Textes Divers. Par André Breton. (1896-1966) TABLE DES MATIERES. Déclaration Du 27 Janvier 1925. Lettre Ouverte A M. Paul Claudel. La Révolution D’Abord Et Toujours! Déclaration Du 27 Janvier 1925. Eu égard à une fausse interprétation de notre tentative stupidement répandue dans le public, Nous tenons à déclarer ce qui suit à toute l’ânonante critique littéraire, dramatique, philosophique, exégétique et même théologique contemporaine: 1° Nous n’avons rien à voir avec la littérature, Mais nous sommes très capables, au besoin, de nous en servir comme tout le monde. 2° Le Surréalisme n’est pas un moyen d’expression nouveau ou plus facile, ni même une métaphysique de la poésie; Il est un moyen de libération totale de l’esprit et de tout ce qui lui ressemble 3° Nous sommes bien décidés à faire une Révolution. 4° Nous avons accolé le mot de Surréalisme au nom de Révolution uniquement pour montrer le caractère désintéressé, détaché et même tout-à-fait désespéré de cette révolution. 5° Nous ne prétendons rien changer aux moeurs des hommes, mais nous pensons bien leur démontrer la fragilité de leur pensées, et sur quelles assises mouvantes, sur quelles caves ils ont fixés leurs tremblantes maisons. 6° Nous lançons à la Société cet avertissement solennel: Qu’elle fasse attention à ses écarts, à chacun des faux-pas de son esprit nous ne la raterons pas. 7° À chacun des tournants de sa pensée, la Société nous retrouvera. 8° Nous sommes des spécialistes de la Révolte. Il n’est pas de moyens d’action que nous soyons capables au besoin, d’employer. 9° Nous disons plus spécialement au monde occidental: le Surréalisme existe -Mais qu’est-ce donc que ce nouveau isme qui s’accroche maintenant à nous? -Le Surréalisme n’est pas une forme poétique. Il est un cri de l’esprit qui retourne vers lui-même et bien décidé à broyer désespérément ses entraves, et au besoin par des marteaux matériels Du Bureau de Recherches Surréalistes 15, rue de Grenelle. Louis Aragon, Antonin Artaud, Jacques Baron, Joë Bousquet, J.-A. Boiffard, André Breton, Jean Carrive, René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Max Ernst, T. Fraenkel, Francis Gérard, Michel Leiris, Georges Limbour, Mathias Lübeck, Georges Malkine, André Masson, Max Morise, Pierre Naville, Marcel Noll, Benjamin Péret, Raymond Queneau, Philippe Soupault, Dédé Sunbeam, Roland Tual. Lettre Ouverte A M. Paul Claudel Ambassadeur De France Au Japon. «Quant aux mouvements actuels, pas un seul ne peut conduire à une véritable rénovation ou création. Ni le dadaïsme, ni le surréalisme qui ont un seul sens: pédérastique. Plus d’un s’étonne non que je sois bon catholique, mais écrivain, diplomate, ambassadeur de France et poète. Mais moi, je ne trouve en tout cela rien d’étrange. Pendant la guerre, je suis allé en Amérique du Sud pour acheter du blé, de la viande en conserve, du lard pour les armées, et j’ai fait gagner à mon pays deux cents millions.» «Il Secolo», interview de Paul Claudel reproduite par «Comoedia », le 17 juin 1925. Monsieur, Notre activité n’a de pédérastique que la confusion qu’elle introduit dans l’esprit de ceux qui n’y participent pas. Peu nous importe la création. Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l’état de choses le moins inacceptable pour l’esprit. Il ne saurait y avoir pour nous ni équilibre ni grand art. Voici déjà long-temps que l’idée de Beauté s’est rassise. Il ne reste debout qu’une idée morale, à savoir par exemple qu’on ne peut être à la fois ambassadeur de France et poète. Nous saisissons cette occasion pour nous désolidariser publiquement de tout ce qui est français, en paroles et en actions. Nous déclarons trouver la trahison et tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, peut nuire à la sûreté de l’État beaucoup plus conciliable avec la poésie que la vente de «grosses quantités de lard» pour le compte d’une nation de porcs et de chiens. C’est une singulière méconnaissance des facultés propres et des possibilités de l’esprit qui fait périodiquement rechercher leur salut à des goujats de votre espèce dans une tradition catholique ou gréco-romaine. Le salut pour nous n’est nulle part. Nous tenons Rimbaud pour un homme qui a désespéré de son salut et dont l’oeuvre et la vie sont de purs témoignages de perdition. Catholicisme, classicisme gréco-romain, nous vous abandonnons à vos bondieuseries infâmes. Qu’elles vous profitent de toutes manières; engraissez encore, crevez sous l’admiration et le respect de vos concitoyens. Écrivez, priez et bavez; nous réclamons le déshonneur de vous avoir traité une fois pour toutes de cuistre et de canaille. Paris, le 1er juillet 1925. Maxime Alexandre, Louis Aragon, Antonin Artaud, J.-A. Boiffard, Joë Bousquet, André Breton, Jean Carrive, René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Max Ernst, T. Fraenkel, Francis Gérard, Éric de Haulleville, Michel Leiris, Georges Limbour, Mathias Lübeck, Georges Malkine, André Masson, Max Morise, Marcel Noll, Benjamin Péret, Georges Ribemont-Dessaignes, Philippe Soupault, Dédé Sunbeam, Roland Tual, Jacques Viot, Roger Vitrac. La Révolution D’Abord Et Toujours! La Révolution Surréaliste, 5, 1925. Le monde est un entre-croisement de conflits qui, aux yeux de tout homme un peu averti, dépassent le cadre d’un simple débat politique ou social. Notre époque manque singulièrement de voyants. Mais il est impossible à qui n’est pas dépourvu de toute perspicacité de n’être pas tenté de supputer les conséquences humaines d’un état de choses Absolument BOULEVERSANT. Plus loin que le réveil de l’amour-propre de peuples longtemps asservis et qui sembleraient ne pas désirer autre chose que de reconquérir leur indépendance, ou que le conflit inapaisable des revendications ouvrières et sociales au sein des états qui tiennent encore en Europe, nous croyons à la fatalité d’une délivrance totale. Sous les coups de plus en plus durs qui lui sont assénés, il faudra bien que l’homme finisse par changer ses rapports. Bien conscients de la nature des forces qui troublent actuellement le monde, nous voulons, avant même de nous compter et de nous mettre à l’oeuvre, proclamer notre détachement absolu, et en quelque sorte notre purification, des idées qui sont à la base de la civilisation européenne encore toute proche et même de toute civilisation basée sur les insupportables principes de nécessité et de devoir. Plus encore que le patriotisme qui est une hystérie comme une autre, mais plus creuse et plus mortelle qu’une autre, ce qui nous répugne c’est l’idée de Patrie qui est vraiment le concept le plus bestial, le moins philosophique dans lequel on essaie de faire entrer notre esprit [1]. Nous sommes certainement des Barbares puisqu’une certaine forme de civilisation nous écoeure. Partout où règne la civilisation occidentale toutes attaches humaines ont cessé à l’exception de celles qui avaient pour raison d’être l’intérêt, «le dur paiement au comptant». Depuis plus d’un siècle la dignité humaine est ravalée au rang de valeur d’échange. Il est déjà injuste, il est monstrueux que qui ne possède pas soit asservi par qui possède, mais lorsque cette oppression dépasse le cadre d’un simple salaire à payer, et prend par exemple la forme de l’esclavage que la haute finance internationale fait peser sur les peuples, c’est une iniquité qu’aucun massacre ne parviendra à expier. Nous n’acceptons pas les lois de l’Économie ou de l’Échange, nous n’acceptons pas l’Esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l’Histoire. L’Histoire est régie par des lois que la lâcheté des individus conditionne et nous ne sommes certes pas des humanitaires, à quelque degré que ce soit. C’est notre rejet de toute loi consentie, notre espoir en des forces neuves, souterraines et capables de bousculer l’Histoire, de rompre l’enchaînement dérisoire des faits, qui nous fait tourner les yeux vers l’Asie [2]. Car en définitive, nous avons besoin de la Liberté, mais d’une Liberté calquée sur nos nécessités spirituelles les plus profondes, sur les exigences les plus strictes et les plus humaines de nos chairs (en vérité ce sont toujours les autres qui auront peur). L’époque moderne a fait son temps. La stéréotypie des gestes, des actes, des mensonges de l’Europe a accompli le cycle du dégoût [3]. C’est au tour des Mongols de camper sur nos places. La violence à quoi nous nous engageons ici, il ne faut craindre à aucun moment qu’elle nous prenne au dépourvu, qu’elle nous dépasse. Pourtant, à notre gré, celà n’est pas suffisant encore, quoi qu’il puisse arriver. Il importe de ne voir dans notre démarche que la confiance absolue que nous faisons à tel sentiment qui nous est commun, et proprement au sentiment de la révolte, sur quoi se fondent les seules choses valables. Plaçant au devant de toutes différences notre amour de la Révolution et notre décision d’efficace, dans le domaine encore tout restreint qui est pour l’instant le nôtre, nous: CLARTE, CORREPONDANCE, PHILOSOPHIES, LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE, etc., déclarons ce qui suit: 1° Le magnifique exemple d’un désarmement immédiat, intégral et sans contre-partie qui a été donné au monde en 1917 par LÉNINE à Brest-Litovsk, désarmement dont la valeur révolutionnaire est infinie, nous ne croyons pas votre France capable de le suivre jamais. 2° En tant que, pour la plupart, mobilisables et destinés officiellement à revêtir l’abjecte capote bleu-horizon, nous repoussons énergiquement et de toutes manières pour l’avenir l’idée d’un assujetissement de cet ordre, étant donné que pour nous la France n’existe pas. 3° Il va sans dire que, dans ces conditions, nous approuvons pleinement et contresignons le manifeste lancé par le Comité d’action contre la guerre du Maroc, et cela d’autant plus que ses auteurs sont sous le coup de poursuites judiciaires. 4° Prêtres, médecins, professeurs, litérateurs, poètes, philosophes, journalistes, juges avocats, policiers, académiciens de toutes sortes, vous tous, signataires de ce papier imbécile: "Les intellectuels aux côtés de la Patrie", nous vous dénoncerons et vous confondrons en toute occasion. Chiens dressés à bien profiter de la Patrie, la seule pensée de cet os à ronger vous anime. 5° Nous sommes la révolte de l’esprit; nous considérons la Révolution sanglante comme la vengeance inéluctable de l’esprit humilié par vos oeuvres. Nous ne sommes pas des utopistes: cette Révolution nous ne la concevons que sous sa forme sociale. S’il existe quelque part des hommes qui aient vu se dresser contre eux une coalition telle qu’il n’y ait personne qui ne les réprouve (traîtres à tout ce qui n’est pas la liberté, insoumis de toutes sortes, prisonniers de droit commun), qu’ils n’oublient pas que l’idée de Révolution est la sauvegarde la meilleure et la plus efficace de l’individu. Georges AUCOUTURIER, Jean BERNIER, Victor CRASTRE, Camille FÉGY, Marcel FOURRIER, Paul GUITARD. Camille GOEMANS, Paul NOUGÉ. André BARSALOU, Gabriel BEAUROY, Émile BENVENISTE, Norbert GUTERMANN, Henri JOURDAN, Henri LEFEBVRE, Pierre MORHANGE, Maurice MULLER, Georges POLITZER, Paul ZIMMERMANN. Maxime ALEXANDRE, Louis ARAGON, Antonin ARTAUD, Georges BESSIÈRE, Monny de BOULLY, Joe BOUSQUET, André BRETON, Jean CARRIVE, René CREVEL, Robert DESNOS, Paul ÉLUARD, Max ERNST, Théodore FRÆNKEL, Michel LEIRIS, Georges LIMBOUR, Mathias LÜBECK, Georges MALKINE, André MASSON, Douchan MATITCH, Max MORISE, Georges NEVEUX, Marcel NOLL, Benjamin PÉRET, Philippe SOUPAULT, Dédé SUNBEAM, Roland TUAL, Jacques VIOT. Hermann CLOSSON. Henri JEANSON. Pierre de MASSOT. Raymond QUENEAU. Georges RIBEMONT-DESSAIGNES. Ceux mêmes qui reprochaient aux socialistes allemands de n’avoir pas «fraternisé» en 1914 s’indignent si quelqu’un engage ici les soldats à lâcher pied. L’appel à la désertion, simple délit d’opinion, est tenu à crime: «Nos soldats» ont le droit qu’on ne leur tire pas dans le dos. (Ils ont le droit aussi qu’on ne leur tire pas dans la poitrine). Faisons justice de cette image. L’orient est partout. Il représente le conflit de la métaphysique et de ses ennemis, lesquels sont les ennemis de la liberté et de la contemplation. En Europe même qui peut dire où n’est pas l’Orient? Dans la rue, l’homme que vous croisez le porte en lui: l’Orient est dans sa conscience. Spinoza, Kant, Schelling, Proud’hon, Marx, Stirner, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Nietzcshe: cette seule énumération est le commencement de votre désastre. Source: http://www.poesies.net