Guillaume Apollinaire (1880-1918) Autres Poèmes TABLE DES MATIERES Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée Le chat Le lion Le lièvre Le lapin La souris L'éléphant La mouche Le poulpe La méduse Le hibou Vitam impendere amori Calligrammes Ondes Liens Les fenêtres Arbre À travers l'Europe Étendards À Nîmes Ombre C'est Lou qu'on la nommait Case d'Armons Reconnaissance Guerre Mutation 14 juin 1915 De la batterie de tir Les soupirs du servant de Dakar Toujours Fête Les saisons La nuit d'avril 1915 Lueurs des tirs La grâce exilée Refus de la colombe Les feux du bivouac Les Grenadines repentantes L'adieu du cavalier Le palais du tonnerre Photographie Dans l'abri-caverne Fusée Désir Chant de l'horizon en Champagne Océan de terre Obus couleur de lune Merveille de la guerre Exercice À l'Italie Il y a L'espionne Simultanéités La tête étoilée Le départ Le vigneron champenois Carte postale L'avenir Un oiseau chante Chevaux de frise Chant de l'honneur Le poète La tranchée Les balles Le poète La France Chef de section Tristesse d'une étoile La victoire La jolie rousse Il y a La cueillette Aquarelliste La force du miroir Le trésor Allons plus vite Poèmes à Lou Ombre de mon amour Si je mourais là-bas... La nuit descend Ô naturel désir... Les attentives C'est Oriande Le guetteur mélancolique Stavelot Au prolétaire Rhénanes Un soir d'été Poèmes divers Poèmes à Madeleine Le... Poème secret Paris Poèmes à la marraine La fuite Enfance Veille Rencontre Inscription pour le tombeau du peintre Henri Rousseau douanier Le repas Acousmate Souvenir des Flandres Lecture Les Doukhobors Nocturne Les poètes L'assassin Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée À Élémir Bourges Le chat Je souhaite dans ma maison : Une femme ayant sa raison, Un chat passant parmi les livres, Des amis en toute saison Sans lesquels je ne peux pas vivre. Le lion Ô lion, malheureuse image Des rois chus lamentablement, Tu ne nais maintenant qu'en cage À Hambourg, chez les Allemands. Le lièvre Ne sois pas lascif et peureux Comme le lièvre et l'amoureux. Mais que toujours ton cerveau soit La hase pleine qui conçoit. Le lapin Je connais un autre connin Que tout vivant je voudrais prendre. Sa garenne est parmi le thym Des vallons du pays de Tendre. La souris Belles journées, souris du temps, Vous rongez peu à peu ma vie. Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans Et mal vécus, à mon envie. L'éléphant Comme un éléphant son ivoire, J'ai en bouche un bien précieux. Pourpre mort !... J'achète ma gloire Au prix des mots mélodieux. La mouche Nos mouches savent des chansons Que leur apprirent en Norvège Les mouches ganiques qui sont Les divinités de la neige. Le poulpe Jetant son encre vers les cieux, Suçant le sang de ce qu'il aime Et le trouvant délicieux, Ce monstre inhumain, c'est moi-même. La méduse Méduse, malheureuses têtes Aux chevelures violettes Vous vous plaisez dans les tempêtes, Et je m'y plais comme vous faites. Le hibou Mon pauvre coeur est un hibou Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue. De sang, d'ardeur, il est à bout. Tous ceux qui m'aiment, je les loue. Vitam impendere amori Dans le crépuscule fané Où plusieurs amours se bousculent Ton souvenir gît enchaîné Loin de nos ombres qui reculent Ô mains qu'enchaîne la mémoire Et brûlantes comme un bûcher Où le dernier des phénix noire Perfection vient se jucher La chaîne s'use maille à maille Ton souvenir riant de nous S'enfuir l'entends-tu qui nous raille Et je retombe à tes genoux LE soir tombe et dans le jardin Elles racontent des histoires À la nuit qui non sans dédain Répand leurs chevelures noires Petits enfants petits enfants Vos ailes se sont envolées Mais rose toi qui te défends Perds tes odeurs inégalées Car voici l'heure du larcin De plumes de fleurs et de tresses Cueillez le jet d'eau du bassin Dont les roses sont les maîtresses Ô MA jeunesse abandonnée Comme une guirlande fanée Voici que s'en vient la saison Et des dédains et du soupçon Le paysage est fait de toiles Il coule un faux fleuve de sang Et sous l'arbre fleuri d'étoiles Un clown est l'unique passant Un froid rayon poudroie et joue Sur les décors et sur ta joue Un coup de revolver un cri Dans l'ombre un portrait a souri La vitre du cadre est brisée Un air qu'on ne peut définir Hésite entre son et pensée Entre avenir et souvenir Ô ma jeunesse abandonnée Comme une guirlande fanée Voici que s'en vient la saison Des regrets et de la raison Calligrammes Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916) À la mémoire du plus ancien de mes camarades René Dalize mort au Champ d'Honneur le 7 mai 1917 Ondes Liens Cordes faites de cris Sons de cloches à travers l'Europe Siècles pendus Rails qui ligotez les nations Nous ne sommes que deux ou trois hommes Libres de tous liens Donnons-nous la main Violente pluie qui peigne les fumées Cordes Cordes tissées Câbles sous-marins Tours de Babel changées en ponts Araignées-Pontifes Tous les amoureux qu'un seul lien a liés D'autres liens plus ténus Blancs rayons de lumière Cordes et Concorde J'écris seulement pour vous exalter Ô sens ô sens chéris Ennemis du souvenir Ennemis du désir Ennemis du regret Ennemis des larmes Ennemis de tout ce que j'aime encore Les fenêtres Du rouge au vert tout le jaune se meurt Quand chantent les aras dans les forêts natales Abatis de pihis Il y a un poème à faire sur l'oiseau qui n'a qu'une aile Nous l'enverrons en message téléphonique Traumatisme géant Il fait couler les yeux Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche Tu soulèveras le rideau Et maintenant voilà que s'ouvre la fenêtre Araignées quand les mains tissaient la lumière Beauté pâleur insondables violets Nous tenterons en vain de prendre du repos On commencera à minuit Quand on a le temps on a la liberté Bigorneaux Lotte multiples Soleils et l'Oursin du couchant Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre Tours Les Tours ce sont les rues Puits Puits ce sont les places Puits Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes Les Chabins chantent des airs à mourir Aux Chabins marronnes Et l'oie oua-oua trompette au nord Où les chasseurs de ratons Raclent les pelleteries Étincelant diamant Vancouver Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l'hiver Ô Paris Du rouge au vert tout le jaune se meurt Paris Vancouver Hyères Maintenon New-York et les Antilles La fenêtre s'ouvre comme une orange Le beau fruit de la lumière Arbre À Frédéric Boutet. Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s'en sont-ils allés La seule feuille que j'aie cueillie s'est changée en plusieurs mirages Ne m'abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s'est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon Je n'ai pas oublié le son de la clochette d'un marchand de coco d'autrefois J'entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promènera avec toi en Europe Tout en restant en Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l'étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d'une pauvre ville au fond de l'est Un douanier se tenait là comme un ange À la porte d'un misérable paradis Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d'attente des premières Engoulevent Blaireau Et la Taupe-Ariane Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver armé Tu t'es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intelligence car voilà ce que c'est qu'une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame-Abonde dans un tramway la nuit au fond d'un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l'ascenseur s'arrêtait à chaque étage Entre les pierres Entre les vêtements multicolores de la vitrine Entre les charbons ardents du marchand de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande Ce beau nègre en acier La plus grande tristesse C'est quand tu reçus une carte postale de La Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caroubiers Tout est plus triste qu'autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L'univers se plaint par ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois À travers l'Europe À M. Ch. Rotsoge Ton visage écarlate ton biplan transformable en hydroplan Ta maison ronde où il nage un hareng saur II me faut la clef des paupières Heureusement que nous avons vu M. Panado Et nous sommes tranquilles de ce côté- là Qu'est-ce que tu vois mon vieux M. D... 90 ou 324 un homme en l'air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J'ai cherché longtemps sur les routes Tant d'yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Chè vuoi Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m'a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m'en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse Il n'y en a plus tu n'as plus ton petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas La veilleuse est consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d'or près des sandales Au soleil se sont allumés Mais tes cheveux sont le trolley À travers l'Europe vêtue de petits feux multicolores Étendards À Nîmes À Émile Léonard. Je me suis engagé sous le plus beau des cieux Dans Nice la Marine au nom victorieux Perdu parmi 900 conducteurs anonymes Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes L'Amour dit Reste ici Mais là-bas les obus Épousent ardemment et sans cesse les buts J'attends que le printemps commande que s'en aille Vers le nord glorieux l'intrépide bleusaille Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons Un bel après-midi de garde à l'écurie J'entends sonner les trompettes d'artillerie J'admire la gaieté de ce détachement Qui va rejoindre au front notre beau régiment Le territorial se mange une salade À l'anchois en parlant de sa femme malade 4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures Un grand air d'opéra toi l'écoutant tu pleures Je flatte de la main le petit canon gris Gris comme l'eau de Seine et je songe à Paris Mais ce pâle blessé m'a dit à la cantine Des obus dans la nuit la splendeur argentine Je mâche lentement ma portion de boeuf Je me promène seul le soir de 5 à 9 Je selle mon cheval nous battons la campagne Je te salue au loin belle rose ô tour Magne Ombre Vous voilà de nouveau près de moi Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre L'olive du temps Souvenirs qui n'en faites plus qu'un Comme cent fourrures ne font qu'un manteau Comme ces milliers de blessures ne font qu'un article de journal Apparence impalpable et sombre qui avez pris La forme changeante de mon ombre Un Indien à l'affût pendant l'éternité Ombre vous rampez près de moi Mais vous ne m'entendez plus Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante Tandis que moi je vous entends je vous vois encore Destinées Ombre multiple que le soleil vous garde Vous qui m'aimez assez pour ne jamais me quitter Et qui dansez au soleil sans faire de poussière Ombre encre du soleil Écriture de ma lumière Caisson de regrets Un dieu qui s'humilie C'est Lou qu'on la nommait Il est des loups de toute sorte Je connais le plus inhumain Mon coeur que le diable l'emporte Et qu'il le dépose à sa porte N'est plus qu'un jouet dans sa main Les loups jadis étaient fidèles Comme sont les petits toutous Et les soldats amants des belles Galamment en souvenir d'elles Ainsi que les loups étaient doux Mais aujourd'hui les temps sont pires Les loups sont tigres devenus Et les Soldats et les Empires Les Césars devenus Vampires Sont aussi cruels que Vénus J'en ai pris mon parti Rouveyre Et monté sur mon grand cheval Je vais bientôt partir en guerre Sans pitié chaste et l'oeil sévère Comme ces guerriers qu'Épinal Vendait Images populaires Que Georgin gravait dans le bois Où sont-ils ces beaux militaires Soldats passés Où sont les guerres Où sont les guerres d'autrefois Case d'Armons Reconnaissance Guerre Mutation 14 juin 1915 De la batterie de tir Les soupirs du servant de Dakar Toujours Fête Les saisons La nuit d'avril 1915 Reconnaissance À Mademoiselle P... Un seul bouleau crépusculaire Pâlit au seuil de l'horizon Où fuir la mesure angulaire Du coeur à l'âme et la raison Le galop bleu des souvenances Traverse les lilas des yeux Et les canons des indolences Tirent mes songes vers Les Cieux Guerre Rameau central de combat Contact par l'écoute On tire dans la direction " des bruits entendus " Les jeunes de la classe 1915 Et ces fils de fer électrisés Ne pleurez donc pas sur les horreurs de la guerre Avant elle nous n'avions que la surface De la terre et des mers Après elle nous aurons les abîmes Le sous-sol et l'espace aviatique Maîtres du timon Après après Nous prendrons toutes les joies Des vainqueurs qui se délassent Femmes Jeux Usines Commerce Industrie Agriculture Métal Feu Cristal Vitesse Voix Regard Tact à part Et ensemble dans le tact venu de loin De plus loin encore De l'Au-delà de cette terre Mutation Une femme qui pleurait Eh ! Oh ! Ha ! Des soldats qui passaient Eh ! Oh ! Ha ! Un éclusier qui pêchait Eh ! Oh ! Ha ! Les tranchées qui blanchissaient Eh ! Oh ! Ha ! Des obus qui pétaient Eh ! Oh ! Ha ! Des allumettes qui ne prenaient pas Et tout A tant changé En moi Tout Sauf mon Amour Eh ! Oh ! Ha ! 14 juin 1915 On ne peut rien dire Rien de ce qui se passe Mais on change de Secteur Ah ! voyageur égaré Pas de lettres Mais l'espoir Mais un journal Le glaive antique de la Marseillaise de Rude S'est changé en constellation Il combat pour nous au ciel Mais cela signifie surtout Qu'il faut être de ce temps Pas de glaive antique Pas de Glaive Mais l'Espoir De la batterie de tir Au maréchal des logis F. Bodard. Nous sommes ton collier France Venus des Atlantides ou bien des Négrities Des Eldorados ou bien des Cimméries Rivière d'hommes forts et d'obus dont l'orient chatoie Diamants qui éclosent la nuit Ô Roses ô France Nous nous pâmons de volupté À ton cou penché vers l'Est Nous sommes l'Arc-en-terre Signe plus pur que l'Arc-en-Ciel Signe de nos origines profondes Étincelles Ô nous les très belles couleurs Les soupirs du servant de Dakar C'est dans la cagnat en rondins voilés d'osier Auprès des canons gris tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l'on dansait où l'on chantait où l'on faisait l'amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis Au service des Anglais Je revois ma soeur au rire en folie Aux seins durs comme des obus Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l'arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d'un marécage Ô pâleur de mon ennemi C'était une tête d'argent Et dans le marais C'était la lune qui luisait C'était donc une tête d'argent Là-haut c'était la lune qui dansait C'était donc une tête d'argent Et moi dans l'antre j'étais invisible C'était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes Pâleurs Et ma soeur Suivit plus tard un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l'évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma soeur C'était dans une petite cabane Moins sauvage que notre cagnat de canonniers-servants J'ai connu l'affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J'ai connu l'horreur de l'ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J'ai porté l'administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m'a donné vingt ans Je suis soldat français on m'a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu'être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête métallique Je me souviens d'un lac affreux Et de couples enchaînés par un atroce amour Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Comme cette nuit-ci Où tant d'affreux regards Éclatent dans le ciel splendide Toujours À Madame Faure-Favier. Toujours Nous irons plus loin sans avancer jamais Et de planète en planète De nébuleuse en nébuleuse Le don Juan des mille et trois comètes Même sans bouger de la terre Cherche les forces neuves Et prend au sérieux les fantômes Et tant d'univers s'oublient Quels sont les grands oublieurs Qui donc saura nous faire oublier telle ou telle partie du monde Où est le Christophe Colomb à qui l'on devra l'oubli d'un continent Perdre Mais perdre vraiment Pour laisser place à la trouvaille Perdre La vie pour trouver la Victoire Fête À André Rouveyre. Feu d'artifice en acier Qu'il est charmant cet éclairage Artifice d'artificier Mêler quelque grâce au courage Deux fusants Rose éclatement Comme deux seins que l'on dégrafe Tendent leurs bouts insolemment IL SUT AIMER Quelle épitaphe Un poète dans la forêt Regarde avec indifférence Son revolver au cran d'arrêt Des roses mourir d'espérance Il songe aux roses de Saadi Et soudain sa tête se penche Car une rose lui redit La molle courbe d'une hanche L'air est plein d'un terrible alcool Filtré des étoiles mi-closes Les obus caressent le mol Parfum nocturne où tu reposes Mortification des roses Les saisons C'était un temps béni nous étions sur les plages Va-t'en de bon matin pieds nus et sans chapeau Et vite comme va la langue d'un crapaud L'amour blessait au coeur les fous comme les sages As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était artiflot À la guerre C'était un temps béni Le temps du vaguemestre On est bien plus serré que dans les autobus Et des astres passaient que singeaient les obus Quand dans la nuit survint la batterie équestre As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était artiflot À la guerre C'était un temps béni Jours vagues et nuits vagues Les marmites donnaient aux rondins des cagnats Quelque aluminium où tu t'ingénias À limer jusqu'au soir d'invraisemblables bagues As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était artiflot À la guerre C'était un temps béni La guerre continue Les Servants ont limé la bague au long des mois Le Conducteur écoute abrité dans les bois La chanson que répète une étoile inconnue As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu'il était artiflot À la guerre La nuit d'avril 1915 À L. de C.C. Le ciel est étoilé par les obus des Boches La forêt merveilleuse où je vis donne un bal La mitrailleuse joue un air à triples-croches Mais avez-vous le mot Eh ! oui le mot fatal Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons Coeur obus éclaté tu sifflais ta romance Et tes mille soleils ont vidé les caissons Que les dieux de mes yeux remplissent en silence Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons Les obus miaulaient un amour à mourir Un amour qui se meurt est plus doux que les autres Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir Les obus miaulaient. Entends chanter les nôtres Pourpre amour salué par ceux qui vont périr Le printemps tout mouillé la veilleuse l'attaque Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque Couche-toi sur la paille et songe un beau remords Qui pur effet de l'art soit aphrodisiaque Mais orgues aux fétus de la paille où tu dors L'hymne de l'avenir est paradisiaque Lueurs des tirs La grâce exilée Va-t'en, va-t'en mon arc-en-ciel Allez-vous-en couleurs charmantes Cet exil t'est essentiel Infante aux écharpes changeantes Et l'arc-en-ciel est exilé Puisqu'on exile qui l'irise Mais un drapeau s'est envolé Prendre ta place au vent de bise Refus de la colombe Mensonge de l'Annonciade La Noël fut la Passion Et qu'elle était charmante et sade Cette renonciation Si la colombe poignardée Saigne encore de ses refus J'en plume les ailes l'idée Et le poème que tu fus Les feux du bivouac Les feux mouvants du bivouac Éclairent des formes de rêve Et le songe dans l'entrelacs Des branches lentement s'élève Voici les dédains du regret Tout écorché comme une fraise Le souvenir et le secret Dont il ne reste que la braise Les Grenadines repentantes En est-il donc deux dans Grenade Qui pleurent sur ton seul péché Ici l'on jette la grenade Qui se change en un oeuf coché Puisqu'il en naît des cops Infante Entends-les chanter leurs dédains Et que la grenade est touchante Dans nos effroyables jardins L'adieu du cavalier Ah Dieu ! que la guerre est jolie Avec ses chants ses longs loisirs Cette bague je l'ai polie Le vent se mêle à vos soupirs Adieu ! voici le boute-selle Il disparut dans un tournant Et mourut là-bas tandis qu'elle Riait au destin surprenant Le palais du tonnerre Par l'issue ouverte sur le boyau dans la craie En regardant la paroi adverse qui semble en nougat On voit à gauche et à droite fuir l'humide couloir désert Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires qui servent à l'attacher sous les caissons Un rat y recule en hâte tandis que j'avance en hâte Et le boyau s'en va couronné de craie semé de branches Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites Mais en deçà de l'issue c'est le palais bien nouveau et qui paraît ancien Le plafond est fait de traverses de chemin de fer Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d'aiguilles de sapin Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse À côté de l'issue que ferme un tissu lâche d'une espèce qui sert généralement aux emballages Il y a un trou qui tient lieu d'âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l'âme Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu'il dévore et fugitif Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches Ils forment aussi des crochets et l'on y suspend mille choses Comme on fait à la mémoire Des musettes bleues des casques bleus des cravates bleues des vareuses bleues Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs Et il flotte parfois en l'air de vagues nuages de craie Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée Noirs blancs rouges Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine Ornée de six lits placés en fer à cheval Six lits couverts de riches manteaux bleus Sur le palais il y a un haut tumulus de craie Et des plaques de tôle ondulée Fleuve figé de ce domaine idéal Mais privé d'eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais Le palais s'éclaire parfois d'une bougie à la flamme aussi petite qu'une souris Ô palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d'une lunette Petit palais où tout s'assourdit Petit palais où tout est neuf rien rien d'ancien Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse Un journal du jour traîne par terre Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure Si bien qu'on comprend que l'amour de l'antique Le goût de l'anticaille Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes Tout y était si précieux et si neuf Tout y est si précieux et si neuf Qu'une chose plus ancienne ou qui a déjà servi y apparaît Plus précieuse Que ce qu'on a sous la main Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve Et deux marches neuves Elles n'ont pas deux semaines Sont si vieilles et si usées dans ce palais qui semble antique sans imiter l'antique Qu'on voit que ce qu'il y a de plus simple de plus neuf est ce qui est Le plus près de ce que l'on appelle la beauté antique Et ce qui est surchargé d'ornements A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu'on appelle antique Et qui est la noblesse la force l'ardeur l'âme l'usure De ce qui est neuf et qui sert Surtout si cela est simple simple Aussi simple que le petit palais du tonnerre Photographie TON sourire m'attire comme Pourrait m'attirer une fleur Photographie tu es le champignon brun De la forêt Qu'est sa beauté Les blancs y sont Un clair de lune Dans un jardin pacifique Plein d'eaux vives et de jardiniers endiablés Photographie tu es la fumée de l'ardeur Qu'est sa beauté Et il y a en toi Photographie Des tons alanguis On y entend Une mélopée Photographie tu es l'ombre Du Soleil Qu'est sa beauté Dans l'abri-caverne Je me jette vers toi et il me semble aussi que tu te jettes vers moi Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir En face de moi la paroi de craie s'effrite Il y a des cassures De longues traces d'outils traces lisses et qui semblent être faites dans de la stéarine Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce Moi j'ai ce soir une âme qui s'est creusée qui est vide On dirait qu'on y tombe sans cesse et sans trouver de fond Et qu'il n'y a rien pour se raccrocher Ce qui y tombe et qui y vit c'est une sorte d'êtres laids qui me font mal et qui viennent de je ne sais où Oui je crois qu'ils viennent de la vie d'une sorte de vie qui est dans l'avenir dans l'avenir brut qu'on n'a pu encore cultiver ou élever ou humaniser Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire C'est aujourd'hui c'est ce soir et non toujours Heureusement que ce n'est que ce soir Les autres jours je me rattache à toi Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs En imaginant ta beauté Pour l'élever au-dessus de l'univers extasié Puis je pense que je l'imagine en vain Je ne la connais par aucun sens Ni même par les mots Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain Existes-tu mon amour Ou n'es-tu qu'une entité que j'ai créée sans le vouloir Pour peupler la solitude Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s'ennuyer Je t'adore ô ma déesse exquise même si tu n'es que dans mon imagination Fusée La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor Ma pensée te rejoint et la tienne la croise Tes seins sont les seuls obus que j'aime Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit En voyant la large croupe de mon cheval j'ai pensé à tes hanches Voici les fantassins qui s'en vont à l'arrière en lisant un journal Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa gueule Un chat-huant ailes fauves yeux ternes gueule de petit chat et pattes de chat Une souris verte file parmi la mousse Le riz a brûlé dans la marmite de campement Ça signifie qu'il faut prendre garde à bien des choses Le mégaphone crie Allongez le tir Allongez le tir amour de vos batteries Balance des batteries lourdes cymbales Qu'agitent les chérubins fous d'amour En l'honneur du Dieu des Armées Un arbre dépouillé sur une butte Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée Ô vieux monde du XIXe siècle plein de hautes cheminées si belles et si pures Virilités du siècle où nous sommes Ô canons Douilles éclatantes des obus de 75 Carillonnez pieusement Désir Mon désir est la région qui est devant moi Derrière les lignes boches Mon désir est aussi derrière moi Après la zone des armées Mon désir c'est la butte du Mesnil Mon désir est là sur quoi je tire De mon désir qui est au-delà de la zone des armées Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense Butte du Mesnil je t'imagine en vain Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d'eux Trop enfoncés sous terre déjà enterrés Ca ta clac des coups qui meurent en s'éloignant En y veillant tard dans la nuit Le Decauville qui toussote La tôle ondulée sous la pluie Et sous la pluie ma bourguignotte Entends la terre véhémente Vois les lueurs avant d'entendre les coups Et tel obus siffler de la démence Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût Je désire Te serrer dans ma main Main de Massiges Si décharnée sur la carte Le boyau Goethe où j'ai tiré J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche Décidément je ne respecte aucune gloire Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par moments Nuits des hommes seulement Nuit du 24 septembre Demain l'assaut Nuit violente ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute Nuit qui criait comme une femme qui accouche Nuit des hommes seulement Chant de l'horizon en Champagne À M. Joseph Granié. Voici le tétin rose de l'euphorbe verruquée Voici le nez des soldats invisibles Moi l'horizon invisible je chante Que les civils et les femmes écoutent ces chansons Et voici d'abord la cantilène du brancardier blessé Le sol est blanc la nuit l'azure Saigne la crucifixion Tandis que saigne la blessure Du soldat de Promission Un chien jappait l'obus miaule La lueur muette a jailli À savoir si la guerre est drôle Les masques n'ont pas tressailli Mais quel fou rire sous le masque Blancheur éternelle d'ici Où la colombe porte un casque Et l'acier s'envole aussi Je suis seul sur le champ de bataille Je suis la tranchée blanche le bois vert et roux L'obus miaule Je te tuerai Animez-vous fantassins à passepoil jaune Grands artilleurs roux comme des taupes Bleu-de-roi comme les golfes méditerranéens Veloutés de toutes les nuances du velours Ou mauves encore ou bleu-horizon comme les autres Ou déteints Venez le pot en tête Debout fusée éclairante Danse grenadier en agitant tes pommes de pin Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous Sculptez les profondeurs Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes Moi l'horizon je fais la roue comme un grand Paon Écoutez renaître les oracles qui avaient cessé Le grand Pan est ressuscité Champagne viril qui émoustille la Champagne Hommes faits jeunes gens Caméléon des autos-canons Et vous classe 16 Craquements des arrivées ou bien floraison blanche dans les cieux J'était content pourtant ça brûlait la paupière Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms oeil du Breton blessé couché sur la civière Et qui criait aux morts aux sapins aux canons Priez pour moi Bon Dieu je suis le pauvre Pierre Boyaux et rumeur du canon Sur cette mer aux blanches vagues Fou stoïque comme Zénon Pilote du coeur tu zigzagues Petites forêts de sapins La nichée attend la becquée Pointe-t-il des nez de lapins Comme l'euphorbe verruquée Ainsi que l'euphorbe d'ici Le soleil à peine boutonne Je l'adore comme un Parsi Ce tout petit soleil d'automne Un fantassin presque un enfant Bleu comme le jour qui s'écoule Beau comme mon coeur triomphant Disait en mettant sa cagoule Tandis que nous n'y sommes pas Que de filles deviennent belles Voici l'hiver et pas à pas Leur beauté s'éloignera d'elles Ô Lueurs soudaines des tirs Cette beauté que j'imagine Faute d'avoir des souvenirs Tire de vous son origine Car elle n'est rien que l'ardeur De la bataille violente Et de la terrible lueur Il s'est fait une muse ardente Il regarde longtemps l'horizon Couteaux tonneaux d'eaux Des lanternes allumées se sont croisées Moi l'horizon je combattrai pour la victoire Je suis l'invisible qui ne peut disparaître Je suis comme l'onde Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout Océan de terre À G. de Chirico. J'ai bâti une maison au milieu de l'Océan Ses fenêtres sont les fleuves qui s'écoulent de mes yeux Des poulpes grouillent partout où se tiennent les murailles Entendez battre leur triple coeur et leur bec cogner aux vitres Maison humide Maison ardente Saison rapide Saison qui chante Les avions pondent des oeufs Attention on va jeter l'ancre Attention à l'encre que l'on jette Il serait bon que vous vinssiez du ciel Le chèvrefeuille du ciel grimpe Les poulpes terrestres palpitent Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres fossoyeurs Pâles poulpes des vagues crayeuses ô poulpes aux becs pâles Autour de la maison il y a cet océan que tu connais Et qui ne se repose jamais Obus couleur de lune Merveille de la guerre Que c'est beau ces fusées qui illuminent la nuit Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et coeurs J'ai reconnu ton sourire et ta vivacité C'est aussi l'apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races Elles accouchent brusquement d'enfants qui n'ont que le temps de mourir Comme c'est beau toutes ces fusées Mais ce serait bien plus beau s'il y en avait plus encore S'il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d'un livre Pourtant c'est aussi beau que si la vie même sortait des mourants Mais ce serait plus beau encore s'il y en avait plus encore Cependant je les regarde comme une beauté qui s'offre et s'évanouit aussitôt Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno C'est un banquet que s'offre la terre Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale Qui aurait dit qu'on pût être à ce point anthropophage Et qu'il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain C'est pourquoi l'air a un petit goût empyreumatique qui n'est ma foi pas désagréable Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre Il n'avale que les âmes Ce qui est une façon de ne pas se nourrir Et se contente de jongler avec des feux versicolores Mais j'ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence J'ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout ou plutôt je commence à être partout C'est moi qui commence cette chose des siècles à venir Ce sera plus long à réaliser que non la fable d'Icare volant Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire Qui fut à la guerre et sut être partout Dans les villes heureuses de l'arrière Dans tout le reste de l'univers Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé Dans les femmes dans les canons dans les chevaux Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux Et dans l'unique ardeur de cette veillée d'armes Et ce serait sans doute bien plus beau Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout Pouvaient m'occuper aussi Mais dans ce sens il n'y a rien de fait Car si je suis partout à cette heure il n'y a cependant que moi qui suis en moi Exercice Vers un village de l'arrière S'en allaient quatre bombardiers Ils étaient couverts de poussière Depuis la tête jusqu'aux pieds Ils regardaient la vaste plaine En parlant entre eux du passé Et ne se retournaient qu'à peine Quand un obus avait toussé Tous quatre de la classe seize Parlaient d'antan non d'avenir Ainsi se prolongeait l'ascèse Qui les exerçait à mourir À l'Italie À Ardengo Soffici. L'amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zone des armées J'atteignais l'âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d'août 1915 le plus chaud de l'année Bien abrité dans l'hypogée que j'ai creusé moi-même C'est à toi que je songe Italie mère de mes pensées Et déjà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J'évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu'ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l'Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu'on fait pour la détruire Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES Nous l'armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n'est le miel et plus simples qu'un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos Italie Mais ne t'en fais pas nous t'aimons bien Italie mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu'un autre prendrait notre place Et que les Armées ne périront jamais Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C'est la guerre qui est longue Italie Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une soeur J'ai comme toi pour me réconforter Le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J'ai aussi comme toi l'envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n'ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l'excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu'ils sachent s'amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu'ils emploient Elle est au-delà de la vie confortable Et de ce qui est l'extérieur dans l'art et l'industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican La plaine est infinie et les tranchées sont blanches Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanés des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d'éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l'ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n'y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu'on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l'occasion faire preuve de l'esprit de sacrifice qu'on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté C'est la nuit je suis dans mon blockhaus éclairé par l'électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t'envoie mes amitiés Italie et m'apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j'imagine qu'il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j'aime à penser seul et que les Boches m'en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l'un et l'autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n'ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu'eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase Ce n'est pas pour l'ensemble que je le dis Mais pour chacun de toi Italie Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est la nôtre Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d'escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux Ô nuit ô nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimées Ô Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves Entre toi et nous Italie Il y a des patelins pleins de femmes Et près de coi m'attend celle que j'adore Ô Frères d'Italie Ondes nuages délétères Métalliques débris qui vous rouillez partout Ô frères d'Italie vos plumes sur la tête Italie Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras Et maintenant chantons ceux qui sont morts Ceux qui vivent Les officiers les soldats Les flingots Rosalie le canon la fusée l'hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques Chantons ceux qui sont morts Chantons la terre qui bâille d'ennui Chantons et rigolons Durant des années Italie Entends braire l'âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil Italie Chantons et rigolons Durant des années Il y a Il Y A un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne Il y a que je languis après une lettre qui tarde Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l'horizon dont il s'est indignement revêtu et avec quoi il se confond Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres Il y a des croix partout de-ci de-là Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie Il y a les longues mains souples de mon amour Il y a un encrier que j'avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu'on n'a pas laissé partir Il y a ma selle exposée à la pluie Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité L'espionne Pale espionne de l'Amour Ma mémoire à peine fidèle N'eut pour observer cette belle Forteresse qu'une heure un jour Tu te déguises À ta guise Mémoire espionne du coeur Tu ne retrouves plus l'exquise Ruse et le coeur seul est vainqueur Mais la vois-tu cette mémoire Les yeux bandés prête à mourir Elle affirme qu'on peut l'en croire Mon coeur vaincra sans coup férir Simultanéités Les canons tonnent dans la nuit On dirait des vagues tempête Des coeurs où pointe un grand ennui Ennui qui toujours se répète Il regarde venir là-bas Les prisonniers L'heure est si douce Dans ce grand bruit ouaté très bas Très bas qui grandit sans secousse Il tient son casque dans ses mains Pour saluer la souvenance Des lys des roses des jasmins Éclos dans les jardins de France Et sous la cagoule masqué Il pense à des cheveux si sombres Mais qui donc l'attend sur le quai Ô vaste mer aux mauves ombres Belles noix du vivant noyer La grand folie en vain vous gaule Brunette écoute gazouiller La mésange sur ton épaule Notre amour est une lueur Qu'un projecteur du coeur dirige Vers l'ardeur égale du coeur Qui sur le haut Phare s'érige Ô phare-fleur mes souvenirs Les cheveux noirs de Madeleine Les atroces lueurs des tirs Ajoutent leur clarté soudaine À tes beaux yeux ô Madeleine La tête étoilée Le départ Le vigneron champenois Carte postale L'avenir Un oiseau chante Chevaux de frise Chant de l'honneur Chef de section Tristesse d'une étoile La victoire La jolie rousse Le départ Et leurs visages étaient pâles Et leurs sanglots s'étaient brisés Comme la neige aux purs pétales Ou bien tes mains sur mes baisers Tombaient les feuilles automnales Le vigneron champenois Le régiment arrive Le village est presque endormi dans la lumière parfumée Un prêtre a le casque en tête La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie Les ceps de vigne comme l'hermine sur un écu Bonjour soldats Je les ai vus passer et repasser en courant Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne Échelonnés ainsi que sont les ceps de vigne J'envoie mes bouteilles partout comme les obus d'une charmante artillerie La nuit est blonde ô vin blond Un vigneron chantait courbé dans sa vigne Un vigneron sans bouche au fond de l'horizon Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante Un vigneron qui sait ce qu'est la guerre Un vigneron champenois qui est un artilleur C'est maintenant le soir et l'on joue à la mouche Puis les soldats s'en iront là-haut Où l'Artillerie débouche ses bouteilles crémantes Allons Adieu messieurs tâchez de revenir Mais nul ne sait ce qui peut advenir Carte postale Je t'écris de dessous la tente Tandis que meurt ce jour d'été Où floraison éblouissante Dans le ciel à peine bleuté Une canonnade éclatante Se fane avant d'avoir été L'avenir Soulevons la paille Regardons la neige Écrivons des lettres Attendons des ordres Fumons la pipe En songeant à l'amour Les gabions sont là Regardons la rose La fontaine n'a pas tari Pas plus que l'or de la paille ne s'est terni Regardons l'abeille Et ne songeons pas à l'avenir Regardons nos mains Qui sont la neige La rose et l'abeille Ainsi que l'avenir Un oiseau chante Un oiseau chante ne sais où C'est je crois ton âme qui veille Parmi tous les soldats d'un sou Et l'oiseau charme mon oreille Écoute il chante tendrement Je ne sais pas sur quelle branche Et partout il va me charmant Nuit et jour semaine et dimanche Mais que dire de cet oiseau Que dire des métamorphoses De l'âme en chant dans l'arbrisseau Du coeur en ciel du ciel en roses L'oiseau des soldats c'est l'amour Et mon amour c'est une fille La rose est moins parfaite et pour Moi seul l'oiseau bleu s'égosille Oiseau bleu comme le coeur bleu De mon amour au coeur céleste Ton chant si doux répète-le À la mitrailleuse funeste Qui chaque à l'horizon et puis Sont-ce les astres que l'on sème Ainsi vont les jours et les nuits Amour bleu comme est le coeur même Chevaux de frise Pendant le blanc et nocturne novembre Alors que les arbres déchiquetés par l'artillerie Vieillissaient encore sous la neige Et semblaient à peine des chevaux de frise Entourés de vagues de fils de fer Mon coeur renaissait comme un arbre au printemps Un arbre fruitier sur lequel s'épanouissent Les fleurs de l'amour Pendant le blanc et nocturne novembre Tandis que chantaient épouvantablement les obus Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient Leurs mortelles odeurs Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine La neige met de pâles fleurs sur les arbres Et toisonne d'hermine les chevaux de frise Que l'on voit partout Abandonnés et sinistres Chevaux muets Non chevaux barbes mais barbelés Et je les anime tout soudain En troupeau de jolis chevaux pies Qui vont vers toi comme de blanches vagues Sur la Méditerranée Et t'apportent mon amour Roselys ô panthère ô colombes étoile bleue Ô Madeleine Je t'aime avec délices Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches Si je pense à ta bouche les roses m'apparaissent Si je songe à tes seins le Paraclet descend Ô double colombe de ta poitrine Et vient délier ma langue de poète Pour te redire Je t'aime Ton visage est un bouquet de fleurs Aujourd'hui je te vois non Panthère Mais Toutefleur Et je te respire ô ma Toutefleur Tous les lys montent en toi comme des cantiques d'amour et d'allégresse Et ces chants qui s'envolent vers toi M'emportent à ton côté Dans ton bel Orient où les lys Se changent en palmiers qui de leurs belles mains Me font signe de venir La fusée s'épanouit fleur nocturne Quand il fait noir Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses De larmes heureuses que la joie fait couler Et je t'aime comme tu m'aimes Madeleine Chant de l'honneur Le poète Je me souviens ce soir de ce drame indien Le Chariot d'Enfant un voleur y survient Qui pense avant de faire un trou dans la muraille Quelle forme il convient de donner à l'entaille Afin que la beauté ne perde pas ses droits Même au moment d'un crime Et nous aurions je crois À l'instant de périr nous poètes nous hommes Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté N'est la plupart du temps que la simplicité Et combien j'en ai vu qui morts dans la tranchée Étaient restés debout et la tête penchée S'appuyant simplement contre le parapet J'en vis quatre une fois qu'un même obus frappait Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes Avec l'aspect penché de quatre tours pisanes Depuis dix jours au fond d'un couloir trop étroit Dans les éboulements et la boue et le froid Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture Anxieux nous gardons la route de Tahure J'ai plus que les trois coeurs des poulpes pour souffrir Vos coeurs sont tous en moi je sens chaque blessure Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir Cette nuit est si belle où la balle roucoule Tout un fleuve d'obus sur nos têtes s'écoule Parfois une fusée illumine la nuit C'est une fleur qui s'ouvre et puis s'évanouit La terre se lamente et comme une marée Monte le flot chantant dans mon abri de craie Séjour de l'insomnie incertaine maison De l'Alerte la Mort et la Démangeaison La tranchée Ô jeunes gens je m'offre à vous comme une épouse Mon amour est puissant j'aime jusqu'à la mort Tapie au fond du sol je vous guette jalouse Et mon corps n'est en tout qu'un long baiser qui mord Les balles De nos ruches d'acier sortons à tire-d'aile Abeilles le butin qui sanglant emmielle Les doux rayons d'un jour qui toujours renouvelle Provient de ce jardin exquis l'humanité Aux fleurs d'intelligence à parfum de beauté Le poète Le Christ n'est donc venu qu'en vain parmi les hommes Si des fleuves de sang limitent les royaumes Et même de l'Amour on sait la cruauté C'est pourquoi faut au moins penser à la Beauté Seule chose ici-bas qui jamais n'est mauvaise Elle porte cent noms dans la langue française Grâce Vertu Courage Honneur et ce n'est là Que la même Beauté La France Poète honore-là Souci de la Beauté non souci de la Gloire Mais la Perfection n'est-ce pas la Victoire Ô poètes des temps à venir ô chanteurs Je chante la beauté de toutes nos douleurs J'en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux Donner un sens sublime aux gestes glorieux Et fixer la grandeur de ces trépas pieux L'un qui détend son corps en jetant des grenades L'autre ardent à tirer nourrit les fusillades L'autre les bras ballants porte des seaux de vin Et le prêtre-soldat dit le secret divin J'interprète pour tous la douceur des trois notes Que lance un loriot canon quand tu sanglotes Qui donc saura jamais que de fois j'ai pleuré Ma génération sur ton trépas sacré Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude Chantez ce que je chante un chant pur le prélude Des chants sacrés que la beauté de notre temps Saura vous inspirer plus purs plus éclatants Que ceux que je m'efforce à moduler ce soir En l'honneur de l'Honneur la beauté du Devoir 17 décembre 1915 Chef de section Ma bouche aura des ardeurs de géhenne Ma bouche te sera un enfer de douceur et de séduction Les anges de ma bouche trôneront dans ton coeur Les soldats de ma bouche te prendront d'assaut Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté Ton âme s'agitera comme une région pendant un tremblement de terre Tes yeux seront alors chargés de tout l'amour qui s'est amassé dans les regards de l'humanité depuis qu'elle existe Ma bouche sera une armée contre toi une armée pleine de disparates Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses L'orchestre et les choeurs de ma bouche te diront mon amour Elle te le murmure de loin Tandis que les yeux fixés sur la montre j'attends la minute prescrite pour l'assaut Tristesse d'une étoile Une belle Minerve est l'enfant de ma tête Une étoile de sang me couronne à jamais La raison est au fond et le ciel est au faîte Du chef où dès longtemps Déesse tu t'armais C'est pourquoi de mes maux ce n'était pas le pire Ce trou presque mortel et qui s'est étoilé Mais le secret malheur qui nourrit mon délire Est bien plus grand qu'aucune âme ait jamais celé Et je porte avec moi cette ardente souffrance Comme le ver luisant tient son corps enflammé Comme au coeur du soldat il palpite la France Et comme au coeur du lys le pollen parfumé La victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t'appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude Les jours étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l'air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j'ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel Qu'il garde son hoquet On imagine difficilement À quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles À l'institut des jeunes aveugles on a demandé N'avez-vous point de jeune aveugle ailé Ô bouches l'homme est à la recherche d'un nouveau langage Auquel le grammairien d'aucune langue n'aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c'est vraiment par habitude et manque d'audace Qu'on les fait encore servir à la poésie Mais elles sont comme des malades sans volonté Ma foi les gens s'habitueraient vire au mutisme La mimique suffit bien au cinéma Mais entêtons-nous à parler Remuons la langue Lançons des postillons On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement Imitez le son de la toupie Laissez pétiller un son nasal et continu Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche À travers nos mémoires Nous n'aimons pas assez la joie De voir les belles choses neuves Ô mon amie hâte-toi Crains qu'un jour un train ne t'émeuve Plus Regarde-le plus vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l'ardente moquerie Ce rire se répand Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour Ô paroles Elles suivent dans la myrtaie L'Éros et l'Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité Écoutez la mer La mer gémir au loin et crier toute seule Ma voix fidèle comme l'ombre Veut être enfin l'ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l'ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c'est un Dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m'adoraient ensemble Quelle oasis de bras m'accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves Ô voix je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit des dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l'hydre de Lerne La rue où nagent mes deux mains Aux doigts subtils fouillant la ville S'en va mais qui sait si demain La rue devenait immobile Qui sait où serait mon chemin Songe que les chemins de fer Seront démodés et abandonnés dans peu de temps Regarde La victoire avant tout sera De bien voir au loin De tout voir De près Et que tout ait un nom nouveau La jolie rousse Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l'Artillerie et l'Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutte Je sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m'inquiéter aujourd'hui de cette guerre Entre nous et pour nous mes amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l'invention De l'ordre et de l'Aventure Vous dont la bouche est faite à l'image de celle de Dieu Bouche qui est l'ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez À ceux qui furent la perfection de l'ordre Nous qui quêtons partout l'aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et d'étranges domaines Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l'illimité et de l'avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l'été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps Ô soleil c'est le temps de la Raison ardente Et j'attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu'elle prend afin que je l'aime seulement Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant Elle a l'aspect charmant D'une adorable rousse Ses cheveux sont d'or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez riez de moi Hommes de partout surtout gens d'ici Car il y a tant de choses que je n'ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Il y a La cueillette Nous vînmes au jardin fleuri pour la cueillette. Belle, sais-tu combien de fleurs, de roses-thé, Roses pâles d'amour qui couronnent ta tête, S'effeuillent chaque été ? Leurs tiges vont plier au grand vent qui s'élève. Des pétales de rose ont chu dans le chemin. Ô Belle, cueille-les, puisque nos fleurs de rêve Se faneront demain ! Mets-les dans une coupe et toutes portes doses, Alanguis et cruels, songeant aux jours défunts, Nous verrons l'agonie amoureuse des roses Aux râles de parfums. Le grand jardin est défleuri, mon égoïste, Les papillons de jour vers d'autres fleurs ont fui, Et seuls dorénavant viendront au jardin triste Les papillons de nuit. Et les fleurs vont mourir dans la chambre profane. Nos roses tour à tour effeuillent leur douleur. Belle, sanglote un peu... Chaque fleur qui se fane, C'est un amour qui meurt ! Aquarelliste À Mademoiselle Yvonne M... Yvonne sérieuse au visage pâlot A pris du papier blanc et des couleurs à l'eau Puis rempli ses godets d'eau claire à la cuisine. Yvonnette aujourd'hui veut peindre. Elle imagine De quoi serait capable un peintre de sept ans. Ferait-elle un portrait ? Il faudrait trop de temps Et puis la ressemblance est un point difficile À saisir, il vaut mieux peindre de l'immobile Et parmi l'immobile inclus dans sa raison Yvonnette a fait choix d'une belle maison Et la peint toute une heure en enfant douce et sage. Derrière la maison s'étend un paysage Paisible comme un front pensif d'enfant heureux, Un paysage vert avec des monts ocreux. Or plus haut que le toit d'un rouge de blessure Monte un ciel de cinabre où nul jour ne s'azure. Quand j'étais tout petit aux cheveux longs rêvant, Quand je stellais le ciel de mes ballons d'enfant, Je peignais comme toi, ma mignonne Yvonnette, Des paysages verts avec la maisonnette, Mais au lieu d'un ciel triste et jamais azuré J'ai peint toujours le ciel très bleu comme le vrai. Ville presque morte, ô Cité Qui languis au soleil d'été, Toi dont le nom putride étonne, Tu symbolises la très Bonne, La très Douce, sans vanité, Qui n'a jamais compris personne, La toujours Belle qui se tait, L'Adorable que je couronne, La toute Ombreuse dolemment Comme une ville ombreuse et coite, La toute Brune jamais droite, Toujours penchée exquisement. J'ai vu ses lèvres d'anémone Mais point son Coeur, à la très Bonne. Je n'ai jamais vu Carcassonne. La force du miroir J'étais, indigne, un jour, en la chambre au lit blanc Où Linda dans la glace admirait sa figure Et j'emportai, grâce au miroir, en m'en allant, La première raison de devenir parjure. Linda fut non pareille avant, mais aujourd'hui Je sais bien qu'elle est double au moins, grâce à la glace ; Mon coeur par la raison où son amour l'induit Est parjure à présent pour la seconde face. Or, depuis ce jour-là, j'ai souvent comparé Dans la chambre où la glace accepte un pur mirage, La face de Linda, le visage miré, Mais mon coeur pour élire a manqué de courage. Si, parjure toujours, pour choisir j'ai douté, Ce n'est pas qu'au miroir la dame soit plus belle ; Je l'adore pourtant d'être en réalité Et parce qu'elle meurt quand veut sa soeur formelle. J'adore de Linda ce spécieux reflet Qui la simule toute et presque fabuleuse, Mais vivante vraiment, moderne comme elle est : La dame du miroir est si miraculeuse ! Et la glace où se fige un réel mouvement Reste froide malgré son détestable ouvrage. La force du miroir trompa plus d'un amant Qui crut aimer sa belle et n'aima qu'un mirage. Le trésor Jadis, jadis vivait m'amie Une princesse aux cheveux d'or, En quel pays ? Ne le sais mie. Jadis, jadis vivait m'amie La fée Yra, son ennemie, Qui changea la belle en trésor. Jadis, jadis vivait m'amie Une princesse aux cheveux d'or. En un trésor caché sous terre La fée, au temps bleu des lilas, Changea la belle de naguère En un trésor caché sous terre. La belle pleurait solitaire : Elle pleurait sans nul soulas En un trésor caché sous terre : C'était au temps bleu des lilas. De la mousse je suis la fée, Dit à la princesse une voix, Une voix très douce, étouffée, De la mousse je suis la fée, D'un bleu myosotis coiffée. Pauvrette ! En quel état vous vois ! De la mousse je suis la fée, Dit à la princesse une voix. Par un homme jeune et fidèle Seront sauvés vos yeux taris, Dit cette fée à voix d'oiselle Par un homme jeune et fidèle Qui vous désirera, ma belle, Et pour l'or n'aura que mépris, Par un homme jeune et fidèle Seront sauvés vos yeux taris. Cent ans attendit la princesse. Un jour quelqu'un passa par là, Chevalier de haute prouesse, - Cent ans l'attendit la princesse - Brave, invaincu, mais sans richesse, Qui prit tout l'or et s'en alla. Cent ans attendit la princesse. Un jour quelqu'un passa par là. La pauvre princesse invisible Fut mise en la bourse de cuir ; La pauvre princesse sensible, Adorable, mais invisible. Un brigand tua l'invincible, Prit la bourse et se mit à fuir. La pauvre princesse invisible Pleurait dans la bourse de cuir. Elle pleurait d'être en servage Et de ne pas pouvoir crier. Le grand vent du Nord faisait rage - Elle pleurait d'être en servage - Mais un homme vit le carnage, Vint et tua le meurtrier. Elle pleurait d'être en servage Et de ne pas pouvoir crier. Le sauveur, un pauvre poète, Dit : " Onc homme tel trésor eut ; Mais j'en fais fi ! Je suis très bête, Un sauveur, un pauvre poète ! J'aimerais mieux une fillette. " Alors la princesse apparut. Le sauveur, un pauvre poète, Dit : " Onc homme tel trésor eut ! " Et voilà l'histoire, m'amie, De la princesse aux cheveux d'or. Quel est son nom ? Ne le sais mie. Et voilà l'histoire, m'amie, De celle que son ennemie Changea jadis en un trésor. Et voilà l'histoire, m'amie, De la Princesse aux cheveux d'or. JE vis un soir la zézayante Et presque jamais souriante Et renversée, un soir, hiante, Pour quel ennui ? Vers quel soulas ? S'ennuyait-elle d'une gemme, D'une fleur bleue ou de l'angemme Ou plaçait-elle ceci : " J'aime ! " Trop au hasard des tombolas ! Et dans le soir qui tout nous souille Le fauteuil qui d'ombre se brouille Avait des formes de grenouille Près du lit, tel un tombeau bas. Ainsi bayèrent par le monde Viviane auprès de l'immonde Et dans son palais Rosemonde Qui fut moins belle que Linda. Et moi qui tiens en ma cervelle La vérité plus que nouvelle Et que, plaise à Dieu, je révèle De l'enchanteur qui la farda Du sens des énigmes sereines, Moi, qui sais des lais pour les reines Et des chansons pour les sirènes, Ce bayement long m'éluda. Car au coeur proche et que je craigne Ce coeur que l'ennui tendre étreigne. Au coeur l'ennui c'est l'interrègne À ne pas être l'interroi. Ses mains alors s'épanouirent Comme des fleurs de soir et luirent, Ses yeux dont soudain s'éblouirent Les dormantes glaces d'effroi De voir bayer leur sombre dame, Princesse ou fée ou simple femme Ayant avec la mort dans l'âme La grenouille pour tout arroi. Lorsque vous partirez, je ne vous dirai rien, Mais après tout l'été, quand reviendra l'automne, Si vous n'êtes pas là, zézayante, ô Madone, J'irai gémir à votre porte comme un chien. Lorsque vous partirez, je ne vous dirai rien. Et tout me parlera de vous pendant l'absence : Des joyaux vus chez les orfèvres transmueront Leurs gemmes en mauvais prestiges qui seront Vos ongles et vos dents comme en réminiscence Et tout me parlera de vous pendant l'absence. Et, chaque nuit sans lune attestant vos cheveux, Je verrai votre ennui dans chaque nuit lunaire ; Mais puisque vous partez l'on me soit débonnaire Et fixe mon étoile et l'astre que je veux Dans chaque nuit sans lune attestant vos cheveux. Quand l'automne viendra, le bruit des feuilles sèches Sera de votre robe un peu le bruissement. Pour moi, vous sentant proche, en un pressentiment, La feuille chue aura le parfum des fleurs fraîches, Quand l'automne viendra hanté de feuilles sèches. Madone au Nonchaloir, lorsque vous partirez, Tout parlera de vous, même la feuille morte, Sauf vous qui femme et mobile comme la porte Avant le premier soir de danse m'oublierez, Madone au Nonchaloir, lorsque vous partirez. Allons plus vite Et le soir vient et les lys meurent Regarde ma douleur beau ciel qui me l'envoies Une nuit de mélancolie Enfant souris ô soeur écoute Pauvres marchez sur la grand-route Ô menteuse forêt qui surgis à ma voix Les flammes qui brûlent les âmes Sur le boulevard de Grenelle Les ouvriers et les patrons Arbres de mai cette dentelle Ne fais donc pas le fanfaron Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite Tous les poteaux télégraphiques Viennent là-bas le long du quai Sur son sein notre République A mis ce bouquet de muguet Qui poussait dru le long du quai Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite La bouche en coeur Pauline honteuse Les ouvriers et les patrons Oui-dà oui-dà belle endormeuse Ton frère Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite Poèmes à Lou Ombre de mon amour Si je mourais là-bas... Si je mourais là-bas sur le front de l'armée Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt Un obus éclatant sur le front de l'armée Un bel obus semblable aux mimosas en fleur Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace Couvrirait de mon sang le monde tout entier La mer les monts les vals et l'étoile qui passe Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace Comme font les fruits d'or autour de Baratier Souvenir oublié vivant dans toutes choses Je rougirais le bout de tes jolis seins roses Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants Le fatal giclement de mon sang sur le monde Donnerait au soleil plus de vive clarté Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde Un amour inouï descendrait sur le monde L'amant serait plus fort dans ton corps écarté Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie - Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur - Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur Et sois la plus heureuse étant la plus jolie Ô mon unique amour et ma grande folie 30 janv. 1915, Nîmes. La nuit descend La nuit descend On y pressent Un long destin de sang Ô naturel désir... Ô naturel désir pour l'homme être roi On est revêtu de la carte de son royaume Les fleuves sont des épingles d'acier semblables à tes veines où roule l'onde trompeuse de tes yeux Le cratère d'un volcan qui sommeille mais n'est pas éteint C'est ton sexe brun et plissé comme une rose sèche Et les pieds dans la mer je fornique un golfe heureux C'est ainsi que je l'aime la liberté Et je veux qu'elle seule soit la loi des autres Mais je suis l'ennemi des autres libertés Les attentives Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées C'est un petit soldat dont l'oeil indolemment Observe tout le jour aux créneaux de ciment Les Gloires qui de nuit y furent accrochées Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées C'est un petit soldat mon frère et mon amant Et puisqu'il doit mourir je veux me faire belle Je veux de mes seins nus allumer les flambeaux Je veux de mes grands yeux fondre l'étang qui gèle Et mes hanches je veux qu'elles soient des tombeaux Car puisqu'il doit mourir je veux me faire belle Dans l'inceste et la mort ces deux gestes si beaux Les vaches du couchant meuglent toutes leurs roses L'Aile de l'oiseau bleu m'évente doucement C'est l'heure de l'Amour aux ardentes névroses C'est l'heure de la Mort et du dernier serment Celui qui doit périr comme meurent les roses C'est un petit soldat mon frère et mon amant * Mais Madame écoutez-moi donc Vous perdez quelque chose - C'est mon coeur pas grand-chose Ramassez-le donc Je l'ai donné je l'ai repris Il fut là-bas dans les tranchées Il est ici j'en ris j'en ris Des belles amours que la mort a fauchées * L'espoir flambe ce soir comme un pauvre village Et qu'importe le Bagne ou bien le Paradis L'amour qui surviendra me plaira davantage Et mes yeux sont-ce pas de merveilleux bandits Puis quand malgré l'amour un soir je serai veille Je me rappellerai la mer les orangers Et cette pauvre croix sous laquelle sommeille Un coeur parmi des coeurs que la gloire a vengé * Et tandis que la lune luit Le coeur chante et rechante lui Mesdames et Mesdemoiselles Je suis bien mort Ah quel ennui Et ma maîtresse que est-elle Morte en m'aimant la nuit * Mais écoutez-les donc les mélopées Ces médailles si bien frappées Ces cloches d'or sonnant des glas Tous les muguets tous les lilas Ce sont les morts qui se relèvent Ce sont les soldats morts qui rêvent Aux amours qui s'en sont allés Immaculés Et désolés * - Le 13 mai de cette année Tandis que dans les boyaux blancs Tu passais masquée ô mon âme Tu vis tout d'un coup les morts et les vivants Ceux de l'arrière ceux de l'avant Les soldats et les femmes Un train passe rapide dans la prairie en Amérique Les vers luisants brillent cette nuit autour de moi Comme si la prairie était le miroir du ciel Étoilé Et justement un ver luisant palpite Sous l'Étoile nommée Lou Et c'est de mon amour le corps spirituel Et terrestre Et l'âme mystique Et céleste C'est C'est la réalité des photos qui sont sur mon coeur que je veux Cette réalité seule elle seule et rien d'autre Mon coeur le répète sans cesse comme une bouche d'orateur et le redit À chaque battement Toutes les autres images du monde sont fausses Elles n'ont pas d'autre apparence que celle des fantômes Le monde singulier qui m'entoure métallique végétal Souterrain Ô vie qui aspire le soleil matinal Cet univers singulièrement orné d'artifices N'est-ce point quelque oeuvre de sorcellerie Comme on pouvait l'étudier autrefois À Tolède Où fut l'école diabolique la plus illustre Et moi j'ai sur moi un univers plus précis plus certain Fait à ton image Oriande La fée Oriande vivait dans son château de Rose-Fleur C'est ici quand ce fut le déclin du printemps l'édification des Roses Oriande y dort comme un parfum venu dans la dernière lettre et qui repose Sur mon coeur Entre les deux pétales de cette vernale rose Mais c'est l'été maintenant Oriande y vivrait dans son château de Rose-Fleur Tourné comme nous et l'église vers l'orient Et c'est le soir des roses Les vieilles paroles sont mortes au dernier printemps Des harmonies puissantes et nouvelles jaillissent de mon coeur Mais Oriande écrit un L Au ciel Résigne-toi mon coeur où le sort t'a fixé Et l'été passera Le printemps a passé Mais Oriande écrit un O En haut Et j'accorde mon luth comme l'on bande un arc Mais Oriande écrit un U Sur le ciel nu Le ciel d'un bleu profond d'un bleu nocturne D'un bleu qui s'épaissit en souhaits en amour En puissante joie Et de mon coeur de poète De mon coeur qui est la Rose Oriande ruisselle Onde parfumée des chansons Où tu aimes tremper ton âme Tandis que la fée s'endort Oriande s'endort dans son château de Rose-Fleur Le guetteur mélancolique Et toi mon coeur pourquoi bats-tu Comme un guetteur mélancolique J'observe la nuit et la mort Stavelot (1899) Au prolétaire Au prolétaire Ô captif innocent qui ne sais pas chanter Écoute en travaillant Tandis que tu te tais Mêlés aux chocs d'outils les bruits élémentaires Marquent dans la nature un bon travail austère L'aquilon juste et pur ou la brise de mai De la mauvaise usine soufflent la fumée La terre par amour te nourrit les récoltes Et l'arbre de science où mûrit la révolte La mer et ses nénies dorlotent tes noyés Et le feu le vrai feu l'étoile émerveillée Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite Enchantant jusqu'au jour les bleuités du site Où pour le pain quotidien peinent les gars D'ahans n'ayant qu'un son le grave l'oméga Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux Des douleurs de demain tes filles sont enceintes Et laides de travail tes femmes sont des saintes Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs Et s'en vont tout en joie un soir à la male heure Or tu sais que c'est toi toi qui fis la beauté Qui nourris les humains des injustes cités Et tu songes parfois aux alcôves divines Quand tu es triste et las le jour au fond des mines Rhénanes (1901/1902) Un soir d'été Un soir d'été Le Rhin Qui coule Un train Qui roule Des nixes blanches Sont en prière Dans la bruyère Toutes les filles À la fontaine J'ai tant de peine J'ai tant d'amour Dit la plus belle Qu'il soit fidèle Et moi je l'aime Dit sa marraine J'ai la migraine À la fontaine J'ai tant de haine Poèmes divers Les villes sont pleines d'amour et de douleur Deux plantes dont la mort est la commune fleur Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles Et vomissaient le soir le soleil des journées Les villes chaque nuit [ceignant] une auréole Feignaient d'être soleil tant qu'il n'était point né Villes chair de ma vie j'aime vos nuits solaires J'ai promené mon coeur par vos soirs blancs et froids Et libre jusqu'au jour j'ai foulé sans colère Les ombres projetées par les statues des rois Les meurt-de-faim les sans-le-sou voyaient la lune Étalée dans le ciel comme un oeuf sur le plat Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune Les croque-morts avec des bocks tintaient des glas Ô maisons dans la nuit Ô lits pleins de râles De la mort des amants du bonheur des époux Punaise au ciel du lit simulant une étoile Et la bête à deux dos qui se tâtait le pouls Au clair nul des bougies tombaient vaille que vaille Des faux cols sur des flots de jupes mal brossées Des couples d'ombres célébraient leurs accordailles À mes yeux de dehors dans les rez-de-chaussée La ville aux feux de nuit semblait un archipel Des femmes demandaient l'amour et la dulie Mais à mes yeux de mâle horreur je me rappelle Les passantes du soir n'étaient jamais jolies Puis le jour revenait mais parfois sans soleil Dresser les maisons côte à côte au bord des rues Où s'égarent nos vies aux autres vies pareilles Les vies traînant leur ombre en passant dans la rue Intercalées dans l'an c'étaient des journées veuves Les vendredis sanglants et lents d'enterrements Des blancs et des tout noirs venus des cieux qui pleurent Quand la femme du diable a battu son amant Le jour s'arrondissait le bon oeuvre de pierre Les remparts entouraient les murs et les maisons La gloire des statues les croix des cimetières La rumeur des hommes en oraison L'oraison innombrable de la vie qui se grise Qui veut vivre et mourir dans l'amour et l'effroi Les usines sont plus hautes que les églises Et les villes le jour ce sont des soleils froids Les statues endormies qui rêvent toutes blanches Dont la soif de mourir jamais ne s'étanche Les statues blêmies Des amours souriants et gelés Sous la neige qui tombe Songent aux tombes D'amours morts Enterrés sur un lit de roses et de verveines En quelque Cythère lointaine Il somnole en leur marbre un vague souvenir D'Hellas endormie Sous la Séléné d'or Ô mon âme Que jamais ne t'étreigne Le froid des Paros Sous les soleils d'avril Les guêpes et les mouches Ont trompetté leur haine J'ai la tristesse d'être à la merci d'instincts Les vers visqueux me guettent Avec le froid des pluies Sous terre mon cadavre verdi Sera ma vie lointaine Et rien Un corps décomposé Fleurissant en fleurs tôt fanées Fleurs des fiancés Des trépassés C'est le destin des hommes Des hommes qu'on oublie Guillaume Oui Léo Larguier soldat mystique ô brancardier Les vers du caporal plaisent au brigadier Ce secteur 114 est-ce Arras ou peut-être La ferme Choléra sinon le bois Le Prêtre Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts La couleuvre se love en la paille où je dors Quand s'éveille la nuit la Champagne tonnante La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente À travers la Champagne où tonnent nos canons Et les flacons ambrés Et si nous revenons Dieu Que de souvenirs Je suis gai pas malade Et comme fut Ronsard le chef d'une brigade Agent de liaison je suis bien aguerri J'ai l'air mâle et fier j'ai même un peu maigri Des braves fantassins je connais les tranchées Où les Gloires de pourpre aux créneaux attachées Attendent que nos bleus les violent enfin Au nez de Rosalie épouse du biffin Êtes-vous en Argonne ou dans le Labyrinthe Moi je ne suis pas loin de Reims la ville sainte Je vis dans un marais au fond d'un bois touffu Ma hutte est en roseaux et ma table est un fût Que j'ai trouvé naguère au bord du Bras de Vesle Le rossignol garrule et l'Amour renouvelle Cependant que l'obus rapace en miaulant Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc Mais quand reverrons-nous une femme une chambre Quand nous reverrons-nous Mais sera-ce en septembre Adieu Léo Larguier ça barde en ce moment 105 et 305 le beau bombardement Je songe au mois de mars à vous à la tour Magne Où est mon chocolat Les rats ont tout croqué Et j'ajoute mon cher style communiqué Duel d'artillerie à minuit en Champagne Poèmes à Madeleine Voici quelques pauvres fleurettes De merisier et de lilas... Si Mai chez vous a plus de fêtes Chez nous il a bien plus d'éclats Mais ce sont nos seules fleurettes Brins de merise et de lilas... Le... Poème secret Voilâ de quoi est fait le chant symphonique de l'amour qui bruit dans la conque de Vénus Il y a le chant de l'amour de jadis Le bruit des baisers éperdus des amants illustres Les cris d'amour des mortelles violées par les dieux Les virilités des héros fabuleux érigées comme des cierges vont et viennent comme une rumeur obscène Il y a aussi les cris de folie des bacchantes folles d'amour pour avoir mangé l'hippomane sécrété par la vulve des juments en chaleur Les cris d'amour des félins dans les jongles La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales Le fracas des marées Le tonnerre des artilleries où la forme obscène des canons accomplit le terrible amour des peuples Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté Et le chant victorieux que les premiers rayons de soleil faisaient chanter à Memnon l'immobile Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement Le chant nuptial de la Sulamite Je suis belle mais noire Et le hurlement précieux de Jason Quand il trouva la toison Et le mortel chant du cygne quand son duvet se pressait entre les cuisses bleuâtres de Léda Il y a le chant de tout l'amour du monde Il y a entre tes cuisses adorées Madeleine La rumeur de tout l'amour comme le chant sacré de la mer bruit tout entier dans le coquillage Paris J'AI VU Paris dans l'ombre Hypogée où l'on riait trop Paris une grande améthyste Ces soldats belges en troupe Vieilles femmes habillées en Perrette Après le pot-au-lait L'officier-pilote raconte ses exploits J'ai entendu la berloque Mais quel sourire celui de celui qui eut sursis d'appel illimité Ombre de la statue de Shakespeare sur le Boulevard Haussmann Laideur des costumes civils des hommes qui ne sont pas partis Les peintres travaillaient Mon coeur t'adore Poèmes à la marraine La fuite C'est la barque où s'enfuit une amoureuse reine Le vieux roi magnifique est venu près des flots ; Son manteau merveilleux à chaque pas égrène Quelque bijou tintant au rythme des sanglots. La chanson des rameurs sur les vagues se traîne La reine et son amant l'écoutent les yeux clos, Sans crainte d'un récif ni d'un chant de sirène Qui s'incantent peut-être au choeur des matelots. Horreur ! horreur de nous des joyaux, des squelettes Coulés au fond des mers où surnagèrent tant De fleurs, de cheveux roux et de rames flottant Parmi les troupes de méduses violettes. L'heur des fuites est sombre et violet d'effroi. Tant de gemmes tombaient du manteau du vieux roi. Trente ans debout à la frontière J'arrêtai le contrebandier Je palpai la contrebandière. Puis quand je devins brigadier, Un soir dans le train de dix heures D'un homme correctement mis Voyageant avec un permis Je tâtai les gibbosités postérieures. Ô temps lointains ! lointaines gares Que le gaz éclairait bien mal ! Le monsieur transportait quatre mille cigares Je lui dressai procès-verbal. Ce temps passa. Des noms : Gauguin, Cézanne Me hantaient. Pour leur art, je laissai la douane. Et gardant ce surnom : le douanier Je ne suis pas, des peintres, le dernier, Or, dans mon souvenir, une fenêtre S'est ouverte. Je viens de reconnaître L'ancien voyageur fier de s'être vengé Parce que de ma faute il a mal voyagé Enfance Au jardin des cyprès je filais en rêvant, Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées Jusqu'au bassin mourant que pleurent les saulaies Je marchais à pas lents, m'arrêtant aux jasmins, Me grisant du parfum des lys, tendant les mains Vers les iris fées gardés par les grenouilles. Et pour moi les cyprès n'étaient que des quenouilles, Et mon jardin, un monde où je vivais exprès Pour y filer un jour les éternels cyprès. Veille Pipes de nuit pipes du jour Tout l'opium ô chevelures Les cheveux bruns de mon amour Et ces lenteurs tandis que dure L'éveil des monstres tour à tour Rencontre Passant mêle à ta vie l'orgueil et la bonté Surmonte l'ennemi et bois à sa santé Honore ton outil sans le laisser inerte Brise-le par amour au moment de ta perte Et méprise ceci Jouir sans en pleurer La vigne sans ivresse et le champ sans ivraie Inscription pour le tombeau du peintre Henri Rousseau douanier Gentil Rousseau tu nous entends Nous te saluons Delaunay sa femme Monsieur Queval et moi Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel Nous t'apporterons des pinceaux des couleurs des toiles Afin que tes loisirs sacrés dans la lumière réelle Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait La face des étoiles Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque, Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas, Des singes répandant tout le sang des pastèques Et du blond empereur qu'on fusilla là-bas. Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique, Un soleil rouge ornait le front des bananiers, Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique, Contre le dolman bleu des braves douaniers. Le malheur s'acharna sur ta progéniture Tu perdis tes enfants et tes femmes aussi Et te remarias avecque la peinture Pour faire tes tableaux, enfants de ton esprit. Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire, Ces vins qu'en ton honneur nous verse Picasso, Buvons-les donc, puisque c'est l'heure de les boire En criant tous en choeur : " Vive ! vive Rousseau ! " Ô peintre glorieux de l'alme République Ton nom est le drapeau des fiers Indépendants Et dans le marbre blanc, issu du Pentélique, On sculptera ta face, orgueil de notre temps. Or sus ! que l'on se lève et qu'on choque les verres Et que renaisse ici la française gaîté ; Arrière noirs soucis, fuyez ô fronts sévères, Je bois à mon Rousseau, je bois à sa santé ! Le repas IL n'y a que la mère et les deux fils Tout est ensoleillé La table est ronde Derrière la chaise où s'assied la mère Il y a la fenêtre D'où l'on voit la mer Briller sous le soleil Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers Et plus près les villas aux toits rouges Aux toits rouges où fument les cheminées Car c'est l'heure du repas Tout est ensoleillé Et sur la nappe glacée La bonne affairée Dépose un plat fumant Le repas n'est pas une action vile Et tous les hommes devraient avoir du pain La mère et les deux fils mangent et parlent Et des chants de gaîté accompagnent le repas Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes Et le son clair du cristal des verres Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux Dans les citronniers Et de la cuisine arrive La chanson vive du beurre sur le feu Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d'eau Oh ! le beau rubis que font du vin rouge et du soleil Quand la faim est calmée Les fruits gais et parfumés Terminent le repas Tous se lèvent joyeux et adorent la vie Sans dégoût de ce qui est matériel Songeant que les repas sont beaux sont sacrés Qui font vivre les hommes Acousmate Paix sur terre aux hommes de bonne volonté Les maris voudraient agir l'outil n'a pas de manche Sur les doigts de cet homme on voit des taches d'encre Les hommes et les FEMMES sont tous insermentés Les bergers écoutaient ce que disaient les anges Leurs âmes s'apaisaient comme un midi d'été Les bergers comprenaient ce qu'ils croyaient entendre Car ils savaient déjà tout ce qu'ils écoutaient Sur cette assiette Hélas ! j'aperçois trois chiures Mais presque toutes les mouches sont mortes de froid Car c'est l'hiver oui mon vieux ça va bien ça va même très bien Ces pâtres sachant qu'un enfant venait de naître Près de là Sur ce coup de minuit d'un jour alcyonien Se mirent tous en route au son de leurs musettes Souvenir des Flandres J'ai goûté sur la dune où Dante a dû passer Les couchants langoureux des pensives Zélandes ; Les clochers regardaient de la digue et des landes, Bruges, sur ton canal les bélandres glisser. Villes, vos monuments, églises et musées, Renaissent en mon âme. Ô Flandres, je revois Vos chefs-d'oeuvre debout, et d'eux monte une voix Qui dit : " Nous renaîtrons, nous les pierres brisées. " Qui dit : " Nous reviendrons, nous livres et tableaux Nous autels, nous joyaux, et nous L'AGNEAU MYSTIQUE, Nous Châsse de Memlinc, cet éternel cantique, Et nous ces fins d'été qui saignent dans les flots Nous renaîtrons : corons, hospices, béguinages, Beffrois et carillons, négoces opulents. Qu'importe le Malheur ! Sur les canaux dolents Comme des cygnes vont les misères des âges. Leur sillage s'efface aussitôt. Les destins Rient dans les moissons d'or et dam le sein des mères. Nous renaîtrons aussi, nous fêtes populaires, Kermesses, Carrousels. " - Ô fraîcheur des matins Tendresse des longs soirs alanguis dans les Flandres, Grands ports que chaque nuit colorent les fanaux, Je me souviens de vous, eaux vertes des canaux Où glissent lentement les pensives bélandres. L'anénone a fleuri dans le nom d'Archangel Quand les anges pleuraient d'avoir des engelures, Et le nom de Florence a soupiré conclure Les serments en vertige aux degrés de l'échelle. Des voix blanches chantant dans le nom d'Archangel Ont modulé souvent des nénies de Florence Dont les fleurs, en retour, plaquaient de lourdes transes Les plafonds et les murs qui suintent au dégel. Ô Florence ! Archangel ! L'une : baie de laurier, mais l'autre : herbe angélique, Des femmes, tour à tour, se penchent aux margelles Et comblent le puits noir de fleurs et de reliques, De reliques d'archange et de fleurs d'Archangel ! Lecture Le moine de Santabarem Vêtu de noir et ses mains pâles étendues Clama " Lilith " Et dans la nuit blême Ululait une orfraie et le moine dit : " Je vois Lilith qui vole poursuivie Par trois anges... " - Ici s'arrête le grimoire rongé des vers Et je songe à la nuit, la lune À son premier quartier. Et je songe aux Empereurs byzantins. J'aperçois quelque autel dans un nuage D'encens Je fleure des roses de Jéricho, Et je vois briller des yeux adamantins de crapauds Et je songe au grimoire, Au parchemin rongé, À quelque chambre noire Où vit retiré un alchimiste. Et je rêve et le jour prend teinte d'améthyste Et je ne sais pourquoi Je songe de femme à barbe et de colosse triste Et je frissonne d'entendre en ma chambre derrière moi Comme un bruissement de soie. Les Doukhobors Les Doukhobors, ô frères, mes frères lointains Et la Mort qui n'existe pas est venue leur dire : " Venez ! vous serez armés de sabres, de lances, de fusils, Vous porterez des étendards, vous serez vêtus d'uniformes Et vous tuerez des hommes Si je vous le dis, Car l'Empereur ne veut pas tuer d'hommes, Lui ! " Les Doukhobors, ô frères, mes frères lointains. Ayant de tuer la volonté précise et touchante, innocente, La volonté plus forte encor de résister Pâles géants, Noëls altruistes et impies Partirent et puis un jour voyant près d'eux Héroïque et inerte Matvei Lebédeff Les chevaux sauvages hennissent dans les steppes On crie au loin, du milieu des steppes où l'on est libre. Les Doukhobors Aiguisèrent leurs épées claires Faites pour fendre les chairs Et se teinter de sang Ils ont creusé le sol Et le pétrole a jailli Sur le jet de la source bleuâtre Source d'enfer empuantie, Ils ont jeté les fusils, les épées, les lances Les idoles étendards que l'on a peur de perdre et qui flambent très bien, Les Doukhobors las des patries On fait flamber les étendards. La Mort qui n'existe pas sonna la charge Les cosaques chargèrent Mais ils eurent peur d'en trop tuer Et ce n'était pas fraternité Les Doukhobors ô frères, mes frères lointains, Menaçante la Mort qui n'existe pas leur dit : " Vous me niez ! Tout meurt et tout est malade autour de moi Vous me niez ! Je mourrai, (quand on meurt, je meurs) Sur votre liberté Et sur votre mensonge car je suis éternelle Et vous n'aurez jamais la liberté réale (Entre temps vous serez mes égaux et libres rien qu'en moi) Que vous voulez mondiale. " Les Doukhobors ; le soleil qui radiait Dut paraître à leurs yeux extasiés Espérant des remous Océaniques Des nations, là-bas, du côté d'Occident ou d'Amérique Le cou tranché d'une tête immense, intelligente Dont le bourreau n'osait montrer La face et les yeux larges pétrifiés À la foule ivre Et quel sang, et quel sang t'éclabousse, ô monde Sous ce cou tranché ! Parmi le tan et le plantain Et les ruines légendaires Chaque richard stavelotain Ingurgitant diverses bières Et comptant les jours révolus En bon bourgeois songe aux affaires Pour le reste ce sont mystères Jusqu'au mariage c'est l'us À Stavelot pas de putain Le nu mérite les galères Chère cache ce blanc tétin ! Et tous pourraient jeter pierres Les jeunes gens sont impollus Et des défunts célibataires Sont encore puceaux dans leurs bières Jusqu'au mariage c'est l'us. Nocturne Le ciel nocturne et bas s'éblouit de la ville Et mon coeur bat d'amour à l'unisson des vies Qui animent la ville au-dessous des grands cieux Et l'allument le soir sans étonner nos yeux Les rues ont ébloui le ciel de leurs lumières Et l'esprit éternel n'est que par la matière Et l'amour est humain et ne vit qu'en nos vies L'amour cet éternel qui meurt inassouvi Les poètes Au siècle qui s'en vient hommes et femmes fortes Nous lutterons sans maîtres au loin des cités mortes Sur nous tous les jours le guillotiné d'en haut Laissera le sang pleuvoir sur nos fronts plus beaux. Les poètes vont chantant Noël sur les chemins Célébrant la justice et l'attendant demain Les fleurs d'antan se sont fanées et l'on n'y pense plus Et la fleur d'aujourd'hui demain aura vécu. Mais sur nos coeurs des fleurs séchées fleurs de jadis Sont toujours là immarcescibles à nos coeurs tristes Je marcherai paisible vers les pays fameux Où des gens s'en allaient aux horizons fumeux Et je verrai les plaines où les canons tonnèrent Je bercerai mes rêves sur les vastes mers Et la vie hermétique sera mon désespoir Et tendre je dirai me penchant vers Elle un soir Dans le jardin les fleurs attendent que tu les cueilles Et est-ce pas ? ta bouche attend que je la veuille ? Ah ! mes lèvres ! sur combien de bouches mes lèvres ont posé Ne m'en souviendrai plus puisque j'aurai les siennes Les siennes Vanité ! Les miennes et les siennes Ah ! sur combien de bouches les lèvres ont posé Jamais jamais heureux toujours toujours partir Nos pauvres yeux bornés par les grandes montagnes Par les chemins pierreux nos pauvres pieds blessés Là-bas trop [près] du but notre bâton brisé Et la gourde tarie et la nuit dans les bois Les effrois et les lèvres l'insomnie et les voix La voix d'Hérodiade en rut et amoureuse Mordant les pâles lèvres du Baptiste décollé Et la voix des hiboux nichés au fond des yeuses Et l'écho qui rit la voix la voix des en allés Et la voix de folie et de sang le rire triste De Macbeth quand il voit au loin la forêt marcher Et ne songe pas à s'apercevoir des reflets d'or Soleil des grandes lances des dendrophores L'assassin Chaque matin quand je me lève Une femme se dresse devant moi Elle ressemble à tout ce qu'hier J'ai vu de l'univers Le jour d'avant j'ai pénétré Dans cette chevelure Forêt profonde forêt obscure Où poussent et s'entrelacent Les branches de mes pensées Et aux usines de la face Ô mon ennemie matinale On fondait et façonnait hier Tous les métaux de mes paroles Et dans ses poings qui la défendent Masses de fonte impitoyables Je reconnais je reconnais Les marteaux-pilons De ma volonté MON ALAMBIC vos yeux ce sont mes ALCOOLS Et votre voix m'enivre ainsi qu'une eau-de-vie Des clartés d'astres saouls aux monstreux faux cols Brûlaient votre ESPRIT sur ma nuit inassouvie JE suis au bord de l'océan sur une plage, Fin d'été : je vois fuir les oiseaux de passage. Les flots en s'en allant ont laissé des lingots : Les méduses d'argent. Il passe des cargos Sur l'horizon lointain et je cherche ces rimes Tandis que le vent meurt dans les pins maritimes. Je pense à Villequier " arbres profonds et verts " La Seine non pareille aux spectacles divers L'Église les tombeaux et l'hôtel des pilotes Où flotte le parfum des brunes matelotes. Les noirceurs de mon âme ont bien plus de saveur. Et le soleil décline avec un air rêveur Une vague meurtrie a pâli sur le sable Ainsi mon sang se brise et mon coeur misérable Y déposant auprès des souvenirs noyés L'échouage vivant de mes amours choyés. L'océan a jeté son manteau bleu de roi Il est sauvage et nu maintenant dans l'effroi De ce qui vit. Mais lui défie à la tempête Qui chante et chante et chante ainsi qu'un grand poète. LA nuit descend comme une fumée rabattue Je suis triste ce soir que le froid sec rend triste Les soldats chantent encore avant de remonter Et tels qui vont mourir demain chantent ainsi que des enfants D'autres l'air sérieux épluchent des salades J'attends de nouveaux poux et de neuves alertes J'espère tout le courage qu'il faut pour faire son devoir J'attends la banquette de tir J'attends le quart nocturne J'attends que monte en moi la simplicité de mes grenadiers J'attends le grog à la gnole Qui nous réchauffe Dans les tranchées La nuit descend comme une fumée rabattue Les lièvres et les hases bouquinent dans les guérets La nuit descend comme un agenouillement Et ceux qui vont mourir demain s'agenouillent Humblement L'ombre est douce sur la neige La nuit descend sans sourire Ombre des temps qui précède et poursuit l'avenir Source: http://www.poesies.net