaura Son pueple qui fort estoit pris, Et d'autres plusieurs qu’ay appris Qui furent preuses, n'y ot celle; Maismiracles en a porpris Plus a fait par ceste Pucelle. XXIX Par miracle fut envoiée Et divine amonition De l'ange de Dieu convoiée Au roy, pour sa provision. Son fait n'est pas illusion, Car bien a esté esprouvëe Par conseil, en conclusion: A l'effect la chose est prouvée XXX Et bien esté examinée. Et ains que l'en l'ait voulu croire, Devant clers et sages menée, Pour ensercher se chose voire Disoit, ainçois qu'il fust notoire Que Dieu l'eust vers le roy tramise; Mais on a trouvé en histoire Qu'à ce faire elle estoit commise. XXXI Car MerliHn, et Sébile et Bede, Plus de cinq 'cens a la veïrent En esperit, et pour remède A France en leurs escriptz la mirent; Et leurs prophécies en firent, Disans qu'el pourterait bannicre Es guerres françoises; et dirent De son fait toute la manière. XXXII Et sa belle vie, par foy! Monstre qu'elle est de Dieu en grâce, Par quoy on adjouste.plus foy A son fait car quoy qu'elle face, Toujours a Dieu devant la face, Qu'elle appelle, sert et deprye En fait, en dit; ne va en place On sa dévocion détric. XXXIII O! comment lors bien y paru Quant le siège iert à Orléans, Où premier sa force apparu Onc miracle, si comme je tiens, Ne fut plus cler; car Dieu aux siens Aida telement, qu'ennemis Ne s'aidèrent plus que mors chiens. La furent prins ou a mort mis. XXXIV Hée! quel honneur au féminin Sexe! Que Dieu l'ayme, il appert. Quant tout ce grant peuple chenin Par qui tout le règne ert désert, Par femme est sours et recouvert, Ce que pas hommes fait n'eüssent, Et les traittres mis à désert A peine devant ne crussent. XXXV Une fillete de seize ans (N'est-ce pas chose fors nature?) A qui armes ne sont pesans, Ains semble que sa norriture Y soit, tant y est fort et dure; Et devant elle vont fuyant Les ennemis, ne nul n'y dure. Elle fait ce, mains yeulx voiant. XXXVI Et d'eulx va France descombrant, En recouvrant chasteaulx et villes, Jamais force ne fu si grant, Soient à cens, soient à miles. Et de nos gens preuz et abiles Elle est principal chevetaine. Tel force n'ot Hector, ne Achilles; Mais tout ce fait Dieu qui la menne. XXXVII Et vous, gens d'armes esprouvez, qui faites l'exécution, Et bons et loyaulz vous prouvez: Bien faire on en doit mention. Louez en toute nation Vous en serez, et sans faillance Parle-en sur toute élection De vous et de vostre vaillance. XXXVIII Qui vos corps et vie exposez, Pour le droit, en peine si dure, Et contre tous périls osez Vous aler mettre à l'avanture. Soiés constans. car je vous jure Qu'en aurés gloire ou ciel et los; Car qui se combat pour droitture, Paradis gaingne, dire l'os. XXXIX Si rabaissez, Anglois, vos cornes, Car jamais n'aurez beau gibier En France, ne menez vos sornes Matez estes en l'eschiquier, Vous ne pensiez pas l'autrier Où tant vous monstriez perilleux; Mais n'estiez encour ou sentier Où Dieu abat les orgueilleux. XL Jà cuidiés France avoir gaingnée, Et qu'elle vous deust demourer. Autrement va, faulse mesgniee! Vous ires ailleurs tabourer, Se ne voulez assavourer La mort, comme vos compaignons, Que loups porroient bien devourer, Car mors gisent par les sillons. XLI Et sachez que, par elle, Anglois Seront mis jus sans relever, Car Dieu le veult, qui ot les voix Des bons qu'ils ont voulu grever. Le sanc des occis sans lever Crie contre eulz. Dieu ne veult plus Le souffrir; ains les resprouver Comme mauvais, il est conclus. XLII En chrestienté et en l'Église Sera par elle mis concorde. Les mescréans dont on devise Et les hérites de vie orde Destruira car ainsi l'accorde Prophétie qui l'a prédit; Ne point n'aura miséricorde De li, qui la foy Dieu laidit. XLIII Des Sarrasins fera essart En conquérant la Sainte Terre; Là menra Charles, que Dieu gard Ains qu'il muire fera tel erre. Cilz est cil qui la doit conquerre: Là doit-elle finer sa vie Et l'un et l'autre gloire acquerre Là sera la chose assovye. XLIV Donc desur tous les preux passez, Ceste doit porter la couronne, Car ses faits jà monstrent assez Que plus prouesse. Dieu lui donne Qu'à tous ceulz de qui l'en raisonne; Et n'a pas encor tout parfaict. Si croy que Dieu ça jus leur donne Afin que paix soit par son faict. XLV Si est tout le mains qu'affaire ait Que destruire l'Englescherie, Car elle a ailleurs plus haut hait: C'est que la foy ne soit périe. Quant des Anglois, qui que s'en rye Ou pleure, or il en est sué; Le temps advenir mocquerie En sera faict: jus sont rue. XLVI Et vous, rebelles ruppieux Qui à eulz vous estes adhers, Ne voiez-vous qu'il vous fust mieulx Estre alez droit que le revers Pour devenir aux Anglois serfs? Gardez que plus ne vous aviengne, Car trop avez esté souffers, Et de la fin bien vous soviengne. XLVII N'appercevez-vous gent avugle, Que Dieu a ici la main mise? Et qui ne le voit, est bien vugle; Car comment seroit en tel guise Geste Pucelle ça tramise, Qui tous mors vous fait jus abattre, Ne force avez mais qui souffse? Voulez-vous contre Dieu combattre? XLVIII N'a-elle mené le roy au sacre, Que tenait adès par la main? Plus grant chose oncques devant Acre Ne fut faite car pour certain Des contrediz y ot tout plain; Mais maulgré tous, à grant noblesse, Y fut receu et tout à plain Sacré, et là ouy la messe. XLIX A très grant triumphe et puissance, Fu Charles couronné à Rains, L'an mil quatre cens, sans doubtance, Et vingt et neuf, tout saulf et sains, Avecques de ses barons mains, Droit ou dix septiesme jour De juillet, pour plus et pour mains. Et là fu cinq jours à séjour. L Avecques lui la Pucellette, En retournant par son païs, Cité, ne chastel, ne villette Ne remaint. Amez ou hays Qu'il soit, ou soient esbaïs (???) Ou asseurez, les habitans Se rendent; pou sont envahys, Tant sont sa puissance doubtans! LI Voir est qu'aucuns de leur folie Cuident résister; mais pou vault, Car au derrain, qui que contralie, A Dieu compere le deffault. C'est pour nient; rendre leur fault Veuillent ou non; n'y a si forte Résistance, qui à l'assault De la Pucelle ne soit morte; LII Quoyqu'en ait fait grant assemblée Cuidant son retour contredire Et lui courir sus par emblée. Mais plus ni fault confort de mire: Car tous mors et pris tire à tire Y ont estez les contrediz, Et envoyés, comme j'oy dire, En enfer ou en paradis. LIII Ne sçai se Paris se tendra, Car encoures n'y sont-ilz mie, Ne se la Pucelle attendra Mais s'il en fait son ennemie, Je me doubt que dure escremie Lui rende, si qu'ailleurs a fait. S'ilz résistent heure, ne demie, Mal ira, je croiy, de son fait. LIV Car ens entrera, qui qu'en groingne: La Pucelle lui a promis. Paris, tu cuides que Bourgoigne Defende qu'il ne soit ens mis? Non fera, car ses ennemis Point ne se fait. Nul n'est puissance Qui l'en gardast, et tu soubmis Seras et ton outrecuidance. LV O Paris, très mal conseillé! Folz habitans sans confiance! Ayme-tu mieulz estre essilié Qu'à ton prince faire accordance? Certes, ta grant contrariance Te destruira, se ne t'avises. Trop mieulz te feust par suppliance Requerir mercy: mal y vises. LVI Gens a dedans mauvais, car bons Ya maint, je n'en fais pas doubte; Maisparler n'osent, j'en respons A qui moult desplaist et sansdoubte Que leur prince ainsi on deboute. Si n'auront pas ceulx deservie La punition où se boute Paris, où maint perdront la vie. LVII Et vous toutes, villes rebelles, Et gens qui avez regnié Vostre seigneur, et ceulx et celles Qui pour autre l'avez nié: Or soit après aplanié Par doulceur, requerant pardon Car se vous êtes manié A force, à tart vendrez ou don. LVIII Et que ne soit occision, Charles retarde tant qu'il peut, Ne sur char d'omme incision; Car de sang espandre se deult. Mais au fort, qui rendre ne veult Par bel et doulceur ce qu'est sien, Se par force en effusion De sang le requerre, il fait bien. LIX Hélas il est si débonnaire Qu'à chascun il veult pardonner Et la Pucelle lui fait faire, Qui ensuit Dieu. Or ordonner Veuillez vos cueurs et vous donner Comme loyaulz François à lui, Et quand on l'orra sermonner N'en serés reprins de nulluy. LX Si pry Dieu qu'il mecte en courage A vous tous qu'ainsi le fassiez, Afin que le conseil o rage De ces guerres soit effaciez, Et que vostre vie passiez En paix sous votre chief greigneur, Si que jamais ne l'effaciez Et que vers vous soit bien seigneur. Amen. LXI Donné ce ditié par Christine, L'an dessusdit mil quatre cens Et vingt et neuf, le jour où fine Le mois de juillet. Mais j'entends Qu'aucuns se tendront mal contens De ce qu'il contient, car qui chière A embrunche les yeux pesans, Ne peut regarder la lumière. LAYS LAY DE CLXV VERS LEONIMES Amours, plaisant nourriture, Trés sade et doulce pasture, Pleine de bonne aventure, Et vie trés beneureuse, Du vray loial cuer l'ointture, Qui entour lui fais ceinture De joye, c'est ta droitture, Doulce esperance amoureuse. Et qui toute creature Esjoïs de ta nature Peine fais par aventure; Mais elle est si doulcereuse Qu'on te suit tout a esture, N'il n'est ponce ne rasture Qui effaçast ta pointure Tant est au cuer savoureuse. Tant plait ta vie a maintenir A qui loial se veult tenir En ton agreable dongier, Pour le bien qu'on puet retenir De toy servir, quant retenir Daignes l'amant sanz estrangier. De toy si li fais soustenir Sa peine en gré, et s'astenir Se veult de jamais ne changier, Du bien lui fais grant point tenir Qui a lui doit apartenir, Mais qu'il s'y tiegne sanz bougier. Et s'il est aucun qui soustiegne Que de toi viengne Plus mal que bien, vers moi viegne Et retiegne; Prouver lui vueil que nullement N'en vient mal, mais qu'on s'y contiengne Et maintiegne; Si bien que par droit apartiegne Que chascun tiengne Que servi soiés loiaument. Mais qui fault, mal lui en conviengne Quoy qu'il aviengne Ne, qui que loiaulté te tiengne, Croy qu'il soustiegne Joye et doulceur plus que tourment, Mais drois est qu'a l'amant soviegne Que gay se tiegne, N'en lui fausseté ne retiengne, Sanz plus detiengne Une amour vraye seulement. Tant y a compris De bien en ton pris, Qu'on ne pourroit extimer Le bien que la pris En ton doulz pourpris A, par loyaument amer; Ne par droit repris Cuer de toy espris Ne doit estre, ne blasmer On ne puet le pris De toy, car apris Il a vie sanz amer. Tu pues mander Et comander, Sanz amender, De mal garder, Dueil retarder, Un cuer bourder, D'amour bauder, A toy soulder, Poindre et larder, Et posseder Sanz nul frauder, Faire tarder De demander Pour foy garder De mal monder. Peine esmonder, Joye abonder, Tout marchander, Et dueil seder, Bas affonder, Et reffonder, Bel regarder, Voir recorder, Sanz point bourder, Pais accorder, Non descorder, Droit recorder Pour amender, En sens fonder Et perfonder. Et s'aucuns n'ont de ta vie Nulle envie, Ains la veulent mesprisier, Gentillece est d'eulx ravie; Car plevie L'ont les bons pour eulx aisier, Et plaisier Fais les cuers, ou poursuivie Est joye sanz delaissier. Par toy est dame servie, Assouvie Sanz amenuisier Son honneur n'estre asservie Mais suivie De baudour, qui rabassier Et froissier Fait doulour qui gent desvie; Joye est qui la puet puisier. Mais on fait maint mauvais raport, Disant qu'au port De toy a doulereux aport, Et dont pluseurs se duellent, Et que moult pou y a deport Quoy qu'on s'i port Gaiement, et qu'en gré le port Cellui ou ceulx qui te veulent. Et que mieulx vault qu'on se deport De ton aport, Que tel faissel on s'en emport, Et qu'a ton molin meulent Paille sanz grain ceulz qui ton port Suivent, deport N'ont de toy ne qui les raport A bien, ains perir suellent. Si est trop mau dit, Car pour voir je tien Que, sanz contredit, Quant l'en devient tien On se desrudist, Qui ton doulz maintien Poursuit, n'escondit, Si com je maintien, N'yert ja ne desdit. L'amant, qui du tien Enrichis, mesdit Het; pour ce soustien Que qui te laidist Son meffait retien Et fais un edit Ou pour fol le tien; De toy soit maudit Et son preu detien. Soit party, Ressorty, Perverty, De ton doulz soulas Hors sorty, Converti En party Dur party Qui mesdit de tes laz! Dire halas! Vain et las! Comme las, Lui fais sanz dire «gar t'y», S'ainsi l'as Se follas Ne meslas N'affolas Onc nul, cil soit amorty. Si debat son chief En vain, qui destruire Cuide par nul chief Ton fait, ne toy nuire, Que l'en voit sur tous reluire Et qui est tant fort Que ou monde n'a tel effort. Et c'est grant meschief De tel gent, qui duire Cuident de rechief Le monde, et recuire En nouvel sain, et reduire Gent sanz le confort De toy, mais tu vains au fort. Amour sanz chalange, Honneur et louange T'apartient, et ment ge? Quant fus par l'archange En ce monde estrange Envoyé en change De la male arrange Qui nous mist en fange, Et par toy en range Ou ciel sommes d'ange, Ce fu noble eschange Et un doulz meslange, Dont se te revenge Nul ne m'en laidenge, Car ne me desrenge De loial losenge. Mon cuer s'i essange Quant bien il te venge Et du tout estrange Haïneuse grange. Dont blasmée Ne clamée. Diffamée Ne nommée, Mau renommée Ne fusmée Ne dois estre, mais amée Et prisée plus qu'autre rien. Car armée Enarmée, Affermée, Confermée T'es et formée Bien fermée Pour nous, c'est chose informée, Ne le nyer n'y vauldroit rien. Exprimée Ne primée, Point frimée N'extimée De hors limée Trop semmée Ne pues estre n'enflammée En ce monde terrien. Ains est dommage Qu'en ton hommage Et fol et sage Par droit usage N'est, car l'oultrage Qui fait la rage Ou monde ombrage Par male et fausse convoitise. Seroit en cage Et hors usage; Ne tel langage, Comme on l'engage Par le hautage D'orgueil qui nage En maint rivage, N'iert ou monde, et ce qui l'atise C'est le buvrage Qu'envie charge Qui n'assowage, Ains deheberge De son heberge Toy qui sanz barge, Comme en mer large, Vas flotant par telle faintise. Mais ou passage, Ou le peage Devons de gage, En l'eritage Du monde ombrage Y a ymage De fausse targe, D'amour fainte et fausse cointise. Si conclus qu'en ta closture, Vraye non pas couverture, On ne doit avoir roupture A vie trés doulcereuse, Et qui en fait sa pousture Jusqu'il soit en sepulture Il puet bien la pourtraiture Porter de paix laüreuse. Car avec lui par jointure L'a a trés forte cousture Cousue par aventure Si que peine doulereuse N'ara en la deffritture Infernal qui, par droitture, Punist humaine faitture En l'orde valée ombreuse. LAY (EXPLICIT LAYS EN VERS LEONNINE) Se je ne finoye de dire Et d'escripre, Je ne pourroie souffire, Amis, pour louer assez, En cent ans voire passez, Vostre bonté, n'a descripre Vo beaulté ou l'en se mire, N'a redire N'y a, si sont amassez En vous tous biens entassez Ou grace et honneur se tire. N'il n'est royaume n'empire Ou eslire On peüst tel, n'oÿ lire N'ay des vaillans trespassez Tant de bien, vous effassez Leur grant vaillance, beau sire; Car le monde se remire Et desire Vous qui tous vices cassez Ne du bien n'estes lassez Nul temps, n'on n'en puet mesdire. Et quant vous estes si parfait Que chascun loe vostre fait Et dit que vous n'avez pareil Ne qu'oncques nul n'y vid meffait, Mais cil qui les despris reffait, Plein de sens et de bon conseil Enluminant com le soleil Qui toutes tenebres deffait, Et ou prouece a son recueil, La porte de joye et le sueil Et cil qui les nobles reffait. Ne vous doy je de cuer parfait Amer et m'esjoïr de fait D'avoir ami si a mon vueil, Bon, noble et preux, qui het tort fait, Ne qui n'a riens de contrefait, Bel, jeune et doulz, plaisant a l'ueil, Franc, courtois et de doulz accueil, Si bon que ou monde n'a si fait Humain, trés humble, sanz orgueil; Si puis dire, nul n'en ait dueil, Cil qui tout bien met a effait. Et, se m'amour vous doy nommer N'ami clamer Et reclamer, Sachiez que j'en fais mon devoir Si bien qu'on ne m'en doit blasmer; Car affermer Et confermer Amours a fait par estouvoir Mon cuer en vous, si que mouvoir Pour nul avoir Cellui vouloir Je ne pourroie. Ains a la mer Osteroie trestout l'amer; Doulçour avoir, Et remouvoir Li feroie et s'iaue toloir Entierement, et reprimer Son flo que l'en voit escumer, Toute semer Et enflammer S'arene, et que fable fust voir, Le monde de nouvel former, Fondre, entamer Et refformer Pierres dures, et feu plouvoir, Les estoilles toutes ardoir, Que main fust soir, Sans desmouvoir Tout l'umain siecle consommer, Paistre le monde, et affermer Et apparoir Que blanc fust noir Feroie, ainçois que desmouvoir Me peüsse de vous amer. Car vous estes la joye Qui me resjoye Et avoye A tout bien, Ne sanz vous ne pourroie Et ne vouldroie Ne saroie Valoir rien, Et pour ce a vous emploie Toute et ottroye L'amour moye; Car sçay bien Que vous estes la voie Qui me ravoie, Ne m'esjoye Aultre rien, Et c'est ce qui m'apoye Ou que je soye, Mais que voie Vo maintien. Si n'en cuide estre deceüe, Car je me suis apperceüe Que vous m'amez de cuer entier; Car par long temps m'avez sceüe Et quant j'ay bien l'amour sceüe, Qui n'est pas depuis avantier Encommenciée, et que mestier Vous estoit que fust receüe Vostre amour ou pou exploitier Postés long temps par nul sentier, Lors fu vostre amour conceüe En moy qui si bien m'a sceüe Que mon cuer de joye est rentier. Car par seulement la veüe Avoir de vous je suis peüe De quanque on pourroit souhaidier D'autre bien, car j'ay esleüe Ma joye en vous, chose est deüe De vous amer, c'est doulz mestier Ou l'on apprent a accointier Tout honneur; si suis pourveüe D'ami loial, au mien cuidier, Qui de moy fait tout mal vuidier. S'en lo Amour par qui eüe Ay vostre amour et qui meüe M'a a l'amer encommencier. Et puis qu'Amours nous a joins Ensemble et conjoins, Soient noz soins, Et près et loings, Amis, de loiaument Nous entr'amer et tous besoins Et tous amers poins, Se sommes poins De durs poins, Nous porterons doulcement Et vivrons joyeusement Et trés liement Gaiement Car nous serons enoins De doulz espoir qui fermement Et trés purement Finement Nous soustendra a ses poins. Et d'ainsi nos jours user Sanz mal user Nulz ne pourra accuser De nul meffait nostre vie, Ne sur nous nul mal causer Ne gloser, Car sur nul n'arons envie Ne vouloir d'autre encuser Pour nous excuser. Car de tous poins assouvie Leesce en nostre penser Sera, par quoy ert ravie, Sanz nul offenser, Tristece qui gent devie, De nous, qui fausser Ne voulons, ainçois plevie, Sanz nul jour cesser, Avons foy vraye assouvie. Et pour tant se mesdisans Pour nous grever Vont disant leurs moz cuisans Par controuver Ne devons pas estre aver Des tresors doulz, advisans, Qu'Amours aux amans trouver, Par esprouver, Fait sur tous biens reluisans, Et qui sauver Pevent de tous maulz nuisans Sanz emblasver. Si n'en soions pas exans; Pour quoy laver Nous en devons, quant lever En joye plus de dix ans Nous puet li moins souffisans Des biens, prouver Le puis par tous poursuivans, Sanz controuver. Et s'en contrée longtaine Vostre noblece vous meine Et la prouece haultaine, Qui vo noble cuer demeine, Ce me sera moult grant peine; Mais je prendrai reconfort En ce que je suis certaine Que de vraie amour certaine, Plus qu'aultre chose mondaine, Ne que Paris belle Heleine, Comme dame souveraine, M'amez de tout vostre effort. Et combien que de dueil pleine Seray nuit, jour et sepmaine, Et tout le temps triste et vaine, Sanz estre lie ne saine, En pire point qu'en quartaine, Ce me soustendra au fort Que, se Dieux tost vous rameine, Oncques si joyeuse estraine N'ot dame, noble ou villaine, Com j'aray, ne chastellaine, Quant tendray en mon demaine Vous que j'aim sur tous trés fort. Si vous pri, ma vraye amour, Ma doulçour, Mon bien, ma paix, ma vigour, Mon retour, La riens que j'aime le mieulx, Qu'en tous lieux Gay, jolis, joieux tousjour, Sanz mal tour, Soyez et plein de baudour, Pour m'amour; car se m'aist Dieux, Pour vous sera mon atour Par honnour Gay, jolis, gent et joyeux. Si me tendray sanz tristour Ne doulour; Car voz amoureux beaulz yeulz Tous mes dieux Gariront par leur vigour, De vous venra la savour Par quoy mes jours seront tieulx. Amis de mes maux le mire, Qui sanz yre Me tenez et sanz deffrire, De qui les grans biens tauxes Ne pourroient ne pensez Estre, car tout tire a tire Vostre bon cuer les atire, Ou remire Ont tous ceulx qui oppressez Sont et de dueil empressez Cui martire; Et le mal qui les empire Et fait frire Confortez par vo doulz rire Qui le mien cuer enlascez. Je vous pri ja ne cessez D'estre en l'amoureux navire Qui vers toute joye tire Et n'empire, Ne ja ne vous en lascez, Et vous serez surhaulcez Sur tous bons sanz contredire. RONDEAUX I (1396) Com turtre suis sanz per toute seulete Et com brebis sanz pastour esgarée; Car par la mort fus jadis separée De mon doulz per, qu'a toute heure regrette. Il a sept ans que le perdi, lassette, Mieulx me vaulsist estre lors enterrée! Com turtre suis sans per toute seulete. Car depuis lors en dueil et en souffrete Et en meschief trés grief suis demourée, Ne n'ay espoir, tant com j'aré durée, D'avoir soulas qui en joye me mette; Com turtre suis sans per toute seulete. II Que me vault donc le complaindre Ne moy plaindre De la doulour que je port Quant en riens ne puet remaindre? Ains est graindre Et sera jusqu'a la mort. Tant me vient doulour attaindre, Que restraindre Ne puis mon grant desconfort; Que me vault donc le complaindre? Quant cil qu'amoye sanz faindre Mort estraindre A voulu, dont m'a fait tort; Ce a fait ma joye estaindre, Ne attaindre Ne poz puis a nul deport; Que me vault donc le complaindre? III Je suis vesve, seulete et noir vestue, A triste vis simplement affulée; En grant courroux et maniere adoulée Porte le dueil trés amer qui me tue. Et bien est droit que soye rabatue, Pleine de plour et petit enparlée; Je suis vesve, seulete et noir vestue. Puis qu'ay perdu cil par qui ramenteue M'est la doulour, dont je suis affolée, Tous mes bons jours et ma joye est alée, En dur estat ma fortune embatue; Je suis vesve, seulete et noir vestue. IV Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil Et que jamais n'aray bien en ce monde, Viegne la mort qui du mal me confonde, Qui si me tient et pour qui morir vueil. Et delaissier bien doy quanque amer sueil, Si qu'en griefz plours mon doloreux cuer fonde, Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil. De tout maintien et contenance et d'ueil Doy bien sembler femme, en qui dueil habonde; Car tant est grant le mal qui me suronde Que de la mort desir passer le sueil, Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil. V Quelque chiere que je face Et comment que souvent rie, Si n'y a il plus marrie, Je croy, de moy en la place. A tort seroie en ma grace, Car joye est en moy tarie, Quelque chiere que je face. Mais pas n'appert a ma face La doulour qui me tarie, Qui nulle heure n'est garie; Mais grief dueil ma joye efface, Quelque chiere que je face. VI En esperant de mieulx avoir, Me fault le temps dissimuler, Combien que voye reculer Toutes choses a mon vouloir. Pour tant s'il me fault vestir noir Et simplement moy affuler, En esperant de mieulx avoir, Se Fortune me fait douloir, Il le me convient endurer, Et selon le temps moy riuler Et en bon gré tout recevoir, En esperant de mieulx avoir. VII Je ne sçay comment je dure; Car mon dolent cuer font d'yre, Et plaindre n'oze, ne dire Ma doulereuse aventure, Ma dolente vie obscure, Riens, fors la mort, ne desire; Je ne sçay comment je dure. Et me fault par couverture Chanter quant mon cuer souspire, Et faire semblant de rire; Mais Dieux scet ce que j'endure; Je ne sçay comment je dure. VIII Puis que vous vous en alez, Je ne vous sçay plus que dire, M'amour, mais en grief martire Me tendrez, se vous voulez. Ne sçay se vous en doulez; Mais nul mal n'est du mien pire Puis que vous vous en alez. Baisiez moy et m'acolez, Pour Dieu, vueilliez moy rescripre, Et du mal soiez le mire, Dont le mien cuer affolez Puis que vous vous en alez. IX Bel a mes yeulx, et bon a mon avis, Trés assouvi de grace et de tout bien, Digne d'onneur, plaisant sur toute rien, Estes m'amour sur touz a mon devis. Jeune, gentil, gent de corps et de vis, Sage, humble et doulz, de gracieux maintien, Bel a mes yeulx, et bon a mon avis. Et quant veoir je vous puis vis a vis J'ay tel plaisir, dont vous estes tout mien, Qu'en ce monde plus ne vouldroie rien; Car vous estes sur tous, je vous plevis, Bel a mes yeulx, et bon a mon avis. X Puis qu'Amours le te consent, Par qui as empris l'emprise, Amis, dont tu m'as surprise, Mon cuer aussi s'i assent. Mon vouloir du tout descent A toy amer sanz faintise, Puis qu'Amours le te consent. Si n'a il pas un en cent Dont Amours m'eust ainsi prise; Mais quant c'est par ta maistrise Ne te doy estre nuisant, Puis qu'Amours le te consent. XI De triste cuer chanter joyeusement Et rire en dueil c'est chose fort a faire, De son penser monstrer tout le contraire, N'yssir doulz ris de doulent sentement. Ainsi me fault faire communement, Et me convient, pour celer mon affaire, De triste cuer chanter joyeusement. Car en mon cuer porte couvertement Le dueil qui soit qui plus me puet desplaire, Et si me fault, pour les gens faire taire, Rire en plorant et trés amerement De triste cuer chanter joyeusement. XII Pour ce que je suis longtains De vous, belle, que tant aims, A nulle joye n'attains, Ains est mon bien tout estains. Ou païs aux tremontains Mon cuer est de doulour tains, Pour ce que je suis longtains. Regretant voz biens haultains Je mourray, j'en suis certains; Car je seray desert ains Que cy m'ait joye ratains, Pour ce que je suis longtains. XIII C'est grant bien que de ces amours, Qui miracles font si appertes Que maintes dames font appertes Qui ja aloient en decours. Ilz garissent, de commun cours, De plus grans maulz que fievres quartes, C'est grant bien que de ses amours. N'il n'est si vieulx, soit longs ou cours, S'il en est bien ferus acertes, Qu'il ne lui semble tout de certes Qu'il prendrait bien le lievre au cours; C'est grant bien que de ses amours. XIV M'amour, mon bien, ma dame, ma princepse Tresmontaine, qui a bon port m'adrece, Dequanque j'ay, souveraine maistresse, Estes dame et confort de ma leesce. Je vous doy bien appeller ma deesse, Mon doulz espoir, mon mur, ma forteresse, M'amour, mon bien, ma dame, ma princesse. Car si belle ne fut oncques Lucrece, Ne prisiée tant Penelope en Grece, Semiramis vous passez en noblece, Si vous doy bien dire, par grant humblece, M'amour, mon bien, ma dame, ma princesse. XV Quant je ne fois a nul tort, Pour quoy me doit on blasmer De mon doulz ami amer? Et a son vueil je m'acord. S'en lui est tout mon deport, N'autre n'y puet droit clamer, Quant je ne fois a nul tort. Je l'aim, qu'en est il au fort? En fault il tel plait semer Partout pour moy diffamer? En ay je desservi mort Quant je ne fois a nul tort? XVI Doulce dame, que j'ay long temps servie, Je vous suppli, alegiez ma doulour Et mon complaint ne tenez a folour, Si soit par vous ma grief peine assovie. Voiez comment pour vous amer desvie, Je pers vigour, sens, maniere et coulour, Doulce dame, que j'ay long temps servie. Ne n'aiez pas de moy grever envie, Ou je mourray d'amoureuse chalour Pour vo beauté et vo fresche coulour, Et pour ce adès pour eslongner ma vie, Doulce dame, que j'ay long temps servie. XVII Je suis joyeux, et je le doy bien estre, D'avoir ouÿ si trés doulce nouvelle Que ma dame son doulz ami m'appelle; Or n'est de moy ou monde plus grant maistre. Ne me pourroit chose venir senestre Puis qu'elle dit que je suis amé d'elle, Je suis joyeux, et je le doy bien estre. Et quant je suis en paradis terrestre Et hors d'enfer, pour la doulçour de celle Que chascun tient des dames la plus belle, Et je regard son maintien et son estre, Je suis joyeux, et je le doy bien estre. XVIII Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris Par voz regars pleins de laz amoureux, A vous me rens, si me tiens eüreux D'estre par vous si doulcement surpris. On ne pourroit sommer le trés grant pris De voz grans biens qui tant sont savoureux, Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris. Tant estes doulz, plaisant et bien apris, Qu'ou monde n'a homme si doulereux Que, s'un regart en avoit doulcereux, Que tantost n'eust par vous confort repris, Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris. XIX Tout en pensant a la beauté ma dame, Qu'on ne pourroit prisier souffisament, Ce rondellet ay fait presentement; Car mon penser n'est ailleurs, par mon ame. Se je l'ay fait ne s'en esmerveille ame, Car survenu m'en est le sentement Tout en pensant a la beauté ma dame. De vraie amour, qui mon cuer tout enflamme, Est tout venu le doulz enortement Qui esjoïst mon cuer trop grandement, Dont suis plus gay que oyselet sus la rame, Tout en pensant a la beauté ma dame. XX Sage maintien, parement de beauté, Assis en corps digne de grant louenge, Cuer ferme et vray, qui nulle heure ne change, En celle maint en qui j'ay feaulté. Trés grant honneur, grant grace et leaulté Si la conduit et nulle heure n'estrange, Sage maintien, parement de beauté. Cuer noble et hault sanz raim de cruauté, Humilité qui nullui ne laidenge, Et assez a la belle comme un ange, Pour gouverner une grant royaulté, Sage maintien, parement de beauté. XXI S'espoir n'estoit, qui me vient conforter, Et souvenir qui mes maulx fait tarir, Les maulx que j'ay ne pourroie porter, Dont ne me veult ma dame secourir. Car desconfort me vouldroit aporter Present de mort, et me feroit perir, S'espoir n'estoit, qui me vient conforter. Mais souvenir si me vient raporter Joye et soulas, et espoir de garir, Et que pitié luy fera enorter Ma garison, si me faudroit morir S'espoir n'estoit, qui me vient conforter. XXII De tous amans je suis le plus joyeux, Puis qu'envers moy s'est ma dame acoisiée, Qui contre mi si mal ere apaisiée Que je n'osoie aler devant ses yeulx. Puis qu'elle a fait la paix, or me va mieulx, Et qu'il lui plaist que je l'aie baisiée De tous amans je suis le plus joyeux. Moult m'a esté son courroux anieux Et a porter la doulour mesaisiée, Mais or suis liez quant elle est amaisiée; Puis qu'ainsi va, et louez en soit Dieux, De tous amans je suis le plus joyeux. XXIII Belle, ce que j'ay requis Or le vueilliez ottroier, Car par tant de fois proier Bien le doy avoir conquis. Je l'ay ja si long temps quis, Et pour trés bien emploier, Belle, ce que j'ay requis. Se de moy avez enquis, Ne me devez pas noyer Mon guerdon, ne mon loier; Car par raison j'ai acquis, Belle, ce que j'ay requis. XXIV Jamais ne vestiray que noir, Puis que l'en m'a donné congié, Et que du tout m'a estrangié Ma dame qui me fist son hoir. Plus n'entreray en son manoir, Et pour le trés grant dueil que j'ay Jamais ne vestiray que noir. Si ne quier plus cy remanoir, Durement y suis laidengié, Trop s'est le temps vers moy changié, Et pour plus en ce dueil manoir Jamais ne vestiray que noir. XXV En plains, en plours me fault user mon temps, Se de vous n'ay, dame, aucun reconfort Mieulx me vauldroit briefment morir au fort Que soustenir la douleur que j'attens. Pour vous, Belle, je me morray par temps, Et sachiez bien qu'en trop grant desconfort, En plains, en plours me fault user mon temps. Et se vo trés doulz cuer est consentens, Que je muire, certes ce seroit fort De reschaper contre si grant effort; Car vraiement, se vivoie cent ans, En plains, en plours me fault user mon temps. XXVI Visage doulz, plaisant, ou je me mire, De grant beaulté le parfait exemplaire, Moult suis joyeux et lié quant vous remire. Ne il n'est riens qui me peüst souffire Sans vous veoir, et bien me devez plaire, Visage doulz, plaisant, ou je me mire. Car ou monde l'en ne pourroit eslire Nul si trés bel, et je ne me puis taire De vous louer, si me fault souvent dire: Visage doulz, plaisant, ou je me mire. XXVII A Dieu, ma dame, je m'en vois; Cent fois a vous me recommande, Je revendray dedens un mois. Plus ne verray a ceste fois Vo beaulté qui toudis amende; A Dieu, ma dame, je m'en vois. Et de voz biens cent mille fois Vous remercy, Dieu le vous rende, Ne m'obliés pas toutefois; A Dieu, ma dame, je m'en vois. XXVIII A Dieu, mon ami, vous command, A Dieu, cil dont tout mon bien vient, Et pour Dieu retournez briefment. En plorant trés amerement, Puis que departir vous convient, A Dieu, mon ami vous command. Or ne m'obliez nullement, Car toudis de vous me souvient; Baisiez moy au departement, A Dieu, mon ami, vous command. XXIX Il me semble qu'il a cent ans Que mon ami de moy parti! Il ara quinze jours par temps, Il me semble qu'il a cent ans! Ainsi m'a anuié le temps, Car depuis lors qu'il departi Il me semble qu'il a cent ans! XXX Il a au jour d'ui un mois Que mon ami s'en ala. Mon cuer remaint morne et cois, Il a au jour d'ui un mois. «A Dieu, me dit, je m'en vois»; Ne puis a moy ne parla, Il a au jour d'ui un mois. XXXI Se loiaulté me puet valoir Et bien servir et fort amer, Sanz faille j'aré mon vouloir. Ne me fault plaindre ne doloir Ne dire qu'aye dueil amer, Se loiaulté me puet valoir. Et s'on la met en nonchaloir Il me vauldroit mieux estre en mer, Mais nulz ne puet mon droit toloir Se loiaulté me puet valoir. XXXII Trés doulz regart, amoureux, attraiant, Plein de doulçour et de grant reconfort, Mon cuer occis et navrez en treiant. Mais ja pour ce ne t'ailles retrayant De traire a moy de trestout ton effort, Trés doulz regart, amoureux, attraiant. Car en mon cuer ta doulceur pourtraiant Va vraie amour, par quoy mon desconfort En garis tout en mon cuer soubtraiant, Trés doulz regart, amoureux, attraiant. XXXIII Le plus bel qui soit en France, Le meilleur et le plus doulx, Helas! que ne venez vous? M'amour, ma loial fiance, Mon dieu terrien sur tous, Le plus bel qui soit en France. S'il est en vostre poissance Pour quoy n'approchiez de nous? Si verré lors sanz doubtance Le plus bel qui soit en France. XXXIV J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire Pour vous, belle, mais ce sera pechié; Car desservi n'ay que me doiez nuire. Se vous voulez au fort me laissier cuire En mon meschief sanz estre relachié, J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire. Car a vo vueil je me doy du tout duire, Et de voz laz, ou je suis atachié, Ne partiray se me voulez destruire, J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire. XXXV De mieulx en mieulx vous vueil servir, Ma dame, dont tout mon bien vient, Pour vostre grace desservir. Et pour moy du tout asservir A vous, ainsi qu'il apertient, De mieulx en mieulx vous vueil servir. Mais ne me vueilliez desservir De joye, se mon bien avient; Car pour vo vouloir assouvir De mieulx en mieulx vous vueil servir. XXXVI Helas! le trés mauvais songe Que j'ay ceste nuit songé, Fait que mon cuer toudis songe. Oncques ne retint esponge Mieulx chose, certes, que j'é, Helas! le trés mauvais songe. Mais ne me dit chose dont je Doye esperer que congié; Dieux doint que ce soit mençonge, Helas! le trés mauvais songe. XXXVII Trés doulce dame, or suis je revenu Prest d'obeïr, s'il vous plait commander, Comme vo serf vous me pouez mander. J'ay longuement esté de joye nu Hors du paÿs, mais, pour tout amender, Trés doulce dame, or suis je revenu. Mais je ne sçay s'il vous est souvenu De moy qui vueil vous servir sanz tarder, Et en espoir de vo grace garder, Trés doulce dame, or suis je revenu. XXXVIII Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier Nulle merci vers vous, ma chiere dame, De vous me pars, moult courroucié par m'ame. D'y plus venir ne me quier avancier, Car ce pourroit vous tourner a diffame Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier. Et si ne sçay comment pourray laissier L'amour que j'ay a vous, qui si m'enflamme; Mais du laissier ne me doit blasmer ame Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier. XXXIX Doulce dame, je vous requier Vostre amour que je vueil cherir; Donnez la moy sanz rencherir, Or m'ottroiez ce que je quier, Et pour faire mes maulz tarir, Doulce dame, je vous requier. Et se vers vous tel grace acquier Je penseray du remerir, Et pour mes pesances garir, Doulce dame, je vous requier. XL Se m'amour voulsisse ottroier Ja pieça m'a esté requise, Mais j'ay ailleurs m'entente mise. On vendroit trop tart au proier, Et pour tant bien je vous avise Se m'amour voulsisse ottroier. Car maint dient que par loier La devroient avoir acquise, Si fusse ailleurs pieça assise, Se m'amour voulsisse ottroier. XLI De tel dueil m'avez rempli, Dame, par vostre reffus Qu'oncques plus dolent ne fus. Mis m'avez en si dur pli Qu'enroiddis suis comme uns fus, De tel dueil m'avez rempli. Que m'occiez vous suppli, Car de mere mar nés fus, Nul de moy n'est plus confus, De tel dueil m'avez rempli. XLII Or est mon cuer rentré en double peine Quant le mary ma dame est revenu, Qui du païs s'est hors long temps tenu. Helas! j'ay eu du tout en mon demaine Joye et plaisir et soulaz maintenu, Or est mon cuer rentré en double peine. Il me touldra, Dieux lui doint male estraine, Tout mon deduit, car souvent et menu J'estoye d'elle au giste retenu, Or est mon cuer rentré en double peine. XLIII Hé lune! trop luis longuement, Par toy pers les biens doulcereux Qu'Amours donne aux vrais amoureux. Ta clarté nuit trop durement A mon cuer qui est desireux, Hé lune! trop luis longuement. Car tu fais le decevrement De moy et du doulz savoureux; Nous ne t'en savons gré touz deux, Hé lune! trop luis longuement. XLIV Amis, ne vous desconfortez, Car je seray en vostre aye, Et, fusse enclose en abbaye, Ne seray du mal que portez Conforter lente n'esbahie. Amis, ne vous desconfortez. Toudis environ moy hentez Et ne doubtez nulle envaÿe, Et se je suis pour vous haïe, Amis, ne vous desconfortez. XLV Souffise vous bel accueil, Sire, trop me requerez, Tout perdrez se tout querez. Plus donner je ne vous vueil A present, mais esperez, Souffise vous bel accueil. Toudis plus que je ne sueil Vous donne, et plus acquerez Et tant plus me surquerez, Souffise vous bel accueil. XLVI Se souvent vais au moustier, C'est tout pour veoir la belle Fresche com rose nouvelle. D'en parler n'est nul mestier, Pour quoy fait on tel nouvelle Se souvent vais au moustier? Il n'est voye ne sentier Ou je voise que pour elle; Folz est qui fol m'en appelle Se souvent vais au moustier. XLVII Combien qu'adès ne vous voie, Simple et coye Ou est ma joye, Que j'aim et serfs loiaument, Ne pourroie nullement, Vivre se je vous perdoie. Car sanz vous je ne pourroie Ne saroie Ne vouldroie Vivre un jour tant seulement, Combien qu'adès ne vous voie. Et si sachiez toutevoie Que j'emploie, Ou que je soye, En vous tout mon pensement; Car il n'est avancement Qui me venist d'autre voie, Combien qu'adès ne vous voie. XLVIII Comme surpris Et entrepris De vostre amour, Je me rens pris En vo pourpris, Dame d'onnour. Si ne mespris Quant j'entrepris Si haulte honnour Comme surpris. Mais en despris Ne m'ait le pris De vo valour; Car j'ay apris Les biens compris En vo doulçour Comme surpris. XLIX Vous en pourriez exillier Un millier Des amans par vo doulz oeil, Plains d'esveil, Qui ont fait maint fretillier Et veillier. Je m'en sens plus que ne sueil Et m'en dueil. Belle, qui bien traveillier Et pillier Savez cuers a vostre vueil, En recueil Vous en pourriez exillier. Mais bien sçavez pou baillier Et taillier Moins de joye et plus de dueil Sur le sueil, Pour musars entortillier, Conseillier, Par vostre attraiant acueil Sans orgueil Vous en pourriez exillier. L Pour attraire Vostre amour, Et moy traire De doulour Me vueil traire Vers vous, flour, Sanz retraire Nuit ne jour. Ne doy taire Ma langour, Mais retraire Sanz rigour Pour attraire. Exemplaire De valour, Pour vous plaire Tant labour, Je vueil faire Par honnour Et pourtraire Vo doulçour Pour attraire. LI Amis, venez encore nuit, Je vous ay aultre fois dit l'eure. Pour en joye estre a no deduit, Amis, venez encore nuit. Car ce qui nous empesche et nuit N'y est pas, pour ce, sanz demeure, Amis, venez encore nuit. LII Il me tarde que lundi viengne, Car mon ami doy veoir lors. A fin qu'entre mes bras le tiengne Il me tarde que lundi viengne. Si lui pri qu'il lui en souviengne; Car pour veoir son gentil corps Il me tarde que lundi viengne. LIII Cest anelet que j'ay ou doy Mon doulz ami le m'a donné. Souvent nous assemble toudoy Cest anelet que j'ay ou doy. Je l'aime bien, faire le doy; Car pour ma joye est ordené Cest anelet que j'ay ou doy. LIV La cause de mon annuy N'ose plaindre n'a nul dire. Ne la diray demain n'uy La cause de mon annuy. Se je pleure a nul n'en nuy, Et mourir me fera d'ire La cause de mon annuy. LV Dure chose est a soustenir Quant cuer pleure et la bouche chante; Et de faire dueil se tenir Dure chose est a soustenir. Faire le fault qui maintenir Veult honneur qui mesdisans hante, Dure chose est a soustenir. LVI Cil qui m'a mis en pensée novelle Et qui requiert que je le vueille amer Me plaist sur tous, non obstant qu'afermer Ne lui vueille m'amour, ainçois lui celle. Et si est il plus doulz qu'une pucelle, Jeune, plaisant, bel, courtois, sanz amer Cil qui m'a mis en pensée novelle. Mais de paour qu'estre en peust nouvelle Je n'ose en lui du tout m'amour fermer, Le retenir, ne mon ami clamer, Si est il bien digne d'avoir plus belle Cil qui m'a mis en pensée novelle. LVII Vostre doulçour mon cuer attrait, Je ne vous vueil plus reffuser; Doulz ami, que vault le muser Quant par voz yeulx Amours me trait? Si vous vueil amer sanz retrait A tousjours mais, car sanz ruser Vostre doulçour mon cuer attrait. Or soiez tout mien, sanz faulx trait, Ainsi pourrons noz jours user En grant doulçour, sanz mal user; Car par vostre plaisant attrait Vostre doulçour mon cuer attrait. LVIII Se d'ami je suis servie, Craintte, obeïe et amée, Je ne doy estre blasmée D'avoir entrepris tel vie. Ne me suis pas asservie, Ainçois suis dame clamée Se d'ami je suis servie. Car de tous biens assouvie Seray par sa renommée; Si n'en seray ja clamée Fole, se n'est par envie, Se d'ami je suis servie. LIX Chiere dame, plaise vous ottroier Ce que vous ay humblement supplié. Sanz que d'aultre vous en face proier, Chiere dame, plaise vous ottroier. Mon cuer, mon corps, quanque j'ay en loier, Tout je vous offre, et pour moy faire lié, Chiere dame, plaise vous ottroier. LX Vous n'y pouez, la place est prise, Sire, vous perdez vostre peine: De moy prier c'est chose vaine, Car un bel et bon m'a acquise. Et c'est droit qu'un seul me souffise, Plus n'en vueil, folz est qui s'en peine; Vous n'y pouez, la place est prise. Toute m'amour ay en lui mise Et l'ameray d'amour certaine, Mais ne m'en tenez a villaine; Car je vous di qu'en nulle guise Vous n'y pouez, la place est prise. (Variantes: Toute m'amour ay ailleurs mise, J'ayme un autre d'amour certaine C'est raison qu'un seul me souffise, Plus n'en vueil, folz est qui s'en paine) LXI S'il vous souffist, il me doit bien souffire; Mais quant a moy mieulx voulsisse autrement; Car je voy bien qu'il ne vous chault grandment De moy veoir; or, de par dieu, beau sire, Passer m'en fault, combien que j'en souspire; Mais puis qu'amer voulez si faittement S'il vous souffist, il me doit bien souffire. Car n'est pas drois que dame plus desire Que son ami n'aime plus loiaument, Puis qu'ainsi va, je vous di plainement Que j'en feray comme vous: a tout dire, S'il vous souffist, il me doit bien souffire. LXII Source de plour, riviere de tristece, Flun de doulour, mer d'amertume pleine M'avironnent et noyent en grant peine Mon pauvre cuer qui trop sent de destresce. Si m'affondent et plungent en asprece; Car parmi moy cuerent plus fort que Saine Source de plour, riviere de tristece. Et leurs grans floz cheent a grant largece, Si com le vent de Fortune les meine, Tous dessus moy, dont si bas suis qu'a peine Releveray, tant durement m'oppresse Source de plour, riviere de tristece. LXIII Bel et doulz et gracieux, Jeune, courtois, sanz amer, Qui avez mis en amer Vostre cuer pour valoir mieulx. Vray, loial soiez et tieulx Qu'on vous puist partout clamer Bel et doulz et gracieux. Et, ainçois que soiez vieulx, Faites vous tant renommer Qu'on vous puist partout nommer Bon, vaillant, et en tous lieux Bel et doulz et gracieux. LXIV Pour quoi m'avez vous ce fait, Trés bel, ou n'a que redire? Et si sçavez mon martire N'oncques ne vous fis meffait. Et parti estes de fait, Sanz moy daigner a Dieu dire; Pour quoy m'avez vous ce fait? Au dieu d'amours du tort fait Me plaindray disant: Dieux Sire, Ami m'avez fait eslire, Dont me vient si dur effait, Pour quoy m'avez vous ce fait? LXV S'ainsi me dure Ne puis durer. Je muir d'ardure, S'ainsi me dure. Doulour ay dure A endurer S'ainsi me dure. LXVI Amoureux oeil, Plaisant archier. De toy me dueil, Amoureux oeil. Car ton accueil Me vens trop chier, Amoureux oeil. LXVII Ma dame Secours, Par m'ame, Ma dame. J'enflame D'amours, Ma dame. LXVIII Je vois Jouer. Au bois Je vois. Pour nois Trouver Je vois. LXIX Dieux Est. Quieux? Dieux. Tieulx Plaist Dieux. EXPLICIT RONDEAULX. JEUX A VENDRE 1 Je vous vens la passerose. Belle, dire ne vous ose Comment Amours vers vous me tire, Si l'apercevez tout sanz dire. 2 Je vous vens la fueille tremblant. Maint faulx amans, par leur semblant, Font grant mençonge sembler voire, Si ne doit on mie tout croire. 3 Je vous vens la paternostre. Vous scavez bien que je suis vostre, Ne oncques a autre ne fus, Si ne faittes de moy reffus, Belle que j'aim, mais sanz demour Me vueilliez donner vostre amour. 4 Je vous vens le papegay. Vous estes bel et bon et gay, Sire, et en tous cas bien apris; Mais oncques a amer n'appris, Encore n'y sçaroie aprendre N'a amer par amours me prendre. 5 Je vous vens la fleur de mellier. Sire joly chevalier, Telle pour vous souvent souspire Qui vous aime et ne l'ose dire. 6 Je vous vens l'esparvier apris. Bien vouldroie estre de tel pris, Qu'aucune damoiselle ou dame Me daignast amer, car, par m'ame, A mon pouoir la serviroie Tant que s'amour desserviroie. 7 Je vous vens le vert muguet. Mesdisans sont en agait, Amis, pour nous agaitier; Si querez autre sentier Quant vers moy venir devrez Et l'eure sonner orrez. 8 Du dieu d'amours vous vens le dart Qui m'a navré par le regart De voz beaulx yeulx, dame jolie, Qui a vous amer si me lie Que j'en seray a mort livré Se par vous ne suis delivré. 9 Du pré d'Amours vous vens l'usage. Pas n'apert a vostre visage Que vous soiez d'amours malade; Car la maladie est moult sade Dont le visage en riens n'empire, Mais tel n'a nul mal qui souspire. 10 Je vous vens la fleur de lis. Vray amant doit estre jolis, Sage, courtois et bien apris, Amer honneur, armes et pris, Loial, secret et sanz amer, Qui tel l'a bien le doit amer. 11 Je vous vens du rosier la fueille. Je pri au dieu d'amours qu'il vueille Briefment m'ottroier tant de grace Qu'acquerir puisse vostre grace. 12 Je vous vens la turterelle. Seulete et toute a par elle Sanz per s'envole esgarée, Ainsi suis je demourée, Dont jamais je n'aray joye Pour nulle chose que j'oye. 13 Je vous vens le cerf voulant. De bien amer ne soiez lent, Amis, car vous avez amie Qui talent d'autre amer n'a mie; Si lui soiez vrais et entiers, Car elle vous aime sanz tiers. 14 Je vous vens le chappel de Saulx. S'Amours vous prent par ses assaulx, Dame jolie et gracieuse, Ne soiez nul jour envieuse De voz loiaulx amours fausser, Pour abaissier ne pour haulcer. Se vous estes dame clamée De vostre ami et bien amée, Tenez vous y; j'ay ouï dire Que qui plus change plus s'empire. 15 Je vous vens la harpe et la lire. Vraie amour si m'a fait eslire Vous seule pour dame et maistresse, Belle, or me mettez en l'adrece De joye avoir, et a mon dit Vous accordez sanz contredit. 16 Je vous vens les gans de laine. Je seroie trop villaine Se vostre amour reffusoie; Car volentiers si j'osoie Seroit en vous m'amour fermée Par si que de vous fusse amée, Car vous estes digne d'avoir D'Heleine le corps et l'avoir. 17 Je vous vens la fleur de parvanche. N'aiez pas le cuer en la manche, Amans de bonne volenté, Hardiement joye et santé Requerez, mais loiaulz soiez En quelque lieu que vous soiez, Car se fausseté en vous maint Des biens d'amours y perdrez maint. 18 Je vous vens la rose amatie. Vous avez vostre foi mentie Vers Amours, dont vous valez mains, De telz tours sçavez faire mains, Si se fait bon des gens retraire Qui sont a loiaulté contraire. 19 Je vous vens le pont qui se haulce. Dieux! que vous semblez estre faulse, Bien savoir conter et rabatre, Et a maint l'eaue faire batre, Et faire en vain cornars veillier Et pour neant eulx traveillier, Monstrer semblant de fort amer, Sanz en sentir ne doulz n'amer. 20 Je vous vens le panier d'ozier. On ne doit amer ne proisier Homme qui de femme mesdie, Ne le croire de riens qu'il die; Si estes de ce renommé Dont vous en estes moins amé. 21 Je vous vens l'oisellet en cage. Se vous estes faulx c'est dommage, Car vous estes et bel et doulz, Si n'aiez telle tache en vous Et digne serez d'estre amé, Bel et bon et bien renommé. 22 Je vous vens le vers chapellet. Nul amant ne peut estre let, Mais que ses taches soient bonnes, De loiaulté suive les bonnes, Si sera digne que l'en l'aime Et que sa dame ami le claime. 23 Je vous vens la clere fontaine. Je voy bien que je pers ma peine, Dame, de tant vous requerir; Puis que riens n'y puis acquerir; Qu'oncques vous vy l'eure maudi, Je m'en vois et a Dieu vous di. 24 Je vous vens le chappel de soie. Cuidiez vous qu'a pourveoir soie D'ami plaisant, jeune et joly, Qui de bon cuer m'aime et je li? Nanil voir; si pert bien sa peine Qui de m'amour avoir se peine. 25 Je vous vens le cuer du lion. Vostre cuer et le mien lion A tousjours, mais sanz deslier, Et pour nostre amour alier Par vray serment le promettons Et corps et avoir y mettons. 26 Je vous vens la couldre qui ploie. En bien amer mon cuer emploie; Je ne sçay se je suis amée, Mais je ne doy estre blasmée D'avoir mon cuer a cil donné Qui sur tous est bien renommé. 27 Je vous vens l'anelet d'or fin. Je pri a Dieu que male fin Puissent tous ces mesdisans faire, Qui se meslent d'autrui affaire; Souvent esveilient jalousie, Qui met pluseurs en frenesie. 28 D'un esparvier vous vens la longe. Quant un amant plein de mençonge Est et souvent parjur trouvé, D'Amours doit estre reprouvé; Car amant ne doit a sa dame Mentir ne pour loz ne pour blasme. 29 Je vous vens le coulomb ramage. On scet assez bien vostre usage, Assez sçavez du bas vouler En faingnant plaindre et flajoler, Et en mains lieux querir santé, Dient ceulz qui vous ont henté. 30 Je vous vens le songe amoureux, Qui fait joyeux ou doulereux Estre cellui qui l'a songié. Ma dame, le songe que j'é Fait anuit, ferez estre voir, Se je puis vostre amour avoir. 31 Je vous vens l'aloe qui vole. Vostre gracieuse parole, Et vostre doulz et bel semblant, Doulz ami, va mon cuer emblant. Si ne vous puis plus escondire, Car vostre suis sanz contredire. 32 Je vous vens l'espée de guerre. Que venez vous cy entour querre, Sire, qui si bien savez faindre Le loial amant et vous plaindre; Par vous sont maintes barguignées, Blanches, brunes, ou bien pignées; Si alez hors de no dongier Ailleurs voz roisins vendengier. 33 Je vous vens la fleur d'acolie. Je suis en grant melancolie, Amis, que ne m'aiez changée; Car vous m'avez trop estrangée, Dittes m'en le voir, sanz ruser, Sanz plus me faire en vain muser. 34 Je vous vens la branche d'olive. Ou monde n'a femme qui vive Que je vueille servir fors vous. Si me retenez donc sur tous, Belle plaisant de moy cherie, Ne soiez vers moy rencherie. 35 Je vous vens la fleur d'ortie. Je suis d'amours bien sortie; Car j'ay ami loial et bon, A qui cuer, corps et amour don. 36 Je vous vens le chapel de bievre. Jalousie vault pis que fievre; Si ne croiez riens qu'on vous die Qui vous traye a tel maladie, Se voulez amours maintenir, Gaiement et lié vous tenir. 37 Je vous vens la rose de may. Oncques en ma vie n'amay Autant dame ne damoiselle Que je fais vous, gente pucelle, Si me retenez a ami, Car tout avez le cuer de mi. 38 Je vous vens la fleur de seür. Je ne suis pas bien aseür Que j'aye vostre amour ou non Pour tant se d'ami ay le nom; Car partout vostre belle chiere, Ce me semble, envers nul n'est fiere. 39 Je vous vens la violete. De joye mon cuer volete, Quant je voy vostre doulz vis Sur tous bel a mon avis. 40 Je vous vens le blanc corbel. Vostre gracieux corps bel Et vostre ris savoureux Fait mon cuer estre amoureux. 41 Je vous vens l'aloue volant. De bien amer n'avez talent; Mais vous savez bien decevoir, Pluseurs ne l'ont pas assavoir. 42 Je vous vens le dyamant. Sachiez que j'ay bel amant, N'il n'est homme soubz les cieulx A mon gré plus gracieux. 43 Je vous vens le tourret de nez. Gay et joli vous maintenez, S'estre voulez renommé Et des dames bien amé. 44 Je vous vens la marjoleine. Je tiens la dame a vilaine, Se amant mercy lui crie Et humblement la deprie, De repondre rudement Et lui mettre a sus qu'il ment. 45 Je vous vens la fueille de houx. J'ay bel ami plaisant et doulx; Dieu veuille qu'aussi bon soit il Come il est bel, jeune et gentil. 46 Je vous vens la blonde tresce. Ma trés gracieuse maistresse, Que j'aim et crain et servir vueil, Trés belle, plaisant, sanz orgueil, Comandez moy, je suis tout prest A vous obeïr sanz arrest. 47 Je vous vens le souspir parfont, Que mains faulz amans contrefont. Telz gens fierent sanz deffier, Si ne s'i doit on pas fier, Car tel a assez souspiré Qui n'est malade n'empiré. 48 Je vous vens le blanc orillier. Assez ne me puis merveillier Comment Amours peut endurer Fausseté si long temps durer Qu'a peine qui veult esprouver Puet on nullui loial trouver. 49 Je vous vens la voulant aronde. Dame, la plus belle du monde, Pour Dieu, aiez de moy pitié; Car je muir pour vostre amitié. 50 Du blanc pain vous vens la mie. Pour Dieu, ne m'oubliez mie Quant je seray loing de vous, A Dieu vous di, mon cuer doulz. 51 Je vous vens la rose d'Artois. Amez honneur, soiez courtois, Bien servez en toute saison, Et des biens arez a foison. 52 Je vous vens la colombelle. Dame qui tant estes belle, Ne vueilliez avoir en despris Vostre ami pour vostre grant pris, Mais prenez son service en gré, Si le mettrez en hault degré. 53 Je vous vens le blanc cueuvrechief. Vostre amour met a grant meschief Mon las cuer, qui toudis souspire Pour vous, n'il n'est mal du sien pire. 54 Je vous vens de soye le laz. Oncques vray amant ne fut las De bien amer pour escondit, On dit communement un dit: Que qui bien puet souffrir il vaint; Et ainsi l'ont esprouvé maint. 55 Je vous vens l'anelet d'argent. Vostre doulz gracieux corps gent, Voz ris, voz yeulx, vo doulz chanter Feroit les mors ressuciter; Ne je ne suis pas souvenant Qu'oncques veisse plus avenant. 56 Je vous vens la fleur de glay. Chantons, dançons, menons bon glay, En despit de mesdisans Qui aux amans sont nuisans. 57 Je vous vens la perle fine. Se par vous ma doulour ne fine, Ma dame trés affinée, Vous fustes pour ma fin née; Car Amours m'a si affiné Que tost me verrez deffiné; Mais mieulx vueil ma vie finer Que d'ainsi languir ne finer. 58 Je ne vens ne donne les yeulz Beaulz et plaisans, doulz, gracieux, De vo beau vis, qui m'ont attrait, Doulce dame, par leur doulz trait, Ainçois les retiens pour ma part; Car par eulx tout mal de moy part. 59 Chascun vous vent, mais je vous veuil donner Mon cuer, mon corps, et vous abandoner Tout quanque j'ay, si n'en faites reffus, Trés belle a qui suis et seray et fus. 60 Je vous vens la fleur de peschier. Je ne vous vueil mie empeschier; Parler voulez secretement? Je m'en vois, a Dieu vous command. 61 Je vous vens du rosier la branche. Oncques neige ne fu plus blanche, Ne rose en may plus coulourée Qu'est la beauté fine esmerée De celle en qui entierement Me suis donné tout ligement. 62 Je vous vens d'Amours la prison. S'oncques vers vous fis mesprison, Pour Dieu, prenez moy a mercy, Ma dame, je vous cry mercy, Et je suis tout prest d'amender Ce qu'il vous plaira commander. 63 Je vous vens la rose vermeille. Amours me comande et conseille Que je face de vous ma dame, Dites moy, belle, par vostre ame, Pourray je vostre amour avoir Se je fais vers vous mon devoir? 64 Je vous vens plein panier de flours. On ne doit marchander d'amours, On doit servir a l'aventure; S'ainsi faites par aventure, Des biens d'Amours arez assez, Se vous n'estes d'amer lassez. 65 Je vous vens la feuille de tremble. De paour tout le cuer me tremble, Que pour moy ne soiez blasmée, Ma belle dame trés amée; Et, se vers vous je n'ose aler Pour la doubtance du parler De ceulz qui nous ont encusé, Si m'en tenez pour excusé. 66 Le Saphir vous vens d'Orient. Ce que je vous di en riant; Que mon cuer a vous amer muse, Ne le tenez pour tant a ruse; Car je le vous di tout acertes, Et vous aime plus que rien certes. 67 Flours vous vens de toutes couleurs. Je suis gary de mes douleurs, Quant vous me faittes bonne chiere, Ma gracieuse dame chiere; Mais quant vers moy estes yrée La mort est de moy desirée. 68 Je vous vens le levrier courant. Pour vostre amour me vois morant; Ce pouez vous veoir a l'ueil, Et pitié n'en avez ne dueil. 69 Je vous vens la fleur mipartie. Sommes nous a la departie De noz amours, beau doulz ami? S'il est ainsi ce poise mi, Car je ne l'ay pas desservi; Doulent suis quant oncques vous vi. 70 Je vous vens l'escrinet tout plein. Mon nom y trouverez a plain Et de cil qu'oncques plus amay, Par qui j'ay souffert maint esmay, Se vous y querez proprement; Or regardez mon se je ment. EXPLICIT JEUX A VENDRE. AUTRES BALADES CY COMMENCENT PLUSEURS BALADES DE DIVERS PROPOS I Assez acquiert tresor et seigneurie, Trés noble avoir et grant richece amasse, Qui par bonté, qui nul temps n'est perie, Acquiert honneur, bon renom, loz et grace. Car ou monde n'est chose qui ne passe Fors que bienfait, tout ne vault une miche Autre tresor ne chose que l'en brace; Car qui est bon doit estre appellé riche. Et bonté faitte est haultement merie, Car Dieu le rend, et qui le bien porchace Acquiert honnour, soit en chevalerie Ou aultre estat, qui des bons suit la trace. Loz doit avoir sur tous en toute place Qui es vertus du tout son cuer affiche; Tel tresor a que fortune n'efface; Car qui est bon doit estre appellé riche. Ne l'en ne doit une pomme pourrie Riche mauvais prisier, quoy qu'il embrace, Ne lui louer; car c'est grant desverie De loz donner a mauvais, quoy qu'il face; Mais au vaillant, qui a tout honneur chace, Apartient loz, s'il n'est aver ne chiche, Des biens qu'il a soit large en deue place; Car qui est bon doit estre appellé riche. Princes vaillans et de gentil attrace, Ne souffrez pas vaillantise estre en friche; Poursuivez la, ne vous chaut d'or en masse; Car qui est bon doit estre appellé riche. II [Eloge de Charles d'Albret.] Or est Brutus ressuscité, De qui Bretaigne fu nommée, Et qui de Romme la cité Fu consule, et qui mainte armée Fist en son temps, et tant fu sage, Preux, vaillant et plein de bernage, Qu'a tousjours renom en remaint, Et tant fu après sa mort plaint; Charitable le fist Dieux naistre Si com tous vaillans doivent estre. De cil Brutus est recité Maint hault bien par grant renommée; Les dames en adversité Confortoit, ne par lui blasmée Ne feust de fait ne de langage Femme; ainçois qui feist oultrage Aux dames, par lui fust estaint Le meffait et le bien attaint; Leur champion fut en tout estre, Si com tous vaillans doivent estre. Or l'ensieult par grant charité Charles d'Alebret, qui amée A la voie de verité, Dont ja partout est voix semmée De lui et de son vacelage, Pour dames garder de dommage; Se de tort nulle se complaint, Veult estre, sanz avoir cuer faint, Leur deffension et main destre, Si com tous vaillans doivent estre. Au bon Brutus de hault parage Retrait Charles, car d'un lignage Descendirent, ce scevent maint, C'est des Troyens qui furent craint; Pour ce ensuivant est son ancestre Si com tous vaillans doivent estre. III (A Charles d'Albret.) Bon chevalier, ou tous biens sont compris, Noble, vaillant et de royal lignage, Qui par valeur avez armes empris, Dont vous portez la dame en verde targe Pour demonstrer que de hardi visage Vous vous voulez pour les dames tenir Contre ceulz qui leur porteront dommage, Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir! Dieux et pitié vous ont tout ce apris Et la valeur de vo noble courage, Et certes moult en croistra vostre pris, Et paradis arez a heritage. Car aux dames pluseurs font maint oultrage, C'est aumosne de leur droit maintenir; Si le ferez comme vaillant et sage, Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir! Or ay espoir que ceulx qui ont mespris Vers les dames de fait et de langage Si se rendront comme las et despris; D'or en avant n'aront pas l'avantage, Confus seront par vostre vacellage. A tel baron doit bien apartenir Que des dames soit amé par usage, Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir! Mon redoubté seigneur, soubz vostre hommage, Je vous suppli, me vueilliez retenir, Car les vesves garderez de servage, Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir! IV A vous les chevaliers aux dames, Humble recommendacion De par moy la mendre des femmes, Priant Dieu que l'affection, Qu'avez en bonne entencion De vouloir garder le droit d'elles, Vous doint mettre a perfection Et honneur en toutes querelles. Car le sauvement de voz ames Ferez, et sera mencion A tousjours de voz belles armes; De revenchier l'extorcion Et d'estre la deffension De femmes vesves et pucelles; Si en arez salvacion Et honneur en toutes querelles. Or vient le temps que, les diffames Et la grant murmuracion Que maint dient d'elles, et blasmes, Sanz avoir nulle occasion, Yert par vous a destruction. Si prieront les damoiselles Que Dieux vous doint remission Et honneur en toutes querelles. Priez Dieu par devocion Pour les bons, toutes jovencelles, Qui ont noble condicion Et honneur en toutes querelles. V Les biens mondains et tous leurs accessoires Chascun voit bien qu'ilz sont vains et fallibles, Si sommes folz quant pour les transitoires Choses, laissons les joyes infallibles Que Dieux donne aux innocens paisibles Qui n'ont nul soing de tresor acquerir; Mais pour prisier pou choses corruptibles Avisons nous qu'il nous convient morir. Qu'est il des grans, dont on lit es hystoires, Qui porterent les fais griefz et penibles Pour avoir loz, grans honneurs et vittoires? Ne sont ilz mors et a noz yeulx visibles? Ne veons nous, soient choses sensibles Ou non, faillir toute riens? fault porrir; Si n'ayons foy en choses impossibles, Avisons nous qu'il nous convient morir. Et pour les biens qui ne valent deux poires Pour nous sauver, ains souvent sont nuisibles, Ne perdons Dieu, disans choses non voires, Pour accomplir pechiez laiz et orribles Et pour deliz vains, laiz et non loisibles; Car Dieu scet tout: on ne lui puet couvrir; Pour eschiver ses vengences terribles Avisons nous qu'il nous convient morir. Princes et clers d'entendemens sensibles, Ne vueillons pas par noz meffais perir, A nous sauver soions tous entendibles, Avisons nous qu'il nous convient morir. VI Helas! ou donc trouveront reconfort Pouvres vesves, de leurs biens despoillées, Puis qu'en France qui sieult estre le port De leur salut, et ou les exillées Seulent fouïr et les desconseillées, Mais or n'i ont plus amistié? Les nobles gens n'en ont nulle pitié, Aussi n'ont clers li greigneur ne li mendré, Ne les princes ne les daignent entendre. Des chevaliers n'ont elles nesun port, Par les prelaz ne sont bien conseillées, Ne les juges ne les gardent de tort, Des officiers n'aroient deux maillées De bon respons; des poissans traveillées Sont en maint cas, n'a la moitié Devers les grans n'aroient exploitié Jamais nul jour, alleurs ont a entendre, Ne les princes ne les daignent entendre. Ou pourront mais fuïr, puis que ressort N'ont en France, la ou leur sont baillées Esperences vaines, conseil de mort, Voies d'Enfer leur sont appareillées, S'elles veulent croire voies broullées Et faulz consaulx, ou apointié N'est de leur fait, nul n'ont si acointié Qui leur aide sanz a aucun mal tendre, Ne les princes ne les daignent entendre. Bons et vaillans, or soient esveilliées Voz grans bontez, ou vesves sont taillées D'avoir mains maulz de cuer haitié; Secourez les et croiez mon dittié, Car nul ne voy qui vers elles soit tendre, Ne les princes ne les daignent entendre. VII Se de Pallas me peüsse accointier Joye et tout bien ne me fauldroit jamais; Car par elle je seroie ou sentier De reconfort, et de porter le fais Que Fortune a pour moy trop chargier fais; Mais foible suis pour soustenir Si grant faissel, s'elle ne vient tenir De l'autre part, par son poissant effort Pour moy aidier, Dieu m'i doint avenir, Car de Juno n'ay je nul reconfort. Pallas, Juno, Venus vouldrent plaidier Devant Paris jadis de leurs tors fais, Dont chascune disoit qu'a son cuidier Plus belle estoit, et plus estoit parfais Ses grans pouoirs que de l'autre en tous fais; Sus Paris s'en vouldrent tenir, Qui lors jugia que l'en devoit tenir A plus belle Venus et a plus fort, Si dist: «Dame, vous vueil je detenir, Car de Juno n'ay je nul reconfort.» Pour la pomme d'or lui vint puis aidier Vers Heleine Venus, mors et deffais En fu après; si n'ay d'elle mestier, Mais de joye seroit mon cuer reffais, Se la vaillant Pallas, par qui meffais Sont delaissié et retenir Fait tous les biens, me daignoit retenir Pour sa serve: plus ne devroie au fort Ja desirer pour a grant bien venir, Car de Juno n'ay je nul reconfort. Ces trois poissans deesses maintenir Font le monde, non obstant leur descort; Mais de Pallas me doint Dieux sovenir, Car de Juno n'ay je nul reconfort. VIII Dieux! on se plaint trop durement De ces marys, trop oy mesdire D'eux, et qu'ilz sont communement Jaloux, rechignez et pleins d'yre. Mais ce ne puis je mie dire, Car j'ay mary tout a mon vueil, Bel et bon, et, sanz moy desdire, Il veult trestout quanque je vueil. Il ne veult fors esbatement Et me tance quant je souspire, Et bien lui plaist, s'il ne me ment, Qu'ami aye pour moy deduire, S'aultre que lui je vueil eslire; De riens que je face il n'a dueil, Tout lui plaist, sanz moy contredire, Il veult trestout quanque je vueil. Si doy bien vivre liement; Car tel mary me doit souffire Qui en tout mon gouvernement Nulle riens ne treuve a redire, Et quant vers mon ami me tire Et je lui monstre bel accueil, Mon mary s'en rit, le doulz sire, Il veult trestout quanque je vueil. Dieu le me sauve, s'il n'empire, Ce mary: il n'a nul pareil, Car chanter, dancier vueil' ou rire, Il veult trestout quanque je vueil. IX Or sus, or sus, pensez de bien amer, Vrais amoureux, et joye maintenir Ce moys de may, et vuidiez tout amer De voz doulz cuers, ne lui vueilliez tenir, Soiez joyeux et liez sanz retenir Nul fel penser, car resjouïr se doit Tout vray amant par plaisant souvenir; Amours le veult et la saison le doit. Or y parra qui sçara reclamer Amours a droit pour a grant bien venir, Faire beaulz ditz, soy pour amours armer, Et ces beaulz cops a jouste soustenir, Et le bon vueil sa dame retenir, Tost obeïr, s'elle lui commandoit. C'est le devoir, qui bon veult devenir; Amours le veult et la saison le doit. Si vous vueilliez es doulz biens affermer Qui a tous bons doivent apertenir, Rire, jouer, chanter, nul ne blasmer, Et tristece toute de vous banir, Vestir de vert pour joye parfurnir, A feste aler se dame le mandoit, Vous tenir liez quoy qu'il doie avenir; Amours le veult et la saison le doit. Vrais fins amans, pour a joie avenir Soiez jolis, car esperer on doit En ce doulz temps a tout bien parvenir; Amours le veult et la saison le doit. X Trés humblement, dames et damoiselles, Me recommand a vostre gentillece, Et de par moy sachiez, bonnes et belles, Qu'Amours a fait crier de sa richece Ce jour de May joye, et a grant largece Roses et flours qu'yvers chieres vendoit, Et que voz cuers vous teniez sanz tristece, Amours le veult et la saison le doit. Et doulz Deduit anonce ces nouvelles, Et qu'il n'y ait nulle si grant maistresse Qui a l'amant reffuse ses querelles, Voire en honneur et en toute noblece, Sanz que renom ne loiaulté on blece, Car tort aroit se plus en demandoit; Mais qu'ottroiez bel accueil en simplece, Amours le veult et la saison le doit. Et si commande aux jeunetes pucelles Chapiaulx de flours dessus la blonde trece, Jouer, dancer en prez sus fontenelles Simpletement, de maintien en humblece; Rire, chanter, fuïr dueil et destrece; Car jeune cuer, se leece perdoit, Il seroit mort, si l'aiez sanz parece, Amours le veult et la saison le doit. Belles plaisans dames de grant hautece, Je vi Deduit qui grant oudeur rendoit Et haultement crioit: «Aiez leesce! Amours le veult et la saison le doit.» XI Haulte, poissant, trés louée Princece, Bonne et belle, vaillant de tous nommée, Pleine de sens, d'onneur et de noblece, Et en maint lieux redoubtée et amée, Par le monde trés excellant clamée, Et parfaitte toute de corps et d'ame, On ne pourroit vostre grant renommée Assez louer, ma redoubtée dame. Acomparer a Pallas la deesse, Et a Juno qui tant est reclamée, Certes vous puis, pour vostre grant sagece; Et pour la trés riche honneur affermée Ou vous estes, ne jamais extimée Vostre valeur ne pourroit estre de ame N'escripture, fust en prose ou rimée, Assez louer, ma redoubtée dame. Semiramis ressemblez de largece Qui fu si preux et tant est reclamée, Et de purté la trés belle Lucrece, La rommaine de grant constance armée, De loyaulté Hester la non blasmée. En touz estaz, plus que nulle autre femme, On ne vous puet, tant estes bien formée, Assez louer, ma redoubtée dame. Trés excellent en grace confermée, De vous partout cuert si trés noble fame Qu'on ne vous puet, c'est bien chose informée, Assez louer, ma redoubtée dame. XII Priez, dames et damoiselles, Pour les bons chevaliers vaillans Qui, pour soustenir voz querelles, Mettent leurs corps et leurs vaillans: Que ja Dieu ne leur soit faillans, Ains leur doint honneur et victoire Encontre tous leur assaillans, Si qu'a tousjours en soit memoire. Qui l'escu vert aux dames belles Portent sanz estre deffaillans, Pour demonstrer que l'onneur d'elles Veulent, aux espées taillans, Garder contre leur mauvueillans. Si devez prier Dieu de gloire Que priz et loz soient cueillans, Si qu'a tousjours en soit memoire. Du bon Torsay bonnes nouvelles Avons, com preux et traveillans Les armes Obissecourt, celles Facent joye a ses bienvueillans; Castelbayart qui est veillans A poursuivre armes, chose est voire, A honneur en soit hors saillans, Si qu'a tousjours en soit memoire. Or priez Dieu a yeulx moillans, Qu'on die d'eulx si bonne hystoire, Que chascun en soit merveillans, Si qu'a tousjours en soit memoire. XIII Gentilz amans, faittes ce jugement, Et, je vous pry, jugiez selon le voir: Une dame retient entierement Un pour ami, cuidant en lui avoir Loial amant qui face son devoir D'elle servir, ainsi qu'il apertient; Ce lui promet quant elle le retient, Mais tost après le contraire aperçoit. S'un aultre aime, qui d'elle près se tient, Vous semble il que ce fausseté soit? Quant le premier la voit negligemment, Et si la puet assez souvent veoir, Et par pluseurs foiz moult piteusement Celle lui dist que moult a le cuer noir, Dont elle voit lui en si pou chaloir; Mais riens n'y vault, trop pou de compte en tient Et fierement vers elle se maintient, Dont s'un autre qui mieulx l'aime reçoipt Quant elle voit qu'a cil si pou en tient, Vous semble il que ce fausseté soit? Et encor pis, car il dit plainement Present elle, qu'il n'est pour nul avoir Que il voulsist en femme nullement Mettre son cuer pour peine en recepvoir, Selon le dit peut le fait apparoir Qu'il ne l'aime, ne lui en souvient, Et un autre vers elle se contient Si loiaument, quelque l'escondit soit, Qu'elle voit bien qu'il l'aime, si s'i tient, Vous semble il que ce fausseté soit? Amans, jugiez, quant un tel cas avient, Se avoir doit congié, se il revient, L'amant premier qui la dame deçoipt, Se par faulte de luy aultre y avient, Vous semble il que ce fausseté soit? XIV Viegne Pallas, la deesse honnourable, Moy conforter en ma dure destresce, Ou mon anui et peine intollerable Mettront a fin ma vie en grant asprece. Car Fortune me cuert sure Qui tout mon bien destruit, rompt et deveure, Et pou d'espoir me destraint jour et nuit; Juno me het et meseür me nuit. Ne je ne truis nul confort secourable A mon meschief, ainçois quant je me drece Vers quelque part ou voye reparable Deusse trouver, tout le rebours m'adrece, Et en vain peine et labeure; Car Fortune despece tout en l'eure Quanque j'ay fait, ou me plaise ou m'anuit; Juno me het et meseür me nuit. Et pour ce pri la haulte venerable Fille de Dieu, Pallas qui tous radrece Les desvoiez, qu'elle soit apparable En mes pensers, comme vraie maistrece Me dottrine et me secueure; Diane soit avec elle a toute heure, Car de long temps me commence, yer n'anuit Juno me het et meseür me nuit. Princes, ains que mort m'acueure, Priez Pallas que pour mon bien accueure; Car en tous cas, ou que j'aye reduit, Juno me het et meseür me nuit. XV Mon cher Seigneur, vueilliez avoir pitié Du povre estat de vostre bonne amie, Qui ne treuve nulle part amistié. Pour Dieu mercy, si ne l'oubliez mie, Et souvenir Il vous vueille de son fait, ou venir Lui convendra a pouvreté obscure, Se Dieu et vous ne la prenez en cure. Ne peut avoir, tant ait nul acointié, Son las d'argent: charité endormie Treuve en chascun, dont tout ne la moitié N'en puet avoir, Fortune est s'anemie Qui survenir Lui fait maint mal, si ne puet soustenir Son povre estat ou elle met grant cure Se Dieu et vous ne la prenez en cure. Si vous plaise que par vous esploistié Soit de son fait, car ja plus que demie Est cheoite au bas, dont a cuer dehaitié Souventes fois et de soussi blesmie, Dont si tenir A memoire vueilliez et retenir Son fait qu'a chief en soit ou trop endure Se Dieu et vous ne la prenez en cure. Tost avenir Puisse par vous et son fait parfurnir, Mon chier Seigneur, car trop a peine dure Se Dieu et vous ne la prenez en cure. XVI (A Charles d'Albret, connétable de France.) Noble vaillant, chevalier de grant pris, Mon cher seigneur, de France connestable, En qui prouesse et tous biens sont compris, De Dieu amé et au monde agreable, Loyal en foy, baron trés honnorable, Je pri a Dieu et a la Vierge belle Qu'il vous octroit joye et bien permanable Ce premier jour que l'an se renouvelle. Par bon renom qui queurt en tout pourpris De vous, seigneur, de constance inmuable Le mien cuer est de grant desir espris De faire a vous plaisir, se si solvable Estoie que de vous feust acceptable, Mon chier seigneur, comme de vostre ancelle, Si l'ait a gré vo bon cuer charitable Ce premier jour que l'an se renouvelle. Humble seigneur, si n'aiez en despris Mon bon vouloir, tout soit il pou valable Et pardonner me vueilliez se mespris D'escrire a vous, personne si notable, Je ay, moy femme ignorant non savable, Mais voulentiers je diroye nouvelle Qui resjouïst vo bon cuer amiable Ce premier jour que l'an se renouvelle. Mon cher Seigneur puissant et redoutable, Prenez en gré ma balade nouvelle, Que Dieux vous doint tout soulaz delitable Ce premier jour que l'an se renouvelle. XVII Jadis Circes l'enchanteresse Fist chevaliers devenir porcs; Mais Ulixes par sa sagece De ce meschief les gitta hors. Mais je ne sçay se c'est droit sors D'aucunes gens, dont j'ay grant yre, Qui sont plus que pors vilz et ors, N'on n'en pourroit assez mesdire. Grans vanteurs sont et sanz proece, Mais trés bien parez par dehors, Orgueilleux pour leur gentillece, Et tiennent bien aise leurs corps; Mais en eulx a maint mal remors, Et combien qu'on ne l'ose dire A bien faire n'ont pas amors, N'on n'en pourroit assez mesdire. Il n'est nulle si grant maistrece, Ne femme autre, soit droit ou tors, Que leur fausse lengue ne blece Leur bon renom; aise sont lors Quant ilz en font mauvais rapors, Qui s'i vouldra mirer s'y mire, Mais mieulx que vifs vaulsissent mors, N'on n'en pourroit assez mesdire. Je ne mesdi de nullui, fors D'aucuns qui sont de Judas pire Et sont de tous mauvais accors, N'on n'en pourroit assez mesdire. XVIII (A la reine Isabelle de Bavière.) Haulte, excellent Roÿne couronnée De France, trés redoubtée princece, Dame poissant et de bonne heure née, A qui honneur et vaillance s'adrece, Des princeces souveraine maistresse, Je pri cil Dieu, qui ne fault a nulle ame, Qu'il vous envoit de toute joye adrece, Ce jour de l'an, ma redoubtée dame. Boneur, bon temps, trés agreable année, Vray reconfort de ce que plus vous blece, Plaisir, soulas, vous doint ceste journée Et les autres plus en plus vous eslece, Toudis accroisse et garde vo haultece, Vostre valeur et vo trés noble faame, Et vous envoit joye qui ja ne cesse, Ce jour de l'an, ma redoubtée dame. Mais je suppli, haulte bien ordennée, Ma excellent redoubtée, ou humblece Fait son manoir, que mercy soit donnée A moy se je mesprens par ma simplece D'escripre a vous, ou tant a de noblece; Digne n'en suis, si n'en aye nul blasme, Car grant desir de vous servir m'i drece, Ce jour de l'an, ma redoubtée dame. Ma balade pregne en gré vo sagece, Si suis vostre creature par m'ame Qui volentiers vous donroie leece, Ce jour de l'an, ma redoubtée dame. XIX (A Louis de France, duc d'Orléans.) De tous honneurs et de toutes querelles, De tout boneur et de bonne aventure, De tous plaisirs, de toutes choses belles, Et de cellui qui creé a nature, De quanque ou ciel et en terre a mesure, Et de tout ce plus propre a homme né, Mon redoubté seigneur plein de droiture, Ce jour de l'an vous soiez estrené. Trés noble duc d'Orliens, de nouvelles A vo souhaid et d'amour vraie et pure, De ris, de jeux et de notes nouvelles Resjouÿssanz, d'union sanz murmure Et de tout ce de quoy tous bons ont cure, De tout le bien qu'en corps bien ordenné Il doit avoir, de pais qui tousjours dure Ce jour de l'an vous soiez estrené. De tous nobles, de dames, de pucelles Et de chascun par communal jointure Amé soiez, et de ceulz et de celles Qu'oient parler, de bouche ou escripture, De vous, prince de roiale faitture, De leur salut loiaulz en tout regné Et de leur loz sanz fausse couverture Ce jour de l'an vous soiez estrené. Prince excellent ou il n'a desmesure, De ce livret qu'ay fait mal ordené, De par moy, vo trés humble creature, Ce jour de l'an vous soiez estrené. XX (A Marie de Berry, comtesse de Montpensier.) Bon jour, bon an, bon mois, bonne novelle, Ce premier jour de la present année Vous envoit Dieux, ma chiere damoiselle De Monpensier, si soiés estrenée De toute joye. A vo souhaid Dieux pri qu'il vous envoie Tous voz plaisirs, tout gracieux revel, Quanque vouldriez vous consente et ottroie Ce plaisant jour premier de l'an nouvel. Et ma trés chiere et redoubtée, et celle Que je desir autant com dame née Servir, louer, et que chascun appelle De grant bonté et beaulté affinée, En plaisant joye Vo noble cuer Dieux permaine et convoie Ou jolis temps dont vient le renouvel, Et a present a tout bien vous avoie Ce plaisant jour premier de l'an nouvel. Noble, plaisant, trés gracieuse et belle, Bonne, vaillant, sage, bien aournée, Prenez en gré ma balade nouvelle Que j'ay faitte pour vous ceste journée, Car ou que soie Vostre je suis et obeïr vouldroie, Amer, cherir vo gracieux corps bel. Si vous doint Dieux quanque pour moy voldroie Ce plaisant jour premier de l'an nouvel. Du petit don, pour Dieu, ne vous anoie, Car bon vouloir mieulx que fermail n'anel Vault moult souvent; voulentiers plus feroie Ce plaisant jour premier de l'an nouvel. XXI (Christine fait hommage à Charles d'Albret de son poème «Du Débat de deux Amans.») Bon jour, bon an et quanqu'il puet souffire De bien, d'onneur et de parfaitte joye, Mon redoubté seigneur, d'Alebret sire, Charles poissant, pri Dieu qu'il vous envoie Ce jour de l'an qui maint bon cuer resjoie, Et vous presente Cestui livret, que j'ay fait par entente, Ou est escript et la joye et la peine Qu'ont ceulz qu'Amours met d'amer en la sente, Si le vueilliez recepvoir pour estreine. Et s'il vous plaist a l'ouïr ou le lire, De deux Amans orrez qu'Amours maistroie Si a entr'eulx debat; car l'un veult dire Qu'Amours griefve trop plus qu'elle n'esjoie, L'autre dit non et que plus bien envoie, E a l'atente De jugement, lequel a mieudre entente Se soubzmettent et a sentence pleine; Cest nouvel cas a journée presente, Si le vueilliez recepvoir pour estreine. Et non obstant qu'ayent voulu eslire Mon seigneur d'Orliens que leur fait voie Et juge en soit, ne vueilliez escondire Leur bon desir, car chascun d'eulx vous proye Trés humblement, s'il vous plaist toutevoie, Et se guermente Que vous dissiez vostre avis: se dolente Vie est qu'amer ou trés joieuse et saine, Et le livret le fait vous represente, Si le vueilliez recepvoir pour estreine. Mon redoubté seigneur, des meilleurs trente Me reçoivent a vo bonté haultaine, Cui mon service ottroy sanz estre lente, Si le vueilliez recepvoir pour estreine. XXII (Christine recommande son fils aîné au duc d'Orléans.) Trés noble, hault, poissant, plein de sagesse, D'Orliens duc Loys trés redoubtable, Mon redoubté seigneur, en grant humblece Me recommand a vous, prince notable, En desirant faire chose agreable A vous, vaillant seigneur de haute emprise, Et si vous viens donner d'amour esprise La riens qui soit que doy plus chier avoir Et soubzmettre du tout a vo franchise, Si le vueilliez, noble duc, recevoir. C'est un mien filz, lequel de sa jonnece A bon vouloir d'estre en son temps valable Et desir a selon sa petitece De vous servir, s'il vous est acceptable; Pour ce suppli, vaillant prince amiable, Qu'il vous plaise le prendre a vo servise. Don vous en fais, et tout a vo devise Faire de lui vueilliez, car bon vouloir De vous servir a de cuer en craintise; Si le vueilliez, noble duc, recevoir. Ja trois ans a que pour sa grant prouesse L'en amena le conte trés louable De Salsbery, qui moru a destrece Ou mal païs d'Angleterre, ou muable Y sont la gent; depuis lors, n'est pas fable, Y a esté, si ay tel peine mise Que je le ray non obstant qu'a sa guise L'avoit Henry qui de la se dit hoir, Or vous en fais je don de foy aprise, Si le vueilliez, noble duc, recevoir. Prince excellent que chascun loue et prise, Du requerir je ne soye reprise N'escondite, car de tel qu'ay savoir Mon service vous ottroy sanz faintise, Si le vueilliez, noble duc, recevoir. XXIII S'il est ainsi que de vous soye amée Si loiaument comme je vous oy dire Et que vo cuer d'amour trés affermée M'aime si fort et ne veult ne desire Fors moy sanz plus, je vous suppli, beau sire, Sanz telz semblans ne telz ditz recorder Pour m'asseurer qu'ailleurs vo cuer ne tire, Faittes voz faiz a voz ditz accorder. Car les amans si male renommée Ont a present, non obstant qu'on souspire Et que mainte dame soit d'eulx clamée Dame et amour, que le meilleur ou pire On ne cognoist, tant y a a redire En leurs faulz cuers, s'ay je ouÿ recorder Et pour ce a fin qu'il me doye souffire Faittes voz faiz a voz ditz accorder. Et se je vueil estre bien informée Ains qu'a ami du tout vous vueille eslire J'ay bien raison, n'en doy estre blasmée; Car son renom dame trop fort empire Qui a croire legierememt se tire, Si demonstrez qu'en riens a moy frauder Vous ne taschiez, et pour ne m'en desdire Faittes voz faiz a voz ditz accorder. Se vous m'amez n'en aiez ne dueil n'yre, Bien le sçaray, sanz longuement tarder; Pour esprouver le vray sanz contredire Faittes voz faiz a voz ditz accorder. XXIV Doulce dame que j'aim plus et desire Qu'oncques n'amay nulle autre dame née Partir me fault de vous, dont je souspire, Ne bien n'aray jusqu'a la retournée, Car a vous ay toute m'amour donnée; Ne je ne pense a autre riens nulle heure; Mais s'a present m'en vois, trés belle née, Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure. Et loings de vous vivray en grief martyre, Ne ma doulour ne sera ja finée Jusqu'au retour, car riens ne puet souffire A mon vray cuer, n'avoir bonne journée Se ne vous voy; soiez acertenée, Belle plaisant pour qui mon penser pleure, Ou que je voise, et y fusse une année, Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure. Si ne vueilliez nul autre ami eslire Ne m'oublier, car soir ne matinée, Ne heure du jour, vo beauté ou me mire Et vo doulceur parfaitte et affinée N'oblieray, si ne soit ja finée L'amour de nous, quel que soit la demeure; De vous me pars, belle et bien atournée, Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure. Je prens congié celle a qui j'ay donnée Toute m'amour; de cuer plus noir que meure Vous di a Dieu, ma joye enterinée, Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure. XXV Or soiez liez, jolis et envoisiez, Vrais fins amans, puis que May est venu, Voz gentilz cuers gaiement esleesciez; Ne soit de vous nul anuy retenu, Ains soit soulas doulcement maintenu, Quant vous voyez resjoïr toutes choses Et qu'en saison sont adès et en cours Chapiaulx jolis, violetes et roses, Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours. Voiez ces champs et ces arbres proisiez, Et ces beaulz prez qui sont vert devenu, Ces oisillons qui tant sont renvoisiez Que par eulx est tout doulz glai soustenu; Tout se revest; il n'y a arbre nu; Voiez ces fleurs espanies et closes, Dont bien devez avoir pour les odours Chapiaulx jolis, violetes et roses, Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours. De doulz pensers voz gentilz cuers aisiez, Chantez, dancez pour estre retenu Avec deduit par qui sont acoisiez Tous desplaisirs, et souvent et menu Riez, jouez, soit bon temps detenu, Amours le veult, pour ce nous a descloses; Voiez, plaisans, si aiez tous les jours Chapiaulx jolis, violetes et roses, Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours. Princes d'amours ou bontez sont encloses, Ce moys de May portez les doulces flours, Chapiaulx jolis, violetes et roses, Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours. XXVI Doulce chose est que mariage, Je le puis bien par moy prouver, Voire a qui mary bon et sage A, comme Dieu m'a fait trouver. Louez en soit il qui sauver Le me vueille, car son grant bien De fait je puis bien esprouver, Et certes le doulz m'aime bien. La premiere nuit du mariage Très lors poz je bien esprouver Son grant bien, car oncques oultrage Ne me fist, dont me deust grever, Mais, ains qu'il fust temps de lever, Cent fois baisa, si com je tien, Sanz villennie autre rouver, Et certes le doulz m'aime bien. Et disoit, par si doulz langage; «Dieux m'a fait a vous arriver, Doulce amie, et pour vostre usage Je croy qu'il me fist eslever.» Ainsi ne fina de resver Toute nuit en si fait maintien Sanz autrement soy desriver, Et certes le doulz m'aime bien. Princes, d'amours me fait desver Quant il me dit qu'il est tout mien; De doulçour me fera crever, Et certes le doulz m'aime bien. XXVII Des trés bonnes celle qui vault le mieux, Assouvie sur toute damoiselle, Non pareille, telle vous fourma Dieux, Pleine de sens, de haulte honneur et belle, Toutes passez A mon avis, et croy que vous pensez Toudis comment vous soiez exemplaire De toute honneur qui tant en amassez, Et ce vous fait a tout le monde plaire. Redoubtée princece, ou biens sont tieulx Que un chascun parfaitte vous appelle, De qui servir mon cuer est envieux, Plus qu'autre riens, certes vous estes celle Qui enlascez Mon cuer en vous, sanz ja estre lassez, Mais se pou vail, ne vous vueille desplaire, Car vous valez pour un royaume assez, Et ce vous fait a tout le monde plaire. Doulce, plaisant, corps gent et gracieux, Flun de doulçour, blanche com noif novele, Le doulz regart de voz amoureux yeulz Livre a mon cuer l'amoureuse estincelle, Dont embrasez Il est d'amer et toudis a pensez De vous servir, n'en demande salaire Fors le regart que doulcement lancez, Et ce vous fait a tout le monde plaire. Trés belle, en qui tous maulz sont effacez, Je ne desir fors vo doulz plaisir faire; Car tous les biens sont en vous entassez, Et ce vous fait a tout le monde plaire. XXVIII Or soiez liez, joyeux et envoisiez; Tous amoureuz, puis que May est venu. De tous voz deulz ores vous aquoisiez; Chantez, jouez trestuit, grant et menu, Et querez voye De joye avoir, et chascun se pourvoye De reconfort et entroublie esmay; Car Amours veult qu'un chascun se cointoye En ce jolis plaisant doulz moys de May. Voyez ces champs et ces arbres proisiez, Et ces beaulx prez qui sont vers devenu, Ces oisillons qui tant sont renvoisiez Que par eulz est tout doulx glay maintenu, Or menez joye, Et vous dames aussi, Amours l'octroye, Soyez liez; car s'oncques je n'amay Si vueil je amer chose qui me resjoye En ce jolis plaisant doulz moys de May. Chapiaux de flours aux amans pourchaciez, Dames d'onnour, et s'avez retenu Aucun amy tant de bien lui faciez Que du doulz May lui soit mieux avenu; Mais toutevoye N'octroyez rien dont blasmer on vous doye, Se m'en croyez, mais oncques ne blasmay Que l'en n'amast par gracieuse voye En ce jolis plaisant doulz moys de May. Dames, amans, chascun de vous s'avoye De liement aler cueillir le may Ce joli jour, et tout annuy renoye En ce jolis plaisant doulz moys de May. XXIX (Au duc d'Orléans, sur le combat de sept Français contre sept Anglais.) [19 mai2.] Prince honnoré, duc d'Orliens, louable, Bien vous devez en hault penser deduire Et louer Dieu et sa grace amiable Qui si vous veult en tout honneur conduire Que le renom par le monde fait luire De vostre court remplie de noblece Qui resplendit comme chose florie En noble loz, et adès est radrece De hault honneur et de chevalerie. Or ont acreu le loz li sept notable Bon chevalier que vaillance a fait duire Si qu'a grant loz et victoire honnorable Ont desconfit les sept Anglois, qui nuire Aux bons François cuident et les destruire; Mais le seigneur du Chastel, ou proece Fait son reduit et la bachelerie, Bataille, ont mis Anglois hors l'adrece De hault honneur et de chevalerie. Et Kerhoïs le breton secourable Qui mains grans biens fera ainçois qu'il muire, Et Barbasan et Champaigne amiable, Et Archambaut qui fait son renom bruire, Le bon Glignet de Breban qui aduire En armes veult son corps et sa jeunece; Par ces sept bons est la gloire perie De noz nuisans qui perdent la haultece De hault honneur et de chevalerie. Prince poissant, honnourez a leece Les bons vaillans ou valeur n'est perie, Car vous arez par eulx toute largece De hault honneur et de chevalerie. XXX (Sur le combat des sept chevaliers français et des sept chevaliers anglais.) [19 mai2.] Haultes dames, honnourez grandement Et vous toutes damoiselles et femmes Les sept vaillans qui ont fait tellement Qu'a tousjours mais sera nom de leurs armes. Nez quant les corps seront dessoubz les lames, Remaindra loz de leur fait en memoire En grant honneur au royaume de France; Si qu'a tousjours, en mainte belle hystoire, Sera retrait de leur haulte vaillance. Et, comme on sieult faire ancienement Aux bons vaillans chevalereux et fermes, Couronnez lez de lorier liement, Car c'est li drois de Vittoire et li termes. Bien leur affiert le lorier et les palmes De tout honneur, en signe de Vittoire, Quant ont occis et mené a oultrance L'orgueil anglois, dont, com chose notoire, Sera retrait de leur haulte vaillance. Et tant s'i sont porté tuit vaillamment Que l'en doit bien leurs noms mettre en beaulx termes, Au bon seigneur du Chastel grandement Lui affiert loz, a Bataille non blasmes, Bien fu aisié Barbasan en ses armes, Champaigne aussi en doit avoir grant gloire Et Archambault, Clignet de grant constance, Keralouÿs, de ceulz, ce devons croire, Sera retrait de leur haulte vaillance. Princeces trés haultes, aiez memoire Des bons vaillans qui, par longue souffrance, Ont tant acquis qu'en maint lieux, chose est voire, Sera retrait de leur haulte vaillance. XXXI (Même sujet.) Bien viegnez bons, bien viegniez renommez, Bien viegniez vous chevaliers de grant pris, Bien viegniez preux et de chascun clamez Vaillans et fors et aux armes apris; Estre appellez devez en tout pourpris Chevalereux, trés vertueux et fermes, Durs a travail pour grans cops ramener, Fors et eslus, et pour voz belles armes On vous doit bien de lorier couronner. Vous, bon seigneur du Chastel, qui amez Estes de ceulz qui ont tout bien empris; Vous, Bataille, vaillant et affermez; Et Barbasan, en qui n'a nul mespris; Champaigne, aussi de grant vaillance espris; Et Archambault; Clignet aux belles armes; Keralouÿs; vous tous sept, pour donner Exemple aux bons et grant joye a voz dames, On vous doit bien de lorier couronner. Or avez vous noz nuisans diffamez, Louez soit Dieux qui de si grans perilz Vous a gittez, tant vous a enamez Que vous avez desconfiz, mors et pris Les sept Anglois de grant orgueil surpris, Dont loz avez et d'ommes et de femmes; Et puis que Dieux a joye retourner Victorieux vous fait ou corps les ames, On vous doit bien de lorier couronner. Jadis les bons on couronnoit de palmes Et de lorier en signe de regner; En hault honneur et, pour suivre ces termes, On vous doit bien de lorier couronner. XXXII Quant je voy ces amoureux Tant de si doulz semblans faire L'un a l'autre, et savoureux Et doulz regars entretraire, Doulcement rire, et eulx traire A part, et les tours qu'ilz font, A pou que mon cuer ne font! Car lors me souvient, pour eulx, De cil, dont ne puis retraire Mon cuer qui est desireux Que ainsi le peusse attraire; Mais le doulz et debonnaire Est loings, dont en dueil parfont A pou que mon cuer ne font! Ainsi sera langoreux Mon cuer en ce grief contraire, Plein de pensers doloureux Jusques par deça repaire Cil qu'amours me fait tant plaire; Mais du mal qui me confont A pou que mon cuer ne font! Princes, je ne me puis taire, Quant je voy gent paire a paire Qui de joye se reffont, A pou que mon cuer ne font! XXXIII (Au Sénéchal de Hainaut.2.) Seneschal vaillant et sage De Hainault, plein de valour, Chevalier ou vacellage Et prouece fait demour, Finerez vous jamais jour Par mainte terre lontaine D'entreprendre armes et peine? Veult donc vo noble corage Vo beau corps mettre a doulour En peril de mort sauvage, Pour tousdis porsuivre honnour? Est vo vueil que sanz sejour Ainsi vo vie se peine D'entreprendre armes et peine? Vous ne plaignez le domage Dont il s'ensuivroit maint plour Se Fortune et son oultrage Vous jouoit de son faulx tour. Dieux vous en gard, qui tousjour A victoire vous amaine, D'entreprendre armes et peine. Mais je croy qu'en grant cremour Mettez celle, qui s'amour A du tout en vo demaine, D'entreprendre armes et peine. XXXIV Trés belle, je n'ose dire La doulour et la pointure Dont Amours mon cuer martire Pour vostre gente figure; Mais du grief mal que j'endure Apercevoir Vueillez le voir. Car tant doubte l'escondire Que la doulour que j'endure Je n'ose dire n'escripre; Mais, sanz en faire murmure, De ma grief doulour obscure Apercevoir Vueillez le voir. Et vous plaise estre le mire De mon mal, car je vous jure Que vostre, sans contredire, Suis et seray, c'est droiture, Et se vous aim d'amour pure Apercevoir Vueillez le voir. Si ne soiez vers moy dure, Ains de ma pesance sure Apercevoir Vueillez le voir. XXXV Ha! le plus doulz qui jamais soit formé! Le plus plaisant qu'oncques nulle acointast! Le plus parfait pour estre bon clamé! Le mieulz amé qu'oncques mais femme amast! De mon vray cuer le savoreux repast! Tout quanque j'aim, mon savoreux desir! Mon seul amé, mon paradis en terre Et de mes yeulz le trés parfait plaisir! Vostre doulceur me meine dure guerre. Vostre doulceur voirement entammé A le mien cuer, qui jamais ne pensast Estre en ce point, mais si l'a enflammé Ardent desir qu'en vie ne durast Se doulz penser ne le reconfortast; Mais souvenir vient avec lui gésir, Lors en pensant vous embrace et vous serre, Mais quant ne puis le doulz baisier saisir Vostre doulceur me meine dure guerre. Mon doulz ami de tout mon cuer amé, Il n'est penser qui de mon cuer gitast Le doulz regard que voz yeulz enfermé Ont dedens lui; riens n'est qui l'en ostast, Ne le parler et le gracieux tast Des doulces mains qui, sanz lait desplaisir, Vueillent partout encerchier et enquerre, Mais quant ne puis de mes yeulz vous choisir Vostre doulceur me meine dure guerre. Trés bel et bon, qui mon cuer vient saisir, Ne m'oubliez, ce vous vueil je requerre; Car, quant veoir ne vous puis a loisir, Vostre doulceur me meine dure guerre. XXXVI (A la reine Isabelle de Bavière.) Redoubtée, excellent, trés sage et digne, Noble, vaillant, de hault honneur porprise, Renommée Roÿne trés benigne, La souvraine des dames que l'en prise, Je pri cil Dieu, qui sur tout a maistrise, Qui a ce jour de l'an si bonne estraine Il vous en voit qu'adès en vous esprise Soit, sanz cesser, toute joye mondaine. Ma redoubtée, ou tout le monde encline, Pour ce que sçay que, comme bien aprise, Livres amez, moy vostre serve indigne Vous envoie cestui ou est comprise Matière qu'ay en haulte place prise; En gré l'aiez, trés noble et de sens pleine, En qui tousjours, sanz ja estre desprise, Soit, sanz cesser, toute joye mondaine. Et s'il vous plaist, trés poissant, vraie et fine. Que vostre grant haultece un petit lise En mon dittié, et vo sens determine De la cause qui est en termes mise. Mieulx en vauldra en tout cas mon emprise, Si en jugiez, princepce trés hautaine, A qui Dieux doint grace qu'en toute guise Soit, sanz cesser, toute joye mondaine. Haulte, poissant et pleine de franchise, Trés humblement a vo valeur certaine Me recomand en qui trouvée et quise Soit, sanz cesser, toute joye mondaine. RONDEL Mon chier seigneur, soiez de ma partie Assaille m'ont a grant guerre desclose Lez aliez du Romans de la Rose Pour ce qu'a eulx je ne suis convertie. Bataille m'ont si cruelle bastie Que bien cuident m'avoir ja presqu'enclose, Mon chier seigneur, soiez de ma partie. Pour leur assaulz ne seray alentie De mon propos, mais c'est commune chose Que l'en cuert sus a qui droit deffendre ose; Mais se je suis de sens pou avertie, Mon chier seigneur, soiez de ma partie. XXXVII Jadis avoit en la cité d'Athenes Fleur d'estude de clergie souvraine; Mais, non obstant les sentences certaines De leur grant sens, une erreur trop vilaine Les decepvoit, car pluseurs divers dieux Aouroient, dont aucuns pour leur mieulx Y preschierent qu'ilz devoient savoir Qu'il n'est qu'un Dieu, mais mal en prist a cieux; On est souvent batu pour dire voir. Aristote le trés sage, aux haultaines Sciences prompt, d'ycelle cité, pleine De tel erreur, fu fuitis; maintes peines Il en souffri Socrates qui fontaine De sens estoit; fu chaciez de cil lieux Pluseurs autres occis des envieulx Pour verité dire, et apercevoir Peut bien chascun que partout soubz les cieulx On est souvent batu pour dire voir. Se ainsi va des sentences mondaines; Pour ce le di que pluseurs ont ataine Sur moy, pour tant que paroles trés vaines, Deshonnestes et diffame incertaine, Reprendre osay, en jeunes et en vieulx, Et le Romant, plaisant aux curieux, De la Rose, que l'en devroit ardoir! Mais pour ce mot maint me sauldroit aux yeux On est souvent batu pour dire voir. Princes, certes, voir dire est anyeux Aux mençongeurs qui veulent decevoir, Pour ce au pere voit on mentir le fieulx: On est souvent batu pour dire voir. XXXVIII (Sur la Cour du Duc Philippe de Bourgogne,3) Gentillece qui les vaillans cuers duit De courtoisie fait sa messagiere Qui ses rapors trés gracieux conduit Et toute gent reçoit a lie chiere; Si voit on bien resplendir sa lumiere En une court de France solennée, De prince hault tellement gouvernée Que personne n'y a qui toute aduite Ne soit d'honneur, dont, chose est certenée, Selon seigneur voit on maignée duite. Le trés hault duc filz de roy, qui est vuit De tout orgueil et qui sagece a chiere, Philippe bon des Bourguignons reduit Et les Flamens touz a soubz sa baniere, En est le chief, en qui prudence entiere Maint, si qu'il n'a o lui personne née, Qui en touz cas ne soit si ordonnée Qu'on peut dire de sa trés plaisant suite, Tant noblement est et bien dottrinée, Selon seigneur voit on maignée duite. Bel fait veoir celle court qui reluit De nobles gens en fait et en maniere Si beaulz, si gens, si courtois, que deduit Est du veoir; et sanz maniere fiere, Si gracieux que c'est joye plainiere; Et aux armes nulz meilleurs de l'année On ne verra en champ ne a journée, Mais, s'ilz sont bons et hardis et sanz fuitte, C'est bien raison par coustume affermée Selon seigneur voit on maignée duite. Prince excellent, se bien moriginée Est vostre court par noblece conduitte, Le proverbe dit, c'est chose infourmée: Selon seigneur voit on maignée duite. XXXIX Fleur des meilleurs, haulte honnourée dame De tout mon cuer trés amée et cherie, Bonne, saige, trés parfaitte et sans blasme, Helas! vueillez que par vous soit garie Ma dure paine, Appercevoir vueillez que je me paine De vous servir, ne je n'ay autre envie, Car je vous ay retenue a ma vie. Et de pieça me tient, car corps et ame, Pensée, amour soubz vostre seigneurie Trés mon enffance y mis ne depuis ame Ne l'en osta, ne n'en sera garie, Chose est certaine, Ja ma douleur, fors par vous qui fontaine Estes, dont puet ma joye estre assouvie, Car je vous ay retenue a ma vie. Belle plaisant que mon cuer tant reclame, Par vo pitié vous plaise que ravie Soit l'ardure du desir qui m'enflame. N'est ce pas droit que me soit remerie L'amour certaine Dont je vous aim, trés doulce tresmontaine, Puis que serés toujours de moy servie, Car je vous ay retenue a ma vie. Ma souveraine Dame, amez moi, car je vous acertaine De n'en partir ja se je ne devie, Car je vous ay retenue a ma vie. XL Ne doubtez point du contraire, Car dit vous en ay le voir, Belle, commant sans retraire Vous aim et sans decevoir Vueillez ley appercevoir, Et m'amez, ostez m'arsure, Car, sans reconfort avoir, Je mourray se m'estes dure. Voz beaux yeux viennent attraire Sy mon cuer que desmouvoir Ne l'en puis; d'autre part traire Luy vient Amours qui ravoir Le veult, et force et sçavoir M'ostent, n'il n'y a mesure, Dont par tel mal recepvoir Je mourray se m'estes dure. S'il vous plaise vers moy traire Pitié qui face esmouvoir Vo cuer, par quoy vous puist plaire M'amer, car si mon devoir Feray, sans m'en desmouvoir De vous servir, je vous jure, Mais bien vous faiz assavoir: Je mourray se m'estes dure. Ma dame, corps, ame, avoir Est tout vostre, ayez en cure; Puis que ne l'en puis ravoir, Je mourray se m'estes dure. XLI Merveilles est et seroit fort a croire Es estranges contrées qu'il peust estre, Qu'en ce pays, qui de longue memoire Est renommé en honnour sur tout estre, Que verité, depuis le greigneur maistre Jusqu'au petit, si a paine trouvée Fust comme elle est, c'est bien chose senestre Qu'en France soit si mençonge eslevée. Mais de parler bel n'y voit on recroire Les principaulx, et pour faire gens paistre Grans promesses, dont l'atente n'est voire, Ne leur coustent riens, mais qui s'en empestre Se puet de vent comme pluvier repaistre; Car long effait en yst, chose est prouvée, Cest lait renom n'aquiert se noble en estre Qu'en France soit si mençonge eslevée. Et quant a moy, pour ce que si nottoire Mençonge voy, il n'est chose terrestre Qu'on me die, quiconques la m'avoire, Ne promesce jurée de main destre, Que, je croye se le voy ne voy n'estre; Car pou y truys fors que fraude esprouvée, Et c'est pitié, par le hault Dieu celestre, Qu'en France soit si mençonge eslevée. Ha! haulx princes, pour Dieu ne vous adresce Vice si lait, c'est chose reprouvée; Sy déboutés tout homme qui empetre Qu'en France soit si mençonge eslevée. XLII (Sur la Mort du Duc de Bourgogne.) [27 avril4.] Plourez, Françoys, tout d'un commun vouloir, Grans et petis, plourez ceste grant perte; Plourez, bon Roy, bien vous devez douloir, Plourer devez vostre grevance apperte; Plurez la mort de cil qui par desserte Amer deviez et par droit de lignaige, Vostre loyal noble oncle le trés saige Des Bourgongnons prince et duc excellent; Car je vous dy, qu'en mainte grant besongne, Encor dirés trestuit a cuer dollent Affaire eussions du bon duc de Bourgongne. Plourez, Berry, et plourez tuit sy hoir, Car cause avez: mort la vous a ouverte; Duc d'Orliens, moult vous en doit chaloir, Car par son scens mainte faulte est couverte; Duc des Bretons, plourez, car je suys certe Qu'affaire arés de luy en vo jeune aage; Plourez, Flamens, son noble seignourage; Tout noble sanc, allez vous adoullant; Plourez, ses gens, car joye vous eslongne, Dont vous dirés souvent en vous doullant Affaire eussions du bon duc de Bourgongne. Plourez, Roÿne, et ayez le cuer noir Pour cil par qui feustes au trosne offerte; Plourez, dames, sans en joye manoir; France, plourez, d'un pillier es deserte, Dont tu reçoys eschec a descouverte, Gar toy du mat quant mort par son oultrage Tel chevalier t'a toulu, c'est dommaige; Plourez, puepple commun, sans estre lent, Car moult perdez et chascun le tesmoingne, Dont vous dirés souvent mate et relent: «Affaire eussions du bon duc de Bourgongne.» Princes royaulx, priez par bon tallent Pour le bon duc; car, sans moult grant parlongne, En voz conssaulx de duc arés tallent, Affaire eussions du bon duc de Bourgongne. XLIII Dames d'onneur, gardez voz renommées, Pour Dieu mercis eschevez le contraire De bon renom, que ne soyés blasmées; Ne vueillez point acointances attraire Telles, qu'on puist recorder ne retraire Par voz maintiens qu'ayez legiers les cuers, Ne qu'en nul cas vous daignissiez meffaire, Et ne croyez flajolz de decepveurs. Car pou vous vault cuidier bien estre amées D'ommes pluseurs, de recepvoir salaire De mauvais loz, par parolles semées En divers lieux, qu'il eust en vostre affaire Legiereté; sy vous est neccessaire D'avoir recort toudis des deshonneurs, La ou cheoir on puet par foulour faire, Et ne croyez flajolz de decepveurs. Or soyés dont de parfait scens armées Contre ceulx, qui tant taschent a soubztraire L'onneur de vous, et de qui diffamées Estes souvent sans cause, et pour vous plaire Font le courtoys; et je ne m'en puis taire, Car j'en congnois et sçay de telz vanteurs Qui vous flattent; vueillez vous ent retraire Et ne croyez flajolz de decepveurs. Chieres dames, ne vous vueille desplaire, Se je vous lo a garder des flateurs Qui ne taschent qu'a voz honneurs deffaire, Et ne croyez flajolz de decepveurs. XLIV Du mois de May je me tieng pour contente, D'Amours aussi de qui me vient la joye, Par ce que voy souvent com droite rente Ung bel amy que j'ay qui me resjoye; Ce tient mon cuer en leece ou que soye, Car choisy l'ay de tous biens pour ma part. C'est mon plaisir, n'aultre ne me resjoye, Ne mon penser nulle heure ne s'en part. O quel solas et quel joyeuse attente Ce m'est quant suis en lieu seulette et coye Ou je l'attens, combien qu'a l'eure sente Moult grant frayeur de paour qu'on le voye! Mais quant vers moy a achevé la voye Lors de baisiers serrez donnons tel part Que la doulceur oublier ne pourroye Ne mon penser nulle heure ne s'en part. Et se penser y ay, cuer et entente, Merveilles n'est, c'est droiz qu'avoir lui doye, Car le grant bien de lui m'i maine et tente Et sa doulceur et ce que tout s'employe A me servir, si sçay que s'amour moye Est nuement n'ailleurs point n'en depart, Pareillement il m'en est par tel voye Ne mon penser nulle heure ne s'en part. Mon doulx ami, qui es comble et monjoye De tout honneur et bonté, il m'est tart Qu'entre mes bras briefment je te festoye, Ne mon penser nulle heure ne s'en part. XLV Par ta valour et par ton maintien saige, Par ta doulceur et trés plaisant maniere, Et les grans biens et l'amoureux langaige Qui en toy sont, tu as m'amour entiere En tout, en tout acquise en tel maniere Que sans cesser je ne pensse autre part. Adès m'est vis que devant moy te voye, Ne nulle heure le mien cuer ne s'en part. Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye. Sy as tant fait que mon cuer, qui sauvaige D'amours estoit, et qui ne faisoit chiere D'amer jamais, ore est ou doulx servage Du dieu d'amours, si qu'estre ne puis fiere N'a luy n'a toy, ains convient que plainiere- Ment me soye donnée sans depart A toy, amis, n'est rayson que je doye Desobeïr au bien qu'il me depart. Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye. Et puis qu'Amours, par son hault seigneurage, Veult que tous deux soions soubz sa baniere, Or lui faisons de trés bon cuer hommage Sans departir, amis, en tel maniere Que soies mien, et plus ne seray fiere A ton doulx vueil qui d'onneur ne se part. Aimes moy bien, car tu as l'amour moye, A toy me don, je te prens pour ma part. Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye. Fin cuer plaisant, or soions main et tart Loyaulx amans, quant a moy je l'ottroye, Plaisant desir le me conseille a part. Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye. XLVI Se je puis estre certaine De ce dont je suis en doubte, C'est que je n'aye pas plaine- Ment t'amour et que ja route Soit ta foy; amis, escoute: Saiches que, par saint Nycaise, Je m'en mettré a mon aise. Ta maniere m'acertaine Et monstre, se je voy goute, Que d'amours foibleste et vaine Tu m'aimes, dont je suis toute Esbahie; mais s'acoute: S'ainsi est, ne t'en desplaise, Je m'en mettré a mon aise. Car tousjours vivroye en paine D'ainsi m'estre a toy trestoute Donnée, et qu'a mon demaine Ne t' eusse aussi, si redoubte Le fillé ou je me boute, Pour ce, tout soit ce a mesaise, Je m'en mettré a mon aise. J'ay ja plouré mainte goute Pour toy pluseurs jours de route; Mais, se ton cuer ne m'apaise, Je m'en mettré a mon aise. XLVII Belle plaisant, sur toutes trés amée, De tout mon cuer ma souvraine maistresce, Appercevez que, plus que chose née, Vous aims et crains et vous sers en humblesce, Et pour ce, oster le mal qui tant me blesce Vous plaise tost et ouÿr ma clamour, Et me vueillez ottroyer vostre amour. Et se par vous m'est tel joye donnée Vous me mettrés en la voye et adresce D'estre vaillant, et bien guerredonnée Sera toute ma paine et ma destresce, Or le faittes, ma souvraine princesce, Sy n'y mettez plus dongier ne demour, Et me vueillez ottroyer vostre amour. Mon fin cuer doulx, ma dame redoubtée, Retenez moy, car je vous fais promesce Que vostre honneur sera par moy gardée Entierement, et tousjours sans paresce Vous serviray com ma doulce deesse; Sy me prenez a mercy, doulce flour, Et me vueillez ottroyer vostre amour. Plaisant tresor, faittes moy tel largesce De voz doulx biens que ma douleur en cesse, Secourez tost le mal ou je demour, Et me vueillez ottroyer vostre amour. XLVIII Amours, Amours, tu scés plus d'une voye D'attrapper gens a ta mussée trappe; Et qui fouÿr te cuide se forvoye, Car il n'est riens que doulx regart n'atrappe: C'est ton veneur, cuer n'est qui luy eschape. Plaisant maintien, courtoysie et lengaige, Sont tes levriers, compaignie est la sente Ou tu chaces plus souvent qu'en boscaige; Je le scay bien, il fault que je m'en sente. Certes, tes tours mie n'appercevoye, Ne comme tu scez soubz couverte chappe Surprendre cuers; quant si bien me devoye De toy garder a mon dit; mais l'aggrappe Dont tu tires a toy si mon cuer happe Que il convient que je te face hommaige, Ou vueilie ou non, et qu'a toy me consente; Car ton pouoir seigneurist fol et saige: Je le sçay bien, il fault que je m'en sente. J'apperçoy bien que je me decevoye De te cuidier fouyr, car sy m'entrappe Doulx Souvenir que mucié ne savoye; Et, quant je cuit ganchir, je me reffrappe Dedens tes las, et Plaisance me frappe De l'autre part; tu te tiens ou passage Pour traire a moy; Biauté y est presente. Rendre me fault, ou soit scens ou follage; Je le sçay bien, il fault que je m'en sente. Ha! dieux d'amours, puis qu'en ton doulx servage Prendre me veulx, faiz que ne m'en repente, Car eschapper ne puis ton seigneuraige; Je le sçay bien, il fault que je m'en sente. XLIX Trop hardement et grant presumpcion Aucuns instruit a oser diffamer Les plus souvrains, faignant entencion Juste et loyal, disant qu'on puet blasmer Tout viccieux, maudire et non amer; Mais l'inutille Parolle qui puet mettre en une ville Noise et contens, traÿson et deffait, Destruccion en contrée fertille; Je dis que c'est pechié a qui le fait. Pour ceulx le di, qui, par destraccion, Osent blasmer princes, pour enflamer Puepple contre eulx par grief commossion, Et les osent, ours, lyons, loups nommer, Et fiers tirans les fleurs qu'on sieult clamer Lis trés nobille, Pilliers de foy, sousteneurs d'euvangille; Pour les flatter ne le dis; mais deffait Dont puet venir esclande a plus de mille; Je dis que c'est pechié a qui le fait. Sy ne faites, bons François, mencion, Que vous ayés tirans fiers plains d'amer; Laissiez parler a autre nacion; Car ne sçavés qu'est tirant, et semer Souffrez a tort telz diz, ne mesamer Voz souvrains qui le Sueffrent de leur doulceur, c'est chose ville De soustenir contre eulx si grant tort fait, Et de ditter balades de tel stille, Je dis que c'est pechié a qui le fait. Princes poissans, criminelle ou civille Vengeance pour telz diz en voz cuers n'ait; Car qui glaive contre son puepple afille, Je dis que c'est pechié a qui le fait. L Gentil homme, qui veult prouesce acquerre, Escoute cy; entens qu'il te fault faire: Armes suivir t'estuet en mainte terre; Estre loyal contre ton adversaire; De bataille ne fouïr, non sus traire; Et doubter Dieu; parolle avoir tardive; En fait d'assault trouver voye soultive; Ne soit ton cuer de lascheté repris; Des tours d'armes duis dois estre et apris; Amer ton prince; et a ton chevetaine Estre loyal; avoir ferme couraige; Croire conseil; promesse avoir certaine; S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. Te gouverner par grant avis en guerre; A voyagier souvent te doit moult plaire; Princes et cours estranges tu dois querre, Tout enquerir leur estat et affaire; Des bons parler et a toy les attraire; Contre raison ta parolle n'estrive; Ne mesdire de personne qui vive; Porter honneur aux vaillans ou a pris; Henter les bons; n'avoir povre en despris; Pour acquerir honneur ne plaindre paine; Trop convoiteux n'estre, mès du tien large; Et ta parolle soit vraye et non vaine; S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. Sans bon conseil de faire armes requerre Ne dois autruy, et s'il n'est neccessaire Pour ton honneur, ta bouche et tes dens serre, Qu'il n'en ysse chose qui face a taire; L'autruy bienfait dois voulentiers retraire; Taire le tien; ne t'entendre en oysive; Estre attrempé; n'avoir teste hastive; Fouÿr tout vice et avoir en mespris; Tost achever ce que tu as empris; N'avoir orgueil ne parolle hautaine; Ta contenance seure et non sauvaige. Par bel maintien en tous lieux te demaine; S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. Prince gentil, ceste voye est certaine Pour acquerir de hault honneur la targe; Homme noble, suis la, je t'acertaine: S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. LI Trop sont divers et merveilleux les tours De l'inconstant, double et faulsse Fortune; Car ses maulx sont moult loncs, et ses biens cours; Nous le voyons, et c'est chose commune, Dont je ne voy pourveance fors qu'une Contre elle; c'est que l'omme soit si saige Qu'il n'ait des biens d'elle leece aucune, Et ait ou mal fort et poissant couraige. Veoir pouons que tout vient a rebours Souvent aux bons par sa fellasse enfrune, Et aux mauvais, sans desserte ou labours, Rent bon guerdon, mais de deux voyes l'une: Ou reconfort ou lenguir en rencune; Prendre conseil convient si qu'homs se targe De bon espoir, quoy qu'elle luy soit brune, Et ait ou mal fort et poissant couraige. Car puis que ses joyes ne font qu'un cours Par le monde general en commune Que nous veons plus souvent en decours Sus les greigneurs meismes que n'est la lune, Homme ne doit les prisier une prune, Mais, s'ilz viennent, pensser qu'en petit d'aage Perdre on les puet, seurté n'y ait aucune, Et ait ou mal fort et poissant couraige. Princes, soyés certains qu'oncques ne fu ne Ja ne sera Fortune fors voulaige; En soit chascun avisié et chascune, Et ait ou mal fort et poissant couraige. LII Qui est celluy qui ne sent la pointure Aucunement d'amours, qui point ne blesce, Ou mois de May jolis, plain de verdure? Sy ne croy pas, Prince de grant noblesce, Hault et poissant, que vraye amour ne drece Voz nobles faiz en toute bonne voye; Et pour ce a vous ma balade s'adresce, Ce jour de May gracieux plain de joye. Car je vous voy plus qu'autre créature Reampli de biens et haulte gentillesce; Pour ce je tiens que vous en tout temps dure Douls souvenir, qui departir ne laisse Loyal amour de vous, et que maistresce Avez plaisant et belle, en qui s'employe Vo noble cuer, qu'elle tient sans tristesce, Ce jour de May gracieux plain de joye. Si affiert bien que mettés temps et cure D'amours servir, qui de sa grant richesce Guerredonner vous puet de nourriture Doulce, plaisant, et qui fait en prouesce Les bons monter, et que vo cuer s'eslesse En ce doulx temps, qui aux amans envoye Plaisant pensser et cuer tient en leesse Ce jour de May gracieux plain de joye. Prince amoureux, doulx, humain, sans hautece De nul orgueil, par moy Amours vous proye Que gay soyés pour vo doulce deesse, Ce jour de May gracieux plain de joye. LIII Je ne croy pas que ma malle fortune Puisse souffrir qu'aucun bien me secuere; Car de long temps, par rigle trop commune, M'a couru sus, et quanque je labeure N'est fors en vain; car tout despiece en l'eure La desloyal qui tout mal me pourchace; Quant bien me doit venir, meseur l'en chace. N'il ne me vient a nulle heure pas une Riens a droit point, pour chose que je queure, La ou secours cuid trouver, mais nesune Voye n'y a: il fault que je demeure A tousjours mais ainsi, par quoy je pleure Souvent, veant que, par diverse chace, Quant bien me doit venir, meseur l'en chace. Et puis qu'ainsi tel fortune respune A tout boneur pour moy et tout deveure Mes reconfors, avoir ne doy aucune Esperance de jamais veoir l'eure D'avoir reppos du mal qui m'acuere; Car je congnois qu'a tout quanque rechace, Quant bien me doit venir, meseur l'en chace. Princes, ainsi a cuer plus noir que meure Me fault lenguir; car tout vent me dechace; Est ce bien droit meschief qui me cuert seure, Quant bien me doit venir, meseur l'en chace? ENCORE AULTRES BALADES I Mon doulx amy du quel je tien Le loyal cuer, et pour le tien Le mien en eschange te donne. Je te pry, ne te doubte en rien, Car je te jur et promet bien Que se ne truys aultre que bonne Ta voulenté vers ma personne, En ce qui peut honneur toucher, Se ne passez de droit la bonne, Je t'ameray et tiendray chier. Et s'il te plaist qu'en ce lïen Soit ton trés doulx cuer et le mien, Et que ton vueil au mien s'ordonne, Si qu'en nostre fait n'ait que bien, Saches de vray et le retien, Sanz qu'aultre foiz plus t'en sermonne, Que l'amour qui en moy s'entonne, Dont ta doulceur me vient preschier, Durera, puis que m'y adonne. Je t'ameray et tendray chier. Par si que toudis ton maintien Soit tel qu'ainsi que je le tien, Non obstant qu'acueil t'abandonne, M'onneur garderas par moyen De loyauté se tu es sien; Tout le surplus je te pardonne, Car, quoy que desir t'araisonne Par force d'amour me touchier, Mais que trop ne te desordonne, Je t'ameray et tendray chier. Pour ce, amis, gaignes la couronne Sur tous amans, ne t'approchier D'aultre vueil; sanz t'estre felonne Je t'ameray et tendray chier. II Ton alée me met en tel tristece, Mon doulx ami, que ne puis avoir joye. Dieux! joye helas! et dont vendroit l'adrece, Dont tant fust pou, se je ne te veoye, M'en peust venir? Il n'y a tour ne voye; Car esleu t'ay pour ma part de tous biens, Tu es le tout et non mie partie; Pour ce, de toy, que j'aim sur toute riens, Certes trop m'est dure la departie. La departie, lasse! c'est destresse Trop dure a cuer que grant amour mestroye! Quant est de moy bien scay que sanz leece Demoureray, et, quel part que je soye, N'aray plaisir ne chose qui m'esjoye. Or je ne sçay quelz maulz seront les tiens Ne quieulx regraiz aras de ta partie, Mais quant a moy pour engriger les miens Certes trop m'est dure la departie. Et non pour tant le mal que si me blesse Sera plus court, s'il te plaist toutevoye Que ton retour soit brief, mais c'est simplece Du dire a moy, je croy, ne que je doye Penser qu'a toy en soit au fort se voye Sauf ton honneur y a; tost t'en reviens, Car te promet pour vray, sanz foy mentie, Quoy qu'en faces, saches et le retiens, Certes trop m'est dure la departie. Amours me tient pour toy en ses lyens, Mon doulx amy, ou soit sens ou sotie, Que de tes yeulx et tes plaisans maintiens Certes trop m'est dure la departie. III A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault, Combien qu'assez seuffre de dueil et peine Pour ton depart qui me conduit et meine De joye en dueil, ce m'est douleureux sault. Puis qu'il convient qu'ainsi soit, riens n'y vault M'en doulourer, Dieu pry qu'il te ramaine, A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault. Mais je sçay bien qu'en aray dur assault D'Amours qui trop a son vueil me demaine, Et qu'assez plus d'une foiz la sepmaine Je pleureray, je ne sçay s'il t'en chault, A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault. IV Helas! par temps seront passez six moys Que je ne vy la riens que j'aime mieulx Qui sur tous est bel et bon a mon choix, Sage et courtois, mais loings est de mes yeulx Dont me venoit Joye et plaisir, c'est bien droit qu'il m'ennoit, Car tout le bien qui est en souffisance J'en avoie, ce puis je tesmoigner, Et qui n'aroit regrait a tel plaisance Et a si trés doulce amour eslongner? Car avec ce qu'a trés bon le congnoiz, Tant de plaisirs me faisoit en tous lieux De son pouoir, que pas seule une foiz Je n'y trouvay faulte, et, ce m'aist Dieux, Tant s'en penoit Que d'aultre riens, croy, ne lui souvenoit. Il me servoit tout a mon ordonnance, De riens qu'il peust ne me faloit songner. Et qui n'aroit regrait a tel plaisance Et a si trés doulce amour eslongner? Dont a bon droit se j'en ay dueil et poiz Et se le lonc demour m'est ennuyeux, Car seulement d'oÿr sa doulce voix Et me mirer en ses ris et gieux Tant me donnoit De leece, que mon cuer y prenoit Deduit et paix, confort et soutenance, Car le veoye mien sans espargner; Et qui n'aroit regrait a tel plaisance Et a si trés doulce amour eslongner? Princes, jugiez s'a tort la souvenance D'un tel ami me fait en plours baigner, Et qui n'aroit regrait a tel plaisance Et a si trés doulce amour eslongner? V Quant chacun s'en revient de l'ost Pour quoy demeures tu derriere? Et si scez que m'amour entiere T'ay baillée en garde et depost. Si deusses retourner plus tost, A fin que faisiens bonne chiere, Quant chacun s'en revient de l'ost. Puis qu' honneur point ne le te tolt Qui te puet tenir si arriere? Je m'en plaindray de la maniere Au dieu d'amours, c'est mon prevost, Quant chacun s'en revient de l'ost. VI Tu soies le trés bien venu, M'amour, or m'embrace et me baise Et comment t'es tu maintenu Puis ton départ? Sain et bien aise As tu esté tousjours? Ça vien, Coste moy, te sié et me conte Comment t'a esté, mal ou bien, Car de ce vueil savoir le compte. Ma dame, a qui je suis tenu Plus que aultre, a nul n'en desplaise, Sachés que desir m'a tenu Si court qu'onques n'oz tel mesaise, Ne plaisir ne prenoie en rien Loings de vous. Amours, qui cuers dompte, Me disoit: «Loyauté me tien, Car de ce vueil savoir le compte». Dont m'as tu ton serment tenu, Bon gré t'en sçay, par saint Nicaise; Et puis que sain es revenu Joye arons assez; or t'apaise Et me dis se scez de combien Le mal qu'en as eu a plus monte Que cil qu' a souffert le cuer mien, Car de ce vueil savoir le compte. Plus mal que vous, si com retien, Ay eu, mais dites sanz mesconte Quans baisiers en aray je bien? Car de ce vueil savoir le compte. VII Qui vous en a tant appris, Noble duc des Bourbonnoiz, Des gracieux esbanoiz Qui sont en dicter compris? S'a fait Amours qui empris L'a, pour oster voz ennoiz? Qui vous en a tant appris? Car si bien vous estes pris A dicter, se m'y congnoiz, Que je dy et recongnoiz Que vous en portez le pris; Qui vous en a tant appris? VIII Le plus bel des fleurs de liz Et cellui que mieulx on prise A mon gré en toute guise Est cil que sur tous j'esliz. Car il est jeune et joliz, Doulx, courtoiz, de haulte prise, Le plus bel des fleurs de liz. Et pour ce je m'embeliz En s'amour, dont suis esprise; Si ne doy estre reprise Se ay choisy, pour tous deliz, Le plus bel des fleurs de liz. IX Tout bon, tout bel, tout assouvi en grace, Lequel bon loz tesmoigne tout parfaiz, Duc de Bourbon, jeune, sage et qui passe, Selon l'age, mains vaillans en tous fais, Vous soiez le trés bien venu Du hault voyage, ou estes avenu A ce a quoy desir d'onneur vous chace. La merci Dieu, si en doit souvenir A tout homme qui vaillance pourchace. De bien en mieulx vous puist il avenir! Mais de voz fais louez en toute place S'ilz sont vaillans et qu'en pouez vous mais? Ce fait Amours, de qui vient toute grace, Qui vous y duit et repaist de ses maits; Pour ce ne pourriés estre nu Des bons desirs et faiz qu'ont maintenu Ceulx qui suivent des trés meilleurs la trace, Qu'il prent et duit par plaisant souvenir; De ce vous vient tout boneur a grant mace. De bien en mieulx vous puist il avenir? Dont ne croy pas que celle qui enlace Vo gentil cuer en s'amour, quant le faiz Du hault labour, qui nul temps ne vous lasse, Ot raconter, que se souffrist jamais De vous amer, quoy que tenu Vous soyez loings, maiz souvent et menu D'or en avant verrez sa doulce face, Pour au plaisir honorable avenir Que dame peut donner sanz que mefface. De bien en mieulx vous puist il avenir! Prince gentil, en qui bonté s'amasse, En armes Dieux vous vueille maintenir Aussi d'amours qui jamais ne defface. De bien en mieulx vous puist il avenir! COMPLAINTES AMOUREUSES I Doulce dame, vueillez oïr la plainte De ma clamour; car pensée destraintte Par trop amer me muet a la complainte De mon grief plour Vous regehir, si ne croiez que faintte Soit en nul cas; car friçon, dont j'ay mainte Et maint grief dueil me rendent couleur tainte Et en palour. Chiere dame, dont me vient la dolour, Par qui Amours trembler, en grant chalour, Me fait souvent, dont j'ay vie et coulour Par fois estaintte. Mon piteux plaint ne tenez a folour, Pour ce qu'en vous il a tant de valour; Car je sçay bien, du dire n'ay couleur, Mais c'est contrainte. Dame sanz per, et sanz vous decevoir Il m'est besoing de vous faire assavoir De mon tourment amoureux tout le voir; Car amours fine Sy m'y contraint pour faire mon devoir. Hé! dame, en qui il a plus de savoir Qu'il ne pourroit en autre dame avoir, La droitte mine, Ou tout bien croist, se comble et se termine. Helas! le mal qui occist et affine Mon dolent cuer et ma vie decline, Apercevoir Vueilliez un pou, ou dedens brief termine M'estuet morir; se par vous medecine Je n'ay, par quoy mon malage deffine, Je mourray voir. Et mors fusse certes pieça de dueil; Mais garison vo trés doulz riant oeil, Par leur plaisant et gracieux accueil Si doulcement Me promettent, quant, en plaisant recueil, Leur amoureux et trés doulz regart cueil, Dont torner font souvent en aultre fueil Mon marrement; De nulle part n'ay confort autrement. Dame, or vueilliez, s'il vous plaist, liement Et bouche et cuer accorder plainement A leur doulz vueil, Et se d'accort ils sont entierement, Vous m'arez mis et trait hors de tourment, Et de vivre a tousjours joyeusement Dessus le sueil. Mais de mon mal je ne m'ose a nul plaindre; Car mieulz morir je vouldroie ou estaindre Que regehir, tant me sceust on contraindre, La maladie Que j'ay pour vous, ne comment j'aim sanz faindre, Fors seulement a vous que je doy craindre, Car mesdisans doy doubter et recraindre Et leur boisdie; Mais, fors a vous, n'avendra que le die; Quant autrement sera, Dieu me maudie! Mais, belle, a vous n'est droit que je desdie Par moy reffraindre Ce qu'Amours veult que souvent vous redie Trés humblement a chiere acouardie, Pour moy garir du mal dont je mendie, Viegne a vous plaindre. Helas! ma trés aourée deesse, Et ma haulte souveraine princesse, Ma seule amour, ma dame, ma leece, Qui reclamer Me fault souvent en ma poignant destrece, Ne prenez pas garde a la grant haultece De vous envers ma foible petitece, Mais a l'amer Que j'ay pour vous, qui me fait las clamer, Et tant de plours et de larmes semer, Et comment je vous vueil toudis amer Comme maistrece, Servir, doubter, obeïr et fermer En vostre amour, et toudis confermer A vo bon vueil, sanz ja m'en deffermer, Pour nulle asprece. Mais j'ay doubte qu'en vain tant me travail; Car je sçay bien, dame, que trop pou vail Pour si hault bien, et croy bien se g'y fail Ce yert par despris, Mais s'il vous plaist a daignier prendre en bail Mon povre cuer que vous livre et vous bail, Je sçay de vray que se je ne deffail Ou mort ou pris, Que je pourray par vous monter en pris, En qui tous biens sont parfais et compris, Et en qui puet a toute heure estre pris, A droit detail, Los et honneur; en quoy seray apris Par vous, si bien que ne seray repris D'avoir failli, se je puis, ne mespris, Se si hault fail. Ha! hay dolens! mais trop me desconforte Esperance, qui en mon cuer est morte, Soventes fois, dont trop grief doulour porte Et trop grant rage, Quant je repense a la trés haulte sorte Dont vous estes, par quoy doubt que la porte D'umble pitié pour mon bien sera torte Chose et ombrage; Mais Amours vient après qui m'assoage Et me redit par si trés doulz langage Que jadis ot Pymalion de l'ymage De pierre forte Vray reconfort de l'amoureux malage, Par lui servir de trés loial corage, Et vraye amour, ouquel trés doulz servage Tout bien enorte. Helas! dame, puisque Pymalion, Aussi Pirra et Deücalion, Ains que fondé fust le noble Ylion, Amolierent Pierres dures, n'ayez cuer de lyon Et sanz pitié vers moy; ains alion Noz deux vrays cuers et ne les deslion De leurs jointures Jamais nul jour pour nulles aventures; En loiaument amer soient noz cures, Et noz amours savoureuses et pures Apalion, Si bien que les desloiales pointures De mesdisans, et leurs fausses murmures, Ne nous soient ne nuisables ne sures, Si nous celion. Et vous vueille, ma dame, souvenir Que de ce fait ainsi ne puist venir Com retraire j'oÿ et maintenir Que il avint D'un vray amant qu'Amours si voult tenir En ses durs las et tant lui maintenir, Que hors du sens lui convint devenir, Et a tant vint A la parfin que morir lui convint Par trop amer, mais pour riens qu'il avint A sa dame nulle pitié n'en vint, Ne retenir Ne le daigna n'en vie soustenir, Ainçois le voult la crueuse banir D'environ soy pour lui du tout honnir, Dont mort soustint. Mais le dolent amant trés douloreux, Gitant sangloux et plains mausavoureux, Quant vint a mort par piteux moz aireux, D'entente pure Moult supplia aux dieux a yeulz plureux, Que de celle qui le tint langoureux, Par qui moroit dolent maleüreux, De mort trop sure Encor vengiez peust estre de l'injure Qu'elle lui fait, et sentir tel pointure Lui donnassent que fust com pierre dure, Mal doulcereux, Son corps cruel toudis comme estature, Dont les dames en ycelle aventure Se mirassent, qui n'ont pitié ne cure Des amoureux. Adonc fina le las a tel hachée; Mais n'ot en vain sa priere affichée; Car bien ont puis les dieux sa mort vengée, Et quant en terre On le portoit, la felonne approchée De la biere s'est, lors fut accrochée, Car tel pitié s'est en son cuer fichée Et si la serre, Que, tout ainsi com fouldre chiet grant erre, Celle enroidi et devint une pierre De marbre blanc; encor la puet on querre La accrochée. Ainsi les dieux qui aux amans fait guerre Vengence en font; pour ce vous vueil requerre Dame, pour Dieu, qu'en ce vostre cuer n'erre, Dont mal en chée! Ne me devez doncques bouter arriere Combien qu'a moy si haulte honneur n'affiere, Quant en penser n'ay en nulle maniere Chose villaine, Ne ne croiez, dame, que vous requiere Ne que jamais en ma vie je quiere Chose nulle dont vostre honneur acquiere, Soiez certaine, Blasme en nul cas ne nulle riens mondaine Ou vostre honneur ne soit entiere et saine, Ma doulce amour, ma dame souveraine, Et la lumiere De mon salut qui me conduit et meine A joyeux port, trés noble tresmontaine, Ne vueilliez pas vers moy estre hautaine N'a ma priere. Et s'il vous plaist, trés belle, a ottroier Moy vostre amour, sanz la me desvoier Et que j'aye si trés noble loier Par vous servir, Je vous promet a du tout emploier Et cuer et corps, et moy tout avoier A vous servir sanz jamais anoyer, Pour desservir Si hault honneur: je m'y vueil asservir, Et loiaulté vous promettre et pleuvir; Et quant ainsi m'y vueil du tout chevir, M'en envoier Honteux et maz par escondit ouïr Ne me vueilliez, pour ma vie ravir, Et pour mes jours faire tost assovir, N'en plours baignier. Or y pensés, pour Dieu, trés belle née, Dame d'onnour en ce monde ordonnée, Pour ma plaisant joyeuse destinée, De qui je port Emprainte ou cuer, toute heure de l'année, La trés plaisant face escripte et signée, Et vo beauté parfaicte et affinée, Et le doulz port De vo gent corps, lequel est le droit port, Ou joye maint et plein de doulz aport, En qui je prens mon savoureux deport; Et deffinée Soit ma dolour du tout et tel raport Vo trés doulz oeil, a qui je me raport, Me facent tost que tout mon mal enport En brief journée. Trés doulce flour, de qui fault que j'atende Le doulz vouloir, a vous me recommande Trés humblement et vo cuer pri qu'entende M'umble requeste, Et a garir mon mal amoureux tende Humble pitié, qui envers moy s'estende, Si que soulas qu'ay tout perdu me rende Et joye et feste. Adonc sera souvie ma requeste, Et m'esperance amoureuse et honneste. Si pry a Dieu qu'a ce vous face preste, Et vous deffende De tout anuy, et vous doint sanz arreste Tous voz desirs et longue vie preste A vo beau corps, et puis a l'ame apreste Legiere amende. EXPLICIT COMPLAINTE AMOUREUSE. Ci commence une complainte amoureuse. Vueillez oÿr en pitié ma complainte, Belle plaisant pour qui j'ay douleur mainte Et que j'aour plus que ne saint ne sainte, Chose est certaine; Et ne cuidez que ce soit chose fainte, Trés doulce flour dont je porte l'emprainte Dedens mon cuer pourtraicte, escripte et painte. Car la grant peine Du mal d'amours qui pour vous me demaine Me grieve tant, de ce vous acertaine, Que plus vivre ne puis jour ne sepmaine, Dont par contrainte Dire me fault a vous, ma souveraine, Le trés grant faiz dont ma pensée est plaine, Bonne, belle, tout le vous dis je a peine Et en grant crainte. Et se je crains, doulce dame, a le dire Merveilles n'est, car qui vouldroit eslire En tout le mond sans trouver a redire Une parfaicte Haulte dame pour estre d'un empire Couronnée, si devroit il souffrir De vous, souvraine, ou tout honneur se tire; Maiz, trés doulcette Jouvencelle, que mon cuer tant regraitte, S'amours contraint mon cuer qu'en vous se mette Pour vous servir sanz que ja s'en desmette, N'en ayés yre, Pour tant se ne vous vail, flour nouvelette, Rose de may, belle, sade et simplette, A qui serf suis, lige, obligié de debte Ou je me mire. Mais s'il avient que vo valour s'orgueille Contre mon bien, pour ce que pas pareille N'estes a moy et que ne m'appareille A vo haultece, Je suis perdus se fierté vous conseille Que m'occiez, dangier qui tousjours veille Me courra sus, si seroit bien merveille Qu'en tel asprece Vesquisse, helas! ma dame et ma maistresse, Mon seul desir, mon espoir, ma deesse; Pour Dieu mercy que ne muire a destresce, Dame, ainçois vueille Vostre doulceur tost me mettre en adresse De reconfort quant voyez que ne cesse De vous servir de fait et de promesse Quoy que m'en deuille. Hé! trés plaisant et amoureux viaire, Doulx corselet, de beauté l'exemplaire, Que vraye amour me fait amer et plaire Sur toute chose, Le mal que j'ay je ne vous puis plus taire, Car vo secours m'est si trés neccessaire Que, se ne l'ay, a la mort me fault traire, Ne ne repose, Si en ayez pitié, fresche com rose, Voyez comment tout de plour je m'arrose, Et toute foiz a peine dire l'ose Ne vers vous traire, Tant vous redoubt; pour ce ay tenue close Ma pensée, mais or vous est desclose; Car grant amour m'a fait a la parclose Le vous retraire. Helas! belle, trop seroie deceu Se le maintien que j'ay en vous veü Tant doulx, tant quoy, si humble et qui m'a meu A vous amer, Avoit en soy, sanz qu'il fust apperceu, Fierté, dangier; certes ne seroit deu Que si trés doulx ymage fust peü De fiel amer, Et m'est advis qu'on vous devroit blasmer Se cruaulté qu'on doit tant diffamer Estoit en vous qu'on doit doulce clamer, Car a mon sceu Nulle meilleur de vous n'oy renommer. Ha! trés plaisant, ou je me vueil fermer, Vostre doulx cuer a moy amy clamer Soit esmeü. Et m'est advis, belle, se je pouoye Vous demonstrer comment, ou que je soye, Entierement suis vostre et qu'il n'est joye Qui d'aultre part Me peust venir, certes je ne pourroye Croire qu'en vous, doulce simplete et quoye, N'est tant de bien, et c'est la ou m'apoye Et main et tart; Et de pitié que vo trés doulx regart, Qui de mon cuer a nulle heure ne part Ne dont n'ay bien fors quant je sent l'espart Par quelque voye, Ne confortast le mal dont j'ay grant part; Mais je ne puis en secret n'en appart Parler a vous, dont mon cueur de dueil part Et en plours noye. Et doncques las! dont vendroit reconfort A mon las cuer qui meurt par amer fort, Quant ne savez, m'amour, le desconfort Ou pour vous suis Ne comment vous aim de tout mon effort? Si couvendra que je soie a dur port, Se vraye amour a qui m'attens au fort Tost n'euvre l'uys D'umble pitié ou a secours je fuys; Si vous dye comment durer ne puis Pour vostre amour ou tout je me suis duys, Soit droit ou tort. Par quoy voyez comment et jours et nuis De tous solas et de joye suis vuys. Se tel secours bien brief vers vous ne truys Vez me la mort! Car mesdisans tant fort redoubte et crain Que je n'ose parler ne soir ne main N'a nulle heure, dont je suis de dueil plain, A vous, trés belle, Pour vostre honneur qui est entier et sain, Ne ja pour moy, vo cuer en soit certain, N'empirera, quel que soit mon reclain, Ains mort cruele Endureray, pour Dieu, ma demoiselle, Ne doubtez point que vous face querelle Fors en honneur, Dieux tesmoing en appelle, Mais je me plain De ce qu'Amours si haulte jouvencelle M'a fait amer qu'ouÿr n'en puis nouvelle, Se par pitié ne me vient, pour ce a elle Seule m'en claim. Mais puis qu'Amours a voulu consentir Qu'en si hault lieu me meisse sanz mentir, Je ne croi pas, quoy que soie martir, Qu'au lonc aler Ne resveille Pitié qui departir Face le mal dont suis au cuer partir. Si me couvient, quoy que j'aye a sentir, Tout mon parler, Mes faiz, mes diz, sanz riens lui en celer, A vraye amour adrecier, qui voler En vo doulx cuer vueille et vous reveler Comment ne tir Fors a tout bien; ainsi s'Amour mesler S'en veult, plus n'ay besoing de m'adouler, Or vueille tost vo doulx cuer appeler Et convertir. Si couvient dont qu'a Amours m'en attende, Lui suppliant qu'a mon secours entende, Et a Pitié qui sa doulce main tende Pour redrecier Mon povre cuer, car rien n'est qu'il attende Fors que la mort qui son las corps estende Dedens briefs jours; pour ce lui pry qu'il tende A avancier Ma garison, et se vueille adrecier Par devers vous, ma dame, et ne laissier Vo cuer en paix jusqu'a ce qu'eslaissier, Si que j'amende, Vueille le mien et de joye laissier. Humble pitié a ce vueille plaissier Vo bon vouloir pour mon mal abaissier, Joye me rende, Et entendis qu'Amours pour ma besongne S'employera, belle, sanz faire alongne, A celle fin qu'encor mieulx vous tesmongne Que je dis voir, Vueillez, m'amour, sans en avoir vergongne, Me commander que pour vous m'embesongne En quelque cas, ne point n'en ait ressongne Vo bon vouloir, Car je vous jur que se daignez avoir Fiance en moy si que peusse savoir Aucune riens qui vous pleust, tant valoir Toute Bourgongne, Se moye estoit, ne me pourroit d'avoir Com se de vous peüsse recevoir Aucun command, car a aultre chaloir Mon cuer ne songne. Plus ne vous sçay que dire, belle née: Tout vostre suis, non pas pour une année Tant seulement, mais tant que soit finée Ma vie lasse. Si vous plaise que paix me soit donnée De la guerre d'amours qu'ont ordenée Voz trés doulx yeulx et beauté affinée. Dieu par sa grace Vous doint joye et tout bien, et a moy face Tant de bonté que puisse en quelque place Faire chose dont je soye a vo grace. Tel destinée A vous et moy doint, qu'Amours, qui enlace Maint gentilz cuers, les nostres deux si lasse Que jamais jour ne vous en voye lasse Ne hors menée. L'ÉPISTRE AU DIEU D'AMOURS (Mai 1399) Cupido, roy par la grace de lui, Dieu des amans, sanz aide de nullui Regnant en l'air du ciel trés reluisant, Filz de Venus la deesse poissant, Sire d'amours et de tous ses obgiez, A tous nos vrais loiaulx servans subgiez, SALUT, AMOUR, FAMILIARITÉ, Savoir faisons en generalité Qu'a nostre Court sont venues complaintes Par devant nous et moult piteuses plaintes De par toutes dames et damoiselles, Gentilz femmes, bourgoises et pucelles, Et de toutes femmes generaument, Nostre secours requerans humblement, Ou, se ce non, du tout desheritées De leur honneur seront et ahontées. Si se plaingnent les dessusdittes dames Des grans extors, des blasmes, des diffames, Des traïsons, des oultrages trés griefs, Des faussetez et de mains autres griefs, Que chascun jour des desloiaulx reçoivent, Qui les blasment, diffament et deçoivent. Sur tous païs se complaignent de France, Qui jadis fu leur escu et deffense, Qui contre tous de tort les deffendoit, Com il est droit, et si com faire doit Noble païs ou gentillece regne. Mais a present elles sont en ce regne, Ou jadis tant estoient honnourées, Plus qu'autre part des faulz deshonnourées, Et meismement, dont plus griefment se deulent, Des nobles gens qui plus garder les seulent. Car a present sont pluseurs chevaliers Et escuiers mains duis et coustumiers D'elles traÿr par beaulx blandissemens. Si se faignent estre loyaulx amans Et se cueuvrent de diverse faintise; Si vont disant que griefment les atise L'amour d'elles, qui leur cuer tient en serre, Dont l'un se plaint, a l'autre le cuer serre, L'autre pleure par semblant et souspire, Et l'autre faint que trop griefment empire, Par trop amer tout soit descoulouré Et presque mort et tout alangoré, Et jurent fort et promettent et mentent Estre loiaulx, secrez, et puis s'en vantent. D'aler souvent et de venir se peinent, Par ces moustiers ça et la se pormenent En regardant, s'apuient sus aultelz Par faulx semblans, moult en y a de telz; Parmi rues leurs chevaulx esperonnent Gays et mignos a cliquetes qui sonnent; Moult font semblant d'en estre embesoignez: Mules, chevaulz ne sont pas espargniez. Diligens sont de bailler leurs requestes; Moult enquierent ou sont nopces et festes, La vont pluseurs jolis, mignoz et cointes, Si font semblant de sentir de noz pointes Si qu'a peine les peuvent endurer. Aultres mettent grant peine a procurer Par messages ou par quelque acointance A mettre a fin ce que leur faulz cuer pense. Par telz maintiens en plus de mille guises Les faulz amans se cueuvrent de faintises, C'est assavoir les desloiaulz qui héent Foy, loiaulté, et a decevoir béent; Car les loyaulz ne sont pas en ce compte, Et ceulz doit on amer et tenir compte, Car decevoir en nul cas ne vouldroient: Je leur deffens; pour ce consens qu'ilz aient De noz doulz biens savoureux bonne part, Car a mes gens largement en depart; Et ceulz tienent mes vrais commandemens, Justes, loiaulz, et bons enseignemens; Si leur deffens villenie et meffait, Et leur commans poursuivre honneur de fait, Estre loiaulz, secrez et voir disans, Larges, courtois, et fuïr mesdisans, Humbles et doulz, jolis et assesmés, Fermes et frans, poursuivre a estre amez, Armes suïr a ceulx qu'il apartient Loz acquerir. Qui en ce point se tient, Sache pour vray que ne lui fauldray mie A lui donner dame belle et amie; Car, quant ainsi je suis d'aucun servi, Guerdon lui rens comme il a desservi. Mais se bien vient a ces faulz d'aventure N'est pas droit bien, combien que je l'endure, Car en tous cas le bien est moult petit Quant il est pris sanz desir n'appetit. Et que vauldroit a homs descouragié Grans viandes, ypocras ou saugié Puis que saveur nulle ou pou y aroit? Mais a cellui qui desirant seroit De pain faittis ou d'une miche blanche, S'ataindre y puet, Dieu scet com il la tranche Joyeusement et de grant cuer s'en paist! Ainsi de toute riens desirée est. Ainsi, se trop ne sont aperceües, Sont maintes fois les dames deceües, Car simples sont, n'y pensent se bien non, Dont il avient souvent, veullent ou non, Qu'amer leur fault ceulz qui si les deçoivent, Traïes sont ains qu'elles l'aperçoivent. Mais quant ainsi sont fort envolopées, Les desloiaulz qui les ont attrapées, Or escoutez comment ilz s'en chevissent: Ne leur souffist ce qu'ainsi les trahissent, Ains ont compaings de leur male aliance; Si n'y remaint ne fait ne couvenance Qui ne soit dit l'un a l'autre, et, trop plus Qu'ilz n'ont de bien, se vantent que reclus Sont devenus en la chambre leurs dames Dont sont amez, puis jurent corps et ames Comment du fait il leur est avenu Et que couché braz a braz y ont nu. Les compaignons ce dient es tavernes, Et les nobles font leurs pars et leurs sernes En ces grans cours de noz seigneurs les ducs, Ou chieux le roy, ou ailleurs espandus, Et la tienent de telz plais leurs escoles, Pluseurs y a qui deussent leurs paroles En bons contes drecier sanz bourderie A raconter pris de chevalerie; Mais aux grans feux a ces soirs, ou sus couches, La rigolent l'un l'autre, et par reproches S'entredient: «Je sçay bien de tes fais, Telle est t'amie et tu le jolis fais Pour sienne amour, mais pluseurs y ont part, Tu es receu quant un autre s'en part!» La diffament les envieux la belle Sanz achoison ne nul mal savoir d'elle Et lors cellui qui en est rigolé Monstre semblant qu'il en soit adoulé; Mais moult lui plaist de ce qu'on l'en rigole Et de son bec mainte parole vole Qui blasme vault, combien qu'il s'en excuse; En excusant celle nomme et accuse, Et fait semblant de celer et couvrir Ce qu'il lui plaist a dire et descouvrir. D'aultres y a qui le rigol commencent Ad celle fin que les autres s'avancent D'eulx rigoler et d'eulx ramentevoir Ce qu'ilz veulent a tous faire assavoir; Si s'en rient et, tout en accusant, Se vont du fait laschement excusant. Si en y a qui se sont mis en peine Qu'on les amast, mais perdu ont leur peine; Si sont honteux dont ilz sont reffusé; Ne veulent pas qu'on croie que musé Ayent en vain, pour ce de ce se vantent Qu'oncques n'avint, et, se en ce lieu hantent, Pour aucun cas ou par quelque accointance, De tout l'ostel conteront l'ordenance Pour enseignes de confermer leurs bourdes. La sont dites maintes paroles lourdes; Et qui dire ne les veult mie apertes Les monstre au doigt par paroles couvertes; La sont femmes moult laidement nommées Souventes fois et sanz cause blasmées, Et meismement d'aucunes grans maistresses, Tant ayent ilz blondes ou brunes treces. Dieux, quelz parleurs! Dieux, quelles assemblées Ou les honneurs des dames sont emblées! Et quel proffit vient d'ainssi diffamer A ceulz meismes qui se deussent armer Pour les garder et leur honneur deffendre? Car tout homme doit avoir le cuer tendre Envers femme qui a tout homme est mere Et ne lui est ne diverse n'amere, Ainçois souefve, doulce et amiable, A son besoing piteuse et secourable, Qui tant lui a fait et fait de services, Et de qui tant les oeuvres sont propices A corps d'omme souefvement nourrir; A son naistre, au vivre et au morir, Lui sont femmes aidans et secourables, Et piteuses, doulces et serviables. Si est celui maucognoiscent et rude Qui en mesdit, et plein d'ingratitude. Encor dis je que trop se desnature Homme qui dit diffame, ne laidure, Ne reproche de femme en la blasment, Ne une, ne deux, ne tout generaulment. Et supposé qu'il en y ait de nyces Ou remplies de pluseurs divers vices, Sanz foy n'amour ne nulle loiaulté, Fieres, males, plaines de cruaulté, Ou pou constans, legieres, variables, Cautelleuses, fausses et decevables, Doit on pour tant toutes mettre en fremaille Et tesmoignier qu'il n'est nulle qui vaille? Quant le hault Dieu fist et forma les angelz, Les cherubins, seraphins et archangelz, N'en y ot il de mauvais en leurs fais? Doit on pour tant angelz nommer mauvais? Mais qui male femme scet, si s'en gart Sanz diffamer ne le tiers ne le quart Ne trestoutes en general blasmer Et tous leurs meurs femenins diffamer; Car moult en fu, est et sera de celles Qui a louer sont com bonnes et belles Et ou vertus et graces sont trouvées, Sens et valeur en bonté esprouvées. Et de blasmer celles qui le moins valent Ceulz qui ce font, encor dis je qu'ilz falent, S'ils les nomment, disant qui elles sont, Ou demeurent, quoy ne quelz leurs fais sont. Car le pecheur on ne doit diffamer, Ce nous dist Dieux, n'en publique blasmer. Les vices bien puet on et les pechiez Trés fort blasmer, sanz ceulz qui entechiez En sont nommer, ne diffamer nullui, Ce tesmoigne l'escript ou je le lui. De telz parleurs en y a a grans sommes, Dont grant honte est tel vice en gentilz hommes: Je di a ceulz qui en sont entechié Non mie a ceulz qui n'y ont nul pechié, Car maint y a des nobles si vaillans Que mieulx perdre vouldroient leurs vaillans Que de telz fais restez ne reprouvez Fussent pour riens, n'en telz cas pris prouvez; Mais les mauvais, dont je fais mencion, Qui n'ont bon fait ne bonne entencion, Ne prenent pas au bon Hutin exemple De Vermeilles, ou bonté ot si ample Qu'oncques nulz homs n'y sceut que reprochier, Ne nul mesdit en diffamant n'ot chier; Souvrainement porta honneur aux femmes, Ne peust ouïr d'elles blasme ou diffames; Chevalier fu preux, sage et bien amé, Pour ce fu il et sera renommé. Le bon Othe de Grançon le vaillant, Qui pour armes tant s'alla traveillant, Courtois, gentil, preux, bel et gracieux Fu en son temps, Dieux en ait l'ame es cieulx! Car chevalier fu moult bien entechié. Qui mal lui fist je tiens qu'il fist pechié, Non obstant ce que lui nuisi Fortune, Mais de grever aux bons elle est commune. Car en touz cas je tiens qu'il fu loiaulz, D'armes plus preux que Thalemon Ayaux. Onc ne lui plot personne diffamer, Les dames voult servir, prisier, amer. D'aultres pluseurs furent bons et vaillans, Estre doivent exemple aux deffaillans; Encor en est maint, il est bien mestiers, Qui des vaillans suivent les bons sentiers; Honneur les duit, vaillance les y meine, A acquerir pris et loz mettent peine, De nobles meurs bien entechiez se perent, Par leurs beaulz fais leurs vaillances apperent En ce royaume, ailleurs et oultremer. Mais je me tais de cy leurs noms nommer Qu'on ne deïst que ce feust flaterie, Ou qu'il peüst tourner a vanterie. Et telz doivent gentilz hommes par droit Estre, autrement gentillece y fauldroit. Si se plaingnent les dessusdittes dames De pluseurs clers qui sus leur mettent blasmes, Dittiez en font, rimes, proses et vers, En diffamant leurs meurs par moz divers; Si les baillent en matiere aux premiers A leurs nouveaulx et jeunes escolliers, En maniere d'exemple et de dottrine, Pour retenir en age tel dottrine. En vers dient, Adam, David, Sanson, Et Salemon et autres a foison Furent deceuz par femme main et tart; Et qui sera donc li homs qui s'en gart? Li autres dit que moult sont decevables, Cautilleuses, faulses et pou valables. Autres dient que trop sont mençongieres, Variables, inconstans et legieres. D'autres pluseurs grans vices les accusent Et blasment moult, sanz que riens les excusent. Et ainsi font clers et soir et matin, Puis en françois, leurs vers, puis en latin, Et se fondent dessus ne sçay quelz livres Qui plus dient de mençonges qu'uns yvres. Ovide en dit, en un livre qu'il fist, Assez de maulz, dont je tiens qu'il meffist, Qu'il appella le Remede d'amours, Ou leur met sus moult de villaines mours, Ordes, laides, pleines de villenie. Que telz vices aient je le luy nye, Au deffendre de bataille je gage Contre tous ceulz qui giter voldront gage; Voire, j'entens des femmes honnorables, En mes contes ne metz les non valables. Si ont les clers apris trés leur enfance Cellui livret en premiere science De gramaire, et aux autres l'aprenent A celle fin qu'a femme amer n'emprenent. Mais de ce sont folz et perdent leur peine, Ne l'empeschier si n'est fors chose vaine. Car, entre moy et ma dame Nature, Ne souffrerons, tant com le monde dure, Que cheries et amées ne soient Maugré touz ceulz qui blasmer les vouldroient, Et qu'a pluseurs meismes qui plus les blasment N'ostent les cuers, et ravissent et emblent. Sanz nul frauder ne faire extorsion, Mais tout par nous et nostre imprecion, Ja n'en seront hommes si accointiez Par soubtilz clers, ne pour touz leurs dittiez, Non obstant ce que mains livres en parlent Et les blasment qui assez pou y valent. Et s'aucun dit qu'on doit les livres croire Qui furent fais d'ommes de grant memoire Et de grant sens, qui mentir ne daignerent, Qui des femmes les malices proverent, Je leurs respons que ceulz qui ce escriprent En leurs livres, je trouve qu'ilz ne quistrent En leurs vies fors femmes decepvoir; N'en pouoient yceulz assez avoir, Et tous les jours vouloient des nouvelles, Sanz loiaulté tenir, nez aux plus belles. Qu'en ot David et Salemon le roy? Dieu s'en courça et puni leur desroy. D'autres pluseurs, et meismement Ovide Qui tant en voult, puis diffamer les cuide; Et tous les clers, qui tant en ont parlé, Plus qu'autre gens en furent affolé, Non pas d'une seule mais d'un millier. Et, se tel gent orent dame ou moillier Qui ne feïst du tout a leur vouloir Ou qui meïst peine a les decevoir, Quel merveille? Car il n'est nulle doubte Que, quant uns homs en tel vilté se boute, il ne va pas querant les vaillans dames Ne les bonnes prisiées preudes femmes, Ne les cognoist, ne il n'en a que faire: Fors ceulz ne veult qui sont de son affaire; De filletes se pare et de pietaille. Est il digne d'avoir chose qui vaille Un vilotier qui toutes met en conte Et puis cuide trop bien couvrir sa honte. Quant plus n'en puet et qu'il est ja vieulz homs, D'elles blasmer par ses soubtilz raisons? Mais qui blasmast seulement les données Aux grans vices et les abandonnées, Et conseillast a elles non suivir Comme ilz ont fait, bien s'en pourroit suivir Et ce seroit chose moult raisonnable, Enseignement digne, juste et louable, Sanz diffamer toutes generaument. Et a parler quant au decevement, Je ne sçay pas penser ne concevoir Comment femme peust homme decevoir: Ne le va pas ne cerchier ne querir, Ne sus son lieu prier ne requerir, Ne pense a lui, ne ne lui en souvient, Quant decepvoir l'omme et tempter la vient. Tempter comment?-Voire par tel maniere Qu'il n'est peine qui ne lui soit legiere A endurer et faissel a porter. A aultre riens ne se veult deporter Fors a pener a elles decevoir, Pour y mettre cuer et corps et avoir. Et par long temps dure la trioleine, Souventes fois avient, et celle peine, Non obstant ce que moult souvent y faillent, A leurs esmes ja soit ce qu'ils travaillent. Et de ceulz parle Ovide en son traittié De l'Art d'amours; car pour la grant pitié Qu'il ot de ceulz compila il un livre, Ou leur escript et enseigne a delivre Comment pourront les femmes decevoir Par faintises et leur amour avoir; Si l'appella livre de l'Art d'amours; Mais n'enseigne condicions ne mours De bien amer, mais ainçois le contraire. Car homs qui veult selon ce livre faire N'amera ja, combien qu'il soit amez, Et pour ce est li livres mal nommez, Car c'est livre d'Art de grant decevance, Tel nom li don, et de fausse apparence. Et comment donc quant fresles et legieres, Et tournables, nyces et pou entieres Sont les femmes, si com aucuns clers dient, Quel besoing donc est il a ceulz qui prient De tant pour ce pourchacier de cautelles? Et pour quoy tost ne s'i accordent elles Sanz qu'il faille art n'engin a elles prendre? Car pour chastel pris ne fault guerre emprendre. Et meismement pouëte si soubtil Comme Ovide, qui puis fu en exil, Et Jehan de Meun ou Romant de la Rose, Quel long procès! quel difficile chose! Et sciences et cleres et obscures Y met il la et de grans aventures! Et que de gent soupploiez et rovez Et de peines et de baraz trouvez Pour decepvoir sanz plus une pucelle, S'en est la fin, par fraude et par cautelle! A foible lieu faut il donc grant assault? Comment peut on de près faire grant saut? Je ne sçay pas ce veoir ne comprendre Que grant peine faille a foible lieu prendre, Ne art n'engin, ne grant soubtiveté. Dont convient il tout de neccessité, Puis qu'art convient, grant engin et grant peine, A decevoir femme noble ou villaine, Qu'elz ne soient mie si variables, Comme aucun dit, n'en leur fait si muables. Et s'on me dit li livre en sont tuit plein, C'est le respons a maint dont je me plain. Je leur respons que les livres ne firent Pas les femmes, ne les choses n'i mirent Que l'en y list contre elles et leurs meurs; Si devisent a l'aise de leurs cuers Ceulz qui plaident leur cause sanz partie, Sanz rabatre content, et grant partie Prenent pour eulx, car de legier offendent Les batailleux ceulz qui ne se deffendent. Mais se femmes eussent les livres fait Je sçay de vray qu'autrement fust du fait, Car bien scevent qu'a tort sont encoulpées, Si ne sont pas a droit les pars coupées, Car les plus fors prenent la plus grant part, Et le meilleur pour soy qui pieces part. Encor dient li felon mesdisant, Qui les femmes vont ainsi desprisant, Que toutes sont fausses seront et furent N'oncques encor nulles loiaulté n'urent, Et qu'amoureux telles, qui qu'elles soient, Toutes treuvent quant les femmes essoient; A toutes fins leur est le tort donné, Qui qu'ait meffait, sur elles est tourné; Mais c'est maudit; et on voit le rebours; Car, quant ad ce qui afflert a amours, Trop de femmes y ont esté loiales Sont et seront, non obstant intervales Ou faussetéz, baraz ou tricheries, Qu'on leur ait fait et maintes manteries. Que fut jadis Medée au faulz Jason? Trés loialle, et lui fist la toison D'or conquerir par son engin soubtil, Dont il acquist loz plus qu'autres cent mil. Par elle fu renommé dessus tous, Si lui promist que loial ami doulz Seroit tout sien, mais sa foy lui menti Et la laissa pour autre et s'en parti. Que fu Dido, roÿne de Cartage? De grant amour et de loial corage, Vers Eneas qui, exillé de Troye, Aloit par mer las, despris et sanz joye, Presque pery lui et ses chevaliers. Recueilli fu, dont lui estoit mestiers De la belle, qu'il faussement deçut; Car a trés grant honneur elle receut Lui et ses gens et trop de bien lui fist; Mais puis après vers elle tant meffist, Non obstant ce qu'il lui eust foy promise Et donnée s'amour, voire, en faintise, Si s'en parti, ne puis ne retorna, Et autre part la sienne amour torna; Dont a la fin celle, pour s'amistié, Morut de dueil, dont ce fu grant pitié. Penelope la feme Ulixès, Qui raconter vouldroit tout le procès De la dame, trop trouveroit a dire De sa bonté ou il n'ot que redire: Trés belle fu requise et bien amée, Noble, sage, vaillant et renommée. D'aultres pluseurs, et tant que c'est sanz nombre, Furent et sont et seront en ce nombre; Mais je me tais adès d'en plus compter, Car long procès seroit a raconter. Si ne sont pas femmes si desloiales Comme aucun dit, ains sont pluseurs loiales; Mais il avient, et c'est de commun cours, Qu'on les deçoipt et traïst en amours, Et quant ainsi se treuvent deceües Les aucunes des plus aperceües S'en retraient; de ce font grant savoir. Doivent elles donc de ce blasme avoir? Est ce doncques se Dieux vous doint santé Mal ne folour, barat ne fausseté? Nanil certes, ains est grans sens ainçois; Mais je cognois de voir et aperçois Que se amans tenissent verité, Foy, loyaulté, sanz contrarieté Vers leurs dames, et feissent leur devoir, Comme amant doit faire par droit devoir, Je croy que pou ou nulle fausseroit, Et que toute femme loial seroit. Au moins le plus: rigle n'est qui ne faille, De toute riens n'est pas tout bien sanz faille; Mais par ce que pluseurs faussent et mentent, Et en maint lieux par desloiaulté hantent, Leur fausse l'en, et c'est tout par leur couppe Se on leur fait de tout autel pain souppe. Et aucuns sont qui jadis en mes las Furent tenus, mais il sont d'amer las Ou par vieillece ou deffaulte de cuer, Si ne veulent plus amer a nul fuer, Et convenant m'ont de tous poins nyé, Moy et mon fait guerpy et renié, Comme mauvais serviteurs et rebelles. Et telle gent racontent telz nouvelles Communement, et se plaignent, et blasment Moy et mon fait, et les femmes diffament Pour ce que plus ne s'en pevent aidier Ou que leurs cuers veulent de moy vuidier. Si les cuident faire aux autres desplaire Par les blasmer, mais ce ne pevent faire. Si hé tel gent trop plus qu'autre riens, certes, Et les paye souvent de leurs dessertes; Car, en despit de leurs males paroles, Eulx assoter d'aucunes femmes foles, De pou d'onneur, males, maurenommées, Je fais yceulz: de tel gent sont amées. Si ne remaint en eulz plume a plumer, Bien les scevent a leur droit reclamer. La sont surpris et bien envelopé Ceulz qui le mieulx cuident estre eschappé. Comme il affiert sont tel gent avoyé; Si leur est bien tel meschief emploié. Et encor pis, car ceulz qui plus souvent Vont les femmes par grant soing decevant Et qui le plus se peinent et travaillent, N'il ne leur chault qu'il leur coste ou qu'il baillent, Ne quel peine ilz doient endurer Pour a grant soing leur voloir procurer, Tant qu'ilz tant font par malices prouvées, Par faulz semblans, par choses controuvées, Qu'ilz attraient pluseurs a leurs cordelles Par leurs engins et par fausses cautelles; Et puis après s'en moquent et s'en vantent, Et vont disant que femmes se consentent Legierement, com legieres et frailles, Et qu'on ne doit avoir fiance en elles. C'est mal jugié et trop male sentence De trestoutes pour tant mettre en la dance. Mais s'aucunes attraient en tel guise, Quel merveille! Ne fu pas par faintise, Par faulz consaulz, par traïson bastie, Par parlemens, engins et foy mentie, La grant cité de Troye jadis prise, Qui tant fu fort, et toute en feu esprise? Et tous les jours par engins et desrois Ne traïst on et royaumes et roys? Trop deçoivent les beaulz blandissemens, Tous en sont pleins et livres et romans; Si n'est pas donc chose a trop merveillier Quant, pour mentir, pener et traveillier, On peut vaincre une chose simplete, Une ignorant petite femmellete. Et fust ores malicieuse et sage Si n'est ce pas en ce grant vasselage A homme agu, de grant malice plein, Qui peine y met comme il en est tout plein. Et ainsi sont les femmes diffamées De pluseurs gens et a grant tort blasmées Et de bouche et en pluseurs escrips, Ou qu'il soit voir ou non, tel est li crys. Mais, qui qu'en ait mesdit ou mal escript, Je ne truis pas en livre n'en escript Qui de Jhesus parle ou de sa vie Ou de sa mort pourchacée d'envie, Et mesmement des Apostres les fais Qui pour la foy porterent maint dur fais, N'euvangile qui nul mal en tesmoigne, Mais maint grant bien, mainte haulte besoigne, Grant prudence, grant sens et grant constance, Perfaitte amour, en foy grant arrestance, Grant charité, fervente volenté, Ferme et entier corage entalenté De Dieu servir, et grant semblant en firent, Car mort ne vif oncques ne le guerpirent. Fors des femmes fu de tous delaissié Le doulz Jhesus, navré, mort et blecié. Toute la foy remaint en une femme. Si est trop folz qui d'elles dit diffamme, Ne fust ores que pour la reverence De la haulte Roÿne, en remembrance De sa bonté, qui tant fu noble et digne, Que du filz Dieu porter elle fu digne! Grant honneur fist a femme Dieu le pere Qui faire en voult son espouse et sa mere, Temple de Dieu a la Trinité jointe. Bien estre doit femme joyeuse et cointe Qui autelle, comme Celle, fourme a; Car oncques Dieux nulle rien ne fourma De digneté semblable, n'aussi bonne, Fors seulement de Jhesus la personne. Si est trop folz qui de riens les ramposne Quant femme est assise en si hault trone Coste son filz, a la destre du Pere, C'est grant honneur a femmenine mere. Si ne trouvons qu'oncques les desprisast Le bon Jhesus, mais amast et prisast. Dieu la forma a sa digne semblance Et lui donna savoir et cognoiscence Pour soy sauver, et don d'entendement. Si lui donna fourme moult noblement, Et fut faitte de moult noble matiere, Car ne fu pas du lymon de la terre Mais seulement de la coste de l'omme, Lequel corps ja estoit, c'en est la somme, Le plus noble des choses terriennes. Et les vrayes hystoires anciennes De la Bible, qui ne puet mençonge estre, Nous racontent qu'en Paradis terrestre Fu formée femme premierement Non pas l'omme; mais du decevement, Dont on blasme dame Eve nostre mere, Dont s'ensuivi de Dieu sentence amere, Je di pour vray qu'oncq Adam ne deçut Et simplement de l'anemi conçut La parole qu'il lui donna a croire, Si la cuida estre loial et voire, En celle foy de lui dire s'avance; Si ne fu donc fraude ne decepvance, Car simplece, sanz malice celée, Ne doit estre decepvance appellée. Nul ne deçoit sanz cuidier decepvoir, Ou aultrement decepvance n'est voir. Quelz grans maulz donc en pevent estre diz? Par desservir n'ont elles paradis? De quelz crismes les peut on accuser? Et s'aucuns folz a leur amour muser Veulent, par quoy a eulz mal en conviegne, N'en pevent mais; qui est sage s'en tiegne: Qui est deceu et cuidoit decepvoir Nulz fors lui seul n'en doit le blasme avoir. Et se sur ce je vouloie tout dire Double aroie d'encorir d'aucuns l'ire; Car moult souvent pour dire verité Mautalent vient et contrarieté. Pour ce n'en vueil faire comparoisons, Haineuses sont maintes foiz telz raisons. Si me souffist de louer sanz blasmer; Car on peut bien quelque riens bon clamer Sanz autre riens nommer mauvais ou pire, Car son bon droit aucune fois empire Cellui qui blasme autrui pour s'aloser; Si se vault mieulz du dire reposer. Pour ce m'en tais, si en soit chascun juge Et justement selon verité juge; Si trouvera, se vient a droit jugier, Que le plus grant mal puet pou dommagier: N'occient gent, ne blescent, ne mahagnent, Ne traïsons ne pourchacent n'empregnent, Feu ne boutent, ne desheritent gent, N'empoisonnent, n'emblent or ne argent, Ne deçoivent d'avoir ne d'eritage N'en faulz contras et ne portent domage Aux royaumes, aux duchiez, n'aux empires; Mal ne s'ensuit gaires, meismes des pires. Communement une ne fait pas rigle. Et qui vouldra par hystoire ou par bible Me rampronner, pour moy donner exemple D'une ou de deux ou de pluseurs ensemble Qui ont esté reprouvées et males, Encore en soit celles mais enormales; Car je parle selon le commun cours Et moult pou sont qui usent de telz tours; Et s'on me veult dire que mie enclines Condicions ne taches femmenines Ne soit ad ce, n'a user de batailles, N'a gens tuer, ne a faire fouailles Pour bouter feu, ne a telz choses faire, Pour ce nul preu, louenge ne salaire Ne leur en puet ne doit apertenir D'elles souffrir de telz cas ne tenir, Mais, sauve soit la grace des diseurs, Je consens bien qu'elles n'ont pas les cuers Enclins ad ce, ne a cruaulté faire; Car nature de femme est debonnaire, Moult piteuse, paourouse et doubtable, Humble, doulce, coye et moult charitable, Amiable, devote, en payx honteuse, Et guerre craint, simple et religieuse, Et en courroux tost apaise son yre, Ne puet veoir cruaulté ne martire, Et telles sont par nature sanz doubte Condicions de femme, somme toute. Et celle qui ne les a d'aventure Contre le droit toute se desnature; Car cruaulté fait en femme a reprendre Ne l'en n'y doit fors toute doulceur prendre. Et puis qu'elz n'ont meurs ne condicions A faire fais de sang n'occisions, N'a autres granz pechiez laiz et orribles, Dont sont elles innocens et paisibles Voire des grans et ennormes pechiez, Car chascun est d'aucun vice tachiez, Si ne seront doncques pas encoulpées Des grans meffais ou ne sont attrapées; Si n'en aront, n'en peine ne en coulpe Punicion puis qu'elles n'y ont coulpe, Dont dire puis, ce n'est pas heresie, Que moult leur fist le hault Dieu courtoisie D'elles fourmer sanz les condicions Qui mettent gent a griefs perdicions; Car des desirs s'en ensuivent les fais Dont maint portent sur leurs armes griefz fais. Si vault trop mieulz qu'on n'ait pas le desir Dont l'acomplir fait souvent mort gesir. Qui soustenir vouldroit seroit herite Que qui tempté n'est n'a point de merite De non pechier et de soy abstenir. Telles raisons ne font a soustenir, Car nous veons par les sains le contraire: Saint Nycolas n'eust sceü pechié faire, Onc ne pecha n'oncques n'en fu tempté, N'aultres pluseurs n'en orent volenté; Je di pechier quant est mortelement, Pechier porrent ilz venielement; Si sont tous ceulz appellez preesleus, Predestinez et de Dieu esleüs. Par ces raisons conclus et vueil prover Que grandement femmes a approver Font et louer, et leurs condicions Recommander, qui inclinacions N'ont aux vices qui humaine nature Vont domagiant et grevant creature. Par ces preuves justes et veritables Je conclus que tous hommes raisonables Doivent femmes prisier, cherir, amer, Et ne doivent avoir cuer de blasmer Elles de qui tout homme est descendu; Ne leur soit pas mal pour le bien rendu, Car c'est la riens ou monde par droiture Que homme aime mieulz et de droitte nature. Si est moult lait et grant honte a blasmer La riens qui soit que l'en doit plus amer Et qui plus fait a tout homme de joye. Homs naturel sanz femmes ne s'esjoye: C'est sa mere, c'est sa suer, c'est s'amie, Et pou avient qu'a homs soit anemie; C'est son droit par qui a lui est semblable, La riens qui plus lui puet estre agreable, Ne on n'y puet pris ne los conquester A les blasmer, mais grant blasme acquester; N'il n'est blasme si lait ne si nuisant Comme tenus estre pour mesdisant, Voire encor plus especialement De diffamer femmes communement: C'est un vice diffamable et villain, Je le deffens a homme quant je l'aim; Si s'en gard donc trestout noble corage, Car bien n'en puet venir, mais grant domage, Honte, despit et toute villennie; Qui tel vice a n'est pas de ma maisnie. Or ay conclus en tous cas mes raisons Bien et a droit, n'en desplaise a nulz homs, Car se bonté et valeur a en femme Honte n'est pas a homme ne diffame, Car il est né et fait d'aultel merrien; Se mauvaise est il ne puet valoir rien, Car nul bon fruit de mal arbre ne vient, Telle qu'elle est ressembler lui convient, Et se bonne est il en doit valoir mieulz, Car aux meres bien ressemblent les fieulz. Et se j'ay dit d'elles bien et louenge, Comme il est vray, ne l'ay fait par losange N'a celle fin que plus orgueil en aient, Mais tout a fin que toudis elles soyent Curieuses de mieulz en mieulz valoir, Sanz les vices que l'en ne doit avoir; Car qui plus a grant vertu et bonté En doit estre moins d'orgueil surmonté, Car les vertus si enchacent les vices. Et, s'il est des femmes aucunes nyces, Cest' Epistre leur puist estre dottrine: Le bien prengnent pour loiale dottrine, Le mal laissent; les bonnes vueillent en ce Prendre vouloir d'avoir perseverence: Si aront preu, grant honneur, joye et los Et Paradis a la fin, dire l'os. Pour ce conclus en diffinicion Que des mauvais soit fait punicion Qui les blasment, diffament et accusent Et qui de faulz desloiaulz semblans usent Pour decepvoir elles; si soient tuit De nostre Court chacié, bani, destruit, Et entrediz et escommenié, Et tous noz biens si leur soient nyé, C'est bien raison qu'on les escomenie. ET COMMANDONS de fait a no maisnie Generaument et a noz officiers, A noz sergens et a touz noz maciers, A noz prevoz et maires et baillis, Et vicaires, que tous ceulz maubaillis Et villennez soient trés laidement, Injuriez, punis honteusement, Pris et liez, et justice en soit faitte, Sanz plus souffrir nulle injure si faitte, Ne plus ne soit souffert telle laidure. Nous le voulons ainsi et c'est droitture, Accompli soit sanz faire aucun delais. DONNÉ en l'air, en nostre grant palais, Le jour de May la solempnée feste Ou les amans nous font mainte requeste, L'An de grace Mil trois cens quatre vins Et dis et neuf, present dieux et divins. PAR LE DIEU D'AMOURS poissant A la relacion de cent Dieux et plus de grant pouoir, Confermans nostre voloir: Jupiter, Appollo et Mars, Vulcan, par qui Feton fu ars, Mercurius, dieu de lenguage, Eolus, qui vens tient en cage, Neptunus, le dieu de la mer, Glaucus, qui mer fait escumer, Les dieux des vaulz et des montaignes, Des grans forès et des champagnes, Et les dieux qui par nuyt obscure S'en vont pour querir aventure, Pan, dieu des pastours, Saturnus, Nostre mere la grant Venus, Pallas, Juno et Lathona, Ceres, Vesta, Anthigona, Aurora, Thetis, Aretusa Qui le dieu Pluto encusa, Minerve la bataillerresse, Et Dyane la chacerresse, Et d'aultres dieux no conseillier Et deesses plus d'un millier. CUPIDO LE DIEU D'AMOURS CUI AMANS FONT LEURS CLAMOURS. CREINTIS LE DIT DE LA ROSE (14 février 1401, anc. st.) A tous les Princes amoureux Et aux nobles chevalereux, Que vaillantise fait armer, Et a ceulz qui seulent amer Toute bonté pour avoir pris, Et a tous amans bien apris De ce Royaume et autre part, Partout ou vaillance s'espart: A toutes dames renommées Et aux damoiselles amées, A toutes femmes honnorables, Saiges, courtoises, agréables: Humble recommandacion De loyal vraye entencion. Si fais savoir a tous vaillans, Qui pour honneur sont travaillans, Unes nouvelles merveilleuses, Gracieuses, non perilleuses, Qui avenues de nouvel Sont en beau lieu plain de revel; Aussi est droiz que ceulz le sachent Qui mauvaistié devers eulz sachent, A fin qu'ilz amendent leurs fais Pour estre avec les bons parfais. Si fu voir qu'a Paris advint, Presens nobles gens plus de vint, Joyeux et liez et senz esmois, L'An quatre cens et un, ou mois De janvier, plus de la moictié Ains la date de ce dictié Du mois passé, quant ceste chose Advint en une maison close Et assemblée de nobles gens, Riches d'onnour et beaulx et gens. Chevaliers y ot de renom Et escuiers de vaillant nom. Ne m'estuet ja leurs noms nommer, Mais chascun les seult bons clamer; Notables sont et renommés, Des plus prisiez et mieulx amez: Du trés noble duc d'Orliens, Qui Dieu gart de tous maulx liens, Si sont de son hostel tous ceulz. Et n'y avoit pas un tout seulz Qui n'aime, je croy, tous bons fais; Leans a assez de si fais. Assemblez les ot celle part Courtoisie qui ne depart De ceulz qui sont de gentil sorte. La fu bien fermée la porte, Car vouloient en ce lieu estre Senz estranges gens privez estre Pour deviser a leur plaisir. La fu appresté a loisir Le soupper; si furent assis Joyeux et liez et non pensis. Bien furent servis par les tables De mez a leur gré delitables. Car ne fu, j'en ose jugier, Pas tout leur plaisir ou mangier Mais en la compaignie qui De vraye et bonne amour nasqui. Liez estoient et esbatans, Gays et envoisiez et chantans Tout au long de cellui souper, Comme gent qui sont tout un per Et amis vrais sens estrangier. La n'ot parlé a ce mangier Fors de courtoisie et d'onnour, Senz diffamer grant ne menour, Et de beaulx livres et de dis, Et de balades plus de dix, Qui mieulx mieulx chascun devisoit, Ou d'amours qui s'en avisoit Ou de demandes gracieuses. Viandes plus délicieuses N'y ot, com je croy, a leur goust, Tout soyent d'assez petit coust, Et de ris et de bonne chiere; De ce n'orent ils pas enchiere. Ainsi se sirent longuement En ce gracieux parlement. Mais Amours, ses loyaulx amis, Qui a valeur se sont soubzmis, Volt visiter droit en ce point. Car alors seurvint tout a point, Non obstant les portes barrées Et les fenestres bien sarrées, Une dame de grant noblesse Qui s'appella dame et deesse De Loyauté, et trop belle yere. La descendi a grant lumiere Si que toute en resplent la sale. Toute autre beauté si fut pale Vers la sienne de corps, de vis Et de beau maintien, a devis Bien parée et bien atournée. Si fu entour avironnée De nymphes et de pucelletes, Atout chappellès de fleurettes, Qui chantoient par grant revel Hault et cler un motet nouvel Si doulcement, pour voir vous dis. Que bien sembloit que Paradis Fut leur reduit et qu'elz venissent De cellui dont fors tous biens n'issent, Celle deesse a tel maisgnie. Devant la table acompaignie Vint o les siennes bien parées, Si tenoient couppes dorées, Si comme pour faire en present A celle gent nouvel present. Adonc fu la sale estourmie, Il n'y ot personne endormie, Tuit furent veoir la merveille, Il n'y ot cellui qui l'oreille Ne tendist pour bien escouter Que celle leur vouloit noter; Chascun se tut pour y entendre. Quant les pucelles a cuer tendre Orent leur chançon affinée Adonc se prist la belle née, Qui d'elles dame et maistresse yere, A dire par belle maniere Ces parolles qui cy escriptes Sont en ces balades et dittes. Ne plus ne moins les ennorta Et les balades apporta: Balade. Cil qui forma toute chose mondaine Vueille tousdiz en santé mantenir Et en baudour de grant leesse plaine Ceste belle compaignie et tenir. Deesse suis, si me doit souvenir De trestous bons et des bonnes et belles. Pour ce qu'ainsi il doit appartenir Venue suis vous apporter nouvelles. De par le dieu d'amours, qui puet la peine Des fins amans desmettre et defenir, Present nouvel, gracieux, d'odeur saine, Je vous apport et salus sens fenir, Si m'escoutez et vueilliez retenir: Car je vous di que de haultes querelles, Dont il pourra assez de biens venir, Venue suis vous apporter nouvelles. De Loyauté deesse souveraine On m'appelle, et a mon seurvenir Je ne port pas de discorde la graine, Com fist celle qui Troyes fist bannir; Ains, pour tousjours loyauté soustenir Et pour oster les mauvaises favelles Et les mauvais desloyaulx escharnir, Venue suis vous apporter nouvelles. Balade. Le dieu d'Amours par moy il vous presente Ces roses ci de voulenté entiere, Cueillies sont de trés loyal entente Es beaulx vergiers dont je suis courtilliere. Si vous mande qu'a trés joyeuse chiere Preigniez le don, mais c'est par convenant. Que desormais en trestoute maniere Yrez l'onneur des dames soustenant. Si veult qu'ainçoiz que nullui se consente A recevoir la rose belle et chiere, Qu'il face veu que jamaiz il n'assente Blasme ou mesdit en nesune maniere De femme qui son honneur tiengne chiere, Et pour ce a vous m'envoye maintenant. Si vouez tous qu'a parolle pleniere Yrez l'onneur des dames soustenant. Chevaliers bons et tous de noble sente, Et tous amans, c'est bien droit qu'il affiere Qu'a ce veu ci vo cuer se represente; Amours le veult, si n'y mettés enchiere, Mais ne soit pas de voulenté legiere, Car a l'estat de vous appartenant; Et si jurez que jusques a la biere Yrez l'onneur des dames soustenant. En disant ces balades cy La deesse, sienne mercy, Assist les couppes sur les tables. Dedens ot roses odorables, Blanches, vermeilles et trop belles, Et cueillies furent nouvelles. Et avecques ce presentoit En beaulx rolez qu'elle gectoit Ceste balade qui recorde Qu'Amours veult, qu'ainçois qu'on accorde A prendre la jolie rose, Que l'en face veu de la chose Qui est en l'escript contenu Et qu'il soit juré et tenu. Et qui tout ce vouldra vouer Et celle promesse advouer, Hardiement preingne la rose Ou toute doulçour est enclose. Si oyez lire la balade Qu'apporta la deesse sade: Balade. A bonne amour je fais veu et promesse Et a la fleur qui est rose clamée, A la vaillant de Loyauté deesse, Par qui nous est ceste chose informée, Qu'a tousjours mais la bonne renommée Je garderay de dame en toute chose Ne par moy ja femme n'yert diffamée: Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose. Et si promet a toute gentillesse Qu'en trestous lieux et prisée et amée Dame sera de moy comme maistresse. Et celle qui j'ay ma dame nommée Souveraine, loyauté confermée Je lui tendray jusques a la parclose, Et de ce ay voulenté affermée: Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose. Et si merci Amours et son humblesse Qui nous a cy tel semence semée Dont j'ay espoir que serons en l'adresse De mieulx valoir; c'est bien chose informée Que de lui vint honneur trés renommée. Si defendray, s'aucun est qui dire ose, Chose par quoy dame estre puist blasmée: Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose. Princes haultains, ou valeur est fermée, Faites le veu, bonté y est enclose, L'enseingne en vueil porter en mainte armée: Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose. Adonc furent en audiance Levez, et, senz contrariance, Firent tous le beau veu louable Qui est gentil et honnorable. Quant nullui ne vit contradire La deesse adonc prist a dire Ce rondelet, prenant congié, Si n'y a pensé ne songié: Or m'en vois dire les nouvelles. Au dieu d'Amours qui m'envoya. De ses belles roses nouvelles Or m'en vois dire les nouvelles. A Dieu vous dy, tous ceulz et celles Que bonne amour cy avoya, Or m'en vois dire les nouvelles. Quant ce fut dit, lors s'envola Celle deesse qui vint la. Mais les nymphes qui furent liez De leurs doulces voix deliez Commencierent tel mellodie, Ne cuidez que mençonge die, Que il sembloit a leur doulz chant Qu'angelz feussent ou droit enchant. Ainsi parti de celle place La deesse, qui de sa grace Ot la conpaignie esjoÿe, Tel nouvelle leur ot gehie, D'elle font feste et de ses choses Et tous se parent de ses roses, Par teste, par braz, par poitrine, En promettant foy enterine, Si comme ou veu est devisé Qu'ilz orent moult bien avisé. Quant assez selon leur loisir Orent esté en ce plaisir, Chantans, rians a chiere lie Senz dueil et senz merencolie, Partis s'en sont, congié ont pris, Emportant la rose de pris. Et je qui n'oz pas le cuer noir Demouray en cellui manoir Ou ot esté celle assemblée, Ou je ne fus de riens troublée. Tart fut ja et saison en l'eure D'aler couchier et bien fu heure; Mais la deesse qui m'ama, Sienne merci, et me clama Sa belle suer de cuer eslit M'ot appresté un trop beau lit, Blanc comme noif, encourtiné Richement et bien ordonné, En belle chambre toute blanche Comme la noif qui chet sur branche; Pour ce l'ot fait, je n'en doubt mie, Que je suis a Dyane amie, La deesse trés honnourée Qui toudiz de blanc est parée. La me couchay seulette et nue, Et m'endormy. Lors une nue Si m'apparu en mon dormant Clere et luisant; de ce forment Me merveillay que pouoit estre. De la nue, qui fu a destre Costé du lit, luisant et clere, Comme en esté temps qui esclere, Yssi une voix gracieuse, Trop plaisant et trop amoureuse; Adonc, ou que dormisse ou non, La voix m'appella par mon nom, Si me dist lors: «Amie chiere Qui m'as amée et tenu chiere Toute ta vie, bien le sçay, Car souvent t'ay mise a l'essay, Je suis la deesse loyale De la haulte ligne royale De Dieu qui me fist et fourma Et de ses rigles m'enforma. Or m'entens, m'amie certaine, Et je te diray qui me maine: Tu scez comment en ta presence Je vins presenter par plaisance Nagueres les roses jolies, Qui en nul temps ne sont palies, De par vraye Amour, qui conduit Ceulx qui de bien faire sont duit, «Qui encor devers toy m'envoye, «Messagiere de ceste voye «Lui plaist que soye par usage, «Et voulentiers fais le message: «Amours se plaint trop fort et duelt «D'une coustume qui trop suelt «Estre en mains lieux continuée, «Bien vouldroit qu'elle fust muée. «Car elle est male, laide et vilz, «Et vilaine, je te plevis, «Et par especial en ceulx «Qui ne doivent estre preceux «D'acquerir toutes bonnes meurs «Pour plus acroistre leurs honneurs, «C'est es nobles et es gentilz «Hommes qui doivent ententis «Estre a mieulx valoir qu'autre gent; «Bonté leur siet mieulx que or n'argent; «Mais des vilains ne fais je force, «Car ceulx ne font bien fors a force «N'on ne les pourroit amender «Pour leur ennorter ne mander, «Car la condicion vilaine, «Qui pis flaire que male alaine, «Si est trop fort a corrigier; «Trop est fort cil vice a purgier. «J'appelle villains ceulz qui font «Villenies, qui les deffont, «Je n'entens pas par bas lignaige «Le vilain, mais par vil courage; «Mais cellui qui noble se fait «De lignie trop se deffait «Se sa noblesse en villenie «Tourne, dis je voir ne le nye, «Si font plus qu'autres a reprendre «S'on les puet en vilains faiz prendre. «Et pour ce diz, ce n'est pas bourde, «Qu'en lait fait n'en parolle lourde «Tout nobles homs, s'il aime pris, «Se doit garder d'estre repris. «Car trop en vauldroit mains senz faille, «Tout feust il bien preux en bataille; «Car la prouesse seulement «Ne gist pas ou grant hardement «D'assaillir ne de soy defendre «Contre aucun qui le vueille offendre, «Car ce sont prouesses de corps, «Mais certes mieulx valent encors «Les bontez qui viennent de l'ame; «Ce ne me puet nyer nulle ame. «C'est vaillantise et grant prouesse «Quant un noble cuer si s'adresse «Qu'en vertus il soit bien propice «Et eschever et fuïr vice «Ne qu'on ne puist trouver en lui «Riens dont puist mesdire nullui, «Se n'est a tort ou par envie; «Car n'est en ceste mortel vie «Homme qui soit de touz amez «Ne de toutes gens bons clamez. «Ce fait Envie qui s'efforce «D'abatre loz, n'y face force «Bon homme ains face toudiz bien, «Car loz vaintra, je te diz bien, «Et s'un tel homme ainsi apris «Peut aussi d'armes avoir pris «Tant que renommée tesmoingne «Qu'en tout bien faire s'embesoingne Et qu'en rien ne soit recreant, Un tel vassal, je te creant, Est bien digne de loz acquerre Se bon est en paix et en guerre, Et juste et loyal en tous cas Et o lui ait pour advocas Courtoisie qui si l'enseingne Que de gentil porte l'enseingne En fait, en dit et en parolle. Senz orgueil qui maint homme affolle Si ait hault cuer et haulte emprise, Ce n'est pas l'orgueil qu'on desprise Que d'avoir si haultain courage Qu'on ne daingnast faire viltage Et que l'en aime les haultaines Choses contraires aux vilaines. Telz choses sont appartenans Aux nobles, et que soustenans Soient justice en tout endroit Et toute bonté, c'est leur droit. Mais pour revenir au propos Pour quoy vins ça sur ton repos Par le commandement mon maistre Amours, qu'au monde Dieu fist naistre, Et de quoy se deult et complaint Et dont par moy a toy se plaint, C'est de la coustume perverse, Qui l'onneur de mainte gent verse, De mesdire, que Dieux mauldie, Par qui mainte femme est laidie A tort et a grant desraison Et maint bon homme senz raison, Qui queurt ores plus qu'onques mais. Ce fait Envie qui tel mais Apporte d'enfer pour donner Aux gens, et tout empoisonner «Et occirre de double mort Qui a si fait vice s'amort. Mesdire, qui bien y regarde, C'est tel glaive et si faite darde Que meismes cil qui le balance Occist et cil sur qui le lance, Mais aucunes fois plus blecié Demeure cil qui l'a lancié Que ne fait cil sur qui le rue. Ou soit en maison ou en rue, Et son ame plus griefment blece Et son honneur et sa noblece Que ne fait souvent l'encusé. Et tel s'est maintes foiz rusé D'autre qui mieulx de soy valoit Pour ce que son bien lui douloit; Et tel diffame autrui souvent Qui est plus seurpris, je m'en vent, Du mesmes meffait et tachié Qu'il dit que l'autre est entachié; Si est faulte de congnoissance Et d'envie vient la naissance; Car nul ne vouldroit que tel verve On deist de lui, quoy qu'il desserve, Mais chascun puet estre certain Qu'il est un juge si certain Qui tout congnoist et hors et ens, Tout scet et tout est clerveans, Si rendra a chascun desserte De bien ou de mal, chose est certe, Trop font mesdisans a haïr Et leur compaignie a fuïr Plus que de gent bataillereuse. Plus male et trop plus perilleuse Est compaignie et plus nuysant D'omme jangleur et mesdisant; Qui maie compaignie hante Ne puet que du mal ne se sente, Et avec les loups fault huler Et de leur peau soy affuler. Et, quant je di homs, j'entens famme Aussi, s'elle jangle et diffame; Car chose plus envenimée Ne qui doye estre moins amée N'est que langue de femme male Qui soit acertes ou par gale Mesdit d'autrui, moque ou ramposne; Et se mal en vient, c'est aumosne A celle qui s'i acoustume, Car c'est laide et orde coustume. N'a femmes n'affiert a mesdire, Ainçois, quant elles oyent dire Chose qui face autrui dommage, Abaissier doivent le langage A leur pouoir ou elles taire, S'autre chose n'en pevent faire; Car avoir doit, en verité, Doulçour en femme et charité; S'autrement font c'est leur contraire, Car bien siet a femme a point taire. Mais, pour ce que ceste coustume Court en mains lieux qu'envie alume, Vouldroit bien Amours errachier D'entre ceulz qu'il aime et tient chier, C'est des nobles a qui tel tache Trop messiet, s'elle s'i atache; Car si preux n'est, je l'ose dire, Que, s'il a renom de mesdire, Qu'il n'en soit partout moins amé, Moins prisié et jangleur clamé. Mais sur toutes autres diffames Het Amours qu'on parle des femmes Laidement en les diffamant, Ne veult que ceulz qui noblement Se veulent mener pour acquerre Pris et honneur en mainte terre Soient de tel tache tachié, Car c'est maufait et grant pechié. Et pour estrapper tel verjus M'envoya bonne Amour ça jus Atout l'Ordre belle et nouvelle, De quoy j'apportay la nouvelle, Present toy, n'a gueres de temps, Mais encor veult, si com j'entens, Amours que ceste chose soit Publiée comment qu'il soit Et qu'on le sache en maint paÿs A fin que mesdit soit haÿs En toutes pars ou noble gent Sont d'acquerre loz diligent. Si veult qu'ayes legacion De faire en toute nacion Procureresses qui pouoir Ayent, s'elles veulent avoir, De donner l'Ordre delictable De la belle rose agreable Avec le veu qui appartient. Mais Amours veult, bien m'en souvient, Que nulle ne soit establie A donner l'Ordre gente et lie S'elle n'est dame ou damoiselle D'onnour, courtoise, franche et belle, Toutes sont belles quant bonté A la beauté plus seurmonté. Ainsi auras par ce convent Ceste charge d'ore en avant, Si l'envoye par toute terre Ou noble gent poursuivent guerre Aux dames, de qui renommée Est de leur grant bonté semée: A celles veulz et te commande Bonne Amour par moy et te mande Que tu commettes le bel Ordre Ou nulz ne puet par droit remordre. Et combien que j'aye apportées Les roses qui seront portées Des bons a qui je les donnay, Et de telles assez en ay, Car en mon vergier sont cueillies, Ne veult pas Amours que faillies Els soient es autres contrées Ou telles ne sont encontrées; Car quiconques d'orfaverie D'or, d'argent ou de brouderie De soye ou d'aucune autre chose, Mais que soit en façon de rose, Portera l'ordre qui donnée Sera de la dame, ordonnée De par toy pour l'Ordre establir, Il souffist; et pour acomplir Ceste chose voicy les bulles, Ou monde n'a pareilles nulles, Si tesmoing la commission. Cil Dieu qui souffri passion Te maintiengne toudiz en l'euvre D'estude qui grant science euvre Et t'otroit son saint paradis, Je m'en vois et a Dieu te dis.» Adonc est celle esvanoÿe. Je m'esveillay toute esbahye; Ne vy ouvert huys ne fenestre, Merveillay moy que ce pot estre; Si me pensay que c'estoit songe, Mais ne le tins pas a mençonge Quant coste moy trouvay la lettre De la deesse au royal sceptre Qu'elle mist dessus mon chevet Coste moy, puis volant s'en vet. Par grant entente prises ay Les bulles et moult y musay, Car j'avoye lumiere d'oile. Je me levay et la chandoile Alumay adonc senz tarder Pour mieulx la bulle regarder. Mais oncques ne vy en ma vie Si de beauté lettre assouvie, Merveilles os, je vous plevy, De la grant beauté que g'i vy. Estrange en est moult la maniere: Le parchemin de fin or yere Et les lettres furent escriptes De fin azur, non trop petites Ne trop grans, mais si bien formées Que mieulx ne peust, non pas rimées Ne furent, mais en belle prose La contint l'Ordre de la rose. Le laz en fu de soye azure, Et le seel de belle mesure Fut d'une pierre precieuse Resplandissant et gracieuse: Le dieu d'Amours fut d'une part. Les piez ot sur un liepart, De l'autre part fut la deesse, De Loyauté dame et princesse. Les empraintes moult merveilleuses En furent et trop gracieuses; Et bien sembla de si bel estre Que n'estoit pas chose terrestre. Si leuz la lettre senz y point Faillir et notay chascun point. Lye fuz de la vision Et d'avoir tel commission; Car combien que je ne le vaille Ay je desir que nul ne faille, Et pour ce moy, qui suis commise A ce, ne doy estre remise De faire si bien mon devoir Que je n'en doye blasme avoir. Et pour ce ay je fait ce dictié Ou j'ay tout l'estat appointié Et mis la fourme et la maniere Comme il avint et ou ce yere, A fin qu'on le sache en tous lieux. Si soient tous jeunes et vieux Desireux d'estre retenus En l'Ordre, maiz n'y entre nulz S'il n'en veult bien son devoir faire, Car il se pourroit trop meffaire. Aussi aux dames amoureuses Qui de tout bien sont desireuses, J'entens de l'amour ou n'a vice, Mal, villenie, ne malice, Car quiconques le die ou non En bonne amour n'a se bien non, Et a celles generaulment Qui aiment honneur bonnement, Soit en ce regne ou autre part, Qui ont les cuers de noble part, De par la deesse je donne Le plain pouoir et habandonne De donner l'Ordre gracieux A tous nobles et en tous lieux Ou bien employé le verront A ceulz qui avoir le voulront; Mais s'aucun le prent et le jure Et puis après il s'en parjure Cellui soit tenu pour infame, Haÿ de tout homme et de famme, Car ainsi le veult la deesse Qui ceste chose nous adresse. Si feray fin, il en est temps, Priant Dieu que aux escoutans Et a ceulz qui liront mes dis Doint bonne vie et paradis. Escript le jour Saint Valentin Ou mains amans trés le matin Choisissent amours pour l'année, C'est le droit de celle journée. De par celle qui ce dictié A fait par loyale amitié, S'aucun en veult le nom savoir, Je lui en diray tout le voir: Qui un tout seul cry crieroit Et la fin d'Aoust y mettroit Se il disoit avec une yne Il savroit le nom bel et digne. LE DÉBAT DE DEUX AMANS Prince royal, renommé de sagece, Hault en valeur, poissant, de grant noblece, Duit et apris en honneur et largece, Trés agreable Duc d'Orliens, seigneur digne et valable, Filz de Charles, le bon roy charitable, De qui l'ame soit ou ciel permanable, Mon redoubté Seigneur vaillant, par vostre grant bonté Mon petit dit soit de vous escouté, Ne par desdaing ne soit en sus bouté Par pou de pris; Si ne l'ait pas vo haultece en despris Pour ce que j'ay pou de savoir apris, Ou pour ce qu'ay faible matiere pris Et hors l'usage De vo bon sens qui n'escoute language Qui tout ne soit trés vertueux et sage. Mais a la fois point ne tourne a domage A ouïr choses De divers cas en textes ou en gloses, Et meismement ou matieres encloses Joyeuses sont, soient rimes ou proses; Et par ouïr Choses qui font par nature esjouïr On fait souvent tristece hors fouïr. Car trop grant soing tolt souvent a joïr Cuer occupé D'avoir soulas, quant trop envelopé Est es choses ou il s'est entrappé, Ne corps humain, tant soit bien attrempé, Ne pourroit vivre Toudis en soing; et j'ay leu en un livre Que quant David, qui la loy Dieu voult suivre, Vouloit estre de tristece delivré, Lors de sa lire Moult doucement jouoit, et souvent l'yre Il rapaisoit de Dieu; et ouïr lire Choses plaisans font souvent joye eslire Aux escoutans. Si n'est nul mal et en lieu et en temps Lire et ouïr de choses esbatens. Et pour ce, Prince excellent, mal contemps Vous ne soiez De moy pour tant s'ay desir que voiez Un petit dit, lequel ay rimoiez Ad celle fin que vo cuer avoiez A soulacier Aucunement. Si vous vueil commencier A raconter, Dieu m'en vueille avancier, Un grant debat dont j'oÿ fort tencier A deux amans. Car tout d'amours sera cilz miens rommans: Si l'entendront François et Alemans Et toute gent, s'ilz entendent rommans; Mais jugement Y apertient; si suppli humblement Vo noble cuer qu'il daigne bonnement Droit en jugier, si comme sagement Le sara faire. Car li amant, ou il n'a que reffaire, Le requierent, et de tout cest affaire Il vous chargent, noble Duc debonnaire, Et si se tienent A vostre dit, car bien scevent et tienent Que droitturiers les jugemens qui viennent De vous touz sont, nez ceulx qui appartiennent Es faiz d'amours, Qui aux jeunes font souvent changier mours En bien ou mal, en joyes ou clamours; Mais naturel est a tous cil demours, Tant comme il dure, Si ne le doit nul tenir a laidure; Car tout ce qui est donné de Nature Nul ne le peut tollir, dit l'Escripture. Si vous diray Le grant debat, ne ja n'en mentiray, De deux amans, que je moult remiray; Car leur descort a ouïr desiray Et leur tençon Gracieuse, non mie en contençon. Ce fu en May, en la doulce saison, Qu'assemblée ot en moult belle maison Et gracieuse, Qui a Paris siet en place joyeuse, Compagnie joenne, belle et soingneuse De soulacier: creature envieuse N'ot en la route, Fors de jouer, si com je croy sanz doubte. Trés belle fu la compagnie toute, Ou mainte dame ot qui d'amer n'ot goute Et mainte gente Damoiselle parée par entente, Mainte gentil pucelle, et, que ne mente, De chevaliers y avoit plus de trente Et d'autre gent, Beaulz et gentilz, papellotés d'argent, Gays et jolis, assesmés bel et gent; Si furent tous et toutes deligent De joye faire. La ot moult bons menestrelz plus d'un paire Qui haultement faisoient le repaire Tout retentir. Si devoit a tous plaire Celle assemblée, Car feste et joye y estoit si comblée Qu'a cent doubles fu plus qu'autre doublée, N'elle n'estoit de discorde troublée Mais trés unie, Toute tristece en estoit hors banie. Et en place bien parée et ounie, Grant et large, nette, non pas honnie, Menoient tresche Joyeusement par dessus l'erbe fresche; Maint jolis tour, maint sault, mainte entrevesche Y veïst on, et lancier mainte fleche A doulz regart, Tout en requoy traire par soubtil art, Et qui mieulz mieulz chascun faisoit sa part De ce que doulz Deduit aux siens depart. Ainsi dançoient Tous et toutes, ne point ne s'en lassoient, Et en dançant leurs cuers entrelaçoient Par les regars que ils s'entrelançoient. Qui veist jolies Femmes dancier a contenances lies Si gayement de manieres polies, A chapiaulz vers de flours et d'acolies, Par mignotise Bien avenant, doulcetement assise, Rire et jouer, elles plaindre en faintise, Parler attrait de maniere rassise, Les contenances De ces amans a chascun tour des dances, Muer couleur, faire maintes semblances, Moult en prisast les doulces ordenances. Et puis après Les menestrelz, qui bien jouoient très Parmi chambres et parmi ces retrès, Oist on chanter hault et cler a beaulz trèz Bien mesurez. A brief parler, tant furent procurés La ris et jeux qu'il sembloit que jurez Fussent d'ainsi estre a feste adurez A tousjours mais. Et moy, en qui tout anuy est remais Depuis le jour que Mort de trop dur mais M'ot servie, dont je n'aré jamais, C'est chose voire, Plaisir joyeux au monde, ains aré noire Pensée adès pour la dure memoire De cil que je porte en ma memoire Sanz nul oubly, Dont l'esperit soit ou ciel establi, Qui seulete me laissa, n'entroubli Ne fait mon dueil, ou que soye, affoibli En nulle guise, Fus sus un banc en cellui lieu assise Sanz mot sonner, regardant la devise Des fins amans gentilz, plains de cointise, Tant renvoisiez Qui de mener soulaz furent aisiez. Mais je qui oz l'esperit acoisiez Consideray que de tous les proisiez De celle place Un escuier, bel de corps et de face, Y ot jolis, mais tant fut en sa grace Qu'il sembloit bien qu'il eüst plus grant masse De toute joye Qu'autre qui fust ou lieu, se Dieux me voie; Car mon regart a lui toudis avoye, En remirant la gracieuse voie De son maintien; Car il dançoit et chantoit si trés bien, Si liement jouoit, je vous di bien, Que il sembloit que le monde fust sien, Tant resjoÿ Forment estoit, ou qu'il eüst jouÿ De tous les biens dont oncqu' homme jouÿ, Tant parestoit son gay cuer esjoÿ, A droit voir dire; Car ne finoit de jouer et de rire, Ou de chanter et dancer tout a tyre. Mais de ses jeulz nul ne peüst mesdire Tant lui seoient, Car les autres tous resjoïr faisoient, Et ses soulas si gracieux estoient Qu'a toute gent communement plaisoient; N'il ne parlast Fors en riant et sembloit qu'il volast Quant il dançoit. Mais, quoy qu'il se celast, A peine un pas de nul costé alast Que de doulz oeil Ne regardast simplement sanz orgueil Telle qui fu present, ou tout son vueil Estoit assis, mais par soubtil recueil, Comment qu'il fust, Son regarder gittoit, qu'on n'apperceust Qu'a celle plus qu'a autre pensée eust. Si ne cuide je pas que pou lui pleust, Car bien sembloit Que pour elle fust en amoureux ploit, Tout non obstant que des gens tant s'embloit Comme il pouoit. Mais l'amoureux esploit Fort a celler Est aux amans qu'Amours fait afoler Par trop amer et venir et aler. Ainsi surpris d'amours, a brief parler, Cil sembla estre. Mais près du banc ou je seoie a destre Avoit assis decoste une fenestre Un chevalier qui sus sa main senestre Tint appoyé Son chief enclin, comme tout anoyé Et tout pensif, et pou ot festoyé, Ne il n'estoit joyeux ne desroyé, Ne esbatant Ne sembla pas, mais n'estoit pas pour tant Lait ne vieillart, ains de beauté ot tant Com nul qui y fust et moult entremetant En gentillece Et en honneur sembla et de jeunece Assez garny, jolis et sanz parece, Mais bien sembloit que pou eust de leesce Et pou de joye. Car moy qui lors dessus le banc seoie Soingneusement son maintien regardoie Pour ce que si pensif je le veoie Et sanz soulas, Par maintes fois li oÿ dire, hé las! Bassetement, n'estre ne pouoit las De souspirer comme homme qui en laz Est enserré; Et avec ce tant ot le cuer serré Que il sembloit qu'on l'eüst desterré, Tant pale estoit, ou qu'il fust enferré D'un fer trenchant. Et non obstant qu'il s'alast embruschant D'un chapperon, dessus ses yeulz sachant, Qu'on n'aperceust le pié dont fu clochant Ne son malage, Et tout fust il loyal, secret et sage, Si com je croy, si faindre son corage Ne pot qu'il n'eust tout au long du visage Souvent les larmes, Tant ne pouoit estre constant ne fermes Que couvrir peust les trés ameres armes Qu'Amours livre a ceulz qu'il rend trop enfermes Et maladis. Ainsi cellui fut la, com je vous dis. Morne, pensis et petit esbaudis. Mais, si me doint Jhesu Crist paradis, Telle pitié Me fist de lui veoir si dehaitié Qu'oncques homme, tant y eusse amistié, Ne m'atendry le cuer a la moitié Comme cellui Me fist, que la je veoie a par lui Morne, pensif, larmoier; ne nullui N'apercevoit, je croy, l'anui de lui Fors moy sanz plus. Car les autres toudis de plus en plus S'esbatoient, et cil estoit reclus Entre la gent plus simple qu'un reclus, Ne ne pensoit Que le maintien qui triste le faisoit Nul aperceust, car chascun y dançoit Fors lui et moy, et pour ce ne cessoit D'estre pensifs. Mais la cause qui si le tint rassis J'aperceu bien, car des fois plus de six Mua coulour quant près de lui assis Le corps gentil D'une dame belle et gente entre mil Estoit; adonc tout se transmuoit cil, Si la suivoit aux yeulz, mais si soubtil Fu son regart Qu'apercevoir ne le peust par nul art Nul ne nulle, n'avoit l'ueil autre part, Dont j'aperceu et vi tout en appert Que le meschief Qui lui troubloit et le cuer et le chief Venoit de la, je ne sçay par quel chief, Mais sanz cesser souspiroit de rechief. Ainsi se tint La longuement, dont trop de mal soustint. Mais or oiez après qu'il en avint: Quant ot songié assez il se revint Un pou a soy, Comme homme qui un pou a sa grant soy Estanchée; et je qui l'aperçoy Le regarday, mais, s'oncques nul bien soy, Me fu avis A son regart et au semblant du vis Qu'il aperceut que tout son maintien vis, Et come la estoit si com ravis, Si lui greva Que veü l'os. Ne sçay comme il en va, Mais assez tost de ce lieu se leva Et vers moy vint et achoison trouva De m'arresner. Et moy qui moult me voulsisse pener De l'esjouïr, se g'y sceusse assener, Pour la pitié qu'oy eu, dont atorner En tel conroy L'avoie veu, quant devers la paroy Le vi venir vers moy sanz nul desroy Je me levay; mais, s'il fust filz de roy Ou duc ou conte, Sot il assez que gentillece monte. Courtoisie, qui les bons en pris monte Et qui aprent, enseigne, duit et domte Tout bon courage, Lui ot apris; adonc le doulz et sage Si me rassist, et, sanz querre avantage De nul honneur, humblement, sanz hauçage, Dessus le banc Decoste moy s'assist cil qui fu blanc Et pale ou vis, ou n'ot couleur ne sang Par trop amer, et son bras par le flanc Adonc me mist Courtoisement, et bellement me dist: «Que pensez vous cy seule? Car il n'yst De vous nul mot, bien croy qu'il vous souffist De cy penser Sanz autre esbat, pour quoy n'alez dancer?» Et je respons: «Mais vous, sire, avancer Pou vous en voy et ne deussiez cesser De vous esbatre, Ce m'est advis, car en ce lieu n'a quatre Qui plus soient joennes, mais pou embatre Je vous y voy, ne sçay qui fait rabatre Si vo pensée?» Et cil, qui voult la doulour qu'amassée Avoit ou cuer moy celler, a pessée Parole dist: «En peu d'eure est passée Certes ma joye, Tant suis rudes que dancer ne saroye Ne autrement jouer, et toutevoie N'ay je courroux ne chose qui m'anoye, Mais c'est ma guise D'estre pensif, ce n'est pas par faintise; Dieux a en moy tel condicion mise. Ou qu'il m'anoit ou que bien me souffise, C'est ma nature.» Ainsi parlions a bien basse murmure Et ja avions conté mainte aventure Quant vers nous vint cellui tout a esture, Dont j'ay parlé Ycy dessus, qui n'ot cuer adoulé Ains fu joyeux; si a l'autre acolé Tout en riant, et a lui rigolé S'est bellement, Et d'un et d'el parlerent longuement, Mais sus amours tourna le parlement. Si dist adonc l'escuier liement: «A ma requeste Parlons d'amours un pou, et, sanz arreste, D'entre nous trois de deviser s'apreste Son bon avis chascun, et s'amours preste Plus joye ou mains Aux vrais amans, vous pry a jointes mains Qu'en devision, que nul ne l'oye; au mains Pouons parler de ce dont joye ont mains. Si faisons conte Que c'est d'amer, de quoy vient n'a quoy monte Ycelle amour qui le cuer prent et dompte, A quoy c'est bon, s'onneur en vient ou honte; Chascun en die Ce qu'il en scet, ou se c'est maladie Ou grant santé, ou se l'amant mendie Qui dame sert. Le corps Dieu le maudie Qui mentira De son avis et qui tout ne dira Des tours d'amours ce qu'il en sentira! Or y perra qui le mieulx enlira. Mais je conseil Que nous yssions trestous trois hors du sueil De cel huis la et alions en ce brueil, Ou il fait vert, nous seoir en recueil Joyeusement, Pour deviser la plus secretement, Que nul n'oye l'amoureux plaidement Fors que nous trois.» Et adonc vistement Nous nous levasmes, Mais par mon loz une dame appellames Avecques nous, qui het mesdis et blasmes; Encore avec pour le mieulx y menames Une bourgoise Belle, plaisant, gracieuse et courtoise; Par mon conseil fu fait, car qui racoise Des mesdisans la murmure et la noise Moult sages est. Si partismes de la, et, sanz arrest, Ou bel vergier entrames qui fu prest A deduire, plus dru qu'une forest D'arbres moult beaulx, Qui en saison portent bons fruis nouviaulx, Ou en printemps se deduisent oisiault, Et en beau lieu, qui y fist ses aviaulx, Fusmes assis. Adonc cellui qui fu le moins pensis Dist a l'autre qui ot plus de soussis: «Dites, sire, car plus estes rassis Et le plus sage, Vo bon avis de l'amoureux servage, S'il en vient preu, joye, honneur ou dommage?» Et cil respont: «Beaulz amis, c'est l'usaige Selon raison Qu'en trestous cas et en toute saison Honneur porte aux dames tout gentilz hom, Premier diront, beau sire, et nous taison. Dites, ma dame, Vo bon avis de l'amoureuse flamme, Se joye en vient ou dueil a homme et femme?» Et celle dit et respont: «Par mon ame, Je ne sçaroye Qu'en dire au fort, quant est de moy loueroie Que vous deissiez et voulentiers l'orroie, Car proprement certes n'en parleroie; Dites, beau sire, Car je sçay bien que mieulx en sçarés dire.» Et cil respont: «Ne vous doy contredire. Ne vueille Dieux qu'a ce ja mon cuer tire Que vous desdie. Puis qu'il vous plaist, ma dame, que je die Ce qu'il m'est vis, quoy qu'autre contredie, Des fais d'amours et de la maladie Qui vient d'amer, Se plus en vient de doulz et moins d'amer, Selon que sçay et que puis extimer Par essaier et par m'en informer, J'en parleray Ce que j'en sens, ne ja n'en mentiray, Combien qu'autres trop mieulz que ne sçaray En parleroit, toutefois en diray Tout mon avis, S'oncques je sçoz cognoistre ne ne vis Les tours d'amours par qui cuers sont ravis. C'est un desir qui ja n'est assouvis, Qui par plaisir En jeune cuer se vient mettre et choisir Lui fait amour; de ce naist un desir De franc vouloir, qui le cuer vient saisir De tel nature Qu'il rent amant le cuer et plein d'ardure Et desireux d'estre amé tant qu'il dure. Mais tant est grant celle cuisant pointure Qu'elle bestourne Toute raison et tellement atourne Cil qui est pris que du joyeux fait mourne Et le morne en joyeuseté tourne, Souvent avient. C'est une riens de quoy l'omme devient Tout tresmué, si qu'il ne lui souvient De nulle honneur ne de preu ne li tient; Souventes fois Oublier fait et coustumes et drois, Fors volenté n'y euvre en tous endrois. C'est Sereine qui endort a sa vois Pour homme occire. C'est un venin envelopé de mirre Et une paix qui en tout temps s'aÿre; Un dur liain, ou desplaisir ne yre N'a nulle force Du deslier. C'est vouloir qui s'efforce De nuire a soy; une pensée amorse A desirer, par voie droitte ou torse, Avoir aisance De ce en quoy on a mis sa plaisance, Et quant on l'a, n'y a il souffisance. Car le las cuer est toudis en balance S'il aime fort, Car s'il avient que l'amant tant au fort Ait fait qu'il soit amé, et reconfort Lui soit donné, si me rens je bien fort Que celle joye N'yert ja si grant qu'Amours ne lui envoie Mille soussis contre une seule voie D'avoir plaisir, ne que ja son cuer voie Asseüré, Et tout soit il ou jeune ou meüré, Ou bel ou bon, ja si beneüré Ne se verra que trés maleüré Il ne se claime Souventes fois, se parfaittement aime. Car Fortune, qui les discordes semme, En plus perilz que nef qui va a reme, Par maintes voyes, Le fichera, mais le las toutevoies Tout le peril ne prisera deux oies Mais qu'il ne perde aucunes de ses joyes Chier achetées. Haÿ, vray Dieux! quantes doleurs portées Sont es las cuers ou amours sont boutées! Quant m'en souvient, de moy sont redoubtées Les dures larmes, Les durs sangloux et les mortelz voacarmes, Et les souspirs plus poignans que gisarmes. Et se parler en doy comme clerc d'armes, Ce scet bien Dieux, Et quel dongier et quel torment mortieulx Porte l'amant, ou soit jeunes ou vieulx, Pour faire tant qu'il lui en soit de mieulz Devers sa dame, S'il est a droit espris de l'ardent flamme Qui par desir l'amant art et enflamme, Avant qu'il soit amé, je croy, par m'ame, Qu'assez endure De griefs anuis, je ne sçay comme il dure En tel torment, en si mortel pointure, N'il n'a en soy autre soin n'aultre cure Que celle part Ou il aime; si a quitté sa part De tous les biens que Fortune depart Pour cellui seul, qui pou lui en espart, Certes peut estre. Ainsi le las son paradis terrestre A fait de ce qui son cuer plus empestre, Et tout soit il roy ou duc ou grant maistre Fault qu'il s'asserve, Ou vueille ou non, et que sa dame serve Et vraye amour, ains que joye desserve. Et puis y a encor plus dure verve: S'on l'escondit, Or se tient mort le las, or se maudit, Et puis Espoir autre chance lui dit, Puis Desconfort revient et l'en desdit; Ainsi n'a paix. En tous endrois le sert de divers mais Ycelle amour, qui ne lairoit jamais Avoir repos le cuer ou est remais Cellui vouloir. Mais supposé qu'a l'amant tant valoir Lui vueille Amour que cause de doloir N'ait en nul cas, ne lui doie chaloir Fors de leece, Et qu'a son gré du tout de sa maistrece Il soit amé, qui lui tiegne promesse Et loiaulté, ne croiez qu'a destrece Pour tant ne soit; Car Faulz Agait, qui moult tost aperçoit Le couvine des amans et conçoit Par leurs semblans leur fait, comment qu'il soit, Ne s'en taist pas; Si reveille moult tost, plus que le pas, Les mesdisans, cui Dieux doint mau repas, Qui font gaitier Jalousie au trespas Et mettre barres Es doulz deduis des amans et enserres. Lors commencent et murmures et guerres Souventes fois, trop plus grans que pour terres Ne pour avoir. Beau sire Dieux! qui pourroit concepvoir Le grant tourment qu'il convient recepvoir Au povre amant, qui ne peut bien avoir Pour le parier Des mesdisans qui lui tollent l'aler Devers celle qu'il aime et veult celer. Trop durement font l'amant adoler Les mesdisans Ou le jaloux, qui trop lui est nuisans. Ceulz lui tollent ses doulz biens deduisans, Dont tel dueil a qu'au lit en est gisans En desespoir Souventes fois, ou il se met apoir En grant peril de mort, s'il n'a pouoir De soy chevir autrement, ne espoir Qu'autrement puist Celle veoir pour qui le cuer lui cuist. Encor y a une chose qui nuist Trop aux amans et qui a dueil les duist C'est jalousie, Qui oublier fait toute courtoisie Au las amant, qui si fort se soussie Qu'il est aussi comme homme en frenesie Et loings et près. S'il s'aperçoit que un autre amant engrès De celle amer soit, ou son cuer est trais, Sachiez de voir, s'il y voit nulz attrais Qu'elle lui face. Il en muera sens et couleur et face, Ne je ne cuid qu'autre meschief efface Ce mortel soin, quoy qu'il se contreface Joyeux ne lié. C'est mort et dueil, qui estre appalié Certes ne peut, n'en paix estre alié, Le cuer qui est de tel tourment lié. C'est une rage Trop amere qui met l'omme en courage De faire assez de maulz et de domage. Pluseurs en ont honneur et heritage Souvent perdu. Qui jaloux est a meschief s'est rendu, Mieulz lui vauldroit gesir mort estendu, Mais grant amour lui a ce bien rendu En guerredon; Car trop amer si empetre ce don Au pouvre amant, qui de son cuer fist don; Si lui semble que trop perderoit don S'un autre avoit Le bien que si chier comparer se voit. Mais certes se le las mourir devoit N'en partiroit, nez s'il ores savoit Que relenqui Et delaissié l'eüst sa dame, en qui Son cuer a tout, puis qu'amours le vainqui Par un regart qui du doulz oeil nasqui, Que il tant prise. Et qu'a celle qui tant est bien apprise Il s'est donné et qu'elle a s'amour prise; Jamais nul jour n'en doit estre desprise, Comme il lui semble, Pour riens qui soit, mais tous les maulz assemble En son las cuer: qui d'aïr sue et tremble Et souvent het, et puis amour rassemble, C'est dure dance Et moult estrange vie et concordance; Et tout d'amour en vient la dependence. Ainsi en soy n'a ne paix n'acordance, Ains derve d'yre Le las amant jaloux, quant il ot dire Ou apperçoit qu'a autre amour se tire Celle de qui ne peut ouïr mesdire Et si le laisse. Si est plus serf que chien qu'on meine en laice, Que le veneur tient n'aler ne delaisse; Ainsi le tient celle qui pou l'eslece En son dongier. Ha! quel amour qu'on ne puet estrangier Du dolent cuer, tant sache dommagier! On s'en doit bien de dueil vif enragier Que il conviengne A force amer ce dont fault que mal viegne, Et que subgiet obeïssant se tiengne Le las amant, quelque mal qu'il soustiengne, C'est grant merveille. Amours! amours! nul n'est qui ne s'en dueille, Cil qui te sert pou repose et moult veille, Et trop pener lui fault, vueille ou ne vueille, Qui tu accointes. Mais regardons encore les plus cointes, Les mieulz amez et ceulz qui n'ont les pointes Qu'ont les jaloux, qui sont d'amertume ointes, Sont ilz dehors Ces grans meschiefs?-Je croy que non encors, Ains y perdent pluseurs et ame et corps; S'il m'en souvient et se j'en ay recors, Quant sont peris Par tel amour en France et a Paris Et autre part! Ainsi furent meris Jadis pluseurs amans: meismes Paris, Qui belle Helaine Ot ravie en Grece a moult grant peine, Dont Troye, qui tant fu cité haultaine, Fu puis arse, destruitte et de dueil pleine, Ou fu perie La plus haulte et noble chevalerie Qu'ou monde fust, et si grant seigneurie; Meisme a Paris durement fut merie L'amour sanz faille, Car Thelamon l'occist en la bataille. Et deux amans autres, que je ne faille, Reçurent mort, comme Ovide le baille En un sien livre, Pour celle amour qui les folz cuers enyvre; Car moult souvent, pour joyeusement vivre, S'assembloient, et leur vouloir ensuivre, En un bouscages Qu'ot nom Limaux; la les bestes sauvages Devorerent l'amant, ce fu domages. Et Piramus, l'enfant cortois et larges, Et la trés belle Doulce Thysbé, la jeunete pucelle, Ne s'occirent ilz sus la fontenelle? Soubz le meurier blanc il moru pour elle Et elle aussi S'occist pour lui, dont le meurier noircy Pour la pitié dont morurent ainsi. Ainsi grief mort les deux enfans corsi Par trop amer. Piteusement aussi peri en mer Lehander qui, pour garder de blasmer Belle Hero, qui le voult sien clamer, Par nuyt obscure, Le las amant! prenoit telle aventure De mer passer en sa chemise pure, Dont une fois, par grant mesaventure, Y fu noyés Par tempeste de temps. Voiez, voiez Comment les las amans sont avoiez Qui par amours sont pris et convoiez! Qu'ont ilz de peine? Et Achillès aussi pour Polixenne Ne morut il quant en promesse vaine Il se fia, dont mort lui fu prochaine? Ne fut donc mie Raison en lui bien morte et endormie Quant il eslut pour sa dame et amie Celle qui ert sa mortel anemie? Mal lui en prist. Ce fist Amours, par qui maint en perist, Mais, quant mal vient aux gens, il s'en soubzrist. Et ceste amour trop durement surprist Aessacus, Filz au bon roy Priant, qui si vaincus Fu d'amer trop, que sanz querir escus En mer sailli, comme trop yrascus Que reffusé L'ot celle, a qui long temps avoit musé; Dont les fables, qui le fait encusé Ont, tesmoignent qu'en plungon fut rusé Et tresmué: Si com se fu dedens l'eaue rué, En cel oisel fut tantost remué; Pour amour fu en tel forme mué, En tel maniere, Son corps gentil oncques n'ot autre biere; Veoir le peut on en mainte riviere Ou de noier encor monstre maniere; Les Dieux de lors Pour memoire changierent si son corps. Mais regardons d'autres amans encors Qui pour amer furent periz et mors Et exillié. Ypis aussi tant fort fu traveillié Par tel amour, qui si l'ot bataillié, Qu'il s'en pendi, comme mal conseillié, A l'uis de celle Qui reffusé a response cruelle L'ot durement, et pour celle nouvelle Le las s'occist; mais les Dieux de la felle Vengence en pristrent, Car ymage de pierre dure firent Son corps cruel devenir; si la virent Pluseurs dames qui exemplaire y prirent, Ce fu raison. Et a Romme, pour autelle achoison, Un jouvencel s'occist qui sa raison Ot comptée, ne sçay en quel saison, A son amée; Mais la felle, comme mal informée, Le reffusa, et cil en la fumée Tout devant elle a sa char entamée D'agus couteaux, Ainsi fina. Mais de temps plus nouveaux Or regardons: de Tristan qui fu beaulz, Preux et vaillant, amoureux et loyaulz, Quelle la fin En fu pour bien amer de vray cuer fin? Ne le gaita son oncle a celle fin Qu'il l'occisist et mort a la perfin Il lui donna. Mais celle amour Yseut si ordenna Qu'entre les bras de son ami fina; Par mon serment, cy piteuse fin a De deux amans. Et Cahedins, si com dit li romans, Ne morut il plus noircy qu'arremans, Pour tel amour: si fu ses testamans Plein de pitié. Encor depuis regardons l'admistié Du chastellain de Coussy, se haitié Il fu d'amours, je croy, qu'a grant daintié En avoit bien, Mais la dame du Faël, qui pour sien Tout le tenoit, je croy, l'acheta bien, Car puis que mort le sçot ne voult pour rien Plus estre en vie. Et du Vergy la trés belle assouvie Chastellaine, qui de riens n'ot envie Fors de cellui a qui avoit plevie Amour loyale; Mais elle et lui orent souldée male Par trop amer, car mort en ieurent pale. Si ont fait maint et en chambre et en sale A grant dolour Par tel amour, qui fait changier coulour Souventes fois, ou soit sens ou folour, Suer en froit et trembler en chalour. Mais je m'en passe Pour plus briefté, et, se tous vous nommasse, G'y mettroye, je croy, un an d'espace. Mais des periz en y a si grant masse Que c'est sanz nombre, Par tel amour, qui passe comme un ombre Et le las cuer sy empesche et encombre Que ses meschiefs il ne compte ne nombre. En maintes guises Sont les peines des amoureux assises: Les uns si ont voies couvertes quises Pour bien avoir, mais doulours ont acquises Estrangement, L'un pour raport, l'autre pour changement, L'autre ne peut avoir alegement, L'autre par non soy mener sagement En gist pasmé, Par divers cas et tels qu'ilz ont amé Trop haultement, dont ont esté clamé Faulz, desloiaulz, et en chartre enfermé Ou detrenchiez; Et de telz qui en ont perdu les chiefs Diversement, et mains autres meschiefs En sont venus a ceulz qui atachiez En tel maniere Sont tous les jours, c'est chose coustumiere. Pour tel amour sont maint portez en biere Qui comparent yceste amour trop chiere, En maint endroit. Qui tous les cas deviser en vouldroit. Qui avienent, long temps y convendroit. Mais trop souvent avient, soit tort ou droit, Dont c'est domages. Quantes noises sordent es mariages Pour ceste amour qui dompte folz et sages; Car ou s'esprent il n'est si fort corages Qu'elle ne change. Si fait amer souvent le plus estrange Et delaissier le privé pour eschange, Estrangement les cuers entremeslange Sanz que raison Clamée y soit, si n'y vise saison Ne temps ne lieu: c'est l'amoreux tison Qui meismement fait mainte mesprison Faire au plus sage, C'est le piteux et mal pelerinage, La ou Paris ala par mer a nage, Ou il ravi Heleine au cler visage Qui comparée Fu durement par Venus l'aourée Et Cupido son filz, qui procurée A mainte amour, dont pluseurs la courée Et les entrailles Ont eux perciés, ne sont pas devinailles. Quels que soient d'amours les commençailles Tousjours y a piteuses deffinailles. Fuiez, fuiez Yceste amour, jeunes gens, et voiez Comment on est par lui mal avoiez! Ses promesses, pour Dieu, point ne croiez! Car son attente Coste plus chier que ne fait nulle rente, Nul ne s'y met qu'après ne s'en repente, Car trop en est perilleuse la sente, Sachiez sanz doubte, Et moult en est de legier la foy roupte. C'est un trespas obscur, ou ne voit goute Cil qui s'y fiert et nycement s'i boute, N'est pas mençonge; Tant de meschiez en vient que c'est un songe, Si tient plus court que l'esparvier la longe, Et mal en vient, le plus de ce respons je, C'est fait prouvé; Croiez cellui qui bien l'a esprouvé. Si ne suis je mie pour tant trouvé Sage en ce cas, mais nyce et reprouvé, C'est mon dommage. Mais a la fois un fol avise un sage, Et qui esté a en longtain voiage Peut bien compter comment on s'i heberge En mainte guise. Qui s'y vouldra mirer je l'en advise; Car tous les jours avient par tel devise, Mais du peril ne se gaite ny vise L'amant musart, Qui sa vie met en si fait hasart Et n'eschieve l'ardent feu, ou tout s'art, Ainçois le suit et celle amour de s'art L'amant esprent Par le plaisir qui a amer l'aprent; Si le tient si qu'il ne scet s'il mesprent Ou s'il fait bien, et, s'aucun l'en reprent Il s'en courrouce Ne gré n'en scet, tant a pleines de mouce Ses oreilles, qui de raison escouse Sont si qu'ouïr lui semble chose doulce De chose amere, Et sa marastre il retient pour sa mere; Felicité lui semble estre misere, Et de misere et servage se pere; Est il bien bugle? Ainsi amours fait devenir aveugle Le fol amant qui se cuevre d'un creuble Et bien cuide veoir, ou temps de neuble, Le cler soleil, Et juge bon ce qui lui plaist a l'ueil. Ainsi est il; pour tant, dire ne vueil Ce que je di pour ce que n'aye vueil D'amours servir, Ne pour blasmer qui s'y veult asservir, Mais pour dire comme il s'i fault chevir Qui a amours veult loiaulté plevir De cuer certains! Ainsi, ma dame, et vous, beau doulz compains, Ouïr pouez que l'amant a trop mains De ses plaisirs, s'il est a droit atains, Qu'il n'a de joye. Ce scevent ceulz qu'amours destraint et loie En ses lïans, ou maint homme foloie; Savoir le doy, car griefment m'en doloie Quant en ce point Estoie pris, encor n'en suis je point Quitte du tout, dont dessoubz mon pourpoint Couvertement ay souffert maint dur point A grant hachée. Mais je ne croy qu'a nul si bien en chée Que tel peine ne lui soit approuchée, Com je vous ay yci ditte et preschée, Ce n'est pas fable.» Quant le courtois chevalier amiable Ot finée sa parole notable, Que li pluseur tendroient veritable, Et bien contée, Ditte a biaulz trais, ne peu ne trop hastée, La dame adonc, qui bien l'ot escoutée, Recommença et dist: «Se j'ay nottée Vostre parole, Bien a son droit Amours a dure escole Tient les amans, qui n'est doulce ne mole, Si com j'entens, et qui maint homme affole Sanz achoison. Mais quant a moy tiens que mie foison Ne sont d'amans pris en telle prison, Tout non obstant que pluseurs leur raison Vont racontant Puis ça, puis la, aux dames, mais pour tant N'y ont le cuer ne ne sont arrestant En un seul lieu, combien qu'assés gastant A longue verve De leurs moz vont, mais que nul s'i asserve Si durement ne croy, ne que ja serve Si loiaulment de pensée si serve Amours et dame; Et, sauve soit vostre grace, par m'ame Ne croy que nul tant espris de tel flamme Soit qu'il ait tant de griefs dolours pour femme; Mais c'est un conte Assez commun qu'aux femmes on raconte Pour leur donner a croire, et tout ne monte Chose qui soit, et celle qui aconte A tel language A la perfin on la tient a pou sage; Et quant a moy tiens que ce n'est qu'usage D'ainsi parler d'amours par rigolage Et passer temps. Et s'il fu voir ce que dire j'entens Qu'ainsi fussent vray en l'ancïen temps Li amoureux, il a plus de cent ans Au mien cuidier Que ce n'avint, ce n'est ne d'ui ne d'ier Qu'ainsi attains soient; mais par plaidier Et bien parler se scevent bien aidier Li amoureux, Et, se jadis et mors et langoreux Ilz en furent et mains maulz doloreux Endurerent, meismes li plus eureux, Comme vous dittes, Je croy qu'adès leurs doleurs sont petites, Mais es romans sont trouvées escriptes A droit souhaid et proprement descriptes A longue prose. Bien en parla le Romans de la Rose A grant procès et aucques ainsi glose Ycelle amour, com vous avez desclose En ceste place, Ou chapitre Raison qui moult menace Le fol amant, qui tel amour enlace, Et trop bien dit que pou vault et tost passe La plus grant joye D'ycelle amour, et conseille la voie De s'en oster, et bien dit toutevoye Que c'est chose qui trop l'amant desvoye Et dur fleyaulx, Et que c'est la desloiaulté loiaulz Et loiaulté qui est trop desloyaulz, Un grant peril aux nobles et royaulz, Et toute gent Sont perillé s'ilz en vont approchant. Ainsi fu dit, mais je croy qu'acrochant Pou y vont, mais tous n'aiment fors argent Et vivre a aise. Et qui pourroit aussi vivre ou mesaise Qu'avez conté? Je croy, par saint Nycaise! Qu'homme vivant n'est, a nul n'en desplaise, Qui peust porter, Tant soit il fort, les maulz que raconter Vous oy yci, sanz la mort en gouster; Mais je n'ay point ou sont ouÿ conter Ly cymentiere Ou enfouÿ sont ceulz qu'amours entiere A mis a mort, et qui por tel matiere Ont jeu au lit ou porté en litiere Soient au saint Dont le mal vient; et, quoy que dient maint, Je croy que nul, fors a son aise, n'aint. Pour desdire vo dis et vo complaint Ne le dis pas, Sauve vo paix, ne je ne me debas Qu'estre ne puist, mais je croy qu'a lent pas Sont trouvez ceulz qui ont si mal repas Par trop amer.» Adonc cellui qui ja n'esteut nommer, C'est l'escuier ou n'ot goute d'amer, Parla ainsi com m'orrez affermer Et briefment dire: «Beaulz doulz compaings et amis, et chier sire, Je me merveil n'il ne me peut souffire Dont vous dittes que c'est des maulz le pire Que cil qui vient De par amours amer, s'il m'en souvient Vous avez dit que l'amant tout devient Morne et pensis quant telle amour survient En ses pensées Et qu'aux plus lié ses joyes sont passées Souventes fois et doulours amassées En lieu de ris; et de vous sont tauxées Moult pou les joyes Qui a l'amant vienent par maintes voies, Par doulz desirs et par pensées coyes Et en mains cas autres; et toutevoies Tout le plaisir Envers le mal, qui avient par desir Et par servir sa dame a long loisir, Petit prisiez; qui vous orroit choisir Il sembleroit Que le loial amant, qui aimeroit De tout son cuer, jamais nul bien n'aroit. Espoventé seroit qui vous orroit D'amer acertes, Quant si payé seroit de ses dessertes: S'ainsi estoit, ja nul n'ameroit certes, Quant telz peines lui seroient offertes Et nul loier Ou bien petit, il n'est nul qui loier En tel liain se voulsist, mieulz noyer Trop lui vauldroit que ainsi s'avoier A tel contraire. Mais de tout ce que ouÿ vous ay retraire, Sauve vo paix, je tiens tout le contraire Et que plus bien par amer sanz retraire Il peut venir Au vray amant que mal, qui maintenir S'y veult a droit et loyaulté tenir. Quant est de moy, je tiens et vueil tenir Que d'amour vienent Tous les plaisirs qui homme en joye tienent Et tous les biens qui aux bons apartienent. En sont apris et tout honneur retienent Li amant fin, Qui loiaument aiment a celle fin De mieulz valoir et d'avoir en la fin Joye et plaisir; ne croy qu'a la parfin Mal leur aviengne; Je consens bien que de frang voloir viegne Ycelle amour, mais que l'amoureux tiegne Morne et dolent n'est drois qu'il apartiegne. Et supposé Q'amé ne soit, ne tant ne soit osé Qu'a celle en qui tout son cuer a posé Le die, et que ja ne soit repposé D'amer sanz ruse, S'il fait le droit n'est raison qu'il s'amuse A duel mener; poson qu'on le reffuse: Quant en ce cas, se de raison n'abuse, Bonne esperance Le doit tenir, ou qu'il soit, en souffrance, Ne doit pour tant s'enfuïr hors de France Ou par despoir son corps mettre a oultrance De mort obscure. Si ne vient point tant de male aventure, Sauf vostre honneur, ne reçoit tant d'injure, A homs qui met en bien amer sa cure, Comme vous dittes; Ainçois Amours paye si hault merites A ses servans que toutes sont petites Leurs peines vers les grans joyes eslites Qu'il leur en rend. Quar quant l'amant a vraye amour se rend, Qui le reçoipt et lui promet garent Contre tous maulz, comme prochain parent, Il le remplist D'un doulz penser qui trop lui abelist, Qui ramentoit la belle qu'il eslist A sa dame et la doulceur qui d'elle yst Et tous ses fais. La est l'amant de joye tous reffais Quant lui souvient du gent corps trés parfais De la trés belle, et c'est ce qui le fais D'amour parfaite Lui fait porter, et espoir qui l'affaitte Et qui lui dit qu'encore sera faitte L'acointance, sanz ja estre deffaitte, De lui et d'elle; Et ainsi sert, en esperant, la belle Et bonne amour qui souvent renouvelle Ses doulz plaisirs; car, se quelque nouvelle Ouïr il peut Dont esperer puist avoir ce qu'il veult Ou regardé en soit plus qu'il ne seult, Sachiez de vray que ja si ne s'en deult Que le confort Ne soit plus grant que tout le desconfort, Ne ja desir ne le poindra si fort Qu'il n'ait espoir et doulz penser au fort Qui le conforte. Ycelle amour toute pensée torte Tolt a l'amant et tout bien lui enorte; Si met grant peine a estre de la sorte Aux bons vaillans. S'il aime a droit, courtois et accueillans En devendra et a tous bienvueillans; Si het orgueil ne il n'est deffaillans En nul endroit, Nul villain tour ja faire ne vouldroit, Tous vices het, si est larges a droit, Joyeux et gay, cointe, apert et adroit Est devenu. Je n'ara tant esté rude tenu Qu'il ne lui soit lors si bien avenu Que on dira que de tout vice est nu Et de rudece. Si est apris en toute gentillece Et aime honneur et vaillance et proece Et la poursuit a fin que sa maistrece Oye bien dire De tous ses fais; son cuer est vuidié d'yre Et du pechié d'avarice qui tyre A maint meschiefs; et gentement s'atire En vestement Et entre gent se tient honnestement, Liez et appert, et saillant vistement; Joyeux, riant, gracieux, prestement Apareillié Est a tous biens, songneux et resveillié. Et vous dittes qu'il est si traveillié Par celle amour qui l'a desconseillié Et mis en trace D'estre plus serf que chien qui suit a trace, Plein de meschief! Mais, Sire, sauf vo grace, Ains est entré en voie plaine et grace Et plantureuse De tous les biens, benoite et eüreuse, Doulce, plaisant, trés sade et savoureuse; Ne fu il dit de la vie amoureuse, Trés assouvie: En amer a plaisant et doulce vie, Jolie, qui bien la scet sanz envie Maintenir, et qui vray amant renvie A tous soulas? Et il y pert; car ja si fort le las N'estraint l'amant que il puist estre las D'ycelle amour, combien qu'il die: hé las! Tant lui agrée La pensée trés loiale et secrée Qu'il a ou cuer, qui tant lui est sucrée Qu'il ne vouldroit pour riens que deshencrée De lui ja fust. C'est un doulz mal, chascun amer deüst, Ne blasmée, se le monde le sceust, N'en deust estre femme, qui m'en creüst, Car c'est plaisance Trop avenant, et de gaye naiscence Vient celle amour qui oste desplaisance Du jolis cuer et remplist tout d'aisance Et de baudour. Beau Sire Dieux! quel trés souesve ardour Rend doulz regard au vray cuer amadour Quant il s'espart sus l'amant! Onque odour Tant precieuse Ne fu a corps d'omme si gracieuse, Ne viande, tant fust delicieuse; Si n'en doit pas estre avaricieuse A son amant Dame qui paist cellui en elle amant, Qu'elle a s'amour tire com l'aïmant Atrait le fer, et, com le dyamant, Est affermé En sienne amour, et des armes armé Qu'Amours depart a ceulz qu'il a charmé Pour lui servir et du tout confermé. Mais or dison Quelle joye reçoit le gentilz hom, Le fin amant, qui est en la prison De sa dame sanz avoir mesprison En riens commise: Se il avient que il ait tel peine mise Que sa dame son bon vouloir avise Tant que s'amour lui donne par franchise En guerredon, Je croy qu'il soit bien enrichi adon; Car plus joye a, se Dieux me doint pardon, Je croy, que s'il eust le monde a bandon, Voire plus, certes! S'il aime bien et la desire acertes. Or est il bien meri de ses dessertes, Car ne prise ne ses deulz ne ses pertes, Or est il aise. Quelle est la riens qui peut mettre a messaise Le fin amant que sa dame rapaise Et doulcement l'embrace et puis le baise? Que lui faut il? N'est il aise? N'a il plus de cent mil De doulz plaisirs? Je le tendroie a vil Se plus vouloit, certes eureux est cil Qui en tel cas A eu pour lui Amours pour avocas, Il n'a garde d'estre flati a cas; Joyeux est cil, ne doit pas parler cas Ne enroué; Bien l'a gari le saint ou s'est voué. Mais dit avez, si ne l'ay contrové, Que Faulz Agait, qui maint homme a trouvé En recellée, Par qui mainte grant euvre est descellée, Ne s'en tait pas; par lui est pou cellée La chose, car parlant a la voulée L'amant acuse, Si reveille Jalousie qui muse Pour agaitier et a l'amant reffuse Son doulz soulas; si ne le tient a ruse Ne s'en deporte, Ainçois le las si fort s'en desconforte Que joye et paix dedens son cuer est morte, Et mesdisans, qui resont a la porte, De l'autre part Le grievent tant qu'il a petite part De ses soulas, et ainsi lui depart Amours cent maulx pour un tout seul espart De ses desirs. Quant en ce cas, je consens que souspirs Au pouvre amant sourdent et desplaisirs Quant empesché lui sont ses doulz plaisirs; Mais vraiement, Quant il bien pense et scet certainement Que sa dame l'aime trés loiaulment, Ce reconfort lui fait paciemment Porter son deuil, Et s'un doulz ris, regardant de doulz oeil, Lui fait de loing par gracieux accueil, Il souffist bien pour avoir joyeux vueil, Qui mieulx ne peut. Si est trop folz l'amant qui tant se deult Com vous dites, car en tous cas, s'il veult, Assez de bien et de doulceur recueult Pour s'esjoïr. Mais merveilles je puis de vous ouïr, S'ainsi estoit mieulz s'en vauldroit fouïr Qu'en tel langour son cuer laissier rouïr N'en tel courroux, Qui nous dittes que l'amant est jaloux, S'il aime bien, et plus dervé qu'un loups, S'il voit qu'autre pourchace ses biens doulz, Et souspeçon Sur sa dame a, dont a tel cuisençon Qu'ester ne peut n'en rue n'en maison, Et dont il lit mainte laide leccon Sanz courtoisie. Si suis dolent quant vous tel heresie Sur vraye amour metés, qui jalousie Y adjoutez, qui tant est desprisie Et tant maudite. Si nous avez or tel parole ditte Que d'amours vient jalousie despite, Dieux! de l'amour certes elle est petite! Ne sçay entendre Qu'estre ce puist ne je ne puis comprendre Que souspeçon et amour on puist prendre Parfaittement ensemble, sanz mesprendre Vers amour fine; Car vraye amour toute souspeçon fine, Et qui mescroit certes l'amour deffine; Car loiaulté, qui tout bon cuer affine, On doit penser Estre en celle qu'on aime sanz cesser, Et qu'en nul cas ne daigneroit fausser; Ne tel penser en son cuer amasser En nulle guise Amant ne doit, car chascun croit et prise Ce qu'il aime, c'est communal devise, Si est bien droit qu'a l'amant il souffise Sanz autre preuve. Et que d'Amours ne viegne je vous preuve Jalousie, que tout homme repreuve, Oïr pourrez la raison que g'i treuve Sanz variance: Chascun veoir peut par experience Que mains maris pleins de contrariance, Maulz et felons, et de grant tariance Sont et divers A leurs femmes, et jalous plus que vers Sont ou que chien, et tousjours en travers Leur giettent moz en frapant a revers, Et tant les batent Souventes fois qu'a leurs piez les abatent, Tant sont jaloux, et non obstant s'esbatent D'autres femmes et en mains lieux s'embatent De vilté pleins. Diront ilz puis: «Ma femme, je vous aims!» -«Mais vo gibet, Sire, trés ort villains!» Respondre doit et, s'elle n'ose, au mains Penser le peut. Doncque est ce amour qui ainsi les esmeut? Mais telle amour tire a soy qui se veult; Car quant a moy celle dont on se deult Je n'en prens point. Si vous respons pour vray dessus ce point Que qui bien aime et est d'amours compoint Je ne cuide que cop ne buffe doint Ne nul mal face A soy meisme n'a autre, dont defface Ycelle amour qui lui tient cuer et face Joyeux et lié, ne que ja tant mefface Que jaloux soit De celle dont maint plaisant bien reçoit Et toute riens a bonne fin conçoipt Quanque elle fait; et, s'ores s'aperçoit Que un ou deux Ou mains aultres en soient amoureux, N'en ara il ne pesance ne deulx, Ains pensera qu'il est amé tous seulz Et que liece Doit bien avoir quant il a tel maistrece En qui tel bien et tel beaulté s'adrece Que chascun veult amer pour sa noblece Et grant valour. Si n'a l'amant ne cause ne coulour D'estre jaloux ne de vivre en doulour Pour bien amer, mais maint par leur folour Mettent la rage Sus a amours, mais c'est leur fol corage Qui recepvoir ne prendre l'avantage Ne scet d'amer; si sont de tel plumage Et de tel sorte, Et puis dient qu'en eulz est joye morte Par trop amer qui tant les desconforte, Mais ce n'est que leur condicion torte Qui si les tient. Si a grant tort, sanz faille, qui maintient Que doulce amour, a qui joye apartient, Rende l'amant jaloux; car point ne vient Tel maladie Fors de failli, lasche cuer, quoy qu'on die, Et d'envie triste et acouardie, Qui personne fait estre pou hardie Et mescreant, Et soussier fait l'omme de neant; Si cuide estre plus lourt et pis seant Que les autres, et quant il est veant Jolis et gais Jeunes hommes, lors est en male paix, Car il cuide estre de tous li plus lais, Si ne lui plaist ne souffreroit jamais Qu'acointés fussent De ses amours de paour que plus plussent; Si sont tristes telz gens et se demussent Pour agaitier qu'aperçeü ne fussent. Dont par nul tour Ne dites que jalousie d'amour Viengne, ainçois vient de cuer plein de cremour, Ou souspeçon et desdaing fait demour Par mal vouloir Pour ce que autre ne cuide pas valoir, Et c'est ce qui le cuer fait tant doloir Au maleureux qui n'a autre chaloir Par foliance. Aussi ne doy pas mettre en oubliance Ce qu'avez dit qu'amoureuse aliance A fait perir par sa contraliance Maint vaillant homme Ou temps jadis et en France et a Romme Et autre part, si en nommez grant somme Qui dure mort receurent toute somme, Com vous contez, Par telle amour; mais un pou m'escoutez: Je di pour vray, et de ce ne doubtez, Que, s'il fu vray que ainsi fussent matez Et mis en biere, Blasme n'en doit en nesune matiere Amours avoir; car leur fole maniere Les fist morir, non pas amour entiere. Je vous demande: N'est pas bonne, doulce et sade, l'amande? Mais se cellui qui la veult et demande S'en rompt le col ou a l'arbre se pende, Vault elle pis? Le vin est bon, mais, s'aucun tant ou pis S'en est fichié qu'yvre soit acroupis Ou comme porc gisant com par despis, Ou une bigne Se fait ou front, par yvrece foligne, Ou il s'occist, ou un autre l'engigne, En doit, je croy, pour ce arrachier la vigne Qui tel fruit donne? Ne peut on pas de toute chose bonne Trés mal user; d'une bonne personne Peut venir mal a qui mal s'en ordonne. Ainsi sanz faille Est il d'amours, ce n'est pas controvaille, Car il n'est chose ou monde qui tant vaille, Mais cil est folz qui tel robe s'en taille Dont pis li viegne. C'est drois qu'amant a une amour se tiegne, De tout son cuer aime et toudis maintiegne Foy, loiaulté, et verité soustiegne; Mais pour ce faire N'est pas besoing s'occire et soy deffaire. Amours faitte fu pour l'omme perfaire Et non pas pour lui grever ne mefaire, C'est chose voire. Mais pour ce que ramentu mainte hystoire Avez yci, que li contes avoire, Des vrais amans, dignes de grant memoire, Qui moult souffrirent Par grant amour et qui a mort s'offrirent, Aussi compter vueil de ceulz qui eslirent Le mieux du jeu et pour amours tant firent Que renommée Par le monde fu de leur bien semmée Par vaillans fais en mainte grant armée Faire, par quoy a tousjours mais semmée Sera leur grace Trés honnourable, et riens n'est qui ne passe Fors bon renom, mais après qu'on trespasse Demeure los, sages est qui l'amasse. Or regardons: Se Lancelot du Lac, qui si preudons Fu en armes, reçut de nobles dons Pour celle amour, de quoy adès plaidons, Fu il vaillant? Qu'en dittes vous? S'ala il exillant Pour celle amour ne son corps besillant? Je croy que non, ains plus que son vaillant Lui fu valable, Plus qu'autre riens et bonne et profitable; Car par ce fu vaillant et agreable, Dont ne lui fu ne male ne nuisable, Je croy au mains, Si ne s'occist, ne fu par autres mains Mort ne blecié, ains de joye en fu pleins. Aussi d'aultres en fu, encore est, mains: Et meismement Tristan, de qui parlastes ensement, En devint preux; se l'ystoire ne ment, Pour amours vint le bon commencement De sa prouece; Et non obstant qu'il moru a destrece Par Fortune, qui maint meschief adrece, Tant de bien fit pour sa dame et maistrece Qu'a tousjours mais Sera parlé de ses haultains biensfais, Ce fist Amours par qui il fu parfais. Si avez dit que de l'amoureux fais Fors mal ne vient; Or regardons, pour Dieu, s'il m'en souvient, Se a chascun d'amours si mesadvient: Jason jadis, si com l'ystoire tient, Fu reschappé De dure mort, ou estoit entrapé Se du peril ne l'eüst destrappé Medée, qui de s'amour ot frapé Le cuer si fort Que le garda et restora de mort, Quant la toison d'or conquist par le sort Que lui aprist en Colcos, quant au port Fu arrivé; Qui qu'en morust, cellui fu avivé Par telle amour, mais trop fu desrivé Quant faulte fist a celle qui privé L'ot du peril. Et Theseüs, du roy d'Athenes filz, Quant envoyé fu en Crete en exil, Adriane par son engien soubtil Le reschapa De dure mort; si le desvelopa De la prison Minos quant s'agrapa A son filé et la gorge copa Au cruel monstre; Ne nuisi pas Amours, je le vous monstre, A cestuy cy, car hystoire desmontre Qu'il eschapa par mer plus tost que loustre Gué ne trespasse. Et Eneas, après qu'ot esté arse La grant cité de Troye, a qui reverse Fu Fortune qui maint reaume verse, Quant il par mer Aloit vagant a cuer triste et amer Ne ne finoit de ses Dieux reclamer, Mais bon secours lui survint pour amer, Car accueilli Fu de Dido la belle et recueilli; S'elle ne fust, esté eust maubailli, Dont ot grant tort quant vers elle failli. Si n'en morurent Mie ces trois, ains reschapez en furent. Et mains aultres assez de biens en eurent: Et, si est vray, com les hystoires jurent, Que Theseüs, Dont j'ay parlé, qui tant fu esleüs Qu'avec le fort Hercules fu veüs En grans effors, en mains lieux fu sceüs, Quant enfançon Estoit petit, il estoit lait garçon, Boçu, maufait, si com dit la chançon De l'ystoire, mais il changia façon Pour belle Heleine; Pour lui fu preux et emprist mainte peine. Vous le véés en ces tapis de laine En un aigle d'or, qu'on conduit et meine, Ou fu mucié Tant qu'il se fu a la belle anoncié; Puis la ravi, dont furent corroucié Tous ses parents, si ne lui fu laissié La mener loings. Si n'est on pas exillé de tous poins Pour ceste amour quant on aprent les poins D'estre vaillant par honnourables soings. Autres hystoires Si racontent assez de choses voires Des vrais amans, dont les haultes memoires A tousjours mais seront partout notoires: Et Flourimont D'Albanie, il n'ot en tout le mont Nul plus vaillant, mais dont li vint tel mont De vaillances fors d'Amours qui semont Ses serviteurs A estre bons, tant anoblist les cuers; Pour Rome de Naples mains grans labeurs Il endura, non obstant a tous feurs Il conquestoit Pris et honneur; son temps donc ne gastoit En bien amer, par qui il acquestoit Les vaillances qu'Amours lui aprestoit. Et le Galois Durmas vaillant, qui fu filz au bon roys Danemarchois, cellui ot si grant voix De proueces que plus n'en orent trois; Je vous demande Que il perdi quant Roÿne d'Yrlande Prist a amer et tout en sa commande Il se soubsmist, dont passa mainte lande Pour lui conquerre Son royaume et demena si grant guerre Qu'il le conquist et lui rendi sa terre, Dont il dot bien par droit honeur acquerre. Cleomadès Fu il vaillant pour Amours? Et adès Armes suivoit aussi Palamedès; Vous souvient il des proeces et des Grans vaillantises Qu'on dit de lui assez en maintes guises? Tout pour Amours faisoit ses entreprises; Si vous suppli ne soient voz devises Que mal en prengne. Aussi Artus, qui fu duc de Bretaigne, Pour Fleurance, qui puis fu sa compaigne, Il chevaucha et France et Alemaigne Et maintes terres, En mains beaulz fais et en maintes grans guerres, Tout pour Amours qui le mettoit es erres D'avoir honeur, pour ce emprenoit ces erres. Mais sanz aler Plus loings querir, encor pouons parler De nostre temps. Ne devons pas celer Les bons vaillans, qui, sanz eulz affoler Ne eulz mal mettre, Vouldrent leurs cuers en parfaitte amour mettre. Ne me fault ja autre preuve promettre Ne autre escript pour tesmoin n'aultre lettre, Car veritable- Ment le scet on: Le vaillant conestable De France, dont Dieux ait l'ame acceptable, Le bon Bertran, le preux et le valable De Gleaquin, Qui aux Anglois fist maint divers hutin, Dont ot honneur, leurs chatiaulz a butin Mettoit souvent, ou fust soir ou matin, Et renommé Sera tousjours et des bons reclamé; Premierement pour Amours fu armé, Ce disoit-il, et desir d'estre amé Le fist vaillant; De bonne heure le fist si traveillant Amours, qui fait chascun bon cuer veillant A poursuivre honneur si est vueillant Loz qui mieulz vault Que riens qui soit. Et le bon Bouccicaut Le mareschal, qui fu preux, saige et cault, Tout pour Amours fu vaillant, large et bault, Ce devenir Le fist ytel, celle voie tenir Ses deux enfans veulent, et maintenir D'armes le fais, pour le temps a venir Louenge acquerre. Et a present encore vit sus terre, Dieu l'i tyengne, le vaillant de Senserre Connestable, si ne convient enquerre De chevalier Milleur de lui; en son temps bataillier L'a fait Amours, qui moult bon conseillier Lui a esté quant par soy traveillier A tant conquis Que il a loz entre les bons acquis; Ce fait Amours qui lui a ce pourquis. Aussi d'autres, si com j'en ay enquis, En ce regné En a esté qu'Amours a gouverné; Encore en est, le jeu n'est pas finé, Qui en armes se sont si bien mené Qu'a tousjours mais Sera retrait de leurs beaulz et bons fais. Des chevaliers ne sçay pour quoy me tais Qui sont adès en vie, qui le fais D'armes porter Pour bien amer a fait en pris monter. Des trespassez encore puis conter: Du bon Othe de Grançon raconter Avez assez Ouÿ comment du bien ne fu lassez, En lui furent tous les biens amassez. De Vermeilles Hutin mie effacez D'entre les bons Ne doit estre, Dieu lui face pardons! Mais aux vivans chevaliers regardons S'il en y a qui doivent grans guerdons, Par esprouver, A bonne amour, que l'en peut bons trouver Vaillans, sages, courtois et non aver: Le bon Chastiaumorant, que Dieu sauver Et garder vueille, Qui en armes sus les Sarrazins veille En la cité Constantin, qu'il conseille, Aide et garde, pour la foy Dieux traveille; Cil doit avoir Pris et honneur, car il fait son devoir Et ceulz qui sont o ly, a dire voir, Loz acquierent, qui trop mieulz vault qu'avoir, Et aux François Font grant honneur. Et encor m'aperçois De maint vaillant sages en tous endrois Qu'Amours a fais bons, courtois et adrois Et honnourables: Bon chevalier est L'Ermite et valables De la Faye, et d'autres telz semblables En est assez de vaillans et louables, Mais pour briefté M'en tais; mais, se Dieux vous envoit santé, Or regardons, s'en trouverons plenté De plus jeunes, qui plus bien que griefté Ont et conduis Sont pour Amours, qui si bien les a duis Qu'a toute honeur poursuivre sont aduis; Courtoisie, vaillance est leur reduis, Ce n'est pas fable. De Monseigneur d'Alebret trés valable Charles, qui est a chascun agreable, Qu'en dites vous? Vous semble il point louable Ne que son pris Soit bien digne qu'il soit en tout pourpris Ramenteü? Est il sage et apris, Duit aux armes? Peut il estre repris En nul endroit? Qui vouldroit mieulx souhaidier, il faudroit, Je croy, que lui; car raison aime et droit. Et tout bon fait Amours lui a a droit Et avoiez. Le Seneschal de Hainault, or voiez S'il est d'amours a droit bien convoiez? Ses jeunes jours sont il bien emploiez? Est il oiseux? Va il suivant armes, est il parceux? Que vous semble il? N'est il bien angoisseux D'acquerir loz? Dieux lui doint et a ceulz Qui lui ressemblent; Je croy qu'en lui assez de biens s'assemblent. Courtoisie, valeur ne s'en dessemblent; N'est pas de ceux a qui tous les cuers tremblent De couardie. Et de Gaucourt que voulez que je die? Il m'est avis qu'en maniere hardie Armes poursuit, nul n'est qui en mesdie Tant bien s'i porte, Ce fait Amours qui lui euvre la porte De vaillantise; et tout par autel sorte Le bon Charles de Sauvoisi enorte Et fait vaillant Si que son corps n'espargne ne vaillant Pour avoir loz com preux et traveillant, Ou soit de lance ou d'espée taillant, En armes faire. Castelbeart et autres plus d'un paire En qui bonté et vaillance repaire, Ce fait Amours qui leur fait tout ce faire Pour loz aquerre, Car chevaliers meilleurs ne convient querre. Aussi Clignet de Berban, qui enquerre Vouldroit de lui, en France et aultre terre Est renommé, Car en mains lieux pour Amours s'est armé, Par quoy il est et sera renommé. Si sont jolis, jeunes et assesmé Et pour leurs dames Vont com vaillans en mains lieux faisant armes, Dont quant les corps seront dessoubz les lames D'eulx remaindra loenges et grans fames En tout empire; Mais que tousdis se gardent de mesdire, Car c'est chose qui trop noble homme empire, Si feront ilz, car leur bon cuer ne tire Qu'a fuïr vice Et a suivir toute chose propice; Amours le fait, car c'est son droit office, Dont leur rendra loier et benefice, S'il le desservent. Si ne dites jamais qu'amans s'asservent Pour bien amer quant un tel maistre servent Qui les fait bons, et se bien le parservent, Sachiez de voir, Qu'ilz acquerront en faisant leur devoir Prouece, honneur, sens, louenge et avoir. De telz assez, ce pouez vous savoir, En est sanz doubte, Mais qui vouldroit nommer la somme toute, Des bons et beaulz amans toute la route Dureroit trop, car souvent qui escoute Un trop long compte Il anuie, mais ceulz dont je vous conte Et d'aultres tant que je n'en sçay le conte Sont gracieux, car il n'est duc ne conte Prince ne roy, S'il aime a droit, qu'il ne hée desroy Et tout mesdit et qu'en tout son arroy Ne vaille mieulx, car l'amoureux conroy Les fait apprendre. Dont, beaulz amis, se bien voulez entendre, Ouïr pouez que se l'amant veult tendre A joye avoir, Amours lui est plus tendre Qu'elle n'est dure, Se doulcement et coyement endure En esperant, combien qu'ycelle ardure Lui soit poignant, mais trop fait grant laidure Qui tant mesprent Que le mieulx voit et le pis pour soy prent. Si ay prouvé qu'en amours on aprent Bien et honneur et a faire on se prent Toute vaillance. Se ne dites plus que si grant dueillance Ait en amours et tele deffaillance De reconfort, ne si grant traveillance Ne si penible.» Quant l'escuier, qui fu sage et sensible, Qui verité ot dit comme la Bible Ce lui sembla, adoncques fu taisible Sanz plus mot dire, Le chevalier un pou prist a sousrire Et en pensant sanz parler le remire, Et puis vers lui courtoisement se tire Et dist a trait: «Par Dieu, Sire, vous avez cy retrait Grans merveilles et qui vers vous se trait Pour medecine avoir et bon entrait A tost tarir Les maulz d'amours, bien en savez garir Et bon conseil donner pour tost perir Toute douleur pour servant remerir Bien a son aise. Mais qu'on vous creust: mais de petit s'apaise Qui pou a dueil et qui n'a nul mesaise; Ainsi l'avez gaignié, mais que je taise, Sanz mot sonner, Les grans raisons que je puis assener Contre les ditz que vous oy raisonner; Car vous voulez droittement ordener A droit souhait Les maulz d'amours et chascun a son hait Pou ou assez a volonté en ait, Si que le bien en prengne et le mal lait. Ne plus ne mains Mettre voulez et la tenir au mains Bride a Amours et, fors en poins certains, Le faire aler et qu'on n'en soit attains Fors a sa poste. Autrement va, compaings, qui a tel hoste, A son vouloir ne le met pas decoste. Avez vous cuer qui joye met et oste A voulenté? Donc n'amez vous, dire l'ose, plenté? Aussi ne font tous ceulz qui sont renté De tel plaisir, com vous avez conté, Sanz dueil avoir Estre ne puet; il est bon assavoir Que qui aime de cuer sanz decepvoir Perfaittement qu'il ne lui faille avoir Mainte durté, Ou vueille ou non, ja si bien ahurté Ne se sera qu'il y ait ja seurté Et que toudis yl y ait beneurté En sa querelle; Mais vous comptez cy d'une amour novelle A vo voloir, ne sçay comme on l'appelle, Dont nous avez conté longue nouvelle. Mais encor dis je Que l'amant qui est droit, vray subgiet lige Trés grant amour son cuer si fort oblige Qu'estre le fait jaloux, et tant engrige Celle grief peine Qu'il n'a repos nul jour de la sepmaine, S'il s'aperçoit qu'un autre amant se peine A acquerir l'amour qui le demeine En maint endroit. Et vous cuidiez noz prover cy en droit, Que, qui jaloux seroit, amours fauldroit; Et je vous di qu'amours ne puet a droit Sanz jalousie; Si soit de ce vo pensée acoisie, Car je vous di que trop plus se soussie Un cuer amant et mains est adoulcie Sa peine grieve Qu'a un autre qui de legier s'en lieve. Mais vous parlez d'une amour qui pou grieve, De qui ne chault se elle est ou longue ou brieve Et se tost passe, Mais elle sert de dire: Amours m'enlace, J'en suis jolis, de servir ne me lasse, Et si n'en ay nulle pensée lasse C'est avantage.» Adonc respont l'autre et rompt le language Et dit: «Par Dieu, estre cuidiez trop sage; Aultrement va et tout d'autre plumage Sont amours fines; Et nous serions yci jusqu'a matines, Mais je vous di qui plus sont enterines Vraies amours et mieulx en sont les signes Et plus certains, Quant un amant qui d'amours est attains Est liez et bault et de gayeté pleins Pour la joye qu'il a, dont est attains D'amour loiale Quant lui souvient de la haulte royale Dame qui sert toute pensée male Pour sa valeur de son cuer se ravale, Si s'en tient gay Et envoisiez en Avril et en May Et en tout temps, si n'a douleur n'esmay Par vraye amour qui de son luisant ray Tout l'enlumine. Quoy que dissiez, encor di et termine Que c'est plus grant et trop plus parfait signe De grant amour parfaitte er enterine De soy fier En ses amours que de s'en deffier N'estre jaloux; j'ose bien affier Que plus aime cil qui, sanz soussier, Argent ou or Baille a garder ou aucun grant tresor A un autre et si lui di: «Trés or Me fie en vous, garde vous fais encor De mon avoir» Que cil qui veult grant seureté avoir Et le conte veult chascun jour savoir Qu'on fait du sien, de paour que decepvoir L'autre le vueille. Ainsi est il, a qui que plaise ou dueille, Du fait d'amours, car cil qui se despoeille De son vray cuer et tel fiance accueille Que il le donne A un aultre et du tout lui abandonne Sanz marchander, ne que plus en sermone, C'est mieulz signe que la personne a bone, Il tient sanz faille, Que cellui qui en marchandant le baille Et qui tousjours se double qu'on lui faille Ou que bonté et loiaulté deffaille Aucunement; Car qui aime se fie entierement Come j'ay dit, ne seroit autrement Perfaitte amour, et le vray jugement En ose attendre. S'il est aucun qui sache bien entendre Noz deux raisons et tous les poins comprendre; Si vous suppli que juge vueilliez prendre Tout a vo guise, Et tout sur lui soit ceste cause mise.» Le chevalier respont: «Et sanz faintise Le jugement consens, a vo devise Soit juge pris Et esieü, mais qu'en lui ait tel pris Qu'il soit vaillant, preux, sage et bien apris, Noble et gentil, et des amans sur pris Sache jugier. Car quant a moy, sanz plus tant langagier, Je dis et tiens que plus comparer chier Les biens d'amours convient sans alegier Qu'on n'en a joye, Et pour un bien plus de cent maulz envoie, Et que l'ome qui a amer s'avoie De tous perilz il se met en la voie. Et du surplus Je di encor que cellui aime plus Qui pour amours devient mat et reclus, Pensif, pali, morne, taisant et mus, Que cil qui lié Plus en devient, ne point n'est si lié Le cuer qui a joye c'est alié Comme est cellui qui est contralié Par tel amour, Et qu'il convient qu'en lui face demour Jalousie, dont les yeulz pleins d'umour En a souvent faisant mainte clamour, Se sanz retraire Il aime a droit tel mal lui convient traire. Et vous dittes et tenez le contraire; Or nous doint Dieux vers loial juge traire Prochainement.» Adonc les deux amans leur parlement Ont afiné, mais en grant pensement De juge avoir furent, qui proprement Sentence a droit Leur sceust donner justement selon droit; Maint hault baron choisirent la en droit, Maint chevalier, cointe, apert et adroit Gay et jolis, Y nommerent, et de la fleur de lis, Que Dieu maintiegne en joye et touz delis, Eslisoient de telz qui sont palis Soubz leurs chapeaulz Pour ce que pas ne font tous leurs aviaulz Es fais d'amours, qui depart ses tortiaulz Diversement et amaigrir les peaulz Fait a maint bons Souventes fois; et ainsi a leurs bons Choisissoient et nommoient les noms De maint vaillant, disans: «Cellui arons»; Et puis disoient Que mieulz valoit un autre qu'ilz nommoient. Et quant je vi qu'en tel descort estoient Qu'a leur droit gré nul juge ne trovoient Lors m'avisay Tout en pensant et pris mon avis ay Que pour leur fait un bon juge visay; Quant pensé l'oz, ainsi leur devisay Com vous pourrez Yci ouïr; si me tiray plus près Et si leur dis: «S'il vous plaist, vous orrez Ce qu'il m'est vis et me pardonnerez Se je m'avance De mettre accord en l'amoureuse tance Dont vous plaidiez, et croiez sanz doubtance Que j'en desir droitturiere sentence Et si le fais A bonne fin, et, se chargier le fais De ce descort voulez et soit parfais Selon mon loz, vous en serez reffais Et tous contens Et assovis a droit gré a tout temps. Se le trés hault noble duc, que j'entens, S'en veult chargier et estre consentens De ce juge estre, Bon juge arez, vaillant, sage et grant maistre, C'est le trés hault, puissant, de noble encestre Duc d'Orliens, qui ait joye terrestre Et paradis; Cellui est bon, sage en fais et en dis, Juste, loial, et aux bons de jadis Veult ressembler, car maintenir toudis Lui plait justice, Si est humain, humble, doulz et propice En trestous cas et meismes en l'office De droit jugier, si n'est mie si nice Qu'il n'ait apris Les tours d'amours, non obstant son hault pris. Si vous conseil que de vous il soit pris Et esleü a juge, et bien empris Arez sanz faille; Car je ne cuid que nul autre le vaille, Mais qu'il lui plaise et que tant en travaille Son noble cuer que sentence il en baille, Ne pourriez mieulx.» Adonc les deux amans, haulçant les yeulz, Respondirent: «Et louez en soit Dieux, Vous nous avez assis en noble lieux Et ramenteu Juge loial et par nous esleü, Se il lui plaist sera le cas veü, En jugera a son vueil et sceü S'a gré lui vient. Si vous prions, puis que tant vous souvient De nostre bien, que vous a qui avient Et bien et bel faire dis, dont survient En mainte place Maint grant plaisir, que de vo bonne grace Faciez un dit du fait et de l'espace De no debat, si nous ferez grant grace Et grant leesce.» Adonc respons: «Je ne suis pas maistrece De faire dis, non pour tant sanz parece Je le feray pour la haulte noblece Du bon vaillant Prince royal qui nul temps n'est faillant De bien jugier, d'estre bien conseillant Et en tous fais adroit et traveillant, Pour mettre en joye Son noble cuer, se il daigne qu'il l'oie. Or me doint Dieux, ainsi com je vouldroie, Faire chose, dont esjouïr se doye Et faire feste.» Ainsi, trés hault Prince de noble geste, Mon redoubté Seigneur, a qui Dieux preste Longue vie et puis a l'ame apreste Sa vraye gloire, Ce dittié fis pour vous duire a memoire Joye et solas par oïr ceste hystoire Qui d'amours fait mencion et memoire; Dont je supplie Vo haultece qu'elle tant s'umilie Qu'en bon gré l'ait, ne le tiegne a folie; Car voulenté et vray desir me lie A moy pener De vous servir, si g'y sceusse assener. Et or est temps de mon oeuvre affiner, Mais de trouver, s'aucun au deffiner A volenté, Quel est mon nom, sanz y querir planté, Si le serche, trouver le peut enté En tous les lieux ou est cristienté. LE LIVRE DES TROIS JUGEMENS Bon Seneschal de Haynault, preux et sage. Vaillant en fais et gentil de lignage, Loyal, courtois de fait et de langage, Duit et apris De tous les biens qui en bon sont compris, Par noblece de cuer soubsmis et pris Es laz d'amours pour accroistre le pris De vo noblece, Sage a jugier du mal d'amours qui blece Quelz sont les tours, soit en force ou foiblece, Pour ce vous ay, chier Sire, plein d'umblece, Esleu a juge. Car vo bon cuer bien sçay que le droit juge Ou il affiert; pour ce vien a reffuge A vous, ainsi comme ou temps du deluge Qui tout noya Le coulomb blanc a l'arche s'avoya, La attendi tant que soleil roya, Aucques ainsi mon cuer celle voye a Prise sans faille Pour le debat de certaine fermaille Qu'aucuns amans beaulx de corps et de taille Ont ensemble; si veullent que j'en taille Le court ou long. Mais je ne vi tel cas avenir onc Et trop peu sçay pour en bien jugier, donc Juge en soyez et je diray au long Tout leur descort De mot a mot, si com j'en ay record, Et a voz diz en tous cas je m'accord. Si feront ilz, car vostre bon record Doit bien souffire. Le premier cas, ainsi com j'oÿ dire, Fu tel qu'il a en France ou en l'Empire Une dame si belle qu'a redire Ne scet nul ame, Sage, vaillant, prisiée et haulte dame, Envoisiée, loyal de corps et d'ame, Ou n'a meffait, reproche ne diffame: Amer souloit Un chevalier qui pour elle affoloit, Avant qu'elle l'amast tant se doloit, Ce disoit il, et mieux morir voloit Qu'endurer plus L'amoureux mal qui le rendait conclus, Tant le tenoit morne, mat et reclus, Ne fors la mort n'attendoit au surplus, Se brief mercy Elle n'avoit de lui qui d'amer si En grief langueur estoit taint et noircy, Dont pour secours lui requeroit mercy D'umble vouloir. Ainsi long temps l'oÿ plaindre et doloir, Mais celle tout mettoit en nonchaloir; Quanqu'il disoit pou lui pouoit valoir Ains qu'elle amast Lui ne ses fais, ne en riens se tournast Devers Pitié, ne secours lui donnast, Ne que pour lui nul bon point ordenast, Tant qu'en la fin Loyal Amour, qui sieult a la parfin Aux vrays amans, qui aiment de cuer fin, Faire secours et ayde, a celle fin Qu'il fust amez, Fist que Pitié, par qui sont informez Les gentilz cuers et pris et enfermez Es laz d'Amours, fist tant qu'ami clamez Fu de la belle, Qu'Amours navra de l'ardent estincelle Qui mainte dame et mainte damoyselle Contraint d'amer, ou soit vesve ou pucelle Ou d'autre guise; Quant il lui plaist soubsmettre a sa devise Qui qu'elle veult, riens n'est qu'elle n'atise. Ainsi avint de celle en qui Franchise Fist ottroyer Le nom d'ami a cil qui par proyer Et bien amer ne le devoit noyer, Car bien l'avoit desservi en loyer, Comme il disoit. Dont une fois a elle devisoit En la priant du mal qui lui cuisoit Elle eust pitié, se assez souffisoit La grieve peine Qu'il ot souffert, si disoit: «Dame, pleine De grant doulçour et plus belle qu'Heleine, Pour vous ay eu mainte dure sepmaine Et maint meschief Pour bien amer, et n'en suis pas a chief, Ainçois croistra ma doulour de rechief: Se reffusé suis de vous, par mon chief, Je suis honnis. Dame plaisant, sanz per com le phenis, Desservi n'ay a tort estre punys; Si ne soye maubaillis et honnis Par escondit, Doulce dame, ne de mon vueil desdit, Mais m'acordez l'amour sans contredit De vous, belle, car je vueil a vo dit Moy gouverner. Si me ferez comme droit roy regner Se il vous plaist vostre amour moy donner, Or en vueilliez en tous cas ordenner A vo bon vueil. Mais garison du mal dont je me dueil Me promettent vo doulz riant vair oeil Qui en joye font remuer mon vueil Souventes fois, Car leurs regards doulz, amoureux et cois, Me garissent et blecent a la foiz Si que ne sçay souvent ce que je fois.» Par tel semblant Se complaingnoit cil qui le cuer emblant, A celle aloit par beaulz moz assemblant Et tout estoit devant elle tremblant Ou sembloit estre. Adonc celle, qui sieult estre senestre A son vouloir par reffus qui empestre Aux vrays amans toute joye terrestre, Lui dist: «Amis, Je ne te vueil plus tenir si soubmis, Car il est temps que tu soies remis Es doulz soulas qui d'Amours sont promis, Qui me commande Que sans reffus a lui servir me rende. Si j'ay meffait, que j'en paye l'amende Et que guerdon du service te rende Que tu as fait A lui et moy, et je voy bien de fait Que tu es mien, et de vray cuer parfait M'aimes et crains, ne je ne cuid meffait En toy trouver, Car par long temps t'ay peü esprouver Par quoy te puis bon et loyal prouver. Pour ce m'amour t'otroy sanz plus rouver A tousjours mais; Car je ne cuid que tu ayes jamais Desir d'avoir nul autre amoureux mais Fors le mien cuer, car le tien m'est remais, Ce sçay je bien. Si suis tienne, tout aussi tu es mien, Or soyes lié et ne pensez qu'a bien Amours servir, et gayement te tien, Mon doulz ami, Car tout est tien le mien cuer sanz demi, Si soies bon tout pour l'amour de mi, Plus ne te plaing d'amours disant: Aymi! Mais soies lié.» Adonc l'amant, qui ot esté lié Par dur reffus qui l'ot contralié, Devant sa dame se est humilié A humble chiere Et liement lui dist: «Ma dame chiere, Que j'aim et craing et ay plus que riens chiere, Dire ne doy qu'aye comparé chiere Si doulce amour Qui tant me vault qu'elle fait sanz demour Mon povre cuer, en qui n'avoit humour De nul plaisir, saillir hors de cremour De desespoir, Car par ce don d'or en avant j'espoir Trop plus de bien que ne penses apoir, Et le confort de si joyeux espoir Bien doit garir L'amoureux mal dont j'estoye au mourir. Et puis qu'ainsi me daignez secourir Je prie a Dieu qu'il le me doint merir, Ma dame gente Que je mercy de toute mon entente, Et vous promet que jamais autre attente N'aray qu'a vous servir, car doulce rente M'en payera; C'est la doulceur qu'Amours m'envoyera En vous servant, qui me convoyera A haulte honneur et me ravoyera A tous bons fais.» Ainsi l'amant de cuer lié et reffais La mercia et promist que tous fais, Foibles ou fors, et deust estre deffais, Il porteroit Pour sienne amour ne ja n'arresteroit Mais qu'ou païs ou la dame seroit, Fors pour honneur conquerre ou il pourroit Et pour vaillance Yroit il hors; ja n'en eüst deuillance Par son congié, mais de lui sanz faillance Nouvelle aroit. Ainsi sa bienvueillance Garder vouloit Cil qui si lié qu'a pou qu'il ne voloit Sembloit qu'il fust, ne plus ne se douloit Et plus joyeux seroit qu'il ne souloit Comme il promist, Et tout sembloit que de joye fremist. A brief parler, l'un a l'autre soubmist Tout cuer et corps et sus le livre mist Chascun sa main, Et par serment promistrent main a main Que loyaulté tendroient soir et main; Sans attendre du soir a lendemain S'entreverroyent A tousjours mais, tout le plus qu'ilz porroyent, Honneur gardant, et tousjours s'aimeroient De vraye amour ne ja ne fausseroient Jour de leur vie. Et ainsi fut ycelle amour plevie Et bien sembloit que l'amant n'eust envie Fors que par lui la dame fust servie D'umble courage, Et promettoit en lui faisant hommage Qu'a tousjours mais seroit en son servage Et que s'amour comme droit heritage Vouloit garder. Ainsi promist, mais j'oÿ recorder Qu'autrement fist sanz longuement tarder Et son faulz cuer, que l'en devroit larder, Tost se changa Et pou a pou d'ycelle s'estrangia Qui tant l'amoit qu'a pou vive enraga Pour son maintien qui trop la domaga, Si com j'entens; Non pas troys moys mais encor moins de temps Cellui l'ama qui fu pou arrestans En celle amour, si vous diray par temps Qu'il en avint: La dame, qui pour lui pale devint, Maigre et lasse, car toudis lui souvint Du doulent jour qu'elle sienne devint, Si ne pouoit Cil oublier a qui donné avoit Tout cuer et corps et de certain savoit, Dont la lasse toute vive desvoit, Qu'il n'amoit mie Elle en nul cas; car heure ne demie Ne peu n'assez celle qui fu blesmie Pour sienne amour et que dame et amie Souloit clamer, N'enjoÿssoit, ne nul semblant d'amer Ne lui monstroit, n'en recepvoit qu'amer. Et ce faisoit la doulente pasmer Qu'il avenoit Que cil, a qui moult peu en souvenoit, Aucunes fois devers elle venoit Parce qu'elle du mander ne finoit; La lasse adonc, Pleine de plour et de griefs souspirs dont Son cuer fondoit, lui disoit: «Lasse! et dont Mourray je ainsi, car, se Dieu me pardont, Ne puis plus vivre Se je ne suis de ce meschief delivre. Et je vous jur et promet sur le livre Que je ne sçay ou je suis ne qu'un' yvre, Souvent avient. Hé las! amis, nostre amour que devient! Je muir de dueil certes quant me souvient Que si tost fault, mais par moy pas n'avient. Et qui vous meut! Ne voyés vous comment mon cuer se deult Et je ne sçay que le vostre se veult! Mais je voy bien que moult petit recueult En soy mes larmes; Si soit mon fait exemple a toutes dames De croire pou ceulz qui jurent leurs ames, Car ce n'est tout fors pour decepvoir femmes. C'est fole attente, Beau doulz ami, et se je me guermente Ne pensez vous, que je soye doulente Quant ne vous voy ne en chemin n'en sente Ne autre part, Ne nouvelles n'en oy, dont mon cuer part, Dont je puis bien de vous quitter ma part; Je le voy bien, mais se avez a part Autre pensée Par quoy l'amour de moy en vous cessée Soit et autre vous ayez en pensée Et de tous poins la moye aiez cassée, Ne le cellez, Mais dites moy le fait, se vous voulez, Car je ne sçay de quel mal vous dolez, Mais devers moy ne venez ne alez, Et se j'en mens, Ce savez vous, non obstant les sermens Que m'avez fais pleins de decevemens, Qui me livrent au cuer trop de tourmens; Mais c'est pechié D'un pouvre cuer livrer a tel meschié Et quant il est pris et fort atachié De lui laissier durement empeschié. Et dont me dittes Se vous vouldriez de m'amour estre quittes Et se j'aray tout mal pour mes merites, Ou se voulez la valeur de deux mittes Vous amender Par devers moy qui ne fais que mander Souvent vers vous sanz pou en amender, Si m'en dittes, je vous pry, sanz tarder, Trestout le voir.» Ainsi souvent la dame son devoir Faisoit vers cil qui n'en vouloit avoir Nulle pitié, mais pour la decepvoir Il s'excusoit Qu'il avoit trop a faire et lui nuysoit De mesdisans le parler qui cuisoit, Mais en la fin promettoit et disoit Qu'il la verroit D'or en avant souvent quant il pourroit, Mais non pour tant son honneur garderoit, Mais jamais jour nul autre n'aimeroit. Ce promettoit Le desloyal qui en tous cas mentoit, Et celle qui a lui se guermentoit L'en croioit bien et du tout s'attendoit Au mençongier; Car fole amour fait croire de legier. Ainsi parfois lui faisoit alegier Son grief tourment ou par son messagier Lui envoyer, Mais moult souvent avoit petit loier Celle qu'amours faisoit si foloier, Si se pouoit en douleur desvoier S'elle vouloit; Car moult petit a cellui en chaloit Qui pas souvent a elle ne parloit Ne vers elle ne venoit ne aloit Et qui loisir Avoit assez, mais qu'il y eust plaisir Et qu'il voulsist point et heure choisir, Mais n'y avoit ne amour ne desir. Ainsi dura Troys ans ou plus, ainsi com me jura Celle qui tant de maulz en endura Que je ne sçay comment elle dura Sans la mort traire, Si ne pouoit son cuer de cil retraire Qui par nul tour elle ne pot attraire. Ainsi vesqui en dueil et en contraire Un grant termine, Mais il n'est riens ou monde qui ne fine Et malade quiert par droit medecine, Si commença pou a pou la racine A estrangier De celle amour qui la tint en dongier, Dont ot perdu repos, boire et mengier; Si n'envoya plus vers lui messagier, Et de tous poins Le frain aux dens et la bride a deux poings Elle saisi, et de près et de loings, Pour s'en oster, tant qu'elle vint aux poins Qu'elle vouloit; Et par raison, qui pas ne lui celoit Que folement pour cellui se douloit Qui de son fait en riens ne lui chaloit, Si s'en osta, Mais du faire mie ne se hasta, Ainçoys long temps en l'amour arresta Qui maint meschief et mal lui apresta, Et a tant vint La dame, a qui yceste chose avint, Que le sien cuer a raison se revint Et assez pou de cellui lui souvint Qui l'ot deceue, Dont elle avoit mainte douleur receue, Tout se fust elle assez tart aperceue, Mais plus cellui n'yra a sa sceüe Ou elle soit. Si avint cas comme elle devisoit Qu'un autre amant durement la pressoit Qu'il fust amez et souvent lui disoit Qu'il l'amoit tant Qu'a toujours mais seroit sien, mais pour tant De quanque cil lui aloit promettant Ne lui chaloit en riens, mais non obstant Sans amesir Cil ne finoit de lui faire plaisir Ne pour reffus ne cessoit son desir, Ains lui disoit que, sans autre choisir, Son vray amant A tousjours mais seroit en elle amant, Ferme et loyal com pierre d'aÿmant. Ou que cil fust François ou Alemant Ou d'autre part, Toudis avoit son penser celle part Ne de tous biens, pour en choisir sa part, Autre soulas, n'en publique n'a part, Ne desiroit, Comme il disoit; et aussi y parroit, Car par le fait tout le vray apparoit Que cil l'amoit, car il ne reparoit Ne mais es lieux Ou peust veoir la trés belle aux beaulz yeulz, Qu'il aouroit et servoit comme Dieux, Se ce n'estoit es places ou de mieulz Quant a valour Li peust venir, car pour nulle doulour Qu'amours lui fist, ou fust sanz ou folour, Ne s'arrestoit quant il avoit coulour D'aler de hors Pour esprouver en vaillance son corps, Car en honneur estoit tous ses depors. Mais bien cuida pour amours estre mors Ains que pitié Celle eust de lui, pour laquelle amistié Malade en fu long temps et dehaitié Ains que pour lui eust pensé n'apointié Nul bon accord; Car la dame toudis avoit record Du faulz amant, par qui si grant descord Fu en son cuer qu'a pou en receupt mort; Si n'ot besoing De jamais jour ne de près ne de loing Nul homme amer, car elle avoit tesmoing Que mal venoit et meschief de tel soing, Et pour ce attraire Ne vouloit plus si penible contraire. Si n'en pouoit l'amant nullement traire Fors escondit, mais pour tant s'en retraire Ne voult il mie N'ycelle amour remesse n'endormie Ne fu en lui, ains com dame et amie Il la servoit, ne heure ne demie Il n'arrestoit Que ou service d'elle, ou pou conquestoit Et moult de ses paroles y gastoit, Mais non pour tant souvent l'amonnestoit De sa besoingne. Ainsi long temps dura par mainte alongne Cest' affaire, com la dame tesmoingne; Mais il n'est riens qui bien s'en enbesogne Que on n'achiefve Ne si pesant fardel que l'en ne lieve. Au vray du fait dire en parole briefve, Cil tant l'ama, quoi qu'il eust peine grieve Et tant servi De vray loyal cuer, subgiet asservi, Que par raison il avoit desservi, Qu'il ne fust pas de joye desservi Mais guerdonnez Et que le don d'ami lui fust donnez; Car tant s'estoit doulcement ordonnez En elle amant et pour elle penez Qu'apercevoir Que il l'amoit de cuer sanz decepvoir Elle pouoit, tant faisoit son devoir D'elle servir, et si, qu'a dire voir, Tort lui feïst Se pitié n'eust de lui, se Dieux m'aïst, Car n'estoit droit que son servant haïst Ne qu'en reffus le sien cuer envaïst Par fel dongier. Alors Amours, qui sieult assouagier Les maulx crueulx qu'en ceulz fait hebergier Qui le servent, voult adonc alegier Les griefs anuys Qu'il eut souffert par maintes dures nuys, Dont son las cuer estoit de joye vuis; Si fist Pitié a Secours ouvrir l'uis De Reconfort, Si ne pot plus souffrir la dame au fort Tenir l'amant en si grief desconfort, Car bien savoit qu'il n'estoit riens si fort Comme il l'amoit. Adonc un jour l'amant se reclamoit De ses douleurs a celle qu'il cremoit, Piteusement de l'amour l'informoit Qui l'ot surpris Par sa beaulté, a qui se rendoit pris, Et pour son los, la grace et le hault pris Dont elle estoit, si ne l'ait en despris Par desdaingnier. Et adonc celle, ou il n'ot qu'enseignier, Qui tout veoit l'amant en plours baignier, Vid qu'en sa mort ne pouoit riens gaigner, Si le retint Pour son amant, ainsi qu'il apertint. Et lui, qui fu loyal, si se contint Devers celle qui son cuer ot et tint Qu'elle l'ama De tout son cuer et ami le clama. Ainsi l'amant promist et afferma Qu'il l'aimeroit, et elle conferma Tout cest affaire, Ainsi promist et ainsi le voult faire; Quar il l'ama loyaument sanz meffaire Si bien, si bel qu'il n'y ot que reffaire Par long espace, Et non obstant que tel amour tost passe Souventes fois cil sembla le toupase Qui de verdeur et de clarté trespasse Toute autre pierre. Ainsi toudis fu en lui plus vert que yerre Ycelle amour qu'il n'ot pas, par saint Pierre, Tost acquise n'emblée comme lierre Qui moult tost emble. Ains y souffri maint grant grief, ce m'en semble, Mais il n'est riens, quoy que descort dessemble, Que vraye amour ne racorde et assemble En un moment Quant il lui plaist. Ainsi trés loyaument Li dui amant s'amerent longuement Sanz nul descord et sans decepvement En tel plaisir Que leurs deux cuers n'avoyent qu'un desir: Ce qui plaisoit a l'un ja desplaisir Ne peüst estre a l'autre, ne choisir Aultre solas Ne voulsissent qu'estre ensemble, et ja las Ilz n'en fussent, car tous deux d'un seul las Furent lié, plaisant, sans dire, hé las! Et ainsi furent Par moult long temps, mais maint scevent et sceurent Que faulz parleurs sur les amans murmurent; Si leur avint que mesdisans s'esmurent A parler d'eulx Pour les semblans qu'ilz choisirent es deux, Dont ilz orent au cuer pesance et deulx. Si ne porent si souvent estre seulz A leur deport Com souloient, si furent a dur port Lors arrivé, ou peu orent deport, Et raconté fu par mauvais raport Et par envie Au faulz amant premier toute leur vie Et tout comment la dame fu servie Du vray amant, a qui elle eut plevie E toute assise L'amour d'elle du tout a sa devise. Et quant cellui ot bien par mainte guise La verité toute sceue et enquise, Lors a quis voye Qu'il peust parler, en chemin ou en voye Ou en secret si que nul ne le voye, A celle a qui un messagier envoye En lui priant, Moult chierement, non mie en mescriant, Que parler puist a elle, et detriant Ne voit le jour. Lors celle en sousriant A pris journée A y parler par une matinée, Et quant furent en la place ordonnée Adonc cellui a la dame arresnée Par tel maintien: «Dame certes, ne cuidasse pour rien Que vostre cuer, que disiez estre mien, Daignast jamais consentir fors que bien. Ne que fausser Vous daignissiez en fait ne en penser, Tant vous sceüst nul autre amant presser, Que voulsissiez vostre serment casser Ne loyaulté Que vous avez brisiée et feaulté. Si prise pou tel grace et tel beaulté Ou il n'a foy, car serment sur l'auté Et sur les saints Me jurastes Dieu, sa mere et les saints, Que jamais jour vostre cuer n'yert desçains De moye amour, dont il estoit enceins, Ce disiez vous, Et seroye vo loyal ami doulz, Et ainsi fu accordé entre nous. Mais or vous puis faulse par devant tous Et parjurée Prouver certes, et pou asseürée, Puis qu'autre amour vous avez procurée; Si est la foy que vous aviez jurée Fausse sans doubte.» Adonc respond celle et plus ne l'escoute: «Beau sire Dieux, je me merveille toute De vostre fait et, s'oncques je vi goute, Voicy merveilles: Vous me cuidez par vo tabour aux veilles Encor mener, mais jamais mes oreilles N'escouteront telles ou les pareilles Com voz paroles Sont envers moy toudis toutes frivoles; Car ne vous chault pas de deux poires moles Se j'ay ami ou non, et telz bricoles M'alez gitant, Mais non pour tant vous en diray je tant Que, se je l'ay, fausse ne suis pour tant. Car vostre cuer fu premier consentant De moy laissier Et grans sermens feistes au commencier Que jamais jour ne verroye plaissier L'amour de vous qui trop a fait blecier Mon cuer long temps, Ce savez vous; si ne sçay ne n'entens Comment, puis que vous estiez consentans De m'esloingnier, que mon cuer arrestans Y deüst estre A tousjours mais a douleur si senestre, Puis que veoir je pouoye vostre estre, Car par l'oeuvre on doit louer le maistre; Et grant injure Vous m'avez dit de m'appeller parjure, Car ne le suis, g'y mettroye gageure, Car qui promet quoy que ce soit et jure Se doit entendre Cil qui reçoit le serment, s'il veult tendre A loyaulté, qu'aussi doit il entendre A desservir le bien qu'on li veult tendre Et son devoir Doit faire aussi; il est bon assavoir Que qui promet pour quelque chose avoir, Se il ne l'a, quitte doit estre voir De son serment. Ainsi a vous promis mon sacrement, Voire en espoir que j'eusse entierement L'amour de vous comme premierement M'aviez promis.» Adonc respond cellui: «Certes tost mis M'ariez au bas, dame, et moult tost remis Par voz raisons, mais de ce qu'entremis Je me seroye De soustenir, partout ou je seroie, Par devant tous proposer oseroie. Et pour ce di, car mentir n'en saroye, Que vous avez Vers moy faussé, et pour riens vous sauvez De dire que certainement savez Qu'en moy n'avoit amour, ainsi trouvez Vostre excusance. Car se vers vous tout a vostre ordennance Je n'aloye, fust a feste ou a dance Ou autre part, tout estoit en doubtance De mesdisans, Pour vostre honneur garder des moz cuisans De leurs parlers, et, se fusse dix ans Sans vous veoir, mais que obeïssans Ne fusse mie A autre amour ou de dame ou d'amie, Ne deussiez vous ja heure ne demie Pour tant fausser, mais a droitte escremie D'amour entiere Et loyaulté vraye en toute maniere Vous bien garder. Mais d'amour trop legiere M'avez amé, bien en voy la maniere; Pour ce redi Que fausse estes, et de ce que je di Le jugement devant le plus hardi En ose attendre et tous ceulz contredi Qui au contraire Vouldront dire, ne vous vueille desplaire.» Adonc respond la dame debonnaire: «Or nous doint Dieux vers loyal juge traire, Mais voycy rage Et merveilles que de vostre langage: Qu'il soit ainsi qu'une dame en servage Se soit mise en recevant l'omage De son servant Qu'elle cuidoit bon, loyal et fervent, Si voit après qu'il la va desservant De tout plaisir, ne il n'est desservant Qu'amer le doye; Et vous dittes qu'elle doit toutevoye En celle amour se tenir ferme et coye, Mais la raison n'en voy par nulle voye. Pour ce consens Que ce debat nous mettions en tous sens Dessus loyal juge ou il ait sens, Car nullement je ne voy ne ne sens Vostre raison.» Adonc pristrent congié, il fu saison, Et s'entourna chascun en sa maison, Et en escript chascun mist sa raison Pour juge querre. Après vindrent devers moy pour enquerre Le mien avis, mais pou pourroye acquerre De complaire a l'un pour avoir guerre A la partie Adversaire, pour ce m'en suis partie. Et autressi ne sçay tout ou partie De tel debat jugier, pou apertie Y suis sans faille. Pour ce, Sire, la charge vous en baille, Ne convient ja que querre autre juge aille Pour les amans, chascun d'eulz me rebaille Pouoir du faire, Si sont d'acord que vous soit de l'affaire, Car bien scevent qu'il n'y a que reffaire En vostre bon, noble cuer, qui meffaire Ne daigneroit; Ce jugement, s'il vous plaist, selon droit Vous jugerez. Et encor or en droit Deux autres cas diray ou il fauldroit Donner sentence, Et tout sur vous en est mise la tence Et le descord. Or vueil sans arrestance Vous raconter, fust foiblece ou constance, Ce qu'il avint A deux amants beaulz et gens entre vint, Loyaulz et bons, mais trop leur mesavint Par Fortune, dont chascun d'eulx devint Morne et pensis: Il n'a mie des ans encore six Qu'une dame, en qui tous biens sont assis, Un chevalier amoit sage et rassis, Joenne et joly, Et qui toute bonne tache ot o ly; Et tout fust il mignot, cointe et poli, Oncques encor fausseté n'amoli Son bon courage, Ce disoit il. Aussi fu belle et sage La dame, qui de cuer et de langage Vaillant estoit et riche d'eritage. Si s'entr' amoyent Lui dui amant loyaument et clamoyent L'un l'autre amour souvraine et ne cremoient Fors mesdisans qui les amans esmoyent, Et longuement S'entr'amerent et si secretement Que de leur fait ne fut grant parlement. Si la servoit l'amant soingneusement Comme il devoit. Et celle qui entierement savoit Que son ami loyaument la servoit Le sien cuer tout entierement ravoit En lui fichiés. Si souffrirent tous deux mains griefs meschiez Par trop amer qui les ot si fichiez En grant desir qu'ilz furent tous sechiez De souffrir peine; Car grant Amour, qui les amans demaine, Trop durement mainte dure sepmaine Leur fist avoir, car les amans a peine Et a dongier S'entreporent veoir, ne de legier N'avenoit pas souvent, car dommagier Ne vouloient honneur pour alegier Leur grant desir. Car tant fu vray l'amant que mieulz choisir Voulsist la mort et tout meschief saisir Que deshonneur ne riens qu'a desplaisir Peust ja tourner Envers celle, de qui tel atourner Le voult Amours qu'il ne savoit tourner De nulle part ou il peust destourner Ne mettre jus Le grief fardel qu'il portoit sus et jus; Et de trop plus griefve aigreur que verjus Li ot Amours destrempé et fait jus Un divers boire Qu'adès avoit en cuer et en memoire, Tant en eut beu, non en coupe n'en voirre, Qu'il en fut tout rempli, c'est chose voire Et enyvré; Et tel hanap a celle ot relivré Loyal amour qui son cuer ot livré A si dur point que jamais delivré Ne s'en verra, Car sans partir en ses las l'enserra Amour ferme qui oncques jour n'erra Vers loyaulté; si dit qu'elle querra Coment qu'il soit Voye et chemin, car trop fort l'angoissoit Desir de cil veoir qui la pressoit Qu'il la veïst, et ainsi l'oppressoit De toutes pars Amours, Desir encor plus les deux pars Le vray amant, dont souvent les espars De ses doulz yeulz sur elle erent espars. Si n'en pot plus Celle souffrir en qui ot amours plus Qu'en nul autre, tout fust son corps reclus Par fel dongier qui rend amans conclus Et desconfis. Tant l'estraingnoit Cupido d'Amours filz, Qu'elle aouroit plus que le crucefilz, Qu'elle trouva, fust domage ou proffis, Au paraler Voye comment a cellui peust parler Que tant amoit que ne pouoit celer La grant amour qui faisoit afoler Son cuer sans doubte; Car qui d'amours afole ne voit goute, Ne nul peril ne meschief ne redoubte; Ainsi celle, qui a l'amant fu toute, Tant y mist peine Qu'a son ami plus d'un jour la sepmaine, Sans le sceü de personne mondaine, Parloit souvent, tout fust de paour pleine Et de grant crainte Pour les perilz qui avienent a mainte En si fait cas quant la chose est attainte, Mais non pour tant tant fu d'amours contrainte Qu'elle oublioit Tout le meschief qu'avenir li pouoit. Ainsi souvent son doulz ami veoit, Si lui dura, si comme elle disoit, Tout un esté Ce trés doulz temps, mais Fortune apresté A mains meschiefs aux amans et esté Leur contraire, et souvent a arresté Tous leurs depors. Ainsi adonc par desloyaulz rapors Sceut le mari d'ycelle les accors Des deux amans, tout le fait et les pors, Le lieu, la place Ou moult souvent, a qui qu'il en desplace, S'assembloient; si dist qu'il fault qu'il face Tant que tous deux les treuve face a face, Comment qu'il aille. Dont le mary, qui fu de laide taille Ne en bonté ne valoit une maille, Tant se muça ou en fain ou en paille Qu'il esprouva La verité et tous deux les trouva En lieu secret, mais l'amant bien sauva L'onneur d'elle par ce qu'il controuva Bonne excusance, Qu'il avoit loy, juste cause et aisance, De y parler, ja n'en eust desplaisance, Et lors trouva cas juste ou la semblance Par quoy raison Ot d'y parler en ycelle maison; Si n'y ot mal, pechié; ne desraison, Ja n'en doubtast, car en nulle saison Ne vouldroit faire, Ce disoit il, riens qui li deust desplaire. Et le mary, pour sa deshonneur taire, Faisoit semblant, quoy qu'il creust au contraire, Qu'il creoit bien Ce qu'il disoit; mais oncques puis n'ot bien La dolente, car lors sur toute rien Lui deffendi cellui, de mal merrien Que bien gardast, Que jamais jour en place n'arrestast Ou cellui fust, et que ja ne doubtast Que la vie du corps ne lui ostast S'apercevoir Pouoit jamais par sens ne par savoir Qu'a lui parlast pour nul cas, recepvoir Lui feroit mort; ce lui faisoit savoir Par grant promesse. Or fu tourné en doulente tristece L'amoureux temps qui tenoit en leesce Les deux amans, or ne voient adrece Par nulle voye De jamais jour avoir solas ne joye, Tant ont doulour que vivre leur anoye, Ne leurs piteux regrais tous ne saroye Conter ne dire, Ne le dur temps ne le crueux martire Que la lasse dame ot, car tire a tire Son dolent cuer fondoit comme la cire En pleurs et lermes. Mais non obstant toudis constans et fermes Fu son las cuer en amours, dont li termes Estoit la mort attendre, n'autres armes N'avoit d'espoir Qui gardassent encontre desespoir Son dolent cuer, et cheoite y fust apoir Se grant raison, qui en a le pouoir, Ne l'eust gardée. Et le dolent amant d'autel souldée Refu payé; mais trop griefment fraudée Fu la lasse, plus loyal que Medée, De ce que point N'osoit faire semblant par nesun point Du mal amer qui si au cuer la point. Dont moult souvent se mettoit en tel point, Quant seule estoit, Qu'a pou ses jours et sa vie hastoit Et son cler vis tout de larmes gastoit, Mais en ce pleur moult petit conquestoit, Car n'y ot tour De son ami veoir, car une tour, Forte de murs et close d'eaue autour, Bien la gardoit, n'il n'y avoit destour Ne voye aucune, Fust en secret ou en voye commune, De lui veoir, ne maniere nesune; Dont moult souvent pleurant seule a la lune Se complaignoit A vraye Amour que si la destregnoit. Et d'aultre part l'amant ne se faignoit, Ains en griefs plours le dolent tout baignoit, En regraittant La belle qui de savoureux biens tant Faire li sieult, or en a autretant De griefs doulours dont se va guermentant Piteusement. Mais non pour tant enquist soigneusement D'elle en secret et paoureusement Que le mary nel sceust aucunement, Et par message Bon et secret, certain, loyal et sage, Lui escrisoit souventes fois la rage Ou ot esté, puis que son doulz visage Et son gent corps Ne pot veoir, dont moult divers acords Font en son cuer desir et les records Des doulz soulas, dont lui souvient encors, Qu'il a perdus; Si s'en treuve dolent, mat, esperdus, Et a tousjours yert du tout confondus S'il ne la voit, et, deust estre pendus, Fault qu'il la voye, Et par escript tel complaint lui envoye: «Dame sans per, le chemin et la voye Qui a vie ou a mort me convoye, Tout mon desir, Tout mon espoir, sans qui je n'ay plaisir, Celle qu'Amours desur toutes choisir En remirant vo beaulté a loisir Me fist, ma dame Sage, vaillant, bonne sur toute femme, Que j'aim et serfs et obeïs, par m'ame, Plus qu'aultre riens, ne ne pourrait plus ame Amer maistresse Que je fais vous, si oyez la destrece Ou suis pour vous qui si le cuer mestrece Que je n'y voy fors de la mort l'adrece Se ne vous voy, Ma doulce amour, et tout vif me desvoy Quant je pense qu'ay perdu le convoy De vo doulz oeil; quant m'en souvient, avoy! Je muir de dueil, Belle plaisant, de ma joye le sueil, Mon paradis terrestre, autre ne vueil, Reconforter le mal que je recueil Vous plaise, hé las! Et que fera mon doloureux cuer las Sans vous veoir, mon gracieux soulas. Belle, bonne, qui me tient en ses las! Or mettez peine Que vous voye, ma dame souveraine, S'il peut estre, car je vous acertaine Que grant desir a desespoir me meine Tant me destraint, Et pour ce suis du requerir contraint; Mais non pour tant mieulz vouldroie estre estraint Jusqu'a la mort que cil qui a restraint Noz doulz deduis, C'est le jaloux de tout mal faire aduis, Aperceüst qu'a vous servir suis duis Ne qu'en appert ou en aucun reduis A vous parlasse; Non pas pour tant qu'en riens je le doublasse, Mais tout pour vous, dame qui toutes passe, De qui je vueil l'onneur en toute place Tout mon vivant Garder, chierir; mieulx morir en vivant Vueil pour amer que ce qu'aille estrivant A vostre honneur. Dame, a qui suis servant, Me pardonnez Se j'ay requis secours, car certenez Suis que par vous ne puet estre donnez A moy qui suy a grant meschief menez, Mais plus me poyse De vostre mal, doulce dame courtoise, Que du tourment qui si griefment me poise, Car je sçay bien que, sanz mener grant noise, Grant dueil portez, Ne que en riens vous ne vous deportez Sanz moy veoir, dont vous vous deportez A grant peine, car vo cuer raportez A loyaulté Qui vous conduit en especiaulté, Car sur toutes portez la reaulté De vaillance, d'onneur et de beaulté, Qui vous conduit, Et tous les biens font en vous leur reduit. Si ne pourriez pour loyaulté, qui duit Vostre bon cuer, joye avoir ne deduit Sans vostre ami; Mais je vous pri, belle, pour qui gemy, Que vous vueilliez, tout pour l'amour de mi, Reconforter vo cuer qui sans demi Est trestout mien Et esperer qu'encor arons du bien Maulgré le faulz, jaloux, desloyal chien! Car par souffrir bonnement, vous di bien, Le gaignerons, Et l'eust juré, nous nous entr'amerons Et a grant joye encore nous verrons Et noz douleurs doulcement porterons En esperant. Si ne diray plus que j'aille mourant Pour vous, belle, de qui en desirant Nomme le nom souvent en souspirant; Si vous tenez Joyeusement, mais toudis maintenés Foy, loyaulté, ne moy qui suis penez Point n'obliez; s'ainsi vous ordennez Mieulx en vauldrez N'envers Amours de riens ne deffauldrez, Ainçois a voz desirs trop moins fauldrez Par joye avoir, car par ce vous perdrez Le faulz agait Du desloial mary qui en agait Est sans cesser, et, pour ce qu'en dehait Vous voit, toudis a vous gaitier ne lait Ne jour ne nuit. Si confortez le mal qui si vous nuyt En moy amant, ne ja ne vous anuyt Un pou de temps qui ne demain n'anuyt Ne passera, Ma doulce amour ou mon cuer pensera Tout mon vivant ne ja ne cessera De vous aimer tant que trespassera L'ame du corps. Cent mille fois et plus, mes doulz depors, Me recommand a vous et aux records Doulz amoureux que vous arez encors De voz amours, Et pri a Dieu par devotes clamours Que vo gent corps, garni de bonnes mours, En ce monde face long temps demours Par bonne vie Et puis après vostre ame soit ravie Avecques Dieu ou ciel, ou n'a envie, Et de tous biens vous soiez assouvie A tousjours mais.» Ainsi l'amant, servi de divers mais, Reconfortoit sa belle dame, mais En son las cuer tous maulz furent remais. Et puis la belle, Qui conforter pour nesune nouvelle L'amoureux mal, qui desoubz la mamelle Trop l'angoissoit, ne pot, adoncques celle Lui rescripsoit Piteusement et ainsi devisoit: «Beau doulz ami, en qui se deduisoit Mon cuer a qui vous tout seul souffisoit Pour seule amour Depuis le jour qu'il receupt la clamour De vo complaint, qui en lui fist demour, Sachiez de vray, cil par qui en cremour Vif en dongier, Que j'aime tant qu'il n'est riens qu'estrangier Peüst le mal qui me fait enragier, Quant ne vous puis veoir riens alegier Ne me pourroit Et mon las cuer de dueil ainçois morroit Qu'il s'esjoïst, car qui souvent orroit Ses griefs complains grant pitié en aroit, Ne il n'est dueil Pareil au mien, ne je n'ay autre vueil Fors de mourir et trop je me merveil Coment je vif, car sanz cesser je veil Ne ne repose. Et ce qui m'est encor plus dure chose C'est qu'il convient que ma dolour enclose Porte en mon cuer, ne semblant faire n'ose De mon meschief, Ne je n'espoir jamais venir a chief De cest anuy, car je ne voy bon chief De vous veoir jamais, dont, par mon chief, Je mourray d'yre! Et ce sera briefment. vous l'orrez dire, Et je desir que la mort hors me tire De ce grief dueil qui trop mon cuer martire Et mal demeine Ma doulce amour, puis que je suis certaine Qu'il n'y a tour jamais pour nulle peine Que vous voye et plus que riens mondaine Je vous desir. Et comment donc pourroye avoir plaisir, Dont me venroit quand je ne sçay choisir Aultre soulas qui feïst amesir, Pour nul avoir, Mes griefs peines n'espoir ne puis avoir? Car n'y a tour que peusse decepvoir Ceulz qui bien font en tous cas leur devoir De nous gaitier. Trés doulz ami, si n'y a nul sentier De vous veoir, n'en chemin, n'en moustier, Ne autre part, si ne puis apointier Nul autre tour. Si en mettez vo cuer hors de tristour, Laissiez a moy le duel faire en destour, Et vous prenez en faucon ou oustour Ou en deduit De chace en bois, amis, vostre deduit, Car a amant pour passer temps aduit. En ce prenoit Pyramus son reduit, Ou temps jadis, Quant pour rapors et desloyaulz mesdiz La trés belle Tysbé, en qui toudis Fu son vray cuer, c'estoit son paradis, Fu mise en mue, Qui pour meschief oncques ne fu desmeue De lui amer, car droit ne se remue Qui bien aime ne change ne ne mue Pour infortune. Mon vray ami, je n'y sçay voye aucune D'autre deport. Dieux qui fist ciel et lune Vous reconfort et moy qui par Fortune Suis mise au bas Doint brief finer, car de tous les esbas Quitte ma part et en plourant rabas Tous mes soulas, ne vueil autre repas Ne autre joye.» Ainsi la dame a son ami renvoye Ses griefs complains, ne n'y scet lieu ne voye Que jamais jour par nesun tour le voye Pour les agais Des mesdisans qui plus que papegais Vont barbetant et tousjours firent gais, Si ne fu plus son corps jolis ne gais Come ot esté. Ainsi Fortune ot tout mal apresté Aux deux amans et tout leur bien osté, Et ja par deux yvers et un esté Enduré orent Ces grans anuys, ne veoir ne se porent, Tant traveillier ne pener ne s'i sçorent; Dont tout l'espoir avoir perdu ilz dorent, Comme il sembla A l'amant qui gaires mais n'en troubla Et avec gent plus souvent assembla Qu'il n'ot apris et son corps affubla Plus sur le gay; Et tout ainsi com le cerf pour l'abay Des chiens s'enfuit, qui l'ont mis en esmay, Cil esloingna sa dame ou moys de may Qui renouvele Et oublia du tout en tout la belle Ne n'envoya plus messagier vers elle, Et accointa autre dame nouvelle Que il ama Tant et servi qu'a ami le clama Ne l'autre plus en riens ne reclama. Dont après moult l'en reprist et blasma La premieraine Qui bien un an après en fut certaine, Dont li pesa si durement qu'a peine N'en receupt mort, si n'ot mais tant de peine Des agaitans Comme el souloit, car toutes riens leur temps Ont et saison, ne riens n'est arrestans En un estat. Et ainsi, com j'entens, Un jour avint Qu'en certain lieu cellui amant survint Ou sa prime dame fu qui devint Vermeille ou vis; quant le vid lui sovint Du temps passé, Dont ne fu pas de son cuer effacé Le souvenir qu'Amours ot entassé Si que jamais il n'en sera lassé, Ains lui duroit Tousjours l'amour dont mains maulz enduroit Et de rechief durement souspiroit; Si se pensa que a lui parleroit, Car n'y ot gent Mie foison, ne gaitte ne sergent Qui en ce cas lui fussent domagent; Si l'appella adonc et bel et gent, Vers lui se trait Et commença a lui dire en retrait: «Ha! qui pensast en vous trouver faulz trait Ne que pour riens fussiez jamais retrait De moy amer Ne qu'on vous peust faulz ne mauvais nommer! Car tant de foys vous oÿ affermer Que mieulz vouldriez estre noyé en mer Que moy laissier Ne loyaulté enfraindre ne froissier, Et vous m'avez, dont moins vous doy prisier, Deguerpie, si n'en puis apaisier Mon cuer, par m'ame, Et faulz estes d'avoir fait autre dame Et desloyal vers moy! C'est grant diffame A vous certes a qui affiert grant blasme D'avoir ce fait!» Ainsi celle blasma cellui de fait; Tout en plourant se complaint du tort fait Qu'il a commis; mais il dit «que meffait Il n'a vers elle En nesun cas et a tort faulz l'appelle, Ne d'autre amer, soit dame ou damoiselle, Il n'a mespris et de son dit appelle Par devant tous Juges d'amours, et y fussent trestous, Soubsmettre veult que son corps soit aux loups Livré ou pris de malage ou de tous S'il est jugié Qu'il ait mespris ne qu'il soit estrangié De loyaulté, non obstant que changié Il ait dame sanz ce qu'il eust congié D'elle du faire; Devant juge ne pense mie a taire Ces grans raisons et comment neccessaire Il lui estoit de soy d'elle retraire Et mesmement Pour son honneur, car elle scet comment Il ne pouoit la veoir nullement Et le peril et grant encombrement Ou ilz en furent, Et mesdisans, qui encor en murmurent, Tout ce tourment par faulz rapors esmurent, Et telz parleurs aux amoureux procurent Trop de meschief; Et elle aussi lui manda de rechief Que jamais jour ne porroit par nul chief A lui parler ne en long temps n'en brief Le veoir plus, Dont longuement en fu morne et enclus, Mais n'estoit droit qu'il se rendit reclus A tousjours mais ou du tout fust desclus De joye avoir; Car sans amours ne pourroit recepvoir Nul joenne cuer joye, a dire le voir. Et doncques puis que pour nesun avoir Ne la pouoit Veoir, certes pourchacier se devoit En autre part, pour ce mespris n'avoit, Ce disoit il, du faire bien savoit; Mais s'il espoir D'elle veoir eüst eü apoir Il eust mespris, mais elle en desespoir Trop le mettoit, si n'avoit plus pouoir De soustenir La grant dolour qu'il lui falut tenir Par trop long temps; doncques pour revenir A reconfort li falu retenir Dame nouvelle Pour en avoir quelque bonne nouvelle, Car par long temps il n'avoit receu d'elle Fors que doulour; si a tort qui l'appelle Faulz pour ce cas.» Mais la dame qui ot le parler cas Pour le grief plour, ou elle chut a cas, Lui dist: «Certes ne vous fault advocas Pour raconter Vostre raison, mais je m'ose vanter Que, se juge loyal veult escouter Noz deux raisons, tort arez sanz doubter Si com moy semble, Car vostre cuer qui du mien se dessemble Si n'a trouvé en moy riens qui ressemble A fausseté depuis le jour qu'ensemble Premier parlames. Si n'avez droit, juge en fois toutes dames Et tous amans loyaulz et sanz diffames, Et si soustiens que vous n'avez deux drames De cause bonne. Si soit juge trouvé, bonne personne Qui de noz cas tous deux nous araisonne. Plus n'est mestier que je vous en sermonne, Au jugement Je m'en attens du tout entierement.» Atant fina d'eulz deux le parlement, Et tost après vindrent soingneusement En ma maison, De leur debat me distrent l'achoison En moy priant qu'oÿe leur raison J'en jugiasse, mais je dis qu'a foison Ilz trouveroient Ailleurs meilleurs juges qui mieulz saroient Droit en jugier; si distrent qu'ilz vouloient Que j'en jugiasse ou que ilz me prioient Que je leur queisse Juge loyal et bien en enqueïsse Et sur cellui tout le fait asseïsse; Et je leur dis que voulentiers feïsse Leur bon plaisir, Mais, s'en tel fait je devoie choisir Juge pour moy, ne vouldroie saisir Aultre que vous pour l'amoureux desir Bien discerner Et pour savoir bon jugement donner. Et lors distrent qu'en nul autre assener Ne pourroient mieulz, et pour ce ordener, S'il vous plaisoit, Vous vouloyent leur juge et souffisoit Vo jugement, si com chascun disoit; Pour ce, Sire, tout le fait sur vous soit, S'a gré vous vient. Et du tiers cas, si comme il me souvient, Je vous diray le fait, il apertient Puis que leur vueil a juge vous retient. Tel fu l'affaire: Un chevalier, si com j'ouÿ retraire, Avoit promis a tousjours sans retraire Toute s'amour a doulce et debonnaire Et bonne et belle Et si plaisant qu'aultre ne passoit celle Fors seulement qu'elle estoit domoiselle, Jeune d'age, simple comme pucelle Jolie et gente; Et elle aussi ravoit mise s'entente A lui amer, et de loial entente S'entr'amoient et bien, que je ne mente, Plus de deux ans S'entr'amerent leaument les amans. Ce me jura saint Julien du Mans Celle qui cuer ferme ot com dyamans Que d'un descort En leur amour elle n'avoit record; Ainçois tous deux furent si d'un accord Qu'oncques n'y ot un tout seul mesaccort En ce termine. Mais il n'est mur si fort que l'en ne mine Ne si grant tas, que qui veult mine a mine L'apetissier, que l'en ne le termine, Ne riens ne dure Sans avoir fin par le cours de nature En ce monde, n'il n'est chose tant dure Qui ne s'use, soit chaleur ou froidure, Et qui ne tire A quelque fin, et ainsi tire a tire S'usent amours souvent, s'ay je ouy dire, Et non obstant que souvent on souspire Par trop amer Et que les maulz d'amours soient amer, Si ne voit on mie amours affermer A tousjours mais, ains les ot on clamer Et c'est souvent, Fol s'i fie; fole amour est tout vent Qui peu dure et les cuers va decevant Et un espoir dont après ensuivent Va joye vaine. Ainsi fina, qui qu'en eust après peine, Ycelle amour qui souloit si certaine Estre, et puis fut desprise et incertaine Et deffaillie. Car l'amant qui l'amour en sa baillie De celle avoit, qui puis fu maubaillie Pour lui amer et en grief dueil saillie, Se changia tout Et delaissa et estrangia de bout Celle qu'amer souloit, et fu derout Leur joyeux temps qu'elle cuidast qu'a bout Ne deust ja estre; Si lui sembla qu'il estoit trop grant maistre Pour elle amer et voult en plus hault estre Mettre son cuer, et bien cuida a destre Droit assener. Pour haultement son cuer mettre et donner Si s'acointa, com j'oÿ raisonner, D'une poissant dame a qui sans finer Son cuer promist, Et tant l'ama et si grant peine y mist Qu'elle l'ama en la fin, tant lui dist Que il l'amoit qu'elle en grace le prist Et le retint Pour son servant et a ami le tint. Si ne sçay pas comment il s'i contint, Car pou dura l'amour, a qui il tint Ne sçay je pas; Mais il n'est nul qui vous deist en nul pas La grant doulour et le mauvais repas Que la lasse ot, qui auques au trespas Et mise en biere En fu pour lui la doulente premiere, Quant elle vid et perceut la maniere De son amant qui se tyroit arriere De sienne amour Et trop faisoit d'elle veoir demour Ne n'ot pitié de sa lasse clamour, Non obstant ce que souvent, en cremour Et a dongier, A lui parloit d'elle le messagier Et lui disoit pour quoy si estrangier Vouloit celle qui mie de legier Ne l'oblieroit Ains pour s'amour sans faille se morroit, S'il la laissoit, du mal qu'elle tiroit. Il respondoit qu'au plus tost qu'il porroit Yroit vers elle, Mais survenu il lui estoit nouvelle Qui l'empeschoit pour certaine querelle. Si s'excusoit ainsi de veoir celle Qui ne finoit De dueil mener, car bien apercevoit Que delaissier son ami la vouloit, Dont trop griefment la lasse se doloit, Mais pour neant Se travailloit et s'aloit delaiant, Car bien pouoit, s'elle estoit clerveant, Apercevoir qu'il s'aloit recreant D'elle sans doubte; Si en ploura en grant dueil mainte goute Et de courroux elle se fondi toute. A brief parler, du tout en tout desroute Celle amour fu, Et la laissa et la mist en reffu Le faulz amant, que fust il ars en feu! Ainsi celle bien vid et aperceu Qu'une aultre amoit, Dont longuement dolente se clamoit, Mais n'y ot tour: pour riens le reclamoit. Si s'en souffri quant vid qu'elle semoit Pour riens ses larmes. Car il n'est riens qui n'ait saisons et termes, Si n'estoit droit que tousjours mais fust fermes Son cuer en dueil qui fait perdre les armes Et corps en terre; Si apaisa son cuer de celle guerre Au chief d'un temps et ne voult plus enquerre De son amant n'aucune voie querre Pour luy veoir, Ne autre part sienne amour asseoir, Car d'amer plus ne lui devoit seoir En son vivant ne d'ami pourveoir Son cuer jamais, Ce lui sembloit, car trop lui fut remais Dolent penser pour amer et dur maiz, Si s'en tendroit, ce disoit, des or mais. Mais escoutez Ce qu'il avint de ce fait et notez Coment l'amant estoit peu arrestez, Car ains que fust l'an passé, ne doubtez, Il esprouva Grant fausseté en la dame et trouva, Ce disoit il; car s'il le controuva Ne sçay je pas, mais par ce se sauva D'elle laissier Et dist que cuer haultain et boubensier Avoit vers lui et legier a ploissier A autre amour plus que verge d'osier. Si lui souvint Des doulz plaisirs de celle qui devint Pale pour lui et comment y avint. Alors son cuer a raison se revint Et s'avisa Qu'il l'aimeroit, car oncques n'avisa Plus loiale, si comme il devisa, Ne pouoit mieulx; pour ce se ravisa Et repenti Dont oncques mais loiaulté lui menti Ne dont son cuer a aultre consenti. Si a dit lors comme vray converti Que humblement Lui requerroit mercis piteusement Et du meffait a son vueil vengement Prensit sur lui, mais qu'après bonnement Lui pardonnast Et de bon cuer loial elle l'amast, Si qu'en tout cas son vueil lui ordenast, Et se jamais failloit, si le blasmast Comme mauvais. Ainsi cellui voult pourchassier sa paix Devers la belle, a qui peu chaloit mais De son amour, et vers elle s'est trais: Si l'araisonne Moult doulcement et qu'elle lui pardonne Prie humblement, et de ce la sermonne Moult longuement et dist qu'oncques personne N'ama plus dame Qu'il l'aimera des or mais, par son ame! Et lors celle, en qui plus n'avoit la flamme De fole amour qui deçoit homme et femme, Prist a respondre Et dist «qu'on la devroit bien a sec tondre, Puis qu'elle estoit hors du meschief qui fondre Son cuer faisoit, pour prier ne semondre, S'a tel meschief Se mettoit plus; si ne l'aimeroit brief Puis que laissée il l'avoit de rechief, Ne s'i fieroit jamais par nesun chief Puis que deceue L'a une fois et mauvaistié perceue En lui; jamais n'en quiert avoir veüe, Ne plus ne veult estre d'amer meüe Certainement. Si ne lui en tiengne plus parlement, Car n'aimera jamais jour nullement.» Et cil respont et lui dit doulcement «Qu'elle aroit tort, Car repentant on ne doit mettre a mort Et le pecheur que conscience mort Dieu a mercy le prent, s'il se remort Com repentant.» Et celle dit «qu'il s'en peut bien atant Souffrir, s'il veut, car moult peu arrestant Il y seroit, quoy qu'il voit promettant, Mais que nouvelle Dame veïst qui lui semblast plus belle; Si n'en veult plus ouïr male nouvelle.» Et cil a dit «que de son dit appelle En jugement, Car monstrer veult par raison clerement Qu'elle grant tort lui feroit s'ensement Le guerpissoit, puis qu'a repentement De son meffait, Et se plaindra aux amans du tort fait Qu'elle lui fait et juge veult de fait Pour en jugier; car oncques si parfait Homs ne nasqui Qui ne mesprist, fors Dieu qui tout vainqui, Ce disoit il, ne si vaillant en qui N'eust vice aucun; et d'estre relenqui En tel maniere Ne seroit pas chose bien droitturiere, Et pour ce veult que loial juge on quiere; Et s'il est dit en si faitte maniere Qu'elle nel doie Prendre a mercy, aler s'en veult sa voye.» Et celle dit «qu'au jugement s'autroie, Mais non obstant elle veult toutevoie Que, ains que l'en rende Le jugement, aux dames on demende Leur bon avis, et si se recommande En leur priant que chascune y entende Diligement, Et puis si soit donné le jugement.» Ainsi greé cest accort bonnement Ont ambedeux; atant leur parlement Ont afiné. Et puis après de cerchier n'ont finé Juge par qui il soit determiné De leur debat et leur procès finé. Si sont venu Par devers moy, combien qu'apartenu N'ait pas a moy, et si se sont tenu Sur mon avis. Adonc m'est souvenu De vous, chier Sire, Si leur ay dit qu'il vous vueillent eslire, Car mieulx sarez de leur debat voir dire. Et droit jugier que moy; car a bon mire Doit le naivré. Soy adrecier, s'estre veult delivré De son grief mal, dont par vous decevré Le droit du tort soit: si ont recovré Droit justicier En vous, Sire, s'il vous plaist radrecier Le grant debat dont j'ai oÿ tencier. Mais or est temps de mon oeuvre avancier Et affiner, Le demourant commet a parfiner A vo bon sens, car bien sarez finer De ce qu'il fault a bien l'euvre affiner Et la parfaire. Si est saison que je m'en doie taire, Mais au dernier ver vueil dire et retraire Quel est mon nom, qui le voldra hors traire Comme il deffine. Et en la fin, de pensée enterine, Qui vous ottroit joye parfaitte et fine Pri Jhesu Crist, qui ne fault ne ne fine. LE LIVRE DU DIT DE POISSY (Avril 1400) Bon chevalier, vaillant, plein de savoir, Puis qu'il vous plaist a de mes diz avoir Et le m'avez par escript fait savoir De vostre humblece, Non obstant ce que ma povre foiblece Ne soit digne que vostre gentillece S'encline ad ce, j'en tendré la promesse Que je promis Au messagier que vous m'avez tramis De loings de cy, et comme a vrais amis Me recommant a vous de cuer soubsmis. A vo comant Si vous envoy faire ce jugement Dont deux amans contendent durement; Si m'ont prié et requis chierement Que je leur quiere Juge loyal et que bien en enquiere Pour droit jugier leur descort en maniere Qu'il leur en doint sentence droituriere Selon raison. Et non obstant qu'en France ait grant foison De bons et biaux, qui en toute saison Saroient droit jugier, pour achoison Du bien de vous Vous ay choisy a juge desur tous, Tout non obstant soiez vous loings de nous, Si en vueilliez, s'il vous plaist, Sire doulz, Le droit jugier. Et, s'il vous plaist a du fait vous chargier, Je vous diray le cas pour abrigier; Comme il avint vous orrez sans targier Et en quel temps, La ou ce fu vous sera dit par temps, Car il n'a pas ne mille ne cent ans, Non pas un mois, ains fu en l'esbatans Gracieux moys D'Avril le gay, ou reverdissent bois, Ce present an Mil quatre Cens ainçois La fin du mois. Il avint une fois Que j'os vouloir D'aler jouer, si voulz aler veoir Une fille que j'ay, a dire voir, Belle et gente, joenne et de bon savoir, Et gracieuse Au dit de tous; si est religieuse En abbaïe riche et precieuse, Noble, royal et moult delicieuse, Et est assise Loings de Paris six lieues celle eglise, Qui moult faite est de gracieuse guise; Poissi a nom la ville ou elle est mise Et celle terre. Si apprestay a un lundi mon erre, Compagnie plaisant envoyay querre Qui tout plaisir me vouldroient pourquerre Sans deslaier, Si y avoit maint jolys escuier Qui de leur bien me vindrent convoier Pour esbatre, non pour autre loier. Lors a grant joye Nous partismes de Paris, nostre voye Chevauchames, et moult joyeuse estoie; Si furent ceulx qu'avecques moy menoie Et toutes celles, Ou il avoit de gentilz damoiselles, Doulces, plaisans, gracieuses et belles. Lors liement devisions des nouvelles Et des estours Qui moult souvent aviennent en amours; En chevauchant gayement de mains tours Nous parlames, n'y ot muez ne sours Ne nul taisant, Ainçois chascun y aloit devisant Ce que le mieulx lui estoit advisant; La n'avoit dit ne sonné mot cuisant Mais tous joyeux. Si y chantoit qui savoit chanter mieulx, Si hault, si bien, que souvent tous li lieux Retentissoit, et ainsi qui mieulx mieulz S'esjouïssoit Chascun en soy; et moult resjouïssoit Le temps nouvel qui adonc commençoit, Et le soleil clerement reluisoit Sur l'erbe vert. Tout le chemin y fu plein et couvert De floretes, chascune a l'ueil ouvert Vers le soleil qui luisoit descouvert. Mais en l'anée Il n'avoit fait si doulce matinée Et toute fu la terre enluminée De rosée que le ciel ot donnée, Qui resplendir Fist l'erbe vert pour les cuers esbaudir, La n'avoit riens pour la terre enlaidir, Tout estoit bel pour amans enhardir A bien amer. Parmi ces prez Nature ot fait semer Marguarites et flours qu'on sieult nommer Fleurs de printemps; partout veist on germer Maintes diverses Herbes et flours qui a la terre aherses Encor furent, verdes, rouges et perses, Jaunes, indes, qui malles ne diverses Ne furent mie. La ot la flour de ne m'oubliez mie, Souviengne vous de moy, qui n'est blesmie Mais vermeille, dont amant et amie Font chappellez Et qu'il mettent souvent en anellez Pour devises et autres jouellez Qu'ilz se donnent jolis et nouvellez Par druerie. Ainsi adonc fu la terre flourie, Mais il n'est nul qui deist la chanterie Des oysillons qui de voix trés serie Nottes nouvelles Chantoient hault, et ces aloues belles En l'air sery disoient les nouvelles Du doulz printemps, chantant de voix ysneles Et a haulx sons; Sur les arbres et parmi ces buissons Ces oissillons disoient leurs chançons; La peüst en oïr maintes lecçons De rossignolz Qui disoient leurs virelais mignos, Et pastoures qui gardoient aignaulx Leurs chappellez faisoient a lignaulx Parmi ces champs Tous purs de flours, en escoutant les chans Des oisillons et par buissons crochans. Près de Seine venimes approchans A lie chiere. Si fist plus bel encor sur la riviere, Car oisillons de plus lie maniere Par ces ysles a haulte voix plainiere Se deduisoient Si liement que tous esjouïssoient Les cuers de nous, et trop fort nous plaisoient Arbres et prez qui partout verdissoient, Et ces saussoies Reverdissans et ces jolies voies Souef flairans; ces buissons et ces haies Ou rossignolz disoyent chançons gaies, Et le doulz bruire De l'eaue qui en courant faisoit bruire Ces gors, ces pieux, pour noz cuers plus deduire, Si qu'il n'est dueil qui la ne deüst fuire N'estre remis. Adonc d'errer nous sommes entremis Pour estre la a l'eure qu'os promis. Alors fichié s'est entre nous et mis Un ventelez Doulz et plaisant, qui noz cours mantellez Nous soubslevoit souefs et freschelés, C'est zephirus qui boutons novellez Fait espanir Et ces belles doulcetes fleurs venir Et aux amans donne maint souvenir De leurs amours; pour ce voult survenir En celle place Que le soleil ne gastast nostre face, Ce fist Amours, ce croy je, de sa grace Qui l'envoya ainsi en tel espace. Par le serain Chevauchames tant que tous main a main Arivames, encor ert assez main, Au bel chastel qui a nom Saint Germain Qu'on dit en Laie. Adonc entrer nous convint en la gaie Doulce forest, mais ou monde n'a laye Gent ne lettrés, qui nel scet ou essaie, Qui peüst croire Le doulz deduit du lieu, car j'ay memoire Que tout ainsi comme a marche ou a foire S'assemblent gent a tas, c'est chose voire; Avoit atant De rossignolz en cellui lieu chantant, Qui ça et la aloient voletant, Qu'oncques je croy ensemble on n'en vid tant Comme il eut cy, Qui disoient: «ocy, ocy, ocy Le faulz jaloux, se il passe par cy Sans le prendre n'a pitié n'a mercy En no pourpris.» Et la forest espesse que moult pris Reverdissoit si qu'en hault furent pris L'un a l'autre les arbres qui repris Sont, et planté Moult près a près li chaine a grant planté Hault, grant et bel, non mie en orphanté, Ce scevent ceulz qui le lieu ont hanté, Si que soleil Ne peut ferir a terre a nul recueil. Et l'erbe vert, fresche et belle a mon vueil, Est par dessoubz, n'on ne peut veoir d'ueil Plus belle place A mon avis, et qui peut face a face La ses amours veoir ou les embrace Je ne cuide mie que pou li place, Car c'est deduit Trop avenant que d'estre en ce reduit Ou doulz printemps, ou oisillons sont duit De demener leur soulas et leur bruit Ou temps d'esté. Si croy pour vray qu'Amours ot apresté A cellui jour toute gaye honnesté; Aussi croient ceulz qui orent esté O moy le jour, Car d'esbatre ne cessames tousjour Rire et jouer, et chanter sans sejour, Ou deviser d'aucun parti d'amour. Et la forest Nous passames et vimes sanz arrest Droit a Poissi, ou tost trouvames prest Quanqu'il convint et tout ce que bon est A droit souffire. Quant descendus fumes, chascun s'atire Le mieulz qu'il peut de vesteure et se mire Si qu'en l'atour il n'y a que redire; Et puis alames Ensemble en l'abbaïe vers les dames Au parlouer, et puis dedens entrames, Tout non obstant que portes a grans lames Y ait moult fortes; Mais par congié on eut ouvert les portes. La trouvames dames de belles sortes, Car il n'y eut contrefaittes ne tortes Mais moult honnestes De vestemens et des atours des testes, Simples, sages et a Dieu servir prestes. La nous firent noz amies grans festes Et lie chiere. Adonc celle que j'aim moult et tiens chiere Vint devers moy, de trés humble maniere S'agenoilla, et je baisay sa chiere Doulcete et tendre, Puis main a main alames, sanz attendre En l'Eglise pour servise a Dieu rendre; Si oÿmes la messe et congié prendre Vosmes après, Mais les dames si nous prierent trés De boire un cop et ylec assés près Nous menerent en lieu bel, cler et frès Pour desjuner, Car n'estoit pas encor temps de disner. Mais n'ommes pas loisir de sejourner La longuement ne gaires desrener, Quant la soingneuse Et trés vaillant, noble religieuse, Ma redoubtée dame gracieuse, Marie de Bourbon, qui est prieuse De celle place, Tante du roy de France, en qui s'amasse Toute bonté et qui tout vice efface, Si nous manda de sa benigne grace Que allissions Devers elle, ne point ne laississions; Joyeux fumes de ce, ne voulsissions Que sans veoir elle nous yssissions De ce pourpris. Si nous sommes deux a deux entrepris Et alames a la dame de pris: Par les degrez de pierre, que moult pris, En hault montames Ou bel hostel royal, que nous trouvames Moult bien paré, et en sa chambre entrames De grant beaulté, si nous agenoillames Lors devant elle, Et la trés humble dame nous appelle Plus près de soy et de mainte nouvelle Nous arainna doulcement, comme celle En qui humblece A, et bonté et tout sens et noblece. Et tost après la trés noble princece, Fille du roy, qui venoit de la messe Et est rendue En cellui lieu et voillée et vestue, A Dieu servir donnée et esleüe, A qui honneur est donnée et deüe, Entre en la chambre, C'est ma dame Marie, joenne et tendre, Mais ne fu pas seule, bien m'en remembre, Ains mainte dame ot o soy, dont la mendre Fu gentil femme, Noble, poissant, et avec celle dame Fu la noble fille de bonne fame Du conte de Harecourt, ait son ame Dieu qui ne fine, Qui près estoit sa parente et cousine: Et adonc ma dame, sans plus termine, La prieuse se lieve et si s'encline, Si fimes nous Trés humblement, si nous reçut trestous Si doulcement que ja ne fussions saoulx D'elle veoir, tant a le maintien doulz Et humble chiere. Si nous plut moult a veoir la maniere Du bel estat royal qui leans yere, Toutes dames, car en nulle maniere N'i entreroit Pour les servir nul homme, on n'i lairoit, Ne a elles aucun ne parleroit, S'il n'est parent, ou ceulz que il menroit Avecques lui; N'on n'y lairoit jamais entrer nullui Fors par congié, a dongier, n'a par lui N'entre dedens seul, n'il n'y a cellui Non en convent. Ne je ne sçay se il leur va grevant, Mais jamais jour pour pluye ne pour vent De la n'ystront et ne voient souvent Les gens estranges. Et de belles plusiers y a comme angelz. Si ne vestent chemises, et sus langes Gisent de nuis; n'ont pas coultes a franges Mais materas Qui sont couvers de biaulx tapis d'Arras Bien ordenés, mais ce n'est que baras, Car ilz sont durs et emplis de bourras, Et la vestues Gisent de nuis celles dames rendues, Qui se lievent ou elles sont batues A matines; la leurs chambres tendues En dourtouer Ont près a près, et en refectouer Disnent tout temps, ou a beau lavouer. Et en la court y a le parlouer Ou a treillices De fer doubles a fenestres coulices, Et la en droit les dames des offices A ceulz de hors parlent pour les complices Et neccessaires Qu'il leur convient et fault en leurs affaires. Si ont prevosts, seigneuries et maires, Villes, chastiaulx, rentes de plusieurs paires Moult bien assises; Et riches sont, ne nulles n'y sont mises Fors par congié du roy qui leurs franchises Leur doit garder, et maintes autres guises A la en droit, Dont me tairay, car qui conter voldroit Toutes choses longuement y mettroit. Si tourneray a parler or en droit Coment prenimes De noz dames congié et nous enveimes; Mais ne l'omes mie quant le requismes, Tout non obstant notre devoir en feismes. Ains voult, ainçois Que partissions, que bussions une fois Ma dame la prieuse, a basse voix Moult nous pria par doulz maintien cortois De desjuner, Car en ce lieu nullui n'ose disner. Si nous convint son vueil enteriner, Et par pluseurs dames nous fist mener En une chambre Belle, plaisant, la ou ot fait estendre Nappes flairans blanches et tapis tendre; Vins, viandes aportent sans attendre A grant largece En vaissiaulz d'or et d'argent par noblece; Et les dames pleines de gentillece, Ou voulsissions ou non, de leur humblece S'entremettoient De nous servir et les mez aportoient Delicieux et goute n'en goustoient, Dont nous pesoit fort, et moult se penoient D'umble maniere De nous servir, Dieux leur rende la chiere Qu'ilz nous firent liement sanz enchiere. Et après ce devers ma dame chiere Nous retournames Prendre congié et la remerciames, Puis les degrez du palais avalames, Vers le convent de rechief nous alames Pour congié prendre Des dames de leans, car point mesprendre Ne voulsissions; lors nous pristrent a prendre Parmi les mains et nous vouldrent aprendre Le trés bel estre De cellui lieu qui fu fait de bon maistre, Car ce semble droit paradis terrestre. Si nous firent devaler en leur cloistre Qui tant est bel Que plus plaisant depuis le temps Abel. Ne fut veüs, car maint jolis chambel Y a ouvré, et sus maint fort corbel Sont soustenues Les grans voultes, haultes devers les nues, Et par dessoubz pavées de menues Pierres, faittes a ouvrages, et nues Luisans et belles, Et tout autour a haultes colombelles Bien ouvrées a fueillage et tourelles D'entailleure de pierre; ainsi sont elles En tous les lieux Du cloistre grant, large et espacieux, Qui est quarré, et, a fin qu'il soit mieulx, A un prael ou milieu gracieux, Vert, sans grapin, Ou a planté en mi un trés hault pin, Ne fut veü plus bel depuis Pepin, Si est fueillu et plus droit que sapin; Bien y avient. Après ou reffectouer on revient Qui tant est bel que pas ne me souvient Qu'oncques si bel lieu veisse, et si contient Moult grant espace; Hault, grant et cler est et luisans com glace, Les voirrieres y sont de belle face Et de menus karriaulx par la terrace Est tout pavé Et si trés net qu'il semble estre lavé, Et près de la le chapitre est trouvé Qui est moult bel et gentement ouvré. A brief parler Par tant de lieux biaux on nous fist aler Que du veoir ne nous poions saouler Ne nulle part n'y a que regaler, Tant sont plaisans Et en esté delictable et raisans. Mais de conter ne doi estre taisans Comment partout, pour estre plus aisans, Vient la fontaine Clere, fresche, doulce, plaisant et saine, Qui en ce lieu sourt de dois et de vaine Et par tuyaulx vait par leans, n'a peine A il reduit Nesun leans, grant ne petit, je cuit, Ou ne voise fontaine par conduit. Es cuisines es grans pierres y bruit Toudis et chiet A grans gorgons ne nul temps n'y dechiet; Ainsi partout leans ou il eschiet Est assise, dont moult bien en enchiet A mains affaires Qui sont ou lieu, qui de repos n'ont gaires; Tonnes a vin, celiers de plusieurs paires, Fours, despenses et aultres neccessaires Tous a compas Y sont assis, car en ce lieu n'a pas Petit convent mais plus grant qu'au Hault Pas, Ainsi partout nous trassames maint pas Et par grans cours Larges, longues plus d'un cheval le cours, Ou grans chantiers de busche furent sours, Bien pavées et belles a tous tours. Mais encor voulrent Plus nous monstrer les dames qui moult sçorent; Car leur dortouer ordenné comme il l'orent Et leurs beaulz lis, que sur cordes fait orent, Ilz nous monstrerent; Mais en ce lieu de noz hommes n'entrerent Nul quel qu'il fust, car hommes ne monterent Oncques mais la, par droit s'en deporterent A celle fois. Si est moult bel, grant, large, cler et cois. Bien ordenné et fait en tous endrois, Si qu'il pert bien qu'il fu fondé de roys Et de grant gent Qui espargné n'y ont or ne argent. Après tout ce, li degré bel et gent Descendimes, trouvasmes nostre gent Et de rechief Volmes aler ou moustier, ou maint chief A de maint saint, si volmes en tout chief Considerer le lieu, mais ja a chief Je ne venroie De deviser la beaulté qu'y veoie, Car tant est bel, hault, cler, se Dieux me voye, Que sa beaulté retraire ne saroie Entierement, Et semble estre fait tout nouvellement, Tant est fin, blanc, et le maçonement Et ens et hors fait si joliement Qu'on ne pourroit D'or ne d'argent ouvrer en nul endroit Mieulx qu'ovrées sont pierres la en droit. A brief parler, a souhaidier fauldroit Qui vouldroit mieulx; Et si est grant et large, se m'aist Dieux, Et hault voulté a piliers gracieux, Qui soustiennent l'edifice, et li lieux Moult bien ouvrez. Et le moustier est en deux decevrez A fin qu'omme d'elles ne soit navrez; N'y entreroit nesun pour dire: «ouvrez», Ne d'aventure, Car ou milieu il a une closture Qui le moustier separe sans roupture; Ceulz qui dient la messe et l'escripture De l'euvangile Si sont de hors et les gens de la ville, Et en la nef sont les dames sanz guile Qui respondent de haulte voix abile A ceulz de hors Et de leurs voix femmenines accors Font gracieux; et vegiles de mors, Nonne, vespres, matines et recors Chantent leans. Mais il n'est nul, tant fust il clerveans, Qui racontast, et tout seroit neans, Comment toutes choses y sont seans, Ne je n'en mens, Car il y a tant beaulx aournemens, Riches, nouveaulz, et nobles paremens Sur les autelz et tous estoremens, Et ces doreures Sur chapitiaulx et pomiaulx a pointures D'or et d'azur, tant belles pourtraitures, Biaulx ymages et propres pourtraitures Selon la guise Que il convient a paremens d'eglise, Qu'il n'est chose qui n'y soit a droit mise, Dont les dames et le lieu chacun prise En tous affaires, Car devotes, sages et debonnaires Simples, doulces sont, et portent deux paires De vesteures, carfros et scapulaires, Et leur gonnelle Qui est dessoubz blanche est com noif nouvelle, Large, floutant, ceinte soubz la mamelle, Mantel de noir ont dessus, n'y a celle Qui aultre aroy Ait a vestir, neis la fille du roy, Et de ventres de conins sanz desroy Sont ces manteaulz fourez de bon conroy, Mais bien ont robes De bons fins draps, ce ne sont mie lobes, Tout ne soient ne mignotes ne gobes, Blanches, nettes, sanz ordures ne bobes, Et cuevrechiefs Blans comme noif, desliez sur leurs chiefs, Et un voille noir dessus atachiez. Sans cointise, simplement sanz pechiez Sont atournées, Et en tous cas si bien sont ordenées Que je les tiens pour de bonne heure nées D'estre ensement a servir Dieu données; S'il leur souffist: Oïl, je croy, car c'est leur grant proffit, Ne oncques mais nulle ne s'i meffist Et bien leur plaist servir Dieu qui les fist En celle guise. Quant nous omes bien remiré l'eglise, Clere com jour et couverte de bise Pierre ardoise, bien taillée et assise Comme il convient, Et tout le lieu qui grant place contient, Encor dient que veoir nous convient Leurs beaulx jardins, la ou maint bon fruit vient. Si nous menerent En leurs jardins celles qui se penerent De nous faire plaisir et ne finerent Tant que leans fumes, ne s'en tanerent. Mais pour voir dis Que ce semble estre un trés doulz paradis, Et y est on tout d'oisiaux essourdis, Car la, je croy, plus de soixante et dix Y a de paires D'arbres portans fruit, et est cilz repaires Tout de haulz murs bien clos, ne il n'est gaires Choses estans en jardins neccessaires Qui la ne soient. Et un beau clos, y a que moult prisoient Ceulz et celles qui en la place estoient, La y a dains a cornes qui couroient Moult vistement; Lievres, connins y sont habondamment, Et deux viviers la sourdans proprement, Bien façonnez de tout estourement, Pleins de poisson; Chevriaulx y a sauvages a foison, Qu'en diroie? Ja en nulle saison Ne fussions las d'estre en celle maison, Se Dieux me gart, Tant y fait bel. Mais ja estoit moult tart Temps de disner au convent, ou sa part Celle perdroit qui y vendroit a tart Et durement Reprise fust; et adonc haultement Ont le timbre sonné: le partement Convint faire lors bien hastivement A grant reclaim, Et ma fille, qui toudis par la main M'aloit tenant, de cuer de desir plein Moult me prioit a jusque a l'endemain De sejourner Et retourner leans après disner Nous voulsissions. Adonc falu finer Nostre parler et nostre erre ordener, Et la portiere Bonne, sage et de doulce maniere, Et celles, qui tant nous firent grant chiere, Merciames; adonc la claceliere A dessarrées Les grans portes, fortes et bien barrées, Hors yssimes, puis les ont ressarrées. Mais de celles qui la sont demourées Et de la place N'y a cellui qui grant conte ne face; Tout en parlant vismes en pou d'espace Ou lieu qu'on dit Bourbon, ou gent s'amasse Pour bien lougier. La trouvames tout prest nostre mengier, Si assismes au disner sans targier, Mais n'avions pas besoing de nous chargier De grant viande, Mais on feroit bien une grant legende Du long parler de la chiere trés grande Qu'on nous ot fait et du lieu ou lavande Croist et rosiers A grant foison sans façon de closiers, C'est es jardins ou a maint cerisiers, Et du beau lieu qui n'est pas clos d'osiers Mais de cloison Fort et belle pour oster l'achoison Des maulx qu'on fait au monde a grant foison. Ainsi fu la ditte mainte raison, Et puis lavames Après disner noz mains et nous levames, Et tout en piez une piece parlames, Puis reposer un petit nous alames, Tant qu'il fust temps De retourner ou lieu si delittens; Car quant a moy me sembloit bien cent ans Que g'y fusse, mais gaires arrestans Ne fusmes mie Après disner, je croy, heure et demie Quant celle, qui est maistresse et amie De ma fille, nous manda; endormie Ne fus lors pas Et de dormir oz ja fait mon repas. Si esveillay les autres, et le pas Nous alames en devisant tout bas Jusques au lices De la grant court de hors, ou edifices A grans et biaulx pour les gens des offices Qui sont au lieu neccessaire et propices. De la nous vismes Au parlouer, longuement nous y tismes; Car d'entrer ens a peine nous chevimes Et requerir de grace le feïsmes A la trés sage Ma dame la prieuse au franc corage. Car d'entrer ens deux fois n'est pas usage N'a estrangiers ne a ceulz du lignage Non en un jour, Mais bien estre y voulsissions toutjour, Car aux hommes trop plaisoit la doulçour De ces dames qui de moult simple atour Furent voillées; Si ne furent ne noires ne hallées, Mais comme lis blanches et potellées. Si sont de nous les nouvelles alées Devers ma dame Qui l'entrer ens souffri; ce fu par m'ame A grant peine, car pour tant s'elle est femme De tel honneur, si craint elle le blasme Des ancïenes. Quant ens fumes, les dames trés humaines Nous menerent ou jardin vers fontaines; La nous sismes et de choses mondaines Pou devisames, N'y parlames d'amours ne ne dançames, Ains enquismes tout et leur demandames De leur ordre les poins, et n'y pensames Decepcion, La n'ot parlé fors de devocion, De Dieu servir en bonne entencion, Et d'oroisons et de la Passion Et de telz choses. Car les belles, plus freschetes que roses, Qui moult joennes furent ou lieu encloses, N'oyent parler fors de si faittes proses En nul endroit, Et grant pechié feroit qui leur touldroit Leur bon propos. Et quant fu temps et droit De nos partir, lors nous levames droit Pour congié prendre, Car demourer la trop on puet mesprendre; Mais nous convint le vin ainçois attendre: Si mengiames et bumes, et reprendre De leurs joyaulx Il nous covint, non fermillez n'aniaulx Mais boursetes ouvrées a oysiaulx D'or et soies, ceintures et laz biaulx, Moult bien ouvrez, Qui autre part ne sont telz recouvrez. Si leur deismes: « Dames, or nous ouvrez, Temps est d'aler, a peines decevrez De vous serons, Mais guerdonner jamais ne vous pourrons Ne mercier assés, et ou serons Vos bons servans estre tousdis voulrons, Et commander Vous nous pouez et au besoing mander Com les vostres, s'il vous plaist demander. » Ainsi parlant venimes sans tarder Tout a loisir Vers la porte. Lors failli mon plaisir Si que des yeulx convint larmes yssir Quant je laissay celle ou est mon desir, Qui m'est prochaine; En la baisant li dis « a Dieu » a peine, En l'enortant qu'a Dieu servir se peine, Et de toutes congié pris mate et vaine, Et par pitié; Mais ceulz, qui la furent, de m'amistié Me blasmerent, dont j'oz cuer dehaistié Et a parler pristrent d'aultre dittié Pour m'oublier Et moy tollir a malencolier, Dont je les doz de leur bien mercier. Ainsi parlant alions sanz detrier A voix serie, Tant qu'au logis a nostre hostelerie Fumes venus, ou une galerie A et dessoubz une place fleurie, Moult belle et gente, Et un jardin joly ou a mainte hente. Lors d'entrer ens nous mismes a la sente. Quant y fumes, adoncques sans attente A chiere lie Une belle damoiselle jolie Jeune, gente, fresche, gaye et polie, Qui fu o nous, dist sans melancolie: « Cy que ferons? Si vous m'en creez, trestous nous dancerons Et la carole yci commencerons. » Lors distrent tous: « Ne vous en desdirons. » Si commença La dance adonc et chascun se pensa De sa chançon dire; si s'avança Celle qui au premier les empressa Et sa chançon Dist haultement et de gracieux son Ou il avoit en la prime leçon: «Trés doulz amis, de bien amer penson.» Et puis après Un escuier qui d'elle fu emprès, Qui moult courtois est et bel et doulz trés, Et voulentiers de chanter est engrés, Voix enrouée Il n'avoit pas mais doulce et esprouvée, Si a dit lors, ne sçay s'il l'ot trouvée: « Gente de corps et de beaulté louée. » Et de renc puis Chascun chanta tant qu'il fu près de nuys, Car le dancier ne tournoit a anuys A nul qu'y fust. Si fu le souper cuis, Ce nous dist on, Adonc de la dance nous departon, Ou il avoit maint joli valeton, Mainte belle pucelle a doulz menton, Mignote et gente, N'estions pas seulz mais bien, que je ne mente, Y avoit la, ce croy je, plus de trente Tous joenne gent et de joyeuse entente, Que de nous gens Que d'autre gent, trestous mignoz et gens, Qui de servir deduit sont diligens Et bien semblent estre d'amours sergens Moult amiables. Congié pristrent, adonc seismes aux tables Qui ou jardin soub treilles delictables Furent mises, adonc les mez notables Nous aporterent Noz maignées, mais ne se deporterent Mie atant, ainçois nous presenterent Celles que Dieu et noblece enorterent A tous biensfais, Car ma dame la prieuse un beau mais Nous envoya et de son bon vin, mais De meilleur vin ne buvra homs jamais De Saint Porçain, En poz dorez, largement et a plain. Pour ce le fist qu'o nous avoit tout plain Des gens du roy, vaillans et de sens plein, Trés noble gent. Si rendismes les biaulx vaissiaulz d'argent, Humble mercy en nous moult obligent A ma dame et mercy a son sergent Qui l'aporta; Mais le convent pas ne se deporta, Car de par les dames nous enorta Un messagier salu et raporta Bonnes goieres Bien sucrées, bien faittes et legieres, Pomes, poires de diverses manieres. Lors de leurs biens et de leurs bonnes chieres Les merciames. Et après ce d'aultre chose parlames Et en propos de pluseurs cas entrames Et d'un et d'el la en droit devisames, Tant qu'il avint Que a parler de chevaliers on vint: De ce royaume et d'autres plus de vint Furent nommez et de pluseurs souvint, En celle place, Qui ont bonté, sens et valoir et grace. Qui plus a fais de beaulz fais et qui passe Autres en pris fu dit en cel espace, Et qui se porte Si vaillamment que renom on lui porte En toutes pars, tant est de gentil sorte; Et ou prouece et valour n'est pas morte, Fu raconté, Et ceulz qui plus ont les armes henté Et les hentent et qui plus surmonté Ont en beaulz faiz et ceulz qui voulenté Ont et desir De faire bien, et qui ont leur plaisir De voyagier ne ne prenent loisir De nul repos et ne vueillent choisir Aultre deport, Liquel sont bel et liquel joenne et fort, Et qui le mieulx se revenche de tort. Ainsi de ceulz lors devisames fort A long sermons; Et adonc vous, Sire, que je semons Du jugement jugier, entre les bons Fustes nommé, pour tant s'oultre les mons Estes adès, Car voiagier plus que Cleomadès, Vray fin amant comme Palamedès, Fustes nommé, et bien leur sovint des Beaulz vacellages Que avez fais pluseurs fois en voiages Et corps a corps rabatus les oultrages De mains autres et porté les grans charges En mainte guerre, Et la fu dit qu'il ne convenoit querre Nul chevalier meilleur en nulle terre, Ce savoit on en France et Angleterre Et oultremer, Et en maints lieux allieurs, ainsi nommer Vous oÿ bon et pour voir affermer Que plus loyal oncques es fais d'amer Ne fu de vous, Bel, gracieulx, franc, amiable et doulz, Ce disoient pluseurs qui avec nous Furent venus et noble gent trestous Qui cognoissoient Vous et voz fais et du bien en disoient Si largement que voulentiere louoient Ceulz et celles qui en la place estoient, Et de ditter Meisme en françois et gayement chanter Vous louoient, et voulentiers henter Dames d'onneur pour plus en vous planter Toute noblece. Lors quant j'oÿ parler de vo sagece, Comme autrefois aye de vo prouece Ouÿ parler, je fis veu et promesse Que je feroye Aucun beau dit et si l'envoyeroie A vous, Sire, quant messagier aroie, Car voulentiers vostre acointe seroie En tout honnour, Car a tous bons on doit avoir amour. Adonc ot un qui lors dist sans demour Que ou païs, ou vous estes, un tour Et sans targier Devoit aler, et se de ce chargier Le vouloie, voulentiers messagier Il en seroit. Et adonc du mengier Somes levé, Dites graces après qu'omes lavé; Tout en parlant, par dessus le pavé Somes alez jouer tant que trouvé Avons les champs, Ou grant deduit prenions d'oïr les chans Des rossignolz quant fumes approchans Des ysletes sur Seine, ou acrochans Engins avoit Rez et filez pour prendre la en droit Le gros poisson se celle part venoit, Et moult joly païs entour soy voit Qui la demeure, Car prez et bois, saulsoies qu'on labeure On peut veoir et vignes par desseure. La chantames et jouames une heure Tant qu'il fut nuyt. Si laissames atant nostre deduit, Car il fu temps de soy traire au reduit. Lors devisans, sans riens qui nous anuyt, Nous en tornames A nostre hostel ou a joye couchames. Et au matin la messe oïr alames, Primes congié des dames, puis montames Sur haquenées Grosses, belles, gentement ordennées, Qui ains partir furent bien desjunées; Si fusmes nous pour ce que matinées Furent longuetes. Lors au chemin par ou croissent herbetes Nous sommes mis et de flours nouveletes Eusmes chapiaulx, et parlant d'amoretes Chevauchions fort Par la forest, pleine de grant deport, Ou oisillons font maint divers accort, Qui aux amans fist plus poignant record De leurs amours. Lors s'avança en chevauchant tousjours La plus belle de toutes, et le cours Bien d'un cheval fu loins, et par destours Aloit pensive; Mais les autres chantoient a l'estrive. Et quant je vi celle si ententive A fort penser, doubtay que maladive Fust ou doulente, Car palie trop estoit et moult lente A soulacier, peu y avoit s'entente; Pour ce eus paour que d'aucun mal en sente Fust ou troublée Pour quelque cas. Lors un de l'assemblée Qui bien voulsist avoir amour emblée, Ce croy je bien, et aucune affublée D'amour entiere Vais appeller, ne en la place n'yere Nul escuier de plus gente maniere, Ne plus gentil ne de meilleure chiere, Mais souspirant Aloit souvent, bien croy qu'en desirant Avoit maint mal. Lors dis en lui tirant: «Beau sire, veez com celle retirant S'en va lontaine De nous; certes, je me doubt qu'elle ait peine De quelque anui ou qu'elle ne soit saine, Vers elle alons, qu'elle ne soit trop vaine Ou a mal aise; Car ne cuid pas que sans cause se taise.» Et cil respont et dit: «Par saint Nicaise! Aler y fault, car elle n'est pas aise Ce croy je bien.» Lors son cheval brocha et je le mien, Et en pou d'eure aconsumes le sien. Si lui dis lors: «Quel chiere? Avez vous rien Qui bon ne soit Que si pensez?» Et celle demussoit Son visage, et pour ce le baissoit Que trop grief plour durement la pressoit, Ne vouloit mie Qu'aperceussions que larme ne demie De l'ueil gitast ne qu'elle fust blemie. Et quant celle qui moult estoit m'amie Je vi pleurer Trop m'en pesa, et lors, sans demourer, M'en tyray près, car moult volz labourer Ad ce savoir qui si fort acourer Fist la doulente; Si lui priay de toute mon entente Que l'achoison me deïst sans attente Qui la troubloit et pour quoy se demente Si durement. Adonc celle prist plus parfondement A souspirer et plourer tendrement. Quant l'escuyer perceut le plourement, Tant en ot dueil Que les larmes lui en vindrent a l'ueil Et, com cellui ou tout bien ot recueil, Très doulcement lui dist et de bon vueil: « Ma damoiselle Doulce, plaisant, trés gracieuse et belle, Ne nous cellez desplaisir ou nouvelle Que vous avez, car je vous jur, par celle Vierge Marie Qui Dieu porta, qu'en vous sera tarie La grief douleur dont je vous voy marrie, Se c'est chose qui puist estre garie Par mon labour. Si vous requier et pry par grant amour, Ne nous celez vostre trés grant doulour, Car bien savez qu'en tous cas vostre honneur Vouldrions garder. Si nous dites vostre cas sanz tarder Et puis vous plaise a dire et commander; Se nullement il se puet amender Je le feray, Sachiez de vray et secret vous tenray. » Et je li dis: « Amie de cuer vray, Ne nous celez vostre anuy ou seray Trop courrouciée, Car ne croiez qu'il me plaise ne siée Dont si vous voy estre mal apaisiée, Si vous suppli que soiez acoisiée Et nous contez Pour quoy adès si grant dolour sentez. » Et lors cellui de rechief presentez S'est a elle, si lui dist: « N'en doubtez, Doulce, courtoise, Que l'amender vouldray comment qu'il voise. » Et lors celle respont a basse noise: « Vostre mercy, mais riens n'est qui racoise Mon grief anuy Qui n'est mie commencié ne yer n'uy, Mais laissiez moy plourer: a nul ne nuy, Ne vous doit point chaloir de fait d'autrui; Laissiez m'ester, Car ne pourriez ma grief pesance oster, Ce poise moy dont m'oiez guermenter, Mais le grief plour ne puis ore arrester Qui si me point, Dont me desplait, car il vient mal a point, Mais de pieça, sachiez, suis en ce point, Non obstant ce que je n'en vueille point Faire semblant Devant les gens, combien c'aille tremblant Souventes fois du mal qui si troublant Va mon las cuer, mais je me vais emblant Souventes fois D'entre les gens, et lors mon grief duel fois.» Adonc respont cellui qui fu courtois: «Hé las! pour Dieu, gracieuse aux crins bloys, Ne nous cellez, Mais nous dittes vo mal, se vous voulez, Car pour voir croy que d'amours vous dolez, Mais il n'est nul qui soit plus affolez Las! que j'en suis, Quelque chiere que je face, et ne truis Nul bon repos et de joye suis vuis, Dont je me doubt qu'Amours a ouvert l'uis De ma grief mort; Ne point n'est tant grande, je m'en fais fort, Vostre doulour com le mal que je port, Car il n'est nul qui peust plus grief effort De dueil sentir Sans mort souffrir, car souvent consentir Me vueil a mort com d'amours vray martir Et d'entre gent m'esteut souvent partir Pour dueil mener. Si vueilliez donc vostre grief plour finer, A moy laissiez le grant dueil demener Qui plus en ay et dont me fault pener Toute ma vie.» Adonc celle qui n'ot de riens envie Fors de plourer dont n'estoit assouvie, Revint un pou a soy comme ravie Et dist: «Hé las! Comment puet cuer avoir moins de solas Que le doulent mien, douloureux et las! Et puis qu'il fault que descueuvre le laz Qui si me lie, Par quoy je suis en tel melancolie Que de dueil muir, ou soit sens ou folie, Et la cause pour quoy ne suis pas lie Je vous diray De mot a mot, ne ja n'en mentiray, Et la chose qu'oncques plus desiray, Et pour quoy plus de mal tire et tiray, Ja a long temps; Car a vo dit souffrez, si com j'entens, Plus mal que moy, mais ne suis consentens De croire que nul ait pis, et par temps Le voir sarez; Mais, avant tout, vo foy me baillerez Que tout le voir vous me regeïrez De vostre anuy et le mien celerés. » Adonc respont Cil qui maint mal dedens son cuer repont: « Tenez ma foy, car Cil qui fist le mont Me puist grever quant chose diray dont Soiez dolente, Et tout le mal qu'il convient que je sente Par trop amer vous diray sans attente, Mais qu'aiez dit le vostre et la tourmente Qui si vous tient. » Adonc celle qui trop d'anuy soustient Un grant souspir gita qui du cuer vient, Et puis a dit: « Or diray dont me vient La grant doulour Dont j'ay palie et tainte la coulour Ne qu'oublier ne puis de ma folour Et qui mon las dollent cuer noye en plour Souventes foys. Sire, il a bien sept ans et plusieurs moys Que je donnay m'amour au plus courtois Et au meilleur chevalier a mon chois Qu'on peust trouver En ce monde, car par soy esprouver A tous bons fais on le pouoit prover Pour le meilleur de tous; ainsi sauver Me vueille Dieux Com je ne cuid qu'il soit joene ne vieux Homs plus parfait adès dessoubz les cieulz; Car on ne peust esgarder de deux yeulz En nul endroit Nul plus trés bel, car long cors grant et droit Et si bien fait qu'a souhaidier faudroit Qui vouldroit mieulx, en riens ne l'amendroit, Et le coursage Il avoit bel a droit, aussi visage, Car cheveleure crespe ot et plumage Sus le brunet; mais sur tous l'avantage Ot de beaulté Son trés beau front karré en loyaulté, Car grant et large en especiauté Fu, avec ce portoit la royaulté De beaulx sourcilz; Longs enarchiez, bruns, grailles furent cilz Sur les doulz yeulz qui des maulz plus de six M'ont fait et font et livré mains soussis Et maint grief dueil, Car oncques homs ne porta plus doulz oeil Brunet, riant, persant, de doulz accueil, Qui ont occis mon cuer, mais son entreoeil Fu large et plain, Et son regart tant fu de doulçour plain Qu'il m'a donné le mal dont je me plain, Car quant sur moy l'espart venoit a plain. Je vous dy bien, Contenance n'avoie ne maintien, Car a mon cuer sembloit qu'il deist: «ça vien», Tant le tiroit a soy comme tout sien. Nés trés bien fait Longuet a point, traittis sanz nul meffait, Droit, et selon le vis si trés parfait Que le viaire en grant beauté reffait; Mais a merveilles Ses trés belles levres furent vermeilles, Grosses sans trop: n'ot pas jusqu'aux oreilles Bouche grande, mais petite et com fueilles De vert lorier Souef flairant ou rose de rosier; Li dent fin, blanc; petit, net et entier, Menton rondet; encor ot pou mestier De barbe faire, Car joenne estoit, et son trés doulz viaire, Qui de beaulté fu le droit exemplaire, Sanguin et plein, riant pour a tous plaire Estoit sans faille; Et col bien fait, gros par la chevessaille, Mais espaules ot de trop belle taille, Larges, droittes, plaines, et ou qu'il aille Croy que son per Ne trouvera de braz a coups fraper Pleins de force, legiers pour agrapper Contre ces murs pour ces chastiaulz happer Et prendre a force, Si les ot longs, gros, bien fais; n'ot pas torce Sa belle main, de tout bien faire amorce, Droitte, longue et plus dure qu'escorce, Ferme et ossue; Mais la beaulté est en mon cuer conceue De son beau pis, quant m'en souvient j'en sue De grant doulour, car maintes fois receue Par amour fine G'y ay esté, car sa belle poittrine Large, longue, bien faitte en tout termine Passe toutes de beaulté, c'est la mine De toutes graces. Ventre ot petit, basset, et hanches basses, Gent par les flans, rains rondes, non pas casses, Grosses cuisses qui onc ne furent lasses De souffrir peines En fais d'armes, jambes longues et pleines, De nerfs seches, droites depuis les haines, Grosses assez, en bas grailes, sans veines, Bien façonnées. Mais ses beautez de nature ordonnées Trés parfaittes ne furent pas finées, Car en ses piez furent enterinées: Ne furent pas Grans ne petiz trop, mais faiz par compas Selon le corps, droiz, longs, pour faire pas Bien mesurez et pour saillir trespas A la barriere. Sa charneure ferme, dure et entiere, Souefve au tast et de bonne maniere, Clere, brune, plaisant et si belle yere Que plus ne peust. Ainsi fu bel, si qu'a peine le creust Nul se veü avant sa beaulté n'eust, Cil qui mon cuer avoit; droit fu qu'il l'eust, Car desservi Bien le m'avoit puis que premier le vi; Mais ne cuid pas c'onques plus assouvi Chevalier fust ou mond, je vous plevi, En toute grace; Car de proece avoit en toute place Sur tous renom du joenne age et espace Qu'il ot d'armer, et si estoit la masse De gentillece; De lignée astrait de grant noblece, Riche d'amis, d'avoir et de sagece, Et si estoit encor de tel joenesce Qu'a mon avis Vint et quatre ans n'ot encor assouvis L'eure et le jour que premier je le vis Et que mon cuer fu par ses yeulz ravis En son amour; Et son gent corps, de beauté fait a tour, Tant fut aisié qu'il n'estoit si fort tour, Fust en armes pour conquester honnour Ou a jouster, Lancier barres et dars, baston oster, Saillir, lutter, legieretez haster, Nul ne pouoit devant lui arrester. En toutes choses, A brief parler, toutes graces encloses Furent en lui, n'en diroie les closes Jamais nul jour ne en rimes n'en proses, Mais son arroy Jolis et gay fu cointe sans desroy Et de maintien vous semblast filz de roy, Tant fu plaisant et de gentil conroy, Et humble et doulz Fu entre gent et gracieux sur tous, Joyeux, riant, envoisiez, sans courroux, Et belle voix ot et haulte sans toux, Et entre dames Franc et courtois, et servoit toutes femmes A son pouoir, mais n'en oïst diffames Pour riens qui fust, et qui en deïst blasmes Ne le souffrist, Certes son corps ainçois a mort offrist! Et s'a feste venist ou il se prist A la dance, je vous jur Jhesu Crist Que le dancier Et le chanter ou a soy envoysier Tant li seoit, ou a jeux commencier, Qu'il n'estoit nul qui le voulsist laissier, Tant fu amé, N'oncques de riens, je croy, ne fu blasmé; En fais, en dis estoit trés affermé, Et ja s'estoit en tant de lieux armé Que renommée Estoit de lui ja en maint lieux semée, Tant vaillamment s'estoit en mainte armée Bien esprové; mais de lui si amée Fus par long temps Trés qu'il n'avoit encore pas vint ans, Qu'oncques encor homs ne fu plus constans En nulle amour, plus loyal n'arrestans Qu'il fu en celle, N'oncques ne fu dame ne damoiselle Mieulx servie d'amant, non tant fust belle, Qu'il me servi; ainçois que sa querelle Voulsisse entendre Et en griefs plours sa belle face tendre Souvent moilloit, priant qu'a mercy prendre Le voulsisse, tant qu'Amours me fist rendre Et recevoir Sa doulce amour, mais tant fist son devoir De moy servir qu'oncques, a dire voir, Plus loiaulté ne pot amant avoir Envers sa dame. Si m'amoit tant et moy lui, par mon ame, Que n'avions soing ne d'omme ne de femme Ne d'autre riens, fors d'amer sans diffame Trés loyaulment. Ainsi deux ans regnames doucement Sanz avoir grief ne nul encombrement, Si n'avions soing ne autre pensement Qu'a bien amer. Lasse! doulente! or fault dire l'amer Qui mon dolent triste cuer faist pasmer Et qui me fait tant de larmes semer Pleine de rage! Ce fu le mal et doloreux voiage De Honguerie, ou trop ot grant dommage, Qui me tolli le bel et bon et sage Que tant amoye. Il a cinq ans et plus que celle voye Fu emprise, dont mon cuer en plours noye, Et qui me met de desespoir en voye, Tant suis marrie. Ha! voyage mauvais de Honguerie, La ou peri tant de chevalerie! Et Turquie, puisses estre perie Long et travers! Qui fis aler Monseigneur de Nevers En ton païs desloyal et divers, A qui Fortune ala trop a revers A celle fois, Ou moururent tant de vaillans François Et d'autre gent bons, gentilz et courtois, Dont le dommage est et fu de grief pois Et trop grevable. La s'en ala cil qui tant agreable Mon cuer avoit, dont j'ay dueil importable, Et le Basac, l'ame en soit au deable, L'emprisonna; Ne le fist pas occire ains rançonna Lui et d'aultres, si comme raisonna Un sien parent qui de la retourna Bien d'aventure. Si n'est pas mort cil en qui j'ai ma cure, Mais encor est en griefve prison dure; Il n'a pas moult que le vid, si com jure, Un vaillant homme Qui dudit lieu vint pelerin a Rome Puis en France, si raporta la somme Qu'on lui demande et la guise et la forme De sa rançon. Ainsi le bel et bon en tel façon Des Sarrazins est tenu en prison, Dont mon las cuer sueffre tel cuisançon Qu'il derve d'yre, Et ce qui plus encor mon mal empire C'est qu'il m'est vis qu'il n'y a qui l'en tire; Car leur devoir en font mal, a voir dire Comme il me semble, Tous ses parens, dont mon cuer de dueil tremble, Car leurs terres deussent tous vendre ensemble Ains qu'ilz n'eussent cil qui angel ressemble De beaulté fine. Et plust a Dieu, qui ne fault ne ne fine, Que traire hors l'en peusse en brief termine Pour tout vendre ma chevance enterine Et mon vaillant, Et moy mesmes alasse traveillant Jusques ou lieu ou est le bon vaillant; Certes mon cuer ne lui seroit faillant Jour de mon age, N'y querroye tramettre autre message Pour viseter le bel et bon et sage, Et se la mort me prenoit ou voyage, De par Dieu fust; Durast mon corps tant comme durer peust; Et se Fortune vouloit et li pleust Que jusques la alasse, et il y fust, Et tant feïsse Qu'en la prison ou il est me meïsse, Ne cuidiez pas que la durté haïsse, Non pour mon corps, du lieu, et l'en treïsse, Ce m'est avis. Ainsi seroit mon desir assovis Qui du veoir est si trés alouvis Qu'il n'en craindroit peine, je vous plevis, Pour prendre mort. Et qui saroit le dueil et le remord Que j'ai souffert pour lui tant grief et fort, Merveille aroit comment je suis si fort De le souffrir! Car bien cuiday mon corps a mort offrir Quant la nouvelle j'ouÿ descouvrir Du grant meschief, ou il convint mourir Tant de vaillans, Car mon las cuer senti si deffaillans Que je ne sçay qu'il ne me fu faillans Ou que mon corps de griefs cotiaulz taillans N'alay occire, Ne le grief dueil tout ne saroye dire Qu'ay eu depuis, car ne saroye eslire Quel m'est meilleur ou le plorer ou rire; Trestout m'est un. Et pour tant se bonne chiere en commun Je fais, certes mon cuer n'a bien nesun, Et moult souvent plorer devant chascun Il me convient Quant grant desir trop fort sur moy survient, Car sans cesser de cellui me souvient Qui a mon cuer, qu'en prison on retient Si durement, Et quant plus suis en grant esbatement Lors me souvient plus de son grief tourment Qui ma joye rabat trop durement. Ainsi vous ay Dit mon meschief et puis quant commençay: C'est la cause pour quoy je vous laissay Et pour plourer devant je m'avançay. Doncques ne dittes Jamais nul jour que plus soient petites Que les vostres mes griefs doulours despites; Car ce ne sont fors que roses eslites Envers les moyes. Mais les vostres, s'il vous plaist toutevoies, Vous me direz et les tours et les voies Dont vous vienent tristes pensées coyes Et si griefve yre.» Lors a finé son parler sans plus dire; Mais oncques mais ne raconter ne lire N'oÿ parler d'aultre qui tel martire Alast menant, Car en plorant si s'aloit demenant Qu'il convenoit que cellui soustenant Alast son corps et a force tenant Ou du cheval Cheoite fust plus de cent fois aval. Si nous faisoit a tous deux si grant mal Que les larmes couroient contreval De nostre face, Et de bon cuer nous confortions la lasse, Mais tant souffroit de tristece grant mace Que de plorer ne pouoit estre lasse Et de dueil faire. Adonc le doulz escuier debonnaire Li dist: «Hé las! Pour Dieu vueiliez vous traire De ce grief plour qui tant vous est contraire! Vous vous tuez Et vo beau corps tout changiez et muez. Si n'est pas sens dont si vous arguez, Et un petit tristece loings ruez. Si m'escoutez Et vous orrez comment suis assotez Par trop amer, plus ne vous guermentez, Laissiez a moy le dueil, car, n'en doubtez, Trop plus en ay. Si vous diray le fait de mon esmay: Il a cinq ans ou avra en ce may Que m'embati en lieu que trop amay En ma male heure. Mais Fortune, qui sans cesser labeure Pour nuyre aux gens, me voult lors corir sure, Car je n'avoye ains, se Dieux me sequeure, Soing ne tristour; Jolis et gay estoye en mon atour Et joennement je vivoie a tout tour, Ne cognoissoie alors d'amour le tour Ne sa pointure Qui m'a depuis esté diverse et dure. Si m'embati par ma mesaventure Un jour en lieu ou Amours sa droitture Vouloit avoir Des joennes gens, dont la, a dire voir, Avoit assez qui moult bien leur devoir En lui servir mettoient et savoir Entierement; En un jardin fu plein d'esbatement Ou de mon mal vint le commencement, Car en ce lieu me prist trop doulcement Le grief malage Qui puis m'a fait et fait trop de domage, Car par regart m'enyvray du buvrage Qu'Amours livre, qui met au cuer la rage De dueil comblée. En ce jardin avoit une assemblée Belle, plaisant, ou joye estoit doublée, Mainte dame de beauté affublée Et mainte belle Et avenant jolie damoiselle. Il y avoit mainte doulce pucelle, Son chevalier par la main n'y ot celle Qui ne tenist Ou eseuier se près d'elle venist; La dançoient, mais il vous souvenist Que Dieux y fust qui si les soutenist En grant leesce. Car onc ne vi de joye tel largece Et en ce lieu ot mainte grant maistrece Et mainte autre parée de noblece Et maint jolis Gay chevalier, car de la fleur de lis Noble et royal, ou lieu plein de delis Avoit aucuns et d'aultres si polis Que ce sembloient Dieux, deesses, qui ou lieu s'assembloient, Dont l'un a l'autre les cuers s'entr'embloient Moult soubtilment et du mal s'affubloient Qui a grant joye Est commencié et puis en griefs plours noye. Ou lieu entray ou Fortune la voye Lors m'adreça qui a mort me convoye Sans departance. Quant je fus près pour veoir l'ordenance, Une dame, qui de ma cognoiscence Estoit, adonc me va prendre a la dance, Voulsisse ou non; Lors de pluseurs fus nommé par mon nom, Si disoient que de chanter renom, Bien voulentiers, avoye, dont de non Je ne deïsse. Si fu raison que je leur obeïsse, Ou bien ou mal que mon chant asseïsse; Villennie fust se ne le feïsse. Adonc chantay, Si com je sceus, un rondel que dittay. Quant j'oz chanté, gaires la n'arrestay Qu'une dame chanta, mais n'escoutay Jour de mon age Chant si bien dit de voix et de langage, Ne si plaisant a ouïr, l'avantage Celle en avoit sur toutes par usage Et de nature. Quant le doulz chant oÿs dit par mesure Mes yeulz hauçay, regarday par grant cure De celle qui chantoit la pourtraitture Et le viaire Qui tant fut bel, doulcet et debonnaire Que je ne sçay com nature pourtraire Pot si bien fait n'en tel beauté parfaire Ne mettre a chief. Car celle avoit comme fin or le chief, Blont, crespellet, et d'un seul cuevrechief Bien delié le couvert de rechief Mignotement. Mais a son front ne fault amendement; Car grant et plain, ouny, blanc, proprement Comme yvoire ouvré poliement, Ert façonné, Et sy sorcil par nature ordenné, Grailes, longuez, bassez et affiné De grant beaulté, brunez; n'ymaginé Plus bel entroeil Ne puet estre, large, ouny, et si oeil Vairs et rians; plaisans et sans orgueil Fu son regard et de trés doulz accueil. Beau nés traittis Ot, non trop grant, trop long ne trop petiz, Mais droit, bien fait, odorant et faitis, Selon le vis gracieux et gentilz; Et ses trés belles, Doulces, plaisans jouetes et macelles Ce sembloit lis avec rouses nouvelles Entremeslé, n'aultre beaulté a celles Ne s'appareille, Car grassetes de beaulté non pareille Furent et sont, et sa petite oreille Assise a point et de coulour vermeille; Souef flairant La bouchete ot, petite et riant, Grossete a point, et quant en soubriant Elle parloit, corn perle d'Oriant Ses dens menus On veoit blans et serrez plus que nulz, Ouniz, doulcès, en santé maintenuz, Bien arrengiez, en tous lieux beaulz tenuz, Et deux petites Fosses plaisans, de grant doulçour eslites, En souriant, es jouetes escriptes, Ot bien seans; mais les doulçours, descriptes, Du mentonnet Rondet, plaisant, gracieux, sadinet Et fosselu, vermeillet, mignonnet, Ne pourroient, tant est fin, doulcinet, Et a doulz vis Bien respondant, qui fu tout assouvis De grant beaulté, rondelet a devis, Le plus doulcet et plus bel qu'oncques vis Mieulx façonné; Et son beau col, par mesure ordenné, D'un colier d'or entour avironné, Fu riche et bel, que le roy ot donné, Sur sa gorgete Moult avenant, qui fu blanche et bien faitte Et de petiz filez semble estre traitte. Mais Nature, qui mainte oeuvre a parfaitte, Ne fist ouvrage Oncques plus bel, je croy, ne dis oultrage, Que sa plaine, polie, blanche et large Poitrine, fu sans os ne vaine umbrage, C'est chose voire, Blanche com lis, polie comme yvoire, Et le tetin tout ainsi qu'une poire Poignant, rondet ot ou sain; ne memoire, Bien dire l'ose, N'ay d'avoir veu oncques si doulce chose. Hé las! eureux est qui la se repose! Mais plus tendrete et plus fresche que rose, Je vous asseure, Ferme, clere fu sa belle charneure Et ses beaulx braz longs, grailes par mesure, Et plus belle main oncques creature Longuete et lée Ne pot avoir, n'est pas chose cellée, Blanche a longs dois, grassete et potellée, Bien faitte, ounie, droitte et bien dolée; Et corsellet Grailet, longuet, droit, appert, grasselet. Hanches basses, rains voultis, rondelet, Le ventre avoit fin doulcet et mollet, Si com je tiens; Car Nature qui en lui mist tous biens Ou demourant, je croy, n'oblia riens, Ainçois la fist, ainsi com je maintiens, Toute parfaitte En grant beaulté; si ot jambe greslette Et petit pié, de guise nouvelete Doulcetement chauciez; et ainsi faitte Par moult grant cure L'ot creée et formée Nature Belle, plaisant sur toute creature; Et avec ce en bonté fu si pure Qu'il n'y ot vice En son bon cuer qui fu vuit de malice, Et en tous cas elle fu si propice Qu'elle n'estoit de riens faire novice Qui a valable Dame d'onneur soit faire raisonable, Et de lignée astraitte moult notable. Mais en tous fais elle est tant agreable En doulz maintien Et en parler et en tout autre bien Qu'il n'est tresor qui s'acompare au sien. Rire, jouer, dancer, sur toute rien Bien lui avient Et ses plaisans doulçours mon cuer retient, Comment ou lieu la vis bien m'en souvient. Rire, parler, jouer comme apertient A noble dame Par si trés doulz maintien que, par mon ame, Tant li seoit qu'il n'y avoit nulle ame Qui ne deïst qu'oncques si doulce femme N'avoit veüe, De gaietté par a point esmeüe, Lie, jouant et de sens pourveüe. Si ot vestu adonc la trés esleue Un vert corset De fin samit, ou son beau corps doulcet Estoit estroit cousu a un lacet A son cousté rondelet et grasset, Qui gentement Lui avenoit. Ainsi songeusement La regarday ne ne pos nullement D'elle mes yeulx retraire aucunement, Tant me plaisoit. Mais Amours, qui tout ce faire faisoit, Aperceut bien que mon cuer y musoit Et pour ce l'arc, qui souvent entesoit, Traÿ de poche Et fleche prist poignant et mist en coche, Tire vers moy et roidement descoche, Parmi le cuer m'assena de la floche De doulz regart, Or fus navrés: ne feri pas en dart, Car en tel point fus mis, se Dieux me gart, Ains que partis fusse de celle part Qu'en moy n'avoit Sens ne avis, mais encor pou grevoit La navreure qu'Amours faitte m'avoit, Ne savoie la force qu'elle avoit, Ains agreable Me fu ce trait ne me sembla grevable Mais si trés doulz et si trés savorable Qu'il m'yere avis qu'il me seroit valable En tous endrois Et seroie par ce trop plus adrois Et plus jolis et plus gay, c'estoit drois. Et si fus je, car j'en devins plus drois Et trop plus cointe. Ainsi devins adonc d'amours acointe Et me plut bien au de premier la pointe Qui m'a depuis esté d'amertume ointe Diverse et dure. Ou lieu me tins jusqu'a la nuit obscure, Car de veoir celle en qui mis ma cure Ne fusse las jamais, je le vous jure, Mais par raison De departir il fu temps et saison, Si s'en ala chascun en sa maison; Mais ne cuidiez que dormisse foison Celle nuittée. Tant doulcement s'est adonc delittée Ma pensée qui toute a recitée La grant beaulté qui en celle habitée A, qui largece En a. Ainsi pensant a sa noblece Fus maintes nuis et mains jours en simplece Sans sentir mal ne chose qui me blece, Ainçois estoie Gay et jolis plus qu'oncques, et hantoye Souvent les lieux ou ma dame sentoye. Si jouoye et dançoie et chantoie Par grant revel Moult liement comme amoreux nouvel, Et du gay temps le trés doulx renouvel Lié me tenoit, et ainsi me fu bel Par un espace De temps, ainçois qu'eusse pensée lasse; Mais vraye amour, qui les amans enlasce, Souffrir ne voult plus que me deportasse D'ardent desir D'elle estre amé: cellui me vint saisir Parmi le cuer tellement que plaisir Ne pos avoir oncques puis ne choisir Autre soulas Qu'elle veoir, dont oncques ne fus las; Mais ce veoir plus estraignoit le las De mon desir, dont souvent dire: hé las! En regraittant Me convenoit, desirant s'amour tant Que n'estoie nulle part arrestant Qu'ou service de ma dame, et pour tant Je m'acointay De ses amis et souvent les hantay, Plaisir leur fis, les servi et pourtay Leur grant honneur et si me presentay Du tout a eux. Ainsi tant fis par promesses et veux Et par servir ses amis en tous lieux Que je poz bien sans blasme aler tous seulz En son hostel Quant me plaisoit, dont j'en oz plaisir tel Que ne voulsisse avoir autre chastel; Et moult souvent parloie et d'un et d'el Avecques elle. Et par tel sens long temps hantay la belle Que mesdisans n'en esmurent nouvelle, Car sagement me gouvernoye en celle Amour qu'avoye Et ay encor et aray ou que soie Tout mon vivant, quoy qu'avenir m'en doye. Ainsi souvent m'esbatoie et jouoye D'umble maniere Avecq celle, que tant aim et tiens chiere, A toute heure liement sanz enchiere, Et elle aussi me faisoit bonne chiere Et me mandoit Souventes fois et son vueil commandoit. Si faisoie, comme amans faire doit, Tout son command; assez bien m'en rendoit, Ce m'yere avis, Le guerredon: quant de son trés doulz vis Avoie un ris, tous estoie assouvis, Ou un plaisant regart; quant vis a vis A long loisir La pouoie veoir, aultre plaisir Ne sceüsse en ce monde choisir. Mais ne cuidiez que mon ardent desir J'osasse dire Ne raconter comment pour lui martire, Car trop doubtoye encheoir en son yre Mais bien pouoit cognoistre mon martire A mon semblant. Car moult souvent estoie tout tremblant Devant elle, tant m'aloient troublant Souspirs et plours et mon vis affublant Par grant destrece, Mais non pour tant ma trés dure tristece Ne geïssoie a ma doulce maistresse Qui me veoit souvent par grant asprece Muer coulour Devant elle; et ainsi ma dolour Je lui cellay, bien croy que ce ert foulour. Et quant tout seul demenoie mon plour Par grant aïr, Lors pensoie a lui tout regehir, Mais la paour qu'elle m'en peust haïr Et que mon plaint ne daignast point oïr Si me touloit Force et vigour du mal qui me douloit Devant elle dire; si s'en aloit Tout mon propos et de moy s'envouloit Tout hardement. En ce point fus et souffris longuement Sans requerir nul autre alegement; Si me sembla que trop petitement Desservi eusse D'elle estre amé et que digne ne fusse D'elle prier ne qu'a dame l'eleusse, Pour tant que pou valoie; et pour ce en Pruce Et oultremer Et en mains lieux aillours me voulz armer. Pour moy vanter ne le dis, car amer Faisoit tout ce, dont louer ne blasmer On ne m'en doit. Par son congié d'elle mon corps partoit, Mais le vray cuer point ne s'en departoit; Au retourner elle me recevoit A lie chiere. Ainsi l'amay de vraye amour entiere Sans lui oser dire en nulle maniere, Ne d'aultre riens soingneux en nul temps n'yere Que de servir Elle, qui tant me pouoit desservir Qu'il m'yere avis que mon cuer asservir N'y pouoie assez pour assouvir Son bon vouloir. Mais autrement m'avint, dont tant douloir Il m'en esteut que tout en nonchaloir Ma vie met souvent, mais pou valoir Me pot mon dueil; Car la belle doulce, en qui j'ay mon vueil, Ne sçay pour quoy se changia ne acueil Plus ne me fist ne de chiere ne d'ueil Ne de maintien, Et tout m'osta l'esperance du bien Que j'avoie, et si me monstra bien, Qu'elle n'amoit moy ne mes fais en rien, Ne sçay pour quoy, Mais tout a cop me planta la tout coy, Sans moy vouloir n'en appert n'en recoy Plus regarder ne veoir entour soy, Tant me fu fiere. Et quant je vi et perceu la maniere Et que tant me faisoit diverse chiere Se j'en oz dueil, nul nel demant n'enquiere, Car esbaïs Si me trouvay d'estre d'elle haïs Et sans savoir pour quoy, qu'onc fol naïs Plus erragiez ne fu, et s'envaïs Et dechaciez De tout le mont fusse en exil chaciez, Ne me fust pas tant de mal pourchaciez, Ce m'yere avis, com le mal qu'enchaciez Fu et fichié En mon las cuer a tort et a pechié, N'oncques depuis il n'en fu relachié, Dont j'ay souffert et ay trop de meschié. Mais qu'avint il Quant je me vi gitté en tel exil? Trop bien cuiday ouvrer comme soubtil De lui compter mon trés mortel peril Et la grief peine Que j'oz souffert pour lui mainte sepmaine. Si la trouvay un jour en une plaine, Vers elle alay a chiere triste et vaine, Et hardement Je pris en moy de dire ouvertement Ma grief languour, si dis couardement La grant amour et le grant marrement La ou j'estoye, Et en plourant en grant doulour contoie Tout mon estat et si me guermentoye Pour quoy d'elle si estrangié estoie Et pour quel cas Elle m'avoit ainsi flati a cas Et de mon bien si estrangié et cas, Ne qui m'avoit esté tel avocas Ne si contraire. Car ne cuiday oncques dire ne faire A mon pouoir riens qui lui deust desplaire Mais la servir en tous cas et complaire A mon pouoir, Ce pouoit bien de vray apercevoir. Ainsi lui dis de tout mon fait le voir. Mais quant lui os mon cas fait assavoir Or valu pis, Car response si pleine de despis Me fist et fus d'elle si racroupis Que bien cuiday mortellement ou pis Tout devant elle M'aler ferir, car la response d'elle Me poingny trop, n'oncques n'oÿ nouvelle Si desplaisant, certes, comme fu celle. A brief parler, Celle me dist plainement sans celer Ne lui plaisoit ne mon venir n'aler, Ne se pour lui morir ou affoler Or en devoie Ne m'aimeroit jamais par nulle voie, Si n'y pensasse, ains alasse ma voie, Car autre riens jamais d'elle n'aroie, Par son serment, Et que je l'en creüsse seurement. Si s'en parti mal de moy durement; Je demouray plus noirci qu'arrement De grant doulour Et comme mort, sans poulz et sans coulour, Un mien compaing me trouva sans chalour La enroiddi, qui de ma grant folour Trop me reprist. Si m'emporta et a force me prist, Et bien cuidoit que dure mort surprist Mon povre corps, qui fu, par Jhesu Crist, Si tormenté Que mainte fois me vint en volenté De moy tollir la vie ou la santé, Si que je fusse en trés dure orphanté Trestout mon age. Ainsi me fu celle dame sauvage, Mais ne cuidiez qu'oncques puis son corage Vers moy changiast, mais toudis si ombrage Et si trés dure De pis en pis, et encor ainsi dure Que je ne sçay veoir comment j'endure Si grant meschief ne si cuisant ardure Ne tel contraire Come j'en ay et ne m'en puis retraire; Ne tant ne sçay pour elle de mal traire Que je m'en puisse eslongnier n'en sus traire Pour l'oublier. Ainçois la voy souvent pour plus lier Mon dolent cuer, ne par humilier, Las! je ne puis son cuer amolier, Ains est plus dur Encontre moy que de marbre un gros mur. Si sueffre mal et meschief pesme et sur, Ou je n'espoir fors la mort! je vous jur Dieu et les sains. Et pour ce di que vous avez trop mains De mal que moy et que vo cuer est sains Envers le mien qui de mal est ençains Et de pesance.» Ainsi cellui ot dit sa mesaisance Et comme il ert de mort en grant balance. Adonc respont celle sans arrestance Et dist: «Ay lasse! Que dites vous? Certes, sauve vo grace, J'ay plus de mal en un tout seul espace Que vous n'avez tant que tout un mois passe, Et c'est raison Ne il n'y a point de comparoison; Car quant je pense a la dure prison, Ou mon ami a ja mainte saison Esté en mue, Et qu'il est la comme une beste mue, N'ay si bon sens que tout ne se remue. Et comment donc pourroie estre desmue D'avoir la rage Douloureuse qui trop me fait d'oultrage? Mais vous avez sur moy grant avantage, Car vous veez la belle au cler visage, Souvent avient, Et si avez espoir qui vous soustient, Car s'a present vostre dame se tient Dure vers vous, certes mon cuer maintient Que desservir Pourrez encor s'amour par bien servir; Si vous pourra et donner et plevir Toute s'amour, ainsi pourrez chevir Tout a vo gré, Et puet estre qu'elle fait tout de gré Pour essaier vous; et, se tout en gré Prenez son vueil, encor en hault degré Vous pourra mettre. Si vous en di tout le voir a la lettre. Hé las! mais moy quel reconfort m'empetre Nul bon espoir fors ma vie desmettre Par desespoir!» Et cil respont: «Dites vous donc qu'espoir Ay qui me dit que bien aray apoir, Certes non ay, ains du tout me despoir D'avoir jamais L'amour d'elle, car ja long temps remais Suis en ce point, mais oncques n'en eux mais Que tout meschief et divers entremais Trop douloureux. Et si la voy, dont je suis eüreux, Ce dites vous, mais pou m'est savoureux Cellui veoir, las! dolent, meseureux; C'est vision Qui trop me vient a grant confusion, Car j'alume ma grant destruction Et le grief feu qui mon entencion Ne lait changier. Car, quant la voy si trés belle, estrangier Je ne m'en puis, mais vif doy enragier Quant ses semblans voy pour moy domagier Si trés contraire A mon vouloir, et si ay pluseurs paire De grant doulours, car trop me fait contraire Jalousie, dont ne me puis retraire. Car trop ay doubte Que ma dame d'elle tant me deboute Pour autre amer, a qui ne plaisoit goute Q'entour elle j'alasse, somme toute, Car n'a raison De moy haïr pour nulle autre achoison. Et donc, se bien entendés ma raison, J'ay plus de mal que vous, si nous taison, Atant souffise, Car bien savez qu'en vous est toute assise De vostre ami la vraye amour et mise, Et moy j'aime celle qui me desprise En grant contant; Dont vostre cuer ne pourroit avoir tant De grans anuys comme je vois sentant: Je ne dis pas que n'en aiez pour tant A grant planté, Mais vostre ami, a qui Dieux doint santé, Pourrez veoir brief, car son parenté Ne le lairoit mie en ce lieu planté Par long termine; Et si n'est dueil ne meschief qui ne fine, Car il a ja long temps que ce fu, si ne Peut estre que l'amour ne se decline, Car qui est d'oeil Moult esloingnié, pou lui dure son dueil; Et si pouez avenir a vo vueil Prochainement et tout en aultre fueil Soy atorner, Fortune qui a voulu bestourner Vo bien en mal, si se porra tourner Si que verrez vostre ami retourner Et tost mander. » Adonc le prist ycelle a regarder Et respondi: « Dieux le doint sans tarder! Mais s'il y meurt, Dieux l'en vueille garder! Comment ravoir Le pourray je? Il est bon assavoir Qu'a grant peine vif eschapera voir, Et c'est ce qui me fait plus recevoir De grief martire. Et je vous ay cy en droit ouÿ dire Que qui est loings d'oeil le cuer loings s'en tire, Hé las! aimi! Dieux scet que je desire Plus ou autant Mon doulz ami et l'aim tout autretant Com quant de moy estoit près arrestant, Ne jamais jour, tant que l'ame batant Me voit ou corps, Ne l'oblieray, et vous diray encors Ce qui me fait encor plus durs recors C'est que je sçay qu'il a de moy remors Et grant pitié, Car il scet bien que pour son amistié J'ay cuer dolent et triste et dehaitié. Et vous dittes que j'en ay la moitié Moins de doulour Pour ce que sçay que j'ay toute s'amour, Mais, sauve soit vo paix, ainçois mon plour En est plus grant et en ay plus favour A sa personne; Car plus trouvé ay sa doulce amour bonne Et tant plus l'aim. Mais celle qui fellonne Est si vers vous droitte achoison vous donne D'avoir moins dueil De son reffus, et par ce prouver vueil Que mille fois et plus que vous recueil De pesant mal et ay moins de recueil Et moins reffuge A bon espoir, et de ce requier juge, Sage et loial, qui de no debat juge. » Et cil respont: « Et de cel acort suis je. Or soit trouvé Juge loial, par qui il soit prouvé Et droit jugé, car par moy reprouvé Ne sera ja puis que l'avez rouvé. Or avison Qui il sera, et si soit gentilz hom Qui sache bien entendre no raison Et en jugier le droit selon raison, Et si soit sage En fais d'amours par sens et par usage. Si en mettrons sur lui toute la charge, Et nous tendrons de fait et d'arbitrage Au jugement Qu'il en donra, sanz nul descordement. » Ainsi greé l'ont tous deux bonnement, Et puis si m'ont prié moult chierement Que j'avisasse Qui seroit bon et que leur devisasse. Lors y pensay un bien petit d'espace, Si me souvint de la trés bonne grace Et bon renom De vous, chier Sire, ou il n'a se bien non, Si leur dis lors et vous nommay par nom Mais qu'il vous pleust ne leur dire de non, Qu'il m'yert avis Qu'ilz aroient en vous juge a devis Sage et loyal et de tout bon avis. Cé leur pleut moult et furent assouvis De leur vouloir, Car tant orent ouÿ, a dire voir, Dire de vous de bien et de savoir Q'aultre juge ja ne quierent avoir; Mieulx ne demandent Se il vous plaist, et si se recommandent A vous, Sire, a qui supplient et mandent Que vos pensers un petit y entendent, Non obstant qu'armes Vous occupent; et de leurs dures larmes Me prierent que le cas misse en termes Pour envoier a vous dedens briefs termes Pour droit jugier Lequel par droit doit avoir plus legier Mal a porter ou en doit plus chargier Et qui plus vit en peine et en dongier Des deux parties. Atant se sont noz paroles parties, Car de Paris approchions les parties, Et de noz gens, dont estions departies, Nous approchames Et liement ensemble chevauchames Tant que chieux moy a Paris arrivames. Ou a grant joye et a festes disnames. Et quant mengié Et solacié eusmes, prendre congié Vouldrent trestuit, mais bien m'ont enchargié Lui dui amant que tost fust abrigié De leur affaire; Dont tost après je commençay a faire Ce present dit, si com l'oiez retraire. Mais or est temps que je m'en doye taire Et en la fin Du derrenier vers de cuer loyal et fin Me nommeray, et Dieu pri au defin Que bonne vie et puis a la perfin Son paradis Il vous ottroit et a tous les gentilz Vrais fins amans loiaulz et non faintis Que vraye amour tient subgiez et creintis. LE DIT DE LA PASTOURE (Mai 1403) Moy de sagece pou duitte Ja par mainte fois deduitte Me suis de faire dittiez De plusieurs cas apointiez, Combien que pou entremettre M'en sache, mais pour desmettre Aucunement la pesance Dont je suis en mesaisance, Qui jamais ne me fauldra Jusques vie me fauldra; Car oublier impossible M'est le doulz et le paisible Dont la mort me separa, Ce dueil tousjours m'apparra. Ay fait ce dittié en rimes, A mon pouoir leonimes, A requeste de personne Dont par le mond le nom sonne, Qui bien me puet commander Et son bon vouloir mander. Si le fis et le rimay En ce desrain moys de may L'An Mil Quatre Cens et troys; Et m'est avis, qui veult drois Y visier, qu'on puet entendre Qu'a aultre chose veult tendre Que le texte ne desclot, Car aucune fois on clot En parabole couverte Matiere a tous non ouverte, Qui semble estre truffe ou fable, Ou sentence gist notable. Si diray le sentement En rimant presentement: La Pastoure Antendez mon aventure, Vrais amans, par aventure Oncques n'oïstes pareille, Si y tendez tous l'oreille, Voiez comment Amours traire Scet soubtilment pour attraire Les cuers et faire subgiez De ceulz qu'il lie en ses giez. Pastoure suis qui me plains En mes amoureux complains, Conter vueil ma maladie, Puis qu'il fault que je la die. Comme d'amours trop contrainte, Par force d'amer estraintte, Diray comment je fus prise Estrangement par l'emprise Du dieu qui les cuers maistroie Et qui bien et mal ottroie. Si soit exemplaire aux dames Mon fait, qui jurent leur ames Que jamais jour n'aimeront. Voiez comment Amours rompt Par son trés poisant effort Tout propos, soit foible ou fort. Trés que joenne touse estoie, Parmi bouscages hantoye Et par ces landes sauvages Pour repaistre enmi herbages Les berbietes mon pere, Et quoy qu'adès en appere, Ainsi par maintes anées Furent par moy pormenées, Tant que je fus ja percreue, Sans estre nul jour recreue Du mestier, qui me plaisoit, De bergerie, et faisoit Matin lever par grant cure. D'autre riens n'avoye cure Fors de repairier en champs Et en bois, ou les doulz chans Des oysiaulx souvent ouoye, N'autres gens je n'avouoye Fors pastoures et pastours. Si savoye tous les tours Du mestier de bergerie: Aigniaulx en la bergerie Soignier, mettre fein en creche, Semer en toit paille fresche, Et les mottons d'une part Trier, oindre et mettre a part, Berbis traire, et faire a heure Aigneulx teter, et desseure Le fourrage es rastiaulx mestre; Ne nulle mieulx entremettre Ne se sceust de tout l'affaire Qu'il convient au mestier; faire Anble de son et d'aveine Pour faire remplir la veine Aux berbis, qui aignelé Avoyent qui n'est coulé, Savoye, et mes berbis tondre En may assise en belle onbre Au matin et a vesprée, Et aporter de la prée Herbe aux aignelez petiz, Pour leur donner appetiz Quant ilz viennent en saison Qu'on les tient en la maison; Et bien raporter des champs Aucunes berbis meschans, Vieilles et a dos pelé; Et, s'aucune eust aignelé La hors, l'aignel entre bras Porter dedens mon rebras, Et eulz garir de la rongne. N'y avoit si grant besoingne Dont je ne fusse maistresse Et des bergieres l'adrece. De tout ce soigneuse estoye. A droitte heure me hastoye De mener a remontée Mes berbis sus la montée D'un tertre ou herbe ot menue; Et quant soleil ert soubz nue, Au matin a la rousée D'ou terre estoit arrosée, Ou temps d'esté, par herbis Couvers mener mes berbis Bien savoye, et assembler Mon parc, que le loup embler Ne m'en peüst chief ne queue Et que nulle ne fust seue. La en l'ombre me seoie Soubz un chaine et essayoye A ouvrer de filz de laine, En chantant a haulte alaine; Ceinturetes je faisoie, Ouvrées com ce fust soye, Ou je laçoye coyfettes Gracieusetement faittes, Bien tyssues et entieres, Ou raisiaux ou panetieres Ou l'en met pain et fromage. La soubz le chaine ramage S'assembloient pastourelles, Et non mie tout par elles, Ainçois veissiez soir et main Son ami parmi la main Venir chascune tenant, Plus de vint en un tenant, Dont l'un flajolant venoit Et l'autre un tabour tenoit, L'autre musete ou chievrete; N'il n'y avoit si povrete Qui ne fust riche d'ami. Et la vous veissiez enmi La place mener la tresche Joliement sus l'erbe fresche Parrot, Soyer et Harnou Et Regnault, qui ot maint nou D'amours fait sus son chappel Et boquet sus le jupel Que Rambourt ot atachié Et mis le chappel ou chié, Comme a son ami trés chier. Ainsi les veissiez treschier Et karoler et baler, L'un en dançant reculer Tenant la main au cousté, Et le pan devant osté Et a la ceinture mis, Puis en dançant s'est remis A la queue emprès Gilon Et devant met Sebilon. Joliement y vait Belote Qui bien joue a la pelote, E Mangon et Jehanneton Et Belon, au joly ton Des instrumens acordés. La veissiez bergiers hordez De gans blans et d'aumosnieres Et de diverses manieres D'outilz telz qu'il apartienent A bergiers qui gays se tiennent: Trenche pain, cysiaulx, forsetes, Boiste a ointure, esguilletes, Aloine, cernoir, cordele, Une grande tace belle, Fil, aguille, et deel avec Y a, bergier n'est sanz hec; Mainte autre chose a dedens Bonne, et lanieres pendans, Et la grant clef de la porte De la bergerie on porte Qui a une bille pent Et derriere vait frappent, Et tout pent a la ceinture, Ou le mastin a esture On tient lié a toute heure Qu'après les conins ne cueure, La houlete bien taillée, Par amoretes baillée, Que bergier tient en sa main, Et la panetiere a pain, Ou aulx et fromage on met. Biaulx oysiaulz, je vous promet, Ont ceulz qui sont les plus cointes, Tout n'ayent ilz nulles pointes Qui leur voise au pas grevant, Et la poittrine devant Desnoulée, ou le blanchet Pert blanc de nouvel achet Ou la croix de la chemise Quant toute neufve elle est mise. La a cotes de buriaulx Vous veissiés ces pastoreaulx Mener feste a desmesure, Pour attaindre a la mesure Fraper du pié en dançant, Gautier emprès Helissant A cloche pié faire un sault, Si comme amours les assault, Huer, crier, rigoler Et ensemble entr'acoler; Est ce vie vie vie? Qui jamais a d'autre envie? Puis, quant de dancier sont las, Les veissiez par grant solas Eulx seoir sus l'erbe drue, Chascun amant lés sa drue, Sus la clere fontenelle, En chantant de voix isnelle, Ataindre pain et fromage Et tout mettre sus l'erbage, Et ces pastoureaulx gentilz Vous trenchier ce pain faitis Par lesches grandes et lées, Après doulces acollées Les gitter en la fontaine Et par bonne amour certaine D'ycellui mengier eulx paistre. En celle lande champestre, De flours couverte a tous tours, Sont ilz aise ces pastours Berbis gardans par sillons, Et ces jolis oysillons Qui les cuers leur resjoïst! En celle place on oÿst Chanter Parrot et Margot: «Larigot va larigot, Mari, tu ne m'aimes mie, Pour ce a Robin suis amie.» Ainsi amont et aval Tout y retentist li val Des haultes voix deliées De ces pastorelles liées, Chantans a joyeuse chiere. Et Robin, qui a moult chiere Marion qu'il aime moult, Si quiert aval et amont Pour trouver couldre qui ploye, Large et longe, et la s'employe Atout un large coutel, Assis sus son bleu mantel, Si fent la couldre par mi Et dit que, par Saint Remi! Esclisse fera de couldre, Ensemble veult les bous couldre, Si ara de flours chapiau Moult bien suroré d'orpeau Que s'amie a en sa bourse. Adonc n'y a si rebourse Qui chapel a lie face A son doulz ami ne face De muguet et flours d'amer Ou de roses d'oultremer. Tendis vont o leurs musetes Cueillir cormes ou noisetes, Ou chastaignes en ce boys Abatre ou cerner des noix, Selon qu'il est la saisons, Ou roysins en moustoisons, Li pastours, puis les aportent Aux belles qui se deportent En l'ombre et leur font chapeaulz. Chascun dit: «Li miens est beaulz.» Si broustent la tel viande Ne nul d'eulx plus ne demande. Telz y a qui jus leurs fleustes Mettent et trayent aux butes, Aultres la lute commencent, Et les autres si s'avancent A faire aucuns jeux de forces, Ou arrachent les escorces Des arbres vieulx et mossus; Leurs chaperons lient sus De bien estroitte maniere Et cousent une lasniere Grande et large a celle escorce, Leur main ou creux de la torse Boutent et bouclier en font, Espées de boys reffont; Lors commence l'escremie, Chascun dru devant s'amie Joue du bouclier et fiert Ses compains comme il affiert. La veissiez vous de beaulx coups Lancier sur teste et sur coulz, Et cellui qui mal se targe De l'escorce dont fait targe, En emporte mainte boce Souvent quant lui fault l'escorce; L'aultre le mort, et se couche, Fait, et tient close la bouche; La chascun se vient ploier Et au lever essaier, Et cellui qui mieulx le lieve Le pris et l'onneur enlieve. En yver jouent aux billes Et au parquet et aux quilles Et aux meriaulx et aux noix Et a autres esbanois. D'aultres jeux font ilz assez Biaulx et plaisans, ce pensez, Devant leurs belles amies Qui ne sont pas endormies A jugier des mieux apris Et bien asseoir le pris. Et orriez ces valetons, Quant ilz sont es sommetons Des montaignes, jargonner Et l'un l'autre ramposner En jargon, tout en chantant, Que nul fors qu'entr'eulx n'entent. Ainsi se vont deportant Li pastorel, mais pour tant Ne laissent a prendre garde Des berbis qu'ilz ont en garde; Puis au vespre s'en retournent Et tous et toutes s'atournent De trier leurs berbietes; Congié de leurs amietes Prenant li joli pastour, Et se mettent au retour. Ainsi longuement hantay Celle vie ou je chantay Mainte jolie chançon, Et en l'ombre du buisson, O mes compaignetes belles Et leur ami avec elles, M'ombroyay mainte journée. Joenne estoye et atournée Comme pastoure polie: Surcot vert, cote jolie J'avoye et graille ceinture, Bourse, espinglier a esture Fait et cotelet faitis Et tous les gentilz outilz Qu'apertiennent a bergiere, Et sus pelice legiere, Chainse crespé et delié, Blanc flairant et bien lié. Mignote estoie et grassete, Et riant a voix bassete, Et gente, ce disoit on. Si fus de maint valeton Amée moult chierement, Mais si me tins fierement Que nul ne daignay amer; Maint bergier a cuer amer Plourant vint m'amour requerre, Mais nul ne la pot acquerre. Non obstant que mes compagnes Veoye par ces champaignes O leurs doulz amis deduire, Nul ne pouoit mon cuer duire Ad ce que l'amer empreisse Ne qu'aultre vie appreïsse Que celle qu'aprise avoie. Qu'estoit amer ne savoie N'aprendre ne le vouloie, Ne de riens ne me doloie. Tout mon soing ert de berbis Garder parmi ces herbis Et ces flours par prez cueillir En may, ne un seul jour faillir On ne veist, main ne ressie, Que chappellet de soussie Ne meisse ou de passeroses Ou de muguet ou de roses Ou d'aultres flours plus nouvelles. Ces pastoureaulx leurs nouvelles Me venoient raconter Et pour mieulx mon cuer domter Nouvellès dons m'aportoyent: Ceinturetes ou estoient Pendans bourses et couteaulx, Et aultres soubz leurs manteaulx, Chappellez vers, devisez Gentement, moult desguisez, Me presentoient en don; Et vous y veissiez adon Varlez descendens d'un tertre, Qui maton, formage et tartre M'aportoient ou flamiche; Pomes, poires, blanche miche Me venoient presenter, Et de leurs maulx guermenter Piteusement se penoient, Et près de moy se tenoient Pour moy servir, s'eusse chier Leur servise, ou pour trenchier Devant moy pain et fromage. L'un me disoit: «C'est dommage, Marotele, se tu n'aimes Je te pry qu'ami me claimes, Pastourele gente et belle, Ne soiez vers moy si felle.» L'autre disoit: «Doulce amie, Et ne m'aimeras tu mie Quant je suis ton chier ami? Tu vois que, s'un seul demi Pain avoie, la moitié T'en donroye a cuer haitié. Aime moy, fillete doulce, Je te donray une bourse Jolie d'or et de soye.» Ainsi alors ne pensoie Nulle riens qui me grevast, N'il ne fust riens qui levast De moy parole d'acort D'amer, pour tout leur recort. A tous faisoie response Que pour neant tel semonse M'aloient amonnestant; Si s'en souffrissent atant, Car amer par tel devise Ne vouldroie en nulle guise. En ce point longuement fus Faisant de m'amour reffus Et dongier a toute gent; Tant fussent preux, bel ou gent, Pou m'estoit de leurs clamours. Orgueilleusete d'amours On m'appelloit pour le temps; Mais je vous diray par temps Coment Amours s'en venga, Qui bien mon vouloir changa, Combien qu'il m'estoit avis Que tant eust homme cler vis, Gent corps, beaulté ne valour, N'aimeroie, ains grant folour Me sembloit d'ainsi amer Pour en sentir doulz n'amer. Or diray je que m'avint, Il n'a mie des ans vint, Ains croy que quatre ans passez N'a mie encore d'assez: Un jour en l'ombre seoie Soubz un chaine et asseoie Un vert jolis chappellet Dessus mon chief crespellet, Sus une fontaine belle. Et comme d'amours rebelle Vouloye la seulete estre; Ou lieu avoit moult bel estre, Bois fueillu tout environ Et l'erbe jusqu'au giron, Par placetes drue et basse; De flouretes a grant masse Diverses ot et planté, Sus la fontaine planté Arbres beaulz de moult belle ombre Que soleil ne feist encombre. Mes berbietes gardant, La seoie en regardant Les floretes que cueilloye, Qu'en la fontaine mouilloie, Et de haulte voix serie Chantoye si que l'orie Du boys en retentissoit. Droit a celle heure passoit Par le grant chemin ferré, Qui ert lez le bois querré, Une grant tourbe de gens Sus chevaulx mignoz et gens Qui entendirent le son Et le dit de ma chançon. Adonc se sont arrestez Et ou boys, y ot de telz, Entrerent, suivant la voix Du chant queroient ou bois, Mais ne m'ont pas tost trouvée, Car le boys fueillu leur vée; Mais moy, qui fus seule en crainte, Des chevaulx ouÿ la frainte Qui par le bois se hastoient Et ja près de moy estoient, Tout ne me veissent ilz mie. Adonc la char me fremie De paour, si me tins coye Et du tout mon chant acoye. Au chief de piece tant firent Ceulz qui en riens ne meffirent Que dessus la fontenelle Me trouverent; voix ysnele N'oz pas a les saluer, Ainçoys, sans moy remuer, Me tins assise et honteuse Et de baudour souffraiteuse. Tremblant et rougie ou vis Je devins quant je les vis, Car je n'oz gens de tel pris A veoir souvent apris: Frains dorez, selles couvertes Avoyent blanches et vertes Et de diverses couleurs Faittes aux devises leurs. Dessus gros chevaulx mignos Et sus genez espagnolx Montez estoient li ber, Plus gentilz que nul ober, Riches robes et trainans, Vestues trés avenans, D'or et de soye brodées Et a devises bandées, L'une d'or, l'autre d'argent, Escharpes qui bel et gent Leur estoient avenans, Dont les cliquetes sonnans Tout le boys retentissoient Pour les sons qui en yssoient, Chappeaulx jolis de festus Sus leurs chaperons vestus Avoyent jusques a l'ueil Pour l'arsure du soleil. Moult furent bien assesmez Les gentilz hommes amez, Beaulx et gens a droit souhaid, Gracieux et de bon hait. Adonc assembla la route Ou mainte haye fu route Pour venir a l'assemblée Ou sans cause fus troublée. Lors, comme frans, sans orgueil, Tous descendirent ou brueil. Or me tins je pour surprise, Bien cuiday morte estre ou prise. Vers moy adreçant leur pas Tous ensemble isnel le pas Distrent a joyeuse chiere: «Dieux vous gard, doulce bergiere.» Et je honteuse et tremblant Me lieve a couart semblant; Si com je sceus leur rendi Leur salu, plus n'atendi Mais loings fus plus d'une toyse. En celle route courtoise Ot un si fait chevalier Que, s'ilz fussent un millier, Si passast il, com moy semble, Trestous les aultres ensemble De valeur, de sens, de pris Et de quanque bien apris Doit avoir en tous endrois. Beauls et gens, jolis et drois Fu dessus les aultres tous, Et me semble que trestous L'appelloient Monseigneur, Dont vi qu'il ert le greigneur Et le plus autorisié. La un chevalier prisié S'avance et me prist a dire: «Pastoure, paour n'ayez n'yre, Car vous n'arez se bien non Par nous.» Lors nomma par nom Cil qui les autres passoit Et dist: «Par cy trespassoit Monseigneur que voiez cy Et sa compagnie aussi. Si chantiez, ce m'est avis, Bel et bien a droit devis De haulte voix deliée, Pour ce vostre chiere liée Moult desira a veoir Et decoustes vous seoir Pour vostre doulz chant ouïr. Si ne nous pouez fouïr: Chanter il vous convendra Dont ja mal ne vous vendra.» Adonc vers cellui me meine Qui Dieu doint bonne sepmaine, Et je humblement m'encline Devant lui la chiere cline, Si le saluay tout bas, Mais cellui fist un grant pas Et tost relever me vint, Un doulz ris qui lui avint Gitta moult joyeusement Et dist gracieusement: «Et, par Saint Sauveur d'Esture Voycy joyeuse aventure!» Adonc sus l'erbe menue S'assist et par la main nue Me prist et decouste lui M'assist, si n'y ot cellui Qui ne se soit tost assis. Adonc des foys plus de six Me pria que je chantasse Hault et cler, riens ne doubtasse, Mais longuement m'excusay De chanter, car je n'osay. Cil dist: «Doulce, pastourele, N'escondissez la querelle Que vous fais, ainçois chantez La chançon que plus hantez.» Quant vis la grant courtoisie De ceulz, aucques acoisie Fut la paour qu'eue avoye; Si m'asseuray toutevoye Et dis a cil, qui rioit Doulcement et me prioit, Que par son commandement Chanteroye ysnelement, Mais en gré le voulsist prendre, Car moult y ot a reprendre. Lors a chanter commençay La chançon que je pensay Qui la plus nouvelle estoit Et qui le mieulx me goustoit. Si vous diray la chançon Dont ouÿrent du chant son: Bergierette Il n'est si jolis mestier Com de mener en pasture Ces aigneaulx sus la verdure, Jamais faire aultre ne quier. Qui verroit ces bergieretes Et ces jolis pastoureaulx Entr'amer par amouretes Et faire de flours chapeaulz, Il diroit qu'il n'est sentier Ne voye qui soit si pure, Jamais d'aultre n'aroit cure, Si s'en vouldroit accointier. Il n'est si jolis mestier. Ces pastours o leurs chevretes Au joli chant des oysiaulx Vous dient ces bergieretes Et ces beaulx motez nouveaulx, Et aiment de cuer entier, Au son de leur turelure Dançant tant comme esté dure, D'autre joye n'ont mestier. Il n'est si joli mestier. Ainsi ma chançon finay Et devant cil m'enclinay Qui de chanter m'ot requise. Mon chant loua de grant guise De son bien et de sa grace, Si m'en sceut et gré et grace Et bien m'en remercia, Et dist: «Pastoure, cy a Maint gentil homme vaillant, Si ne soyez deffaillant D'encore une a leur requeste Chanter, vous l'arez tost preste, S'il vous plaist, en petit d'oure, Or chantez, doulce pastoure.» Adonc pour leur vueil perfaire Plus prier ne me voulz faire, Si chantay joliement Ceste chançon liement: Bergierete Au joly bousquet Vont ces pastoureles Cueillir du muguet. Chappellet de flours Font a leurs amis, Par fines amours Ou chief leur ont mis. La font maint hocquet O leurs chalemeles Parrot et Huguet, Au joly bousquet. Après ma chançon finée Joye et bonne destinée Ilz m'ont trestuit aouré, Mais ja orent demouré Longuement, et la vesprée Fu ja bien près qu'avesprée Comme a soleil resconçant; Mes berbis, qu' ou bois paissant Aloyent, fu temps de traire En leur toyt, et moy retraire. Si dis lors a voix rassise A cil lés qui fus assise: «Monseigneur, trop tarde jé; S'il vous plaist, prendray congié Que je ne soye blasmée. Tart est, près de nuyt fermée, Temps est de mes berbis mettre En toyt et de m'entremettre D'afforrer mes aignelez En noz petiz hostelez.» Lors en piez me suis levée, Et cil le congié ne vée, Ains de bon cuer l'ottroya; Hors du boys me convoya, Ne point ne m'ot en despris Pour tant s'a trier me pris Mes bestes a mon appel, Ainçois aida au tropel Assembler, dont pris a rire Et en souriant lui dire: «Monseigneur, par saint Legier! Bien vous siet estre bergier; Oncques si jolis pastour Ne repaira cy entour.» A rire s'en commença, Congié pris, il me laissa, Mais ainçois a moy s'offry Ne oncques il ne souffry Que genoil je meisse a terre N'au congié n'a don requerre. Tous me touchierent la main En disant: «Et soir et main Vous doint Dieux, doulce bergiere, La riens que plus ariez chiere.» Ainsi adonc se partirent Ceulz de moy et congié prirent, Et ou terminoit li vaulz On leur mena leurs chevaulz; Si s'en vont dessus ridant, Jouant, riant et chantant. Et je a l'ostel m'en tourne, Mais tart m'est que je retourne; Si mis mes berbis en toit, Car la nuit ja me hastoit Et les pris a affourrer, Besoing n'oz de demourer. Ainsi celle nuit passay, Mais sachiez que moult pensay A ceulz qui sus la fontaine Me trouverent a grant peine, Sur tous d'un me souvenoit Et au devant me venoit Son beau corps, gent et faitis, Et son doulz maintien gentilz, Son parler, son regard doulz Qui plaire el me fist sur tous. Au matin, quant vachier corne, Que toutes bestes a corne On meine aux champs pour repaistre, Mis mes berbis en champestre Et vers le bois me tournay, Mais ainçois bien m'atornay D'estroitte cotte de vert; Mon peliçon fu couvert D'un beau ridé chainse blanc, Et ceinte parmi le flanc Fus de ceinture ferrée, Reluisant com fust dorée, La ou pendoit la boursete De soye fine, doulcete. Et le faitis esguillier Lez le coutel a taillier. La alay ou je souloye, Et ainsi comme j'aloye Mes compaignetes encontre; En alant en leur encontre De loings me pristrent a rire Et commencerent a dire: «Dont me vient ce, Marotele, Qu'adès ta belle cotele Tu as vestue et es ceinte De ta jolie sursainte? T'a ton pere fiancée, Ou se as nouvelle pensée? Oncques ne te veismes yer; Ou alas tu ombroier? Si fus tu bien demandée; Or le demande a Houdée. En l'aunoy fusmes en l'ombre; De pastours y ot grant nombre Atout flajolz et bedons, Qui aporterent maints dons Aux pastoureles qui tindrent La feste et bien s'i maintindrent: Parrot a la joue enflée Aporta de giroufflée Trestout fin plein son giron A Belote du Firon; De soussie plein chappel Aporta Robin Happel A Marion la Gautiere; Une tartre toute entiere Et un beau gros grant gastel Aporta soubz son mantel Colin Gautre de la Broce; Jehannot pendant a sa croce Aporta tout un jambon, Oncques je ne vi si bon, Et la meilleure despense Qui oncques entrast en pense, Deux bouteilles toutes pleines. Si dançames en ces plaines Ou ot moult belle assemblée De joye et baudour comblée. N'y a pastoure ou paÿs Jusqu'en ces larris laÿs Qui ne venist a la feste, De dancer et chanter preste. Si n'y ot en ceste année Plus grant feste et mieulx menée. Girout te demanda moult, Ne oncques dancer ne voult Pour ce que pas n'y estoies. Et ou fus tu toutesvoyes Quant avecques nous ne vins? Or nous di que tu devins?» Adonc Lorete appellay Et tout bas a lui parlay, Car celle fu plus m'amie, Et dis: «Ne m'esgaray mie, Ains compagnie plaisant Plus que vous vi et faisant Chiere bonne et doulcereuse, Dont je suis toute amoreuse. Si n'y avoit pas pastours, Mais ceulz qui scevent les tours De courtoisie et d'onneur, Car n'y avoit nul menour De chevalier ou gentil Escuier, de baron fil. Sus la fontaine en ce bois, Ou souvent seulete vois, Me trouverent ou chantoye Et mon entente mettoye A ces floretes cueillir. La me vindrent acueillir, Ainsi mon chant me traÿ. Quant je les vi m'esbahy, Car cuiday estre honnie Et de toute honneur banie. Mais de ce garde n'avoye, Car oncques, se Dieux me voye, Je ne vi gent si courtoise. Doulcement sans mener noise Gracieux salu me dirent, Puis des chevaulx descendirent Et s'assirent couste mi, Mais sur tous, par saint Remi! Y ot un qu'ilz appelloient Monseigneur, quant l'appelloient, Qui estoit doulz et plaisant Et bonne chiere faisant, Qui de chanter me requist Et moult doulcement m'enquist De mon estre et que faisoie En ce bois ou m'esbatoye; Et tant fist que je chantay, Quant plus riens je ne doubtay, Une chançonnete ou deux, Et certes je fus bien d'eulx Merciée et chier tenue; Et ja estoit nuyt venue Quant d'eulx je me departi. Or t'ay dit en quel parti Je fus yer la remontée, Mais en pensée boutée Nouvellete suis sans doubte, Tant me plaist ycelle route De gens doulz et avenans, Et adès suis souvenans De cil qui le mieulz me plaist, Qui me dist sans trop long plaist Qu'il me revendroit veoir Et decouste moy seoir. Si me tarde qu'il y viengne. Dieux doint qu'il lui en souviengne Et que, sans penser villain, Me vueille amer com je l'aim, Sans villennie me faire! Car ne pense a me meffaire Pour homme qui soit en vie, Ne d'autre riens n'ay envie Fors que nous chantions ensemble, Il n'y pense, ce me semble, Autre mal et non fais je.» «Hé Dieux! que c'est bien songé!» Lorete adonc respondi: «Par le Dieu qu'en crois pendi! Or te voy en male cole Qui veulz laissier nostre escole Et renoncier au mestier Pour de tel gent t'acointier. Laisse en paix tout, soterele. Est ce estat de pastorelle Qui bestes a a garder? Il te convient regarder A ton honneur, ou, sans doubte, Tost la perderoies toute, Mieulx te vauldroit estre morte. Sont telle gent de ta sorte? Ilz t'aroient tost honnie De toy faire villennie. Certes, pou tenroient conte. Te fault il un filz de conte Se d'amours te veulz tramettre? Certes, chascun son cuer mettre Doit, se joïr veult a droit D'amours, selon son endroit. Il est tant de valetons Si beaulx qui gardent motons Et pour t'amour se deffrisent Et te servent et te prisent; Choisis un, se veulz amer, Et ne te fay pas blasmer De ceulz qui d'amour legiere Aymeroient toy, bergiere.» Adonc respons: «Certes, suer, Amer ne vueil a nul fuer Par amours, ce n'est pas fable, Qui qu'il soit, mais s'agreable M'est un seul plus qu'aultres mille Pour son corps gent et abille, Pour tant n'ay je pas envie D'emprendre amoureuse vie; Ja Dieux ne m'y doint embatre! Mais je me vueil, bien esbatre Et jouer sans villennie, Ne fault ja que je le nye. La veue riens ne me couste De cil qui me plaist et gouste; Si ne m'en fault ja blasmer, Car sans mal le vueil amer Pour le bien qui en lui maint, Et ainsi sont amé maint Vaillans pour leur grant bonté Si com l'en m'a raconté.» Lorete adonc me respond: «Voir est, si com lievre pont, Qu'a ton vueil a droit compas Aimeras, n'y fauldras pas. Cuides tu faire a ta guise D'Amours qui les cuers desguise Estrangement et scet prendre? Et ja le pues tu aprendre Quant elle te fait tant plaire Homs de nature contraire Au mestier de bergerie. Par Dieu! c'est grant resverie Coment ton cuer y puet tendre, Et si te pues bien attendre, Tant t'en vueil bien ores dire, Puis que le tien cuer y tire, Se souvent as sa hantise, Qu'Amours, qui les cuers atise, Ne te laira pas durer Sans de lui t'enamorer, Se il est tel qu'il te face Semblant ne d'ueil ne de face. Mais je te pri, toutevoye S'il te plaist, que je le voye Et que le secret tout sache, Car en soy maint mal ensache Cuer qui aime ou veult haïr Sans a nul le regehir.» Lors dis qu'il me plaisoit bien, Car je la savoye bien Secrete, et o moy venroit Ou boys ou j'aloye droit, Si seroye mieulx que seule, Mais ja n'yssist de sa gueule Chose qui a celer feist, Gardast que tant ne meffeist; Et celle le me jura Par serment et asseura. Ainsi, noz berbis chaçant Qui devant nous vont paissant, Entre noz deux seulement, De ce parlant belement, Vers le bois nous sommes traittes Et loings des autres retraittes Tant qu'a la fontaine veismes Et sus l'erbe nous seïsmes. La fusmes la matinée, Reveismes a la disnée, A ressie retournames Ou boys, ou d'amours parlames. Ainsi trois ou quatre jours En ce boys allons tousjours Qu'onques nul vers nous ne vint, Mais tost après cil revint Dont m'anuyoit la demeure; Les chevaulx senti en l'eure Car l'oreille ailleurs n'avoye, Si saillis tost en la voye Pour savoir se cil estoit Que le cuer m'amonnestoit. Quant de loings le vi venir Amours me fist devenir Vermeille ou vis, et couleur Muay, sans sentir douleur. De loings je le regardoye; A l'entrée l'attendoye Du boys dont il approchoit. Lui troisiesme chevauchoit Sans plus, li biaux et li gens. N'ot pas mené tant de gens Comme a l'aultre fois avoit. Ma compaingne qui le voit De paour prist a trembler Et ou vis morte sembler; Si me dist par grant freour: «Je mourray cy de paour, Nous serons ja tost honnies, De folie t'ensonnies De tel seigneur t'acointier. Yssons hors de ce sentier, Il nous en vault mieulx fouïr Et nous aler enfouïr Soubz ces fueilles en ce boys. Vien se tu veulz, je m'en vois; Mieulz voulsisse estre grevée D'un bras que t'avoir trouvée Anuyt n'ycy convoyée. -Dieux! que tu es effroyée!» Dis je, «Lorete, regarde Comme il rit; tu n'aras garde: Il n'est pas tel qu'il nous face Villennie ne mefface.» Cellui ainsi chevaucha Tant que de nous approcha, Et je contre lui m'aval. Il descent de son cheval, Je m'encline et le salue Comme affiert a sa value, Mais tost me vint relever Et dist: «Dieu vueille sauver Ceste bergierete gente, D'aigniaulx garder diligente.» Lors me prent parmi la main, Et je ou vert boys le main Seoir sus la fontenele. Doulcement dist: «Marotele, Vous veoir moult desiroye N'a aultre riens ne tiroye Qu'a cy retourner arriere, Car oncques ne vi bergiere, Dont je soye souvenant, A mon gré si avenant Ne dont le chant tant me pleust, Tant autre bien chanter sceust. Or vous pri je, doulce amie, Que ne m'escondissiez mie De chanter sans plus long plait, Car vostre chant moult me plait. Mais dites, doulce maignete, Est ce vostre compaignete Que je voy la toute seule Assise sus celle esteule?» Lors a respondre me pris Au chevalier que tant pris, Bassement sans arrestance, Et de mesprendre en doubtance Dis: «Monseigneur, grant mercy Dont tout mon fait vous plait si. C'est de vostre bien sans faille, Non mie que je le vaille. Si suis de bonne heure née Quant Dieu m'a ad ce menée Qu'a tel chevalier je plais Dont tout li mondes tient plais Du grant renom et vaillance; Si vueil du tout sans faillance Estre vostre en tout honneur, Car bien sçay que deshonneur Jamais ne pourchaceriez Vers moy, vous ne daigneriés. Si commandez a vo guise, Soit chant ou autre devise, Ja ne vous contrediray Mais du tout obeïray Sans que nulle riens remaigne, Monseigneur; mès ma compaigne, Que veez la, seure n'est mie.» Lors dist: «Venez ça, m'amie, N'aiez ja de moy doubtance, Car a vous faire ne pense Chose qui vous desagrée. -C'est ma conpagne secrée, Monseigneur, faittes lui chiere,» Ce dis je, «et l'aim et tiens chiere.» Lors celle c'est approchée Qui tint la chiere embrunchée, Et de contenance simple, Le chapperon, que ot sans guimple Affulé, de son chief oste Et s'agenoilla decoste Cellui, qui lui tend la main Et dit: «Dieux vous doint bon main, Bergierete savoureuse, Ne soiez pas paoureuse De moy qui suis vostre ami, Mais vous seez coste mi. Et dittes de voz nouvelles Entre vous deux, pastourelles, Car pastouriaux aussi sommes, Voz chiers amis et voz homes.» En sa compagnie avoit Deux chevaliers qu'il savoit Secrez, sages, sans murmure, Car d'autres gens n'ot il cure, Qui furent jolis et cointes, N'orent pas gonnele a pointes Mais haincellins a grans manches, Estrois, serrez sus les hanches. De velous vert decouppez, Brodez, d'or entour frappez, Et coliers d'orfavrefie, Moult riches a pierrerie; Si n'a de cy en Artois Nul chevalier plus courtois En fait, en dit, en langage Et en maintien doulz et sage. Cellui ou le plus pensoye Lors n'estoit vestu de soye, Mais d'une grant hoppellande Longue et ot une guerlande En son chief o un fermail De pierrerie et d'esmail, Un riche colier luisant Qui moult lui fu aduisant, De dyamans tout semé Et de perles asesmé, Mais de ce ne fais je conte Combien qu'adès vous en conte, Car ses condicions, faittes A souhait, toutes perfaittes Furent a mon gré, par m'ame, Telles qu'en ce monde dame N'a que on la deust blasmer D'un tel chevalier amer, Et ce plus l'embelissoit Que le fin or qui luisoit Ne la pierrerie aussi. Longuement fusmes yssi, Ou mainte raison ot ditte Que je n'ay pas cy escripte Pour le conte qui seroit Si long qu'anuyer porroit; Pluseurs chançons y chantay, Et cil chanter escoutay De qui le chant me plaisoit Et trestout quanque il faisoit. La devisames sans conte D'amours maint gracieux conte, Et a mainte belle enqueste Respondis a sa requeste; Maint doulz ris, maint doulz regart Fu gitté, se Dieux me gard, Celle part ou fist bel estre; Et, tout soit il bien grant maistre, En son fait n'en son accueil N'ot ne mauvaistié n'orgueil, Dont forment m'esbaÿssoie Quant a sa valour pensoye Et le veoie sur tous Humble, gracieux et doulz, Et ce yert ce que plaissoit Mon cuer a qui il plaisoit. Longuement ou lieu nous seismes, Ou maint plaisant conte deismes Qui a conter bien seoit Mais pas ne nous desseoit, Tant y fussions grant espace, Car legierement temps passe Cuer qui en ayse demeure, Un jour ne lui est une heure. Ja d'avesprir s'aprestoit; Un chevalier qui estoit En la place avoit ja dit Maintes fois, dont fu maudit De moy, a basse murmure: « Sire, le temps pou vous dure, Ja est tart, le jour nous fault; Souviengne vous qu'il vous fault Devers noz seigneurs aler A qui avez a parler. » Lors disoit cil: « Je m'en vois », Puis se rasseoit ou bois Et ne s'en pouoit partir, Et moy aussi sans mentir Voulsisse bien qu'a tousjours Près de lui fust mes sejours, Mais partir nous convenoit Pour la nuit qui ja venoit. De moy se parti atant Le bel et bon que j'aim tant; Au departir m'acola, Je m'encline, il s'en ala Esperonnant son cheval; Et je m'en viens contreval La prée, atout vert chappel Ou chief, menant mon tropel, Devisant a ma compagne. Et ainsi par la champagne Venismes en noz maisons, De hebergier fu saisons; Si failly no parlement Atant, mais tout bellement Avons l'une a l'autre ou bois Mis journée; a basse voix Deismes: « Lieve toy par main, A Dieu jusques a demain. » Celle nuit ainsi passa C'oncques mon cuer ne pensa Fors a cil sanz qui n'avoie Nul bien se ne le veoie. Si n'y ay gaires dormi, Mais en pensant a par mi Disoie ces mos yci Comme ouïr les pouez ci: Bergierete Dont me vient telle aventure Qu'amer me fault maugré mien? Je ne cuidasse pour rien Qu'amours fust de tel nature. Simple sans amer estoye Ne pensée sossieuse, Je me jouoye et chantoye, De plus n'estoye envieuse. Or n'ay fors de penser cure Ne je n'ay nul aultre bien Fors veoir cil qui le mien Guer a tout, je le lui jure, Dont me vient telle aventure? Son gent corps ou que je soye Et sa chiere gracieuse Adès m'est vis que je voye, De plus ne suis curieuse. Hé las! je sens la pointure D'amours qui me tient si bien Que je n'ay sens ne maintien, Tant mez en amer ma cure, Dont me vient telle aventure? Au matin quant le jour crieve Pensant a amours me lieve, A soleil levant m'en vois O mes berbis vers le bois. Ma compaingne d'assez près Me suivoit, si vint après, Dont je fus moult resjouÿe Si tost que je l'oz ouÿe; De loings le chief me hocha, Puis, quant elle s'approcha, Sus la fontaine en alons Seoir, ne fu mie longs Ly chemins, lors commençay Com celle qui plus pensay: « Dis, Lorete, doulce amie, Et ne te mentoys je mie? Est il bel le chevalier, Par ta foy, que tu vis hyer? N'est il gracieux et gent Et plaisant a toute gent? Sont pastoureaulz de tel sorte? Bien aroit pensée torte Ou aveugle les deux yeulx A qui il ne plairoit mieulx Qu'un bergier, tant fust apris. De quoy ay je donc mespris S'il me plaist, sans mal penser Et sans nullui offenser? » Lorete respond atant: « Bel et gracieux est tant Voirement que riens n'y fault, Ne je n'y voy nul deffault, Et bien voy que l'aimeras, Dont encor te blasmeras. Mais, s'il les autres surmonte, A toy ce que vault et monte Qui pastourelle remains? De tant t'aimera il mains Comme en lui a plus valour. Bien tendroit a grant foulour D'en toy mettre s'amour toute. Quelque dame aime sans doubte Belle et de grant renommée. Cuideroies tu amée Estre de lui, fole, nyce! Garde qu'il ne te honnisse, Car s'amour n'aras tu pas; Et ne te fie en ce pas N'en son regard doulz et simple; Chascun te tendroit a simple De toy attendre a s'amour. Mais me croy et sans demour Esloingne ce bois ramage Ains que plus ayes domage, Et gard que plus ne t'y treuve Ains que fole amour t'esmeuve A faire plus grant folie, Car a grant sens cil s'alie Qui esloingne le meschief Ains qu'il en viengne a mal chief; Mais pour bien je le t'anonce, Car tu n'aras ja une once De s'amour, ne pou ne grain: Tel espi n'est pas sans grain. Cuides tu qu'a pourveoir Soit adès bon? a veoir Est au regard savoureux Qu'il a le cuer amoreux, Mais pour passer temps puet estre. Tout soit il noble et grant maistre, Bien vouldroit trouver aucune, Car pou sont qui n'aiment qu'une, A qui se peüst esbatre, S'a ce se pouoit embatre. Mais c'est trop grevable peine A cuer, qui d'amour certaine Aime entierement, partie Qui en deux lieux est partie Ou en pluseurs, et scet bien Qu'il n'en a pas tout le bien; Et mieulx vauldroit, n'est pas gas, Amer en un lieu plus bas Qu'en si hault n'en si grant pris Qu'on soit tenu en despris. Ne te souvient il, Marote, Que ton pere, Jehan Burote, Qui est sage homme entre mille, N'a pareil en nostre ville, A de beaulx rommans assez Qui parlent des temps passez. L'aultrier en un, dessoubz l'orme, Lisoit seant sus sa forme; Au propos de telz amans Raconte cellui rommans, Ainsi com je me recorde Il me semble qu'il recorde D'un filz de roy, et m'est vis Comme il compte en son devis, Qu'on appelloit roy de Troye Le pere; avint toutevoye Que la roÿne un fier songe Songa, nel tint a mençonge, Quant de cel filz grosse estoit, Avis lui fu qu'elle avoit Enfanté un grant tyson Ardent qui la bastison De la ville toute ardoit, La cité toute perdoit Le païs et le regné. Le roy, quant l'enfant fut né, Occire le commanda, Mais la roÿne manda Qu'a son pastour fust baillié Et non de coteaulx taillié, Car trop ert bel enfançon. Si fu nourry en façon De filz de bergier ou bois, Et quant grant fu, atout oys, Cuidoit au pastour filz estre, Nés en village champestre. Si fu bel, gentil et gent Et plaisant a toute gent, Sur toute autre creature. Bien retrait a sa nature, Car, tout gardast il berbis Et mengast lait et pain bis, Courtoys fu et avenant, Abille et bien souvenant; En lui ot gentil bergier; En maint boys, en maint vergier Repairoit berbis paissant. Une pucelle en passant Vid li gentilz homs naïs, La plus belle du paÿs, Menant berbis en pasture; Cent corps et belle faitture Ot la pucelle au cler vis, Et nommée a mon avis Fu par droit nom Senonné, Si lui a son cuer donné, Car trop lui plot son doulz ris. Le bergier nommé Paris Fu puis, comme on fait entendre, Mais lors nommé Alixandre Estoit cil gentil pastour, Si n'y avoit la entour Pastourel a lui semblable, Tant fust doulz et amiable Que Senoné moult l'ama Et doulz ami le clama. Si orent, si com j'entens, Les deux amans moult bon temps; Un tendis et lit faisoient De fueilles vers, ou gisoient Braz a braz sans couverture Fors de branches et verdure, N'aultre ne voulsissent mie, Paris promist a s'amie Qu'a toujours mais l'aimeroit Ne jamais ne la lairoit, Ainçois une grant riviere Tourneroit son cours ariere Que son cuer fust deposé D'elle amer ne reposé. Si fist ceste convenance: En un arbre en souvenance L'escript atout le coutel, Dont il tailloit maint fretel, Et dist que cel arbre et fust Tesmoing du convenent fust. Mais puis autrement avint, Car dit lui fu dont il vint Et de quel gent estoit né, Dont desplut a Senonné, Car aussi tost s'en ala, Plus berbis ne garda la, Ains s'en retourna a Troye Dont ses parens orent joye, Sa pouvre amie oublia Qui moult s'en contralia, Puis ama roÿne Heleyne Dont il eut doleur et peine. Doncques puez tu bien veoir Que chascun veult asseoir Son cuer selon son degré, Car Senonné plus a gré Ne vint a cil par nul tour Quant sceut qu'il n'estoit pastour, Ains yert de royal orine; Pour ce amer une roÿne Voult, dont mal lui ensuivi. Et ainsi, je te pleuvi, Puez tu veoir et aprendre Qu'on se doit a son per prendre Qui veult joïr a son vueil D'amours et avoir moins dueil. Or t'ay conseillié, moy semble, Loyaument, car, puis qu'ensenble Loyalles compaignes sommes, Ne devons pour nulles sommes Souffrir l'une l'autre traire A riens qui lui soit contraire, S'estre y puet remede mis Par nous ou par noz amis.» Adonc a celle respons Qui m'ot tel sermon expons: «Lorete, tu dis merveilles Qui l'amer me desconseilles Pour ce que pastoure simple Suis sans atour et sans guimple, Et dis qu'en moy a nul fuer Cellui ne mettroit son cuer Pour ce que d'estat pareil Ne sommes ne d'appareil, Et a Senonné, te semble, Bien devroye prendre exemple, Que Paris tost oublia. Tu dis voir, mais il y a Aultre livre, il m'en recorde, Qui d'Ercules nous recorde, Qui fu si chevalereux Et en armes tant eureux Qu'oncques nul ne le passa, Tant en armes s'avança, Et si ert roy couronné De grant terre et de regné; Mais Amours si le lia Et si fort humilia Qu'il ne lui desplaisoit mie Charpir laine avec s'amie; Et lui, qui ert de tel pris Que les lyons rendoit pris, Fut subgiet a une femme Qu'il servoit comme sa dame. Si n'y a nulle grandeur En amours quant grant ardeur Fait par plaisance soubzmettre Le cuer ou il se veult mettre.» Ainsi respondis atant A Lorete, mais pour tant Lui dis que ja ne doubtast Et son penser en ostast, Que ja mon cuer si volage Ne seroit qu'il eust folage En l'amour ou m'embatoye, Mais amer, bien le sentoye, Le me convendroit sans faille, Quel mal que souffrir m'en faille, Car mon cuer s'y adonnoit Et du tout a lui donnoit, Voulsisse ou non, et ne peusse Pour poyssance que g'y eusse M'en oster ja, tant l'amoye; Et que trop mieulx l'amour moye Me plaisoit a lui donner Et mon cuer abandonner Qu'a nul aultre; posé ore Que tant ne m'amast encore Comme un autre m'aimeroit Qui dame me claimeroit Souveraine et redoubtée. Tant y eux m'amour boutée, Si ne m'en blasmast jamais, Car trop tart ert dès or mais. Et celle me dist qu'atant S'en deporteroit et tant Comme elle pourroit au fort Me donroit bon reconfort, Car puis qu'une riens fault estre N'y a lieu sermon ne maistre. En tel devis tout le jour Nous fusmes et sans sejour Ne parlions d'autre matiere Ensemble, et se toute entiere Une sepmaine en parlasse Ne me sembloit pas l'espace D'une heure, tant me plaisoit En parler, si me faisoit Resjoïr la souvenance De sa doulce contenance. La tous les jours assemblions Et des aultres nous amblions Entre nous deux bergieretes Parlant de noz amoretes; Si repairions la souvent, Ou fust par pluie ou par vent, Nul mal ne nous estoit grief. Mais, pour conter plus en brief Sans tous les jours raconter Qu'Amours nous y feist hanter, Nous y fusmes celle année Mainte heure et mainte journée, Et cil souvent y venoit A qui bien en souvenoit. Si me plut tant sa hantise Que je l'amay de tel guise Que tout mon age y parra. Ainsi ou bois repaira Celui qui si s'y maintint Qu'entre ses laz bien me tint, Combien que peine mettoie A moins l'amer, et doubtoye Que mal m'en peüst venir, Et se m'en peusse tenir Volentiers trop moins l'amasse Pour n'en souffrir si grant masse De doulour pour sienne amour Dont j'estoye en grant cremour. Pour ce contre Amours disoie Ainsi, quant je m'avisoie, Et m'yert vis qu'en mes clamours Ainsi respondoit Amours: Balade a responses Amours, escoute ma complainte. -Or dis: qu'as tu? de quoy te plains? -De toy par qui je suis destraintte. -Tort as quant de ce te complaings. -Non ay voir, car ma joye estains. -Joye en aras s'en toy ne tient. -Trop crain le grant mal qui en vient. -Pense au bien, non pas au domage. -Vueille ou non, d'un seul me souvient. -Aime ley; si feras que sage. Veulx tu que j'aime? est ce contrainte? -C'est drois quant ton cuer est atteins. -Sera ce cil qui m'a estraintte? -Oïl, car de tout bien est pleins, -Je n'ay donc pas tort si je l'aims? -Non, car chascun a bon le tient. -Et se mon honneur ne soustient? -Si fera voir, c'est son usage. -Or me dy qu'en faire apartient? -Aime ley; si feras que sage. Raison me met en trop grant crainte. -Ne la croys, joye tolt a mains. -Tu m'as vers elle en guerre empainte. -Desconfis la, joing moy les mains. -Honneur dist qu'en vauldroye mains. -Il ment, chascun bon en devient. -Fait, et donc amer me convient? -Ce te sera grant avantage. -Que feray donc se cil revient? -Aime ley; si feras que sage. Princes gentilz, Amours me tient. -Il apertient bien a ton age. -Un seul ami mon cuer retient. -Aime ley; si feras que sage. Ainsi je me debatoye A par moy et combatoye, Pensant a son doulz maintien Si trés plaisant que je tien C'oncques plus perfait en somme Ne l'ut autre mondain homme. Et ad ce mon cuer pensoit Tout temps et ne reposoit. Mais quant la ensemble estions Toute l'entente mettions A nous entre regarder. Ne sçaroye recorder Les regars, les doulz parlers, Les venirs et les alers, Les doulz ris, les contenances, Les trés plaisans ordenances Amoureuses; tout n'aroye Jamais dit, je ne pourroye. La se seoit couste mi Mon trés savoureux ami, Que j'ay maint jour attendu, Ou gisoit tout estendu Sus l'erbete qui venoit, Et en mon giron tenoit Sa teste et j'aplanioye Son chief et aonnyoye, Puis je lui mettoye au col Les deux braz dont je l'acol. Or pensez se la avoit Plaisir et s'il y devoit Avoir maint doulz mot conté, Tout ne soit cy raconté. Et sachiez certainement Qu'ainsi dura longuement Sans que m'amour me requist, Mais ne failloit qu'il enquist Se il la pourroit avoir, Car savoir pouoit de voir Que toute entiere l'avoit, Apercevoir le pouoit. Mais, comme soit chose dure A souffrir la grant ardure Dont Amours les cuers destraint, Il me dist, comme contraint, Une fois que vers moy vint, Et ou moys de may advint, Qu'il m'amoit de cuer entier, Et que ja n'estoit mestier De ce long sermon en faire, Car aviser son affaire Je pouoie bien de fait Et com de vouloir perfait Il m'amoit, et que l'amasse Seurement, et ne doubtasse Que mon honneur garderoit; Et moult bien se garderoit De faire chose nesune Dont j'euse pesance aucune. Ainsi cellui me pria Qui mon cuer sur tous tria; Si fus adonc esperdue, Car doubtay qu'en guise deue Respondre ne lui sceüsse Ainsi comme je deüsse, Car ne le peusse escondire N'aussi ne vouloye dire L'amour que je lui portoye. Aussi en mon cuer sentoye Que pour riens chose ne feisse Dont nullement me meffeisse; Si doubtoye a ottroyer Chose dont mauvais loyer Me venist et cuer dolent, Et ne sçavoye el talent Qui l'ot meu a me prier. Et cellui sans detrier Me prie que je le croie Et que m'amour lui ottroye Et mon vouloir lui responde. Lors de pensée perfonde Souspiray sans avoir yre, Et lui commençay a dire Craintivement en tremblant: « Monseigneur, par mon semblant La moye amour se descele; Ne fault ja que je le cele, Bien sçay que l'apercevez; Apercevoir le devez, Car Amours si le demonstre; Mais pour tant se je le monstre, Vueille ou non, ne croy je mie Que n'ayez dame et amie Aultre part qui vous adrece Et de moy plus grant maistrece. Si ne devez requerir Autre amour n'ailleurs querir, Se loyal estre voulez, Et mon cuer trop adoulez Seroit, quelque povre femme Que je soye, s'autre dame Avoit la joye de vous Et j'en eusse le courroux; Si nous en passons ainsi, Car sachiez que vous aim si Qu'aultre je ne vueil amer, En aye doulz ou amer; Mais de vous je ne vueil, voir, Nulle aultre promesse avoir Ne qu'aultrement je me loye: Il me souffist que vous voye Et que vous aime a par mi, Car a autre estes ami; Et aussi je vous di bien Que pour morir ne pour rien Je ne m'abandonneroye A folie, ainçois mourroie. Je ne sçay se vostre entente Seroit a si faitte attente, Mais, pour voir, sus sains vous jure Que jamais si faitte injure Ne feray a mon honneur, Soit pour grant ou pour meneur. » Adonc cil respond atant: « Et qui vous en requiert tant? Ne m'en fault ja escondire, Car pourchacier, faire ou dire, Je ne pense, par mon ame! Chose dont vous aiez blasme Ne dont vostre honneur descroisse, Ains desir que je l'accroisse Ne ja ne le requerray, De vous avoir ne querray Fors l'amour en bonne foy Et le doulz baisier par foy; Nulle n'est qui excuser S'en doye ne reffuser Ce a son ami; par m'ame! Ce n'est pas trop, belle dame. Aultre chose ne demand, Est ce oultrage a un amant? Quant de plus feray requeste Je vueil qu'on m'oste la teste! » Lors m'en ris et pris a dire: «Qui vous pourroit escondire Requeste si trés courtoise? Je l'ottroy, comment qu'il voise, Car mon cuer sens par mi fendre, Si ne le puis plus deffendre. » Lors cil m'embrace et me baise Doulcement, souspirant d'aise, Et puis m'en regracia Humblement et mercia. Mais ce baisier me trahy, Maintes fois l'ay puis haÿ, Car mon cuer vint du tout prendre Et d'amoureux dart esprendre. Si en fusmes puis si duit Que c'estoit tout no deduit Trés plaisant, sans nous lasser, Et noz braz entrelacer En baisant a longue alaine Sans pensée autre villeine. Ainsi en ce bois ramé J'acointay mon bien amé Et devins toute changée Et de pastours estrangée, Ou je souloie hanter Autres chançons a chanter Que celles qu'ains oz apris, Et ceste balade apris, Que cy deviser propos, Qui fu selon mon propos: Balade Ha! le plus doulz qui jamais soit formé, Le plus plaisant que nulle autre accointast, Le plus perfait pour estre bon clamé, Le mieulx amé qu'onques mais femme amast! De mon vray cuer le savoreux repast, Tout quanque j'aim, mon amoreux desir, Mon seul amé, mon paradis en terre, Et de mes yeulx le trés perfait plaisir, Vostre doulceur me meine dure guerre. Vostre douleur voirement antamé A le mien cuer qui jamais ne pensast Estre en ce point, mais si l'a enflammé Ardent desir qu'en vie ne durast Se doulz penser ne le reconfortast, Mais souvenir vient avec lui gesir; Lors en pensant vous embrace et vous serre, Mais quant ne puis le doulz baisier saisir Vostre doulceur me meine dure guerre. Mon doulz ami, de tout mon cuer amé, Il n'est penser qui de mon cuer gitast Le doulz regard que voz yeulz enfermé Ont dedens lui; riens n'est qui l'en ostast Ne le parler et le gracieux tast Des doulces mains qui, sanz lait desplaisir, Veulent partout encerchier et enquerre, Mais quant ne puis de mes yeulx vous choisir Vostre doulceur me meine dure guerre. Trés bel et bon, qui mon cuer vient saisir, Ne m'oubliez, ce vous vueil je requerre, Car quant veoir ne vous puis a loisir Vostre doulceur me meine dure guerre. Pour ce qu'en ce point estoie A mon pouoir je mettoye Peine a me tenir jolie, Une heure triste, autre lie, Selon les divers assaulx Qu'Amours livre à ses vassaulx. Or ploroye, ores chantoye, Mes compaignes pou hantoye Fors Lorete qui savoit Tout quanque mon cuer avoit. Si n'est riens qui ne soit sceu Au desrain et aperceu, Et a peine, quoy qu'on die, Muce amant sa maladie; S'il est d'amours bien attaint Fort est qu'il ne pere au taint. Si commença grant murmure Du fait, qui encore dure, Aussi tost qu'a estrangier Je pris bergiere et bergier Et je me tins solitaire; Les gens ne s'en porent taire, Si y mirent avant garde Li pasteur, et par leur garde Sçorent comment cil venoit Ou boys et près se tendit De moy, dont furent dolent Tous et toutes, et parlant En aloient entr'eulx bas, Car hault n'oserent ilz pas, Et comme amans envieux Disoient joennes et vieulx: « Plus n'a la doulce bergiere Nostre compagnie chiere. Hé las! la bien enseignée Bien a du tout eslongnée Nostre assemblée si belle, Plus ne sera pastourele, Ains par un autre acointier Renoncera au mestier. C'est domage, par saint Pere! Qui le deïst a son pere Puet estre l'en garderoit, Mais comparer le porroit Cil qui diroit telz nouvelles. Hé! entre vous, pastoureles, Mettez peine a la retraire Du bois, qui Dieux doint contraire, Et vers nous la ramenez, Nous sommes bien fortunez D'avoir perdu tel pastoure, Ce fu bien en la male houre Que cil oncques l'acointa Qui si nous en despointa. Et dont lui puet ce venir? Oncques ne vi avenir Que d'amours estre surprise Peüst, mais or en est prise Durement et bien y pert. Hé las! son honneur se pert Ou perdra, ce n'est pas doubte, Puis qu'en tel amour se boute Qui petit la prisera. Hé Dieux! qui l'avisera De s'en retraire bon erre! Lorete fault mander querre Qui est sa chiere compagne, Nulle autre ne l'acompagne. A celle dirons de fait Qu'elle l'enorte du fait, Si l'en retraye briefment. » Ainsi li pastour griefment Se complaignoient de mi Qui oz fait nouvel ami. Ma compagne estoit mandée Et lui estoit demandée La cause pour quoy guerpis Les avoye, dont trop pis M'en pourroit venir sanz faille, Si le me die et n'y faille; Et celle m'en excusoit Disant « que point ne musoit Mon cuer a nullui amer, Ne desservi que blasmer On me deust pour tant n'avoye, S'ou bois souvent m'ombroyoye Pour estre plus solitaire; Si s'en voulsissent tuit taire Du fait dont mon cuer ert sains; De ce leur juroit sur sains. Et du chevalier disoit Que pour tant ne me nuisoit En riens s'en ce bois chaçoit. Et repairier y pouoit Un chascun; si leur louoit Qu'ilz s'en teussent sans plus dire, Car mal venoit de mesdire. » Or avez vous entendu Coment j'avoye attendu Longuement sanz m'entremetre D'amer n'en nul mon cuer mettre, Et comment depuis fu pris; Si diray qu'il m'en est pris Depuis et com m'en va ore, Car faillie n'est encore Celle amour, ne deffauldra Jusques vie me fauldra. En joye au commencement Je fus, non pas longuement, Cy après diray pour quoy, Mais lors souvent en recoy Mon trés doulz ami veoye, Vers moy bien savoit la voye Et son devoir en faisoit Si bien qu'il me souffisoit. Doulceur, paix et bonne amour G'y trouvay, et sans demour Tout plaisir qu'il pouoit faire Me faisoit en tout affaire Tant que n'y sceusse amender Ne riens plus lui demander. Bien est voir, si dire l'ose, Que j'en fus un pou jalose Un temps et me fu avis Qu'un petit changié le vis; Ne sçay s'essaier vouloit Combien de lui me chaloit, Ou puet estre sans raison Y avoye souspeçon, Car le cuer d'amours estraint Ce qu'il aime a perdre craint, Et com de ce mal malade Disoye ceste balade: Balade Ja ne vueille consentir Vostre trés noble courage Que mon cuer en dueil partir Faciez, plein de telle rage Com d'apercevoir mestrait En vous qui l'avez attrait, Si qu'il s'est tout ordonné A vous et abandonné. Mais je me doubt sans mentir Qu'ainsi que maint ont usage D'en plusieurs lieux departir Leurs cuers de penser volage, Qu'ainsi ja se soit fortrait De moy qui vous a pourtrait Ou mien qu'ay tout assené A vous et abandonné. Tart venroye au repentir, Mais oncques perte ou domage Ne me fist tel dueil sentir Com j'aray trestout mon age Se de moy vous voy retrait Et que m'aiez fait tel trait, Pour tant se j'é me donné A vous et abandonné. Si pry vostre doulz attrait Qu'il lui souviengne du trait Qui mon cuer a adonné A vous et abandonné. Mais, quant ma douleur perçut Et mon trés amer plour sceut, Il m'apaisa doulcement, Et me jura fermement Qu'aultre que moy il n'amoit; Pour certain le m'affermoit. Aussi une fois avint Que partir il lui convint Bien en haste et n'ot espace De dire a Dieu, dont grant masse De dueil oz, mais il revint Tost et excuser se vint. Si dis quant il fu parti Ces moz cy en dur parti: Rondel Pour quoy m'avez vous ce fait, Trés bel ou n'a que redire? Et si savez mon martire N'oncques ne vous fis meffait. Et parti estez de fait Sans moy daigner a Dieu dire; Pour quoy m'avez vous ce fait? Au dieu d'amours du tort fait Me plaindray, disant: « Dieux Sire, Amy m'avez fait eslire Dont me vient si dur effait; Pour quoy m'avez vous ce fait? » Mais je vous diray la dure Pesance qu'encor me dure Tous les jours et plus agrieve Le tourment qu'encor me griefve. Cil ou toute valour maint, Ce scevent maintes et maint, N'ot pas apris qu'a sejour Demourast, ains sans sejour Aloit et va par la terre En maint païs honneur querre. Si n'estoit pas tousjours près De moy cellui que j'aim trés, Ains souvent s'en departoit, Dont a pou que ne partoit Mon cuer pour sa departie. Lors toute estoit convertie Ma joye en pesant doleur; Triste et a pale couleur Demouroie et esplourée. Ha! mainte larme ay plourée Pour s'amour et maint souspir Gitté, encor en souspir; Au departir me pasmoye, Quant a cellui que j'amoye Disoye « a Dieu », lors mi oeil Demonstroient mon grief dueil Dont griefment a lui pesoit; Si me baisoit et disoit Qu'il revendroit en brief temps, De ce ne fusse doubtans. Ainsi demouroie, lasse! De plourer non jamais lasse, Et jusqu'au retour nul bien N'avoye, je vous dy bien, Dont toute en plours me baignoie Et ainsi me complaingnoie: Balade Quant je voy ces amoreux Tant de si doulz semblans faire L'un a l'autre et savoreux Et doulz regars entretraire, Liement rire et eulx traire A part, et les tours qu'il font, A pou que mon cuer ne font! Car lors me souvient, pour eulx, De cil dont ne puis retraire Mon cuer qui est desireux Qu'ainsi le peüsse attraire; Mais le doulz et debonnaire Est loings, dont en dueil parfont A pou que mon cuer ne font! Ainsi sera langoreux Mon cuer en ce grief contraire Plein de souspirs doulereux Jusques par deça repaire Cil qu'Amours me fait tant plaire; Mais du mal qui me confont A pou que mon cuer ne font! Princes, je ne me puis taire Quant je voy gent paire a paire Qui en joye se reffont, A pou que mon cuer ne font! Mais quant le terme passoit Que mis m'avoit, ne pensoit Mon cuer qu'a toute dolour. Ou fust sens ou fust folour, J'enqueroye a toutes gens S'on savoit ou li trés gens Jolis chevalier estoit, Qu'Amours si amonnestoit. Si en ouoie souvent Telz nouvelles dont griefment M'anuioit quant dire ouoye Qu'il feroit moult longue voye Ains qu'il retournast arriere. Encore plus dure m'yere La paour que son corps gent. D'acquerre honneur diligent, Ne fust quelque fois mal mis En guerre ou par anemis. Si prioye saints et sainttes, Et veulx et promesses maintes, Pleurant seulete en destour, Faisoie pour son retour. Lorete avoit les reclaims, A lui disoye mes plains Souvent a moillée face: « Ha! je ne sçay que je face, Doulce compaigne et amie. Bien n'ay heure ne demie Quant cil que j'aim tant demeure; Le cuer ay plus noir que meure, Je ne puis avoir repos N'oncques puis dormir ne pos Qu'il parti, et, s'il ne vient, Bien sçay, morir me convient! Hé las! Lorete m'amie, Et ne te souvient il mie Comment il est gracieux? Est il homme soubz les cieulx Plus perfait en toute grace? Beaulté, bonté, sens et grace Sont en lui entierement. Ha! je te pri chierement, Ne te remembre il des fais De lui en doulceur perfais Et comment a toy parloit Doulcement et t'appelloit Quant loings de nous tu estoies, Et quant flours lui aportoies Ou chose qui lui plaisoit Quel grant chiere il en faisoit? Son venir et son aler Et son gracieux parler Adès m'est vis que je voye Et qu'il vient par celle voye Par ou venir il souloit, Et comment il m'appelloit Quant devant lui m'enclinoye. Tout le cuer en plours me noye Et me deffaillent li membre Quant tous ses fais je remembre, Et il est de moy si loings; Ha las! mais mes trés durs soings, Ma trés doulce chiere amie, Sont plus griefs, car je fremie De paour d'estre oubliée De lui qui me tient liée. La! quel chose! la mort viegne Ainçois que le cas m'aviegne! Mais la grant valeur haultaine Qui en maint païs le meine Lui donne, bien dire l'oz, Honneur, grace, pris et loz, Par quoy pluseurs grans maistresses, Voyans les belles adreces De sa grant chevalerie, L'aimeront; ainsi perie Pourra estre l'amour doulce Dont cellui m'amoit, et pour ce Vifs en soussi, n'est merveille! Mais, quiconque amer le vueille, Sçay je bien certainement Que jamais plus fermement Ne plus loyaument amé Ne sera n'ami clamé De nulle qui plus de bien Lui vueille, je le sçay bien; Dieux! mais trop est loings de mi! Ha! mon trés loyal ami, Quant verray je la journée Que voye la retournée De vous que je tant desir Et sans qui je n'ay plaisir!» Ces paroles et plus maintes Je disoie en mes complaintes En plour ou mon cuer fondoit, Et celle me confortoit A son pouoir; par pitié Plouroit pour mon amistié. Mais quant cellui revenoit De qui tant me souvenoit, Lors n'estoie plus troublée, Ains joye m'yert redoublée A cent doubles quant vers my Retournoit mon doulz ami Qui en desir attendus Ert de moy; lors estendus Braz vers lui m'en acouroie Et de grant joye plouroye Sans dire mot, mais le doulz Me disoit: «Et qu'avez vous, Ma belle amour gracieuse? N'estes vous pas bien joyeuse Du retour de vostre ami? Or nous seons cy enmy Ceste herbete, et bonne chiere Me faites, doulce amour chiere Qu'a veoir tant desiroye!» Adonc dire ne pourroie La joye que nous menions. Braz a braz entretenions L'un l'autre si trés estrains Qu'oncques Tristan, qui destrains D'amours fu oultre mesure, Yseut, par qui ot mort seure, Gaires plus fort n'estraigny Quant a mort le contraigny; De baisier, disant: hé las! Doulcement, n'estions pas las, Car lasser ne nous peussions Se sans cesser y fussions. Long ne nous fust le demour Ne oncques en celle amour Qui en deux cuers fu unie Il n'ot mal ne villennie Ne n'ara jamais sans faille. Si ne croys je qu'elle faille Nul temps, car nos esperiz, Quant mors seront et periz Les corps, croy qu'ilz s'aimeront Et ensemble demourront. Ainsi duroit ma plaisance Tant que j'avoye l'aisance D'estre près du doulz et cointe Qu'Amours fist si mon acointe, Et certes près de lui estre M'estoit paradiz terrestre N'autre nul ne demandasse. Mais pou duroit cel espace, Car petite ert sa demeure Ou païs, dont noir com meure Mon povre cuer devenoit Aussi tost qu'il avenoit Que cil me disoit: «M'amour, Partir me fault sans demour Pour aler en tel voyage.» Ha Dieux! com piteux visage, Lassete, adonc je faisoie! Et par grant doulour disoye: «Or me voulez vous occire, Ma doulce amour, mon doulz sire, Qui ja vous voulez partir? Morte une fois sanz mentir Me trouverez au retour, Car je ne puis par nul tour Souffrir longuement tel peine!» Et cil qui me veoit vaine Et lasse adonc m'apaisoit Doulcement, et me baisoit Disant: «Ma belle maistrece, Pour Dieu ceste grant destrece Ostez, car trop il m'en poise; Il convient que je m'en voise Mais je revendray briefment.» Ainsi «a Dieu vous commant,» Me disoit cil que baisoie Cent fois, et grant dueil faisoie Au departir et toute heure Tant com duroit la demeure. Or diray comme or me va De cil qui ja me trouva Ou bois seule, et qui en may Me pria, et je l'amay. Hé las! il party de moy Et prist congié en l'ormoy, Dont de dueil cuiday partir Quant je le vis departir. Il a ja un an passé, N'oncques puis mon cuer lassé Ne fu de mener tel dueil, N'aultre deduit je ne vueil Fors guermenter et plorer Et Dieu et sains aourer Et prier qu'il tourne a joye De la longue et griefve voye Qu'il a par valeur emprise, Dont chascun le loe et prise. Mais mon cuer n'est pas asseur Pour doubtance de meseur Qui moult souvent aux bons griefve. Dieux l'en gard qui la mort briefve Me doint ainçois qu'il aviengne Ne que mal n'anuy lui viegne. Desir aussi d'autre part Assez de mal me depart, Dont souvent je me demente A vray Amour et guermente Qui me fist enamourer D'un tel que son demourer Me fait livrer a martire Et destruire tire a tire Cuer et corps et esperit. Et ainsi Amours merist Ceulx et celles qui le servent: Mal ont et ne le desservent; C'est bien diverse aventure. Mieulx me vaulsist en pasture Encor mes aigniaulx garder Et d'amours bien me garder Que d'amer un tel sans faille, Combien qu'il mieulx de moy vaille, Qu'en souffrir si faitte peine, Que, se Dieux tost ne l'ameine, Il en est pic de ma vie! Car sanz lui je n'ay envie De vivre; il est la pasture Sans qui de vivre n'ay cure. Si pry Dieu qu'il le rameint Et me doint grace qu'il m'aint Toudis ainsi com je l'aim, Car ses doulz yeulx pris a l'aim Ont mon cuer, c'est sans partir; Mieulx vouldroit en deux partir. Si vous suppli, tous et toutes, A nuds genoulz et a coutes, Fins amans, priez pour lui, Car je vous jur que cellui Entre les bons est clamé Vaillant et des preux amé. UNE ÉPISTRE A EUSTACE MOUREL (10 Février 1403, anc. st.) A trés expert, en scens apris, Eustace Mourel ou a pris, De Senlis baillif trés nottable, Orateur de maint vers notable. Ta grant valeur en moy a mis Le vouloir, chier maistre et amis, De cestuy mien' epistre en vers T'envoyer, non obstant qu'envers Ton fait riens ne fait, bien le say je, Mais comme nous lisons: le saige Enseigne aux disciples a prendre Amistié aux saiges, se apprendre Desirent; et pour tant en voye M'a mis ton scens que je l'envoye. Sy soit premisse a humble chiere Recommandacion trés chiere, Te suppliant que a desplaisance Ne te tourt se adès plaisance Ay qu'em singulier nom je parle A toy, car je l'ay apris par le Stille clergial de quoy ceulx usent Qui en science leurs temps usent. Et moy, désirant de tes oeuvres Vertueuses veoir, que oeuvres Te suppli humblement trés or A moy ton valable tresor Que ou giron Science puisas, Lequel bien estendu puis as. Mon femenin scens ne desprises Sy que g'i faille, ains adès prises La grant amour qu'ay a savoir, Par quoy te foys ce assavoir. Et se de veoir apetis, Combien qu'en moy scens a petis, De mes dittiez, saiches de voir, Commander puez par droit devoir, Sans enquerir ou ne comment, Car tout est en ton bon comment. Et, pour ce que je suis certaine De ton scens, t'envoyé certaine Desplaisance que j'ay complainte Plourable, expliquant ma complainte, Doulousant de ce que mieulx estre Adès ne voy le mondain estre Gouverné, qui de mal em pire Va, ce m'est vis, en tout empire; Et ce mal qui m'anuye et poyse Sçay que ton meismes scens moult poise, Car que on se gouvernast a droit Tout hom desire en qui a droit. O maistre! quel merveille dure Est de veoir ou temps qui dure Mençonge et barat si en cours En cités, en chastiaulx, en cours De princes, par rigle commune, En nobles gens et en commune, En clergie et en toute court De justice, sans doubte, court Sy que verité point n'a part, En lieu aucun mucié n'appart, Mais chascun s'efforce d'avoir Par grant convoytise d'avoir Malice frauduleuse et cure De decepvoir, et nul n'a cure De vertueux prouffiz acquerre. Sans plus s'estudient a querre Les biens vains qui a vices tirent, A riens plus les mondains ne tirent. O te souvient il, mon chier sire, Com trop plus le miel que la cire Phillosophie nous apreuve, Sy com Bouesce trait a preuve En son bel et notable livre Qui consolacion nous livre, Quant les biens met sy a despris Qui des mondains sont adès pris Et esleuz plus que autre grace? Mieulx aiment que ciel terre grace Semée de fiens et d'ordure. Tel convoitise ou temps d'or dure. On treuve en escript es leus Livres que jadiz les esleuz Saiges phillosophes estoyent Des cités ou lieux ou estoyent Conseilleurs, et aussi des roys, Et par leur bon scens les desroys Supperflus erent confondus, Sy com jadiz fu confondus L'orgueil du roy Emiradès, Com mon scens voit et mire adès, Par Philometor, le vaillant Phillosophe, qui son vaillant Et soy meisme en ame et en corps Mist pour bien commun et encors. Ce prouffit meisme adès faisoyent Les bons saiges qui desfaisoyent Les laides settes, mais en vie A pou n'est nul qui ait envie Devers le bien commun soy traire, Mais chascun le propre a soy traire Veult; plus n'est la chose publique Gardée, ainçois tout en publique De telz orreurs faire on n'a honte Dont meisme Nature en ahonte. Es voluptez chascun s'enlace, Ne je ne voy nul qui s'en lasse; Gent ne considerent qu'ilz faillent; Toutes bonnes coustumes faillent, Car vertus sont mis en mesconte; De science on ne tient mais compte Par qui on gouvernoit jadis Les raignés, comme ailleurs ja dis; Pour ce estoit equité au monde, Mais ore y a pou de gent monde. Lors le siecle estoit de fin or Qui du tout est a defin or. Les princes estoyent lettrez, Lesquels les pilliers et les trefz Doivent estre pour soustenir Justice et puepple soubz tenir Par ordre de loy et raison. Eloquens par vraye rayson Les nobles travaillans confors Donnoyent aux pueples confors Excercitant les meurs parfaiz En sollicitude et par faiz, Et leur vie ainsi employoyent, Combien que l'eschine en ployoient Souventes foiz par mainte paine Pour vertu dont pou ore on paine. Or regardes s'en tel maniere Ceulx qui de fait et de maniere Se doivent delitter en suivre Noble fait vueillent ceulx ensuivre: S'il en est assez d'ainsi faiz, Louez ent Dieu et je aussi faiz. Freres chiers, pourroit on compter Le nombre de ceulx dont compter On puet les grans orguieulx hautains Pour supperflus habis hault tains Ou par richesces que on a quises Au grief d'autruy et mal aquises Puet estre en honneurs ou estas? Apperçois tu nulz telz es tas Des mondains? croy que si sens faille: N'ay doubte que de ce je faille Et appert que trestuit enssemble Cuident estre dieux; que t'en semble? Est ce voye d'en meurs errer Ou ce c'est la sante d'errer? Meismes voit on qu'en orgueil monte Maint de qui le scens petit monte Et qui n'ont pas vaillant ma coiffe Des fortunez biens, et a quoy fe- Roye de ce plus long procès? Car certain es qu'a la proces- Sion en dure longue route, Et par tel erreur foy est route Au monde ou pou on voit aprendre Les meurs qui bonnes sont a prendre. Aux juges par ta foy meffaire Vois tu fors droit en riens meffaire, Chier frere et amy, or prens garde Se adès justice bien on garde. Ha! Justice la trés eleue Com notablement tu es leue Et enseignée es traittiez Ou l'en apprent justes traittiez! Voiz tu que la faveur des droiz Soit estendue adès es droiz Povres orphelins et aux lasses Vefves de plourer non ja lasses. Et que t'en semble? est il ainsi? Je croy que non certes, ains si Est tout le monde adès tourné Que tout bien leur est destourné. Et ce puis pour certain tenir, Car bien m'en sçay a quoy tenir, Et Fortune m'a fait maistresce Du sçavoir par preuve, mais trés ce Que fus en ses liens liée Nul ne vint plus a chiere liée M'offrir confort en bonne entente Fors puet estre ainsi comme en tente Les simples pour les decepvoir, Et certes je dis de ce voir, Dont mes adversitez communes Sont ainsi tournées comme unes Acoustumances qui adès Continuent, ainsi a des Meschiefs eüz de ma partie Puis que je parti ma partie Vraye et loyal a ton amy: Estoit cil, si ert il a my Sy que jamais si fait n'aray Comme ailleurs qu'ycy le naray. Et de telz annuis encor ay je Dont je te pri de bon couraige, Que Dieux pries que pacience M'i doint, car je n'ay pas science De toudis me tenir com forte En pacience qui conforte. Dieu pry qu'il t'ottroit par durable Temps vivre au monde et pardurable. Escript seullette en m'estude Le dixsiesme jour par estude De Fevrier l'An Mil quatre cens Et trois en deliberé scens. Christine de Pizan, ancelle De Science, que cest an celle Occuppacion tint vaillant, Ta disciple et ta bienveillant. Source: http://www.poesies.net