Poesies II. Par Louis Aragon. (1897-1982) TABLE DES MATIERES Le Grand Secret. Aimer A Perdre La Raison. . . Richard Coeur De Lion. Les Yeux D'Elsa. Le Poème C. Front Rouge. Lycanthropie Contemporaine. Les Lilas Et Les Roses. Santa Espina. Elsa Au Miroir. Paris. Légende De Gabriel Péri. L'Etrangère. L'Amour Qui N'Est Pas Un Mot. Je Chante Pour Passer Le Temps. Un Jour. Le Tiers Chant. Les Oiseaux Déguisés. Traité Du Style. Devine. Les Feux De Paris. Je T'Aime. Il Y A Des Choses. . . Der Wind Streut Samen. Fragments Divers. Le Grand Secret. Je vais te dire un grand secret : Le temps c'est toi. Le temps est femme. Il a besoin qu'on le courtise et qu'on s'asseye à ses pieds. Le temps comme une robe à défaire. Le temps comme une chevelure sans fin peignée. Un miroir que le souffle embue et désembue. Le temps c'est toi qui dors à l'aube où je m'éveille. C'est toi comme un couteau traversant mon gosier. Oh que ne puis-je dire ce tourment du temps qui ne passe point. Ce tourment du temps arrêté comme le sang dans les vaisseux bleus. Et c'est bien pire que le désir interminablement non satisfait que cette soif de l'oeil quand tu marcheras dans la pièce. Et je ne sais qu'il ne faut pas rompre l'enchantement. Bien pire que de te sentir étrangère, fuyante, la tête ailleurs et le coeur dans un autre siècle déjà. Mon Dieu que les mots sont lourds. Il s'agit bien de cela. Mon amour au-delà du plaisir mon amour hors de portée aujourd'hui de l'atteinte. Toi qui bats à ma tempe horloge. Et si tu ne respires pas j'étouffe. Et sur ma chair hésite et se pose ton pas. Je vais te dire un grand secret : Toute parole à ma lèvre est une pauvresse qui mendie, une misère pour tes mains, une chose qui noircit sous ton regard. Et c'est pourquoi je dis si souvent que je t'aime, faute d'un cristal assez clair d'une phrase que tu mettrais à ton cou. Ne t'offense pas de mon parler vulgaire. Il est l'eau simple qui fait ce bruit désagréable dans le feu. Je vais te dire un grand secret : Je ne sais pas parler du temps qui te ressemble. Je ne sais pas parler de toi je fais semblant. Comme ceux très longtemps sur le quai d'une gare qui agitent la main après que les trains sont partis et le poignet s'éteint du poids nouveau des larmes. Je vais te dire un grand secret : J'ai peur de toi. Peur de ce qui t'accompagne au soir vers les fenêtres. Des gestes que tu fais, des mots qu'on ne dit pas. J'ai peur du temps rapide et lent, j'ai peur de toi. Je vais te dire un grand secret : Ferme les portes. Il est plus facile de mourir que d'aimer. C'est pourquoi je me donne le mal de vivre, mon amour. Aimer A Perdre La Raison. . . Aimer à perdre la raison Aimer à n'en savoir que dire A n'avoir que toi d'horizon Et ne connaître de saisons Que par la douleur du partir Aimer à perdre la raison Ah c'est toujours toi que l'on blesse C'est toujours ton miroir brisé Mon pauvre bonheur, ma faiblesse Toi qu'on insulte et qu'on délaisse Dans toute chair martyrisée La faim, la fatigue et le froid Toutes les misères du monde C'est par mon amour que j'y crois En elle je porte ma croix Et de leurs nuits ma nuit se fonde. Richard Coeur De Lion. Si l'univers ressemble à la caserne À Tours en France où nous sommes reclus Si l'étranger sillonne nos luzernes Si le jour aujourd'hui n'en finit plus Faut-il garder le compte de chaque heure Haïr moi qui n'avais jamais haï On n'est plus chez soi même dans son coeur Ô mon pays est-ce bien mon pays Je ne dois pas regarder l'hirondelle Qui parle au ciel un langage interdit Ni s'en aller le nuage infidèle Ce vieux passeur des rêves de jadis Je ne dois pas dire ce que je pense Ni murmurer cet air que j'aime tant Il faut redouter même le silence Et le soleil comme le mauvais temps Ils sont la force et nous sommes le nombre Vous qui souffrez nous nous reconnaissons On aura beau rendre la nuit plus sombre Un prisonnier peut faire une chanson Une chanson pure comme l'eau fraîche Blanche à la façon du pain d'autrefois Sachant monter au-dessus de la crèche Si bien si haut que les bergers la voient Tous les bergers les marins et les mages Les charretiers les savants les bouchers Les jongleurs de mots les faiseurs d'images Et le troupeau des femmes aux marchés Les gens du négoce et ceux du trafic Ceux qui font l'acier ceux qui font le drap Les grimpeurs de poteaux télégraphiques Et les mineurs noirs chacun l'entendra Tous les Français ressemblent à Blondel Quel que soit le nom dont nous l'appelions La liberté comme un bruissement d'ailes Répond au chant de Richard Coeur-de-Lion Les Yeux D'Elsa. Je te touche et je vois ton corps et tu respires Ce ne sont plus les jours du vivre séparés C'est toi tu vas tu viens et je suis ton empire Pour le meilleur et pour le pire Et jamais tu ne fus aussi lointaine à mon gré Ensemble nous trouvons au pays des merveilles Le plaisir sérieux couleur de l'absolu Mais lorsque je reviens à nous que je m'éveille Si je soupire à ton oreille Comme des mots d'adieu tu ne les entends plus. Elle dort Longuement je l'écoute se taire C'est elle dans mes bras présente et cependant Plus absente d'y être et moi plus solitaire D'être plus près de son mystère Comme un joueur qui lit aux dés le point perdant. Le jour qui semblera l'arracher à l'absence Me la rend plus touchante et plus belle que lui De l'ombre elle a gardé les parfums et l'essence Elle est comme un songe des sens Le jour qui la ramène est encore une nuit Buissons quotidiens à quoi nous nous griffâmes La vie aura passé comme un air entêtant Jamais rassasié de ces yeux qui m'affament Mon ciel mon désespoir ma femme Treize ans j'aurais guetté ton silence chantant Comme le coquillage enregistre la mer Grisant mon coeur treize ans treize hivers treize étés J'aurais tremblé treize ans sur le seuil des chimères Treize ans d'une peur douce-amère Et treize ans conjuré des périls inventés O mon enfant le temps n'est pas à notre taille Que sont mille et une nuit pour des amants Treize ans c'est comme un jour et c'est un feu de paille Qui brûle à nos pieds maille à maille Le magique tapis de notre isolement. Le Poème C. J'ai traversé les ponts de Cé C'est là que tout a commencé Une chanson des temps passés Parle d'un chevalier blessé D'une rose sur la chaussée Et d'un corsage délacé Du château d'un duc insensé Et des cygnes dans les fossés De la prairie où vient danser Une éternelle fiancée Et j'ai bu comme un lait glacé Le long lai des gloires faussées La Loire emporte mes pensées Avec les voitures versées Et les armes désamorcées Et les larmes mal effacées Ô ma France ô ma délaissée J'ai traversé les ponts de Cé Front Rouge. Le plus beau monument qu'on puisse élever sur une place la plus surprenante de toutes les statues la colonne la plus audacieuse et la plus fine l'arche qui se compare au prisme même de la pluie ne valent pas l'amas splendide et chaotique qu'on produit aisément avec une église et de la dynamite Essayez pour voir Pliez les réverbères comme des fétus de paille Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace Descendez les flics Camarades descendez les flics L'éclat des fusillades ajoute au paysage Une gaîté jusqu'alors inconnue . . . . . . . . . . . . . . . Les yeux bleus de la Révolution Brillent d'une cruauté nécessaire SSSR SSSR SSSR SSSR Lycanthropie Contemporaine. Je t'aime Je t'aime mais Dans une soute au moment de sauter Impatience Ignoble impatience de savoir si cela fera très mal N'as tu donc jamais remarqué que je t'aime tandis qu'on me tue Que c'est toujours la dernière fois que je jouis abominablement dans tes bras Tes bras qui sont si beaux que c'est bien cela le plus terrible Tout se terminera d'une façon sauvage. À moi le langage ténébreux des suppliciés sur la chaise électrique Le vocabulaire ultime des guillotinés L'existence est un oeil crevé Que l'on m'entende bien un oeil qu'on crève à tout instant Le hara-kiri sans fin J'enrage A voir le calme idiot qui accueille mes cris. Les Lilas Et Les Roses. O mois des floraisons mois des métamorphoses Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses Ni ceux que le printemps dans les plis a gardés Je n'oublierai jamais l'illusion tragique Le cortège les cris la foule et le soleil Les chars chargés d'amour les dons de la Belgique L'air qui tremble et la route à ce bourdon d'abeilles Le triomphe imprudent qui prime la querelle Le sang que préfigure en carmin le baiser Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles Entourés de lilas par un peuple grisé Je n'oublierai jamais les jardins de la France Semblables aux missels des siècles disparus Ni le trouble des soirs l'énigme du silence Les roses tout le long du chemin parcouru Le démenti des fleurs au vent de la panique Aux soldats qui passaient sur l'aile de la peur Aux vélos délirants aux canons ironiques Au pitoyable accoutrement des faux campeurs Mais je ne sais pourquoi ce tourbillon d'images Me ramène toujours au même point d'arrêt A Sainte-Marthe Un général De noirs ramages Une villa normande au bord de la forêt Tout se tait L'ennemi dans l'ombre se repose On nous a dit ce soir que Paris s'est rendu Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses Et ni les deux amours que nous avons perdus Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres Douceur de l'ombre dont la mort farde les joues Et vous bouquets de la retraite roses tendres Couleur de l'incendie au loin roses d'Anjou. Santa Espina. Je me souviens d'un air qu'on ne pouvait entendre Sans que le coeur battît et le sang fût en feu Sans que le feu reprît comme un coeur sous la cendre Et l'on savait enfin pourquoi le ciel est bleu Je me souviens d'un air pareil à l'air du large D'un air pareil au cri des oiseaux migrateurs Un air dont le sanglot semble porter en marge La revanche de sel des mers sur leurs dompteurs Je me souviens d'un air que l'on sifflait dans l'ombre Dans les temps sans soleils ni chevaliers errants Quand l'enfance pleurait et dans les catacombes Rêvait un peuple pur à la mort des tyrans Il portait dans son nom les épines sacrées Qui font au front d'un dieu ses larmes de couleur Et le chant dans la chair comme une barque ancrée Ravivait sa blessure et rouvrait sa douleur Personne n'eût osé lui donner des paroles A cet air fredonnant tous les mots interdits Univers ravagé d'anciennes véroles Il était ton espoir et tes quatre jeudis Je cherche vainement ses phrases déchirantes Mais la terre n'a plus que des pleurs d'opéra Il manque au souvenir de ses eaux murmurantes L'appel de source en source au soir des ténoras O Sainte Epine ô Sainte Epine recommence On t'écoutait debout jadis t'en souviens-tu Qui saurait aujourd'hui rénover ta romance Rendre la voix aux bois chanteurs qui se sont tus Je veux croire qu'il est encore des musiques Au coeur mystérieux du pays que voilà Les muets parleront et les paralytiques Marcheront un beau jour au son de la cobla Et l'on verra tomber du front du Fils de l'Homme La couronne de sang symbole du malheur Et l'Homme chantera tout haut cette fois comme Si la vie était belle et l'aubépine en fleurs. Elsa Au Miroir. C'était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d'or Je croyais voir Ses patientes mains calmer un incendie C'était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit C'était au beau milieu de notre tragédie Qu'elle jouait un air de harpe sans y croire Pendant tout ce long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit Qu'elle martyrisait à plaisir sa mémoire Pendant tout ce long jour assise à son miroir À ranimer les fleurs sans fin de l'incendie Sans dire ce qu'une autre à sa place aurait dit Elle martyrisait à plaisir sa mémoire C'était au beau milieu de notre tragédie Le monde ressemblait à ce miroir maudit Le peigne partageait les feux de cette moire Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire C'était un beau milieu de notre tragédie Comme dans la semaine est assis le jeudi Et pendant un long jour assise à sa mémoire Elle voyait au loin mourir dans son miroir Un à un les acteurs de notre tragédie Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits Et ce que signifient les flammes des longs soirs Et ses cheveux dorés quand elle vient s'asseoir Et peigner sans rien dire un reflet d'incendie Paris. Où fait-il bon même au coeur de l'orage Où fait-il clair même au coeur de la nuit L'air est alcool et le malheur courage Carreaux cassés l'espoir encore y luit Et les chansons montent des murs détruits Jamais éteint renaissant de la braise Perpétuel brûlot de la patrie Du Point-du-Jour jusqu'au Père-Lachaise Ce doux rosier au mois d'août refleuri Gens de partout c'est le sang de Paris Rien n'a l'éclat de Paris dans la poudre Rien n'est si pur que son front d'insurgé Rien n'est ni fort ni le feu ni la foudre Que mon Paris défiant les dangers Rien n'est si beau que ce Paris que j'ai Rien ne m'a fait jamais battre le coeur Rien ne m'a fait ainsi rire et pleurer Comme ce cri de mon peuple vainqueur Rien n'est si grand qu'un linceul déchiré Paris Paris soi-même libéré. Légende De Gabriel Péri. C'est au cimetière d'Ivry Qu'au fond de la fosse commune Dans 1'anonyme nuit sans lune Repose Gabriel Péri Pourtant le martyr dans sa tombe Trouble encore ses assassins Miracle se peut aux lieux saints Où les larmes du peuple tombent Dans le cimetière d'Ivry Ils croyaient sous d'autres victimes Le crime conjurant le crime Etouffer Gabriel Péri Le bourreau se sent malhabile Devant une trace de sang Pour en écarter les passants Ils ont mis des gardes-mobiles Dans le cimetière d'Ivry La douleur viendra les mains vides Ainsi nos maîtres en décident Par peur de Gabriel Péri L'ombre est toujours accusatrice Où dorment des morts fabuleux Ici des hortensias bleus Inexplicablement fleurissent Dans le cimetière d'Ivry Dont on a beau fermer les portes Quelqu'un chaque nuit les apporte Et fleurit Gabriel Péri Un peu de ciel sur le silence Le soleil est beau quand il pleut Le souvenir a les yeux bleus A qui mourut par violence Dans le cimetière d'Ivry Les bouquets lourds de nos malheurs Ont les plus légères couleurs Pour plaire à Gabriel Péri Ah dans leurs pétales renaissent Le pays clair où il est né Et la mer Méditerranée Et le Toulon de sa jeunesse Dans le cimetière d'Ivry Les bouquets disent cet amour Engendré dans le petit jour Où périt Gabriel Péri Redoutez les morts exemplaires Tyrants qui massacrez en vain Elles sont un terrible vin Pour un peuple et pour sa colère Dans le cimetière d'Ivry Quoi qu'on fasse et quoi qu'on efface Le vent qui passe aux gens qui passent Dit un nom Gabriel Péri Vous souvient-il ô fusilleurs Comme il chantait dans le matin Allez c'est un feu mal éteint Il couve ici mais brûle ailleurs Dans le cimetière d'Ivry Il chante encore il chante encore Il y aura d'autres aurores Et d'autres Gabriel Péri La lumière aujourd'ui comme hier C'est qui la porte que l'on tue Et les porteurs se subtituent Mais rien n'altère la lumière Dans le cimetière d'Ivry Sous la terre d'indifférence Il bat encore pour la France Le coeur de Gabriel Péri. L'Etrangère. Il existe près des écluses Un bas quartier de bohémiens Dont la belle jeunesse s'use A démêler le tien du mien En bande on s'y rend en voiture, Ordinairement au mois d'août, Ils disent la bonne aventure Pour des piments et du vin doux On passe la nuit claire à boire On danse en frappant dans ses mains, On n'a pas le temps de le croire Il fait grand jour et c'est demain. On revient d'une seule traite Gais, sans un sou, vaguement gris, Avec des fleurs plein les charrettes Son destin dans la paume écrit. J'ai pris la main d'une éphémère Qui m'a suivi dans ma maison Elle avait des yeux d'outre-mer Elle en montrait la déraison. Elle avait la marche légère Et de longues jambes de faon, J'aimais déjà les étrangères Quand j'étais un petit enfant ! Celle-ci par là vite vite De l'odeur des magnolias, Sa robe tomba tout de suite Quand ma hâte la délia. En ce temps-là, j'étais crédule Un mot m'était promis si on, Et je prenais les campanules Pour des fleurs de la passion A chaque fois tout recommence Toute musique me saisit, Et la plus banale romance M'est l'éternelle poésie Nous avions joué de notre âme Un long jour, une courte nuit, Puis au matin : "Bonsoir madame" L'amour s'achève avec la pluie. L'Amour Qui N'Est Pas Un Mot. Mon Dieu jusqu'au dernier moment Avec ce coeur débile et blême Quand on est l'ombre de soi-même Comment se pourrait-il comment Comment se pourrait-il qu'on aime Ou comment nommer ce tourment Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenêtres Tu me rends la caresse d'être Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaître Notre histoire jusqu'à la fin C'est miracle que d'être ensemble Que la lumière sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme à son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blâme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tué Ah crevez-moi les yeux de l'âme S'ils s'habituaient aux nuées Pour la première fois ta bouche Pour la première fois ta voix D'une aile à la cime des bois L'arbre frémit jusqu'à la souche C'est toujours la première fois Quand ta robe en passant me touche Prends ce fruit lourd et palpitant Jettes-en la moitié véreuse Tu peux mordre la part heureuse Trente ans perdus et puis trente ans Au moins que ta morsure creuse C'est ma vie et je te la tends Ma vie en vérité commence Le jour que je t'ai rencontrée Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce à ma démence Et qui m'as montré la contrée Que la bonté seule ensemence Tu vins au coeur du désarroi Pour chasser les mauvaises fièvres Et j'ai flambé comme un genièvre A la Noël entre tes doigts Je suis né vraiment de ta lèvre Ma vie est à partir de toi. Je Chante Pour Passer Le Temps. Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content A lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps J'ai vécu le jour des merveilles Vous et moi souvenez-vous-en Et j'ai franchi le mur des ans Des miracles plein les oreilles Notre univers n'est plus pareil J'ai vécu le jour des merveilles Allons que ces doigts se dénouent Comme le front d'avec la gloire Nos yeux furent premiers à voir Les nuages plus bas que nous Et l'alouette à nos genoux Allons que ces doigts se dénouent Nous avons fait des clairs de lune Pour nos palais et nos statues Qu'importe à présent qu'on nous tue Les nuits tomberont une à une La Chine s'est mise en Commune Nous avons fait des clairs de lune Et j'en dirais et j'en dirais Tant fut cette vie aventure Où l'homme a pris grandeur nature Sa voix par-dessus les forêts Les monts les mers et les secrets Et j'en dirais et j'en dirais Oui pour passer le temps je chante Au violon s'use l'archet La pierre au jeu des ricochets Et que mon amour est touchante Près de moi dans l'ombre penchante Oui pour passer le temps je chante Je chante pour passer le temps Oui pour passer le temps je chante. Un Jour. Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime Sa protestation ses chants et ses héros Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu Emplissant tout à coup l'univers de silence Contre les violents tourne la violence Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange Un jour de palme, un jour de feuillages au front Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche Ah je désespérais de mes frères sauvages Je voyais, je voyais l'avenir à genoux La Bête triomphante et la pierre sur nous Et le feu des soldats porte sur nos rivages Quoi toujours ce serait par atroce marché Un partage incessant que se font de la terre Entre eux ces assassins que craignent les panthères Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange Un jour de palme, un jour de feuillages au front Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche Quoi toujours ce serait la guerre, la querelle Des manières de rois et des fronts prosternés Et l'enfant de la femme inutilement né Les blés déchiquetés toujours des sauterelles Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue Le massacre toujours justifie d'idoles Aux cadavres jetés ce manteau de paroles Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange Un jour de palme, un jour de feuillages au front Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche. Le Tiers Chant. Te prendre à Dieu contre moi même Étreindre étreindre ce qu'on aime Tout le reste est jouer aux dés Suivre ton bras toucher ta bouche Être toi par où je te touche Et tout le reste est des idées Je suis la croix où tu t'endors Le chemin creux qui pluie implore Je suis ton ombre lapidée Je suis ta nuit et ton silence Oubliée dans ma souvenance Ton rendez-vous contremandé Te prendre à Dieu contre moi même Étreindre étreindre ce qu'on aime Tout le reste est jouer aux dés Suivre ton bras toucher ta bouche Être toi par où je te touche Et tout le reste est des idées Le mendiant devant ta porte Qui se morfond que tu ne sortes Et peut mourir s'il est tardé Et je demeure comme meurt A ton oreille une rumeur Le miroir de toi défardé Te prendre à Dieu contre moi même Étreindre étreindre ce qu'on aime Tout le reste est jouer aux dés Suivre ton bras toucher ta bouche Être toi par où je te touche Et tout le reste est des idées. Les Oiseaux Déguisés. Tous ceux qui parlent des merveilles Leurs fables cachent des sanglots Et les couleurs de leur oreille Toujours à des plaintes pareilles Donnent leurs larmes pour de l'eau Le peintre assis devant sa toile A-t-il jamais peint ce qu'il voit Ce qu'il voit son histoire voile Et ses ténèbres sont étoiles Comme chanter change la voix Ses secrets partout qu'il expose Ce sont des oiseaux déguisés Son regard embellit les choses Et les gens prennent pour des roses La douleur dont il est brisé Ma vie au loin mon étrangère Ce que je fus je l'ai quitté Et les teintes d'aimer changèrent Comme roussit dans les fougères Le songe d'une nuit d'été Automne automne long automne Comme le cri du vitrier De rue en rue et je chantonne Un air dont lentement s'étonne Celui qui ne sait plus prier. Traité Du Style. Faire en français signifie chier. Exemple : Ne forçons pas notre talent Nous ne fairions rien avec grâce. La carte postale représentait un petit garçon sur le pot. Sujet de plaisanteries inépuisables, cependant une moitié de la population dépérit pour ce que tant de bons mots sont au rancart depuis que la chaise percée passa de mode. Mais les perfectionnements du bidet réjouissent le coeur des générations les plus jeunes. C'est ainsi que nous avançons dans la vie entre deux haies de bonnes histoires de merde, bien grasses. Écoutez parler les chemins de fer, les tables d'hôte. Sans compter vos supérieurs hiérarchiques, de la caserne au mécénat, et dans la plupart des établissements on se sert des journaux en guise de papier hygiénique. Comme cela le plaisir est double, l'on récupère en lisant la précieuse matière excrémentielle, excellente à l'esprit comme au coeur. Matière éminemment française, et qui voudrait la laisser perdre ? Tout ce qui est national est nôtre. Aussi ce peuple de vidangeurs se targue-t-il d'avoir la première peinture du monde, le premier cambouis, la première cuisine, les premières putains, la première politesse (Après vous. Je n'en FERAI rien, etc.). Ayant marché du pied gauche dans un peu de sel gaulois il possède une histoire sans ombre, des plus gaillardes, où c'est en vain qu'on chercherait la trace d'une erreur, le souvenir d'une lâcheté. Elégance et galanterie n'excluent en rien le mot pour rire. On rit donc et dès l'enfance le petit citoyen se tord lorsque le mot caca retentit patriotiquement à son oreille. En réalité toute poésie est surréaliste dans son mouvement. La légende règne qu'il suffit d'apprendre le truc, et qu'aussitôt des textes d'un grand intérêt poétique s'échappent de la plume de n'importe qui comme une diarrhée inépuisable. Sous prétexte qu'il s'agit de surréalisme, le premier chien venu se croit autorisé à égaler ses petites cochonneries à la poésie véritable, ce qui est d'une commodité merveilleuse pour l'amour-propre et la sottise. Si vous écrivez, suivant une méthode surréaliste, de tristes imbécillités, ce sont de tristes imbécillités. Sans excuses. Et particulièrement si vous appartenez à cette lamentable espèce de particuliers qui ignore le sens des mots, il est vraisemblable que la pratique du surréalisme ne mettra guère en lumière autre chose que cette ignorance crasse. Ne venez pas nous montrer ces élucubrations vicieuses. Vous ne savez pas le sens des mots. Je parie que ce que vous écrivez est bête. Devine. un grand champ de lin bleu parmi les raisins noirs lorsqu vers moi le vent l'incline frémissant un grand champ de lin bleu qui fait au ciel miroir et c'est moi qui frémis jusqu'au fond de mon sang Devine. un grand champ de lin bleu dans le jour revenu longtemps y traîne encore une brume des songes et j'ai peur d'y lever des oiseaux inconnus dont au loin l'ombre ailée obscurément s'allonge Devine. un grand champ de lin bleu de la couleur des larmes ouvert sur un pays que seul l'amour connaît ou tout à le parfum le pouvoir et le charme comme si des baisers toujours s'y promenaient Devine. un grand champ de lin bleu dont c'est l'étonnement toujours à découvrir une eau pure et profonde de son manteau couvrant miraculeusement est ce un lac ou la mer les épaules du monde Devine. un grand champ de lin bleu qui parle rit et pleure je m'y plonge et m'y perds dis -moi devines-tu quelle semaille y fit la joie et la douleur et pourquoi de l'aimer vous enivre et vous tue Devine. Les Feux De Paris. Toujours quand aux matins obscènes entre les jambes de la seine comme une noyée aux yeux fous de la brume de vos poèmes l'Ile Saint-Louis se lève blême Baudelaire je pense à vous lorsque j'appris à voir les choses O lenteur des métamorphoses c'est votre paris que je vis il fallait pour que paris change comme bleuissent les oranges toute la longueur de ma vie Mais pour courir ses aventures la ville a jeté sa ceinture de murs d'herbe verte et de vent elle a fardé son paysage comme une fille son visage pour séduire un nouvel amant Rien n'est plus à la même place et l'eau des fontaines wallace pleure après le marchand d'oublies qui criait le plaisir mesdames quand les pianos faisaient des gammes dans les salons à panoplies Où sont les grandes tapissière les mirlitons dans la poussière où sont les noces en chansons où sont les mules de Réjane on ne s'en va plus à dos d'âne dîner dans l'herbe à Robinson qu'est-ce que cela peut te faire on ne choisit pas son enfer en arrière à quoi bon chercher qu'autrefois sans toi se consume c'est ici que ton sort s'allume on ne choisit pas son bûcher A tes pas les nuages bougent va-t'en dans la rue à l'oeil rouge le monde saigne devant toi tu marches dans un jour barbare le temps présent brûle aux snack-bars son aube pourpre est sur les toits au diable la beauté lunaire et les ténèbres millénaires plein feu dans les Champs-Elysées voici le nouveau carnaval où l'électricité ravale les édifices embrasés plein feu sur l'homme et sur la femme sur le Louvre et sur notre dame du sacré coeur au panthéon plein feu de la concorde aux thermes plein feux sur l'univers moderne plein feu sur notre âme au néon plein feu sur la noirceur des songes plein feu sur les arts du mensonge flambe perpétuel été flambe de notre flamme humaine et que partout nos mains ramènent le soleil de la vérité. Je T'Aime. Mon sombre amour d'orange amère Ma chanson d'écluse et de vent Mon quartier d'ombre où vient rêvant Mourir la mer Mon beau mois d'août dont le ciel pleut Des étoiles sur les monts calmes Ma songerie aux murs de palme Où l'air est bleu Mes bras d'ormes faibles merveilles Renaissent ma soif et ma faim Collier collier des soirs sans fin Où le coeur veille Est-ce que qu'on sait ce que se passe C'est peut-être bien ce tantôt Que l'on jettera le manteau Dessus ma face Coupez ma gorge et les pivoines Vite apportez mon vin mon sang Pour lui plaire comme en passant Font les avoines Il me reste si peu de temps Pour aller au bout de moi-même Et pour crier Dieu que je t'aime Je t'aime tant, je t'aime tant. Il Y A Des Choses. . . Il y a des choses que je ne dis a Personne Alors Elles ne font de mal à personne Mais Le malheur c'est Que moi Le malheur le malheur c'est Que moi ces choses je les sais Der Wind Streut Samen. Nous qui marchons dans l'invisible Sans trop savoir ce qu'y faisons Avec ce haut rire terrible Comme un oiseau sur la maison Voici le peintre qu'il nous faut pour la première fois j'ai vu le vent Non pas les arbres dans le vent mais le vent même Il aurait pu porter au loin dans sa paume Des journaux déchirés des mots en miettes des chapeaux Mais De toutes les choses de la terre Il a préféré les semences Les signes mobiles que se font les plantes enracinées ô sémantiques de la poussière Algèbre de vivre écriture ou musique Le doigt du vent sur les murs trace Une usure des mots perdus C'est un chant qui n'a pas de bouche un toucher qui n'a pas de main D'ou viens-tu toi qui bats les portes Et fais l'amour avec les champs Vent des fourmis et des virgules. Fragments Divers. Quant aux poètes, passez-moi l'expression: ce sont des enculeurs de mouches. Ils font de leur mieux comme on dit, ces vermisseaux. Eh bien moi, je fais de mon pire. J'étais follement amoureux d'une femme extraordinairement belle. D'une femme en qui j'avais cru, comme à la réalité des pierres. D'une femme que j'avais cru qui m'aimait. J'étais son chien. C'est ma façon. Il semble que toute idée ait aujourd'hui dépassé sa phase critique. "Celui qui ne croit pas aux sorciers, ne croit pas au diable; celui qui ne croit pas au diable ne croit pas en Dieu; celui qui ne croit pas en Dieu sera damné" : tel est le résumé de la doctrine que prêchait à Leipzig à la fin du dix-huitième siècle l'étudiant en théologie Rau, dont le langage était magnifique et qui disait du tonnerre : Voilà le prince sauvage qui vient. Il égorgea son père parce que celui-ci ne lui ressemblait pas. Il n'y a pas lieu de penser qu'il ait été damné car il croyait aux sorciers. Il faut protester contre l'expression "Paradis artificiels". C'est un pléonasme. C'est rue Lafayette, au 120, Qu'à l'assaut des patrons résiste Le vaillant Parti Communiste Qui défend ton père et ton pain. Pour faire oublier la Commune, Le Sacré-Coeur a vu le jour. Un beau soir, il aura son tour, Ce gâteau blanc comme la lune! . . . . . . . . . . . . . . . Tournez vos yeux vers la Russie, Pionniers, plus qu'à saute-mouton Préparez au jeu du bâton L'avenir de la bourgeoisie. Les trois couleurs à la voirie! Le drapeau rouge est le meilleur! Leur France, Jeune Travailleur, N'est aucunement ta patrie. C'est le printemps de notre classe dont la fête est au premier Mai Si je meurs qu'on me brûle et passe car c'est la flamme que j'aimais Mort je n'ai nul besoin de larmes Prends notre enfant et mon fusil Si retentit l'appel aux armes Camarade femme vas-y Marioles marioles Où donc avez-vous vécu Pour donner ainsi manège Et frapper le sol du cul ô faiseur de cabrioles Je suis rentré dans la maison comme un voleur Déjà tu partageais le lourd repos des fleurs J'ai retiré mes vêtements tombés à terre J'ai dit pour un moment à mon coeur de se taire Je ne me voyais plus j'avais perdu mon âge Nu dans ce monde noir sans regard sans image Dépouillé de moi-même allégé de mes jours N'ayant plus souvenir que de toi mon amour au fond de la nuit Mon secret frémissait qu'aveuglement je touche Mémoire de mes mains mémoire de ma bouche Long parfum retrouvé de cette vie ensemble Et comme aux premiers temps qu'à respirer je tremble Te voilà ma jacinthe entre mes bras captive Qui bouge doucement dans le lit quand j'arrive Comme si tu faisais dans ton rêve ma place Dans ce paysage où Dieu sait ce qui se passe au fond de la nuit Où c'est par passe-droit qu'à tes côté je veille Et j'ai peur de tomber de toi dans le sommeil Comme la preuve d'être embrumant le miroir Si fragile bonheur qu'à peine on y peut croire J'ai peur de ton silence et pourtant tu respires Contre moi je te tiens imaginaire empire Je suis auprès de toi le guetteur qui se trouble A chaque pas qu'il fait de l'écho qui le double au fond de la nuit Je suis auprès de toi le guetteur sur les murs Qui souffre d'une feuille et se meurt d'un murmure au fond de la nuit Je vis pour cette plainte à l'heure ou tu reposes Je vis pour cette crainte en moi de toute chose au fond de la nuit Va dire ô mon gazel à ceux du jour futur Qu'ici le nom d'Elsa seul est ma signature au fond de la nuit Que ton poème soit dans les lieux sans amour Où l'on trime où l'on saigne où l'on crève de froid Comme un air murmuré qui rend les pieds moins lourds Un café noir au point du jour Un ami rencontré sur le chemin de croix Pour qui chanter vraiment en vaudrait-il la peine Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves souvent Et dont le souvenir est comme un bruit de chaîne La nuit s'éveillant dans tes veines Et qui parle à ton coeur comme au voilier le vent Source: http://www.poesies.net