Chansons. Par Pierre-Jean De Béranger (1780-1857). TABLE DES MATIERES PREFACE CONVERSATION CENSEUR ET MOI LE ROI D'YVETOT LA BACCHANTE LE SENATEUR L'ACADEMIE ET LE CAVEAU LA GAUDRIOLE ROGER BONTEMPS PARNY MA GRAND'MERE LE MORT VIVANT LE PRINTEMPS ET L'AUTOMNE LA MERE AVEUGLE LE PETIT HOMME GRIS BONNE FILLE OU MOEURS DU TEMPS AINSI SOIT-IL! L'EDUCATION DES DEMOISELLES MADAME GREGOIRE CHARLES SEPT MES CHEVEUX LES GUEUX LE COIN DE L'AMITIE L'AGE FUTUR LE VIEUX CELIBATAIRE L'AMI ROBIN LES GAULOIS ET LES FRANCS FRETILLON UN TOUR DE MAROTTE LA DOUBLE IVRESSE VOYAGE AU PAYS DE COCAGNE LE COMMENCEMENT DU VOYAGE LA MUSIQUE LES GOURMANDS MA DERNIERE CHANSON PEUT-ETRE ELOGE DES CHAPONS LE BON FRANÇAIS LA GRANDE ORGIE LE JOUR DES MORTS REQUETE PAR CHIENS DE QUALITE LA CENSURE BEAUCOUP D'AMOUR LES BOXEURS, OU L'ANGLOMANE LE TROISIEME MARI VIEUX HABITS! VIEUX GALONS! LE NOUVEAU DIOGENE LE MAITRE D'ECOLE LE CELIBATAIRE TRINQUONS PRIERE D'UN EPICURIEN LES INFIDELITES DE LISETTE LA CHATTE ADIEUX DE MARIE STUART LES PARQUES LA BOUTEILLE VOLEE BOUQUET A UNE DAME DE 70 ANS L'HOMME RANGE BON VIN ET FILLETTE LE VOISIN LE CARILLONNEUR LA VIEILLESSE LES BILLETS D'ENTERREMENT LA DOUBLE CHASSE LES PETITS COUPS ELOGE DE LA RICHESSE LA PRISONNIERE ET LE CHEVALIER LES MARIONNETTES LE SCANDALE LE DOCTEUR ET SES MALADES A ANTOINE ARNAULT J. DE SA FETE LE BEDEAU ON S'EN FICHE! JEANNETTE LES ROMANS TRAITE POLITIQUE A USAGE LISE L'OPINION DE CES DEMOISELLES HABIT DE COUR VISITE ALTESSE PLUS DE POLITIQUE MARGOT A MON AMI DESAUGIERS MA VOCATION LE VILAIN LE VIEUX MENETRIER LES OISEAUX LES DEUX SOEURS DE CHARITE COMPLAINTE D'UNE DEMOISELLE CE N'EST PLUS LISETTE LE MARQUIS DE CARABAS L'HIVER MA REPUBLIQUE L'IVROGNE ET SA FEMME PAILLASSE LE JUGE DE CHARENTON LES CHAMPS LA COCARDE BLANCHE MON HABIT LE VIN ET LA COQUETTE LA SAINTE-ALLIANCE BARBARESQUE L'ERMITE ET SES SAINTS MON PETIT COIN LE SOIR DES NOCES L'INDEPENDANT LA BONNE VIEILLE LA VIVANDIERE COUPLETS A MA FILLEULE L'EXILE BOUQUETIERE ET CROQUE-MORT LA PETITE FEE MA NACELLE MONSIEUR JUDAS LE DIEU DES BONNES GENS ADIEUX A DES AMIS LA REVERIE BRENNUS OU VIGNE DANS GAULES LES CLEFS DU PARADIS SI J'ETAIS PETIT OISEAU LE BON VIEILLARD QU'ELLE EST JOLIE! L'AVEUGLE DE BAGNOLET LE PRINCE DE NAVARRE LA MORT SUBITE LES CINQUANTE ECUS LE CARNAVAL DE 1818 LE RETOUR DANS LA PATRIE LE VENTRU LA COURONNE LE BON MENAGE LE CHAMP D'ASILE LA MORT DE CHARLEMAGNE LE VENTRU AUX ELECTIONS DE 1819 LA NATURE LES CARTES, OU L'HOROSCOPE LA SAINTE ALLIANCE DES PEUPLES ROSETTE LES REVERENDS PERES LES ENFANTS DE LA FRANCE LES MIRMIDONS LES ROSSIGNOLS HALTE-LA! L'ENFANT DE BONNE MAISON LES ETOILES QUI FILENT L'ENRHUME LE TEMPS LA FARIDONDAINE MA LAMPE LE VIEUX DRAPEAU LA MARQUISE DE PRETINTAILLE LE TREMBLEUR MA CONTEMPORAINE LA MORT DU ROI CHRISTOPHE LA FORTUNE LOUIS XI LES ADIEUX A LA GLOIRE LES DEUX COUSINS LES VENDANGES L'ORAGE LE CINQ MAI PREFACE LA MUSE EN FUITE DENONCIATION ADIEUX A LA CAMPAGNE 1821 LA LIBERTE 1822 LA CHASSE MA GUERISON L'AGENT PROVOCATEUR MON CARNAVAL L'OMBRE D'ANACREON L'EPITAPHE DE MA MUSE LA SYLPHIDE LES CONSEILS DE LISE 1822 LE PIGEON MESSAGER 1822 L'EAU BENITE L'AMITIE LE CENSEUR 1822 LE MAUVAIS VIN, OU LES CAR LA CANTHARIDE, OU LE PHILTRE LE TOURNE-BROCHE LE TAILLEUR ET LA FEE LES SCIENCES LA DEESSE LE MALADE 1823 LA COURONNE DE BLUETS L'EPEE DE DAMOCLES LA MAISON DE SANTE LA BONNE MAMAN LE VIOLON BRISE LE CONTRAT DE MARIAGE LE CHANT DU COSAQUE LES HIRONDELLES LES FILLES LE CACHET, OU LETTRE A SOPHIE LA JEUNE MUSE LA FUITE DE L'AMOUR L'ANNIVERSAIRE LE VIEUX SERGENT 1815 LE PRISONNIER L'ANGE EXILE LA VERTU DE LISETTE LE VOYAGEUR MON ENTERREMENT LE POËTE DE COUR 1824 OCTAVIE LES TROUBADOURS LES ESCLAVES GAULOIS 1824 TREIZE A TABLE LAFAYETTE EN AMERIQUE MAUDIT PRINTEMPS! PSARA LE VOYAGE IMAGINAIRE L'IN-OCTAVO ET L'IN-TRENTE-DEUX COUPLETS SUR UN PORTRAIT DE MOI LE GRENIER L'ECHELLE DE JACOB LE CHAPEAU DE LA MARIEE LA METEMPSYCOSE LES PAUVRES AMOURS A M. GOHIER 1825 COUPLET ECRIT SUR REC. CHANSONS LE CONVOI DE DAVID LE CHASSEUR ET LA LAITIERE BONSOIR LE MISSIONNAIRE DE MONTROUGE COUPLETS SUR WATERLOO COUPLET SUR ALBUM MME DE V... ORAISON FUNEBRE DE TURLUPIN A MADEMOISELLE LES DEUX GRENADIERS 1814 LE PELERINAGE DE LISETTE ENCORE DES AMOURS LA MORT DU DIABLE LE PRISONNIER DE GUERRE LE DAUPHIN LE PETIT HOMME ROUGE LES BOHEMIENS LES SOUVENIRS DU PEUPLE LES NEGRES ET LES MARIONNETTES L'ANGE GARDIEN LA MOUCHE LES LUTINS DE MONTLHERY LA COMETE DE 1832 LE TOMBEAU DE MANUEL PREFACE Novembre 1815. Pourquoi les libraires ne cessent-ils de vouloir des préfaces, et pourquoi les lecteurs ont-ils cessé de les lire? On agite tous les jours, dans de graves assemblées, une foule de questions bien moins importantes que celle-ci, et je me propose de la résoudre dans un ouvrage en 3 volumes in-8, qui, si l'on en permet la publication, pourra amener la réforme de plusieurs abus très dangereux. Forcé en attendant de me conformer à l'usage, je me creusais la tête depuis un mois pour trouver le moyen de dire au public, qui ne s'en soucie guère, qu'ayant fait des chansons je prends le parti de les faire imprimer. Le bourgeois-gentilhomme, embrouillant son compliment à la belle comtesse, est moins embarrassé que je ne l'étais. J'appelais mes amis à mon aide; et l'un d'eux profond érudit, vint il y a quelques jours m'offrir, pour mettre en tête de mon recueil, une dissertation qu'il trouve excellente, et dans laquelle il prouve que les flonflons, les fariradondé, les tourelouribo, et tant d'autres refrains qui ont eu le privilège de charmer nos pères, dérivent du grec et de l'hébreu. Quoique je sois ignorant comme un chansonnier, j'aime beaucoup les traits d'érudition. Enchanté de cette dissertation, je me préparais à en faire mon profit, ou plutôt celui du libraire, lorsqu'un autre de mes amis, car j'ai beaucoup d'amis (c'est ce qu'il est bon de consigner ici, attendu que les journaux pourront faire croire le contraire); lorsque, dis-je, un de mes amis, homme de plaisir et de bon sens, m'apporta d'un air empressé un chiffon de papier trouvé dans le fond d'un vieux secrétaire. C'est de l'écriture de Collé! Me dit-il du plus loin qu'il m'aperçut. " j'ai confronté ce fragment avec le manuscrit des mémoires du premier de nos chansonniers, et je vous en garantis l'authenticité. Vous verrez en lisant pourquoi il n'a pas trouvé place dans ces mémoires, qui ne contiennent pas toujours des choses aussi raisonnables. " je ne me le fis pas dire deux fois; et je lus avec la plus grande attention ce morceau, dont le fond des idées me séduisit tellement que d'abord je ne m'aperçus pas que le style pouvait faire douter un peu que Collé en fût l'auteur. Malgré toutes les observations de mon ami le savant, qui tenait à ce que j'adoptasse sa dissertation, je fis sur-le-champ le projet de me servir pour ma préface de ce legs que le hasard me procurait dans l'héritage d'un homme qui n'a laissé que des collatéraux. Ceux qui trouveront ce petit dialogue indigne de Collé pourront s'en prendre à l'ami qui me l'a fourni, et qui m'a assuré devoir en déposer le manuscrit chez un notaire, pour le soumettre à la confrontation des incrédules. Ces précautions prises, je le transcris ici en toute sûreté de conscience. CONVERSATION CENSEUR ET MOI 15 janvier 1768. (je prends la liberté de substituer le nom de Collé au moi qui se trouve dans tout le dialogue.) Le Censeur. Voici, monsieur, mon approbation pour votre théâtre de société. Il contient des ouvrages charmants. Collé. Et mes chansons, monsieur, mes chansons, comment les avez-vous traitées? Le Censeur. Vous me trouverez sévère. Mais je ne puis vous dissimuler que le choix ne m'en paraît pas sagement fait. Collé. Connaîtriez-vous quelque bonne chanson que j'aurais omise? Le Censeur. J'ai été au contraire forcé d'indiquer la suppression d'un grand nombre. Collé, feuilletant son manuscrit. Quoi, monsieur! Vous exigez que je retranche... (ici le papier endommagé ne permet que de deviner le titre des chansons supprimées par le censeur.) Le Censeur. Vous n'avez pas dû penser que cela passerait à la censure. Collé. Elles ont bien passé ailleurs. Le Censeur. Raison de plus. Collé. Pardonnez; je ne connaissais pas bien encore les raisons d'un censeur. Le Censeur. Examinons avec sang-froid les deux genres de chansons qui m'ont contraint à la sévérité. D'abord pourquoi, dans des vaudevilles, mêlez-vous toujours quelques traits de satire relatifs aux circonstances? Collé. Que ne me demandez-vous plutôt pourquoi je fais des vaudevilles? La chanson est essentiellement du parti de l'opposition. D'ailleurs, en frondant quelques abus qui n'en seront pas moins éternels, en ridiculisant quelques personnages à qui l'on pourrait souhaiter de n'être que ridicules, ai-je insulté jamais à ce qui a droit au respect de tous? Le respect pour le souverain paraît-il me coûter? Le Censeur. Mais les ministres, monsieur, les ministres! Si à Naples l'on peut sans danger offenser la divinité, il n'y fait pas bon pour ceux qui parlent mal de saint Janvier. Collé. Je le conçois: à Naples saint Janvier passe pour faire des miracles. Le Censeur. Vous y seriez aussi incrédule qu'à Paris. Collé. Dites aussi clairvoyant. Le Censeur. Tant pis pour vous, monsieur. Au fait, de quoi se mêlent les faiseurs de chansons? Vous en pouvez convenir avec moins de peine qu'un autre: les chansonniers sont en littérature ce que les ménétriers sont en musique. Collé. Je l'ai dit cent fois avant vous. Mais convenez à votre tour qu'il en est quelques uns qui ne jouent pas du violon pour tout le monde. Plusieurs ne seraient pas indignes de faire partie de la musique dont le grand Condé se servait pour ouvrir la tranchée, et tous deviennent utiles lorsqu'il s'agit de faire célébrer au peuple des triomphes dont sans eux fort souvent il ne sentirait que le poids. Le Censeur. Je n'ai point oublié la jolie chanson du Port-Mahon. Monsieur Collé, ce n'est pas à vous qu'on reprochera l'anglomanie. Mais cela ne suffit pas. Pourquoi, par exemple, vous être fait l'apôtre de certains principes d'indépendance qu'il vaudrait mieux combattre? Collé. J'entends de quelles idées vous voulez parler. Combattre ces idées, monsieur! Il n'y aurait pas plus de mérite à cela qu'à faire en Prusse des épigrammes contre les capucins. Ne trouvez-vous pas même que la plupart de ceux qui attaquent ces idées, qui peut-être au fond sont les vôtres, ressemblent à des aveugles qui voudraient casser les réverbères? Le Censeur. Je suis de votre avis, si vous voulez dire qu'ils frappent à côté. Mais revenons à vos chansons. Tout le monde rend justice à la loyauté de votre caractère, à la régularité de vos moeurs; et je pense qu'il sera aisé de vous convaincre du tort que vous feraient certaines gaillardises que je vous engage à faire disparaître de votre recueil. Collé. C'est parceque je ne crains point qu'on examine mes moeurs que je me suis permis de peindre celles du temps avec une exactitude qui participe de leur licence. Le Censeur. Vos tableaux choqueront les regards des gens rigides. Collé. La chasteté porte un bandeau. Le Censeur. Elle n'est pas sourde, et le ton libre de plusieurs de vos chansons peut augmenter la corruption dont vous faites la satire. Collé. Quoi! Comme l'a dit le bon La Fontaine, les mères, les maris, me prendront aux cheveux pour dix ou douze contes bleus! Voyez un peu la belle affaire! Ce que je n'ai pas fait mon livre irait le faire! Le Censeur. L'autorité d'un grand homme est déplacée ici. Il ne s'agit que de bagatelles que vous pouvez sacrifier sans regret. Collé. En avez-vous de les connaître? Le Censeur. Je ne dis pas cela. Collé. En êtes-vous moins censeur et très censeur? Le Censeur. Je vous en fais juge. Collé. Eh bien! Après avoir lu ou chanté en secret mes couplets les plus graveleux, les prudes n'en auront pas plus de charité et les bigots pas plus de tolérance. Laissez à ces gens-là le soin de me mettre à l'index. Si vous leur ôtez le plaisir de crier de temps à autre, on finira par croire à la réalité de leurs vertus. Mes chansons peuvent fournir une occasion de savoir à quoi s'en tenir sur le compte de ces messieurs et de ces dames. C'est un service qu'elles rendront aux gens véritablement sages, qui, toujours indulgents, pardonnent des écarts à la gaieté, et permettent à l'innocence de sourire. Le Censeur. Hors de mon cabinet je pourrais trouver vos raisons bonnes; ici elles ne sont que spécieuses. Je vous répète donc qu'il est impossible que j'autorise l'impression des chansons que vous défendez si bien. Collé. En ce cas je prends mon parti. Je les ferai imprimer en Hollande sous le titre de chansons que mon censeur n'a pas dû me passer. Le Censeur. Je vous en retiens un exemplaire. Collé. Vous mériteriez que je vous les dédiasse. Le Censeur. Vous pouvez les adresser mieux, vous, Monsieur Collé, qui avez pour protecteur un prince de l'auguste maison dont vous avez si bien fait parler le héros. Collé. Que ne me protège-t-il contre les censeurs? Le Censeur. Et contre les feuilles périodiques. Collé. En effet elles sont la seconde plaie de la littérature. Le Censeur. Quelle est la première, s'il vous plaît? Collé. Je vous le laisse à deviner, et cours chez l'imprimeur qui m'attend. Le Censeur. Un moment. Je sais que jour par jour vous écrivez ce que vous avez dit et fait. Ne vous avisez point de transcrire ainsi notre conversation. Collé. Vous n'y seriez point compromis. Le Censeur. Bien; mais un jour quelque écolier pourrait s'appuyer de vos arguments, et, à l'abri de votre nom, tenter de justifier... (ici l'écriture, absolument illisible, m'a privé du reste de ce dialogue, qui n'est peut-être intéressant que pour un auteur placé dans une situation pareille à celle où Collé s'est trouvé. Malgré le soin qu'il avait pris de ne pas le joindre aux mémoires de sa vie, ce que le censeur avait craint est arrivé; et l'écolier n'hésite point à se servir du nom de son maître, au risque d'être en butte à de graves reproches. Mon ami l'érudit m'a annoncé qu'il m'en arriverait malheur, et, pour donner du poids au pronostic, m'a retiré sa dissertation sur les flonflons. Le public n'y perdra rien. Il doit l'augmenter considérablement, et l'adresser en forme de mémoire à la troisième classe de l'institut. Elle obtiendra peut-être plus de succès que je n'ose en espérer pour mon recueil. Le moment serait mal choisi pour publier des chansons, si la futilité même des productions n'était une recommandation à une époque où l'on a plus besoin de se distraire que de s'occuper. Souhaitons que bientôt l'on puisse lire des poëmes épiques, sans souhaiter néanmoins qu'il en paraisse autant que chaque année voit éclore de chansonniers nouveaux.) post-scriptum de 1821. Je crois inutile d'ajouter aucune réflexion à cette préface du recueil chantant que je publiai à la fin de 1815. J'ai fait depuis quelques tentatives pour étendre le domaine de la chanson. Le succès seul peut les justifier. Des amateurs du genre pourront se plaindre de la gravité de certains sujets que j'ai cru pouvoir traiter. Voici ma réponse: la chanson vit de l'inspiration du moment. Notre époque est sérieuse, même un peu triste: j'ai dû prendre le ton qu'elle m'a donné; il est probable que je ne l'aurais pas choisi. Je pourrais repousser ainsi plusieurs autres critiques, s'il n'était naturel de penser qu'on accordera trop peu d'attention à ces chansons pour qu'il soit nécessaire de les défendre sérieusement. Un recueil de chansons est et sera toujours un livre sans conséquence. LE ROI D'YVETOT Mai 1813. Il était un roi d'Yvetot Peu connu dans l'histoire, Se levant tard, se couchant tôt, Dormant fort bien sans gloire; Et couronné par Jeanneton D'un simple bonnet de coton, Dit-on. Oh! Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah! Ah! Quel bon petit roi c'était là! La, la. Il faisait ses quatre repas Dans son palais de chaume, Et sur un âne, pas à pas, Parcourait son royaume. Joyeux, simple et croyant le bien, Pour toute garde il n'avait rien Qu'un chien. Oh! Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah! Ah! Quel bon petit roi c'était là! La, la. Il n'avait de goût onéreux Qu'une soif un peu vive; Mais, en rendant son peuple heureux, Il faut bien qu'un roi vive. Lui-même, à table et sans suppôt, Sur chaque muid levait un pot D'impôt. Oh! Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah! Ah! Quel bon petit roi c'était là! La, la. Aux filles de bonnes maisons Comme il avait su plaire, Ses sujets avaient cent raisons De le nommer leur père: D'ailleurs il ne levait de ban Que pour tirer, quatre fois l'an, Au blanc. Oh! Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah! Ah! Quel bon petit roi c'était là! La, la. Il n'agrandit point ses états, Fut un voisin commode, Et, modèle des potentats, Prit le plaisir pour code. Ce n'est que lorsqu'il expira Que le peuple qui l'enterra Pleura. Oh! Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah! Ah! Quel bon petit roi c'était là! La, la. On conserve encor le portrait De ce digne et bon prince; C'est l'enseigne d'un cabaret Fameux dans la province. Les jours de fête, bien souvent, La foule s'écrie en buvant Devant: Oh! Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah! Ah! Quel bon petit roi c'était là! La, la. LA BACCHANTE Cher amant, je cède à tes desirs: De champagne enivre Julie. Inventons, s'il se peut, des plaisirs; Des amours épuisons la folie. Verse-moi ce joyeux poison; Mais sur-tout bois à ta maîtresse: Je rougirais de mon ivresse, Si tu conservais ta raison. Vois déja briller dans mes regards Tout le feu dont mon sang bouillonne. Sur ton lit, de mes cheveux épars, Fleur à fleur vois tomber ma couronne. Le cristal vient de se briser: Dieux! Baise ma gorge brûlante, Et taris l'écume enivrante Dont tu te plais à l'arroser. Verse encor! Mais pourquoi ces atours Entre tes baisers et mes charmes? Romps ces noeuds, oui, romps-les pour toujours: Ma pudeur ne connaît plus d'alarmes. Presse en tes bras mes charmes nus. Ah! Je sens redoubler mon être! À l'ardeur qu'en moi tu fais naître Ton ardeur ne suffira plus. Dans mes bras tombe enfin à ton tour; Mais, hélas! Tes baisers languissent. Ne bois plus, et garde à mon amour Ce nectar où tes feux s'amortissent. De mes desirs mal apaisés, Ingrat, si tu pouvais te plaindre, J'aurai du moins pour les éteindre Le vin où je les ai puisés. LE SENATEUR 1813. Mon épouse fait ma gloire: Rose a de si jolis yeux! Je lui dois, l'on peut m'en croire, Un ami bien précieux. Le jour où j'obtins sa foi Un sénateur vint chez moi. Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. De ses faits je tiens registre: C'est un homme sans égal. L'autre hiver, chez un ministre, Il mena ma femme au bal. S'il me trouve en son chemin, Il me frappe dans la main. Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. Près de Rose il n'est point fade, Et n'a rien de freluquet. Lorsque ma femme est malade, Il fait mon cent de piquet. Il m'embrasse au jour de l'an; Il me fête à la saint-Jean. Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. Chez moi qu'un temps effroyable Me retienne après dîner, Il me dit d'un air aimable: " allez donc vous promener; Mon cher, ne vous gênez pas, Mon équipage est là bas. " Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. Certain soir à sa campagne Il nous mena par hasard; Il m'enivra de champagne, Et Rose fit lit à part: Mais de la maison, ma foi, Le plus beau lit fut pour moi. Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. À l'enfant que Dieu m'envoie Pour parrain je l'ai donné. C'est presque en pleurant de joie Qu'il baise le nouveau-né; Et mon fils, dès ce moment, Est mis sur son testament. Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. À table il aime qu'on rie; Mais parfois j'y suis trop vert. J'ai poussé la raillerie Jusqu'à lui dire au dessert: On croit, j'en suis convaincu, Que vous me faites c... Quel honneur! Quel bonheur! Ah! Monsieur le sénateur, Je suis votre humble serviteur. L'ACADEMIE ET LE CAVEAU Chanson de réception au caveau moderne. Au caveau je n'osais frapper; Des méchants m'avaient su tromper. C'est presque un cercle académique, Me disait maint esprit caustique. Mais, que vois-je! De bons amis Que rassemble un couvert bien mis. Asseyez-vous, me dit la compagnie. Non, non, ce n'est point comme à l'académie. Ce n'est point comme à l'académie. Je me voyais, pendant un mois, Courant pour disputer les voix À des gens qu'appuîrait le zèle D'un grand seigneur ou d'une belle: Mais, faisant moitié du chemin, Vous m'accueillez le verre en main. D'ici l'intrigue est à jamais bannie: Non, non, ce n'est point comme à l'académie. Ce n'est point comme à l'académie. Toussant, crachant, faudra-t-il donc, Dans un discours superbe et long, Dire: quel honneur vous me faites! Messieurs, vous êtes trop honnêtes; Ou quelque chose d'aussi fort? Mais que je m'effrayais à tort! On peut ici montrer moins de génie. Non, non, ce n'est point comme à l'académie. Ce n'est point comme à l'académie. Je croyais voir le président Faire bâiller en répondant Que l'on vient de perdre un grand homme; Que moi je le vaux, Dieu sait comme. Mais ce président sans façon Ne pérore ici qu'en chanson: Toujours trop tôt sa harangue est finie. Non, non, ce n'est point comme à l'académie. Ce n'est point comme à l'académie. Admis enfin, aurai-je alors, Pour tout esprit, l'esprit de corps? Il rend le bon sens, quoi qu'on dise, Solidaire de la sottise; Mais dans votre société, L'esprit de corps c'est la gaîté. Cet esprit-là règne sans tyrannie. Non, non, ce n'est point comme à l'académie. Ce n'est point comme à l'académie. Ainsi, j'en juge à votre accueil, Ma chaise n'est point un fauteuil. Que je vais chérir cet asile, Où tant de fois le vaudeville A renouvelé ses grelots, Et sur la porte écrit ces mots: Joie, amitié, malice et bonhomie! Non, non, ce n'est point comme à l'académie. Ce n'est point comme à l'académie. LA GAUDRIOLE Momus a pris pour adjoints Des rimeurs d'école: Des chansons en quatre points Le froid nous désole. Mirliton s'en est allé. Ah! La muse de Collé, C'est la gaudriole, Ô gué, C'est la gaudriole. Moi, des sujets polissons Le ton m'affriole. Minerve dans mes chansons Fait la cabriole. De ma grand'mère, après tout, Tartufes, je tiens le goût De la gaudriole, Ô gué, De la gaudriole. Elle amusait à dix ans Son maître d'école. Des cordeliers gros plaisants Elle fut l'idole. Au prêtre qui l'exhortait, En mourant elle contait Une gaudriole, Ô gué, Une gaudriole. C'était la régence alors; Et, sans hyperbole, Grace aux plus drôles de corps, La France était folle. Tous les hommes plaisantaient, Et les femmes se prêtaient À la gaudriole, Ô gué, À la gaudriole. On ne rit guère aujourd'hui. Est-on moins frivole? Trop de gloire nous a nui; Le plaisir s'envole. Mais au français attristé Qui peut rendre la gaîté? C'est la gaudriole, Ô gué, C'est la gaudriole. Prudes, qui ne criez plus Lorsqu'on vous viole, Pourquoi prendre un air confus À chaque parole? Passez les mots aux rieurs: Les plus gros sont les meilleurs Pour la gaudriole, Ô gué, Pour la gaudriole. ROGER BONTEMPS 1814. Aux gens atrabilaires Pour exemple donné, En un temps de misères Roger Bontemps est né. Vivre obscur à sa guise, Narguer les mécontents; Eh gai! C'est la devise Du gros Roger Bontemps. Du chapeau de son père, Coiffé dans les grands jours, De roses ou de lierre Le rajeunir toujours; Mettre un manteau de bure, Vieil ami de vingt ans; Eh gai! C'est la parure Du gros Roger Bontemps. Posséder dans sa hutte Une table, un vieux lit, Des cartes, une flûte, Un broc que Dieu remplit, Un portrait de maîtresse, Un coffre et rien dedans; Eh gai! C'est la richesse Du gros Roger Bontemps. Aux enfants de la ville Montrer de petits jeux; Être un faiseur habile De contes graveleux; Ne parler que de danse Et d'almanachs chantants; Eh gai! C'est la science Du gros Roger Bontemps. Faute de vin d'élite, Sabler ceux du canton; Préférer Marguerite Aux dames du grand ton; De joie et de tendresse Remplir tous ses instants; Eh gai! C'est la sagesse Du gros Roger Bontemps. Dire au ciel: je me fie, Mon père, à ta bonté; De ma philosophie Pardonne la gaîté; Que ma saison dernière Soit encore un printemps; Eh gai! C'est la prière Du gros Roger Bontemps. Vous, pauvres pleins d'envie, Vous, riches desireux, Vous, dont le char dévie Après un cours heureux; Vous, qui perdrez peut-être Des titres éclatants, Eh gai! Prenez pour maître Le gros Roger Bontemps. PARNY Je disais au fils d'épicure: " réveillez par vos joyeux chants Parny, qui sait de la nature Célébrer les plus doux penchants. " Mais les chants que la joie inspire Font place aux regrets superflus: Parny n'est plus! Il vient d'expirer sur sa lyre: Parny n'est plus! Je disais aux graces émues: " il vous doit sa célébrité. Montrez-vous à lui demi-nues; Qu'il peigne encor la volupté. " Mais chacune d'elles soupire Auprès des plaisirs éperdus. Parny n'est plus! Il vient d'expirer sur sa lyre: Parny n'est plus! Je disais aux dieux du bel âge: " amours, rendez à ses vieux ans Les fleurs qu'aux pieds d'une volage Il prodigua dans son printemps. " Mais en pleurant je les vois lire Des vers qu'ils ont cent fois relus. Parny n'est plus! Il vient d'expirer sur sa lyre: Parny n'est plus! Je disais aux muses plaintives: " oubliez vos malheurs récents; Pour charmer l'écho de nos rives, Il vous suffit de ses accents. " Mais du poétique délire Elles brisent les attributs. Parny n'est plus! Il vient d'expirer sur sa lyre: Parny n'est plus! Il n'est plus! Ah! Puisse l'envie S'interdire un dernier effort! Immortel il quitte la vie; Pour lui tous les dieux sont d'accord. Que la haine, prête à maudire, Pardonne aux aimables vertus. Parny n'est plus! Il vient d'expirer sur sa lyre: Parny n'est plus! MA GRAND'MERE Ma grand'mère, un soir à sa fête, De vin pur ayant bu deux doigts, Nous disait en branlant la tête: Que d'amoureux j'eus autrefois! Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Et le temps perdu! Quoi! Maman, vous n'étiez pas sage! -non vraiment; et de mes appas Seule à quinze ans j'appris l'usage, Car la nuit je ne dormais pas. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Maman, vous aviez le coeur tendre? -oui, si tendre, qu'à dix-sept ans, Lindor ne se fit pas attendre, Et qu'il n'attendit pas long-temps. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Maman, Lindor savait donc plaire? -oui, seul il me plut quatre mois: Mais bientôt j'estimai Valère, Et fis deux heureux à-la-fois. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Quoi! Maman, deux amants ensemble! -oui, mais chacun d'eux me trompa. Plus fine alors qu'il ne vous semble, J'épousai votre grand-papa. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Maman, que lui dit la famille? -rien, mais un mari plus sensé Eût pu connaître à la coquille Que l'oeuf était déja cassé. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Maman, lui fûtes-vous fidèle? -oh! Sur cela je me tais bien. À moins qu'à lui Dieu ne m'appelle, Mon confesseur n'en saura rien. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Bien tard, maman, vous fûtes veuve? -oui; mais, graces à ma gaîté, Si l'église n'était plus neuve, Le saint n'en fut pas moins fêté. Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, Comme vous, maman, faut-il faire? -eh! Mes petits-enfants, pourquoi, Quand j'ai fait comme ma grand'mère, Ne feriez-vous pas comme moi? Combien je regrette Mon bras si dodu, Ma jambe bien faite, LE MORT VIVANT Lorsque l'ennui pénètre dans mon fort, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Quand le plaisir à grands coups m'abreuvant Gaîment m'assiège et derrière et devant, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! Un sot fait-il sonner son coffre-fort, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Volnay, Pomard, Beaune, et moulin-à-vent, Fait-on sonner votre âge en vous servant, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! Des pauvres rois veut-on régler le sort, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! En fait de vin qu'on se montre savant; Dût-on pousser le sujet trop avant, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! Faut-il aller guerroyer dans le nord, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Que, près du feu, l'un l'autre se bravant, On trinque assis derrière un paravent, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! De beaux esprits s'annoncent-ils d'abord, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Mais, sans esprit, faut-il mettre en avant De gais couplets qu'on répète en buvant, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! Suis-je au sermon d'un bigot qui m'endort, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Que l'amitié réclame un coeur fervent, Que dans la cave elle fonde un couvent, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! Monseigneur entre, et la liberté sort, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Mais que Thémire, à table nous trouvant, Avec l'aï s'égaie en arrivant, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! Faut-il sans boire abandonner ce bord, Priez pour moi: je suis mort, je suis mort! Mais pour m'y voir jeter l'ancre souvent, Le verre en main, quand j'implore un bon vent, Je suis vivant, bien vivant, très vivant! LE PRINTEMPS ET L'AUTOMNE Deux saisons règlent toutes choses, Pour qui sait vivre en s'amusant: Au printemps nous devons les roses, À l'automne un jus bienfaisant. Les jours croissent; le coeur s'éveille: On fait le vin quand ils sont courts. Au printemps, adieu la bouteille! En automne, adieu les amours! Mieux il vaudrait unir sans doute Ces deux penchants faits pour charmer; Mais pour ma santé je redoute De trop boire et de trop aimer. Or, la sagesse me conseille De partager ainsi mes jours: Au printemps, adieu la bouteille! Au mois de mai j'ai vu Rosette, Et mon coeur a subi ses lois. Que de caprices la coquette M'a fait essuyer en six mois! Pour lui rendre enfin la pareille, J'appelle octobre à mon secours. Au printemps, adieu la bouteille! Je prends, quitte, et reprends Adèle, Sans façon comme sans regrets. Au revoir, un jour me dit-elle. Elle revint long-temps après; J'étais à chanter sous la treille: Ah! Dis-je, l'année a son cours. Au printemps, adieu la bouteille! Mais il est une enchanteresse Qui change à son gré mes plaisirs. Du vin elle excite l'ivresse, Et maîtrise jusqu'aux desirs. Pour elle ce n'est pas merveille De troubler l'ordre de mes jours, Au printemps avec la bouteille, En automne avec les amours. LA MERE AVEUGLE Tout en filant votre lin, Écoutez-moi bien, ma fille. Déja votre coeur sautille Au nom du jeune Colin. Craignez ce qu'il vous conseille. Quoique aveugle, je surveille; À tout je prête l'oreille, Et vous soupirez tout bas. Votre Colin n'est qu'un traître... Mais vous ouvrez la fenêtre; Lise, vous ne filez pas. Il fait trop chaud, dites-vous; Mais par la fenêtre ouverte, À Colin, toujours alerte, Ne faites pas les yeux doux. Vous vous plaignez que je gronde: Hélas! Je fus jeune et blonde, Je sais combien dans ce monde On peut faire de faux pas. L'amour trop souvent l'emporte... Mais quelqu'un est à la porte; Lise, vous ne filez pas. C'est le vent, me dites-vous, Qui fait crier la serrure; Et mon vieux chien qui murmure Gagne à cela de bons coups. Oui, fiez-vous à mon âge: Colin deviendra volage; Craignez, si vous n'êtes sage, De pleurer sur vos appas... Grand dieu! Que viens-je d'entendre? C'est le bruit d'un baiser tendre; Lise, vous ne filez pas. C'est votre oiseau, dites-vous, C'est votre oiseau qui vous baise; Dites-lui donc qu'il se taise, Et redoute mon courroux. Ah! D'une folle conduite Le déshonneur est la suite; L'amant qui vous a séduite En rit même entre vos bras. Que la prudence vous sauve... Mais vous allez vers l'alcôve; Lise, vous ne filez pas. C'est pour dormir, dites-vous. Quoi! Me jouer de la sorte! Colin est ici, qu'il sorte, Ou devienne votre époux. En attendant qu'à l'église Le séducteur vous conduise, Filez, filez, filez, Lise, Près de moi, sans faire un pas. En vain votre lin s'embrouille; Avec une autre quenouille, Non, vous ne filerez pas. LE PETIT HOMME GRIS Il est un petit homme Tout habillé de gris, Dans Paris, Joufflu comme une pomme, Qui, sans un sou comptant, Vit content, Et dit: moi, je m'en... Et dit: moi, je m'en... Ma foi, moi, je m'en ris! Oh! Qu'il est gai le petit homme gris! À courir les fillettes, À boire sans compter, À chanter, Il s'est couvert de dettes; Mais, quant aux créanciers, Aux huissiers, Il dit: moi, je m'en... Il dit: moi, je m'en... Ma foi, moi, je m'en ris! Oh! Qu'il est gai le petit homme gris! Qu'il pleuve dans sa chambre; Qu'il s'y couche le soir Sans y voir; Qu'il lui faille en décembre Souffler, faute de bois, Dans ses doigts, Il dit: moi, je m'en... Il dit: moi, je m'en... Ma foi, moi, je m'en ris! Oh! Qu'il est gai le petit homme gris! Sa femme, assez gentille, Fait payer ses atours Aux amours; Aussi, plus elle brille, Plus on le montre au doigt. Il le voit, Et dit: moi, je m'en... Et dit: moi, je m'en... Ma foi, moi, je m'en ris! Oh! Qu'il est gai le petit homme gris! Quand la goutte l'accable Sur un lit délabré, Le curé, De la mort et du diable, Parle à ce moribond, Qui répond: Ma foi, moi, je m'en... Ma foi, moi je m'en... Ma foi, moi, je m'en ris! Oh! Qu'il est gai le petit homme gris! BONNE FILLE OU MOEURS DU TEMPS 1812. Je sais fort bien que sur moi l'on babille, Que soi-disant J'ai le ton trop plaisant; Mais cet air amusant Sied si bien à Camille! Philosophe par goût, Et toujours et de tout Je ris, je ris, tant je suis bonne fille. Pour le théâtre ayant quitté l'aiguille, À mon début, Craignant quelque rebut, Je me livre en tribut Au censeur Mascarille; Et ce cuistre insolent Dénigre mon talent; Mais moi j'en ris, tant je suis bonne fille. Un sénateur, qui toujours apostille, Dit: je voudrais Servir tes intérêts. Lors j'essaie à grands frais D'échauffer le vieux drille. Quoi qu'il fît espérer, Je n'en pus rien tirer; Mais j'en ai ri, tant je suis bonne fille. Un chambellan, qui de clinquant petille, Après qu'un jour Il m'eut fait voir la cour, Enrichit mon amour De ce jonc qui scintille. J'en fais voir le chaton: C'est du faux, me dit-on; Et moi j'en ris, tant je suis bonne fille. Un bel esprit, beau de l'esprit qu'il pille, Grace à moi fut Nommé de l'institut. Quand des voix qu'il me dut Vient l'éclat dont il brille, Avec moi que de fois Il a manqué de voix! Mais j'en ai ri, tant je suis bonne fille. Un lycéen, qui sort de sa coquille, Tout triomphant, Dans ses bras m'étouffant, De me faire un enfant Me proteste qu'il grille; Et le petit morveux, Au lieu d'un, m'en fait deux; Mais moi j'en ris, tant je suis bonne fille. Trois auditeurs me disent: viens, Camille, Soupe avec nous; Que nous fassions les fous. J'étais seule pour tous: L'un d'eux me déshabille. Puis le vin met dedans Nos petits intendants; Et moi j'en ris, tant je suis bonne fille. Telle est ma vie; et sur mainte vétille J'aurais ici Pu glisser, dieu merci! Dans ses jupons aussi Je sais qu'on s'entortille; Mais les restrictions, Mais les précautions, Moi je m'en ris, tant je suis bonne fille. AINSI SOIT-IL!1812. Je suis devin, mes chers amis; L'avenir qui nous est promis Se découvre à mon art subtil. Ainsi soit-il! Plus de poëte adulateur; Le puissant craindra le flatteur; Nul courtisan ne sera vil. Ainsi soit-il! Plus d'usuriers, plus de joueurs, De petits banquiers grands seigneurs, Et pas un commis incivil. Ainsi soit-il! L'amitié, charme de nos jours, Ne sera plus un froid discours Dont l'infortune rompt le fil. Ainsi soit-il! La fille, novice à quinze ans, À dix-huit avec ses amants N'exercera que son babil. Ainsi soit-il! Femme fuira les vains atours, Et son mari pendant huit jours Pourra s'absenter sans péril. Ainsi soit-il! L'on montrera dans chaque écrit Plus de génie et moins d'esprit, Laissant tout jargon puéril. Ainsi soit-il! L'auteur aura plus de fierté, L'acteur moins de fatuité; Le critique sera civil. Ainsi soit-il! On rira des erreurs des grands, On chansonnera leurs agents, Sans voir arriver l'alguazil. Ainsi soit-il! En France enfin renaît le goût; La justice règne par-tout, Et la vérité sort d'exil. Ainsi soit-il! Or, mes amis, bénissons Dieu, Qui met chaque chose en son lieu: Celles-ci sont pour l'an trois mil. Ainsi soit-il! L'EDUCATION DES DEMOISELLES Le bel instituteur de filles Que ce monsieur De Fénelon! Il parle de messe et d'aiguilles: Maman, c'est un sot tout du long. Concerts, bals et pièces nouvelles Nous instruisent mieux que cela. Tra la la la, les demoiselles, Tra la la la, se forment là. Qu'à broder une autre s'applique; Maman, je veux au piano, Avec mon maître de musique, D'Armide chanter le duo. Je crois sentir les étincelles De l'amour dont Renaud brûla. Tra la la la, les demoiselles, Qu'une autre écrive la dépense; Maman, pendant une heure ou deux, Je veux que mon maître de danse M'enseigne un pas voluptueux. Ma robe rend mes pieds rebelles: Un peu plus haut relevons-la. Tra la la la, les demoiselles, Que sur ma soeur une autre veille; Maman, je veux mettre au salon. Déja je dessine à merveille Les contours de cet Apollon. Grand dieu, que ses formes sont belles! Sur-tout les beaux nus que voilà! Tra la la la, les demoiselles, Maman, il faut qu'on me marie, La coutume ainsi l'exigeant. Je t'avoûrai, ma chère amie, Que même le cas est urgent. Le monde sait de mes nouvelles, Mais on y rit de tout cela. Tra la la la, les demoiselles, MADAME GREGOIRE C'était de mon temps Que brillait Madame Grégoire. J'allais à vingt ans Dans son cabaret rire et boire; Elle attirait les gens Par des airs engageants. Plus d'un brun à large poitrine Avait là crédit sur la mine. Ah! Comme on entrait Boire à son cabaret! D'un certain époux Bien qu'elle pleurât la mémoire, Personne de nous N'avait connu défunt Grégoire; Mais à le remplacer Qui n'eût voulu penser? Heureux l'écot où la commère Apportait sa pinte et son verre! Ah! Comme on entrait Boire à son cabaret! Je crois voir encor Son gros rire aller jusqu'aux larmes,et sous sa croix d'or L'ampleur de ses pudiques charmes. Sur tous ses agréments Consultez ses amants: Au comptoir la sensible brune Leur rendait deux pièces pour une. Ah! Comme on entrait Boire à son cabaret! Des buveurs grivois Les femmes lui cherchaient querelle. Que j'ai vu de fois Des galants se battre pour elle! La garde et les amours Se chamaillant toujours, Elle, en femme des plus capables, Dans son lit cachait les coupables. Ah! Comme on entrait Boire à son cabaret! Quand ce fut mon tour D'être en tout le maître chez elle, C'était chaque jour Pour mes amis fête nouvelle. Je ne suis point jaloux: Nous nous arrangions tous. L'hôtesse, poussant à la vente, Nous livrait jusqu'à la servante. Ah! Comme on entrait Boire à son cabaret! Tout est bien changé: N'ayant plus rien à mettre en perce, Elle a pris congé Et des plaisirs et du commerce. Que je regrette, hélas! Sa cave et ses appas! Long-temps encor chaque pratique S'écrîra devant sa boutique: Ah! Comme on entrait Boire à son cabaret! CHARLES SEPT Je vais combattre, Agnès l'ordonne: Adieu, repos; plaisirs, adieu! J'aurai, pour venger ma couronne, Des héros, l'amour, et mon dieu. Anglais, que le nom de ma belle Dans vos rangs porte la terreur. J'oubliais l'honneur auprès d'elle, Agnès me rend tout à l'honneur. Dans les jeux d'une cour oisive, Français et roi, loin des dangers, Je laissais la France captive En proie au fer des étrangers. Un mot, un seul mot de ma belle A couvert mon front de rougeur. J'oubliais l'honneur auprès d'elle, S'il faut mon sang pour la victoire, Agnès, tout mon sang coulera. Mais non; pour l'amour et la gloire, Victorieux, Charles vivra. Je dois vaincre; j'ai de ma belle Et les chiffres et la couleur. J'oubliais l'honneur auprès d'elle, Dunois, La Trémouille, Saintrailles, Ô français, quel jour enchanté Quand des lauriers de vingt batailles Je couronnerai la beauté! Français, nous devrons à ma belle, Moi la gloire, et vous le bonheur. J'oubliais l'honneur auprès d'elle, MES CHEVEUX Mes bons amis, que je vous prêche à table, Moi, l'apôtre de la gaîté. Opposez tous au destin peu traitable Le repos et la liberté; À la grandeur, à la richesse, Préférez des loisirs heureux. C'est mon avis, moi de qui la sagesse A fait tomber tous les cheveux. Mes bons amis, voulez-vous dans la joie Passer quelques instants sereins, Buvez un peu; c'est dans le vin qu'on noie L'ennui, l'humeur, et les chagrins. À longs flots puisez l'alégresse Dans ces flacons d'un vin mousseux. C'est mon avis, moi de qui la sagesse Mes bons amis, et bien boire et bien rire N'est rien encor sans les amours. Que la beauté vous charme et vous attire; Dans ses bras coulez tous vos jours. Gloire, trésors, santé, jeunesse, Sacrifiez tout à ses voeux. C'est mon avis, moi de qui la sagesse Mes bons amis, du sort et de l'envie On brave ainsi les traits cuisants. En peu de jours usant toute la vie, On en retranche les vieux ans. Achetez la plus douce ivresse Au prix d'un âge malheureux. C'est mon avis, moi de qui la sagesse LES GUEUX 1812. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! Des gueux chantons la louange. Que de gueux hommes de bien! Il faut qu'enfin l'esprit venge L'honnête homme qui n'a rien. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! Oui, le bonheur est facile Au sein de la pauvreté: J'en atteste l'évangile; J'en atteste ma gaîté. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! Au Parnasse la misère Long-temps a régné, dit-on. Quels biens possédait Homère? Une besace, un bâton. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! Vous qu'afflige la détresse, Croyez que plus d'un héros, Dans le soulier qui le blesse, Peut regretter ses sabots. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! Du faste qui vous étonne L'exil punit plus d'un grand; Diogène, dans sa tonne, Brave en paix un conquérant. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! D'un palais l'éclat vous frappe, Mais l'ennui vient y gémir. On peut bien manger sans nappe; Sur la paille on peut dormir. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! Quel dieu se plaît et s'agite Sur ce grabat qu'il fleurit? C'est l'amour qui rend visite À la pauvreté qui rit. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! L'amitié que l'on regrette N'a point quitté nos climats; Elle trinque à la guinguette, Assise entre deux soldats. Les gueux, les gueux, Sont les gens heureux; Ils s'aiment entre eux. Vivent les gueux! LE COIN DE L'AMITIE Couplets chantés par une demoiselle à une jeune Mariée, son amie. L'amour, l'hymen, l'intérêt, la folie, Aux quatre coins se disputent nos jours. L'amitié vient compléter la partie; Mais qu'on lui fait de mauvais tours! Lorsqu'aux plaisirs l'ame se livre entière, Notre raison ne brille qu'à moitié, Et la folie attaque la première Le coin de l'amitié. Puis vient l'amour, joueur malin et traître, Qui de tromper éprouve le besoin. En tricherie on le dit passé maître; Pauvre amitié, gare à ton coin! Ce dieu jaloux, dès qu'il voit qu'on l'adore, À tout soumettre aspire sans pitié. Vous cédez tout; il veut avoir encore Le coin de l'amitié. L'hymen arrive: oh! Combien on le fête! L'amitié seule apprête ses atours. Mais dans les soins qu'il vient nous mettre en tête Il nous renferme pour toujours. Ce dieu, chez lui calculant à toute heure, Y laisse enfin l'intérêt prendre pied, Et trop souvent lui donne pour demeure Le coin de l'amitié. Auprès de toi nous ne craignons, ma chère, Ni l'intérêt ni les folles erreurs; Mais aujourd'hui que l'hymen et son frère Inspirent de crainte à nos coeurs! Dans plus d'un coin, où de fleurs ils se parent, Pour ton bonheur qu'ils règnent de moitié; Mais que jamais, jamais ils ne s'emparent Du coin de l'amitié. L'AGE FUTUR 1814. Je le dis sans blesser personne, Notre âge n'est point l'âge d'or; Mais nos fils, qu'on me le pardonne, Vaudront bien moins que nous encor. Pour peupler la machine ronde, Qu'on est fou de mettre du sien!Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. En joyeux gourmands que nous sommes, Nous savons chanter un repas; Mais nos fils, pesants gastronomes, Boiront et ne chanteront pas. D'un sot à face rubiconde Ils feront un épicurien. Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. Grace aux beaux esprits de notre âge, L'ennui nous gagne assez souvent, Mais deux instituts, je le gage, Lutteront dans l'âge suivant. De se recruter à la ronde Tous deux trouveront le moyen. Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. Nous aimons bien un peu la guerre, Mais sans redouter le repos. Nos fils, ne se reposant guère, Batailleront à tout propos. Seul prix d'une ardeur furibonde, Un laurier sera tout leur bien. Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. Nous sommes peu galants sans doute, Mais nos fils, d'excès en excès, Égarant l'amour sur sa route, Ne lui parleront plus français. Ils traduiront, Dieu les confonde! L'art d'aimer en italien. Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. Ainsi, malgré tous nos sophistes, Chez nos descendants on aura Pour grands hommes des journalistes, Pour amusement l'opéra; Pas une vierge pudibonde; Pas même un aimable vaurien. Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. De fleurs, amis, ceignant nos têtes, Vainement nous formons des voeux Pour que notre culte et nos fêtes Soient en honneur chez nos neveux: Ce chapitre que Momus fonde Chez eux manquera de doyen. Ah! Pour un rien, Oui, pour un rien, Nous laisserions finir le monde, Si nos femmes le voulaient bien. LE VIEUX CELIBATAIRE Allons, Babet, il est bientôt dix heures; Pour un goutteux c'est l'instant du repos. Depuis un an qu'avec moi tu demeures, Jamais, je crois, je ne fus si dispos. À mon coucher ton aimable présence Pour ton bonheur ne sera pas sans fruit. Allons, Babet, un peu de complaisance, Un lait de poule et mon bonnet de nuit. Petite bonne, agaçante et jolie, D'un vieux garçon doit être le soutien. Jadis ton maître a fait mainte folie Pour des minois moins friands que le tien. Je veux demain, bravant la médisance, Au cadran bleu te régaler sans bruit. Allons, Babet, un peu de complaisance, N'expose plus à des travaux pénibles Cette main douce et ce teint des plus frais; Auprès de moi coule des jours paisibles; Que mille atours relèvent tes attraits. L'amour par eux m'a rendu sa puissance: Ne vois-tu pas son flambeau qui me luit? Allons, Babet, un peu de complaisance, À mes desirs, quoi! Babet se refuse! Mademoiselle, auriez-vous un amant? De mon neveu le jockey vous amuse; Mais songez-y: je fais mon testament. Docile enfin, livre sans résistance À mes baisers ce sein qui m'a séduit. Allons, Babet, un peu de complaisance, Ah! Tu te rends, tu cèdes à ma flamme! Mais la nature, hélas! Trahit mon coeur. Ne pleure point; va, tu seras ma femme, Malgré mon âge et le public moqueur. Fais donc si bien que ta douce influence Rende à mes sens la chaleur qui me fuit. Allons, Babet, un peu de complaisance, L'AMI ROBIN De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère. De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! Robin connaît toutes nos belles, Et jusqu'où leur prix peut aller. Messieurs, qui voulez des pucelles, C'est à Robin qu'il faut parler. De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère. De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! Prodiguons l'or, et des maîtresses De toutes parts vont nous venir: Car si nous tenions aux comtesses, Robin pourrait nous en fournir. De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère.De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! J'ai connu Robin à l'école: Ce n'était point un libertin; Mais il gagnait mainte pistole À nous procurer l'Arétin. De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère. De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! Quand de prendre femme il eut l'âge, Il la prit belle exprès pour ça. Par malheur la sienne était sage; Mais aussi Robin divorça. De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère. De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! Que le neuf ou le vieux vous tente, Il sera votre fournisseur: Robin vend sa nièce et sa tante; Il vendrait sa mère et sa soeur. De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère. De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! Si je lis bien dans son système, Vers la cour il marche à grands pas. Combien de gens qui déja même Devant Robin ont chapeau bas! De tout Cythère Sois le courtier: On paîra bien ton ministère. De tout Cythère Sois le courtier: Ami Robin, quel bon métier! LES GAULOIS ET LES FRANCS Janvier 1814. Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! D'Attila suivant la voix, Le barbare Qu'elle égare Vient une seconde fois Périr dans les champs gaulois. Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! Renonçant à ses marais, Le cosaque Qui bivouaque, Croit, sur la foi des anglais, Se loger dans nos palais. Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! Le russe, toujours tremblant Sous la neige Qui l'assiège, Las de pain noir et de gland, Veut manger notre pain blanc. Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! Ces vins que nous amassons Pour les boire À la victoire, Seraient bus par des saxons! Plus de vin, plus de chansons! Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! Pour des calmouks durs et laids Nos filles Sont trop gentilles, Nos femmes ont trop d'attraits. Ah! Que leurs fils soient français! Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! Quoi! Ces monuments chéris, Histoire De notre gloire, S'écrouleraient en débris! Quoi! Les prussiens à Paris! Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! Nobles francs et bons gaulois, La paix si chère À la terre Dans peu viendra sous vos toits Vous payer de tant d'exploits. Gai! Gai! Serrons nos rangs, Espérance De la France; Gai! Gai! Serrons nos rangs; En avant, gaulois et francs! FRETILLON Francs amis des bonnes filles, Vous connaissez Frétillon: Ses charmes aux plus gentilles Ont fait baisser pavillon. Ma Frétillon, Cette fille Qui frétille, N'a pourtant qu'un cotillon. Deux fois elle eut équipage, Dentelles et diamants, Et deux fois mit tout en gage Pour quelques fripons d'amants. Ma Frétillon, Cette fille Qui frétille, Reste avec un cotillon. Point de dame qui la vaille: Cet hiver, dans son taudis, Couché presque sur la paille, Mes sens étaient engourdis. Ma Frétillon, Cette fille Qui frétille, Mit sur moi son cotillon. Mais que vient-on de m'apprendre? Quoi! Le peu qui lui restait, Frétillon a pu le vendre Pour un fat qui la battait! Ma Frétillon, Cette fille Qui frétille, A vendu son cotillon. En chemise, à la croisée, Il lui faut tendre ses lacs. À travers la toile usée, Amour lorgne ses appas. Ma Frétillon, Cette fille Qui frétille, Est si bien sans cotillon! Seigneurs, banquiers et notaires La feront encor briller; Puis encor des mousquetaires Viendront la déshabiller. Ma Frétillon, Cette fille Qui frétille, Mourra sans un cotillon. UN TOUR DE MAROTTE Chanson chantée aux soupers de Momus. Que Momus, dieu des bons couplets, Soit l'ami d'épicure. Je veux porter ses chapelets Pendus à ma ceinture. Payant tribut À l'attribut De sa gaîté falote, De main en main, Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. La marotte au sceptre des rois Oppose sa puissance: Momus en donne sur les doigts Du grand que l'on encense. Gaîment frappons Sots et fripons En casque, en mitre, en cotte. De main en main Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. Qu'un fat soit l'aigle des salons; Qu'un docteur sente l'ambre; Qu'un valet change ses galons Sans changer d'antichambre; Paris, enclin Au trait malin, Grace à nous, les ballotte. De main en main, Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. Mais de la marotte, à sa cour, La beauté veut qu'on use; C'est un des hochets de l'amour, Et Vénus s'en amuse. Son joyeux bruit Souvent séduit L'actrice et la dévote. De main en main, Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. Elle s'allie au tambourin Du dieu de la vendange, Quand pour guérir le noir chagrin Coule un vin sans mélange. Oui, ses grelots Font à grands flots Jaillir cet antidote. De main en main, Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. Point de convives paresseux, Amis, car il me semble Que l'amitié bénit tous ceux Que la marotte assemble; Jeunes d'esprit Ensemble on rit, Puis ensemble on radote. De main en main, Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. Au bruit des grelots, dans ce lieu, Chantez donc votre messe. L'assistant, le prêtre et le dieu Inspirent l'alégresse. D'un gai refrain À ce lutrin, Pour qu'on suive la note, De main en main, Jusqu'à demain, Passons-nous la marotte. LA DOUBLE IVRESSE Je reposais sous l'ombrage, Quand Noeris vint m'éveiller: Je crus voir sur son visage Le feu du desir briller: Sur son front Zéphire agite La rose et le pampre vert; Et de son sein qui palpite Flotte le voile entr'ouvert. Un enfant qui suit sa trace (son frère, si je l'en crois) Presse pour remplir sa tasse Des raisins entre ses doigts. Tandis qu'à mes yeux la belle Chante et danse à ses chansons, L'enfant, caché derrière elle, Mêle au vin d'affreux poisons. Noeris prend la tasse pleine, Y goûte, et vient me l'offrir. Ah! Dis-je, la ruse est vaine: Je sais qu'on peut en mourir. Tu le veux, enchanteresse; Je bois, dussé-je en ce jour Du vin expier l'ivresse Par l'ivresse de l'amour. Mon délire fut extrême: Mais aussi qu'il dura peu! Ce n'est plus Noeris que j'aime, Et Noeris s'en fait un jeu. De ces ardeurs infidèles Ce qui reste c'est qu'enfin, Depuis, à l'amour des belles J'ai mêlé le goût du vin. VOYAGE AU PAYS DE COCAGNE Ah! Vers une rive Où sans peine on vive, Qui m'aime me suive! Voyageons gaîment. Ivre de champagne, Je bats la campagne, Et vois de cocagne Le pays charmant. Terre chérie, Sois ma patrie: Qu'ici je rie Du sort inconstant. Pour moi tout change: Bonheur étrange! Je bois et mange Sans un sou comptant. Mon appétit s'ouvre, Et mon oeil découvre Les portes d'un louvre En tourte arrondi; J'y vois de gros gardes, Cuirassés de bardes, Portant hallebardes De sucre candi. Bon dieu! Que j'aime Ce doux système! Les canons même De sucre sont faits. Belles sculptures, Riches peintures En confitures, Ornent les buffets. Pierrots et paillasses, Beaux esprits cocasses, Charment sur les places Le peuple ébahi, Pour qui cent fontaines, Au lieu d'eaux malsaines, Versent, toujours pleines, Le beaune et l'aï. Des gens enfournent, D'autres défournent; Aux broches tournent Veau, boeuf et mouton. Des lois de table L'ordre équitable De tout coupable Fait un marmiton. Dans un palais j'entre, Et je m'assieds entre Des grands dont le ventre Se porte un défi; Je trouve en ce monde, Où la graisse abonde, Vénus toute ronde Et l'amour bouffi. Nul front sinistre; Propos de cuistre, Airs de ministre, N'y sont point permis. La table est mise, La chère exquise; Que l'on se grise: Trinquons, mes amis! Mais parlons d'affaires. Beautés peu sévères, Qu'au doux bruit des verres D'un dessert friand, On chante et l'on dise Quelque gaillardise Qui nous scandalise En nous égayant. Quand le vin tape L'époux qu'on drape, Que sur la nappe Il s'endort à point; De femme aimable Mère intraitable, Ah! Sous la table Ne regardez point. Folle et tendre orgie! La face rougie, La panse élargie, Là, chacun est roi; Et quand l'heure invite À gagner son gîte, L'on rentre bien vite Ailleurs que chez soi. Que de goguettes! Que d'amourettes! Jamais de dettes: Point de noeuds constants. Entre l'ivresse Et la paresse, Notre jeunesse Va jusqu'à cent ans. Oui, dans ton empire, Cocagne, on respire... Mais, qui vient détruire Ce rêve enchanteur? Ami, j'en ai honte; C'est quelqu'un qui monte Apporter le compte Du restaurateur. LE COMMENCEMENT DU VOYAGE Chanson chantée sur le berceau d'un enfant Nouveau-né. Voyez, amis, cette barque légère Qui de la vie essaie encor les flots: Elle contient gentille passagère; Ah! Soyons-en les premiers matelots. Déja les eaux l'enlèvent au rivage Que doucement elle fuit pour toujours. Nous qui voyons commencer le voyage, Par nos chansons égayons-en le cours. Déja le sort a soufflé dans les voiles; Déja l'espoir prépare les agrès, Et nous promet, à l'éclat des étoiles, Une mer calme et des vents doux et frais. Fuyez, fuyez, oiseaux d'un noir présage: Cette nacelle appartient aux amours. Nous qui voyons commencer le voyage, Par nos chansons égayons-en le cours. Au mât propice attachant leurs guirlandes, Oui, les amours prennent part au travail. Aux chastes soeurs on a fait des offrandes, Et l'amitié se place au gouvernail. Bacchus lui-même anime l'équipage, Qui des plaisirs invoque le secours. Nous qui voyons commencer le voyage, Par nos chansons égayons-en le cours. Qui vient encor saluer la nacelle? C'est le malheur bénissant la vertu, Et demandant que du bien fait par elle Sur cet enfant le prix soit répandu. À tant de voeux dont retentit la plage, Sûrs que jamais les dieux ne seront sourds, Nous qui voyons commencer le voyage, Par nos chansons égayons-en le cours. LA MUSIQUE Purgeons nos desserts Des chansons à boire, Vivent les grands airs Du conservatoire! Bon! La farira dondaine, Gai! La farira dondé. Tout est réchauffé Aux dîners d'Agathe: Au lieu de café, Vite une sonate. Bon! La farira dondaine, Gai! L'opéra toujours Fait bruit et merveilles; On y voit les sourds Boucher leurs oreilles. Bon! La farira dondaine, Gai! Acteurs très profonds, Sujets de disputes, Messieurs les bouffons, Soufflez dans vos flûtes. Bon! La farira dondaine, Gai! Et vous gens de l'art, Pour que je jouisse, Quand c'est du Mozart Que l'on m'avertisse. Bon! La farira dondaine, Gai! Nature n'est rien; Mais on recommande Goût italien, Et grace allemande. Bon! La farira dondaine, Gai! Si nous t'enterrons, Bel art dramatique, Pour toi nous dirons La messe en musique. Bon! La farira dondaine, Gai! LES GOURMANDS À messieurs les gastronomes. Gourmands, cessez de nous donner La carte de votre dîner: Tant de gens qui sont au régime Ont droit de vous en faire un crime. Et d'ailleurs à chaque repas D'étouffer ne tremblez-vous pas? C'est une mort peu digne qu'on l'admire. Ah! Pour étouffer, n'étouffons que de rire; N'étouffons, n'étouffons que de rire. La bouche pleine, osez-vous bien Chanter l'amour, qui vit de rien? À l'aspect de vos barbes grasses, D'effroi vous voyez fuir les graces; Ou, de truffes en vain gonflés, Près de vos belles vous ronflez. L'embonpoint même a dû parfois vous nuire. Ah! Pour étouffer, n'étouffons que de rire; N'étouffons, n'étouffons que de rire. Vous n'exaltez, maîtres gloutons, Que la gloire des marmitons: Méprisant l'auteur humble et maigre Qui mouille un pain bis de vin aigre, Vous ne trouvez le laurier bon Que pour la sauce et le jambon; Chez des français quel étrange délire! Ah! Pour étouffer, n'étouffons que de rire; N'étouffons, n'étouffons que de rire. Pour goûter à point chaque mets À table ne causez jamais; Chassez-en la plaisanterie: Trop de gens, dans notre patrie, De ses charmes étaient imbus; Les bons mots ne sont qu'un abus; Pourtant, messieurs, permettez-nous d'en dire. Ah! Pour étouffer, n'étouffons que de rire; N'étouffons, n'étouffons que de rire. Français, dînons pour le dessert: L'amour y vient, Philis le sert: Le bouchon part, l'esprit petille; La décence même y babille, Et par la gaîté, qui prend feu, Se laisse coudoyer un peu. Chantons alors l'aï qui nous inspire. Ah! Pour étouffer, n'étouffons que de rire; N'étouffons, n'étouffons que de rire. MA DERNIERE CHANSON PEUT-ETRE Fin de janvier 1814. Je n'eus jamais d'indifférence Pour la gloire du nom français. L'étranger envahit la France, Et je maudis tous ses succès. Mais, bien que la douleur honore, Que servira d'avoir gémi? Puisqu'ici nous rions encore, Autant de pris sur l'ennemi! Quand plus d'un brave aujourd'hui tremble, Moi, poltron, je ne tremble pas. Heureux que Bacchus nous rassemble Pour trinquer à ce gai repas! Amis, c'est le dieu que j'implore; Par lui mon coeur est affermi. *******TEST********* P101 Buvons gaîment, buvons encore: Autant de pris sur l'ennemi! Mes créanciers sont des corsaires Contre moi toujours soulevés. J'allais mettre ordre à mes affaires, Quand j'appris ce que vous savez. Gens que l'avarice dévore, Pour votre or soudain j'ai frémi. Prêtez-m'en donc, prêtez encore: Autant de pris sur l'ennemi! Je possède jeune maîtresse, Qui va courir bien des dangers. Au fond je crois que la traîtresse Desire un peu les étrangers. Certains excès que l'on déplore Ne l'épouvantent qu'à demi. Mais cette nuit me reste encore: Autant de pris sur l'ennemi! Amis, s'il n'est plus d'espérance, Jurons, au risque du trépas, Que pour l'ennemi de la France Nos voix ne résonneront pas. Mais il ne faut point qu'on ignore Qu'en chantant le cygne a fini. Toujours français, chantons encore: Autant de pris sur l'ennemi! ELOGE DES CHAPONS Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! Exempts du tendre embarras Qui maigrit l'espèce humaine, Comme ils sont dodus et gras Ces bons citoyens du Maine! Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! Qui d'eux, troublé nuit et jour, Fut jaloux jusqu'à la rage? Leur faut-il contre l'amour Recourir au mariage? Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! Plusieurs, pour la forme, ont pris Une compagne gentille: J'en sais qui sont bons maris, Qui même ont de la famille. Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! Modérés dans leurs desirs, Jamais ces gens, que j'estime, N'ont pour fruit de leurs plaisirs Les remords ou le régime. Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! Or, messieurs, examinons Notre sort auprès des belles. Que de mal nous nous donnons Pour tromper des infidèles! Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! C'est mener un train d'enfer, Quelque agrément qu'on y trouve; D'ailleurs on n'est pas de fer, Et Dieu sait comme on le prouve. Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! En dépit d'un faux honneur, Prenons donc un parti sage. Faisons tous notre bonheur: Allons, messieurs, du courage! Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! Assez de monde concourt À propager notre espèce. Coupons, morbleu! Coupons court Aux erreurs de la jeunesse. Pour ma part, moi, j'en réponds, Oui, poulettes, Oui, coquettes, Pour ma part, moi, j'en réponds; Bienheureux sont les chapons! LE BON FRANÇAIS Mai 1814. Chanson chantée devant des aides-de-camp de l'empereur Alexandre. J'aime qu'un russe soit russe, Et qu'un anglais soit anglais. Si l'on est prussien en Prusse, En France soyons français. Lorsqu'ici nos coeurs émus Comptent des français de plus, Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. Charles-Quint portait envie À ce roi plein de valeur Qui s'écriait à Pavie: Tout est perdu, fors l'honneur! Consolons par ce mot-là Ceux que le nombre accabla. Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. Louis, dit-on, fut sensible Aux malheurs de ces guerriers Dont l'hiver le plus terrible A seul flétri les lauriers. Près des lis qu'ils soutiendront, Ces lauriers reverdiront. Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. Enchaîné par la souffrance, Un roi fatal aux anglais A jadis sauvé la France Sans sortir de son palais. On sait, quand il le faudra, Sur qui Louis s'appuîra. Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. Redoutons l'anglomanie, Elle a déja gâté tout. N'allons point en Germanie Chercher les règles du goût. N'empruntons à nos voisins Que leurs femmes et leurs vins. Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. Notre gloire est sans seconde: Français, où sont nos rivaux? Nos plaisirs charment le monde, Éclairé par nos travaux. Qu'il nous vienne un gai refrain, Et voilà le monde en train! Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. En servant notre patrie, Où se fixent pour toujours Les plaisirs et l'industrie, Les beaux-arts et les amours, Aimons, Louis le permet, Tout ce qu'Henri-Quatre aimait. Mes amis, mes amis, Soyons de notre pays, Oui, soyons de notre pays. LA GRANDE ORGIE Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Non, plus d'accès Aux procès; Vidons, joyeux français, Nos caves renommées. Qu'un censeur vain Croie en vain Fuir le pouvoir du vin, Et s'enivre aux fumées. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Graves auteurs, Froids rhéteurs, Tristes prédicateurs, Endormeurs d'auditoires; Gens à pamphlets, À couplets, Changez en gobelets Vos larges écritoires. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Loin du fracas Des combats, Dans nos vins délicats Mars a noyé ses foudres. Gardiens de nos Arsenaux, Cédez-nous les tonneaux Où vous mettiez vos poudres. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Nous qui courons Les tendrons, De Cythère enivrons Les colombes légères. Oiseaux chéris De Cypris, Venez, malgré nos cris, Boire au fond de nos verres. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. L'or a cent fois Trop de poids. Un essaim de grivois, Buvant à leurs mignonnes, Trouve au total Ce cristal Préférable au métal Dont on fait les couronnes. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Enfants charmants De mamans Qui des grands sentiments Banniront la folie, Nos fils bien gros, Bien dispos, Naîtront parmi les pots, Le front taché de lie. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Fi d'un honneur Suborneur! Enfin du vrai bonheur Nous porterons les signes. Les rois boiront Tous en rond; Les lauriers serviront D'échalas à nos vignes. Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. Raison, adieu! Qu'en ce lieu Succombant sous le dieu Objet de nos louanges, Bien ou mal mis, Tous amis, Dans l'ivresse endormis, Nous rêvions les vendanges! Le vin charme tous les esprits: Qu'on le donne Par tonne. Que le vin pleuve dans Paris, Pour voir les gens les plus aigris Gris. LE JOUR DES MORTS Amis, entendez les cloches Qui par leurs sons gémissants Nous font de bruyants reproches Sur nos rires indécents. Il est des ames en peine, Dit le prêtre intéressé: C'est le jour des morts, mirliton, mirlitaine; Qu'en ce jour la poésie Sème les tombeaux de fleurs; Qu'à nos yeux l'hypocrisie Les arrose de ses pleurs. Je chante au sort qui m'entraîne Sur les traces du passé: C'est le jour des morts, mirliton, mirlitaine; Méchants, redoutez les diables: Mais qu'il soit un paradis Pour les filles charitables, Pour les buveurs francs amis; Que saint Pierre aux gens sans haine Ouvre d'un air empressé. C'est le jour des morts, mirliton, mirlitaine; Le souvenir de nos pères Nous doit-il mettre en souci? Ils ont ri de leurs misères; Des nôtres rions aussi. Lise n'est point inhumaine; Mon flacon n'est point cassé. C'est le jour des morts, mirliton, mirlitaine; Je ne veux point qu'on me pleure, Moi, le boute-en-train des fous. Puissé-je, à ma dernière heure, Voir nos fils plus gais que nous! Qu'ils chantent à perdre haleine, Sur le bord du grand fossé: C'est le jour des morts, mirliton, mirlitaine; REQUETE PAR CHIENS DE QUALITE juin 1814. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Aux maîtres des cérémonies Plaise ordonner que, dès demain, Entrent sans laisse aux tuileries Les chiens du faubourg saint-Germain. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Des chiens dont le pavé se couvre Distinguez-nous à nos colliers. On sent que les honneurs du louvre Iraient mal à ces roturiers. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Quoique toujours sous son empire L'usurpateur nous ait chassés, Nous avons laissé sans mot dire Aboyer tous les gens pressés. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Quand sur son règne on prend des notes, Grace pour quelques chiens félons! Tel qui long-temps lécha ses bottes Lui mord aujourd'hui les talons. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. En attrapant mieux que des puces, On a vu carlins et bassets Caresser allemands et russes Couverts encor du sang français. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Qu'importe que, sûr d'un gros lucre, L'anglais dise avoir triomphé? On nous rend le morceau de sucre; Les chats reprennent leur café. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Quand nos dames reprennent vite Les barbes et le caraco, Quand on refait de l'eau bénite, Remettez-nous in statu quo. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. Nous promettons, pour cette grace, Tous, hors quelques barbets honteux, De sauter pour les gens en place, De courir sur les malheureux. Puisque le tyran est à bas, Laissez-nous prendre nos ébats. LA CENSURE Chanson qui courut manuscrite au mois d'août 1814. Que, sous le joug des libraires, On livre encor nos auteurs Aux censeurs, aux inspecteurs, Rats-de-cave littéraires; Riez-en avec moi. Ah! Pour rire Et pour tout dire, Il n'est besoin, ma foi, D'un privilège du roi! L'état ayant plus d'un membre Que la presse eût fait trembler, Qu'on ait craint son franc parler Dans la chambre et l'antichambre; Riez-en avec moi. Ah! Pour rire Et pour tout dire, Il n'est besoin, ma foi, D'un privilège du roi! Que cette chambre sensée Laisse avec soumission Sortir la procession Et renfermer la pensée; Riez-en avec moi. Ah! Pour rire Et pour tout dire, Il n'est besoin, ma foi, D'un privilège du roi. Qu'un censeur bien tyrannique De l'esprit soit le geôlier, Et qu'avec son prisonnier Jamais il ne communique; Riez-en avec moi. Ah! Pour rire Et pour tout dire, Il n'est besoin, ma foi, D'un privilège du roi! Quand déja l'on n'y voit guère, Quand on a peine à marcher, En feignant de la moucher, Qu'on éteigne la lumière; Riez-en avec moi. Ah! Pour rire Et pour tout dire, Il n'est besoin, ma foi, D'un privilège du roi! Qu'un ministre qui s'irrite Quand on lui fait la leçon Lise tout bas ma chanson, Qui lui parvient manuscrite; Riez-en avec moi. Ah! Pour rire Et pour tout dire, Il n'est besoin, ma foi, D'un privilège du roi! BEAUCOUP D'AMOUR Malgré la voix de la sagesse, Je voudrais amasser de l'or: Soudain aux pieds de ma maîtresse J'irais déposer mon trésor; Adèle, à ton moindre caprice Je satisferais chaque jour. Non, non, je n'ai point d'avarice, Mais j'ai beaucoup, beaucoup d'amour. Pour immortaliser Adèle Si des chants m'étaient inspirés, Mes vers, où je ne peindrais qu'elle, À jamais seraient admirés. Puissent ainsi dans la mémoire Nos deux noms se graver un jour! Je n'ai point l'amour de la gloire, Que la providence m'élève Jusqu'au trône éclatant des rois; Adèle embellira ce rêve: Je lui cèderai tous mes droits. Pour être plus sûr de lui plaire, Je voudrais me voir une cour. D'ambition je n'en ai guère, Mais quel vain desir m'importune? Adèle comble tous mes voeux. L'éclat, le renom, la fortune, Moins que l'amour rendent heureux. À mon bonheur je puis donc croire, Et du sort braver le retour! Je n'ai ni bien, ni rang, ni gloire, LES BOXEURS, OU L'ANGLOMANE août 1814. Quoique leurs chapeaux soient bien laids, Moi j'aime les anglais: Ils ont un si bon caractère! Comme ils sont polis! Et sur-tout Que leurs plaisirs sont de bon goût! Non, chez nous, point, Point de ces coups de poing Qui font tant d'honneur à l'Angleterre. Voilà des boxeurs à Paris: Courons vite ouvrir des paris, Et même par-devant notaire. Ils doivent se battre un contre un; Pour des anglais c'est peu commun. Non, chez nous, point, Qui font tant d'honneur à l'Angleterre. En scène d'abord admirons La grace de ces deux lurons, Grace qui jamais ne s'altère. De la halle on dirait deux forts: Peut-être ce sont des milords. Non, chez nous, point, Qui font tant d'honneur à l'Angleterre. Çà, mesdames, qu'en pensez-vous? C'est à vous de juger les coups. Quoi! Ce spectacle vous atterre? Le sang jaillit... battez des mains. Dieux! Que les anglais sont humains! Non, chez nous, point, Qui font tant d'honneur à l'Angleterre. Anglais! Il faut vous suivre en tout, Pour les lois, la mode, et le goût, Même aussi pour l'art militaire. Vos diplomates, vos chevaux, N'ont pas épuisé nos bravos. Non, chez nous, point, Qui font tant d'honneur à l'Angleterre. LE TROISIEME MARI Malheureuse avec deux maris, Au troisième enfin je commande. Jean est grondeur, mais je m'en ris; Il est tout petit, je suis grande. Sitôt qu'il fait un peu de bruit, Je lui mets son bonnet de nuit. Vli, vlan, taisez-vous, Lui dis-je, ou que je vous entende... Vli, vlan, taisez-vous... Je me venge de deux époux. Six mois après des noeuds si doux, Et les affaires arrangées, J'en eus deux filles, qu'entre nous De trois mois l'on dit plus âgées. Au baptême Jean fit du train, Car Léandre était le parrain. Vli, vlan, taisez-vous, Jean, vous n'aurez point de dragées. Vli, vlan, taisez-vous; Je me venge de deux époux. Léandre me fait lui prêter De l'argent, qu'il rend Dieu sait comme! Jean, qui travaille et sait compter, S'aperçoit qu'on touche à sa somme. Hier il dit qu'on l'a volé; Moi, du trésor je prends la clé. Vli, vlan, taisez-vous; Plus d'argent pour vous, petit homme! Vli, vlan, taisez-vous; Je me venge de deux époux. Léandre un soir était chez moi: À neuf heures mon mari frappe. Je n'ouvris point, l'on sait pourquoi: Mais à minuit Léandre échappe. Il gelait, et Jean morfondu À la porte avait attendu. Vli, vlan, taisez-vous: Quoi! Monsieur croit-il qu'on l'attrape? Vli, vlan, taisez-vous; Je me venge de deux époux. Mais à mon tour je le surpris Avec la vieille Pétronille. D'un doigt de vin il était gris; Il la trouvait fraîche et gentille. Sur ses deux pieds il se dressait, Et le menton lui caressait. Vli, vlan, taisez-vous; Vous sentez le vin et la fille: Vli, vlan, taisez-vous; Je me venge de deux époux. Jean peut briller entre deux draps, Malgré sa chétive apparence; Léandre fait plus d'embarras, Mais a beaucoup moins de vaillance. Lorsque Jean veut se reposer, S'il me plaît encor d'en user, Vli, vlan, taisez-vous; Et vite que l'on recommence: Vli, vlan, taisez-vous; Je me venge de deux époux. VIEUX HABITS! VIEUX GALONS! Réflexions morales et politiques d'un marchand D'habits de la capitale. Novembre 1814. Tout marchands d'habits que nous sommes, Messieurs, nous observons les hommes: D'un bout du monde à l'autre bout L'habit fait tout. Dans les changements qui surviennent, Les dépouilles nous appartiennent: Toujours en grand nous calculons. Vieux habits! Vieux galons! Parfois en lisant la gazette, Comme tant d'autres, je regrette Que tout français n'ait pas gardé L'habit brodé. Mais j'en crois ceux qui s'y connaissent; Les anciens préjugés renaissent: On va quitter les pantalons. Vieux habits! Vieux galons! Les modes et la politique Ont cent fois rempli ma boutique; Combien on doit à leurs travaux D'habits nouveaux! Quand de nos déesses civiques On met en oubli les tuniques, Aux passants nous les rappelons. Vieux habits! Vieux galons! Un temps fameux par cent batailles Mit du galon sur bien des tailles; De galon même étaient couverts Les habits verts. Mais sans le bonheur point de gloire! Nous seuls, après chaque victoire, Nous avions ce que nous voulons. Vieux habits! Vieux galons! Nous trouvons aussi notre compte Avec tous les gens qui sans honte Savent, dans un retour subit, Changer d'habit. Les valets, troupe chamarrée, Troquant aujourd'hui leur livrée, Que d'habits bleus nous étalons! Vieux habits! Vieux galons! Les défenseurs de nos grands-pères, Sortant de leurs nobles repaires, Reprennent enfin à leur tour L'habit de cour. Chez nous retrouvant leurs costumes, Avec talons rouges et plumes, Ils vont régner dans les salons. Vieux habits! Vieux galons! Sans nul égard pour nos scrupules, Si la foule des incrédules Mit au nombre de ses larcins L'habit des saints, Au nez de plus d'un philosophe Je vais en revendre l'étoffe: De piété nous redoublons. Vieux habits! Vieux galons! Long-temps vantés dans chaque ouvrage, Des grands, qu'aujourd'hui l'on outrage, Portent au fond de leurs manoirs Des habits noirs. Mais, grace à nous, vont reparaître Ces manteaux qu'eux-mêmes peut-être Trouvaient bien pesants et bien longs. Vieux habits! Vieux galons! De m'enrichir j'ai l'assurance: L'on fêtera toujours en France, En ville, au théâtre, à la cour, L'habit du jour. Gens vêtus d'or et d'écarlate, Pendant un mois chacun vous flatte; Puis à vos portes nous allons. Vieux habits! Vieux galons! LE NOUVEAU DIOGENE Avril 1815. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. Dans l'eau, dit-on, tu puisas ta rudesse; Je n'en bois pas, et, censeur plus joyeux, En moins d'un mois, pour loger ma sagesse, J'ai mis à sec un tonneau de vin vieux. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. Où je suis bien, aisément je séjourne; Mais comme nous les dieux sont inconstants: Dans mon tonneau, sur ce globe qui tourne, Je tourne avec la fortune et le temps. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. Pour les partis dont cent fois j'osai rire Ne pouvant être un utile soutien, Devant ma tonne on ne viendra pas dire: Pour qui tiens-tu, toi qui ne tiens à rien? Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. J'aime à fronder les préjugés gothiques Et les cordons de toutes les couleurs; Mais, étrangère aux excès politiques, Ma liberté n'a qu'un chapeau de fleurs. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. Qu'en un congrès, se partageant le monde, Des potentats soient trompeurs ou trompés, Je ne vais point demander à la ronde Si de ma tonne ils se sont occupés. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. N'ignorant pas où conduit la satire, Je fuis des cours le pompeux appareil: Des vains honneurs trop enclin à médire, Auprès des rois je crains pour mon soleil. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. Lanterne en main, dans l'Athènes moderne Chercher un homme est un dessein fort beau: Mais quand le soir voit briller ma lanterne, C'est qu'aux amours elle sert de flambeau. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. Exempt d'impôt, déserteur de phalange, Je suis pourtant assez bon citoyen: Si les tonneaux manquaient pour la vendange, Sans murmurer je prêterais le mien. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne. Diogène, Sous ton manteau, Libre et content, je roule mon tonneau. LE MAITRE D'ECOLE Ah! Le mauvais garnement! Sans respect il sort des bornes. Je n'ai dormi qu'un moment, Et voilà son rudiment. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Le coquin m'en fait des cornes. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Le fouet, petit polisson! Il a fait pis que cela Pour m'échauffer les oreilles: L'autre jour il me vola Du vin que je cachais là. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Il m'en a bu deux bouteilles! Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Chez elle, quand le matin Ma femme est à sa toilette, Je sais que le libertin Quitte écriture et latin. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Par la serrure il la guette. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! À ma fille il fait l'amour, Et joue avec la friponne. Je l'ai surpris l'autre jour, Maître d'école à son tour. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Rendant ce que je lui donne. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! De le frapper je suis las; Mais dans ses dents monsieur gronde. Dieu! Ne prononce-t-il pas Le mot de c... tout bas? Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! Il n'est plus d'enfants au monde. Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon! LE CELIBATAIRE Chanson de noce chantée au mariage de mon ami B Wilhem. Du célibat fidèle appui, Je vois avec colère L'amour essuyer aujourd'hui Les larmes de son frère. Graces, talents, et vertus, Ont droit à mille tributs. Mais un célibataire Ne peut chanter des noeuds si doux: On n'aura rien à faire Chez de pareils époux. Monsieur prend femme, c'est fort bien, Il la prend jeune et belle: Mais, comptant ses amis pour rien, Monsieur la prend fidèle. Il faudra dans cinquante ans Célébrer leurs feux constants. Non, tout célibataire Ne peut chanter des noeuds si doux: On n'aura rien à faire Chez de pareils époux. Morbleu! Qui n'aurait de l'humeur En pensant que madame De monsieur fera le bonheur, Bien qu'elle soit sa femme? Jours de paix et nuits d'amour; Le diable y perdra son tour. Non, tout célibataire Ne peut chanter des noeuds si doux: On n'aura rien à faire Chez de pareils époux. Encor si l'amour avait pris Une dîme en cachette! Mais le plus heureux des maris, En quittant sa couchette, Demain se pavanera, Et les mains se frottera... Non, tout célibataire Ne peut chanter des noeuds si doux: On n'aura rien à faire Chez de pareils époux. TRINQUONS Trinquer est un plaisir fort sage Qu'aujourd'hui l'on traite d'abus. Quand du mépris d'un tel usage Les gens du monde sont imbus, De le suivre, amis, faisons gloire, Riant de qui peut s'en moquer; Et pour choquer, Nous provoquer, Le verre en main, en rond nous attaquer, D'abord nous trinquerons pour boire, Et puis nous boirons pour trinquer. À table croyez que nos pères N'enviaient point le sort des rois, Et qu'au fragile éclat des verres Ils le comparaient quelquefois. À voix pleine ils chantaient Grégoire, Docteur que l'on peut expliquer; Et pour choquer, Se provoquer, Le verre en main, tous en rond s'attaquer, Nos bons aïeux trinquaient pour boire, Et puis ils buvaient pour trinquer. L'amour alors près de nos mères, Faisant chorus, battant des mains, Rapprochait les coeurs et les verres, Enivrait avec tous les vins. Aussi n'a-t-on pas la mémoire Qu'une belle ait voulu manquer, Pour bien choquer, À provoquer, Le verre en main, chacun à l'attaquer: D'abord elle trinquait pour boire, Puis elle buvait pour trinquer. Qu'on boive aux maîtres de la terre, Qui n'en boivent pas plus gaîment; Je veux, libre par caractère, Boire à mes amis seulement. Malheur à ceux dont l'humeur noire S'obstine à ne point remarquer Que pour choquer, Se provoquer, Le verre en main, tous en rond s'attaquer, L'amitié, qui trinque pour boire, Boit bien plus encor pour trinquer! PRIERE D'UN EPICURIEN Couplet écrit aux catacombes le jour où s'y Rendirent les membres du caveau. Du champ que ton pouvoir féconde, Vois la mort trancher les épis; Amour, réparateur du monde, Réveille les coeurs assoupis. À l'horreur qui nous environne Oppose le besoin d'aimer; Et si la mort toujours moissonne, Ne te lasse pas de semer. LES INFIDELITES DE LISETTE Lisette, dont l'empire S'étend jusqu'à mon vin, J'éprouve le martyre D'en demander en vain. Pour souffrir qu'à mon âge Les coups me soient comptés, Ai-je compté, volage,tes infidélités? Lisette, ma Lisette, Tu m'as trompé toujours: Mais vive la grisette! Je veux, Lisette, Boire à nos amours. Lindor, par son audace, Met ta ruse en défaut; Il te parle à voix basse, Il soupire tout haut. Du tendre espoir qu'il fonde Il m'instruisit d'abord. De peur que je n'en gronde, Verse au moins jusqu'au bord. Lisette, ma Lisette, Tu m'as trompé toujours: Mais vive la grisette! Je veux, Lisette, Boire à nos amours. Avec l'heureux Clitandre Lorsque je te surpris, Vous comptiez d'un air tendre Les baisers qu'il t'a pris. Ton humeur peu sévère En comptant les doubla; Remplis encor mon verre Pour tous ces baisers-là. Lisette, ma Lisette, Tu m'as trompé toujours: Mais vive la grisette! Je veux, Lisette, Boire à nos amours. Mondor, qui toujours donne Et rubans et bijoux, Devant moi te chiffonne Sans te mettre en courroux. J'ai vu sa main hardie S'égarer sur ton sein; Verse jusqu'à la lie Pour un si grand larcin. Lisette, ma Lisette, Tu m'as trompé toujours: Mais vive la grisette! Je veux, Lisette, Boire à nos amours. Certain soir je pénètre Dans ta chambre, et sans bruit Je vois par la fenêtre Un voleur qui s'enfuit. Je l'avais, dès la veille, Fait fuir de ton boudoir. Ah! Qu'une autre bouteille M'empêche de tout voir! Lisette, ma Lisette, Tu m'as trompé toujours: Mais vive la grisette! Je veux, Lisette, Boire à nos amours. Tous, comblés de tes graces, Mes amis sont les tiens, Et ceux dont tu te lasses, C'est moi qui les soutiens. Qu'avec ceux-là, traîtresse, Le vin me soit permis: Sois toujours ma maîtresse, Et gardons nos amis. Lisette, ma Lisette, Tu m'as trompé toujours: Mais vive la grisette! Je veux, Lisette, Boire à nos amours. LA CHATTE Tu réveilles ta maîtresse, Minette, par tes longs cris. Est-ce la faim qui te presse? Entends-tu quelque souris? Tu veux fuir de ma chambrette, Pour courir je ne sais où. Mia-mia-ou! Que veut minette? Mia-mia-ou! C'est un matou. Pour toi je ne puis rien faire; Cesse de me caresser. Sur ton mal l'amour m'éclaire: J'ai quinze ans, j'y dois penser. Je gémis d'être seulette En prison sous le verrou. Mia-mia-ou! Que veut minette? Si ton ardeur est extrême, Même ardeur vient me brûler; J'ai certain voisin que j'aime, Et que je n'ose appeler. Mais pourquoi, sur ma couchette, Rêver à ce jeune fou? Mia-mia-ou! Que veut minette? C'est toi, chatte libertine, Qui mets le trouble en mon sein. Dans la mansarde voisine Du moins réveille Valsain. C'est peu qu'il presse en cachette Et ma main et mon genou. Mia-mia-ou! Que veut minette? Mais je vois Valsain paraître! Par les toits il vient ici. Vite, ouvrons-lui la fenêtre: Toi, minette, passe aussi. Lorsqu'enfin mon coeur se prête Aux larcins de ce filou, Mia-mia-ou! Que ma minette, Mia-mia-ou! Trouve un matou. ADIEUX DE MARIE STUART Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! Te quitter c'est mourir. Toi que j'adoptai pour patrie, Et d'où je crois me voir bannir, Entends les adieux de Marie, France, et garde son souvenir. Le vent souffle, on quitte la plage, Et, peu touché de mes sanglots, Dieu, pour me rendre à ton rivage, Dieu n'a point soulevé les flots! Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! Te quitter c'est mourir. Lorsqu'aux yeux du peuple que j'aime Je ceignis les lis éclatants, Il applaudit au rang suprême Moins qu'aux charmes de mon printemps. En vain la grandeur souveraine M'attend chez le sombre écossais; Je n'ai desiré d'être reine Que pour régner sur des français. Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! Te quitter c'est mourir. L'amour, la gloire, le génie, Ont trop enivré mes beaux jours; Dans l'inculte Calédonie De mon sort va changer le cours. Hélas! Un présage terrible Doit livrer mon coeur à l'effroi: J'ai cru voir, dans un songe horrible, Un échafaud dressé pour moi. Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! Te quitter c'est mourir. France, du milieu des alarmes, La noble fille des Stuarts,comme en ce jour qui voit ses larmes, Vers toi tournera ses regards. Mais, dieu! Le vaisseau trop rapide Déja vogue sous d'autres cieux; Et la nuit, dans son voile humide, Dérobe tes bords à mes yeux! Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! Te quitter c'est mourir. LES PARQUES Sages et fous, gueux et monarques, Apprenez un fait tout nouveau: Bacchus a vidé son caveau Pour remplir la coupe des Parques. C'est afin de plaire aux amours, Qui chantaient d'une voix sonore: Que tout mortel ajoute encore Des jours heureux à ses beaux jours! Du monde éternelle ennemie, Atropos, au fatal ciseau, Buvant à longs traits et sans eau, Sur la table tombe endormie; Mais ses deux soeurs filent toujours, Souriant à qui les implore. Que tout mortel ajoute encore Lachésis, remplissant sa tasse, S'écrie: Atropos dort enfin! Mais trop sec, hélas! Et trop fin, Je crains que mon fil ne se casse. Pour le tremper ayons recours À ce nectar qui me restaure. Que tout mortel ajoute encore Garnissant sa quenouille immense, Clotho lui dit: oui, travaillons; De vin arrosons les sillons Où de mon lin croît la semence. Cette rosée aura toujours Le pouvoir de la faire éclore. Que tout mortel ajoute encore Quand ces Parques, vidant bouteille, Filent nos jours sans nul souci, Nous qui buvons gaîment ici, Craignons qu'Atropos ne s'éveille. Qu'elle dorme au gré des amours, Et répétons à chaque aurore: Que tout mortel ajoute encore LA BOUTEILLE VOLEE Sans bruit, dans ma retraite, Hier l'amour pénétra, Courut à ma cachette, Et de mon vin s'empara. Depuis lors ma voix sommeille; Adieu tous mes joyeux sons. Amour, rends-moi ma bouteille, Ma bouteille et mes chansons. Iris, dame et coquette, À ce larcin l'a poussé. Je n'ai plus la recette Qui soulage un coeur blessé. C'est pour gémir que je veille, En proie aux jaloux soupçons. Amour, rends-moi ma bouteille, Épicurien aimable, À verser frais m'invitant, Un vieil ami de table Me tend son verre en chantant; Un autre vient à l'oreille Me demander des leçons. Amour, rends-moi ma bouteille, Tant qu'Iris eut contre elle Ce bon vin si regretté, Grisette folle et belle Tenait mon coeur en gaîté. Lison n'a point sa pareille Pour vivre avec des garçons. Amour, rends-moi ma bouteille, Mais le filou se livre: Joyeux, il vient à ma voix; De mon vin il est ivre, Et n'en a bu que deux doigts. Qu'Iris soit une merveille, Je me ris de ses façons: Amour me rend ma bouteille, BOUQUET A UNE DAME DE 70 ANS Laissons la musique nouvelle; Notre amie est du bon vieux temps. Sur un air aussi simple qu'elle Chantons des couplets bien chantants. L'esprit du jour a son mérite, Mais c'est surtout lui que je crains: Ses traits si fins Me semblent vains, Pour les entendre il faudrait des devins. Amis, chantons à Marguerite De vieux airs et de gais refrains. Elle a chanté dans sa jeunesse Ces couplets comme on n'en fait plus, Où Favart peignait la tendresse, Où Panard frondait les abus. Contre l'humeur qui nous irrite, Quels antidotes souverains! Leurs vers badins, Francs et malins, Aux moins joyeux faisaient battre des mains.Ah! Rappelons à Marguerite Leurs vieux airs et leurs gais refrains. C'est un charme que la mémoire: On se répète jeune ou vieux. Les refrains forment notre histoire; Il faut tâcher qu'ils soient joyeux. Amusons le temps qui trop vite Entraîne les pauvres humains; Et les destins Sur nos festins Faisant briller des jours longs et sereins, Que dans trente ans pour Marguerite Nos couplets soient de gais refrains! À table alors venant nous rendre, Tous, le front ridé par les ans, Dans une accolade bien tendre Nous mêlerons nos cheveux blancs. Les souvenirs naîtront bien vite; Nos coeurs émus en seront pleins. Moments divins! Les noirs chagrins Fuyant au bruit des transports les plus saints, Sur les cent ans de Marguerite Nous chanterons de gais refrains! L'HOMME RANGE Maint vieux parent me répète Que je mange ce que j'ai. Je veux à cette sornette Répondre en homme rangé: Quand on n'a rien, Landerirette, On ne saurait manger son bien. Faut-il que je m'inquiète Pour quelques frais superflus? Si ma conscience est nette, Ma bourse l'est encor plus. Quand on n'a rien, Landerirette, On ne saurait manger son bien. Un gourmand dans son assiette Fond le bien de ses aïeux; Mon hôte à crédit me traite; J'ai bonne chère et vin vieux. Quand on n'a rien, Landerirette, On ne saurait manger son bien. Que Dorval, à la roulette, À tout son or dise adieu: J'y joûrais bien en cachette; Mais il faudrait mettre au jeu... Quand on n'a rien, Landerirette, On ne saurait manger son bien. Mondor, pour une coquette, Se ruine en dons coûteux; C'est pour rien que ma Lisette Me trompe et me rend heureux. Quand on n'a rien, Landerirette, On ne saurait manger son bien. BON VIN ET FILLETTE L'amour, l'amitié, le vin, Vont égayer ce festin; Nargue de toute étiquette! Turlurette, Turlurette, Bon vin et fillette! L'amour nous fait la leçon: Partout ce dieu sans façon Prend la nappe pour serviette. Turlurette, Turlurette, Bon vin et fillette! Que dans l'or mangent les grands, Il ne faut à deux amants Qu'un seul verre, qu'une assiette. Turlurette, Turlurette, Bon vin et fillette! Sur un trône est-on heureux? On ne peut s'y placer deux: Mais vivent table et couchette! Turlurette, Turlurette, Bon vin et fillette! Si pauvreté qui nous suit A des trous à son habit, De fleurs ornons sa toilette. Turlurette, Turlurette, Bon vin et fillette! Mais que dis-je? Ah! Dans ce cas, Mettons plutôt habit bas; Lise en paraîtra mieux faite. Turlurette, Turlurette, Bon vin et fillette! LE VOISIN Je veux, voisin et voisine, Quitter le ton libertin; J'ai pour oncle un sacristain, Et pour soeur une béguine. Mais le diable est bien fin; Qu'en dites-vous, ma voisine? Mais le diable est bien fin; Qu'en dites-vous, mon voisin? Paul, docteur en médecine, Craint pour le fil de nos jours, Que le vin et les amours N'usent trop tôt la bobine: Eh! Fi du médecin; Qu'en dites-vous, ma voisine? Eh! Fi du médecin; L'embonpoint de Joséphine Fait demander ce que c'est; Moi, je crois que son corset Lui rend la taille moins fine. C'est l'effet du basin; Qu'en dites-vous, ma voisine? C'est l'effet du basin; Mademoiselle Justine Met au monde un gros poupon: L'un dit que c'est un dragon, L'autre un soldat de marine. Je le crois fantassin; Qu'en dites-vous, ma voisine? Je le crois fantassin; Depuis peu chez ma cousine, Qui jeûnait en carnaval, Je vois certain cardinal, Et trouve bonne cuisine: Serait-il mon cousin? Qu'en dites-vous, ma voisine? Serait-il mon cousin? Une actrice qu'on devine Veut, pour plaire à dix rivaux, Inventer des coups nouveaux Au doux jeu qui les ruine: C'est un fort beau dessein; Qu'en dites-vous, ma voisine? C'est un fort beau dessein; Faut-il qu'une affreuse épine Se mêle aux fleurs de Cypris! Pour ce poison de Paris Que n'est-il une vaccine! Cela serait divin; Qu'en dites-vous, ma voisine? Cela serait divin; D'aucun mal, je l'imagine, Notre quartier n'est frappé. Là point de mari trompé, Point de femme libertine. C'est un quartier fort sain; Qu'en dites-vous, ma voisine? C'est un quartier fort sain; LE CARILLONNEUR Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. Les décès m'ont assez fait connaître; Préludons sur un ton plus heureux. D'un vieillard l'héritier vient de naître. Sonnons fort: c'est un fait scandaleux. Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. La maman est gaillarde et jolie: Mais l'époux est triste et catarrheux; Sur son compte il sait ce qu'on publie. Sonnons fort: il n'est pas généreux. Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. De l'enfant quel peut être le père? N'est-ce pas mon voisin le banquier? Les cadeaux mènent vite une affaire. Sonnons fort: il est gros marguillier. Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. Si j'osais, je dirais que le maire S'est créé ce petit échevin; Je l'ai vu chiffonner la commère. Sonnons fort: je boirai de son vin. Digue, digue, dig, din, dig, din, don, Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. Je crois bien que notre grand vicaire Aura mis le doigt au bénitier. Depuis peu ma fille a su lui plaire. Sonnons fort, pour l'honneur du métier. Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. Notre gouverneur a, je le pense, Prélevé des droits sur ce terrain; Dans l'église il vient donner quittance. Sonnons fort: monseigneur est parrain. Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. Plus facile à nommer que ton père, Cher enfant, quel bonheur infini! Je suis sûr de te voir plus d'un frère. Sonnons fort: et que Dieu soit béni! Digue, digue, dig, din, dig, din, don. Ah! Que j'aime À sonner un baptême! Aux maris j'en demande pardon. Dig, din, don, din, digue, digue, don. LA VIEILLESSE À mes amis. Nous verrons le temps qui nous presse Semer les rides sur nos fronts; Quoi qu'il nous reste de jeunesse, Oui, mes amis, nous vieillirons. Mais à chaque pas voir renaître Plus de fleurs qu'on n'en peut cueillir; Faire un doux emploi de son être, Mes amis, ce n'est pas vieillir. En vain nous égayons la vie Par le champagne et les chansons; À table, où le coeur nous convie, On nous dit que nous vieillissons. Mais jusqu'à sa dernière aurore En buvant frais s'épanouir, Même en tremblant chanter encore, Mes amis, ce n'est pas vieillir. Brûlons-nous pour une coquette Un encens d'abord accueilli, Bientôt peut-être elle répète Que nous n'avons que trop vieilli. Mais vivre en tout d'économie, Moins prodiguer et mieux jouir, D'une amante faire une amie, Mes amis, ce n'est pas vieillir. Si long-temps que l'on entretienne Le cours heureux des passions, Puisqu'il faut qu'enfin l'âge vienne, Qu'ensemble au moins nous vieillissions. Chasser du coin qui nous rassemble Les maux prêts à nous assaillir, Arriver au but tous ensemble, Mes amis, ce n'est pas vieillir. LES BILLETS D'ENTERREMENT Chanson de noce. Notre alégresse est trop vive; Amis, pendant nos ébats, Sachez qu'un joli convive Sent approcher son trépas. Faut-il qu'à la fleur de l'âge Il ait ce pressentiment! Tous nos billets de mariage Sont des billets d'enterrement. Il sait que l'amour le guette Pour se venger aujourd'hui D'une querelle secrète Qu'il eut vingt fois avec lui: Rien que d'y penser je gage Qu'il meurt presque en ce moment. Sont des billets d'enterrement. Bientôt il prendra la fuite, En tremblant se cachera; Mais l'amour, à sa poursuite, Dans son réduit l'atteindra. L'un pousse un trait plein de rage, L'autre un long gémissement. Sont des billets d'enterrement. Par pitié l'amour hésite; Mais enfin, moins généreux, Du trait que l'obstacle irrite Il lui porte un coup affreux. Dans son sang le pauvret nage: Adieu donc, défunt charmant! Sont des billets d'enterrement. On versera quelques larmes Que le plaisir essuîra; Mais, pour l'honneur de ses armes, Le vainqueur en parlera. Car, mes amis, dans notre age, En dépit du sacrement, Peu de billets de mariage Sont des billets d'enterrement. LA DOUBLE CHASSE Allons, chasseur, vite en campagne; Du cor n'entends-tu pas le son? Tonton, tonton, tontaine, tonton. Pars, et qu'auprès de ta compagne L'amour chasse dans ta maison. Tonton, tontaine, tonton. Avec nombreuse compagnie, Chasseur, tu parcours le canton. Tonton, tonton, tontaine, tonton. Auprès de ta femme jolie Combien de braconniers voit-on! Tonton, tontaine, tonton. Du cerf prêt à forcer l'enceinte, Chasseur, tu fais le fanfaron. Tonton, tonton, tontaine, tonton. Auprès de ta femme, sans crainte, Se glisse un chasseur franc luron. Tonton, tontaine, tonton. Chasseur, par ta meute surprise, La bête pleure; on lui répond: Tonton, tonton, tontaine, tonton. Ta femme, aux abois déja mise, Sourit aux efforts du fripon. Tonton, tontaine, tonton. Chasseur, un seul coup de ton arme Met bas le cerf sur le gazon. Tonton, tonton, tontaine, tonton. L'amant, pour ta moitié qu'il charme, Use de la poudre à foison. Tonton, tontaine, tonton. Chasseur, tu rapportes la bête, Et de ton cor enfles le son. Tonton, tonton, tontaine, tonton. L'amant quitte alors sa conquête, Et le cerf entre à la maison. Tonton, tontaine, tonton. LES PETITS COUPS Maîtres de tous nos desirs, Réglons-les sans les contraindre: Plus l'excès nuit aux plaisirs, Amis, plus nous devons le craindre. Autour d'une petite table, Dans ce petit coin fait pour nous, Du vin vieux d'un hôte aimable Il faut boire à petits coups. Pour éviter bien des maux, Veut-on suivre ma recette, Que l'on nage entre deux eaux, Et qu'entre deux vins l'on se mette. Le bonheur tient au savoir-vivre: De l'abus naissent les dégoûts; Trop à-la-fois nous enivre; Loin d'en murmurer en vain, Égayons notre indigence: Il suffit d'un doigt de vin Pour réconforter l'espérance. Et vous, que flatte un sort prospère, Pour en jouir, modérez-vous; Car, même dans un grand verre, Philis, quel est ton effroi? La leçon te déplaît-elle? Les petits coups, selon toi, Sentent le buveur qui chancelle. Quel que soit le desir qui perce Dans tes yeux, vifs comme tes goûts, Du filtre qu'amour te verse Oui, de repas en repas, Pour atteindre à la vieillesse, Ne nous incommodons pas, Et soyons fous avec sagesse. Amis, le bon vin que le nôtre! Et la santé, quel bien pour tous! Pour ménager l'un et l'autre, ELOGE DE LA RICHESSE La richesse, que des frondeurs Dédaignent, et pour cause, Quand elle vient sans les grandeurs, Est bonne à quelque chose. Loin de les rendre à ton Crésus, Va boire avec ses cent écus, Savetier, mon compère. Pour moi, qu'il m'arrive un trésor; Que dans mes mains pleuve de l'or, De l'or, De l'or, Et j'en fais mon affaire! Je souris à la pauvreté, Et j'ignore l'envie: Pourquoi perdrai-je ma gaîté Dans une douce vie? Maison, jardin, livres, tableaux, Large voiture et bons chevaux, Pourraient-ils me déplaire? Quand mes voeux prendraient plus d'essor, Que dans mes mains pleuve de l'or, De l'or, De l'or, Et j'en fais mon affaire! Bonjour, Mondor, riche voisin. Ta maîtresse est jolie; Son oeil est noir, son esprit fin, Et sa taille accomplie. J'atteste sa fidélité; Mais que peut contre sa fierté L'amour d'un pauvre hère? Pour te l'enlever, cher Mondor, Que dans mes mains pleuve de l'or, De l'or, De l'or, Et j'en fais mon affaire! Le vin s'aigrit dans mon gosier Chez un traiteur maussade; Mais à sa table un financier Me verse-t-il rasade; Combien, dis-je, ces bons vins blancs? On me répond: douze cents francs. Par ma foi, ce n'est guère. En Champagne on en trouve encor: Que dans mes mains pleuve de l'or, De l'or, De l'or, Et j'en fais mon affaire! À partager dès aujourd'hui, Amis, je vous invite. Nous saurions tous, en cas d'ennui, Me ruiner bien vite. Manger rentes et capitaux, Équipages, terres, châteaux, Serait gai, je l'espère. Ah! Pour voir la fin d'un trésor, Que dans mes mains pleuve de l'or, De l'or, De l'or, Et j'en fais mon affaire! LA PRISONNIERE ET LE CHEVALIER Romance de chevalerie. Genre à la mode. " ah! S'il passait un chevalier Dont le coeur fût tendre et fidèle, Et qu'il triomphât du geôlier Qui me retient dans la tourelle, Je bénirais ce chevalier. " Par-là passait un chevalier À l'honneur, à l'amour fidèle: " dame, dit-il, quel dur geôlier Vous retient dans cette tourelle? Est-il prélat ou chevalier? " " c'est mon époux, bon chevalier, Qui veut que je lui sois fidèle, Et qui me laisse, en vieux geôlier, Coucher seule dans la tourelle. Délivrez-moi, bon chevalier. " Soudain le jeune chevalier, À qui son bon ange est fidèle, Trompe les regards du geôlier, Et pénètre dans la tourelle. Honneur, honneur au chevalier! La prisonnière au chevalier Fait promettre un amour fidèle, Puis se venge de son geôlier Sur le grabat de la tourelle. Soyez heureux, beau chevalier! Alors et dame et chevalier, Sautant sur un coursier fidèle, Vont au nez du mari-geôlier Jeter les clefs de la tourelle. Puis, adieu dame et chevalier. Honneur aux galants chevaliers! Honneur à leurs dames fidèles! Contre l'hymen et ses geôliers, Dans les palais, dans les tourelles, Dieu protégeait les chevaliers. LES MARIONNETTES Les marionnettes, croyez-moi, Sont les jeux de tout âge: Depuis l'artisan jusqu'au roi, De la ville au village; Valets, journalistes, flatteurs, Dévotes et coquettes, Ah! Sans compter nos grands acteurs,combien de marionnettes! L'homme, fier de marcher debout, Vante son équilibre: Parcequ'il court et va par-tout, Le pantin se croit libre. Mais dans combien de mauvais pas Sa fortune le jette! Ah! Du destin l'homme ici-bas N'est que la marionnette. Ce tendron des plus innocents, Que le desir dévore, Au trouble secret de ses sens Ne conçoit rien encore. Veiller la nuit, rêver le jour, L'étonne et l'inquiète. Elle a quinze ans: ah! Pour l'amour La bonne marionnette! Voyez ce mari parisien Que maint galant visite; Il vous accueille mal ou bien, Vous cherche ou vous évite. Est-il confiant ou jaloux, À l'air dont il vous traite? Non: de sa femme un tel époux N'est que la marionnette. Près des femmes que sommes-nous? Des pantins qu'on ballotte. Messieurs, sautez, faites les fous Au gré de leur marotte! Le plus lourd et le plus subtil Font la danse complète; Et Dieu pourtant n'a mis qu'un fil À chaque marionnette. LE SCANDALE Aux drames du jourlaissons la morale: Sans vivre à la cour, J'aime le scandale. Bon! La farira dondaine, Gai! La farira dondé. Nargue des vertus! On n'en sait que faire. Aux sots revêtus Le tout est de plaire. Bon! La farira dondaine, Gai! De ses contes bleus L'honneur nous assomme. C'est un vice ou deux Qui font l'honnête homme. Bon! La farira dondaine, Gai! Pour des vins de prix Vendons tous nos livres. C'est peu d'être gris; Amis, soyons ivres. Bon! La farira dondaine, Gai! Grands réformateurs, Piliers de coulisses, Chassez les erreurs; Nous gardons nos vices. Bon! La farira dondaine, Gai! Paix! Dit à ce mot Caton, qui fait rage; Mais il prêche en sot, Moi, je ris en sage. Bon! La farira dondaine, Gai! LE DOCTEUR ET SES MALADES À mon médecin, le jour de sa fête. Saluons de maintes rasades Ce docteur à qui je dois tant. Mais, pour visiter ses malades, Je crains qu'il n'échappe à l'instant. À ces soins son art le condamne, S'il vient un message ennemi. Fiévreux, buvez votre tisane; Laissez-nous fêter notre ami. Oui, que ses malades attendent; Il est au sein de l'amitié. Mais vingt jeunes fous le demandent D'un air qui pourtant fait pitié. De Vénus amants trop crédules, Sur leur état qu'ils ont gémi! Eh! Messieurs, prenez des pilules; Laissez-nous fêter notre ami. Quoi! Ne peut-on venir au monde Sans l'enlever à ses enfants? Certaine personne un peu ronde Réclame ses secours savants. J'entends ce tendron qui l'appelle: Les parents même en ont frémi. N'accouchez pas, mademoiselle; Laissez-nous fêter notre ami. Qu'il coule gaîment son automne, Que son hiver soit encor loin! Puisse-t-il des soins qu'il nous donne N'éprouver jamais le besoin! Puisqu'enfin dans nos embrassades Il n'est point heureux à demi, Mourez sans lui, mourez, malades; Laissez-nous fêter notre ami. A ANTOINE ARNAULT J. DE SA FETE Année 1812. Je viens d'Montmartre avec ma bête Pour fêter ce maître malin, Et n'crains point qu'au milieu d'la fête Un bon mot m'renvoie au moulin. On dit qu'avec plus d'un génie Antoin'prend plaisir à cela. Nous qui n'somm's pas d'l'académie, Souhaitons-lui d'ces p'tits plaisirs-là. Il n's'en tient pas à des saillies; Dans plus d'un genre il est heureux. J'sais mêm'qu'il fait des tragédies Quand il n'est pas trop paresseux. De la Merpomène idolâtre Qu'il fass'mourir par-ci par-là. Nous qui n'somm's pas d'z héros d'théâtre, Souhaitons-lui d'ces p'tits plaisirs-là. On m'assur'qu'il vient d'faire un livre Où c'qui a du bon: je l'crois bien. C'docteur-là nous enseigne à vivre Par la bouch'd'un arbre ou d'un chien. À messieurs les polichinelles Il dit: vous en voulez, en v'là. Nous, qui n'tenons pas les ficelles, Souhaitons-lui d'ces p'tits plaisirs-là. À la cour il s'moqu'rait, je l'gage, Mêm'de messieurs les chambellans. De c'pays n'ayant point l'langage, Il vant'la paix aux conquérants. À d'grands seigneurs qui n'sont pas minces Sans ramper toujours il parla. Nous, qu'on n'a pas encor faits princes, Souhaitons-lui d'ces p'tits plaisirs-là. Mais, quoiqu'malin, z'il est bon homme; D'mandez à sa fille, à ses fils. Ah! Qu'il soit toujours aimé comme Il aime ses nombreux amis! Que l'secret d'son bonheur suprême Reste à c'te gross'maman que v'là. Nous qui sommes d'ceux qu'Antoine aime, Souhaitons-lui d'ces vrais plaisirs-là. LE BEDEAU Pauvre bedeau! Métier d'enfer! La grand'messe aujourd'hui me damne. Pour me régaler du plus cher, Au beau coin m'attend dame Jeanne. Voici l'heure du rendez-vous; Mais nos prêtres s'endorment tous. Ah! Maudit soit notre curé! Je vais, sacristie! Manquer la partie. Jeanne est prête et le vin tiré. Monsieur le curé! Nos enfants de choeur, j'en réponds, Devinent ce qui me tracasse. Dépêchez-vous, petits fripons, Ou vous aurez des coups de masse. Chantres, c'est du vin à dix sous: Chantez pour moi comme pour vous. Mais maudit soit notre curé! Je vais, sacristie! Manquer la partie. Jeanne est prête et le vin tiré. Monsieur le curé! Notre suisse, alongez le pas; Sur-tout faites ranger ces dames. La quête ne finira pas: Le vicaire lorgne les femmes. Ah! Si la gentille Babet Pour se confesser l'attendait! Mais maudit soit notre curé! Je vais, sacristie! Manquer la partie. Jeanne est prête et le vin tiré. Monsieur le curé! Curé, songez à la saint-Leu: Ce jour-là vous dîniez en ville. Quel train vous nous meniez, morbleu! On passa presque l'évangile. En faveur de votre bedeau Sautez la moitié du credo. Mais maudit soit notre curé! Je vais, sacristie! Manquer la partie. Jeanne est prête et le vin tiré. Monsieur le curé! ON S'EN FICHE! De traverse en traverse, Tout va dans l'univers De travers. Toute femme est perverse, Tout traiteur exigeant Pour l'argent. À tout jeu le sort nous triche; Mais enfin est-on gris, Biribi, On s'en fiche! Désespoir d'un ivrogne, Vient un marchand maudit Qui vous dit Qu'en Champagne, en Bourgogne, Les coteaux sont grêlés Et gelés. À tout jeu le sort nous triche; Mais enfin est-on gris, Biribi, On s'en fiche! Oubliez une dette, Chez vous entre un huissier Bien grossier Qui vend table et couchette, Et trouve encor de quoi Pour le roi. À tout jeu le sort nous triche; Mais enfin est-on gris, Biribi, On s'en fiche! Aucun plaisir n'est stable: Pour boire est-on assis Cinq ou six, Avant vous sous la table Tombent deux, trois amis Endormis. À tout jeu le sort nous triche; Mais enfin est-on gris, Biribi, On s'en fiche! C'est trop d'une maîtresse: Que je fus malheureux Avec deux! Que j'eus peu de sagesse D'en avoir jusqu'à trois À-la-fois! À tout jeu le sort nous triche; Mais enfin est-on gris, Biribi, On s'en fiche! De ma misanthropie Pardonnez les accès Et l'excès; Car je crains la pépie, Et je ne vois qu'abus Et vins bus. À tout jeu le sort nous triche; Mais enfin est-on gris, Biribi, On s'en fiche! JEANNETTE Fi des coquettes maniérées! Fi des bégueules du grand ton! Je préfère à ces mijaurées Ma Jeannette, ma Jeanneton. Jeune, gentille, et bien faite, Elle est fraîche et rondelette; Son oeil noir est petillant. Prudes, vous dites sans cesse Qu'elle a le sein trop saillant: C'est pour ma main qui le presse Un défaut bien attrayant. Fi des coquettes maniérées! Fi des bégueules du grand ton! Je préfère à ces mijaurées Ma Jeannette, ma Jeanneton. Tout son charme est dans la grace; Jamais rien ne l'embarrasse: Elle est bonne, et toujours rit. Elle dit mainte sottise, À parler jamais n'apprit; Et cependant, quoi qu'on dise, Ma Jeannette a de l'esprit. Fi des coquettes maniérées! Fi des bégueules du grand ton! Je préfère à ces mijaurées Ma Jeannette, ma Jeanneton. À table dans une fête, Cette espiègle me tient tête Pour les propos libertins. Elle a la voix juste et pure, Sait les plus joyeux refrains. Quand je l'en prie, elle jure; Elle boit de tous les vins. Fi des coquettes maniérées! Fi des bégueules du grand ton! Je préfère à ces mijaurées Ma Jeannette, ma Jeanneton. Belle d'amour et de joie, Jamais d'une riche soie Son corsage n'est paré. Sous une toile proprette Son triomphe est assuré; Et, sans nuire à sa toilette, Je la chiffonne à mon gré. Fi des coquettes maniérées! Fi des bégueules du grand ton! Je préfère à ces mijaurées Ma Jeannette, ma Jeanneton. La nuit tout me favorise; Point de voile qui me nuise, Point d'inutiles soupirs. Des deux mains et de la bouche Elle attise les desirs, Et rompit vingt fois sa couche Dans l'ardeur de nos plaisirs. Fi des coquettes maniérées! Fi des bégueules du grand ton! Je préfère à ces mijaurées Ma Jeannette, ma Jeanneton. LES ROMANS À Sophie, qui me priait de composer un roman pour La distraire. Tu veux que pour toi je compose Un long roman qui fasse effet. À tes voeux ma raison s'oppose; Un long roman n'est plus mon fait. Quand l'homme est loin de son aurore, Tous les romans deviennent courts; Et je ne puis long-temps encore Prolonger celui des amours. Heureux qui peut dans sa maîtresse Trouver l'amitié d'une soeur! Des plaisirs je te dois l'ivresse, Et des tendres soins la douceur. Des héros, des prétendus sages Les longs romans, qui font pitié, Ne vaudront jamais quelques pages Du doux roman de l'amitié. Triste roman que notre histoire! Mais, Sophie, au sein des amours, De ton destin, j'aime à le croire, Les plaisirs charmeront le cours. Ah! Puisses-tu, vive et jolie, Long-temps te couronner de fleurs, Et sur le roman de la vie Ne jamais répandre de pleurs! TRAITE POLITIQUE A USAGE LISE Mois de mai 1815. Lise, qui règnes par la grace Du dieu qui nous rend tous égaux, Ta beauté, que rien ne surpasse, Enchaîne un peuple de rivaux. Mais si grand que soit ton empire, Lise, tes amants sont français; De tes erreurs permets de rire, Pour le bonheur de tes sujets. Combien les belles et les princes Aiment l'abus d'un grand pouvoir! Combien d'amants et de provinces Poussés enfin au désespoir! Crains que la révolte ennemie Dans ton boudoir ne trouve accès; Lise, abjure la tyrannie, Pour le bonheur de tes sujets. Par excès de coquetterie Femme ressemble aux conquérants, Qui vont bien loin de leur patrie Dompter cent peuples différents. Ce sont de terribles coquettes! N'imite pas leurs vains projets. Lise, ne fais plus de conquêtes, Pour le bonheur de tes sujets. Grace aux courtisans pleins de zèle, On approche des potentats Moins aisément que d'une belle Dont un jaloux suit tous les pas. Mais sur ton lit, trône paisible, Où le plaisir rend ses décrets, Lise, sois toujours accessible, Pour le bonheur de tes sujets. Lise, en vain un roi nous assure Que, s'il règne, il le doit aux cieux, Ainsi qu'à la simple nature Tu dois de charmer tous les yeux. Bien qu'en des mains comme les tiennes Le sceptre passe sans procès, De nous il faut que tu le tiennes, Pour le bonheur de tes sujets. Pour te faire adorer sans cesse, Mets à profit ces vérités. Lise, deviens bonne princesse, Et respecte nos libertés. Des roses que l'amour moissonne Ceins ton front tout brillant d'attraits, Et garde long-temps ta couronne, Pour le bonheur de tes sujets. L'OPINION DE CES DEMOISELLES Mois de mai 1815. Quoi! C'est donc bien vrai qu'on parie Qu'l'enn'mi va tout r'mettre chez nous Sens sus d'ssous. L'palais-royal, qu'est not'patrie, S'en réjouirait; Chacun son intérêt. Aussi point d'fille qui ne crie: Viv'nos amis, Nos amis les enn'mis! D'nos français j'connaissons l's astuces; Ils n'sont pas aussi bons chrétiens Qu'les prussiens. Comm'l'argent pleuvait quand les russes F'saient hausser d'prix Tout'les filles d'Paris! J'n'avions pas l'temps d'chercher nos puces. Viv'nos amis, Nos amis les enn'mis! Mais, puisqu'ils r'vienn't, faut les attendre. Je r'verrons Bulof, Titchacof, Et Platof; L'bon Saken, dont l'coeur est si tendre, Et puis ce cher... Ce cher Monsieur Blücher: Ils nous donn'ront tout c'qu'ils vont prendre. Viv'nos amis, Nos amis les enn'mis! Drès qu'les plum's de coq vont r'paraître, J'secoûrons, d'façon à l'fair'voir, Not'mouchoir. Quant aux amants, j'dois en r'connaître, Ça tomb'sous l'sens, Au moins deux ou trois cents. Pour leurs entré'louons un'fenêtre. Viv'nos amis, Nos amis les enn'mis! J'conviens que d'certain's honnêt's femmes Tout autant qu'nous en ont pincé L'an passé, Et qu'nos cosaqu's, pleins d'leurs bell's flammes, Prenaient l'chemin Du faubourg saint-Germain. Malgré l'tort qu'nous ont fait ces dames, Viv'nos amis, Nos amis les enn'mis! Les affair's s'ront bientôt bâclées, Si j'en crois un vieux libertin D'sacristain. Quand y aurait queuqu's maisons d'brûlées, Queuqu's gens d'occis, C'est l'cadet d'nos soucis. Mais j'rirai bien si j'sommes violées. Viv'nos amis, Nos amis les enn'mis! HABIT DE COUR VISITE ALTESSE Ne répondez plus de personne, Je veux devenir courtisan. Fripier, vite, que l'on me donne La défroque d'un chambellan. Un grand prince à moi s'intéresse; Courons assiéger son séjour. Ah! Quel beau jour! Je vais au palais d'une altesse, Et j'achète un habit de cour. Déja, me tirant par l'oreille, L'ambition hâte mes pas, Et mon riche habit me conseille D'apprendre à m'incliner bien bas. Déja l'on me fait politesse, Déja l'on m'attend au retour. Ah! Quel beau jour! Je vais saluer une altesse, Et je porte un habit de cour. N'ayant point encor d'équipage, Je pars à pied modestement, Quand de bons vivants, au passage, M'offrent un déjeuner charmant. J'accepte; mais que l'on se presse, Dis-je à ceux qui me font ce tour. Ah! Quel beau jour! Messieurs, je vais voir une altesse; Respectez mon habit de cour. Le déjeuner fait, je m'esquive; Mais l'un de nos anciens amis Me réclame, et, joyeux convive, À sa noce je suis admis. Nombreux flacons, chants d'alégresse, De notre table font le tour. Ah! Quel beau jour! Pourtant j'allais voir une altesse, Et j'ai mis un habit de cour! Enfin, malgré l'aï qui mousse, J'en veux venir à mon honneur. Tout en chancelant je me pousse Jusqu'au palais de monseigneur. Mais, à la porte où l'on se presse, Je vois Rose, Rose et l'amour. Ah! Quel beau jour! Rose, qui vaut bien une altesse, N'exige point d'habit de cour. Loin du palais où la coquette Vient parfois lorgner la grandeur, Elle m'entraîne à sa chambrette, Si favorable à notre ardeur. Près de Rose, je le confesse, Mon habit me paraît bien lourd. Ah! Quel beau jour! Soudain, oubliant son altesse, J'ai quitté mon habit de cour. D'une ambition vaine et sotte Ainsi le rêve disparaît. Gaîment je reprends ma marotte, Et m'en retourne au cabaret. Là je m'endors dans une ivresse Qui n'a point de fâcheux retour. Ah! Quel beau jour! À qui voudra voir son altesseje donne mon habit de cour. PLUS DE POLITIQUE Mois de juillet 1815. Ma mie, ô vous que j'adore, Mais qui vous plaignez toujours Que mon pays ait encore Trop de part à mes amours! Si la politique ennuie, Même en frondant les abus, Rassurez-vous, ma mie; Je n'en parlerai plus. Près de vous, j'en ai mémoire, Donnant prise à mes rivaux, Des arts, enfants de la gloire, Je racontais les travaux. À notre France agrandie Ils prodiguaient leurs tributs. Je n'en parlerai plus. Moi, peureux dont on se raille, Après d'amoureux combats, J'osais vous parler bataille Et chanter nos fiers soldats. Par eux la terre asservie Voyait tous ses rois vaincus. Je n'en parlerai plus. Sans me lasser de vos chaînes, J'invoquais la liberté; Du nom de Rome et d'Athènes J'effrayais votre gaîté. Quoiqu'au fond je me défie De nos modernes Titus, Je n'en parlerai plus. La France, que rien n'égale, Et dont le monde est jaloux, Était la seule rivale Qui fût à craindre pour vous. Mais, las! J'ai pour ma patrie Fait trop de voeux superflus. Je n'en parlerai plus. Oui, ma mie, il faut vous croire; Faisons-nous d'obscurs loisirs. Sans plus songer à la gloire, Dormons au sein des plaisirs. Sous une ligue ennemie Les français sont abattus. Je n'en parlerai plus. MARGOT Chantons Margot, nos amours, Margot leste et bien tournée, Que l'on peut baiser toujours, Qui toujours est chiffonnée. Quoi! L'embrasser? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Moquons-nous de ce Blaise: Viens, Margot, viens, qu'on te baise. D'un lutin c'est tout l'esprit; C'est un coeur de tourterelle. Si le matin elle rit, Le soir elle vous querelle. Quoi! Se fâcher? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Voilà comme on l'apaise: Le verre en main, voyez-la; Comme à table elle babille! Quel air et quels yeux elle a Quand le champagne pétille! Quoi! L'air décent? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Mets ta pudeur à l'aise: Qu'elle est bien au piano! Sa voix nous charme et nous touche. Mais devant un soprano Elle n'ouvre point la bouche. Quoi! Par pitié? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Ici point d'Albanèse: L'amour, à point la servant, Fait pour Margot feu qui flambe; Mais par elle il est souvent Traité par-dessous la jambe. Quoi! Par-dessous? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Il faut bien qu'il s'y plaise: Margot tremble que l'hymen De sa main ne se saisisse; Car elle tient à sa main, Qui parfois lui rend service. Quoi! Pour broder? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Que fais-tu sur ta chaise? Point d'éloges incomplets, S'écrîra cette brunette: À moins de douze couplets, Au diable une chansonnette! Quoi! Douze ou rien? Dit un sot. Oui, c'est l'humeur de Margot. Nous t'en promettons treize: A MON AMI DESAUGIERS Président du caveau moderne et directeur du Vaudeville. 1815. Bon Désaugiers, mon camarade, Mets dans tes poches deux flacons; Puis rassemble, en versant rasade, Nos auteurs piquants et féconds. Ramène-les dans l'humble asile Où renaît le joyeux refrain. Eh! Va ton train, Gai boute-en-train! Mets-nous en train, bien en train, tous en train, Et rends enfin au vaudeville Ses grelots et son tambourin. Rends-lui, s'il se peut, le cortège Qu'à la foire il a fait briller: L'ombre de Panard te protège; Vadé semble te conseiller. Fais-nous apparaître à la file Jusqu'aux enfants de Tabarin. Eh! Va ton train,gai boute-en-train! Mets-nous en train, bien en train, tous en train, Et rends enfin au vaudeville Ses grelots et son tambourin. Au lieu de fades épigrammes, Qu'il aiguise un couplet gaillard: Collé, quoi qu'en disent nos dames, Est un fort honnête égrillard. La gaudriole, qu'on exile, Doit refleurir sur son terrain. Eh! Va ton train, Gai boute-en-train! Mets-nous en train, bien en train, tous en train, Et rends enfin au vaudeville Ses grelots et son tambourin. Malgré messieurs de la police, Le vaudeville est né frondeur: Des abus fais ton bénéfice; Force les grands à la pudeur; Dénonce tout flatteur servile À la gaîté du souverain. Eh! Va ton train, Gai boute-en-train! Mets-nous en train, bien en train, tous en train, Et rends enfin au vaudeville Ses grelots et son tambourin. Sur la scène, où plus à son aise Avec toi Momus va siéger, Relève la gaîté française À la barbe de l'étranger. La chanson est une arme utile Qu'on oppose à plus d'un chagrin. Eh! Va ton train, Gai boute-en-train! Mets-nous en train, bien en train, tous en train, Et rends enfin au vaudeville Ses grelots et son tambourin. Verse, ami, verse donc à boire; Que nos chants reprennent leur cours. Il nous faut consoler la gloire; Il faut rassurer les amours. Nous cultivons un champ fertile Qui n'attend qu'un ciel plus serein. Eh! Va ton train, Gai boute-en-train! Mets-nous en train, bien en train, tous en train, Et rends enfin au vaudeville Ses grelots et son tambourin. MA VOCATION Jeté sur cette boule, Laid, chétif, et souffrant; Étouffé dans la foule, Faute d'être assez grand; Une plainte touchante De ma bouche sortit; Le bon Dieu me dit: chante, Chante, pauvre petit! Le char de l'opulence M'éclabousse en passant; J'éprouve l'insolence Du riche et du puissant; De leur morgue tranchante Rien ne nous garantit. Le bon Dieu me dit: chante, D'une vie incertaine Ayant eu de l'effroi, Je rampe sous la chaîne Du plus modique emploi. La liberté m'enchante, Mais j'ai grand appétit. Le bon Dieu me dit: chante, L'amour, dans ma détresse, Daigne me consoler; Mais avec la jeunesse Je le vois s'envoler. Près de beauté touchante Mon coeur en vain pâtit. Le bon Dieu me dit: chante, Chanter, ou je m'abuse, Est ma tâche ici-bas. Tous ceux qu'ainsi j'amuse Ne m'aimeront-ils pas? Quand un cercle m'enchante, Quand le vin divertit; Le bon Dieu me dit: chante, Chante, pauvre petit! LE VILAIN Hé quoi! J'apprends que l'on critique Le de qui précède mon nom. Êtes-vous de noblesse antique? Moi, noble? Oh! Vraiment, messieurs, non. Non, d'aucune chevalerie Je n'ai le brevet sur vélin. Je ne sais qu'aimer ma patrie... Je suis vilain et très vilain... Je suis vilain, Vilain, vilain. Ah! Sans un de j'aurais dû naître; Car, dans mon sang si j'ai bien lu, Jadis mes aïeux ont d'un maître Maudit le pouvoir absolu. Ce pouvoir, sur sa vieille base, Étant la meule du moulin, Ils étaient le grain qu'elle écrase. Je suis vilain et très vilain, Je suis vilain, Vilain, vilain. Mes aïeux, jamais dans leurs terres N'ont vexé des serfs indigents; Jamais leurs nobles cimeterres Dans les bois n'ont fait peur aux gens. Aucun d'eux, las de sa campagne, Ne fut transformé par Merlin En chambellan de... Charlemagne. Je suis vilain et très vilain, Je suis vilain, Vilain, vilain. Jamais aux discordes civiles Mes braves aïeux n'ont pris part; De l'anglais aucun dans nos villes N'introduisit le léopard; Et quand l'église, par sa brigue, Poussait l'état vers son déclin, Aucun d'eux n'a signé la ligue. Je suis vilain et très vilain, Je suis vilain, Vilain, vilain. Laissez-moi donc sous ma bannière, Vous, messieurs, qui, le nez au vent, Nobles par votre boutonnière, Encensez tout soleil levant. J'honore une race commune, Car sensible, quoique malin, Je n'ai flatté que l'infortune. Je suis vilain et très vilain, Je suis vilain, Vilain, vilain. LE VIEUX MENETRIER Novembre 1815. Je ne suis qu'un vieux bon homme, Ménétrier du hameau; Mais pour sage on me renomme, Et je bois mon vin sans eau. Autour de moi sous l'ombrage Accourez vous délasser. Eh! Lon lan la, gens de village, Sous mon vieux chêne il faut danser. Oui, dansez sous mon vieux chêne; C'est l'arbre du cabaret. Au bon temps toujours la haine Sous ses rameaux expirait. Combien de fois son feuillage Vit nos aïeux s'embrasser! Sous mon vieux chêne il faut danser. Du château plaignez le maître, Quoiqu'il soit votre seigneur: Il doit du calme champêtre Vous envier le bonheur; Triste au fond d'un équipage, Quand là-bas il va passer, Sous mon vieux chêne il faut danser. Loin de maudire à l'église Celui qui vit sans curé, Priez que Dieu fertilise Son grain, sa vigne, son pré. Au plaisir s'il rend hommage, Qu'il vienne ici l'encenser. Sous mon vieux chêne il faut danser. Quand d'une faible charmille Votre héritage est fermé, Ne portez plus la faucille Au champ qu'un autre a semé. Mais sûrs que cet héritage À vos fils devra passer, Sous mon vieux chêne il faut danser. Quand la paix répand son baume Sur les maux qu'on endura, N'exilez point de son chaume L'aveugle qui s'égara. Rappelant après l'orage Ceux qu'il a pu disperser, Sous mon vieux chêne il faut danser. Écoutez donc le bon homme: Sous son chêne accourez tous. De pardonner je vous somme: Mes enfants, embrassez-vous. Pour voir ainsi d'âge en âge Chez nous la paix se fixer, Sous mon vieux chêne il faut danser. LES OISEAUX Couplets adressés à M Arnault, partant pour son Exil. Janvier 1816. L'hiver redoublant ses ravages Désole nos toits et nos champs; Les oiseaux sur d'autres rivages Portent leurs amours et leurs chants. Mais le calme d'un autre asile Ne les rendra pas inconstants; Les oiseaux que l'hiver exile Reviendront avec le printemps. À l'exil le sort les condamne, Et plus qu'eux nous en gémissons! Du palais et de la cabane L'écho redisait leurs chansons. Qu'ils aillent d'un bord plus tranquille Charmer les heureux habitants. Les oiseaux que l'hiver exile Reviendront avec le printemps. Oiseaux fixés sur cette plage, Nous portons envie à leur sort. Déja plus d'un sombre nuage S'élève et gronde au fond du nord. Heureux qui sur une aile agile Peut s'éloigner quelques instants! Les oiseaux que l'hiver exile Reviendront avec le printemps. Ils penseront à notre peine, Et, l'orage enfin dissipé, Ils reviendront sous le vieux chêne Que tant de fois il a frappé. Pour prédire au vallon fertile De beaux jours alors plus constants, Les oiseaux que l'hiver exile Reviendront avec le printemps. LES DEUX SOEURS DE CHARITE Dieu lui-même Ordonne qu'on aime. Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. Vierge défunte, une soeur grise, Aux portes des cieux rencontra Une beauté leste et bien mise Qu'on regrettait à l'opéra. Toutes deux, dignes de louanges, Arrivaient après d'heureux jours, L'une sur les ailes des anges, L'autre dans les bras des amours. Dieu lui-même Ordonne qu'on aime. Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. Là-haut, saint Pierre en sentinelle, Après un ave pour la soeur, Dit à l'actrice: on peut, ma belle, Entrer chez nous sans confesseur. Elle s'écrie: ah! Quoique bonne, Mon corps à peine est inhumé! Mais qu'à mon curé Dieu pardonne; Hélas! Il n'a jamais aimé. Dieu lui-même Ordonne qu'on aime. Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. Dans les palais et sous le chaume, Moi, dit la soeur, j'ai de mes mains Distillé le miel et le baume Sur les souffrances des humains. Moi, qui subjuguais la puissance, Dit l'actrice, j'ai bien des fois Fait savourer à l'indigence La coupe où s'enivraient les rois. Dieu lui-même Ordonne qu'on aime, Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. Oui, reprend la sainte colombe, Mieux qu'un ministre des autels, À descendre en paix dans la tombe Ma voix préparait les mortels. Offrant à ceux qui m'ont suivie, Dit la nymphe, une douce erreur, Moi, je faisais chérir la vie: Le plaisir fait croire au bonheur. Dieu lui-même Ordonne qu'on aime. Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. Aux bons coeurs, ajoute la nonne, Quand mes prières s'adressaient, Du riche je portais l'aumône Aux pauvres qui me bénissaient. Moi, dit l'autre, par la détresse Voyant l'honnête homme abattu, Avec le prix d'une caresse, Cent fois j'ai sauvé la vertu. Dieu lui-même Ordonne qu'on aime. Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. Entrez, entrez, ô tendres femmes! Répond le portier des élus: La charité remplit vos ames; Mon Dieu n'exige rien de plus. On est admis dans son empire, Pourvu qu'on ait séché des pleurs, Sous la couronne du martyre, Ou sous des couronnes de fleurs. Dieu lui-même Ordonne qu'on aime. Je vous le dis, en vérité: Sauvez-vous par la charité. COMPLAINTE D'UNE DEMOISELLE Novembre 1816. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. Du métier d'fille j'me dégoûte: C'commerce n'rapporte plus rien. Mais si l'public nous fait banq'route, C'est qu'les affaires n'vont pas bien. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. Au bonheur on fait semblant d'croire; Mais j'en jug'mieux qu'tous les flatteurs: Si d'la cour je n'savais l'histoire, J'croirais quasi qu'on a des moeurs. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. Nous servions d'maîtress'et d'modèles À nos peintres gorgés d'écus. J'crois qu'à leux femm's y sont fidèles D'puis qu'les modèles n'servent plus. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. Quand gn'a pas l'moindr'profit-z à faire Sur tant d'réformés mécontents, Les juges p't-êtr'f'raient not'affaire; Mais l'roi n'leux en laisse pas l'temps. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. Enfin je n'trouvons plus not'compte Avec nos braves qu'l'on vexa. Vu leux misère, y aurait d'la honte À leux d'mander queuq'chos'pour ça. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. Heureusement qu'Monsieur La... À nous servir s'est-z engagé: Comme un diable, y s'démène, y crie Pour qu'on rend'les biens du clergé. Faut qu'lord Villain-ton ait tout pris, Gn'a plus d'argent dans c'gueux d'Paris. CE N'EST PLUS LISETTE Quoi! Lisette, est-ce vous? Vous, en riche toilette! Vous, avec des bijoux! Vous, avec une aigrette! Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Ne portez plus ce nom. Vos pieds dans le satin N'osent fouler l'herbette. Des fleurs de votre teint Où faites-vous emplette? Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Dans un lieu décoré De tout ce qui s'achète, L'opulence a doré Jusqu'à votre couchette. Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Votre bouche sourit D'une façon discrète. Vous montrez de l'esprit; Du moins on le répète. Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Comme ils sont loin ces jours Où, dans votre chambrette, La reine des amours N'était qu'une grisette! Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Quand d'un coeur amoureux Vous prisiez la conquête, Vous faisiez dix heureux, Et n'étiez pas coquette. Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Maîtresse d'un seigneur Qui paya sa défaite, De l'ombre du bonheur Vous êtes satisfaite. Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, Si l'amour est un dieu, C'est près d'une fillette. Adieu, madame, adieu: En duchesse on vous traite. Eh! Non, non, non, Vous n'êtes plus Lisette. Eh! Non, non, non, LE MARQUIS DE CARABAS Novembre 1816. Voyez ce vieux marquis Nous traiter en peuple conquis; Son coursier décharné De loin chez nous l'a ramené. Vers son vieux castel Ce noble mortel Marche en brandissant Un sabre innocent. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Aumôniers, châtelains, Vassaux, vavassaux et vilains, C'est moi, dit-il, c'est moi Qui seul ai rétabli mon roi. Mais s'il ne me rend Les droits de mon rang, Avec moi, corbleu! Il verra beau jeu. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Pour me calomnier, Bien qu'on ait parlé d'un meunier, Ma famille eut pour chef Un des fils de Pépin-Le-Bref. D'après mon blason Je crois ma maison Plus noble, ma foi, Que celle du roi. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Qui me résisterait? La marquise a le tabouret. Pour être évêque un jour Mon dernier fils suivra la cour. Mon fils le baron, Quoique un peu poltron, Veut avoir des croix; Il en aura trois. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Vivons donc en repos. Mais l'on m'ose parler d'impôts! À l'état, pour son bien, Un gentilhomme ne doit rien. Grace à mes créneaux, À mes arsenaux, Je puis au préfet Dire un peu son fait. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Prêtres que nous vengeons, Levez la dîme, et partageons; Et toi, peuple animal, Porte encor le bât féodal. Seuls nous chasserons, Et tous vos tendrons Subiront l'honneur Du droit du seigneur. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Curé, fais ton devoir; Remplis pour moi ton encensoir. Vous, pages et varlets, Guerre aux vilains, et rossez-les! Que de mes aïeux Ces droits glorieux Passent tout entiers À mes héritiers. Chapeau bas! Chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! L'HIVER Les oiseaux nous ont quittés; Déja l'hiver, qui les chasse, Étend son manteau de glace Sur nos champs et nos cités. À mes vitres scintillantes Il trace des fleurs brillantes; Il rend mes portes bruyantes, Et fait greloter mon chien. Réveillons, sans plus attendre, Mon feu qui dort sous la cendre. Chauffons-nous, chauffons-nous bien. Ô voyageur imprudent! Retourne vers ta famille. J'en crois mon feu qui pétille, Le froid devient plus ardent. Moi, j'en puis braver l'injure. Rose, en douillette, en fourrure, Ici, contre la froidure Vient m'offrir un doux soutien. Rose, tes mains sont de glace. Sur mes genoux prends ta place; Chauffons-nous, chauffons-nous bien. L'ombre s'avance, et la nuit Roule son char sur la neige. Rose, l'amour nous protège; C'est pour nous que le jour fuit. Mais un couple nous arrive: Joyeux ami, beauté vive, Entrez tous deux sans qui vive! Le plaisir n'y perdra rien. Moins de froid que de tendresse, Autour du feu qu'on se presse; Chauffons-nous, chauffons-nous bien. Les caresses ont cessé Devant la lampe indiscrète. Un festin, que Rose apprête, Gaîment par nous est dressé. Notre ami s'est fait à table D'un brigand bien redoutable Et d'un spectre épouvantable Le fidèle historien. Tandis que le punch s'allume, Beau du feu qui le consume, Chauffons-nous, chauffons-nous bien. Sombre hiver, sous tes glaçons Ensevelis la nature; Ton aquilon, qui murmure, Ne peut troubler nos chansons. Notre esprit, qu'amour seconde, Au coin du feu crée un monde Qu'un doux ciel toujours féconde, Où s'aimer tient lieu de bien. Que nos portes restent closes, Et jusqu'au retour des roses Chauffons-nous, chauffons-nous bien. MA REPUBLIQUE J'ai pris goût à la république Depuis que j'ai vu tant de rois: Je m'en fais une, et je m'applique À lui donner de bonnes lois. On n'y commerce que pour boire, On n'y juge qu'avec gaîté; Ma table est tout son territoire; Sa devise est la liberté. Amis, prenons tous notre verre: Le sénat s'assemble aujourd'hui. D'abord, par un arrêt sévère, À jamais proscrivons l'ennui. Quoi! Proscrire? Ah! Ce mot doit être Inconnu dans notre cité. Chez nous l'ennui ne pourra naître: Le plaisir suit la liberté. Du luxe, dont elle est blessée, La joie ici défend l'abus; Point d'entraves à la pensée, Par ordonnance de Bacchus. À son gré que chacun professe Le culte de sa déité; Qu'on puisse aller même à la messe: Ainsi le veut la liberté. La noblesse est trop abusive: Ne parlons point de nos aïeux. Point de titre, même au convive Qui rit le plus ou boit le mieux. Et si quelqu'un, d'humeur traîtresse, Aspirait à la royauté, Plongeons ce César dans l'ivresse, Nous sauverons la liberté. Trinquons à notre république, Pour voir son destin affermi. Mais ce peuple si pacifique Déja redoute un ennemi: C'est Lisette qui nous rappelle Sous les lois de la volupté. Elle veut régner, elle est belle; C'en est fait de la liberté. L'IVROGNE ET SA FEMME Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. Tandis que dans sa mansarde Jeanne veille, et qu'il lui tarde De voir rentrer son mari, Maître Jean, à la guinguette, À ses amis en goguette Chante son refrain chéri: Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. Jeanne pour moi seul est tendre, Dit-il; laissons-la m'attendre. Mais, maudissant son époux, Jeanne, la puce à l'oreille, Bat sa chatte que réveille La tendresse des matous. Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. Livrant sa femme au veuvage, Jean s perd dans son breuvage, Et, prête à se mettre au lit, Jeanne, qui verse des larmes, Dit en regardant ses charmes: C'est son verre qu'il remplit! Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. Pour allumer sa chandelle, Un voisin frappe chez elle; Jeanne ouvre après un refus. Que Jean boive, chante ou fume, Je ne sais ce qu'elle allume, Mais je sais qu'on n'y voit plus. Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. En rajustant sa cornette, Ah! Qu'on souffre, dit Jeannette, Quand on attend son époux! Ma vengeance est bien modeste; Avec lui je suis en reste; Il a bu plus de dix coups. Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. À demain! Se dit le couple: L'époux rentre, et son dos souple N'en subit pas moins l'arrêt. Il s'écrie: amour fait rage! Demain, puisque Jeanne est sage, Répétons au cabaret: Trinquons, et toc, et tin, tin, tin! Jean, tu bois depuis le matin. Ta femme est une vertu: Ce soir tu seras battu. PAILLASSE Décembre 1816. J'suis né paillasse, et mon papa, Pour m'lancer sur la place, D'un coup d'pied queuqu'part m'attrapa, Et m'dit: saute paillasse! T'as l'jarret dispos, Quoiq't'ay'l'ventre gros Et la fac'rubiconde. N'saut'point-z à demi, Paillass'mon ami: Saute pour tout le monde! Ma mèr'qui poussait des hélas En m'voyant prendr'ma course, M'habille avec son seul mat'las, M'disant: ce fut ma r'ssource: Là d'sous fais, mon fils, Ce que d'sus je fis Pour gagner la pièc'ronde. N'saut'point-z à demi, Paillass'mon ami: Saute pour tout le monde! Content comme un gueux, j'm'en allais, Quand un seigneur m'arrête, Et m'donn'l'emploi, dans son palais, D'un p'tit chien qu'il regrette. Le chien sautait bien, J'surpasse le chien; Plus d'un envieux en gronde. N'saut'point-z à demi, Paillass'mon ami: Saute pour tout le monde! J'buvais du bon, mais un hasard, Où j'n'ons rien mis du nôtre, Fait qu'monseigneur n'est qu'un bâtard Et qu'il en vient-z un autre. Fi du dépouillé Qui m'a bien payé! Fêtons l'autre à la ronde. N'saut'point-z à demi, Paillass'mon ami: Saute pour tout le monde! À peine a-t-on fêté c'lui-ci, Que l'premier r'vient-z en traître; Moi qu'aime à dîner, dieu merci, J'saut'encor sous sa f'nêtre. Mais le v'là r'chassé, V'là l'autre r'placé. Viv'ceux que Dieu seconde! N'saut'point-z à demi, Paillass'mon ami: Saute pour tout le monde! Vienn'qui voudra, j'saut'rai toujours, N'faut point qu'la r'cette baisse. Boir', manger, rire et fair'des tours, Voyez comm'ça m'engraisse. En gens qui, ma foi, Saut'moins gaîment qu'toi, Puisque l'pays abonde, N'saut'point-z à demi, Paillass'mon ami: Saute pour tout le monde! Hmon ame C'est à table, quand je m'enivre De gaîté, de vin et d'amour, Qu'incertain du temps qui va suivre, J'aime à prévoir mon dernier jour. Il semble alors que mon ame me quitte. Adieu! Lui dis-je, à ce banquet joyeux: Ah! Sans regret, mon ame, partez vite; En souriant remontez dans les cieux. Remontez, remontez dans les cieux. Vous prendrez la forme d'un ange; De l'air vous parcourrez les champs. Votre joie, enfin sans mélange, Vous dictera les plus doux chants. L'aimable paix, que la terre a proscrite, Ceindra de fleurs votre front radieux. Ah! Sans regret, mon ame, partez vite; En souriant remontez dans les cieux. Remontez, remontez dans les cieux. Vous avez vu tomber la gloire D'un Ilion trop insulté, Qui prit l'autel de la victoire Pour l'autel de la liberté. Vingt nations ont poussé de Thersyte Jusqu'en nos murs le char injurieux. Ah! Sans regret, mon ame, partez vite; En souriant remontez dans les cieux. Remontez, remontez dans les cieux. Cherchez au dessus des orages Tant de français morts à propos, Qui, se dérobant aux outrages, Ont au ciel porté leurs drapeaux. Pour conjurer la foudre qu'on irrite, Unissez-vous à tous ces demi-dieux. Ah! Sans regret, mon ame, partez vite; En souriant remontez dans les cieux. Remontez, remontez dans les cieux. La liberté, vierge féconde, Règne aux cieux, qui vous sont ouverts. L'amour seul m'aidait en ce monde À traîner de pénibles fers. Mais, dès demain, je crains qu'il ne m'évite; Pauvre captif, demain je serai vieux. Ah! Sans regret, mon ame, partez vite; En souriant remontez dans les cieux. Remontez, remontez dans les cieux. N'attendez plus, partez, mon ame, Doux rayon de l'astre éternel! Mais passez des bras d'une femme Au sein d'un Dieu tout paternel. L'aï pétille à défaut d'eau bénite; De vrais amis viennent fermer mes yeux. Ah! Sans regret, mon ame, partez vite; En souriant remontez dans les cieux. Remontez, remontez dans les cieux. LE JUGE DE CHARENTON Novembre 1816. Un maître fou qui, dit-on, Fit jadis mainte fredaine, Des loges de Charenton S'est enfui l'autre semaine. Chez un juge, qui griffonnait, Il arrive et prend simarre et bonnet, Puis à l'audience, hors d'haleine, Il entre et soudain dit: prechi! Precha! Et patati, et patata, Prêtons bien l'oreille à ce discours-là. " l'esprit saint soutient ma voix, Et les accusés vont rire; Moi, l'interprète des lois, J'en viens faire la satire. Nous les tenons d'un impudent Qui, pour s'amuser, me fit président. J'ai long-temps vanté son empire, Mais j'étais alors payé pour cela. " Et patati, et patata, Pouvait-on s'attendre à ce discours-là? " le drame et Galimafré Corrompent nos cuisinières. En frac on voit un curé, Et nos enfants ont trois pères. Le mariage est un loyer: On entre en octobre, on sort en janvier. Les cachemires adultères Nous donnent la peste, et ma femme en a. " Et patati, et patata, Il a mis de tout dans ce discours-là. " pour débaucher un mari Que les filles ont d'adresse! Sous Madame Dubarri Elles allaient à confesse. Ah! Qu'enfin (et le terme est clair), L'épouse et l'époux ne soient qu'une chair; Et vous, qui nous tentez sans cesse, Filles, respectez l'habit que voilà. " Et patati, et patata, Rien n'est plus moral que ce discours-là. " mais triste effet du typhus, Au lieu d'église on élève Le temple du dieu Plutus, Qui sera beau s'il s'achève. Par-tout règnent les intrigants, On n'interdit plus les extravagants: Ce dernier point n'est pas un rêve, Puisqu'en robe ici je dis tout cela. " Et patati, et patata, On trouve du bon dans ce discours-là. Il poursuivait sur ce ton, Quand deux bisets, sous les armes, Remènent à Charenton Cet orateur plein de charmes. Néanmoins l'avocat Bélant S'écrie: ah! Les fous ont bien du talent! J'ai fait rire et verser des larmes; Mais je n'ai rien dit qui valût cela. Et patati, et patata, C'est moi qu'on sifflait sans ce discours-là. LES CHAMPS Rose, partons; voici l'aurore: Quitte ces oreillers si doux. Entends-tu la cloche sonore Marquer l'heure du rendez-vous? Cherchons loin du bruit de la ville, Pour le bonheur un sûr asile. Viens aux champs couler d'heureux jours; Les champs ont aussi leurs amours. Viens aux champs fouler la verdure, Donne le bras à ton amant; Rapprochons-nous de la nature Pour nous aimer plus tendrement. Des oiseaux la troupe éveillée Nous appelle sous la feuillée. Viens aux champs couler d'heureux jours; Nous prendrons les goûts du village; Le jour naissant t'éveillera: Le jour mourant sous le feuillage À notre couche nous rendra. Puisses-tu, maîtresse adorée,te plaindre encor de sa durée! Viens aux champs couler d'heureux jours; Quand l'été vers un sol fertile Conduit des moissonneurs nombreux; Quand, près d'eux, la glaneuse agile Cherche l'épi du malheureux; Combien, sur les gerbes nouvelles, De baisers pris aux pastourelles! Viens aux champs couler d'heureux jours; Quand des corbeilles de l'automne S'épanche à flots un doux nectar, Près de la cuve qui bouillonne On voit s'égayer le vieillard; Et cet oracle du village Chante les amours d'un autre âge. Viens aux champs couler d'heureux jours; Allons visiter des rivages Que tu croiras des bords lointains. Je verrai, sous d'épais ombrages, Tes pas devenir incertains. Le desir cherche un lit de mousse; Le monde est loin, l'herbe est si douce! Viens aux champs couler d'heureux jours; C'en est fait! Adieu, vains spectacles! Adieu, Paris, où je me plus; Où les beaux-arts font des miracles, Où la tendresse n'en fait plus! Rose, dérobons à l'envie Le doux secret de notre vie. Viens aux champs couler d'heureux jours; LA COCARDE BLANCHE Couplets censés faits pour un dîner où l'on Célébrait l'anniversaire de la première entrée des Russes, des autrichiens et des prussiens à Paris. 30 mars 1816. Choeur. Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; Beau jour, qui vins rendre à la France La cocarde blanche et l'honneur! Chantons ce jour cher à nos belles, Où tant de rois par leurs succès Ont puni les français rebelles, Et sauvé tous les bons français. Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; La cocarde blanche et l'honneur! Les étrangers et leurs cohortes Par nos voeux étaient appelés. Qu'aisément ils ouvraient les portes Dont nous avions livré les clefs! Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; La cocarde blanche et l'honneur! Sans ce jour qui pouvait répondre Que le ciel, comblant nos malheurs, N'eût point vu sur la tour de Londre Flotter enfin les trois couleurs? Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; La cocarde blanche et l'honneur! On répètera dans l'histoire Qu'aux pieds des cosaques du Don, Pour nos soldats et pour leur gloire, Nous avons demandé pardon. Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; La cocarde blanche et l'honneur! Appuis de la noblesse antique, Buvons, après tant de dangers, Dans ce repas patriotique, Au triomphe des étrangers. Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; La cocarde blanche et l'honneur! Enfin, pour sa clémence extrême, Buvons au plus grand des Henris, À ce roi qui sut par lui-même Conquérir son trône et Paris. Jour de paix, jour de délivrance, Qui des vaincus fis le bonheur; La cocarde blanche et l'honneur! MON HABIT Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j'aime! Ensemble nous devenons vieux. Depuis dix ans je te brosse moi-même, Et Socrate n'eût pas fait mieux. Quand le sort à ta mince étoffe Livrerait de nouveaux combats, Imite-moi, résiste en philosophe: Mon vieil ami, ne nous séparons pas. Je me souviens, car j'ai bonne mémoire, Du premier jour où je te mis. C'était ma fête, et, pour comble de gloire, Tu fus chanté par mes amis. Ton indigence, qui m'honore, Ne m'a point banni de leurs bras. Tous ils sont prêts à nous fêter encore: À ton revers j'admire une reprise; C'est encore un doux souvenir. Feignant un soir de fuir la tendre Lise, Je sens sa main me retenir. On te déchire, et cet outrage Auprès d'elle enchaîne mes pas. Lisette a mis deux jours à tant d'ouvrage: T'ai-je imprégné des flots de musc et d'ambre Qu'un fat exhale en se mirant? M'a-t-on jamais vu dans une antichambre T'exposer au mépris d'un grand? Pour des rubans la France entière Fut en proie à de longs débats; La fleur des champs brille à ta boutonnière: Ne crains plus tant ces jours de courses vaines Où notre destin fut pareil; Ces jours mêlés de plaisirs et de peines, Mêlés de pluie et de soleil. Je dois bientôt, il me le semble, Mettre pour jamais habit bas. Attends un peu; nous finirons ensemble: LE VIN ET LA COQUETTE Amis, il est une coquette Dont je redoute ici les yeux. Que sa vanité, qui me guette, Me trouve toujours plus joyeux. C'est au vin de rendre impossible Le triomphe qu'elle espérait. Ah! Cachons bien que mon coeur est sensible: La coquette en abuserait. Faut-il qu'elle soit si charmante! Ah! De mon coeur prenez pitié! Chantez la liqueur écumante Que verse en riant l'amitié. Enlacez le lierre paisible Sur mon front, qui me trahirait. Ah! Cachons bien que mon coeur est sensible: Poursuivons de nos épigrammes Ce sexe que j'ai trop aimé. Achevons d'éteindre les flammes Du flambeau qui m'a consumé. Que Bacchus, toujours invincible, Ôte à l'amour son dernier trait. Ah! Cachons bien que mon coeur est sensible: Mais l'amour pressa-t-il la grappe D'où nous vient ce jus enivrant? J'aime encor; mon verre m'échappe; Je ne ris plus qu'en soupirant. Pour fuir ce charme irrésistible, Trop d'ivresse enchaîne mes pas. Ah! Vous voyez que mon coeur est sensible: Coquette, n'en abusez pas. LA SAINTE-ALLIANCE BARBARESQUE Proclamons la sainte-alliance Faite au nom de la providence, Et que signe un congrès ad hoc, Entre Alger, Tunis et Maroc. Leurs souverains, nobles corsaires, N'en feront que mieux leurs affaires. Vivent des rois qui sont unis! Vive Alger, Maroc et Tunis! Ces rois, dans leur sainte-alliance, Trouvant tout bon pour leur puissance, Jurent de se mettre en commun Bravement toujours vingt contre un. On dit qu'ils s'adjoindront Christophe, Malgré la couleur de l'étoffe. Vivent des rois qui sont unis! Ces rois, par leur sainte-alliance, Nous forçant à l'obéissance, Veulent qu'on lise l'Alcoran, Et le Bonald et le Ferrand. Mais Voltaire et sa coterie Sont à l'index en Barbarie. Vivent des rois qui sont unis! Français, à leur sainte-alliance Envoyons, pour droit d'assurance, Nos censeurs anciens et nouveaux, Et nos juges et nos prevôts. Avec eux ces rois, sans entraves, Feront le commerce d'esclaves. Vivent des rois qui sont unis! Malgré cette sainte-alliance, Si du trône, par occurrence, Un roi tombait, que subito On le ramène en son château. Mais il soldera les mémoires Du pain, du foin et des victoires. Vivent des rois qui sont unis! Enfin, pour la sainte-alliance, C'est peu qu'on paye à l'échéance; Il faut des rameurs sur les bancs, Et des muets aux rois forbans: Même à ces majestés caduques Il faudrait des peuples d'eunuques. Vivent des rois qui sont unis! L'ERMITE ET SES SAINTS On va rouvrir la Sorbonne; L'église attend ses décrets: On ne brûle encor personne, Mais les fagots sont tout prêts. Par bonheur chez nous habite Un saint d'un esprit plus doux. Ermite, bon ermite, Priez, priez pour nous! Des prêtres, grands catholiques, L'ont instruit à servir Dieu. Il tient aux mêmes reliques Qu'aimait l'abbé de Chaulieu. À l'amour sa muse invite: Par lui nous serons absous. Ermite, bon ermite, Rabelais, ce fou si sage, Lui légua, par parenté, Un capuchon dont l'usage En fait un sage en gaîté. Contre la gent hypocrite Voyez son malin courroux. Ermite, bon ermite, Ce n'est tout son patrimoine; Car, pour être chansonnier, De Lattaignant, gai chanoine, Il choisit le bénitier. Mais de ses refrains, qu'on cite, Lattaignant serait jaloux. Ermite, bon ermite, Il lui manquait un bréviaire; Le bon ermite, à dessein, Prit les oeuvres de Voltaire, Qui se disait capucin. Grace à l'auteur qu'il médite, Il sait charmer tous les goûts. Ermite, bon ermite, De tels saints suivant les traces Sur son gai califourchon, Il laisse fourrer aux Graces Des fleurs sous son capuchon. À l'aimer tout nous invite; Avec lui sauvons-nous tous. Ermite, bon ermite, MON PETIT COIN Non, le monde ne peut me plaire; Dans mon coin retournons rêver. Mes amis, de votre galère Un forçat vient de se sauver. Dans le désert que je me trace, Je fuis, libre comme un bédouin. Mes amis, laissez-moi, de grace, Laissez-moi dans mon petit coin. Là, du pouvoir bravant les armes, Je pèse et nos fers et nos droits; Sur les peuples versant des larmes, Je juge et condamne les rois. Je prophétise avec audace; L'avenir me sourit de loin. Mes amis, laissez-moi, de grace, Là j'ai la baguette des fées; À faire le bien je me plais. J'élève de nobles trophées; Je transporte au loin des palais. Sur le trône ceux que je place D'être aimés sentent le besoin. Mes amis, laissez-moi, de grace, C'est là que mon ame a des ailes: Je vole, et, joyeux séraphin, Je vois aux flammes éternelles Nos rois précipités sans fin. Un seul échappe de leur race; De sa gloire je suis témoin. Mes amis, laissez-moi, de grace, Je forme ainsi pour ma patrie Des voeux que le ciel entend bien. Respectez donc ma rêverie: Votre monde ne me vaut rien. De mes jours filés au Parnasse Daignent les muses prendre soin! Mes amis, laissez-moi, de grace, LE SOIR DES NOCES L'hymen prend cette nuit Deux amants dans sa nasse. Qu'au seuil de leur réduit Un doux concert se place. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! Et violon, zon, zon! Par ce trou fait exprès,voyons ce qui se passe. L'épouse a mille attraits, L'époux est plein d'audace. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! L'épouse veut encor Fuir l'époux qui l'embrasse: Mais sur plus d'un trésor Le fripon fait main basse. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! Elle tremble et pâlit Tandis qu'il la délace. Il va briser le lit; Il va rompre la glace. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! Mais, pris au trébuchet, L'époux, quelle disgrace! De l'oiseau qu'il cherchait N'a trouvé que la place. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! La belle en sanglotant Se confesse à voix basse. D'un divorce éclatant Tout haut il la menace. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! Monsieur jure après nous; Mais qu'à tout il se fasse: Du livre des époux Il n'est qu'à la préface. Zon! Flûte et basse! Zon! Violon! Zon! Flûte et basse! L'INDEPENDANT Respectez mon indépendance, Esclaves de la vanité: C'est à l'ombre de l'indigence Que j'ai trouvé la liberté. Jugez aux chants qu'elle m'inspire Quel est sur moi son ascendant! Lisette seule a le droit de sourire Quand je lui dis: je suis indépendant, Je suis, je suis indépendant. Oui, je suis un pauvre sauvage Errant dans la société; Et pour repousser l'esclavage Je n'ai qu'un arc et ma gaîté. Mes traits sont ceux de la satire: Je les lance en me défendant. Lisette seule a le droit de sourire Quand je lui dis: je suis indépendant, Je suis, je suis indépendant. Chacun rit des flatteurs du louvre, Valets, en tout temps prosternés, Dans cette auberge qui ne s'ouvre Que pour des passants couronnés. On rit du fou qui sur sa lyre Chante à la porte en demandant. Lisette a seule le droit de sourire Quand je lui dis: je suis indépendant, Je suis, je suis indépendant. Toute puissance est une gêne: Oh! D'un roi que je plains l'ennui! C'est le conducteur de la chaîne; Ses captifs sont plus gais que lui. Dominer ne peut me séduire; J'offre l'amour pour répondant. Lisette seule a le droit de sourire Quand je lui dis: je suis indépendant, Je suis, je suis indépendant. En paix avec ma destinée, Gaîment je poursuis mon chemin, Riche du pain de la journée, Et de l'espoir du lendemain. Chaque soir au lit qui m'attire Dieu me conduit sans accident. Lisette seule a le droit de sourire Quand je lui dis: je suis indépendant, Je suis, je suis indépendant. Mais quoi! Je vois Lisette ornée De ses attraits les plus puissants, Qui des chaînes de l'hyménée Veut charger mes bras caressants. Voilà comme on perd un empire! Non, non, point d'hymen imprudent. Que toujours Lise ait le droit de sourire Quand je lui dis: je suis indépendant, Je suis, je suis indépendant. LA BONNE VIEILLE Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse! Vous vieillirez, et je ne serai plus. Pour moi le temps semble, dans sa vitesse, Compter deux fois les jours que j'ai perdus. Survivez-moi; mais que l'âge pénible Vous trouve encor fidèle à mes leçons; Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible, De votre ami répétez les chansons. Lorsque les yeux chercheront sous vos rides Les traits charmants qui m'auront inspiré, Des doux récits les jeunes gens avides Diront: quel fut cet ami tant pleuré? De mon amour peignez, s'il est possible, L'ardeur, l'ivresse, et même les soupçons; Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible, On vous dira: savait-il être aimable? Et sans rougir vous direz: je l'aimais. D'un trait méchant se montra-t-il capable? Avec orgueil vous répondrez: jamais. Ah! Dites bien qu'amoureux et sensible, D'un luth joyeux il attendrit les sons; Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible, Vous que j'appris à pleurer sur la France, Dites sur-tout aux fils des nouveaux preux Que j'ai chanté la gloire et l'espérance Pour consoler mon pays malheureux. Rappelez-leur que l'aquilon terrible De nos lauriers a détruit vingt moissons; Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible, Objet chéri, quand mon renom futile De vos vieux ans charmera les douleurs; À mon portrait, quand votre main débile, Chaque printemps, suspendra quelques fleurs, Levez les yeux vers ce monde invisible Où pour toujours nous nous réunissons; Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible, LA VIVANDIERE Vivandière du régiment, C'est Catin qu'on me nomme. Je vends, je donne et bois gaîment Mon vin et mon rogomme. J'ai le pied leste et l'oeil mutin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, J'ai le pied leste et l'oeil mutin: Soldats, voilà Catin! Je fus chère à tous nos héros; Hélas! Combien j'en pleure! Aussi soldats et généraux Me comblaient, à toute heure, D'amour, de gloire, et de butin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, D'amour, de gloire, et de butin: J'ai pris part à tous vos exploitsen vous versant à boire. Songez combien j'ai fait de fois Rafraîchir la victoire. Ça grossissait son bulletin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, Ça grossissait son bulletin: Soldats, voilà Catin! Depuis les Alpes je vous sers; Je me mis jeune en route. À quatorze ans, dans les déserts, Je vous portais la goutte. Puis j'entrai dans Vienne un matin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, Puis j'entrai dans Vienne un matin: Soldats, voilà Catin! De mon commerce et des amours C'était le temps prospère. À Rome je passai huit jours, Et de notre saint père Je débauchai le sacristain, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, Je débauchai le sacristain: Soldats, voilà Catin! J'ai fait plus que maint duc et pair Pour mon pays que j'aime. À Madrid, si j'ai vendu cher, Et cher à Moscou même, J'ai donné gratis à Pantin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, J'ai donné gratis à Pantin: Soldats, voilà Catin! Quand au nombre il fallut céder La victoire infidèle, Que n'avais-je pour vous guider Ce qu'avait la pucelle! L'anglais aurait fui sans butin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, L'anglais aurait fui sans butin: Soldats, voilà Catin! Si je vois de nos vieux guerriers Pâlis par la souffrance, Qui n'ont plus, malgré leurs lauriers, De quoi boire à la France, Je refleuris encor leur teint, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, Je refleuris encor leur teint: Soldats, voilà Catin! Mais nos ennemis, gorgés d'or, Paîront encore à boire. Oui, pour vous doit briller encor Le jour de la victoire. J'en serai le réveil-matin, Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin, J'en serai le réveil-matin: Soldats, voilà Catin! COUPLETS A MA FILLEULE Ma filleule, où diable a-t-on pris Le pauvre parrain qu'on vous donne? Ce choix seul excite vos cris; De bon coeur je vous le pardonne. Point de bonbons à ce repas; À vos yeux cela doit me nuire; Mais, mon enfant, ne pleurez pas, Votre parrain vous fera rire. L'amitié m'en a fait l'honneur, Et c'est l'amitié qui vous nomme. Or, pour n'être pas grand seigneur, Je n'en suis pas moins honnête homme. Des cadeaux si vous faites cas, Vous y trouverez à redire; Mais, mon enfant, ne pleurez pas, Malgré le sort qui sous sa loi Tient la vertu même asservie, Puissions-nous, ma commère et moi, Vous porter bonheur dans la vie! Pendant leur voyage ici-bas, Aux bons coeurs rien ne devrait nuire; Mais, mon enfant, ne pleurez pas, Qu'à vos noces je chanterai, Si jusque là mes chansons plaisent! Mais peut-être alors je serai Où Panard et Collé se taisent. Quoi, manquer aux joyeux ébats Qu'un pareil jour devra produire! Non, mon enfant, ne pleurez pas, L'EXILE Janvier 1817. À d'aimables compagnes Une jeune beauté Disait: dans nos campagnes Règne l'humanité. Un étranger s'avance, Qui, parmi nous errant, Redemande la France Qu'il chante en soupirant. D'une terre chérie C'est un fils désolé. Rendons une patrie, Une patrie Au pauvre exilé. Près d'un ruisseau rapide Vers la France entraîné, Il s'assied, l'oeil humide, Et le front incliné. Dans les champs qu'il regrette Il sait qu'en peu de jours Ces flots que rien n'arrête Vont promener leur cours. D'une terre chérie C'est un fils désolé. Rendons une patrie, Une patrie Au pauvre exilé. Quand sa mère, peut-être Implorant son retour, Tombe aux genoux d'un maître Que touche son amour, Trahi par la victoire, Ce proscrit, dans nos bois, Inquiet de sa gloire, Fuit la haine des rois. D'une terre chérie C'est un fils désolé. Rendons une patrie, Une patrie Au pauvre exilé. De rivage en rivage Que sert de le bannir? Par-tout de son courage Il trouve un souvenir. Sur nos bords, par la guerre Tant de fois envahis, Son sang même a naguère Coulé pour son pays. D'une terre chérie C'est un fils désolé. Rendons une patrie, Une patrie Au pauvre exilé. Dans nos destins contraires, On dit qu'en ses foyers Il recueillit nos frères Vaincus et prisonniers. De ces temps de conquêtes Rappelons-lui le cours; Qu'il trouve ici des fêtes, Et sur-tout des amours. D'une terre chérie C'est un fils désolé. Rendons une patrie, Une patrie Au pauvre exilé. Si notre accueil le touche, Si, par nous abrité, Il s'endort sur la couche De l'hospitalité; Que par nos voix légères Ce français réveillé Sous le toit de ses pères Croie avoir sommeillé. D'une terre chérie C'est un fils désolé. Rendons une patrie, Une patrie Au pauvre exilé. BOUQUETIERE ET CROQUE-MORT Je n'suis qu'un'bouqu'tière et j'n'ai rien, Mais d'vos soupirs j'me lasse, Monsieur l'croqu'mort, car il faut bien Vous dir'vot'nom-z en face. Quoique j'sois-t-un esprit fort, Non, je n'veux point d'un croqu'mort. Encor jeune et jolie, Moi, j'vends rosiers, lis et jasmins, Et n'me sens point l'envie De passer par vos mains. C't amour, qui fait plus d'un hasard, Vous tire par l'oreille Depuis l'jour où vot'corbillard Renversa ma corbeille. Il m'en coûta plus d'un'fleur: Vot'métier leur port'malheur. Encor jeune et jolie, Moi, j'vends rosiers, lis et jasmins, Et n'me sens point l'envie De passer par vos mains. À d'bons vivants j'aime à parler; Et, monsieur, n'vous déplaise, Avec vous m'faudrait-z étaler Mes fleurs chez l'pèr'La Chaise; Mon commerce est mieux fêté À la porte d'la gaîté. Encor jeune et jolie, Moi, j'vends rosiers, lis et jasmins, Et n'me sens point l'envie De passer par vos mains. Parc'que vous r'tournez d'grands seigneurs, Vous vous en faite'accroire; Mais si tant d'gens qu'ont des honneurs Vous doiv'tous un pour-boire, Y en a plus d'un, sans m'vanter, Qu'j'avons fait ressusciter. Encor jeune et jolie, Moi, je vends rosiers, lis et jasmins, Et n'me sens point l'envie De passer par vos mains. J'f'rai courte et bonne, et, j'y consens, En passant venez m'prendre. Mais qu'ce ne soit point-z avant dix ans. Adieu, croqu'mort si tendre. P't-êt'bien qu'en s'impatientant, Un'pratique vous attend. Encor jeune et jolie, Moi, j'vends rosiers, lis et jasmins, Et n'me sens point l'envie De passer par vos mains. LA PETITE FEE Enfants, il étoit une fois Une fée appelée Urgande, Grande à peine de quatre doigts, Mais de bonté vraiment bien grande. De sa baguette un ou deux coups Donnaient félicité parfaite. Ah! Bonne fée, enseignez-nous Où vous cachez votre baguette! Dans une conque de saphir, De huit papillons attelée, Elle passait comme un zéphyr, Et la terre étoit consolée. Les raisins mûrissaient plus doux; Chaque moisson était complète. Ah! Bonne fée, enseignez-nous C'était la marraine d'un roi Dont elle créait les ministres; Braves gens, soumis à la loi, Qui laissaient voir dans leurs registres. Du bercail ils chassaient les loups Sans abuser de la houlette. Ah! Bonne fée, enseignez-nous Les juges, sous ce roi puissant, Étaient l'organe de la fée; Et par eux jamais l'innocent Ne voyait sa plainte étouffée. Jamais pour l'erreur à genoux La clémence n'était muette. Ah! Bonne fée, enseignez-nous Pour que son filleul fût béni, Elle avait touché sa couronne; Il voyait tout son peuple uni, Prêt à mourir pour sa personne. S'il venait des voisins jaloux, On les forçait à la retraite. Ah! Bonne fée, enseignez-nous Dans un beau palais de cristal, Hélas! Urgande est retirée. En Amérique tout va mal; Au plus fort l'Asie est livrée. Nous éprouvons un sort plus doux; Mais pourtant si bien qu'on nous traite, Ah! Bonne fée, enseignez-nous MA NACELLE Chanson chantée à mes amis réunis pour ma fête. Sur une onde tranquille Voguant soir et matin, Ma nacelle est docile Au souffle du destin. La voile s'enfle-t-elle, J'abandonne le bord. Eh! Vogue ma nacelle, (ô doux zéphyr! Sois-moi fidèle.) Eh! Vogue ma nacelle, Nous trouverons un port. J'ai pris pour passagère La muse des chansons, Et ma course légère S'égaie à ses doux sons. La folâtre pucelle Chante sur chaque bord. Eh! Vogue ma nacelle, (ô doux zéphyr! Sois-moi fidèle.) Eh! Vogue ma nacelle, Nous trouverons un port. Lorsqu'au sein de l'orage Cent foudres à-la-fois, Ébranlant ce rivage, Épouvantent les rois, Le plaisir, qui m'appelle, M'attend sur l'autre bord. Eh! Vogue ma nacelle, (ô doux zéphyr! Sois-moi fidèle.) Eh! Vogue ma nacelle, Nous trouverons un port. Loin de là le ciel change: Un soleil éclatant Vient mûrir la vendange Que le buveur attend. D'une liqueur nouvelle Lestons-nous sur ce bord. Eh! Vogue ma nacelle, (ô doux zéphyr! Sois-moi fidèle.) Eh! Vogue ma nacelle, Nous trouverons un port. Des rives bien connues M'appellent à leur tour. Les Graces demi-nues Y célèbrent l'amour. Dieux! J'entends la plus belle Soupirer sur le bord. (ô doux zéphyr! Sois-moi fidèle.) Eh! Vogue ma nacelle, Nous trouverons un port. Mais, loin du roc perfide Qui produit le laurier, Quel astre heureux me guide Vers un humble foyer? L'amitié renouvelle Ma fête sur ce bord. Eh! Vogue ma nacelle, (ô doux zéphyr! Sois-moi fidèle.) Eh! Vogue ma nacelle, Nous entrons dans le port. MONSIEUR JUDAS Monsieur Judas est un drôle Qui soutient avec chaleur Qu'il n'a joué qu'un seul rôle, Et n'a pris qu'une couleur. Nous qui détestons les gens Tantôt rouges, tantôt blancs, Parlons bas, Parlons bas; Ici près j'ai vu Judas, J'ai vu Judas, j'ai vu Judas. Curieux et nouvelliste, Cet observateur moral Parfois se dit journaliste, Et tranche du libéral: Mais voulons-nous réclamer Le droit de tout imprimer, Parlons bas, Parlons bas; Ici près j'ai vu Judas, J'ai vu Judas, j'ai vu Judas. Sans respect du caractère, Souvent ce lâche effronté Porte l'habit militaire Avec la croix au côté. Nous qui faisons volontiers L'éloge de nos guerriers, Parlons bas, Parlons bas; Ici près j'ai vu Judas, J'ai vu Judas, j'ai vu Judas. Enfin sa bouche flétrie Ose prendre un noble accent, Et des maux de la patrie Ne parle qu'en gémissant. Nous qui faisons le procès À tous les mauvais français, Parlons bas, Parlons bas; Ici près j'ai vu Judas, J'ai vu Judas, j'ai vu Judas. Monsieur Judas, sans malice, Tout haut vous dit: " mes amis, Les limiers de la police Sont à craindre en ce pays. " Mais nous qui de maints brocards Poursuivons jusqu'aux mouchards, Parlons bas, Parlons bas; Ici près j'ai vu Judas, J'ai vu Judas, j'ai vu Judas. LE DIEU DES BONNES GENS Il est un dieu; devant lui je m'incline, Pauvre et content, sans lui demander rien. De l'univers observant la machine, J'y vois du mal, et n'aime que le bien. Mais le plaisir à ma philosophie Révèle assez des cieux intelligents. Le verre en main, gaîment je me confie Au dieu des bonnes gens. Dans ma retraite où l'on voit l'indigence, Sans m'éveiller, assise à mon chevet, Grace aux amours, bercé par l'espérance, D'un lit plus doux je rêve le duvet. Aux dieux des cours qu'un autre sacrifie! Moi, qui ne crois qu'à des dieux indulgents, Le verre en main, gaîment je me confie Un conquérant, dans sa fortune altière, Se fit un jeu des sceptres et des lois, Et de ses pieds on peut voir la poussière Empreinte encor sur le bandeau des rois. Vous rampiez tous, ô rois qu'on déifie! Moi, pour braver des maîtres exigeants, Le verre en main, gaîment je me confie Dans nos palais, où, près de la victoire, Brillaient les arts, doux fruits des beaux climats, J'ai vu du nord les peuplades sans gloire De leurs manteaux secouer les frimas. Sur nos débris Albion nous défie; Mais les destins et les flots sont changeants: Le verre en main, gaîment je me confie Quelle menace un prêtre fait entendre! Nous touchons tous à nos derniers instants: L'éternité va se faire comprendre; Tout va finir, l'univers et le temps. Ô chérubins à la face bouffie! Réveillez donc les morts peu diligents. Le verre en main, gaîment je me confie Mais quelle erreur! Non, Dieu n'est point colère; S'il créa tout, à tout il sert d'appui: Vins qu'il nous donne, amitié tutélaire, Et vous, amours, qui créez après lui, Prêtez un charme à ma philosophie Pour dissiper des rêves affligeants. Le verre en main, que chacun se confie ADIEUX A DES AMIS D'ici faut-il que je parte, Mes amis, quand loin de vous Je ne puis voir sur la carte D'asile pour moi plus doux! Même au sein de notre ivresse,dieu! Je crois être à demain: Fouette, cocher! Dit la sagesse; Et me voilà sur le chemin. Malgré les sermons du sage, On pourrait, grace aux plaisirs, Aux fatigues du voyage Opposer d'heureux loisirs. Mais une ardeur importune En route met chaque humain: Fouette, cocher! Dit la fortune; Et nous voilà sur le chemin. Ne va point voir ta maîtresse, Ne va point au cabaret, Me vient dire avec rudesse Un médecin indiscret; Mais Lisette est si jolie! Mais si doux est le bon vin! Fouette, cocher! Dit la folie; Et me voilà sur le chemin. Parmi vous bientôt peut-être Je chanterai mon retour. Déja je crois voir renaître L'aurore d'un si beau jour: L'alégresse, que j'encense, À mon paquet met la main. Fouette, cocher! Dit l'espérance; LA REVERIE Loin d'une iris volage Qu'un seigneur m'enlevait, Au printemps, sous l'ombrage, Un jour mon coeur rêvait. Privé d'une infidèle, Il rêvait qu'une autre belle Volait à mon secours. Venez, venez, venez, mes amours! Cette belle était tendre, Tendre et fière à-la-fois; Il me semblait l'entendre Soupirer dans les bois. C'était une princesse Qui respirait la tendresse Loin de l'éclat des cours. Je l'entendais se plaindre Du poids de la grandeur. Cessant de me contraindre, Je lui peins mon ardeur. Mes yeux versent des larmes, Ravis de voir tant de charmes Sous de si beaux atours. Telle était la merveille Dont je flattais mes sens, Quand soudain mon oreille S'ouvre aux plus doux accents. Si c'est vous, ma princesse, Des roses de la tendresse Venez semer mes jours. Mais non, c'est la coquette Du village voisin, Qui m'offre une conquête En corset de basn. Grandeurs, je vous oublie! Cette fille est si jolie! Ses jupons sont si courts! BRENNUS OU VIGNE DANS GAULES Brennus disait aux bons gaulois: Célébrez un triomphe insigne! Les champs de Rome ont payé mes exploits, Et j'en rapporte un cep de vigne. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Privés de son jus tout-puissant, Nous avons vaincu pour en boire. Sur nos coteaux que le pampre naissant Serve à couronner la victoire. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Un jour, par ce raisin vermeil,des peuples vous serez l'envie. Dans son nectar plein des feux du soleil, Tous les arts puiseront la vie. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Quittant nos bords favorisés, Mille vaisseaux iront sur l'onde, Chargés de vins et de fleurs pavoisés, Porter la joie autour du monde. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Femmes, nos maîtres absolus, Vous qui préparez nos armures, Que sa liqueur soit un baume de plus Versé par vous sur nos blessures. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Soyons unis, et nos voisins Apprendront qu'en des jours d'alarmes Le faible appui que l'on donne aux raisins Peut vaincre à défaut d'autres armes. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Bacchus, d'embellir ses destins Un peuple hospitalier te prie. Fais qu'un proscrit, assis à nos festins, Oublie un moment sa patrie. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. Brennus alors bénit les cieux, Creuse la terre avec sa lance, Plante la vigne, et les gaulois joyeux Dans l'avenir ont vu la France. Grace à la vigne, unissons pour toujours L'honneur, les arts, la gloire et les amours. LES CLEFS DU PARADIS Saint Pierre perdit l'autre jour Les clefs du céleste séjour. (l'histoire est vraiment singulière! ) C'est Margot qui, passant par là, Dans son gousset les lui vola. " je vais, Margot, Passer pour un nigaud; Rendez-moi mes clefs, " disait saint Pierre. Margoton, sans perdre de temps, Ouvre le ciel à deux battants. (l'histoire est vraiment singulière! ) Dévots fieffés, pécheurs maudits, Entrent ensemble en paradis. " je vais, Margot, Passer pour un nigaud; On voit arriver en chantant Un turc, un juif, un protestant; (l'histoire est vraiment singulière! ) Puis un pape, l'honneur du corps, Qui, sans Margot, restait dehors." je vais, Margot, Passer pour un nigaud; Des jésuites, que Margoton Voit à regret dans ce canton, (l'histoire est vraiment singulière! ) Sans bruit, à force d'avancer, Près des anges vont se placer. " je vais, Margot, Passer pour un nigaud; En vain un fou crie, en entrant, Que Dieu doit être intolérant; (l'histoire est vraiment singulière! ) Satan lui-même est bien venu: La belle en fait un saint cornu. " je vais, Margot, Passer pour un nigaud; Dieu, qui pardonne à Lucifer, Par décret supprime l'enfer. (l'histoire est vraiment singulière! ) La douceur va tout convertir: On n'aura personne à rôtir. " je vais, Margot, Passer pour un nigaud; Le paradis devient gaillard, Et Pierre en veut avoir sa part. (l'histoire est vraiment singulière! ) Pour venger ceux qu'il a damnés, On lui ferme la porte au nez. " je vais, Margot, Passer pour un nigaud; SI J'ETAIS PETIT OISEAU Moi qui, même auprès des belles, Voudrais vivre en passager, Que je porte envie aux ailes De l'oiseau vif et léger! Combien d'espace il visite! À voltiger tout l'invite: L'air est doux, le ciel est beau. Je volerais vite, vite, vite, Si j'étais petit oiseau. C'est alors que Philomèle M'enseignant ses plus doux sons, J'irais de la pastourelle Accompagner les chansons. Puis j'irais charmer l'ermite Qui, sans vendre l'eau bénite, Donne aux pauvres son manteau. Je volerais vite, vite, vite, Si j'étais petit oiseau. Puis j'irais dans le bocage, Où des buveurs en gaîté, Attendris par mon ramage, Ne boiraient qu'à la beauté. Puis ma chanson favorite Aux guerriers qu'on déshérite Ferait chérir le hameau. Je volerais vite, vite, vite, Si j'étais petit oiseau. Puis j'irais sur les tourelles Où sont de pauvres captifs, En leur cachant bien mes ailes, Former des accords plaintifs. L'un sourit à ma visite; L'autre rêve, dans son gîte, Aux champs où fut son berceau. Je volerais vite, vite, vite, Si j'étais petit oiseau. Puis, voulant rendre sensible Un roi qui fuirait l'ennui, Sur un olivier paisible J'irais chanter près de lui. Puis j'irais jusqu'où s'abrite Quelque famille proscrite, Porter de l'arbre un rameau. Je volerais vite, vite, vite, Si j'étais petit oiseau. Puis, jusques où naît l'aurore, Vous, méchants, je vous fuirais, À moins que l'amour encore Ne me surprît dans ses rets. Que, sur un sein qu'il agite, Ce chasseur que nul n'évite Me dresse un piège nouveau, J'y volerais vite, vite, vite, Si j'étais petit oiseau. LE BON VIEILLARD Joyeux enfants, vous que Bacchus rassemble, Par vos chansons, vous m'attirez ici. Je suis bien vieux; mais en vain ma voix tremble: Accueillez-moi, j'aime à chanter aussi. Du temps passé j'apporte des nouvelles; J'ai bu jadis avec le bon Panard. Amis du vin, de la gloire et des belles, Daignez sourire aux chansons d'un vieillard. De me fêter, hé quoi, chacun s'empresse! À ma santé coule un vin généreux. Ce doux accueil enhardit ma vieillesse: Je crains toujours d'attrister les heureux. Que les plaisirs vous couvrent de leurs ailes; Avec le temps vous compterez plus tard. Amis du vin, de la gloire et des belles, Ainsi que vous j'ai vécu de caresses; Vos grand'mamans diraient si je leur plus. J'eus des châteaux, des amis, des maîtresses; Amis, châteaux, maîtresses, ne sont plus. Les souvenirs me sont restés fidèles; Aussi parfois je soupire à l'écart. Amis du vin, de la gloire et des belles, Dans nos discords j'ai fait plus d'un naufrage, Sans fuir jamais la France et son doux ciel. Au peu de vin que m'a laissé l'orage, L'orgueil blessé ne mêle point de fiel. J'ai chanté même aux vendanges nouvelles, Sur des coteaux dont j'eus long-temps ma part. Amis du vin, de la gloire et des belles, Vieux compagnon des guerriers d'un autre âge, Comme Nestor je ne vous parle pas. De tous les jours où brilla mon courage J'achèterais un jour de vos combats. Je l'avoûrai, vos palmes immortelles M'ont rendu cher un nouvel étendard Amis du vin, de la gloire et des belles, Sur vos vertus quel avenir se fonde! Enfants, buvons à mes derniers amours. La liberté va rajeunir le monde; Sur mon tombeau brilleront d'heureux jours. D'un beau printemps, aimables hirondelles, J'ai pour vous voir différé mon départ. Amis du vin, de la gloire et des belles, QU'ELLE EST JOLIE! Grands dieux! Combien elle est jolie Celle que j'aimerai toujours! Dans leur douce mélancolie Ses yeux font rêver aux amours. Du plus beau souffle de la vie À l'animer le ciel se plaît. Grands dieux! Combien elle est jolie! Et moi, je suis, je suis si laid! Grands dieux, combien elle est jolie! Elle compte au plus vingt printemps. Sa bouche est fraîche épanouie; Ses cheveux sont blonds et flottants. Par mille talents embellie, Seule elle ignore ce qu'elle est. Grands dieux! Combien elle est jolie! Grands dieux! Combien elle est jolie! Et cependant j'en suis aimé. J'ai dû long-temps porter envie Aux traits dont le sexe est charmé. Avant qu'elle enchantât ma vie, Devant moi l'amour s'envolait. Grands dieux! Combien elle est jolie! Grands dieux! Combien elle est jolie! Et pour moi ses feux sont constants. La guirlande qu'elle a cueillie Ceint mon front chauve avant trente ans. Voiles qui parez mon amie, Tombez; mon triomphe est complet. Grands dieux! Combien elle est jolie! L'AVEUGLE DE BAGNOLET À Bagnolet j'ai vu naguère Certain vieillard toujours content. Aveugle il revint de la guerre, Et pauvre il mendie en chantant. Sur sa vielle il redit sans cesse: " aux gens de plaisir je m'adresse. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît. " Et de lui donner l'on s'empresse. " ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " Il a pour guide une fillette; Et, près d'aimables étourdis, À la contre-danse il répète: " comme vous j'ai dansé jadis. Vous qui pressez avec ivresse La main de plus d'une maîtresse, Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît: J'ai bien employé ma jeunesse. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " Il dit aux dames de la ville Qu'il trouve à de gais rendez-vous: " avec Babet, dans cet asile, Combien j'ai ri de son époux! Belles, qu'une ombre épaisse attire, Là contre l'hymen tout conspire. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît; Les maris me font toujours rire. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " S'il parle à de certaines filles Dont il fit long-temps ses amours: " ah! Leur dit-il, toujours gentilles, Aimez bien et plaisez toujours. Pour toucher la prude inhumaine, Trop souvent ma prière est vaine. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît; Refuser vous fait tant de peine! Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " Mais aux buveurs sous la tonnelle Il dit: " songez bien qu'ici-bas, " même quand la vendange est belle, Le pauvre ne vendange pas. Bons vivants que met en goguette Le vin d'une vieille feuillette, Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît; Je me régale de piquette. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " D'autres buveurs, francs militaires, Chantent l'amour à pleine voix, Ou gaîment rapprochent leurs verres Au souvenir de leurs exploits. Il leur dit, ému jusqu'aux larmes: " de l'amitié goûtez les charmes. Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît; Comme vous j'ai porté les armes! Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " Faut-il enfin que je le dise? On le voit, pour son intérêt, Moins à la porte de l'église Qu'à la porte du cabaret. Pour ceux que le plaisir couronne, J'entends sa vielle qui résonne: " ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît; Le plaisir rend l'ame si bonne! Ah! Donnez, donnez, s'il vous plaît, À l'aveugle de Bagnolet. " LE PRINCE DE NAVARRE Quoi! Tu veux régner sur la France! Es-tu fou, pauvre Mathurin? N'échange point ton indigence Contre tout l'or d'un souverain. Sur un trône l'ennui se carre, Fier d'être encensé par des sots. Croyez-moi, prince de Navarre, Prince, faites-nous des sabots. Des leçons que le malheur donne, Tu n'as donc point tiré de fruit. Réclamerais-tu la couronne, Si le malheur t'avait instruit? Cette ambition n'est point rare, Même ailleurs que chez les héros. Croyez-moi, prince de Navarre, Dans le rang que toi-même espères, Trompés par des flatteurs câlins, Que de rois se disent les pères D'enfants qui se croient orphelins! Régner, c'est n'être point avare De lois, de rubans, de grands mots. Croyez-moi, prince de Navarre, Quand tu combattrais avec gloire, Sache que plus d'un conquérant Se voit arracher la victoire Par un général ignorant. Un anglais, aidé d'un tartare, Foule aux pieds de nobles drapeaux. Croyez-moi, prince de Navarre, Combien d'agens illégitimes Servent la légitimité! Trop tard sur les malheurs de Nîmes On éclairerait ta bonté. Le roi qu'au pont-neuf on répare Parle en vain pour les huguenots. Croyez-moi, prince de Navarre, De tes maux quel serait le terme, Si quelques alliés sans foi Prétendaient que tu tiens à ferme Le trône que tu dis à toi? De jour en jour leur ligue avare Augmenterait le prix des baux. Croyez-moi, prince de Navarre, Enfin pourrais-tu sans scrupule, Graissant la pate au saint-esprit, Faire un concordat ridicule Avec ton père en Jésus-Christ? Pour lui redorer sa tiare, Tu nous surchargerais d'impôts. Croyez-moi, prince de Navarre, D'ailleurs ton métier nous arrange: Nos amis nous ont fait capot. C'est pour que l'étranger la mange Que nous mettons la poule au pot. De nos souliers même on s'empare Après avoir pris nos manteaux. Croyez-moi, prince de Navarre, LA MORT SUBITE Couplets pour un dîner. Mes amis, j'accours au plus vite, Car vous ne pardonneriez pas, À moins, dit-on, de mort subite, De manquer à ce gai repas. En vain l'amour qui me lutine Pour m'arrêter tente un effort; Avec vous il faut que je dîne: Mes amis, je ne suis pas mort. Mais bien souvent, quoiqu'heureux d'être, On meurt sans s'en apercevoir. Ah! Mon dieu! Je suis mort peut-être; C'est ce qu'il est urgent de voir. Je me tâte comme sosie; Je ris, je mange, et je bois fort. Ah! Je me connais à la vie: Mes amis, je ne suis pas mort. Si j'allais, couronné de lierre, Ici fermer les yeux soudain; En chantant, remplissez mon verre, Et de vos mains pressez ma main. Si Bacchus, dont je suis l'apôtre, Ne m'inspire un joyeux transport, Si ma main ne serre la vôtre, Adieu, mes amis, je suis mort! LES CINQUANTE ECUS Grace à Dieu je suis héritier! Le métier De rentier Me sied et m'enchante. Travailler serait un abus; J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus de rente. Mes amis, la terre est à moi. J'ai de quoi Vivre en roi Si l'éclat me tente. Les honneurs me sont dévolus; J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, Pour user des droits d'un richard, Sans retard Sur un char De forme élégante, Fuyons mes créanciers confus. J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, Adieu Surène et ses coteaux! Le bordeaux, Le mursaulx, L'aï que l'on chante, Vont donc enfin m'être connus. J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, Parez-vous, Lise, mes amours, Des atours Que toujours La richesse invente; Le clinquant ne vous convient plus: J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, Pour mes hôtes vous que je prends, Amis francs, Vieux parents, Soeur jeune et fringante, Soyez logés, nourris, vêtus; J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, Amis, bons vins, loisirs, amours, Pour huit jours Des plus courts Comblez mon attente; Le fonds suivra les revenus. J'ai cinquante écus, J'ai cinquante écus, LE CARNAVAL DE 1818 On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! Des veuves, des filles, des femmes, Tu dois craindre les épigrammes; Carnaval dont chacun pâtit, Dis-nous qui t'a fait si petit. Carnaval, ah! Comment nos belles T'accueilleront-elles? On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! Chez nous quand si peu tu demeures, Des prières de quarante heures Les heures qu'on retranchera Sont tout ce qu'on y gagnera. Carnaval, ah! Comment nos belles On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! Vendu sans doute au ministère, Tu ne viens qu'afin qu'on t'enterre, Quand sur toi nous avions compté Pour quelques jours de liberté. Carnaval, ah! Comment nos belles On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! Des ministres, oui, je le gage, À la chambre, on te croit l'ouvrage; Et contre eux enfin déclaré, Le ventre même a murmuré. Carnaval, ah! Comment nos belles On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! Dis-moi, ta maigreur sans égale Est-elle une leçon morale Que chez nous, en venant dîner, Wellington veut encor donner? Carnaval, ah! Comment nos belles On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! En France on vit de sacrifice; Aurait-on craint que la police, Toujours prête à nous égayer, N'eût trop de masques à payer? Carnaval, ah! Comment nos belles On crie à la ville, à la cour: Ah! Qu'il est court! Ah! Qu'il est court! LE RETOUR DANS LA PATRIE Qu'il va lentement le navire À qui j'ai confié mon sort! Au rivage où mon coeur aspire, Qu'il est lent à trouver un port! France adorée! Douce contrée! Mes yeux cent fois ont cru te découvrir. Qu'un vent rapide Soudain nous guide Aux bords sacrés où je reviens mourir. Mais enfin le matelot crie: Terre! Terre! Là-bas, voyez! Ah! Tous mes maux sont oubliés. Salut à ma patrie! Oui, voilà les rives de France; Oui, voilà le port vaste et sûr, Voisin des champs où mon enfance S'écoula sous un chaume obscur. France adorée! Douce contrée! Après vingt ans enfin je te revois; De mon villageje vois la plage, Je vois fumer la cime de nos toits. Combien mon ame est attendrie! Là furent mes premiers amours; Là ma mère m'attend toujours. Salut à ma patrie! Loin de mon berceau, jeune encore, L'inconstance emporta mes pas, Jusqu'au sein des mers où l'aurore Sourit aux plus riches climats. France adorée! Douce contrée! Dieu te devait leurs fécondes chaleurs. Toute l'année Là brille ornée De fleurs, de fruits, et de fruits et de fleurs. Mais là, ma jeunesse flétrie Rêvait à des climats plus chers; Là, je regrettais nos hivers. Salut à ma patrie! J'ai pu me faire une famille, Et des trésors m'étaient promis. Sous un ciel où le sang pétille, À mes voeux l'amour fut soumis. France adorée! Douce contrée! Que de plaisirs quittés pour te revoir! Mais sans jeunesse, Mais sans richesse, Si d'être aimé je dois perdre l'espoir; De mes amours dans la prairie, Les souvenirs seront présents; C'est du soleil pour mes vieux ans. Salut à ma patrie! Poussé chez des peuples sauvages Qui m'offraient de régner sur eux, J'ai su défendre leurs rivages Contre des ennemis nombreux. France adorée! Douce contrée! Tes champs alors gémissaient envahis. Puissance et gloire, Cris de victoire, Rien n'étouffa la voix de mon pays. De tout quitter mon coeur me prie: Je reviens pauvre, mais constant. Une bêche est là qui m'attend. Salut à ma patrie! Au bruit des transports d'alégresse, Enfin le navire entre au port. Dans cette barque où l'on se presse Hâtons-nous d'atteindre le bord. France adorée! Douce contrée! Puissent tes fils te revoir ainsi tous! Enfin, j'arrive, Et sur la rive Je rends au ciel, je rends grace à genoux. Je t'embrasse, ô terre chérie! Dieu! Qu'un exilé doit souffrir! Moi, désormais je puis mourir. Salut à ma patrie! LE VENTRU Compte rendu de la session de 1818 Aux électeurs du département de... par M. Électeurs de ma province, Il faut que vous sachiez tous Ce que j'ai fait pour le prince, Pour la patrie et pour vous. L'état n'a point dépéri: Je reviens gras et fleuri. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! Au ventre toujours fidèle, J'ai pris, suivant ma leçon, Place à dix pas de Villèle, À quinze de D'Argenson; Car dans ce ventre étoffé Je suis entré tout truffé. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! Comme il faut au ministère Des gens qui parlent toujours Et hurlent pour faire taire Ceux qui font de bons discours, J'ai parlé, parlé, parlé; J'ai hurlé, hurlé, hurlé. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! Si la presse a des entraves, C'est que je l'avais promis; Si j'ai bien parlé des braves, C'est qu'on me l'avait permis. J'aurais voté dans un jour Dix fois contre et dix fois pour. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! J'ai repoussé les enquêtes, Afin de plaire à la cour; J'ai, sur toutes les requêtes, Demandé l'ordre du jour. Au nom du roi, par mes cris, J'ai rebanni les proscrits. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! Des dépenses de police J'ai prouvé l'utilité; Et non moins français qu'un suisse, Pour les suisses j'ai voté. Gardons bien, et pour raison, Ces amis de la maison. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! Malgré des calculs sinistres, Vous paîrez, sans y songer, L'étranger et les ministres, Les ventrus et l'étranger. Il faut que, dans nos besoins, Le peuple dîne un peu moins. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! Enfin j'ai fait mes affaires: Je suis procureur du roi; J'ai placé deux de mes frères, Mes trois fils ont de l'emploi. Pour les autres sessions J'ai cent invitations. Quels dînés, Quels dînés Les ministres m'ont donnés! Oh! Que j'ai fait de bons dînés! LA COURONNE Couplets chantés par un roi de la fève. Grace à la fève, je suis roi. Nous le voulons: versez à boire! Çà, mes sujets, couronnez-moi! Et qu'on porte envie à ma gloire; À l'espoir du rang le plus beau Point de coeur qui ne s'abandonne. Nul n'est content de son chapeau; Chacun voudrait une couronne. Un roi sur son front obscurci Porte une couronne éclatante. Le pâtre a sa couronne aussi, Couronne de fleurs qui me tente. À l'un le ciel la fait payer: Mais au berger l'amour la donne; Le roi l'ôte pour sommeiller, Colin dort avec sa couronne. Le français, poëte et guerrier, Sert les muses et la victoire. Le front ceint d'un double laurier, Il triomphe et chante sa gloire. Quand du rang qu'il doit occuper Il tombe, trahi par Bellone, Le sceptre lui peut échapper, Mais il conserve sa couronne. Belles, vous portez à quinze ans La couronne de l'innocence: Bientôt viennent les courtisans; Comme les rois on vous encense. Comme eux de pièges séducteurs L'artifice vous environne; Vous n'écoutez que vos flatteurs, Et vous perdez votre couronne. Perdre une couronne! à ces mots Chacun doit penser à la sienne. Je n'ai point doublé les impôts; Je n'ai point de noblesse ancienne. Mon peuple, buvons de concert: La place me paraît si bonne! N'allez pas avant le dessert Me faire abdiquer la couronne. LE BON MENAGE Commissaire! Commissaire! Colin bat sa ménagère. Commissaire, Laissez faire; Pour l'amour C'est un beau jour. Commissaire du quartier, Cela point ne vous regarde; Point n'est besoin de la garde Qu'appelle en vain le portier. Oui, Colin bat sa Colette; Mais ainsi, tous les lundis, L'amour, aux cris qu'elle jette, S'éveille dans leur taudis. Commissaire! Commissaire! Colin bat sa ménagère. Commissaire, Laissez faire; Pour l'amour C'est un beau jour. Colin est un gros garçon Qui chante dès qu'il s'éveille; Colette, ronde et vermeille, A la gaîté du pinson. Chez eux la haine est sans force; Car tous deux, de leur plein gré, Pour se passer du divorce, Se sont passés du curé. Commissaire! Commissaire! Colin bat sa ménagère. Commissaire, Laissez faire; Pour l'amour C'est un beau jour. Bras dessus et bras dessous, Chaque soir à la guinguette S'en vont Colin et Colette Sabler du vin à six sous. C'est pour trinquer sous l'ombrage Où, sans témoin, fut passé Leur contrat de mariage Sur un banc qu'ils ont cassé. Commissaire! Commissaire! Colin bat sa ménagère. Commissaire, Laissez faire; Pour l'amour C'est un beau jour. Parfois pour d'autres attraits Colin se met en dépense; Mais Colette a pris l'avance, Et s'en venge encore après. On aura fait quelque conte, Et, de dépit transportés, Peut-être ils règlent le compte De leurs infidélités. Commissaire! Commissaire! Colin bat sa ménagère. Commissaire, Laissez faire; Pour l'amour C'est un beau jour. Commissaire du quartier, Cela point ne vous regarde; Point n'est besoin de la garde Qu'appelle en vain le portier. Déja sans doute on s'embrasse, Et dans son lit, à loisir, Demain Colette un peu lasse Ne s'en prendra qu'au plaisir. Commissaire! Commissaire! Colin bat sa ménagère. Commissaire, Laissez faire, Pour l'amour C'est un beau jour. LE CHAMP D'ASILE Août 1818. Un chef de bannis courageux, Implorant un lointain asile, À des sauvages ombrageux Disait: " l'Europe nous exile. " heureux enfants de ces forêts, De nos maux apprenez l'histoire: Sauvages! Nous sommes français; Prenez pitié de notre gloire. " elle épouvante encor les rois, Et nous bannit des humbles chaumes D'où, sortis pour venger nos droits, Nous avons dompté vingt royaumes. Nous courions conquérir la paix Qui fuyait devant la victoire. Prenez pitié de notre gloire. " dans l'Inde, Albion a tremblé Quand de nos soldats intrépides Les chants d'alégresse ont troublé Les vieux échos des pyramides. Les siècles pour tant de hauts faits N'auront point assez de mémoire. Prenez pitié de notre gloire. " un homme enfin sort de nos rangs; Il dit: " je suis le dieu du monde. " L'on voit soudain les rois errants Conjurer sa foudre qui gronde. De loin saluant son palais, À ce dieu seul ils semblaient croire. Prenez pitié de notre gloire. " mais il tombe; et nous, vieux soldats Qui suivions un compagnon d'armes, Nous voguons jusqu'en vos climats, Pleurant la patrie et ses charmes. Qu'elle se relève à jamais Du grand naufrage de la Loire! Prenez pitié de notre gloire. " Il se tait. Un sauvage alors Répond: " Dieu calme les orages. Guerriers! Partagez nos trésors, Ces champs, ces fleuves, ces ombrages. Gravons sur l'arbre de la paix Ces mots d'un fils de la victoire: Prenez pitié de notre gloire. " Le champ d'asile est consacré; Élevez-vous, cité nouvelle! Soyez-nous un port assuré Contre la fortune infidèle. Peut-être aussi des plus hauts faits Nos fils vous racontant l'histoire, Vous diront: nous sommes français; Prenez pitié de notre gloire. LA MORT DE CHARLEMAGNE Dans le vieux roman de la rose J'ai vu que le fils de Pépin, Redoutant son apothéose, Disait à l'évêque Turpin: " prélat, sois bon à quelque chose; L'âge m'accable, guéris-moi. " " oui, lui dit Turpin, et vive le roi! " " Turpin, sais-tu qu'on me répète Ce mot-là depuis bien long-temps? " Turpin répond: " j'ai la recette D'un coeur de vierge de vingt ans. Fleur de vingt ans, vertu parfaite, Vous rajeunira, sur ma foi. Sauvons la patrie, et vive le roi! " Vite un décret de Charlemagne Met un haut prix à ce trésor: On cherche à Rome, en Allemagne; Même en France on le cherche encor. Les curés cherchaient en campagne, Disant: " ce prince plein de foi " doublera la dîme, et vive le roi! " Turpin d'abord trouve lui-même Coeur de vingt ans non profané; Mais un bon moine de Télème Le croque à l'instant sous son nez. Quoi! Sans respect du diadème! " oui, dit le moine, c'est ma loi. L'église avant tout, et vive le roi! " Un juge, espérant la simarre, Loin de Paris cherche si bien Qu'il découvre aussi l'oiseau rare Qu'attendait le roi très chrétien. Un seigneur dit: " je m'en empare; Le droit de jambage est à moi. Tout pour la noblesse, et vive le roi! " " je serai duc! " s'écrie un page, Dénichant enfin à son tour Fille de vingt ans neuve et sage, Que soudain il mène à la cour. On illumine à son passage; Et le peuple, qui sait pourquoi, Chante un te deum, et vive le roi! Mais, en voyant le doux remède, Le roi dit: " c'est l'esprit malin. Fi donc! Cette vierge est trop laide; Mieux vaut mourir comme un vilain. " Or, il meurt, son fils lui succède, Et Turpin répète au convoi: " vite, qu'on l'enterre, et vive le roi! " LE VENTRU AUX ELECTIONS DE 1819 Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Électeurs, j'ai, sans nul mystère, Fait de bons dîners l'an passé. On met la table au ministère; Renommez-moi, je suis pressé. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Préfets, que tout nous réussisse, Et du moins vous conserverez, Si l'on vous traduit en justice, Le droit de choisir les jurés. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Maires, soignez bien mes affaires; Vous courez aussi des dangers. Si les villes nommaient leurs maires, Moins de loups deviendraient bergers. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Dévots, j'ai la foi la plus forte; À Dieu je dis chaque matin: Faites qu'à cent écus l'on porte La patente d'ignorantin. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Ultras, c'est moi qu'il faut qu'on nomme; Faisons la paix, preux chevaliers: N'oubliez pas que je suis homme À manger à deux râteliers. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Libéraux, dans vos doléances, Pourquoi donc vous en prendre à moi, Quand le creuset des ordonnances Peut faire évaporer la loi? Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. Les emplois étant ma ressource Aux impôts dois-je m'opposer? Par honneur je remplis la bourse Où par devoir j'aime à puiser. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. On craindrait l'équité farouche D'un tas d'orateurs éclatants; Moi, dès que j'ouvrirai la bouche, Les ministres seront contents. Autour du pot c'est trop tourner, Messieurs! L'on m'attend pour dîner. LA NATURE Combien la nature est féconde En plaisirs ainsi qu'en douleurs! De noirs fléaux couvrent le monde De débris, de sang et de pleurs. Mais à ses pieds la beauté nous attire; Mais des raisins le nectar est foulé. Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire; Et l'univers est consolé. Chaque pays eut son déluge; Hélas! Peut-être jour et nuit Une arche est encor le refuge De mortels que l'onde poursuit. Sitôt qu'Iris brille sur leur navire, Et que vers eux la colombe a volé, Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire; Quel autre champ de funérailles! L'Etna s'agite, et, furieux, Semble, du fond de ses entrailles, Vomir l'enfer contre les cieux. Mais pour renaître enfin sa rage expire: Il se rasseoit sur le monde ébranlé. Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire; Dieu! Que de souffrances nouvelles! L'affreux vautour de l'Orient, La peste a déployé ses ailes Sur l'homme qui tombe en fuyant. Le ciel s'apaise, et la pitié respire, On tend la main au malade exilé. Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire; Mars enfin comble nos misères: Des rois nous payons les défis. Humide encor du sang des pères, La terre boit le sang des fils. Mais l'homme aussi se lasse de détruire, Et la nature à son coeur a parlé. Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire; Ah! Loin d'accuser la nature, Du printemps chantons le retour; Des roses de sa chevelure Parfumons la joie et l'amour. Malgré l'horreur que l'esclavage inspire Sur les débris d'un empire écroulé, Coulez, bons vins; femmes, daignez sourire; LES CARTES, OU L'HOROSCOPE Tandis qu'en faisant sa prière, Au coin du feu maman s'endort, Peu faite pour être ouvrière, Dans les cartes cherchons mon sort. Maman dirait: craignez les bagatelles! Le diable est fin; tremblez, Suzon! Mais j'ai seize ans: les cartes seront belles. Les cartes ont toujours raison, Toujours raison, toujours raison. Amour, enfant ou mariage, Sachons ce qui m'attend ici. J'ai certain amant qui voyage: Valet de coeur? Bon! Le voici. Pour une veuve, aux pleurs il me condamne. L'ingrat l'épouse, ô trahison! J'entre au couvent; mon confesseur se damne. Les cartes ont toujours raison, Toujours raison, toujours raison. Au parloir témoin de mes larmes, Le roi de carreau vient souvent: C'est un prince épris de mes charmes; Il m'enlève de mon couvent. Par des cadeaux son altesse m'entraîne Jusqu'à sa petite maison. La nuit survient, et je suis presque reine. Les cartes ont toujours raison, Toujours raison, toujours raison. Je suis le prince à la campagne; On vient lui parler contre moi. En secret un brun m'accompagne, Tout se découvre: adieu mon roi! Un de perdu, j'en vois arriver douze; J'enflamme un campagnard grison: Je suis cruelle, et celui-là m'épouse. Les cartes ont toujours raison, Toujours raison, toujours raison. En ménage d'une semaine, Dans un char je brille à Paris. C'est le roi de trèfle qui mène; Mon mari gronde, et je m'en ris. Dieu! L'amour fuit à l'aspect d'une vieille! En ai-je passé la saison? Eh! Non vraiment, c'est maman qui s'éveille. Les cartes ont toujours raison, Toujours raison, toujours raison. LA SAINTE ALLIANCE DES PEUPLES Chanson Chantée à Liancourt pour la fête donnée par m le Duc de la Rochefoucault, en réjouissance de L'évacuation du territoire français, au mois D'octobre 1818. J'ai vu la paix descendre sur la terre, Semant de l'or, des fleurs et des épis. L'air était calme, et du dieu de la guerre Elle étouffait les foudres assoupis. " ah! Disait-elle, égaux par la vaillance, Français, anglais, belge, russe ou germain, Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main. " pauvres mortels, tant de haine vous lasse! Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil. D'un globe étroit divisez mieux l'espace; Chacun de vous aura place au soleil. Tous attelés au char de la puissance, Du vrai bonheur vous quittez le chemin. Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main. " chez vos voisins vous portez l'incendie: L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés; Et quand la terre est enfin refroidie, Le soc languit sous des bras mutilés. Près de la borne où chaque état commence, Aucun épi n'est pur de sang humain. Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main. " des potentats, dans vos cités en flammes, Osent du bout de leur sceptre insolent Marquer, compter et recompter les ames Que leur adjuge un triomphe sanglant. Faibles troupeaux, vous passez sans défense D'un joug pesant sous un joug inhumain. Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main. " que Mars en vain n'arrête point sa course. Fondez les lois dans vos pays souffrants; De votre sang ne livrez plus la source Aux rois ingrats, aux vastes conquérants. Des astres faux conjurez l'influence; Effroi d'un jour, ils pâliront demain. Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main. " oui, libre enfin, que le monde respire; Sur le passé jetez un voile épais. Semez vos champs aux accords de la lyre; L'encens des arts doit brûler pour la paix. L'espoir riant, au sein de l'abondance, Accueillera les doux fruits de l'hymen. Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main. " Ainsi parlait cette vierge adorée, Et plus d'un roi répétait ses discours. Comme au printemps la terre était parée; L'automne en fleurs rappelait les amours. Pour l'étranger coulez, bons vins de France: De sa frontière il reprend le chemin. Peuples, formons une sainte alliance, Et donnons-nous la main. ROSETTE Sans respect pour votre printemps, Quoi! Vous me parlez de tendresse Quand sous le poids de quarante ans Je vois succomber ma jeunesse! Je n'eus besoin pour m'enflammer Jadis que d'une humble grisette. Ah! Que ne puis-je vous aimer Comme autrefois j'aimais Rosette! Votre équipage tous les jours Vous montre en parure brillante. Rosette, sous de frais atours, Courait à pied, leste et riante. Par-tout ses yeux, pour m'alarmer, Provoquaient l'oeillade indiscrète. Ah! Que ne puis-je vous aimer Dans le satin de ce boudoir Vous souriez à mille glaces. Rosette n'avait qu'un miroir; Je le croyais celui des Graces. Point de rideaux pour s'enfermer; L'aurore égayait sa couchette. Ah! Que ne puis-je vous aimer Votre esprit, qui brille éclairé, Inspirerait plus d'une lyre. Sans honte je vous l'avoûrai, Rosette à peine savait lire. Ne pouvait-elle s'exprimer, L'amour lui servait d'interprète. Ah! Que ne puis-je vous aimer Elle avait moins d'attraits que vous; Même elle avait un coeur moins tendre: Oui, ses yeux se tournaient moins doux Vers l'amant heureux de l'entendre. Mais elle avait, pour me charmer, Ma jeunesse que je regrette. Ah! Que ne puis-je vous aimer LES REVERENDS PERES Décembre 1819. Hommes noirs, d'où sortez-vous? Nous sortons de dessous terre. Moitié renards, moitié loups, Notre règle est un mystère. Nous sommes fils de Loyola; Vous savez pourquoi l'on nous exila. Nous rentrons; songez à vous taire! Et que vos enfants suivent nos leçons. C'est nous qui fessons, Et qui refessons Les jolis petits, les jolis garçons. Un pape nous abolit; Il mourut dans les coliques. Un pape nous rétablit; Nous en ferons des reliques. Confessons, pour être absolus: Henri Quatre est mort, qu'on n'en parle plus. Vivent les rois bons catholiques! Pour Ferdinand Sept nous nous prononçons. Et puis nous fessons, Et nous refessons Les jolis petits, les jolis garçons. Par le grand homme du jour Nos maisons sont protégées. Oui, d'un baptême de cour Voyez en nous les dragées. Le favori, par tant d'égards, Espère acquérir de pieux mouchards. Encor quelques lois de changées, Et, pour le sauver, nous le renversons. Et puis nous fessons, Et nous refessons Les jolis petits, les jolis garçons. Si tout ne changeait dans peu, Si l'on croyait la canaille, La charte serait de feu, Et le monarque de paille. Nous avons le secret d'en haut: La charte de paille est ce qu'il nous faut. C'est litière pour la prêtraille; Elle aura la dîme, et nous les moissons. Et puis nous fessons, Et nous refessons Les jolis petits, les jolis garçons. Du fond d'un certain palais Nous dirigeons nos attaques. Les moines sont nos valets: On a refait leurs casaques. Les missionnaires sont tous Commis voyageurs trafiquant pour nous. Les capucins sont nos cosaques: À prendre Paris nous les exerçons. Et puis nous fessons, Et nous refessons Les jolis petits, les jolis garçons. Enfin reconnaissez-nous Aux ames déja séduites. Escobar va sous nos coups Voir vos écoles détruites. Au pape rendez tous ses droits; Léguez-nous vos biens, et portez nos croix. Nous sommes, nous sommes jésuites; Français, tremblez tous: nous vous bénissons! Et puis nous fessons, Et nous refessons Les jolis petits, les jolis garçons. LES ENFANTS DE LA FRANCE Reine du monde, ô France! ô ma patrie! Soulève enfin ton front cicatrisé. Sans qu'à tes yeux leur gloire en soit flétrie, De tes enfants l'étendard s'est brisé. Quand la fortune outrageait leur vaillance, Quand de tes mains tombait ton sceptre d'or, Tes ennemis disaient encor: Honneur aux enfants de la France! De tes grandeurs tu sus te faire absoudre, France, et ton nom triomphe des revers. Tu peux tomber, mais c'est comme la foudre Qui se relève et gronde au haut des airs. Le Rhin aux bords ravis à ta puissance Porte à regret le tribut de ses eaux; Il crie au fond de ses roseaux: Pour effacer des coursiers du barbare Les pas empreints dans tes champs profanés, Jamais le ciel te fut-il moins avare? D'épis nombreux vois ces champs couronnés. D'un vol fameux prompts à venger l'offense, Vois les beaux-arts, consolant leurs autels, Y graver en traits immortels: Prête l'oreille aux accents de l'histoire: Quel peuple ancien devant toi n'a tremblé? Quel nouveau peuple, envieux de ta gloire, Ne fut cent fois de ta gloire accablé? En vain l'anglais a mis dans la balance L'or que pour vaincre ont mendié les rois, Des siècles entends-tu la voix? Dieu, qui punit le tyran et l'esclave, Veut te voir libre, et libre pour toujours. Que tes plaisirs ne soient plus une entrave: La liberté doit sourire aux amours. Prends son flambeau, laisse dormir sa lance, Instruis le monde, et cent peuples divers Chanteront en brisant leurs fers: Relève-toi, France, reine du monde! Tu vas cueillir tes lauriers les plus beaux. Oui, d'âge en âge une palme féconde Doit de tes fils protéger les tombeaux. Que près du mien, telle est mon espérance, Pour la patrie admirant mon amour, Le voyageur répète un jour: LES MIRMIDONS Décembre 1819. Choeur. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Voyant qu'Achille succombe, Ses mirmidons, hors des rangs, Disent: dansons sur sa tombe; Les petits vont être grands. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. D'Achille tournant les broches, Pour engraisser nous rampions: Il tombe, sonnons les cloches; Allumons tous nos lampions. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. De l'armée et de la flotte Les gens seront malmenés. Rendons-leur les coups de botte Qu'Achille nous a donnés. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Toi, mironton, mirontaine, Prends l'arme de ce héros; Puis, en vrai croquemitaine, Tu feras peur aux marmots. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. De son habit de bataille, Qu'ont respecté les boulets, À dix rois de notre taille Faisons dix habits complets. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Son sceptre, qu'on nous défère, Est trop pesant et trop long; Son fouet fait mieux notre affaire. Trottez, peuples, trottez donc! Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Qu'un Nestor en vain nous crie: L'ennemi fait des progrès! Ne parlons plus de patrie; L'on nous écoute au congrès. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Forçant les lois à se taire, Gouvernons sans embarras, Nous qui mesurons la terre À la longueur de nos bras. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Achille était poétique; Mais, morbleu! Nous l'effaçons. S'il inspire une oeuvre épique, Nous inspirons des chansons. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. Pourtant d'une peur servile Parfois rien ne nous défend. Grands dieux! C'est l'ombre d'Achille! Eh! Non, ce n'est qu'un enfant. Mirmidons, race féconde, Mirmidons, Enfin nous commandons: Jupiter livre le monde Aux mirmidons, aux mirmidons. LES ROSSIGNOLS La nuit a ralenti les heures; Le sommeil s'étend sur Paris. Charmez l'écho de nos demeures; Éveillez-vous, oiseaux chéris. Dans ces instants où le coeur pense, Heureux qui peut rentrer en soi! De la nuit j'aime le silence: Doux rossignols, chantez pour moi. Doux chantres de l'amour fidèle, De Phryné fuyez le séjour: Phryné rend chaque nuit nouvelle Complice d'un nouvel amour. En vain des baisers sans ivresse Ont scellé des serments sans foi; Je crois encore à la tendresse: Pour vous il n'est point de zoïle; Mais croyez-vous, par vos accords, Toucher l'avare au coeur stérile, Qui compte à présent ses trésors? Quand la nuit, favorable aux ruses, Pour son or le remplit d'effroi, Ma pauvreté sourit aux muses: Vous qui redoutez l'esclavage, Ah! Refusez vos tendres airs À ces nobles qui, d'âge en âge, Pour en donner portent des fers. Tandis qu'ils veillent en silence, Debout, auprès du lit d'un roi, C'est la liberté que j'encense: Mais votre voix devient plus vive: Non, vous n'aimez pas les méchants. Du printemps le parfum m'arrive Avec la douceur de vos chants. La nature, plus belle encore, Dans mon coeur va graver sa loi. J'attends le réveil de l'aurore: HALTE-LA! Chanson de fête pour Marie. 1820. Comment, sans vous compromettre, Vous tourner un compliment? De ne rien prendre à la lettre Nos juges ont fait serment. Puis-je parler de Marie? V dira: " non. C'est la mère d'un messie, Le deuxième de son nom. Halte-là! Vite en prison pour cela. " Dirai-je que la nature Vous combla d'heureux talents; Que les dieux de la peinture Sont touchés de votre encens; Que votre ame encor brisée Pleure un vol fait par des rois? " ah! Vous pleurez le musée, Dit M le gaulois. Halte-là! Vite en prison pour cela. " Si je dis que la musique Vous offre aussi des succès; Qu'à plus d'un chant héroïque S'émeut votre coeur français: " on ne m'en fait point accroire, S'écrie H radieux; Chanter la France et la gloire, C'est par trop séditieux. Halte-là! Vite en prison pour cela. " Si je peins la bienfaisance Et les pleurs qu'elle tarit; Si je chante l'opulence À qui le pauvre sourit, J D P Dit: " la bonté rend suspect; Et soulager l'infortune, C'est nous manquer de respect. Halte-là! Vite en prison pour cela. " En vain l'amitié m'inspire: Je suis effrayé de tout. À peine j'ose vous dire Que c'est le quinze d'août. " le quinze d'août! S'écrie B toujours en fureur: Vous ne fêtez pas Marie, Mais vous fêtez l'empereur! Halte-là! Vite en prison pour cela. " Je me tais donc par prudence, Et n'offre que quelques fleurs. Grand dieu! Quelle inconséquence! Mon bouquet a trois couleurs. Si cette erreur fait scandale, Je puis me perdre avec vous. Mais la clémence royale Est là pour nous sauver tous... Halte-là! Vite en prison pour cela. L'ENFANT DE BONNE MAISON Mémoire présenté à messieurs de l'école des Chartes, créée par une nouvelle ordonnance. Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. De votre savoir qui prospère J'attends parchemins et blason: Un bâtard est fils de son père; Je veux restaurer ma maison. Oui, plus noble que certains êtres, Des priviléges fiers suppôts, Moi je descends de mes ancêtres; Que leur ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. Ma mère, en illustre personne, Dédaigna robins et traitants; De l'opéra sortit baronne, Et se fit comtesse à trente ans. Marquise enfin des plus sévères, Elle nargua les sots propos. Auprès de mes chastes grands'mères Que son ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. Mon père, que sans flatterie Je cite avant tous ses aïeux, Était chevalier d'industrie, Sans en être moins glorieux. Comme il avait pour plaire aux dames De vieux cordons et l'air dispos, Il vécut aux dépens des femmes: Que son ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. Endetté de plus d'une somme, Et dans un donjon retiré, Mon aïeul, en bon gentilhomme, S'enivrait avec son curé. Sur le dos des gens du village, Après boire, il cassait les pots. Il but ainsi son héritage: Que son ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. Mon bisaïeul, chassant de race, Fut un comte fort courageux, Qui, laissant rouiller sa cuirasse, Joua noblement tous les jeux. Après une suite traîtresse De pics, de repics, de capots, Un as dépouilla son altesse: Que son ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. Mon trisaïeul, roi légitime D'un pays fort mal gouverné, Tranchait parfois du magnanime, Sur-tout quand il avait dîné. Mais les plaisirs de ce grand prince Ayant absorbé les impôts, Il mangea province à province: Que son ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. De ces faits dressez un sommaire, Messieurs, et prouvez qu'à moi seul Je vaux autant que père et mère, Aïeul, bisaïeul, trisaïeul. Grace à votre art que j'utilise, Qu'on me tire enfin des tripots; Qu'on m'enterre au choeur d'une église; Que mon ame soit en repos! Seuls arbitres Du sceau des titres, Chartriers, rendez-moi l'honneur: Je suis bâtard d'un grand seigneur. LES ETOILES QUI FILENT Janvier 1820. Berger, tu dis que notre étoile Règle nos jours et brille aux cieux. -oui, mon enfant; mais dans son voile La nuit la dérobe à nos yeux. -berger, sur cet azur tranquille De lire on te croit le secret: Quelle est cette étoile qui file, Qui file, file, et disparaît? -mon enfant, un mortel expire; Son étoile tombe à l'instant. Entre amis que la joie inspire, Celui-ci buvait en chantant. Heureux, il s'endort immobile Auprès du vin qu'il célébrait... -encore une étoile qui file, Qui file, file, et disparaît. -mon enfant, qu'elle est pure et belle! C'est celle d'un objet charmant. Fille heureuse, amante fidèle, On l'accorde au plus tendre amant. Des fleurs ceignent son front nubile, Et de l'hymen l'autel est prêt... Qui file, file, et disparaît. -mon fils, c'est l'étoile rapide D'un très grand seigneur nouveau-né: Le berceau qu'il a laissé vide D'or et de pourpre était orné. Des poisons qu'un flatteur distille, C'était à qui le nourrirait... Qui file, file, et disparaît. -mon enfant, quel éclair sinistre! C'était l'astre d'un favori Qui se croyait un grand ministre Quand de nos maux il avait ri. Ceux qui servaient ce dieu fragile Ont déja caché son portrait... Encore une étoile qui file, -qui file, file, et disparaît. -mon fils, quels pleurs seront les nôtres! D'un riche nous perdons l'appui: L'indigence glane chez d'autres, Mais elle moissonnait chez lui. Ce soir même, sûr d'un asile, À son toit le pauvre accourait... -encore une étoile qui file, Qui file, file, et disparaît. -c'est celle d'un puissant monarque!... Va, mon fils, garde ta candeur; Et que ton étoile ne marque Par l'éclat ni par la grandeur. Si tu brillais sans être utile, À ton dernier jour on dirait: Ce n'est qu'une étoile qui file, Qui file, file, et disparaît. L'ENRHUME Vaudeville sur les nouvelles lois d'exception. Mars 1820. Quoi! Pas un seul petit couplet! Chansonnier, dis-nous donc quel est Le mal qui te consume? -amis, il pleut, il pleut des lois; L'air est malsain, j'en perds la voix. Amis, c'est là, Oui, c'est cela, C'est cela qui m'enrhume. Chansonnier, quand vient le printemps, Les oiseaux, plus gais, plus contents, De chanter ont coutume. -oui, mais j'aperçois des réseaux: En cage on mettra les oiseaux. Oui, c'est cela, C'est cela qui m'enrhume. La chambre regorge d'intrus; Peins-nous l'un de ces bas ventrus Aux dîners qu'il écume. -non; car ces gens, si gras du bec, Votent l'eau claire et le pain sec. Oui, c'est cela, C'est cela qui m'enrhume. Pour nos pairs fais des vers flatteurs; Des français ce sont les tuteurs: Qu'à leur nez l'encens fume. -non, car ils ont mis de moitié Leurs pupilles à la pitié. Oui, c'est cela, C'est cela qui m'enrhume. Peins donc S l'anodin; Peins-nous sur-tout P-Dandin, Si fort quand il résume. -non: Cicéron m'a convaincu. P dirait: il a vécu. Oui, c'est cela, C'est cela qui m'enrhume. Mais la charte encor nous défend; Du roi c'est l'immortel enfant: Il l'aime, on le présume. Amis, c'est là, Oui, c'est cela, C'est cela qui m'enrhume. Qu'ai-je dit? Et que de dangers! Le ministre des étrangers, Dandin, taille sa plume. On va m'arrêter sans procès: Le vaudeville est né français. Amis, c'est là, Oui, c'est cela, LE TEMPS Près de la beauté que j'adore Je me croyais égal aux dieux, Lorsqu'au bruit de l'airain sonore Le temps apparut à nos yeux. Faible comme une tourterelle Qui voit la serre des vautours, Ah! Par pitié, lui dit ma belle, Vieillard, épargnez nos amours! Devant son front chargé de rides Soudain nos yeux se sont baissés; Nous voyons à ses pieds rapides La poudre des siècles passés. À l'aspect d'une fleur nouvelle Qu'il vient de flétrir pour toujours, Ah! Par pitié, lui dit ma belle, Je n'épargne rien sur la terre, Je n'épargne rien même aux cieux, Répond-il d'une voix austère: Vous ne m'avez connu que vieux. Ce que le passé vous révèle Remonte à peine à quelques jours. Ah! Par pitié, lui dit ma belle, Sur cent premiers peuples célèbres J'ai plongé cent peuples fameux Dans un abyme de ténèbres, Où vous disparaîtrez comme eux. J'ai couvert d'une ombre éternelle Des astres éteints dans leur cours. Ah! Par pitié, lui dit ma belle, Mais, malgré moi, de votre monde La volupté charme les maux; Et de la nature féconde L'arbre immense étend ses rameaux. Toujours sa tige renouvelle Des fruits que j'arrache toujours. Ah! Par pitié, lui dit ma belle, Il nous fuit; et près de le suivre,les plaisirs, hélas! Peu constants, Nous voyant plus pressés de vivre, Nous bercent dans l'oubli du temps. Mais l'heure en sonnant nous rappelle Combien tous nos rêves sont courts; Et je m'écrie avec ma belle: LA FARIDONDAINE Instruction ajoutée à la circulaire de m le préfet De police concernant les réunions chantantes Appelées goguettes. Avril 1820. Écoute, mouchard, mon ami, Je suis ton capitaine: Sois gai pour tromper l'ennemi, Et chante à perdre haleine. Tu sais que monseigneur Anglès, La faridondaine, A peur des couplets: Apprends qu'on en fait contre lui, Biribi, Sur la façon de barbari, Mon ami. Des goguettes, à peu de frais, On échauffe la veine; Aux apollons des cabarets Paie un broc de Surène Un aveugle y chante en faussant La faridondaine D'un ton menaçant. On néglige l'air de Henri, Biribi, Pour la façon de barbari, Mon ami. Sur mirliton fais un rapport: La cour le trouve obscène. Dénonce aussi Malbrouck est mort: À sa grace il fait peine. Sur-tout transforme avec éclat La faridondaine En crime d'état. Donnons des juges sans juri, Biribi, À la façon de barbari, Mon ami. Biribi veut dire en latin L'homme de Sainte-Hélène. Barbari, c'est, j'en suis certain, Un peuple qu'on enchaîne. Mon ami, ce n'est pas le roi; Et faridondaine Attaque la foi. Que dirait de mieux M Biribi, Sur la façon de barbari, Mon ami? Du préfet ce sont les leçons: Tu les suivras sans peine. Si l'on ne prend garde aux chansons, L'anarchie est certaine. Que le trône soit préservé De faridondaine Par le god save. Substituons l'o filii, Biribi, À la façon de barbari, Mon ami. MA LAMPE Chanson adressée à Madame Dufresnoy. Veille encore, ô lampe fidèle Que trop peu d'huile vient nourrir! Sur les accents d'une immortelle Laisse mes regards s'attendrir. De l'amour que sa lyre implore, Tu le sais, j'ai subi la loi. Veille, ma lampe, veille encore: Je lis les vers de Dufresnoy. Son livre est plein d'un doux mystère, Plein d'un bonheur de peu d'instants; Il rend à mon lit solitaire Tous les songes de mon printemps. Les dieux qu'au bel âge on adore Voudraient-ils revoler vers moi? Je lis les vers de Dufresnoy. Si, comme Sapho qu'elle égale, Elle eût, en proie à deux penchants, Des amours ardente rivale, Aux graces consacré ses chants, Parny, près d'une éléonore, Ne l'aurait pu voir sans effroi. Je lis les vers de Dufresnoy. Combien a pleuré sur nos armes Son noble coeur de gloire épris! De n'être pour rien dans ses larmes L'amour alors parut surpris. Jamais au pays qu'elle honore Sa lyre n'a manqué de foi. Je lis les vers de Dufresnoy. Aux chants du nord on fait hommage Des lauriers du Pinde avilis; Mais de leur gloire sois l'image, Toi, ma lampe, toi qui pâlis. À ton déclin je vois l'aurore Triompher de l'ombre et de toi; Tu meurs, et je relis encore Les vers charmants de Dufresnoy. LE VIEUX DRAPEAU 1820. Cette chanson n'exprime que le voeu d'un soldat Qui desire voir la charte constitutionnellement Placée sous la sauvegarde du drapeau de Fleurus, De Marengo et d'Austerlitz. Le même voeu a été Exprimé à la tribune par plusieurs députés, et entre Autres par m le général Foy, dans une improvisation Aussi noble qu'énergique. De mes vieux compagnons de gloire Je viens de me voir entouré; Nos souvenirs m'ont enivré, Le vin m'a rendu la mémoire. Fier de mes exploits et des leurs, J'ai mon drapeau dans ma chaumière. Quand secoûrai-je la poussière Qui ternit ses nobles couleurs? Il est caché sous l'humble paille Où je dors pauvre et mutilé, Lui qui, sûr de vaincre, a volé Vingt ans de bataille en bataille! Chargé de lauriers et de fleurs, Il brilla sur l'Europe entière. Quand secoûrai-je la poussière Ce drapeau payait à la France Tout le sang qu'il nous a coûté. Sur le sein de la liberté Nos fils jouaient avec sa lance. Qu'il prouve encore aux oppresseurs Combien la gloire est roturière. Quand secoûrai-je la poussière Son aigle est resté dans la poudre, Fatigué de lointains exploits. Rendons-lui le coq des gaulois; Il sut aussi lancer la foudre. La France, oubliant ses douleurs, Le rebénira, libre et fière. Quand secoûrai-je la poussière Las d'errer avec la victoire,des lois il deviendra l'appui. Chaque soldat fut, grace à lui, Citoyen aux bords de la Loire. Seul il peut voiler nos malheurs; Déployons-le sur la frontière. Quand secoûrai-je la poussière Mais il est là près de mes armes; Un instant osons l'entrevoir. Viens, mon drapeau! Viens, mon espoir! C'est à toi d'essuyer mes larmes. D'un guerrier qui verse des pleurs Le ciel entendra la prière: Oui, je secoûrai la poussière Qui ternit tes nobles couleurs. LA MARQUISE DE PRETINTAILLE Marquise à trente quartiers pleins, J'ai pris mes droits sur les vilains: En amour j'aime la canaille. D'un ton fier je leur dis: venez. Mais sous mes rideaux blasonnés, Vils roturiers, Respectez les quartiers De la marquise de Pretintaille. Sacrifîrais-je à mes attraits Des gentilshommes damerets Qui n'ont ni carrure ni taille? Non, mais j'accable cent gredins De mes feux et de mes dédains. Vils roturiers, Respectez les quartiers Je veux citer les plus marquants, Bien qu'après coup tous ces croquants Osent me traiter d'antiquaille: Je ne suis aux yeux des malins Qu'une savonnette à vilains. Vils roturiers, Respectez les quartiers Mon laquais était tout porté: Mais il parle d'égalité; De mes parchemins il se raille. Paix! Lui dis-je, et traite un peu mieux Ce que je tiens de mes aïeux. Vils roturiers, Respectez les quartiers Arrive après mon confesseur: Du parti sacré défenseur, Il serre de près son ouaille. Avec moi son front virginal Vise au chapeau de cardinal. Vils roturiers, Respectez les quartiers Je veux corrompre un député: Pour l'amour et la liberté Il était plus chaud qu'une caille. L'aveu que ma bouche octroya Mit les droits de l'homme à quia. Vils roturiers, Respectez les quartiersmon fermier, butor bien nerveux, Dont la charte a comblé les voeux, Dénigrait la glèbe et la taille; Mais je lui fis voir à loisir Tout ce qu'on gagne au bon plaisir. Vils roturiers, Respectez les quartiers J'oubliais certain grand coquin, Pauvre officier républicain, Brave au lit comme à la mitraille: J'ai vengé sur ce possédé Charette, Cobourg et Condé. Vils roturiers, Respectez les quartiers Mes privilèges s'éteindraient Si nos étrangers ne rentraient; À ma note aussi je travaille. En attendant forçons le roi De solder les suisses pour moi. Vils roturiers, Respectez les quartiers LE TREMBLEUR Mes adieux à M Dupont (De L'Eure), Ex-président à la cour royale de Rouen. Chanson faite et chantée à Rouen quelques jours Avant les élections de 1820. Dupont, que vient-on de m'apprendre? Quoi! L'on tourmente vos amis! J'ai des précautions à prendre; Vous le savez, je suis commis. Dès qu'une amitié m'embarrasse, Soudain les noeuds en sont rompus. Bien mieux que vous je sais garder ma place. Mon cher Dupont, je ne vous connais plus. Dupont, Dupont, je ne vous connais plus. Du peuple obtenez le suffrage; Moi, du pouvoir je crains les coups. En vain la France rend hommage À la vertu qui brille en vous; À peine j'ose vous promettre De vous rendre encor vos saluts: Votre vertu pourrait me compromettre. Mon cher Dupont, je ne vous connais plus. Dupont, Dupont, je ne vous connais plus. Chez nous le courage importune, Et votre sage et noble voix A fait trembler à la tribune Ceux qui méconnaissent nos droits. De vos discours on tient registre; Peut-être aussi les ai-je lus. Mais les talents ne font pas un ministre. Mon cher Dupont, je ne vous connais plus. Dupont, Dupont, je ne vous connais plus. Héritier de la gloire antique, Admiré de tous les français, Le front ceint du rameau civique, Sous le chaume vivez en paix. À votre renom j'ai beau croire, Je pense comme nos ventrus: On ne vit pas de pain sec et de gloire. Mon cher Dupont, je ne vous connais plus. Dupont, Dupont, je ne vous connais plus. Oui, je vous fuis sans autre forme, Vous que long-temps mon coeur aima. Je ne veux pas qu'on me réforme Comme P vous réforma. Adieu donc, honneur de la France! Du préfet je crains les argus. Avec L je ferai connaissance. Mon cher Dupont, je ne vous connais plus. Dupont, Dupont, je ne vous connais plus. MA CONTEMPORAINE Couplet écrit sur l'album de Madame M. Vous vous vantez d'avoir mon âge: Sachez que l'amour n'en croit rien. Jadis les Parques ont, je gage, Mêlé votre fil et le mien. Au hasard alors ces matrones Faisant deux lots de notre temps, J'eus les hivers et les automnes, Vous les étés et les printemps. LA MORT DU ROI CHRISTOPHE Note présentée par la noblesse d'Haïti Aux trois grands alliés. Décembre 1820. Christophe est mort, et du royaume La noblesse a recours à vous. François, Alexandre, Guillaume, Prenez aussi pitié de nous. Ce n'est point pays limitrophe, Mais le mal fait tant de progrès! Vite un congrès! Deux, trois congrès! Quatre congrès! Cinq congrès! Dix congrès! Princes, vengez ce bon Christophe, Roi digne de tous vos regrets. Il tombe après avoir fait rage Contre les peuples maladroits Qui, du trône écartant l'orage, Pour l'affermir bornent ses droits. À réfuter maint philosophe Ses canons étaient toujours prêts. Vite un congrès! Deux, trois congrès! Quatre congrès! Cinq congrès! Dix congrès! Princes, vengez ce bon Christophe, Roi digne de tous vos regrets. Avec respect traitez l'Espagne: Votre maître y perdit ses pas. Naple est un pays de cocagne; Mais des volcans n'approchez pas. Vous taillerez en pleine étoffe; Venez chez nous par un vent frais. Vite un congrès! Deux, trois congrès! Quatre congrès! Cinq congrès, dix congrès! Princes, vengez ce bon Christophe. Roi digne de tous vos regrets. Dons Quichottes de l'arbitraire, Allons, morbleu, de la valeur! Ce monarque était votre frère; Les rois sont de même couleur. Exploiter une catastrophe S'accorde avec vos plans secrets. Vite un congrès! Deux, trois congrès! Quatre congrès! Cinq congrès! Dix congrès! Princes, vengez ce bon Christophe, Roi digne de tous vos regrets. LA FORTUNE Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. Tous mes amis, le verre en main, De joie enivrent ma chambrette. Nous n'attendons plus que Lisette: Fortune, passe ton chemin. Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. Si l'on en croit ce qu'elle dit, Son or chez nous ferait merveilles. Mais nous avons là vingt bouteilles, Et le traiteur nous fait crédit. Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. Elle offre perles et rubis, Manteaux d'une richesse extrême. Eh! Que nous fait la pourpre même? Nous venons d'ôter nos habits. Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. Elle nous traite en écoliers, Parle de gloire et de génie. Hélas! Grace à la calomnie, Nous ne croyons plus aux lauriers. Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. Loin des plaisirs, point ne voulons Aux cieux être lancés par elle: Sans même essayer la nacelle Nous voyons s'enfler ses ballons. Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. Mais tous nos voisins attroupés Implorent ses faveurs traîtresses: Ah! Chers amis, par nos maîtresses Nous serons plus gaîment trompés. Pan! Pan! Est-ce ma brune, Pan! Pan! Qui frappe en bas? Pan! Pan! C'est la fortune: Pan! Pan! Je n'ouvre pas. LOUIS XI Heureux villageois, dansons! Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons,musettes Et chansons! Notre vieux roi, caché dans ces tourelles, Louis, dont nous parlons tout bas, Veut essayer, au temps des fleurs nouvelles, S'il peut sourire à nos ébats. Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Quand sur nos bords on rit, on chante, on aime, Louis se retient prisonnier: Il craint les grands, et le peuple, et Dieu même; Sur-tout il craint son héritier. Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Voyez d'ici briller cent hallebardes Aux feux d'un soleil pur et doux. N'entend-on pas le qui vive des gardes, Qui se mêle au bruit des verroux? Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Il vient! Il vient! Ah! Du plus humble chaume Ce roi peut envier la paix. Le voyez-vous comme un pâle fantôme, À travers ces barreaux épais? Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Dans nos hameaux quelle image brillante Nous nous faisions d'un souverain! Quoi! Pour le sceptre une main défaillante! Pour la couronne un front chagrin! Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Malgré nos chants il se trouble, il frissonne: L'horloge a causé son effroi. Ainsi toujours il prend l'heure qui sonne Pour un signal de son beffroi. Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Mais notre joie, hélas! Le désespère; Il fuit avec son favori. Craignons sa haine, et disons qu'en bon père À ses enfants il a souri. Heureux villageois, dansons: Sautez, fillettes Et garçons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! LES ADIEUX A LA GLOIRE Décembre 1820. Chantons le vin et la beauté: Tout le reste est folie. Voyez comme on oublie Les hymnes de la liberté. Un peuple brave Retombe esclave: Fils d'épicure, ouvrez-moi votre cave. La France, qui souffre en repos, Ne veut plus que mal-à-propos J'ose en trompette ériger mes pipeaux. Adieu donc, pauvre gloire! Déshéritons l'histoire. Venez, amours, et versez-nous à boire. Quoi! D'indignes enfants de Mars Briguaient une livrée Quand ma muse éplorée Recrutait pour leurs étendards! Ah! S'il m'arrive Beauté naïve, Sous ses baisers ma voix sera captive; Ou flattons si bien que pour moi On exhume aussi quelque emploi. Oui, noir ou blanc, soyons le fou du roi. Adieu donc, pauvre gloire! Déshéritons l'histoire. Venez, amours, et versez-nous à boire. Des excès de nos ennemis Chaque juge est complice, Et la main de justice De soufflets accable Thémis: Plus de satire! N'osant médire, J'orne de fleurs et ma coupe et ma lyre. J'ai trop bravé nos tribunaux; Dans leurs dédales infernaux J'entends Cerbère, et ne vois point Minos. Adieu donc, pauvre gloire! Déshéritons l'histoire. Venez, amours, et versez-nous à boire. Des tyrans par nous soudoyés La faiblesse est connue: Gulliver éternue, Et tous les nains sont foudroyés. Mais quelle image! Non, plus d'orage; De nos plaisirs redoutons le naufrage. Opprimés, gémissez plus bas. Que nous fait, dans un gai repas, Que l'univers souffre ou ne souffre pas? Adieu donc, pauvre gloire! Déshéritons l'histoire. Venez, amours, et versez-nous à boire. Du sommeil de la liberté Les rêves sont pénibles: Devenons insensibles Pour conserver notre gaîté. Quand tout succombe, Faible colombe, Ma muse aussi sur des roses retombe. Lasse d'imiter l'aigle altier, Elle reprend son doux métier: Bacchus m'appelle, et je rentre au quartier. Adieu donc, pauvre gloire! Déshéritons l'histoire. Venez, amours, et versez-nous à boire. LES DEUX COUSINS Lettre d'un petit roi à un petit duc. Salut! Petit cousin germain; D'un lieu d'exil j'ose t'écrire. La fortune te tend la main; Ta naissance l'a fait sourire. Mon premier jour aussi fut beau; Point de français qui n'en convienne Les rois m'adoraient au berceau; Et cependant je suis à Vienne! Je fus bercé par tes faiseurs De vers, de chansons, de poëmes; Ils sont, comme les confiseurs, Partisans de tous les baptêmes. Les eaux d'un fleuve bien mondain Vont laver mon ame chrétienne: On m'offrit de l'eau du Jourdain; Et cependant je suis à Vienne! Ces juges, ces pairs avilis, Qui te prédisent des merveilles, De mon temps juraient que les lis Seraient le butin des abeilles.Parmi les nobles détracteurs De toute vertu plébéienne, Ma nourrice avait des flatteurs; Et cependant je suis à Vienne! Sur des lauriers je me couchais; La pourpre seule t'environne. Des sceptres étaient mes hochets; Mon bourlet fut une couronne. Méchant bourlet, puisqu'un faux pas Même au saint-père ôtait la sienne. Mais j'avais pour moi nos prélats; Et cependant je suis à Vienne! Quant aux maréchaux, je crois peu Que du monde ils t'ouvrent l'entrée; Ils préfèrent au cordon bleu De l'honneur l'étoile sacrée. Mon père à leur beau dévoûment Livra sa fortune et la mienne. Ils auront tenu leur serment; Et cependant je suis à Vienne! Près du trône si tu grandis, Si je végète sans puissance, Confonds ces courtisans mauditsen leur rappelant ma naissance. Dis-leur: " je puis avoir mon tour; De mon cousin qu'il vous souvienne. Vous lui promettiez votre amour; Et cependant il est à Vienne! " LES VENDANGES L'aurore annonce un jour serein; Vite à l'ouvrage! Et reprenons courage. Fillettes, flûte et tambourin, Mettez les vendangeurs en train. Du vin qu'a fait tourner l'orage Un vin nouveau bientôt consolera. Amis, chez nous la gaîté renaîtra. Ah! Ah! La gaîté renaîtra. Notre maire tourne à tout vent; D'écharpe il change, Et de tout vin s'arrange. Mais, puisque ainsi ce bon vivant De couleur changea si souvent, Qu'avec son écharpe il vendange, Et de vin doux on la barbouillera. Amis, chez nous la gaîté renaîtra. Ah! Ah! La gaîté renaîtra. Le juge qui, de vingt façons, En robe noire Explique son grimoire, Condamne jusqu'à nos chansons. Mais, grace au vin que nous pressons, Que lui-même il chante après boire La liberté, la gloire, et caetera. Amis, chez nous la gaîté renaîtra. Ah! Ah! La gaîté renaîtra. Si le curé, peu tolérant, Gronde sans cesse, Et veut qu'on se confesse, Son gros nez rouge nous apprend L'intérêt qu'à nos vins il prend. Pour en boire ailleurs qu'à la messe, Sur chaque mort qu'il dise un libera. Amis, chez nous la gaîté renaîtra. Ah! Ah! La gaîté renaîtra. Que du châtelain en souci L'orgueil insigne Au bonheur se résigne, Il verra les titres qu'ici Noé nous a transmis aussi. Ils sont sur des feuilles de vigne; Aux parchemins il les préfèrera. Amis, chez nous la gaîté renaîtra. Ah! Ah! La gaîté renaîtra. Beau pays, fertile et guerrier, À la souffrance Oppose l'espérance. Au pampre tu peux marier Olive, épi, rose et laurier. Vendangeons, et vive la France! Le monde un jour avec nous trinquera. Amis, chez nous la gaîté renaîtra. Ah! Ah! La gaîté renaîtra. L'ORAGE Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! À l'ombre de vertes charmilles Fuyant l'école et les leçons, Petits garçons, petites filles, Vous voulez danser aux chansons. En vain ce pauvre monde Craint de nouveaux malheurs; En vain la foudre gronde, Couronnez-vous de fleurs. Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! L'éclair sillonne le nuage, Mais il n'a point frappé vos yeux. L'oiseau se tait dans le feuillage; Rien n'interrompt vos chants joyeux. J'en crois votre alégresse, Oui, bientôt d'un ciel pur Vos yeux, brillants d'ivresse, Réfléchiront l'azur. Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! Vos pères ont eu bien des peines; Comme eux ne soyez point trahis. D'une main ils brisaient leurs chaînes, De l'autre ils vengeaient leur pays. De leur char de victoire Tombés sans déshonneur, Ils vous lèguent la gloire: Ce fut tout leur bonheur. Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! Au bruit de lugubres fanfares, Hélas! Vos yeux se sont ouverts. C'était le clairon des barbares Qui vous annonçait nos revers. Dans le fracas des armes, Sous nos toits en débris, Vous mêliez à nos larmes Votre premier souris. Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! Vous triompherez des tempêtes Où notre courage expira: C'est en éclatant sur nos têtes Que la foudre nous éclaira. Si le dieu qui vous aime Crut devoir nous punir, Pour vous sa main ressème Les champs de l'avenir. Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! Enfants, l'orage, qui redouble, Du sort présage le courroux. Le sort ne vous cause aucun trouble, Mais à mon âge on craint ses coups. S'il faut que je succombe En chantant nos malheurs, Déposez sur ma tombe Vos couronnes de fleurs. Chers enfants, dansez, dansez! Votre âge Échappe à l'orage: Par l'espoir gaîment bercés, Dansez, chantez, dansez! LE CINQ MAI 1821. Des espagnols m'ont pris sur leur navire, Aux bords lointains où tristement j'errais. Humble débris d'un héroïque empire, J'avais dans l'Inde exilé mes regrets. Mais loin du cap, après cinq ans d'absence Sous le soleil, je vogue plus joyeux. Pauvre soldat, je reverrai la France: La main d'un fils me fermera les yeux. Dieux! Le pilote a crié: Sainte-Hélène! Et voilà donc où languit le héros! Bons espagnols, là s'éteint votre haine; Nous maudissons ses fers et ses bourreaux. Je ne puis rien, rien pour sa délivrance: Le temps n'est plus des trépas glorieux! La main d'un fils me fermera les yeux. Peut-être il dort ce boulet invincible Qui fracassa vingt trônes à-la-fois. Ne peut-il pas, se relevant terrible, Aller mourir sur la tête des rois? Ah! Ce rocher repousse l'espérance: L'aigle n'est plus dans le secret des dieux. La main d'un fils me fermera les yeux. Il fatiguait la victoire à le suivre: Elle était lasse; il ne l'attendit pas. Trahi deux fois, ce grand homme a su vivre. Mais quels serpents enveloppent ses pas! De tout laurier un poison est l'essence; La mort couronne un front victorieux. La main d'un fils me fermera les yeux. Dès qu'on signale une nef vagabonde, " serait-ce lui? Disent les potentats: Vient-il encor redemander le monde? Armons soudain deux millions de soldats. " Et lui, peut-être accablé de souffrance, À la patrie adresse ses adieux. La main d'un fils me fermera les yeux. Grand de génie et grand de caractère, Pourquoi du sceptre arma-t-il son orgueil? Bien au-dessus des trônes de la terre Il apparaît brillant sur cet écueil. Sa gloire est là comme le phare immense D'un nouveau monde et d'un monde trop vieux. La main d'un fils me fermera les yeux. Bons espagnols, que voit-on au rivage? Un drapeau noir! Ah, grands dieux, je frémis! Quoi! Lui mourir! ô gloire! Quel veuvage! Autour de moi pleurent ses ennemis. Loin de ce roc nous fuyons en silence; L'astre du jour abandonne les cieux. La main d'un fils me fermera les yeux. PREFACE Allez, enfants nés sous un autre règne; Sous celui-ci quittez le coin du feu. Adieu! Partez, bien que pour vous je craigne Certaines gens qui pardonnent trop peu. On m'a crié: l'occasion est bonne; Tous les partis rapprochent leurs drapeaux. Allez, enfants; mais n'éveillez personne: Mon médecin m'ordonne le repos. Pour vos aînés que de pas et d'alarmes! J'ai vu Thémis m'ôter mon plus doux bien: Car en prison le sommeil est sans charmes; Près du malheur on ne dort jamais bien. J'entends encor le verrou qui résonne, Et dans ma main fait trembler mes pipeaux. Allez, enfants; mais n'éveillez personne: Si l'on disait: la gaîté vous délaisse, Vous répondrez (et pour moi j'en rougis): " de notre père accusant la faiblesse, Les plus joyeux sont restés au logis. " Ces égrillards iraient, d'humeur bouffonne, Pincer au lit le diable et ses suppôts. Allez, enfants; mais n'éveillez personne: Vous passerez près d'une ruche pleine, D'abeilles, non; mais de guêpes, je crois. Ne soufflez mot, retenez votre haleine; Tremblez, enfants, vous qui jurez parfois! Le dard caché qu'à ces guêpes Dieu donne A fait périr des bergers, des troupeaux. Allez, enfants; mais n'éveillez personne: Petits poucets de la littérature, S'il vient un ogre, évitez bien sa dent, Ou, s'il s'endort, dérobez sa chaussure; De s'en servir on peut juger prudent. Non: qu'ai-je dit? Ah! La peur déraisonne; Tous les partis rapprochent leurs drapeaux. Allez, enfants; mais n'éveillez personne: LA MUSE EN FUITE Chanson faite à l'occasion des premières poursuites Judiciaires exercées contre moi pour la publication De mon recueil. Quittez la lyre, ô ma muse! Et déchiffrez ce mandat. Vous voyez qu'on vous accuse De plusieurs crimes d'état. Pour un interrogatoire Au palais comparaissons. Plus de chansons pour la gloire! Pour l'amour plus de chansons! Suivez-moi! C'est la loi. Suivez-moi, de par le roi. Nous marchons, et je découvre L'asile des souverains. Muse, la fronde en ce louvre Vit pénétrer ses refrains. Au qui vive d'ordonnance Alors, prompte à s'avancer, La chanson répondait: France! Les gardes laissaient passer. Suivez-moi! C'est la loi. Suivez-moi, de par le roi. La justice nous appelle De l'autre côté de l'eau. Voici la sainte-chapelle Où l'on pria pour Boileau. S'il renaissait ce grand maître, Le clergé, remis en train, En prison ferait peut-être Fourrer l'auteur du lutrin. Suivez-moi! C'est la loi. Suivez-moi, de par le roi. Là, devant ce péristyle, Un tribunal impuissant Au bûcher livra l'émile, Phénix toujours renaissant. Muse, de vos chansonnettes Aujourd'hui l'on va tâcher De faire des allumettes Pour ranimer ce bûcher. Suivez-moi! C'est la loi. Suivez-moi, de par le roi. Muse, voici la grand'salle... Hé quoi! Vous fuyez devant Des gens en robe un peu sale, Par vous piqués trop souvent. Revenez donc, pauvre sotte, Voir prendre à vos ennemis, Pour peser une marotte, Les balances de Thémis. Suivez-moi! C'est la loi.Suivez-moi, de par le roi. Elle fuit, et chez le juge J'entre, et puis enfin je sors. Mais devinez quel refuge Ma muse avait pris alors. Gaîment avec la grisette D'un président, bon humain, Cette folle, à la buvette, Répétait le verre en main: Suivez-moi! C'est la loi. Suivez-moi, de par le roi. DENONCIATION À propos de couplets qui m'ont été envoyés Pendant mon procès. On m'a dénoncé, je dénonce; Oui, je dénonce des couplets. La gaîté de l'auteur annonce Qu'il peut figurer au palais; On voit, à l'air dont il vous traite, Que cent fois il vous persifla. Messieurs les juges, qu'on arrête, Qu'on arrête cet homme-là. Il prétend rire des entraves Qu'à la presse l'on veut donner. Il croit à la gloire des braves; Pourriez-vous le lui pardonner? Il ose vanter la musette Qui dans leurs maux les consola. Messieurs les juges, qu'on arrête, Qu'on arrête cet homme-là. Il prodigue la flatterie À ceux qui sont persécutés; Il pourrait chanter la patrie, C'est un grand tort, vous le sentez. De l'esprit qu'à ma muse il prête, Vengez-vous sur l'esprit qu'il a. Messieurs les juges, qu'on arrête, Qu'on arrête cet homme-là. ADIEUX A LA CAMPAGNE 1821 Cette chanson, faite dans le mois de novembre 1821, Fut copiée et distribuée au tribunal le jour de Ma première condamnation. Soleil si doux au déclin de l'automne, Arbres jaunis, je viens vous voir encor. N'espérons plus que la haine pardonne À mes chansons leur trop rapide essor. Dans cet asile, où reviendra zéphire, J'ai tout rêvé, même un nom glorieux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire; Échos des bois, répétez mes adieux. Comme l'oiseau, libre sous la feuillée, Que n'ai-je ici laissé mourir mes chants! Mais de grandeurs la France dépouillée Courbait son front sous le joug des méchants. Je leur lançai les traits de la satire; Pour mon bonheur l'amour m'inspirait mieux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire; Échos des bois, répétez mes adieux. Déjà leur rage atteint mon indigence; Au tribunal ils traînent ma gaîté; D'un masque saint ils couvrent leur vengeance: Rougiraient-ils devant ma probité? Ah! Dieu n'a point leur coeur pour me maudire: L'intolérance est fille des faux dieux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire; Échos des bois, répétez mes adieux. Sur des tombeaux si j'évoque la gloire, Si j'ai prié pour d'illustres soldats, Ai-je à prix d'or, aux pieds de la victoire, Encouragé le meurtre des états? Ce n'était point le soleil de l'empire Qu'à son lever je chantais dans ces lieux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire; Échos des bois, répétez mes adieux. Que, dans l'espoir d'humilier ma vie, B s'amuse à mesurer mes vers; Même aux regards de la France asservie Un noir cachot peut illustrer mes vers. À ses barreaux je suspendrai ma lyre; La renommée y jettera les yeux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire; Échos des bois, répétez mes adieux. Sur ma prison vienne au moins Philomèle! Jadis un roi causa tous ses malheurs. Partons: j'entends le geôlier qui m'appelle. Adieu les champs, les eaux, les prés, les fleurs. Mes fers sont prêts: la liberté m'inspire; Je vais chanter son hymne glorieux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire; Échos des bois, répétez mes adieux. LA LIBERTE 1822 Première chanson faite à sainte-Pélagie en Janvier 1822. D'un petit bout de chaîne Depuis que j'ai tâté, Mon coeur en belle haine A pris la liberté. Fi de la liberté! À bas la liberté! M, ce vrai sage, M'a fait par charité Sentir de l'esclavage La légitimité. Fi de la liberté! À bas la liberté! Plus de vaines louanges Pour cette déité, Qui laisse en de vieux langes Le monde emmailloté! Fi de la liberté! À bas la liberté! De son arbre civique Que nous est-il resté? Un bâton despotique, Sceptre sans majesté. Fi de la liberté! À bas la liberté! Interrogeons le Tibre; Lui seul a bien goûté Sueur de peuple libre, Crasse de papauté. Fi de la liberté! À bas la liberté! Du bon sens qui nous gagne Quand l'homme est infecté, Il n'est plus dans son bagne Qu'un forçat révolté. Fi de la liberté! À bas la liberté! Bons porte-clefs que j'aime, Geôliers pleins de gaîté, Par vous au louvre même Que ce voeu soit porté: Fi de la liberté! À bas la liberté! LA CHASSE Chanson de remerciement à des chasseurs du Département d'îlle-Et-Vilaine qui m'envoyèrent Une bourriche garnie d'excellent gibier. Sainte-Pélagie. Grace à votre bourriche pleine De gibier digne d'un glouton, Tonton, tonton, tontaine, tonton, Joyeux chasseurs d'Ille-Et-Vilaine, De votre cor je prends le ton, Tonton, tontaine, tonton. Chassez, morbleu! Chassez encore: Quittez Rosette et Jeanneton, Tonton, tonton, tontaine, tonton; Ou, pour rabattre, dès l'aurore Que les amours soient de planton, Tonton, tontaine, tonton. Si le béarnais a fait mettre Maint chasseur au fond d'un ponton, Tonton, tonton, tontaine, tonton, Gabrielle daignait permettre Qu'on braconnât dans son canton, Tonton, tontaine, tonton. Jadis nul n'osait en province Porter aux champs son mousqueton, Tonton, tonton, tontaine, tonton. On gardait la perdrix du prince; Le loup dévorait le mouton, Tonton, tontaine, tonton. Vous qui consolez ma disgrace, Pour nos droits vous tremblez, dit-on, Tonton, tonton, tontaine, tonton. Sauvez au moins le droit de chasse, Pour l'honneur du pays breton, Tonton, tontaine, tonton. MA GUERISON Réponse à des semurois qui, pour faire passer la Folie que j'ai eue d'essayer de guérir des gens Incurables, m'ont envoyé du vin de Chambertin et De Romanée en m'ordonnant des douches intérieures Pendant mon séjour en prison. Sainte-Pélagie. J'espère Que le vin opère; Oui, tout est bien, même en prison: Le vin m'a rendu la raison. Après un coup de romanée La douche ayant calmé mes sens, J'ai maudit ma muse obstinée À railler les hommes puissants. Un accès pouvait me reprendre; Mais, du topique effet certain! J'avais de l'encens à leur vendre Après un coup de chambertin. J'espère Que le vin opère; Oui, tout est bien, même en prison: Le vin m'a rendu la raison. Après deux coups de romanée Rougissant de tous mes forfaits, Je vois ma chambre environnée D'heureux que le pouvoir a faits. De mes juges l'arrêt suprême Touche mon esprit libertin; J'admire M lui-même Après deux coups de chambertin. J'espère Que le vin opère; Oui, tout est bien, même en prison: Le vin m'a rendu la raison. Après trois coups de romanée Je n'aperçois plus d'oppresseurs. La presse n'est plus enchaînée; Le budget seul a des censeurs. La tolérance par la ville Court en habit de sacristain; Je vois pratiquer l'évangile Après trois coups de chambertin. J'espère Que le vin opère; Oui, tout est bien, même en prison: Le vin m'a rendu la raison. Au dernier coup de romanée Mon oeil, mouillé de joyeux pleurs, Voit la liberté couronnée D'olivier, d'épis et de fleurs. Les douces lois sont les plus fortes; L'avenir n'est plus incertain: J'entends tomber verrous et portes Au dernier coup de chambertin. J'espère Que le vin opère; Oui, tout est bien, même en prison: Le vin m'a rendu la raison. Ô chambertin! ô romanée! Avec l'aurore d'un beau jour L'illusion chez vous est née De l'espérance et de l'amour. Cette fée, aux humains donnée, Pour baguette tient du destin Tantôt un cep de romanée, Tantôt un cep de chambertin. J'espère Que le vin opère; Oui, tout est bien, même en prison: Le vin m'a rendu la raison. L'AGENT PROVOCATEUR Remerciement à d'autres bourguignons qui m'avaient Envoyé du vin des différents crus les plus Renommés. Sainte-Pélagie. Avec son habit un peu mince, Avec son chapeau goudronné, Comme l'honneur de la province Ce bourguignon nous est donné. Quoiqu'il soit d'âge respectable, Que d'un beau nom il soit porteur, Chut! Mes amis; il fait jaser à table: C'est un agent provocateur. Il est ami de l'infortune, M'ont dit ceux qui l'ont annoncé; Pourtant un soupçon m'importune: Par la police il a passé... Plus d'un personnage notable, Là, souvent devient délateur. Chut! Mes amis; il fait jaser à table: C'est un agent provocateur. Mais il circule, et de la Francedéja nous vantons les héros; À nos yeux déja l'espérance Sourit à travers les barreaux. Enfin son charme inévitable Sollicite un malin chanteur. Chut! Mes amis; il fait jaser à table: C'est un agent provocateur. Il nous ferait chanter la gloire D'un sol fertile en joyeux ceps, Et l'empereur dont la mémoire Reste en honneur chez les français... Oui, sur Probus, prince équitable, Il nous souffle un chorus flatteur. Chut! Mes amis; il fait jaser à table: C'est un agent provocateur.De ce traître faisons justice; Exprès prolongeons le dîner. S'il a passé par la police, Qu'il passe pour y retourner. Passe donc, ô vin délectable! Retourne à ce lieu corrupteur. Chut! Mes amis; il fait jaser à table: C'est un agent provocateur. MON CARNAVAL Sainte-Pélagie. Amis, voici la riante semaine Que tous les ans je fêtais avec vous. Marotte en main, dans le char qu'il promène, Momus au bal conduit sages et fous. Sur ma prison, dans l'ombre ensevelie, Il m'a semblé voir passer les amours. J'entends au loin l'archet de la folie: Ô mes amis, prolongez d'heureux jours! Oui, je les vois ces danses amoureuses Où la beauté triomphe à chaque pas. De vingt danseurs je vois les mains heureuses Saisir, quitter, ressaisir mille appas. Dans ces plaisirs que votre coeur m'oublie: Un seul mot triste en peut troubler le cours. Ô mes amis, prolongez d'heureux jours! Combien de fois, auprès de la plus belle, Dans vos banquets j'ai présidé chez vous! Là de mon coeur jaillissait l'étincelle Dont la gaîté vous électrisait tous. De joyeux chants ma coupe était remplie; Je la vidais, mais vous versiez toujours. Ô mes amis, prolongez d'heureux jours! Des jours charmants la perte est seule à craindre; Fêtez-les bien, c'est un ordre des cieux. Moi je vieillis, et parfois laisse éteindre Le grain d'encens dont je nourris mes dieux. Quand la plus tendre était la plus jolie, Des fers alors m'auraient paru bien lourds. Ô mes amis, prolongez d'heureux jours! Mais accourez, dès qu'une longue ivresse Du calme enfin vous impose la loi. Dernier rayon, qu'un reste d'alégresse Brille en vos yeux et vienne jusqu'à moi. Dans vos plaisirs ainsi je me replie; Je suis vos pas, je chante vos amours. Ô mes amis, prolongez d'heureux jours! L'OMBRE D'ANACREON Sainte-Pélagie. Un jeune grec sourit à des tombeaux: Victoire! Il dit; l'écho redit: victoire! Ô demi-dieux! Vous nos premiers flambeaux, Trompez le styx, revoyez votre gloire! Soudain sous un ciel enchanté Une ombre apparaît et s'écrie: " doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " ô peuple grec! C'est moi dont les destins Furent si doux chez tes aïeux si braves; Quand ils chantaient l'amour dans leurs festins, Anacréon en chassait les esclaves. Jamais la tendre volupté N'approcha d'une ame flétrie. Doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " de l'aigle encor l'aile rase les cieux, Du rossignol les chants sont toujours tendres; Toi, peuple grec, tes arts, tes lois, tes dieux, Qu'en as-tu fait? Qu'as-tu fait de nos cendres? Tes fêtes passent sans gaîté Sur une rive encor fleurie. Doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " déja vainqueur, chante et vole au danger; Brise tes fers: tu le peux, si tu l'oses. Sur nos débris, quoi! Le vil étranger Dort enivré du parfum de tes roses. Quoi! Payer avec la beauté Un tribut à la barbarie! Doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " c'est trop rougir aux yeux du voyageur Qui d'Olympie évoque la mémoire. Frappe! Et ces bords, au gré d'un ciel vengeur, Reverdiront d'abondance et de gloire. Des tyrans le sang détesté Réchauffe une terre appauvrie. Doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " à tes voisins n'emprunte que du fer: Tout peuple esclave est allié perfide. Mars va t'armer des feux de Jupiter; Cher à Vénus, son étoile te guide: Bacchus, dieu toujours indompté, Remplira ta coupe tarie. Doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " Il se rendort le sage de Téos. La Grèce enfin suspend ses funérailles. Thèbes, Corinthe, Athènes, Sparte, Argos, Ivres d'espoir, exhumez vos murailles! Vos vierges même ont répété Ces mots d'une voix attendrie: " doux enfant de la liberté, Le plaisir veut une patrie! Une patrie! " L'EPITAPHE DE MA MUSE Sainte-Pélagie. Venez tous, passants, venez lire L'épitaphe que je me fais. J'ai chanté l'amoureux délire, Le vin, la France et ses hauts faits. J'ai plaint les peuples qu'on abuse; J'ai chansonné les gens du roi: Béranger m'appelait sa muse. Pauvres pécheurs, priez pour moi! Priez pour moi, priez pour moi! Grace à moi, qu'il rendit moins folle, D'être gueux il se consolait, Lui qui des muses de l'école N'avait jamais sucé le lait. Il grelottait dans sa coquille Quand d'un luth je lui fis l'octroi. De fleurs j'ai garni sa mandille. Pauvres pécheurs, priez pour moi! Priez pour moi, priez pour moi! Je l'ai rendu cher au courage, Dont il adoucit le malheur. En amour il fut mon ouvrage; J'ai pipé pour cet oiseleur. À lui plus d'un coeur vint se rendre, Mais les oiseaux en feront foi: J'ai fourni la glu pour les prendre. Pauvres pécheurs, priez pour moi! Priez pour moi, priez pour moi! Un serpent... (dieu! Ce mot rappelle M qui rampa vingt ans! ) Un serpent, qui fait peau nouvelle Dès que brille un nouveau printemps, Fond sur nous, triomphe et nous livre Aux fers dont on pare la loi. Sans liberté je ne peux vivre. Pauvres pécheurs, priez pour moi! Priez pour moi, priez pour moi! Malgré l'éloquence sublime De Dupin, qui pour nous parla, N'ayant pu mordre sur la lime, Le hideux serpent l'avala. Or je trépasse, et, mieux instruite, Je vois l'enfer avec effroi: Hier Satan s'est fait jésuite. Pauvres pécheurs, priez pour moi! Priez pour moi, priez pour moi! LA SYLPHIDE La raison a son ignorance; Son flambeau n'est pas toujours clair. Elle niait votre existence, Sylphes charmants, peuples de l'air; Mais, écartant sa lourde égide Qui gênait mon oeil curieux, J'ai vu naguère une sylphide. Sylphes légers, soyez mes dieux. Oui, vous naissez au sein des roses, Fils de l'aurore et des zéphyrs; Vos brillantes métamorphoses Sont le secret de nos plaisirs. D'un souffle vous séchez nos larmes; Vous épurez l'azur des cieux: J'en crois ma sylphide et ses charmes. J'ai deviné son origine Lorsqu'au bal, ou dans un banquet, J'ai vu sa parure enfantine Plaire par ce qui lui manquait. Ruban perdu, boucle défaite; Elle était bien, la voilà mieux.C'est de vos soeurs la plus parfaite. Que de grace en elle font naître Vos caprices toujours si doux! C'est un enfant gâté peut-être, Mais un enfant gâté par vous. J'ai vu, sous un air de paresse, L'amour rêveur peint dans ses yeux. Vous qui protégez la tendresse, Mais son aimable enfantillage Cache un esprit aussi brillant Que tous les songes qu'au bel âge Vous nous apportez en riant. Du sein de vives étincelles Son vol m'élevait jusqu'aux cieux; Vous dont elle empruntait les ailes, Hélas! Rapide météore, Trop vite elle a fui loin de nous. Doit-elle m'apparaître encore? Quelque sylphe est-il son époux? Non, comme l'abeille elle est reine D'un empire mystérieux; Vers son trône un de vous m'entraîne. LES CONSEILS DE LISE 1822 Chanson adressée à M J Laffitte, qui m'avait Proposé un emploi dans ses bureaux pour réparer La perte de ma place à l'université. Lise à l'oreille Me conseille; Cet oracle me dit tout bas: Chantez, monsieur, n'écrivez pas. Un doux emploi pourrait vous plaire, Me dit Lise; mais songez bien, Songez bien au poids du salaire, Même chez un vrai citoyen. Rester pauvre vous est facile, Quand l'amour, afin de l'user, Vient remonter ce luth fragile Que Thémis a voulu briser. Lise à l'oreille Me conseille; Cet oracle me dit tout bas: Chantez, monsieur, n'écrivez pas. Dans l'emploi qu'un ami vous offre, Vous n'oseriez plus, vieil enfant, Célébrer au bruit de son coffre Les droits que sa vertu défend. Vous croiriez voir à chaque rime Les sots, doublement satisfaits, De vos chansons lui faire un crime, Vous en faire un de ses bienfaits. Lise à l'oreille Me conseille; Cet oracle me dit tout bas: Chantez, monsieur, n'écrivez pas. Craignant alors la malveillance, Vous ririez moins de ce baron, Courtier de la sainte-alliance, Qui des rois s'est fait le patron. Dans les fonds de peur d'une crise, Il veut que les grecs soient déçus; Pour avoir l'endos de Moïse, On fait banqueroute à Jésus. Lise à l'oreille Me conseille; Cet oracle me dit tout bas: Chantez, monsieur, n'écrivez pas. Votre muse en deviendrait folle, Et croirait flatter en disant Que sur la droite du pactole Intrigue et ruse vont puisant; Tandis qu'une noble industrie Puise à gauche, et de toute part Reverse à flots sur la patrie Un or dont le pauvre a sa part. Lise à l'oreille Me conseille; Cet oracle me dit tout bas: Chantez, monsieur, n'écrivez pas. Ainsi mon oracle m'inspire, Puis ajoute ce dernier point: Des distances l'amour peut rire; L'amitié n'en supporte point. Riche de votre indépendance, Chez Laffitte toujours fêté, En trinquant avec l'opulence Vous boirez à l'égalité. Lise à l'oreille Me conseille; Cet oracle me dit tout bas: Chantez, monsieur, n'écrivez pas. LE PIGEON MESSAGER 1822 L'aï brillait, et ma jeune maîtresse Chantait les dieux dans la Grèce oubliés. Nous comparions notre France à la Grèce, Quand un pigeon vient s'abattre à nos pieds. Noeris découvre un billet sous son aile: Il le portait vers des foyers chéris. Bois dans ma coupe, ô messager fidèle! Et dors en paix sur le sein de Noeris. Il est tombé, las d'un trop long voyage; Rendons-lui vite et force et liberté. D'un trafiquant remplit-il le message? Va-t-il d'amour parler à la beauté? Peut-être il porte au nid qui le rappelle Les derniers voeux d'infortunés proscrits. Bois dans ma coupe, ô messager fidèle! Mais du billet quelques mots me font croire Qu'il est en France à des grecs apporté. Il vient d'Athène; il doit parler de gloire: Lisons-le donc par droit de parenté. Athène est libre! Amis! Quelle nouvelle! Que de lauriers tout-à-coup refleuris! Bois dans ma coupe, ô messager fidèle! Athène est libre! Ah! Buvons à la Grèce: Noeris, voici de nouveaux demi-dieux. L'Europe en vain, tremblante de vieillesse, Déshéritait ces aînés glorieux. Ils sont vainqueurs; Athènes, toujours belle, N'est plus vouée au culte des débris. Bois dans ma coupe, ô messager fidèle! Athène est libre! ô muse des pindares! Reprends ton sceptre, et ta lyre, et ta voix. Athène est libre en dépit des barbares; Athène est libre en dépit de nos rois. Que l'univers, toujours instruit par elle, Retrouve encore Athènes dans Paris! Bois dans ma coupe, ô messager fidèle! Beau voyageur, au pays des hellènes Repose-toi, puis vole à tes amours; Vole, et, bientôt reporté dans Athènes, Reviens braver et tyrans et vautours. À tant de rois dont le trône chancelle, D'un peuple libre apporte encor les cris. Bois dans ma coupe, ô messager fidèle! L'EAU BENITE Couplets pour le mariage à l'église de deux époux Mariés depuis long-temps sans cérémonie. Ces deux époux ont mis enfin De l'eau bénite dans leur vin. À l'autel ce couple s'engage; Voilà de quoi nous récrier. Après vingt ans de mariage Oser encor se marier! Ces deux époux ont mis enfin De l'eau bénite dans leur vin. Grand dieu, des torts que tu nous passes, Le moindre, aux yeux de ta bonté, Est celui d'avoir dit les graces Avant le bénédicité. Ces deux époux ont mis enfin De l'eau bénite dans leur vin. Madame, de fleurs ennuyée... Chut! Taisons-nous; mais puisse un jour Du chapeau de la mariée Sa fille aussi coiffer l'amour! Ces deux époux ont mis enfin De l'eau bénite dans leur vin. Pour que l'hymen fasse merveilles, Versez d'un bordeaux réchauffant, Reste du vin mis en bouteilles Au baptême de votre enfant. Ces deux époux ont mis enfin De l'eau bénite dans leur vin. Toujours heureux, quoiqu'on en glose, Prouvez au diable, et prouvez bien, Que, parfois prise à faible dose, L'eau bénite ne gâte rien. Ces deux époux ont mis enfin De l'eau bénite dans leur vin. L'AMITIE Couplets chantés à mes amis le 8 décembre 1822, Jour anniversaire de ma condamnation par la Cour d'assises. Sur des roses l'amour sommeille; Mais, quand s'obscurcit l'horizon, Célébrons l'amitié qui veille À la porte d'une prison. Tyran aussi, l'amour nous coûte Des pleurs qu'elle sait arrêter. Au poids de nos fers il ajoute, Elle nous aide à les porter. Sur des roses l'amour sommeille; Mais, quand s'obscurcit l'horizon, Célébrons l'amitié qui veille À la porte d'une prison. Dans l'une de nos cent bastilles Lorsque ma muse emménagea, À peine on refermait les grilles Que l'amitié frappait déja. Sur des roses l'amour sommeille; Mais, quand s'obscurcit l'horizon, Célébrons l'amitié qui veille À la porte d'une prison. Heureux qui, libre de ses chaînes, Bravant la haine et la pitié, Joint au souvenir de ses peines Celui des soins de l'amitié! Sur des roses l'amour sommeille, Mais, quand s'obscurcit l'horizon, Célébrons l'amitié qui veille À la porte d'une prison. Que fait la gloire à qui succombe? Amis, renonçons à briller; Donnons les marbres d'une tombe Pour les plumes d'un oreiller. Sur des roses l'amour sommeille; Mais, quand s'obscurcit l'horizon, Célébrons l'amitié qui veille À la porte d'une prison. Sans bruit, ensemble, ô vous que j'aime! Trompons les hivers meurtriers. On peut braver le temps lui-même Quand on a bravé les geôliers. Sur des roses l'amour sommeille; Mais, quand s'obscurcit l'horizon, Célébrons l'amitié qui veille À la porte d'une prison. LE CENSEUR 1822 On me disait: il est temps d'être sage; Au pinde aussi l'on change de drapeaux. Tentez la gloire, et, dans un grand ouvrage, Pour le théâtre abdiquez les pipeaux. De mes refrains j'ai repoussé le livre; Mais, quand j'invoque et Thalie et sa soeur, Leur voix me crie: ah! Que Dieu nous délivre, Nous délivre au moins du censeur. La liberté, nourrice du génie, Voit les beaux-arts pleurant sur son cercueil: Qui va d'un joug subir l'ignominie A de son vers d'avance éteint l'orgueil. Réponds, Corneille, oserais-tu revivre? Et toi, Molière, admirable penseur? Non, dites-vous; ou que Dieu vous délivre, Vous délivre au moins du censeur. Tu veux encor ravir le feu céleste, Jeune homme épris des lauriers les plus beaux, Quand la censure, à son rocher funeste, De ton génie a promis les lambeaux! D'affreux vautours, que leur pâture enivre, Vont mutiler le noble ravisseur. Fils de Japet, ah! Que Dieu te délivre, Te délivre au moins du censeur. Avec Thalie, en satires féconde, Peignons nos grands, leurs valets, leurs rimeurs, Les vils ressorts qui font mouvoir le monde, Et la cour même envenimant nos moeurs. Délateur, tremble! En scène il faut me suivre. Jeffrys en vain t'a pris pour assesseur. Quoi! Tu souris!... ah! Que Dieu nous délivre, Nous délivre au moins du censeur. De Louis Onze évoquons les victimes; Que, dévoré d'un sanguinaire ennui, Ce roi bigot, pour se soûler de crimes, Mette sa vierge entre le diable et lui. Mais, tout sanglants, nos Tristans vont poursuivre Ce voeu formé contre un lâche oppresseur. Morts! Taisez-vous! Ou que Dieu nous délivre, Je laisse donc Thalie et Melpomène Pour la chanson, libre en dépit des rois. Sans le régir j'agrandis son domaine; D'autres un jour lui traceront des lois. Qu'en république on puisse y toujours vivre: C'est un état qui n'est pas sans douceur. Pauvres français, ah! Que Dieu vous délivre, Vous délivre au moins du censeur. LE MAUVAIS VIN, OU LES CAR Béni sois-tu, vin détestable! Pour moi tu n'es point redoutable, Bien qu'au maître de ce banquet Des flatteurs vantent ton bouquet. Arrose donc, fade piquette, Les fleurs peintes sur mon assiette. Vive le vin qui ne vaut rien! Notre santé s'en trouve bien. Car si tu m'invitais à boire, Bientôt je perdrais la mémoire Du docteur, qui me dit toujours: " pour vous c'est assez des amours. Chantez Bacchus ainsi qu'un prêtre Parle de Dieu sans le connaître. " Vive le vin qui ne vaut rien! Notre belle s'en trouve bien. Car si tu portais à l'ivresse, Certaine espagnole en détresse, Ce soir, pourrait bien, je le sens, Mettre à sec ma bourse et mes sens; Et Lisette, qui tient ma caisse, Aurait à souffrir de la baisse. Vive le vin qui ne vaut rien! Notre raison s'en trouve bien. Car si tu réchauffais ma veine, Armé de vers forgés sans peine, Tout en chantant je tomberais Peut-être au milieu d'un congrès; Puis j'irais, pour démagogie, En prison terminer l'orgie. Vive le vin qui ne vaut rien! Notre gaîté s'en trouve bien. Car en prison l'on ne rit guère. Mais, vin à qui je fais la guerre, Tu disparais, et sous mes yeux Mousse un nectar digne des dieux. Au risque d'une catastrophe, Versez-m'en, je suis philosophe. Versez! Versez! Je ne crains rien; Du bon vin je me trouve bien. LA CANTHARIDE, OU LE PHILTRE Meurs, il le faut; meurs, ô toi qui recèles Des dons puissants, à la volupté chers! Rends à l'amour tous les feux que tes ailes Ont à ce dieu dérobés dans les airs. " Clara, " m'a dit cette femme si vieille Qui chaque jour pleure encor son printemps, " quoi! Votre joue est déja moins vermeille! Vous languissez, et n'avez que vingt ans! " un père altier, que seul l'intérêt touche, Vous a jetée au lit d'un vieil époux. L'espoir en vain sourit sur votre bouche; L'hymen l'effleure, et s'endort près de vous. À votre abord naît la froide risée. L'amour se dit: on m'a fait un larcin; Mais cette terre a des nuits sans rosée, Et d'aucun fruit ne parera son sein. " trompez l'amour, croyez-en ma sagesse; Qu'un philtre heureux, par vos mains préparé, De votre époux rallumant la jeunesse, Donne à la vôtre un fils tant desiré. " La vieille alors, baissant sa voix tremblante, M'enseigne l'art de ce philtre charmant. J'allais, sans elle, en ma fièvre brûlante, Maudire époux, père, autel et serment. Mais, vers ce frêne accourant dès l'aurore, Dans ses rameaux j'ai su glisser ma main. La cantharide y reposait encore: Heureuse aussi, je dormirai demain. Meurs, il le faut; meurs, ô toi qui recèles Des dons puissants, à la volupté chers! Rends à l'amour tous les feux que tes ailes Ont à ce dieu dérobés dans les airs. Mes jours, mes nuits, ma vie, étaient sans charmes; Je répugnais à d'innocents plaisirs. Tout bas ma bouche, insultant à mes larmes, Osait donner un nom à mes desirs. Mon coeur brûlait; hélas! Il brûle encore. Jamais breuvage aura-t-il cette ardeur Qui dans mon sang circule, me dévore, Et d'un long trouble accable ma pudeur? Père cruel! Il fallait de ta fille Aux murs d'un cloître ensevelir les jours. Là Dieu du moins nous crée une famille, Là son amour éteint tous les amours. Où donc est-il l'époux que ma jeunesse Avait rêvé jeune, beau, caressant? Entre ses bras ma pudique tendresse Eût été seule un philtre assez puissant. De mon hymen, oui, la froideur me tue. D'un plaisir chaste allumons le flambeau; Ah! Cessons d'être une vaine statue, Dont un mari décore son tombeau. La tendre vieille a dit: " soyez docile, Et dès demain renaîtront vos couleurs; Demain moi-même au seuil de votre asile Je suspendrai deux couronnes de fleurs. " Meurs, il le faut; meurs, ô toi qui recèles Des dons puissants, à la volupté chers! Rends à l'amour tous les feux que tes ailes Ont à ce dieu dérobés dans les airs. LE TOURNE-BROCHE Du dîner j'aime fort la cloche, Mais on la sonne en peu d'endroits; Plus qu'elle aussi le tourne-broche À nos hommages a des droits. Combien d'ennemis il rapproche Chez le prince et chez le bourgeois! À son doux tic tac un jour les partis Signeront la paix entre deux rôtis. Qu'on reprenne sur la musique Les querelles du temps passé, Que par l'Amphion italique Le grand Mozart soit terrassé, Je ne tiens qu'au refrain bachique Par le tourne-broche annoncé. À son doux tic tac un jour les partis Lorsque la fortune à sa roue Attache mille ambitieux, Les précipite dans la boue Ou les élève jusqu'aux cieux, C'est la broche, moi je l'avoue, Dont la roue attire mes yeux. À son doux tic tac un jour les partis Une montre, admirable ouvrage, Des heures décrivant le cours, Règle, sans en charmer l'usage, Le cercle borné de nos jours; Le tourne-broche a l'avantage D'embellir des instants trop courts. À son doux tic tac un jour les partis Ce meuble, suivant maint vieux conte, A manqué seul à l'âge d'or; C'est l'amitié qui, pour son compte, Dut en inventer le ressort. Vivent ceux que sa main remonte! Mais gloire à celui du trésor! À son doux tic tac un jour les partis LE TAILLEUR ET LA FEE Chanson chantée à mes amis le 19 août, jour Anniversaire de ma naissance. Dans ce Paris plein d'or et de misère, En l'an du Christ mil sept cent quatre-vingt, Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père, Moi nouveau-né, sachez ce qui m'advint. Rien ne prédit la gloire d'un Orphée À mon berceau, qui n'était pas de fleurs: Mais mon grand-père, accourant à mes pleurs, Me trouve un jour dans les bras d'une fée; Et cette fée, avec de gais refrains, Calmait le cri de mes premiers chagrins. Le bon vieillard lui dit, l'ame inquiète: " à cet enfant quel destin est promis? " Elle répond: " vois-le, sous ma baguette, Garçon d'auberge, imprimeur et commis. Un coup de foudre ajoute à mes présages: Ton fils atteint va périr consumé; Dieu le regarde, et l'oiseau ranimé Vole en chantant braver d'autres orages. " Et puis la fée, avec de gais refrains, Calmait le cri de mes premiers chagrins. " tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse, Éveilleront sa lyre au sein des nuits. Au toit du pauvre il répand l'alégresse; À l'opulence il sauve des ennuis. Mais quel spectacle attriste son langage? Tout s'engloutit, et gloire et liberté: Comme un pêcheur qui rentre épouvanté, Il vient au port raconter leur naufrage. " Et puis la fée, avec de gais refrains, Calmait le cri de mes premiers chagrins. Le vieux tailleur s'écrie: " eh quoi! Ma fille Ne m'a donné qu'un faiseur de chansons! Mieux jour et nuit vaudrait tenir l'aiguille Que, faible écho, mourir en de vains sons. " " va, dit la fée, à tort tu t'en alarmes; De grands talents ont de moins beaux succès. Ses chants légers seront chers aux français, Et du proscrit adouciront les larmes. " Et puis la fée, avec de gais refrains, Calmait le cri de mes premiers chagrins. Amis, hier, j'étais faible et morose, L'aimable fée apparaît à mes yeux. Ses doigts distraits effeuillent une rose; Elle me dit: " tu te vois déja vieux. Tel qu'aux déserts parfois brille un mirage, Aux coeurs vieillis s'offre un doux souvenir. Pour te fêter tes amis vont s'unir: Long-temps près d'eux revis dans un autre âge. " Et puis la fée, avec ses gais refrains, Comme autrefois dissipa mes chagrins. LES SCIENCES Fatigué des clartés confuses Qui m'ont égaré bien souvent, J'allais bannir amours et muses; J'allais vouloir être savant. Mais quoi! Pour une ame incertaine La science est d'un vain secours. Gardons Lisette et La Fontaine: Muses, restez; restez, amours. La nature était mon Armide; Dans ses jardins j'errais surpris: Mais un chimiste moins timide Règne en vainqueur sur leurs débris. Dans son fourneau rien qu'il ne jette; Des gaz il poursuit le concours. Ma fée y perdrait sa baguette: J'ai regret aux contes de vieille Quand un docteur dit qu'à sa voix Les morts lui viennent à l'oreille De la vie expliquer les lois. De la lampe il voit la matière, Les ressorts, le fond, les contours; Je n'en veux voir que la lumière. Enfin aux calculs qu'on entasse Si les cieux n'obéissaient pas: Plus d'une erreur passe et repasse Entre les branches d'un compas. Un siècle a changé la physique; Nos temps sont féconds en retours. Je crains que le soleil n'abdique: Enivrons-nous de poésie, Nos coeurs n'en aimeront que mieux; Elle est un reste d'ambroisie Qu'aux mortels ont laissé les dieux. Quel est sur moi le froid qui tombe? C'est le froid du soir de mes jours. Promettez un rêve à ma tombe: LA DEESSE Sur une personne à qui l'auteur a vu représenter La liberté dans une des fêtes de la révolution. Est-ce bien vous, vous que je vis si belle Quand tout un peuple, entourant votre char, Vous saluait du nom de l'immortelle Dont votre main brandissait l'étendard? De nos respects, de nos cris d'alégresse, De votre gloire et de votre beauté, Vous marchiez fière: oui, vous étiez déesse, Déesse de la liberté. Vous traversiez des ruines gothiques; Nos défenseurs se pressaient sur vos pas: Les fleurs pleuvaient, et des vierges pudiques Mêlaient leurs chants à l'hymne des combats. Moi, pauvre enfant, dans une coupe amère, En orphelin par le sort allaité, Je m'écriais: " tenez-moi lieu de mère, Déesse de la liberté. " De noms affreux cette époque est flétrie; Mais, jeune alors, je n'ai rien pu juger: En épelant le doux mot de patrie Je tressaillais d'horreur pour l'étranger. Tout s'agitait, s'armait pour la défense; Tout était fier, sur-tout la pauvreté. Ah! Rendez-moi les jours de mon enfance, Déesse de la liberté. Volcan éteint sous les cendres qu'il lance, Après vingt ans ce peuple se rendort; Et l'étranger, apportant sa balance, Lui dit deux fois: " gaulois, pesons ton or. " Quand notre ivresse, au ciel rendant hommage, Sur un autel élevait la beauté, D'un rêve heureux vous n'étiez que l'image, Déesse de la liberté. Je vous revois, et le temps trop rapide Ternit ces yeux où riaient les amours; Je vous revois, et votre front qu'il ride Semble à ma voix rougir de vos beaux jours. Rassurez-vous: char, autels, fleurs, jeunesse, Gloire, vertu, grandeur, espoir, fierté, Tout a péri; vous n'êtes plus déesse, Déesse de la liberté. LE MALADE 1823 Un mal cuisant déchire ma poitrine, Ma faible voix s'éteint dans les douleurs; Et tout renaît, et déja l'aubépine A vu l'abeille accourir à ses fleurs. Dieu d'un sourire a béni la nature, Dans leur splendeur les cieux vont éclater. Reviens, ma voix, faible, mais douce et pure: Il est encor de beaux jours à chanter. Mon Esculape a renversé mon verre, Plus de gaîté! Mon front se rembrunit; Mais vient l'amour et le mois qu'il préfère: Déja l'oiseau butine pour son nid. Des voluptés le torrent va s'épandre Sur l'univers qui semblait végéter. Reviens, ma voix, faible, mais toujours tendre: Il est encor des plaisirs à chanter. Pour mon pays que de chansons encore! D'un lâche oubli vengeons les trois couleurs; De nouveaux noms la France se décore; À l'aigle éteint nous redevons des pleurs. Que de périls la tribune orageuse Offre aux vertus qui l'osent affronter! Reviens, ma voix, faible, mais courageuse: Il est encor des gloires à chanter. Puis j'entrevois la liberté bannie; Elle revient: despotes, à genoux! Pour l'étouffer en vain la tyrannie Fait signe au nord de déborder sur nous. L'ours effrayé regagne sa tanière, Loin du soleil qu'il voulait disputer. Reviens, ma voix, faible, mais libre et fière: Il est encore un triomphe à chanter. Que dis-je? Hélas! Oui, la terre s'éveille, Belle et parée, au souffle du printemps. Mais dans nos coeurs le courage sommeille; Chargé de fers, chacun se dit: j'attends! La Grèce expire, et l'Europe est tremblante; Seuls, nos pleurs seuls osent se révolter. Reviens, ma voix, faible, mais consolante: Il est encor des martyrs à chanter. LA COURONNE DE BLUETS À Madame. Du ciel j'arrive, et mon voyage Nous épargne à tous bien des pleurs. Beauté folâtre autant que sage, Ne jouez plus avec des fleurs. Sachez qu'hier, la panse ronde Et l'oeil obscurci par Bacchus, Jupin a cru dans notre monde Voir une couronne de plus. À la colère il s'abandonne: " l'abus, dit-il, devient trop fort. Encore un front que l'on couronne Quand le faiseur de rois est mort! Sur ce front lançons mon tonnerre; Du faible enfin vengeons les droits. Je veux voir un jour sur la terre Les rois sujets, les sujets rois. " Dans son conseil alors j'arrive; (où les rimeurs n'entrent-ils pas? ) En joue il vous met sans qui vive!Mais je l'aborde chapeau bas: " Jupin, de ton arrêt j'appelle; Ta balance et tes poids sont faux: Ta cour de justice éternelle A-t-elle eu ses gardes des sceaux? " braque tes lunettes, vieux sire, Sur le front couronné par nous; De la candeur c'est le sourire, De la bonté c'est l'oeil si doux. Lorsque les carreaux de son foudre Chez nos sourds passent pour muets, Jupin ne mettrait-il en poudre Qu'une couronne de bluets? " " oh! Oh! Dit-il, qu'allais-je faire? Ailleurs frappons, mon foudre est chaud. " -" frappe; mais sur notre hémisphère Vise donc plus bas ou plus haut. " Heureux d'avoir su vous défendre, J'accours des célestes donjons; Quant à Jupin, je viens d'apprendre Qu'il a foudroyé deux pigeons. L'EPEE DE DAMOCLES De Damoclès l'épée est bien connue; En songe, à table, il m'a semblé la voir. Sous cette épée et menaçante et nue Denis l'ancien me forçait à m'asseoir. Je m'écriais: que mon destin s'achève, La coupe en main, au doux bruit des concerts! Ô vieux Denis! Je me ris de ton glaive, Je bois, je chante, et je siffle tes vers. Servez, disais-je, à messieurs de la bouche; Versez, versez, messieurs du gobelet. Malheur d'autrui n'est point ce qui te touche, Denis; sur moi fais donc vite un couplet. Ton Apollon à nos larmes fait trève; Il nous égaie au sein d'affreux revers. Ô vieux Denis! Je me ris de ton glaive, Puisqu'à rimer sans remords tu t'amuses, De la patrie écoute un peu la voix: Elle est, crois-moi, la première des muses; Mais rarement elle inspire les rois. Du frêle arbuste où bout sa noble sève La moindre fleur parfume au loin les airs. Ô vieux Denis! Je me ris de ton glaive, Tu crois du Pinde avoir conquis la gloire, Quand ses lauriers, de ta foudre encor chauds, Vont à prix d'or te cacher à l'histoire, Ou balayer la fange des cachots. Mais, à ton nom, Clio, qui se soulève, Sur ton cercueil viendra peser nos fers. Ô vieux Denis! Je me ris de ton glaive, Que du mépris la haine au moins me sauve, Dit ce bon roi, qui rompt un fil léger. Le fer pesant tombe sur mon front chauve; J'entends ces mots: Denis sait se venger. Me voilà mort; et, poursuivant mon rêve, La coupe en main, je répète aux enfers: Ô vieux Denis! Je me ris de ton glaive, LA MAISON DE SANTE À Madame G, pour la saint-Jean, jour de sa fête. Naguère en un royal hospice J'allai subir les soins de l'art; Esculape me fut propice, Je bénis cet heureux hasard. Mais l'amitié, toujours craintive, Me dit: " point de sécurité! Un quiproquo bien vite arrive. Change de maison de santé. " À R elle me transporte; Je me sens mieux en avançant. La bienfaisance est sur la porte, Le malheur salue en passant. Là Jeannette est supérieure, Et le ciel fit de sa bonté La lampe qui brûle à toute heure Dans cette maison de santé. Molière a terminé sa vie Entre deux soeurs de charité. Or, quand Jeanne fait oeuvre pie, C'est un rendu pour un prêté. De Thalie elle fut tourière Avec talent, grace et beauté,et la suivante de Molière Fonde une maison de santé. L'amitié seule y donne place: Moi, j'en ai fait mon hôtel-dieu. Infirmiers, remplissez ma tasse; C'est aujourd'hui le saint du lieu. Quand il s'agit de fêter Jeanne, Mon seul régime est la gaîté. Je veux m'enivrer de tisane Dans cette maison de santé. LA BONNE MAMAN Couplets à une dame de trente ans, que l'auteur Appelait sa grand'mère. Au dire du proverbe ancien, L'amitié ne remonte guère. Bon petit-fils, je n'en crois rien Quand je pense à vous, ma grand'mère: Ces titres, quelquefois si doux, Vous paraîtraient-ils insipides? Bonne maman, consolez-vous; Vous n'avez point encor de rides. L'âge a-t-il éteint vos desirs? Blâmez-vous les tendres chimères? Censurer les plus doux plaisirs Est le plaisir de nos grand'mères. Les ans font-ils neiger sur nous, À nos yeux tout se décolore. Bonne maman, consolez-vous; Vous ne blanchissez point encore. L'amour a peur des grand'mamans; Mais, à prix d'or, combien de vieilles Ont à leurs gages des amants Dont les missives font merveilles! On sait, pour lire un billet doux, Quel moyen prennent ces coquettes. Bonne maman, consolez-vous; Vous lisez encor sans lunettes. Quoi! Sans rides, sans cheveux blancs, Et sans lunettes à votre âge! Voyons si vos genoux tremblants Des ans n'attestent pas l'outrage. Oui, je vois trembler vos genoux Que l'amour tendrement caresse. Bonne maman, consolez-vous; Prenez un bâton de vieillesse. LE VIOLON BRISE Viens, mon chien, viens, ma pauvre bête; Mange malgré mon désespoir. Il me reste un gâteau de fête; Demain nous aurons du pain noir. Les étrangers, vainqueurs par ruse, M'ont dit hier dans ce vallon: " fais-nous danser! " moi, je refuse; L'un d'eux brise mon violon. C'était l'orchestre du village. Plus de fêtes! Plus d'heureux jours! Qui fera danser sous l'ombrage? Qui réveillera les amours? Sa corde vivement pressée, Dès l'aurore d'un jour bien doux, Annonçait à la fiancée Le cortège du jeune époux. Aux curés qui l'osaient entendre Nos danses causaient moins d'effroi; La gaîté qu'il savait répandre Eût déridé le front d'un roi. S'il préluda, dans notre gloire, Aux chants qu'elle nous inspirait, Sur lui jamais pouvais-je croire Que l'étranger se vengerait? Viens, mon chien, viens, ma pauvre bête; Mange malgré mon désespoir. Il me reste un gâteau de fête; Demain nous aurons du pain noir. Combien sous l'orme ou dans la grange Le dimanche va sembler long! Dieu bénira-t-il la vendange Qu'on ouvrira sans violon? Il délassait des longs ouvrages, Du pauvre étourdissait les maux; Des grands, des impôts, des orages, Lui seul consolait nos hameaux. Les haines, il les faisait taire; Les pleurs amers, il les séchait. Jamais sceptre n'a fait sur terre Autant de bien que mon archet. Mais l'ennemi qu'il faut qu'on chasse M'a rendu le courage aisé. Qu'en mes mains un mousquet remplace Le violon qu'il a brisé. Tant d'amis dont je me sépare Diront un jour, si je péris: Il n'a point voulu qu'un barbare Dansât gaîment sur nos débris. Viens, mon chien, viens, ma pauvre bête; Mange malgré mon désespoir. Il me reste un gâteau de fête; Demain nous aurons du pain noir. LE CONTRAT DE MARIAGE " sire, de grace, écoutez-moi! (le prince courait chez sa dame) " sire, vous êtes un grand roi; Daignez me venger de ma femme. " Le roi dit: " qu'on tienne éloigné Ce fou qui m'arrête au passage. " -" ah! Sire, vous avez signé Mon contrat de mariage. " Ces mots font sourire le roi: " gardes, je défends qu'on l'assomme. Vilain, dit-il, explique-toi. " -" sire, j'ai fait le gentilhomme. J'acquis d'un argent bien gagné Château, blason, titre, équipage; Et, sire, vous avez signé Mon contrat de mariage. " j'ai pris femme noble aux doux yeux, Aux mains blanches, au cou de cygne. Son père a dit: par mes aïeux! Mon gendre, il faut que le roi signe. Votre nom fut accompagné D'un pâté de mauvais présage, Sire, quand vous avez signé " j'étais en habit de gala, Sire; et, pour abréger l'histoire, Rappelez-vous que ce jour-là Un beau page tint l'écritoire. Ma femme ici l'avait lorgné. Hier je l'ai surpris... quel outrage Pour vous dont la plume a signé Mon contrat de mariage! " Le roi dit: " je n'ai qualité Que pour guérir les écrouelles. Un diable, cornard effronté, Vilains, ici guette vos belles. Sur les rois même il a régné, Et met un sceau de vasselage À tous les gens dont j'ai signéle contrat de mariage. " Le livre où j'ai puisé ceci Ajoute que l'époux morose Faillit mourir de noir souci, Et que d'un dicton il fut cause: Dès qu'un mari peu résigné Prêtait à rire au voisinage, Le roi, disait-on, a signé Son contrat de mariage. LE CHANT DU COSAQUE Viens, mon coursier, noble ami du cosaque, Vole au signal des trompettes du nord. Prompt au pillage, intrépide à l'attaque, Prête sous moi des ailes à la mort. L'or n'enrichit ni ton frein ni ta selle; Mais attends tout du prix de mes exploits. Hennis d'orgueil, ô mon coursier fidèle! Et foule aux pieds les peuples et les rois. La paix, qui fuit, m'abandonne tes guides; La vieille Europe a perdu ses remparts. Viens de trésors combler mes mains avides; Viens reposer dans l'asile des arts. Retourne boire à la Seine rebelle, Où, tout sanglant, tu t'es lavé deux fois. Hennis d'orgueil, ô mon coursier fidèle! Comme en un fort, princes, nobles et prêtres, Tous assiégés par des sujets souffrants, Nous ont crié: venez! Soyez nos maîtres; Nous serons serfs pour demeurer tyrans. J'ai pris ma lance, et tous vont devant elle Humilier et le sceptre et la croix. Hennis d'orgueil, ô mon coursier fidèle! J'ai d'un géant vu le fantôme immense Sur nos bivouacs fixer un oeil ardent. Il s'écriait: mon règne recommence! Et de sa hache il montrait l'occident. Du roi des huns c'était l'ombre immortelle: Fils d'Attila, j'obéis à sa voix. Hennis d'orgueil, ô mon coursier fidèle! Tout cet éclat dont l'Europe est si fière, Tout ce savoir qui ne la défend pas, S'engloutira dans les flots de poussière Qu'autour de moi vont soulever tes pas. Efface, efface, en ta course nouvelle, Temples, palais, moeurs, souvenirs et lois. Hennis d'orgueil, ô mon coursier fidèle! LES HIRONDELLES Captif au rivage du maure, Un guerrier, courbé sous ses fers, Disait: je vous revois encore, Oiseaux ennemis des hivers. Hirondelles, que l'espérance Suit jusqu'en ces brûlants climats, Sans doute vous quittez la France: De mon pays ne me parlez-vous pas? Depuis trois ans je vous conjure De m'apporter un souvenir Du vallon où ma vie obscure Se berçait d'un doux avenir. Au détour d'une eau qui chemine À flots purs, sous de frais lilas, Vous avez vu notre chaumine: De ce vallon ne me parlez-vous pas? L'une de vous peut-être est née Au toit où j'ai reçu le jour; Là d'une mère infortunée Vous avez dû plaindre l'amour. Mourante, elle croit à toute heure Entendre le bruit de mes pas; Elle écoute, et puis elle pleure. De son amour ne me parlez-vous pas? Ma soeur est-elle mariée? Avez-vous vu de nos garçons La foule, aux noces conviée, La célébrer dans leurs chansons? Et ces compagnons du jeune âge, Qui m'ont suivi dans les combats, Ont-ils revu tous le village? De tant d'amis ne me parlez-vous pas? Sur leurs corps l'étranger peut-être Du vallon reprend le chemin; Sous mon chaume il commande en maître; De ma soeur il trouble l'hymen. Pour moi plus de mère qui prie, Et par-tout des fers ici-bas. Hirondelles de ma patrie, De ses malheurs ne me parlez-vous pas? LES FILLES Couplets à un ami que sa femme venait de rendre père D'une quatrième fille. Quand des filles naissent chez vous Pour le plaisir de ce monde, Dites-moi, messieurs les époux, Pourquoi chacun de vous gronde. Aux filles, morbleu! Nous tenons; Faites-en, faites-en de gentilles: Qu'elles soient anges ou démons, Faites des filles; Nous les aimons. Maris, toujours trop occupés, Que, près des gens qui vous aident, Aux femmes qui vous ont trompés Un jour vos filles succèdent. Aux filles, morbleu! Nous tenons; Faites-en, faites-en de gentilles: Qu'elles soient anges ou démons, Faites des filles; Nous les aimons. Pour les pères, pour les amants, Fille d'humeur folle ou sage Ajoute aux charmes des beaux ans, Ôte à l'ennui du vieil âge. À leur coeur aussi nous tenons; Faites-en, faites-en de gentilles: Qu'elles soient anges ou démons, Faites des filles; Nous les aimons. Pour Batyle aux fraîches couleurs Quand Anacréon détonne, Les graces arrachent les fleurs Dont cet enfant le couronne. Aux filles nous nous en tenons; Faites-en, faites-en de gentilles: Qu'elles soient anges ou démons, Faites des filles; Nous les aimons. Mais pour quatre filles buvons À toi, mari, qui nous aimes. Pour nos fils nous te le devons; Que n'est-ce, hélas! Pour nous-mêmes! À vos filles, oui, nous tenons; Faites-en, faites-en de gentilles: Qu'elles soient anges ou démons, Faites des filles; Nous les aimons. LE CACHET, OU LETTRE A SOPHIE Il vient de toi ce cachet où le lierre Serpente en or, symbole ingénieux; Cachet où l'art a gravé sur la pierre Un jeune amour au doigt mystérieux. Il est sacré: mais en vain, ma Sophie, À ton amant il offre son secours; De son pouvoir ma plume se défie. Plus de secret, même pour les amours! Pourquoi, dis-tu, si loin de ton amie, Quand une lettre adoucit ses regrets, Pourquoi penser qu'une main ennemie Brise le dieu qui scelle nos secrets? Je ne crains point qu'un jaloux en délire, Jamais, Sophie, à ce crime ait recours. Ce que je crains, je tremble de l'écrire. Il est, Sophie, un monstre à l'oeil perfide, Qui de Venise ensanglanta les lois; Il tend la main au salaire homicide, Souffle la peur dans l'oreille des rois; Il veut tout voir, tout entendre, tout lire; Cherche le mal et l'invente toujours; D'un sceau fragile il amollit la cire. Ces mots tracés pour toi seule, ô Sophie! Son oeil affreux avant toi les lira. Ce qu'au papier ma tendresse confie Ira grossir un complot qu'il vendra. Ou bien, dit-il, de ce couple qui s'aime Livrons la vie aux sarcasmes des cours, Et déridons l'ennui du diadème. Saisi d'effroi, je repousse la plume Qui de l'absence eût charmé la douleur. Pour le cachet la cire en vain s'allume, On le rompra; j'aurai fait ton malheur. Par le grand roi qui trahit La Vallière, Ce lâche abus fut transmis à nos jours. Coeurs amoureux, maudissez sa poussière. LA JEUNE MUSE Réponse à des couplets qui m'ont été adressés par Mademoiselle, âgée de douze ans. Pour les vers, quoi! Vous quittez Les plaisirs de votre âge! Ma muse, que vous flattez, Aux amours rend hommage. Ce sont aussi des enfants À la voix séduisante; Mais, hélas! Vous n'avez que douze ans, Et moi j'en ai quarante! Pourquoi parler de lauriers? De pleurs on les arrose. Ce n'est point aux chansonniers Que la gloire en impose. La fleur, orgueil du printemps, Est le prix qui nous tente. Mais, hélas! Vous n'avez que douze ans, Et moi j'en ai quarante! Jeune oiseau, prenez l'essor; Égayez le bocage. Par des chants plus doux encor Brillez dans un autre âge. De les inspirer je sens Combien l'espoir m'enchante. Mais, hélas! Vous n'avez que douze ans, Et moi j'en ai quarante! De me couronner de fleurs, Oui, vous perdrez l'envie; Sous des dehors plus flatteurs Vous verrez le génie. Puissiez-vous pour mon encens Être alors indulgente! Mais à peine vous aurez vingt ans Que j'en aurai cinquante. LA FUITE DE L'AMOUR Je vois déja se déployer tes ailes, Amour, adieu! Mon bel âge est passé. D'un air moqueur les graces infidèles Montrent du doigt mon réduit délaissé. S'il fut des jours où j'ai maudit tes armes, Savais-je, hélas! Que tu m'en punirais? Ah! Plus, amour, tu nous causes de larmes, Plus, quand tu fuis, tu laisses de regrets. Je reposais du sommeil de l'enfance Lorsqu'à ta voix mes yeux se sont ouverts; Dans la beauté j'adorai ta puissance, Et vins m'offrir de moi-même à tes fers. Si jeune encor j'ignorais tes alarmes, Tes sombres feux, le poison de tes traits. Ah! Plus, amour, tu nous causes de larmes, Glacé par l'âge, il se peut que j'oublie Tous les baisers que Rose me donna, Mais non les pleurs versés pour Eulalie, Non les soupirs perdus près de Nina. Pour bien aimer l'une avait trop de charmes; Mes voeux pour l'autre ont dû rester secrets. Ah! Plus, amour, tu nous causes de larmes, Fuis donc, amour, ma couche solitaire; Fuis! Car déja tu souris de pitié. De mes ennuis pénétrant le mystère, Les bras tendus, vers moi vient l'amitié. Pour l'éloigner fais luire encor tes armes: Ses soins sont doux, mais j'en abuserais; Car plus, amour, tu nous causes de larmes, L'ANNIVERSAIRE Depuis un an vous êtes née, Héloïse, le savez-vous? C'est là votre plus belle année, Mais l'avenir vous sera doux. Voici des fleurs que l'on vous donne; Parez-vous-en, et, s'il vous plaît, Charmante avec cette couronne, N'allez point en faire un hochet. Un enfant qui ne vieillit guère, Sachant qui vous donna le jour, Devine que vous saurez plaire; Vous le connaîtrez, c'est l'amour. Redoutez-le pour mille causes, Bien qu'il vous soit frère de lait; Car de votre chapeau de roses Il voudra se faire un hochet. L'espérance aux ailes brillantes Sur vous se plaît à voltiger: De combien de formes riantes Vous dote son prisme léger! À ses doux songes asservie, Vous serez heureuse en effet Si pour chaque âge de la vie Elle vous réserve un hochet. LE VIEUX SERGENT 1815 Près du rouet de sa fille chérie Le vieux sergent se distrait de ses maux, Et, d'une main que la balle a meurtrie, Berce en riant deux petits-fils jumeaux. Assis tranquille au seuil du toit champêtre, Son seul refuge après tant de combats, Il dit parfois: " ce n'est pas tout de naître; Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! " Mais qu'entend-il? Le tambour qui résonne: Il voit au loin passer un bataillon. Le sang remonte à son front qui grisonne; Le vieux coursier a senti l'aiguillon. Hélas! Soudain, tristement il s'écrie: " c'est un drapeau que je ne connais pas. Ah! Si jamais vous vengez la patrie, Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! " qui nous rendra, dit cet homme héroïque, Aux bords du Rhin, à Jemmape, à Fleurus, Ces paysans, fils de la république, Sur la frontière à sa voix accourus? Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes, Tous à la gloire allaient du même pas. Le Rhin lui seul peut retremper nos armes. " de quel éclat brillaient dans la bataille Ces habits bleus par la victoire usés! La liberté mêlait à la mitraille Des fers rompus et des sceptres brisés. Les nations, reines par nos conquêtes, Ceignaient de fleurs le front de nos soldats. Heureux celui qui mourut dans ces fêtes! " tant de vertu trop tôt fut obscurcie. Pour s'anoblir nos chefs sortent des rangs; Par la cartouche encor toute noircie Leur bouche est prête à flatter les tyrans. La liberté déserte avec ses armes; D'un trône à l'autre ils vont offrir leurs bras; À notre gloire on mesure nos larmes. Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! " Sa fille alors, interrompant sa plainte, Tout en filant lui chante à demi-voix Ces airs proscrits qui, les frappant de crainte, Ont en sursaut réveillé tous les rois. " peuple, à ton tour que ces chants te réveillent: Il en est temps! " dit-il aussi tout bas. Puis il répète à ses fils qui sommeillent: " Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! " LE PRISONNIER Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. Ainsi chante, à travers les grilles, Un captif qui voit chaque jour Voguer la plus belle des filles Sur les flots qui baignent la tour. Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. Moi, captif à la fleur de l'âge Dans ce vieux fort inhabité, J'attends chaque jour ton passage Comme j'attends la liberté. Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. L'eau te réfléchit grande et belle; Ton sein forme un heureux contour. À qui ta voile obéit-elle? Est-ce au zéphyr? Est-ce à l'amour? Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. De quel espoir mon coeur s'enivre! Tu veux m'arracher de ce fort. Libre par toi, je vais te suivre; Le bonheur est sur l'autre bord. Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. Tu t'arrêtes, et ma souffrance Semble mouiller tes yeux de pleurs. Hélas! Semblable à l'espérance, Tu passes, tu fuis, et je meurs. Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. L'illusion m'est donc ravie! Mais non: vers moi tu tends la main. Astre de qui dépend ma vie, Pour moi tu brilleras demain. Reine des flots, sur ta barque rapide Vogue en chantant, au bruit des longs échos. Les vents sont doux, l'onde est calme et limpide, Le ciel sourit: vogue, reine des flots. L'ANGE EXILE À Corinne De L. Je veux pour vous prendre un ton moins frivole: Corinne, il fut des anges révoltés. Dieu sur leur front fait tomber sa parole, Et dans l'abyme ils sont précipités. Doux, mais fragile, un seul, dans leur ruine, Contre ses maux garde un puissant secours; Il reste armé de sa lyre divine. Ange aux yeux bleus, protégez-moi toujours. L'enfer mugit d'un effroyable rire Quand, dégoûté de l'orgueil des méchants, L'ange, qui pleure en accordant sa lyre, Fait éclater ses remords et ses chants. Dieu d'un regard l'arrache au gouffre immonde, Mais ici-bas veut qu'il charme nos jours. La poésie enivrera le monde. Ange aux yeux bleus, protégez-moi toujours. Vers nous il vole en secouant ses ailes, Comme l'oiseau que l'orage a mouillé. Soudain la terre entend des voix nouvelles; Maint peuple errant s'arrête émerveillé. Tout culte alors n'étant que l'harmonie, Aux cieux jamais Dieu ne dit: soyez sourds. L'autel s'épure aux parfums du génie. Ange aux yeux bleus, protégez-moi toujours. En vain l'enfer, des clameurs de l'envie, Poursuit cet ange échappé de ses rangs; De l'homme inculte il adoucit la vie, Et sous le dais montre au doigt les tyrans. Tandis qu'à tout sa voix prêtant des charmes Court jusqu'au pôle éveiller les amours, Dieu compte au ciel ce qu'il sèche de larmes. Ange aux yeux bleus, protégez-moi toujours. Qui peut me dire où luit son auréole? De son exil Dieu l'a-t-il rappelé? Mais vous chantez, mais votre voix console: Corinne, en vous l'ange s'est dévoilé. Votre printemps veut des fleurs éternelles, Votre beauté de célestes atours: Pour un long vol vous déployez vos ailes; Ange aux yeux bleus, protégez-moi toujours. LA VERTU DE LISETTE Quoi! De la vertu de Lisette Vous plaisantez, dames de cour! Eh bien! D'accord: elle est grisette; C'est de la noblesse en amour. Le barreau, l'église et les armes, De ses yeux noirs font très grand cas. Lise ne dit rien de vos charmes; De sa vertu ne parlons pas. D'avoir fait de riches conquêtes L'osez-vous bien railler encor, Quand le peuple hébreu dans ses fêtes Vous voit adorer son veau d'or? L'empire a, pour plus d'un service, Long-temps soudoyé vos appas. Lise est mal avec la police; Point de cendre si bien éteinte Qu'elle n'y retrouve du feu; Un marquis dont la vie est sainte Veut à la cour la mettre en jeu. Par elle illustrant son mérite, Sur les ducs il aura le pas. Lisette sera favorite; Çà, mesdames les dénigrantes, Si cet honneur vient la trouver, Vous vous direz de ses parentes, Vous ferez cercle à son lever. Mais dût son triomphe et ses suites De joie enfler tous les rabats, Se confessât-elle aux jésuites, Croyez-moi, beautés monarchiques, Le mot vertu, dans vos caquets, Ressemble aux grands noms historiques Que devant vous crie un laquais. Les échasses de l'étiquetteguindent bien haut des coeurs bien bas: De la cour Dieu garde Lisette! LE VOYAGEUR Le Vieillard. Voyageur, dont l'âge intéresse, Quel chagrin flétrit tes beaux jours? Le Voyageur. Bon vieillard, plaignez ma jeunesse, En butte aux orages des cours. Le Vieillard. Le sort est injuste sans doute, Mais n'est pas toujours rigoureux. Dieu qui m'a placé sur ta route, Dieu t'offre un ami; sois heureux. Le Voyageur. Mes maux sont de tristes exemples Du pouvoir des dieux d'ici-bas. Bientôt le crime aura des temples; Des palais il doit être las. Le Vieillard. Prends mon bras, car un long voyage Endolorit tes pieds poudreux. Comme toi j'errais à ton âge. Dieu t'offre un ami; sois heureux. Le Voyageur. Quand j'invoquai dans la tempête Ce dieu qu'on dit si consolant, Les poignards levés sur ma tête Portaient gravé son nom sanglant. Le Vieillard. Te voici dans mon ermitage; Versons-nous d'un vin généreux. Hélas! Mon fils aurait ton âge. Dieu t'offre un ami; sois heureux. Le Voyageur. Non, il n'est point d'être suprême Qui seul peuple l'immensité, Et cet univers n'est lui-même Qu'une grande inutilité. Le Vieillard. Vois ma fille, à qui ta détresse Arrache un soupir douloureux; Elle a consolé ma vieillesse. Dieu t'offre un ami; sois heureux. Le Voyageur. Dans cette nuit profonde et triste Ce dieu vient-il guider nos pas? Eh! Qu'importe enfin qu'il existe, Si pour lui nous n'existons pas? Le Vieillard. Voici ta couche et ta demeure: Chasse tes rêves ténébreux. Tiens-moi lieu du fils que je pleure. Dieu t'offre un ami; sois heureux. L'étranger reste; il plaît, il aime, Et de fleurs bientôt couronné, Époux et père, il va lui-même Dire à plus d'un infortuné: " le sort est injuste sans doute, Mais n'est pas toujours rigoureux. Dieu qui m'a placé sur ta route, Dieu t'offre un ami; sois heureux. " MON ENTERREMENT Ce matin, je ne sais comment, Je vois d'amours ma chambre pleine; J'étais couché, sans mouvement. Il est mort, disaient-ils gaîment; De l'inhumer prenons la peine. Lors je maudis entre mes draps Ces dieux que j'aimais tant à suivre. Amis, si j'en crois ces ingrats, Plaignez-moi; j'ai cessé de vivre. De mon vin ils prennent leur part; Ils caressent ma chambrière: L'un veut guider le corbillard, Et l'autre d'un ton nasillard Me psalmodie une prière. Le plus grave ordonne à l'instant Vingt galoubets pour mon escorte: Mais déja la voiture attend. Plaignez-moi, voilà qu'on m'emporte. Causant, riant, faisant des leurs, Les amours suivent sur deux lignes: Le drap, où l'argent brille en pleurs, Porte un verre, un luth et des fleurs, De mes ordres joyeux insignes. Maint passant, qui met chapeau bas, Se dit: triste ou gai, tout succombe! Les amours font hâter le pas. Plaignez-moi, j'arrive à ma tombe. Mon cortège, au lieu de prier, Chante là mes vers les plus lestes. Grace au ciseau du marbrier, Une couronne de laurier Va d'orgueil enivrer mes restes. Tout redit ma gloire en ce lieu, Qui bientôt sera solitaire. Amis, j'allais me croire un dieu: Plaignez-moi, voilà qu'on m'enterre. Mais d'aventure, en ce moment, Par-là passait mon infidèle. Lise m'arrache au monument; Puis encor, je ne sais comment, Je me sens renaître auprès d'elle. De la vie et de ses douceurs Vous qu'à médire l'âge excite, Vous du monde éternels censeurs, Plaignez-moi; car je ressuscite. LE POËTE DE COUR 1824 Couplets pour la fête de Marie. On achète Lyre et musette; Comme tant d'autres, à mon tour, Je me fais poëte de cour. Te chanter encore, ô Marie! Non, vraiment je ne l'ose pas. Ma muse enfin s'est aguerrie, Et vers la cour tourne ses pas. Je gage, s'il naît un Voltaire, Qu'on emprunte pour l'acheter. Prêt à me vendre au ministère, Pour toi je ne puis plus chanter. On achète Lyre et musette; Comme tant d'autres, à mon tour, Je me fais poëte de cour. Ce que je dirais pour te plaire Ferait rire ailleurs de pitié: L'amour est notre moindre affaire; Les grands ont banni l'amitié. On siffle le patriotisme; Ce qu'on sait le mieux, c'est compter: J'adresse une ode à l'égoïsme. Pour toi je ne puis plus chanter. On achète Lyre et musette; Comme tant d'autres, à mon tour, Je me fais poëte de cour. Je crains que ta voix ne m'inspire L'éloge des grecs valeureux, Contre qui l'Europe conspire Pour ne plus rougir devant eux. En vain ton ame généreuse De leurs maux se laisse attrister; Moi je chante l'Espagne heureuse. Pour toi je ne puis plus chanter. On achète Lyre et musette; Comme tant d'autres, à mon tour, Je me fais poëte de cour. Dans mes calculs, dieu! Quel déboire Si de ton héros je parlais! Il nous a légué tant de gloire Qu'on est embarrassé du legs. Lorsque ta main pare son buste De lauriers qu'on doit respecter, J'encense une personne auguste. Pour toi je ne puis plus chanter. On achète Lyre et musette; Comme tant d'autres, à mon tour, Je me fais poëte de cour. Pourquoi douter, chère Marie, Que ton ami change à ce point? Liberté, gloire, honneur, patrie, Sont des mots qu'on n'escompte point. Des chants pour toi sont la satire Des grands que j'apprends à flatter. Non, quoi que mon coeur veuille dire, Pour toi je ne puis plus chanter. On achète Lyre et musette; Comme tant d'autres, à mon tour, Je me fais poëte de cour. OCTAVIE Viens parmi nous, qui brillons de jeunesse, Prendre un amant, mais couronné de fleurs; Viens sous l'ombrage, où, libre avec ivresse, La volupté seule a versé des pleurs. Ainsi parlaient des enfants de l'empire À la beauté dont Tibère est charmé. Quoi! Disaient-ils, la colombe soupire Au nid sanglant du vautour affamé! Belle Octavie! à tes fêtes splendides, Dis-nous, la joie a-t-elle jamais lui? Ton char, traîné par deux coursiers rapides, Laisse trop loin les amours après lui. Sur un vieux maître, aux romains qu'elle outrage, Tant d'opulence annonce ton crédit; Mais sous la pourpre on sent ton esclavage; Et, tu le sais, l'esclavage enlaidit. Marche aux accords des lyres parasites; Que par les grands tes voeux soient épiés. Déja, dit-on, nos prêtres hypocrites Ont de leurs dieux mis l'encens à tes pieds. Mais à la cour lis sur tous les visages, Traîtres, flatteurs, meurtriers, vils faquins. D'impurs ruisseaux, gonflés par nos orages, Font déborder cet égout des Tarquins. Tendre Octavie, ici rien n'effarouche Le dieu qui cède à qui mieux le ressent. Ne livre plus les roses de ta bouche Aux baisers morts d'un fantôme impuissant. Viens parmi nous, qui brillons de jeunesse, Prendre un amant, mais couronné de fleurs; Viens sous l'ombrage, où, libre avec ivresse, La volupté seule a versé des pleurs. Accours ici purifier tes charmes: Les délateurs respectent nos loisirs. Tous à leur prince ont prédit que nos armes Se rouilleraient à l'ombre des plaisirs. Sur les coussins où la douleur l'enchaîne, Quel mal, dis-tu, vous fait ce roi des rois? Vois-le d'un masque enjoliver sa haine, Pour étouffer notre gloire et nos lois. Vois ce coeur faux, que cherchent tes caresses, De tous les siens n'aimer que ses aïeux, Charger de fers les muses vengeresses, Et par ses moeurs nous révéler ses dieux. Peins-nous ses feux, qu'en secret tu redoutes Quand sur ton sein il cuve son nectar, Ses feux infects dont s'indignent les voûtes Où plane encor l'aigle du grand César. Ton sexe faible est oublieux des crimes; Mais dans ces murs ouverts à tant de peurs N'entends-tu pas des ombres de victimes Mêler leurs cris à tes soupirs trompeurs? Sur le tyran et sur toi le ciel gronde: Avec les siens ne confonds plus tes jours. Ah! Trop souvent la liberté du monde A d'un long deuil affligé les amours. Viens parmi nous, qui brillons de jeunesse, Prendre un amant, mais couronné de fleurs; Viens sous l'ombrage, où, libre avec ivresse, La volupté seule a versé des pleurs. LES TROUBADOURS J'entonne sur les troubadours Un chant dithyrambique. Malgré goût et logique, Coulez, vers longs, moyens et courts. Momus sommeille, Qu'on le réveille; Gai farfadet, qu'il rie à notre oreille. Laissons, malgré maux et douleurs, L'espérance essuyer nos pleurs: Lisette, apporte et du vin et des fleurs. Narguant des lois sévères, Troubadours et trouvères Au nez des rois vidaient gaîment leurs verres. Toi, doux rimeur que la beauté Mène par la lisière, Unis parfois le lierre Aux roses de la volupté. Coupe rempliepar la folie Met en gaîté femme tendre et jolie. La colombe d'Anacréon, Dans la coupe de ce barbon, Buvait d'un vin père de la chanson. Narguant des lois sévères, Troubadours et trouvères Au nez des rois vidaient gaîment leurs verres. Toi qui fais de religion Parade à chaque rime, Qui sur la double cime Fais grimper la procession, Ta muse en masque Est lourde et flasque: Mais qu'un tendron te tire par la basque, Tu lui souris; et le bon vin Pour toi ne vieillit pas en vain, Beau joueur d'orgue au service divin. Narguant des lois sévères, Troubadours et trouvères Au nez des rois vidaient gaîment leurs verres. Toi qui prends Boileau pour psautier, Du joug je te délie. Veux-tu, près de Thalie, De Regnard être l'héritier? De cette muse Parfois abuse; Enivre-la; Molière est ton excuse. Elle naquit sur un tonneau: Pour lui rendre un éclat nouveau, Puise la joie au fond de son berceau. Narguant des lois sévères, Troubadours et trouvères Au nez des rois vidaient gaîment leurs verres. Du romantisme jeune appui, Descends de tes nuages; Tes torrents, tes orages, Ceignent ton front d'un pâle ennui. Mon camarade, Tiens, bois rasade; C'est un julep pour ton cerveau malade. Entre naître et mourir, hélas! Puisqu'on ne fait que quelques pas, On peut aller de travers ici-bas. Narguant des lois sévères, Troubadours et trouvères Au nez des rois vidaient gaîment leurs verres. Oui, trouvères et troubadours Sablaient force champagne. Mais je bats la campagne, L'ode et le vin font de ces tours. Le ciel nous dote D'une marotte Tour-à-tour grave, et quinteuse et falote. Le soleil s'est levé joyeux, Le front barbouillé de vin vieux. Ah! Tout poëte est le jouet des dieux. Narguant des lois sévères, Troubadours et trouvères Au nez des rois vidaient gaîment leurs verres. LES ESCLAVES GAULOIS 1824 Chanson adressée à M Manuel. D'anciens gaulois, pauvres esclaves, Un soir qu'autour d'eux tout dormait, Levaient la dîme sur les caves Du maître qui les opprimait. Leur gaîté s'éveille: " ah! Dit l'un d'eux, nous faisons des jaloux. L'esclave est roi quand le maître sommeille. Enivrons-nous! " amis, ce vin par notre maître Fut confisqué sur des gaulois Bannis du sol qui les vit naître Le jour même où mouraient nos lois. Sur nos fers qu'il rouille Le temps écrit l'âge d'un vin si doux. Des malheureux partageons la dépouille. Enivrons-nous! " savez-vous où gît l'humble pierre Des guerriers morts de notre temps? Là plus d'épouses en prière; Là plus de fleurs, même au printemps. La lyre attendrie Ne redit plus leurs noms effacés tous. Nargue du sot qui meurt pour la patrie! Enivrons-nous! " la liberté conspire encore Avec des restes de vertu; Elle nous dit: voici l'aurore; Peuple, toujours dormiras-tu? Déité qu'on vante, Recrute ailleurs des martyrs et des fous. L'or te corrompt, la gloire t'épouvante. Enivrons-nous! " oui, toute espérance est bannie; Ne comptons plus les maux soufferts. Le marteau de la tyrannie Sur les autels rive nos fers. Au monde en tutèle, Dieux tout-puissants, quel exemple offrez-vous! Au char des rois un prêtre vous attèle. Enivrons-nous! " rions des dieux, sifflons les sages, Flattons nos maîtres absolus. Donnons-leur nos fils pour otages: On vit de honte, on n'en meurt plus. Le plaisir nous venge; Sur nous du sort il fait glisser les coups. Traînons gaîment nos chaînes dans la fange. Enivrons-nous! " Le maître entend leurs chants d'ivresse; Il crie à des valets: " courez! Qu'un fouet dissipe l'alégresse De ces gaulois dégénérés. " Du tyran qui gronde Prêts à subir la sentence à genoux, Pauvres gaulois, sous qui trembla le monde, Enivrons-nous! Envoi. Cher Manuel, dans un autre âge Aurais-je peint nos tristes jours? Ton éloquence et ton courage Nous ont trouvés ingrats et sourds; Mais pour la patrie Ta vertu brave et périls et dégoûts, Et plaint encor l'insensé qui s'écrie: Enivrons-nous! TREIZE A TABLE Dieu! Mes amis, nous sommes treize à table, Et devant moi le sel est répandu. Nombre fatal! Présage épouvantable! La mort accourt; je frissonne éperdu. Elle apparaît, esprit, fée ou déesse; Mais, belle et jeune, elle sourit d'abord. De vos chansons ranimez l'alégresse; Non, mes amis, je ne crains plus la mort. Bien qu'elle semble invitée à la fête, Qu'elle ait aussi sa couronne de fleurs, Seul je la vois, seul je vois sur sa tête D'un arc-en-ciel resplendir les couleurs. Elle me montre une chaîne brisée, Et sur son sein un enfant qui s'endort. Calmez la soif de ma coupe épuisée; " vois, me dit-elle; est-ce moi qu'il faut craindre? Fille du ciel, l'espérance est ma soeur. Dis-moi, l'esclave a-t-il droit de se plaindre De qui l'arrache aux fers d'un oppresseur? Ange déchu, je te rendrai les ailes Dont ici-bas te dépouilla le sort. " Enivrons-nous des baisers de nos belles; " je reviendrai, poursuit-elle, et ton ame Ira franchir tous ces mondes flottants, Tout cet azur, tous ces globes de flamme Que Dieu sema sur la route du temps. Mais, tant qu'au joug elle rampe asservie, Goûte sans crainte un bonheur sans remord. " Que le plaisir use en paix notre vie; Ma vision passe et fuit tout entière Aux cris d'un chien hurlant sur notre seuil. Ah! L'homme en vain se rejette en arrière Lorsque son pied sent le froid du cercueil. Gais passagers, au flot inévitable Livrons l'esquif qu'il doit conduire au port. Si Dieu nous compte, ah! Restons treize à table; LAFAYETTE EN AMERIQUE Républicains, quel cortège s'avance? -un vieux guerrier débarque parmi nous. -vient-il d'un roi vous jurer l'alliance? -il a des rois allumé le courroux. -est-il puissant? -seul il franchit les ondes. -qu'a-t-il donc fait? -il a brisé des fers. Gloire immortelle à l'homme des deux mondes! Jours de triomphe, éclairez l'univers! Européen, par-tout, sur ce rivage Qui retentit de joyeuses clameurs, Tu vois régner, sans trouble et sans servage, La paix, les lois, le travail et les moeurs. Des opprimés ces bords sont le refuge: La tyrannie a peuplé nos déserts. L'homme et ses droits ont ici Dieu pour juge. Mais que de sang nous coûta ce bien-être! Nous succombions; Lafayette accourut, Montra la France, eut Washington pour maître, Lutta, vainquit, et l'anglais disparut. Pour son pays, pour la liberté sainte, Il a depuis grandi dans les revers. Des fers d'Olmutz nous effaçons l'empreinte. Ce vieil ami que tant d'ivresse accueille, Par un héros ce héros adopté, Bénit jadis, à sa première feuille, L'arbre naissant de notre liberté. Mais, aujourd'hui que l'arbre et son feuillage Bravent en paix la foudre et les hivers, Il vient s'asseoir sous son fertile ombrage. Autour de lui vois nos chefs, vois nos sages, Nos vieux soldats, se rappelant ses traits; Vois tout un peuple et ces tribus sauvages À son nom seul sortant de leurs forêts. L'arbre sacré sur ce concours immense Forme un abri de rameaux toujours verts: Les vents au loin porteront sa semence. L'européen, que frappent ces paroles, Servit des rois, suivit des conquérants: Un peuple esclave encensait ces idoles; Un peuple libre a des honneurs plus grands. Hélas! Dit-il, et son oeil sur les ondes Semble chercher des bords lointains et chers: Que la vertu rapproche les deux mondes! MAUDIT PRINTEMPS! Je la voyais de ma fenêtre À la sienne tout cet hiver: Nous nous aimions sans nous connaître; Nos baisers se croisaient dans l'air. Entre ces tilleuls sans feuillage Nous regarder comblait nos jours. Aux arbres tu rends leur ombrage; Maudit printemps! Reviendras-tu toujours? Il se perd dans leur voûte obscure Cet ange éclatant qui là-bas M'apparut, jetant la pâture Aux oiseaux un jour de frimas: Ils l'appelaient, et leur manège Devint le signal des amours. Non, rien d'aussi beau que la neige! Sans toi je la verrais encore, Lorsqu'elle s'arrache au repos, Fraîche comme on nous peint l'aurore Du jour entr'ouvrant les rideaux. Le soir encor je pourrais dire: Mon étoile achève son cours; Elle s'endort, sa lampe expire. C'est l'hiver que mon coeur implore: Ah! Je voudrais qu'on entendît Tinter sur la vitre sonore Le grésil léger qui bondit. Que me fait tout ton vieil empire, Tes fleurs, tes zéphyrs, tes longs jours? Je ne la verrai plus sourire. PSARA Nous triomphons! Allah! Gloire au prophète! Sur ce rocher plantons nos étendards. Ses défenseurs, illustrant leur défaite, En vain sur eux font crouler ses remparts. Nous triomphons, et le sabre terrible Va de la croix punir les attentats. Exterminons une race invincible: Les rois chrétiens ne la vengeront pas. N'as-tu, Chios, pu sauver un seul être Qui vînt ici raconter tous tes maux? Psara tremblante eût fléchi sous son maître. Où sont tes fils, tes palais, tes hameaux? Lorsque la peste en ton île rebelle Sur tant de morts menaçait nos soldats, Tes fils mourants disaient: n'implorons qu'elle; Les rois chrétiens ne nous vengeront pas. Mais de Chios recommencent les fêtes; Psara succombe, et voilà ses soutiens! Dans le sérail comptez combien de têtes Vont saluer les envoyés chrétiens. Pillons ces murs! De l'or! Du vin! Des femmes! Vierges, l'outrage ajoute à vos appas. Le glaive après purifîra vos ames: Les rois chrétiens ne vous vengeront pas. L'Europe esclave a dit dans sa pensée: Qu'un peuple libre apparaisse! Et soudain... Paix! Ont crié d'une voix courroucée Les chefs que Dieu lui donne en son dédain. Byron offrait un dangereux exemple; On les a vus sourire à son trépas. Du Christ lui-même allons souiller le temple: Les rois chrétiens ne le vengeront pas. À notre rage ainsi rien ne s'oppose; Psara n'est plus, Dieu vient de l'effacer. Sur ses débris le vainqueur qui repose Rêve le sang qu'il lui reste à verser. Qu'un jour Stamboul contemple avec ivresse Les derniers grecs suspendus à nos mâts! Dans son tombeau faisons rentrer la Grèce: Les rois chrétiens ne la vengeront pas. Ainsi chantait cette horde sauvage. Les grecs! S'écrie un barbare effrayé. La flotte hellène a surpris le rivage, Et de Psara tout le sang est payé. Soyez unis, ô grecs! Ou plus d'un traître Dans le triomphe égarera vos pas. Les nations vous pleureraient peut-être; Les rois chrétiens ne vous vengeraient pas. LE VOYAGE IMAGINAIRE L'automne accourt, et sur son aile humide M'apporte encor de nouvelles douleurs. Toujours souffrant, toujours pauvre et timide, De ma gaîté je vois pâlir les fleurs. Arrachez-moi des fanges de Lutèce; Sous un beau ciel mes yeux devaient s'ouvrir. Tout jeune aussi, je rêvais à la Grèce; C'est là, c'est là que je voudrais mourir. En vain faut-il qu'on me traduise Homère, Oui, je fus grec; Pythagore a raison. Sous Périclès j'eus Athènes pour mère; Je visitai Socrate en sa prison. De Phidias j'encensai les merveilles; De l'Ilissus j'ai vu les bords fleurir. J'ai sur l'Hymète éveillé les abeilles; Dieux! Qu'un seul jour, éblouissant ma vue, Ce beau soleil me réchauffe le coeur! La liberté, que de loin je salue, Me crie: accours, Thrasybule est vainqueur. Partons! Partons! La barque est préparée. Mer, en ton sein garde-moi de périr. Laisse ma muse aborder au Pirée; Il est bien doux le ciel de l'Italie, Mais l'esclavage en obscurcit l'azur. Vogue plus loin, nocher, je t'en supplie; Vogue où là-bas renaît un jour si pur. Quels sont ces flots? Quel est ce roc sauvage? Quel sol brillant à mes yeux vient s'offrir? La tyrannie expire sur la plage; Daignez au port accueillir un barbare, Vierges d'Athène, encouragez ma voix. Pour vos climats je quitte un ciel avare Où le génie est l'esclave des rois. Sauvez ma lyre, elle est persécutée; Et, si mes chants pouvaient vous attendrir, Mêlez ma cendre aux cendres de Tyrtée: Sous ce beau ciel je suis venu mourir. L'IN-OCTAVO ET L'IN-TRENTE-DEUX Quoi, mes couplets, encore une sottise! Osez-vous bien paraître in-octavo? Juge, critique, et docteur de l'église, Vont après vous s'acharner de nouveau. L'in-trente-deux trompait l'oeil du myope, Mais vos défauts vont être tous sentis: C'est le ciron vu dans un microscope. Mieux vous allait de rester tout petits, Petits, petits, oui, petits, tout petits. " quel trait d'orgueil! Dira la calomnie: Ferait-on plus pour des alexandrins? Le chansonnier vise à l'académie, Et veut au Pinde anoblir ses refrains. " Viser si haut, malgré cette imposture, N'est point mon fait, je vous en avertis. Pour conserver vos lettres de roture, Mieux vous allait de rester tout petits, Petits, petits, oui, petits, tout petits. Je vois deux sots rendus à leur province: " messieurs, dit l'un, sifflons le troubadour. Il veut des croix, et, pour l'offrir au prince, À son recueil a mis l'habit de cour. Le roi, dit l'autre, a daigné lui sourire, Même a trouvé ses vers assez gentils. " Voyez du roi ce que vous ferez dire! Mieux vous allait de rester tout petits, Petits, petits, oui, petits, tout petits. L'humble format sut plaire à cette classe Sur qui les arts sèment trop peu de fleurs; Il se fourrait jusque dans la besace De l'indigent dont il séchait les pleurs. À la guinguette instruisant ces recrues, D'obscurs lauriers j'ai fait large abatis. Pour rencontrer la gloire au coin des rues, Mieux vous allait de rester tout petits, Petits, petits, oui, petits, tout petits. Je dois trembler; car moi, qui suis prophète, Je vois de loin l'oubli fondre sur vous. De tant d'échos dont la voix vous répète, L'un meurt, puis l'autre, et puis cent, et puis tous. Déja mon front sent glisser sa couronne; Comme les miens vos beaux jours sont partis. Pour disparaître au premier vent d'automne, Mieux vous allait de rester tout petits, Petits, petits, oui, petits, tout petits. COUPLETS SUR UN PORTRAIT DE MOI Petit portrait de fantaisie Mis en tête de mon recueil, Penses-tu que par courtoisie Le monde entier te fasse accueil? Tu peux te parer, si tu l'oses, D'un laurier modeste et discret; Tu peux te couronner de roses: Non, non, tu n'es pas mon portrait. Jamais je ne me suis fait peindre: Mais qui donc représentes-tu? Peut-être un cafard qui sait feindre Jusqu'au charme de la vertu; Un petit saint pétri de ruse Qu'à Montrouge on encenserait. La bonne enseigne pour ma muse! Ou serais-tu l'auteur tragique Qui calcula, rima, lima Maint rôle bien académique Qu'en vain a réchauffé Talma? Quoi! Parer d'une noble image Mes petits vers de cabaret! Pour l'alexandrin quel outrage! Dans ton masque à mine pincée Est-ce un vil censeur que je vois, Rat de cave de la pensée Qu'il confisque au profit des rois? J'ai de la fraude en pacotille Qu'à la barrière on saisirait: Tu me tiendras lieu d'estampille. Mais ta laideur serait la mienne, Que ta gloire y gagnerait peu; Crains même qu'un prêtre ne vienne Saintement te livrer au feu. Dans l'avenir je devrais vivre, Que de toi l'on se passerait: Je suis bien mieux peint dans ce livre. LE GRENIER Je viens revoir l'asile où ma jeunesse De la misère a subi les leçons. J'avais vingt ans, une folle maîtresse, De francs amis et l'amour des chansons. Bravant le monde et les sots et les sages, Sans avenir, riche de mon printemps, Leste et joyeux je montais six étages. Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans! C'est un grenier, point ne veux qu'on l'ignore. Là fut mon lit bien chétif et bien dur; Là fut ma table; et je retrouve encore Trois pieds d'un vers charbonnés sur le mur. Apparaissez, plaisirs de mon bel âge, Que d'un coup d'aile a fustigés le temps. Vingt fois pour vous j'ai mis ma montre en gage. Lisette ici doit sur-tout apparaître, Vive, jolie, avec un frais chapeau: Déja sa main à l'étroite fenêtre Suspend son schall en guise de rideau. Sa robe aussi va parer ma couchette; Respecte, amour, ses plis longs et flottants. J'ai su depuis qui payait sa toilette. À table un jour, jour de grande richesse, De mes amis les voix brillaient en choeur, Quand jusqu'ici monte un cri d'alégresse: À Marengo Bonaparte est vainqueur! Le canon gronde; un autre chant commence; Nous célébrons tant de faits éclatants. Les rois jamais n'envahiront la France. Quittons ce toit où ma raison s'enivre. Oh! Qu'ils sont loin ces jours si regrettés! J'échangerais ce qu'il me reste à vivre Contre un des mois qu'ici Dieu m'a comptés. Pour rêver gloire, amour, plaisir, folie, Pour dépenser sa vie en peu d'instants, D'un long espoir pour la voir embellie, L'ECHELLE DE JACOB Lorsqu'un patriarche, en dormant, Vit la plus longue des échelles, Où, de crainte d'user leurs ailes, Les anges montaient lestement Jusqu'aux portes du firmament, Il vit ses fils, quelqu'un l'assure, Sur l'échelle aussi se hisser, Croyant qu'au ciel on fait l'usure. Grand dieu! Le pied va leur glisser! De ce cri du fils d'Isaac Sa race ne tient aucun compte. À l'échelle chaque hébreu monte, Fraudant eau-de-vie et tabac, Des écus rognés dans un sac. Chargés de bijoux et de traites, Ils vont d'abord, pour commercer, Aux anges vendre des lorgnettes. Grand dieu! Le pied va leur glisser! Mais Jacob en voit deux ou trois Dont nos désastres font la gloire. Un page leur tient l'écritoire: Ils ont des titres, et, je crois,des crachats et même des croix. Riches de l'or de cent provinces, Sur leur coffre ils ont fait tracer: " mont-de-piété pour les princes. " Grand dieu! Le pied va leur glisser! " ah! Dit Jacob, des fils si chers Prouvent que Dieu tient sa promesse. Seuls ils font la hausse et la baisse, Ont seuls tous les emprunts ouverts; Mes fils règnent sur l'univers. C'est la peste à qui rien n'échappe; Voyez dix rois les caresser. Ils se font bénir par le pape. Grand dieu! Le pied va leur glisser! " qui les suit? C'est un cordon bleu Qu'en frère chacun d'eux embrasse. Cet homme est-il bien de ma race? Son trois pour cent le prouve un peu, Mais sandis! n'est pas de l'hébreu. À mes fils comme il se cramponne! Quoi! Pour voir le Jourdain hausser Ils ont assuré la Garonne! Grand dieu! Le pied va leur glisser! " Tandis qu'il les voit à grands pas Sur l'échelle élever leur course, Vient Satan qui crie: " à la bourse! Messieurs, on craint de grands débats. " Bien vite ils regardent en bas. La tête tourne à la séquelle Dont l'orgueil est si haut placé: Le diable a secoué l'échelle. Grand dieu! Le pied leur a glissé! LE CHAPEAU DE LA MARIEE Demain engagez votre foi; À l'église allez sans scrupule. Fille trompeuse, oubliez-moi Pour un époux riche et crédule. Des roses qui naissaient pour lui La dîme à tort me fut payée; Mais en retour j'offre aujourd'hui Le chapeau de la mariée. Acceptez ces fleurs d'oranger; Qu'à votre voile on les attache. Sous le joug fier de se ranger, Que l'époux dise: elle est sans tache. L'amour se plaint, mais c'est tout bas; Mais par vous la vierge est priée. Allez, on n'arrachera pas Quand vos soeurs se partageront Ces fleurs qu'on dit d'heureux augure, Les garçons vous déroberont Une plus secrète parure. La jarretière, pensez-y! Chez moi vous l'avez oubliée. Me faudra-t-il la joindre aussi Au chapeau de la mariée? La nuit vient; vous poussez deux cris Imités de ce cri si tendre Qu'un jour au coeur le plus épris Votre innocence a fait entendre. Le lendemain l'époux cent fois Raconte à la noce égayée Que l'hymen s'est piqué les doigts Au chapeau de la mariée. Le voilà trompé ce mari! Ah! Qu'il le soit bien plus encore. Dieu! Quel fol espoir m'a souri Quand pour lui l'autel se décore! Malgré le prêtre et ton serment, Oui, par tes pleurs justifiée, Tu viendras payer à l'amant Le chapeau de la mariée. LA METEMPSYCOSE Grand partisan de la métempsycose, En philosophe, hier, sur l'oreiller, De mes penchants pour connaître la cause, J'ai mis mon ame en train de babiller. Elle m'a dit: tu me dois un beau cierge, Car sans mon souffle au néant tu restais; Mais jusqu'à toi je n'arrivai point vierge. -ah! Mon ame, je m'en doutais, Je m'en doutais, je m'en doutais. Je m'en souviens, oui, dit-elle, humble lierre, J'ai couronné jadis des fronts joyeux; Puis, échauffant plus subtile matière, Petit oiseau, je saluai les cieux. Dans le bocage, auprès des pastourelles, Je voltigeais, je sautais, je chantais; L'indépendance agrandissait mes ailes. -ah! Mon ame, je m'en doutais, Je m'en doutais, je m'en doutais. Je fus Médor, des chiens le plus habile, Qui, d'un aveugle unique et sûr appui, Entre ses dents sut prendre une sébile, Guider son maître et mendier pour lui. Utile au pauvre, au riche sachant plaire, Pour nourrir l'un chez l'autre je quêtais. J'ai fait du bien, puisque j'en ai fait faire. -ah! Mon ame, je m'en doutais, Je m'en doutais, je m'en doutais. Puis j'animai la beauté d'une fille. Que j'étais bien dans ma douce prison Mais de mon gîte on s'empare, on le pille; Tous les amours y mettent garnison. En vrais soudards ils y faisaient esclandre; Et jour et nuit, du coin que j'habitais, À la maison je voyais le feu prendre. -ah! Mon ame, je m'en doutais, Je m'en doutais, je m'en doutais. Sur tes penchants que mon récit t'éclaire; Mais, dit mon ame, apprends aussi de moi Qu'au ciel un jour ayant osé déplaire, Pour m'en punir, Dieu m'enferma chez toi. Veilles, travaux, artifices de femme, Pleurs, désespoir, et des maux que je tais, Font qu'un poëte est l'enfer pour une ame. -ah! Mon ame, je m'en doutais, Je m'en doutais, je m'en doutais. LES PAUVRES AMOURS Trois douzaines de cupidons, Qu'une actrice a mis sur la paille, Hier mendiaient, et la marmaille Les poursuivait de gais lardons. Chez Lise ils frappent d'un air triste; Lise répond: nous sommes sourds. Quoi! Vivrez-vous donc toujours, Vieux petits culs nus d'amours? Allez, dieu vous assiste! Par-tout en France on vous fourra. Vous avez guindé la sculpture, Vous avez fardé la peinture, Vous affadissez l'opéra. Des Anacréons j'ai la liste; Ils encombrent ville et faubourgs. Vous les couronnez toujours, Vieux petits culs nus d'amours; Allez, dieu vous assiste! Quittez votre Olympe en débris. Que Mars, Phébus, Bacchus, Minerve, Voguent avec vous de conserve; À Gnide remmenez Cypris. Les graces suivront à la piste, Phébé guidera votre cours. Émigrez, mais pour toujours, Vieux petits culs nus d'amours; Allez, dieu vous assiste! Emballez avec tous vos dieux Flore et l'aurore aux doigts de roses; Par leur nom appelons les choses, Les choses n'en plairont que mieux. Mon coeur à l'amant qui persiste Se rend bien sans votre secours. Sans vous j'aimerai toujours, Vieux petits culs nus d'amours; Allez, dieu vous assiste! En leur fermant la porte au nez Parlait ainsi la tendre Lise, Quand près d'eux passe une marquise Dont à peine ils sont les aînés. La dame, quoique moraliste, Leur dit: rendez-moi mes beaux jours. Dans ma chambre et pour toujours, Chers petits culs nus d'amours, Venez; dieu vous assiste! A M. GOHIER 1825 Oui, je dormais sur un petit volume Qui me vaudra d'être encore étrillé, Lorsqu'en flatteur le bout de votre plume, Me chatouillant, m'a soudain réveillé. Je me suis dit: c'est présage céleste; Les mauvais jours seraient-ils donc passés? Car je ne sais si quelque fouet nous reste, Mais jusqu'ici c'est qu'on nous a fessés. Tout gai frondeur, semant le ridicule, Ne peut chez nous qu'en recueillir du mal. Notre empereur portait longue férule; Puis est venu le martinet royal; Et puis le knout, et puis les fils d'Ignace, Dont tous les fouets contre nous sont dressés. Dieu soit béni! Mais, s'il ne nous fait grace, Les chansonniers seront toujours fessés. J'ai bien reçu ma part des étrivières! Grippe-Minaud m'en donna pour trois mois. En refaisant des noeuds à ses lanières, Il me poursuit encor d'un oeil sournois. Si de Tartufe on n'entend les trois messes, Si pour les grands l'encens ne brûle assez, C'est fait de nous! Nos seigneurs les Jean-fesses Aiment à voir les bonnes gens fessés. Vous qui chantez comme on chante au bel âge, Des rois, des saints, ne plaisantez donc pas; Ou, trop enclin au joyeux persiflage, Vivez long-temps, allez bien tard là-bas. Car en enfer on marque votre place; Des noirs démons les bras sont retroussés. Vous et Collé, même aussi votre Horace, Ensemble un jour vous serez tous fessés. COUPLET ECRIT SUR REC. CHANSONS Si j'étais roi, roi de la chansonnette, Comme en secret me l'a dit maint flatteur, Votre recueil à ma muse inquiète Dénoncerait un jeune usurpateur. Car les conseils qu'en si bons vers il donne Au pauvre peuple, objet de tant d'effroi, Feraient trembler mon sceptre et ma couronne, Si j'étais roi. LE CONVOI DE DAVID Non, non, vous ne passerez pas, Crie un soldat sur la frontière, À ceux qui de David, hélas! Rapportaient chez nous la poussière. -soldat, disent-ils dans leur deuil, Proscrit-on aussi sa mémoire? Quoi! Vous repoussez son cercueil, Et vous héritez de sa gloire! Choeur. Fût-il privé de tous les biens, Eût-il à trembler sous un maître, Heureux qui meurt parmi les siens Aux bords sacrés qui l'ont vu naître! Non, non, vous ne passerez pas, Dit le soldat avec furie. -soldat, ses yeux jusqu'au trépas Se sont tournés vers la patrie. Il en soutenait la splendeur Du fond d'un exil qui l'honore; C'est par lui que notre grandeur Sur la toile respire encore. Choeur. Fût-il privé de tous les biens, Eût-il à trembler sous un maître, Heureux qui meurt parmi les siens Aux bords sacrés qui l'ont vu naître! Non, non, vous ne passerez pas, Redit plus bas la sentinelle. -le peintre de Léonidas Dans la liberté n'a vu qu'elle. On lui dut le noble appareil Des jours de joie et d'espérance, Où les beaux-arts à leur réveil Fêtaient le réveil de la France. Choeur. Fût-il privé de tous les biens, Eût-il à trembler sous un maître, Heureux qui meurt parmi les siens Aux bords sacrés qui l'ont vu naître! Non, non, vous ne passerez pas, Dit le soldat; c'est ma consigne. -du plus grand de tous les soldats Il fut le peintre le plus digne. À l'aspect de l'aigle si fier, Plein d'Homère et l'ame exaltée, David crut peindre Jupiter, Hélas! Il peignait Prométhée. Choeur. Fût-il privé de tous les biens, Eût-il à trembler sous un maître, Heureux qui meurt parmi les siens Aux bords sacrés qui l'ont vu naître! Non, non, vous ne passerez pas, Dit le soldat, devenu triste. -le héros après cent combats Succombe, et l'on proscrit l'artiste. Chez l'étranger la mort l'atteint: Qu'il dut trouver sa coupe amère! Aux cendres d'un génie éteint, France, tends les bras d'une mère. Choeur. Fût-il privé de tous les biens, Eût-il à trembler sous un maître, Heureux qui meurt parmi les siens Aux bords sacrés qui l'ont vu naître! Non, non, vous ne passerez pas, Dit la sentinelle attendrie. -eh bien! Retournons sur nos pas. Adieu, terre qu'il a chérie! Les arts ont perdu le flambeau Qui fit pâlir l'éclat de Rome. Allons mendier un tombeau Pour les restes de ce grand homme. Choeur. Fût-il privé de tous les biens, Eût-il à trembler sous un maître, Heureux qui meurt parmi les siens Aux bords sacrés qui l'ont vu naître! LE CHASSEUR ET LA LAITIERE L'alouette à peine éveillée Chante l'aurore d'un beau jour; Suis le chasseur sous la feuillée, Laitière; il parlera d'amour. Dans la rosée allons, ma chère, Cueillir pour toi fleurs du printemps. -non, beau chasseur, je crains ma mère. Je ne veux pas perdre mon temps. Ta mère et sa chèvre fidèle Sont loin derrière ce coteau. Écoute une chanson nouvelle Qui vient des dames du château. Fille qui la peut faire entendre Doit fixer les plus inconstants. -chasseur, j'en sais une aussi tendre. Pour la dire apprends l'aventure Du spectre d'un baron jaloux, Entraînant à sa sépulture La beauté dont il fut l'époux. Ce récit, quand la nuit est noire, Fait frissonner les assistants. -chasseur, je connais cette histoire. Je puis t'enseigner des prières Pour charmer la fureur des loups, Ou pour conjurer des sorcières L'oeil malfaisant tourné vers nous. Crains qu'une vieille, en sa misère, Ne jette un sort sur ton printemps. -chasseur, n'ai-je pas un rosaire? Eh bien! Vois cette croix qui brille; Compte ses rubis précieux. Sur le sein d'une jeune fille Elle attirerait tous les yeux. Prends-la malgré ce qu'elle coûte; Mais songe au prix que j'en attends. -qu'elle est belle! Ah! Je vous écoute. Ce n'est pas là perdre mon temps. BONSOIR Couplets à M Laisney, imprimeur à Péronne. Mon cher Laisney, trinquons, trinquons encore À nos beaux jours promptement écoulés. Comme ils sont loin les feux de notre aurore! Que de plaisirs avec eux envolés! Mais de regrets faut-il qu'on se repaisse? Non; la gaîté nourrit encor l'espoir. Mon vieil ami, quand pour nous le jour baisse, Souhaitons-nous un gai bonsoir. Cinquante hivers ont passé sur ta tête; J'ai de bien près cheminé sur tes pas. Mais ces hivers ont eu leurs jours de fête; Tout ne fut point aquilons et frimas. Aurions-nous mieux employé la jeunesse, Vécu moins vite avec un riche avoir? Souhaitons-nous un gai bonsoir. Dans l'art des vers c'est toi qui fus mon maître; Je t'effaçai sans te rendre jaloux. Si les seuls fruits que pour nous Dieu fit naître Sont des chansons, ces fruits sont assez doux. Dans nos refrains que le passé renaisse; L'illusion nous rendra son miroir. Souhaitons-nous un gai bonsoir. Reposons-nous; car les amours, sans doute, Pour qui jadis nous avons tant marché, Nous crîraient tous, s'ils nous trouvaient en route: Allez dormir, le soleil est couché. Mais l'amitié, l'ombre fût-elle épaisse, Vient allumer nos lampes pour y voir. Souhaitons-nous un gai bonsoir. LE MISSIONNAIRE DE MONTROUGE Pour la fête de Marie. (c'est un dindon qui est censé parler.) Ave, Maria! ma voisine, Que le ciel daigne vous toucher! Montrouge, où l'esprit saint domine, M'envoie ici pour vous prêcher. On exalte en vain votre grace, Votre gaîté, vos heureux goûts. Glous! Glous! Glous! Glous! Reconnaissez la voix d'Ignace: Pleurez et convertissez-vous. Vous applaudissez aux lumières D'un siècle aveugle et perverti, Votre raison ne se plaît guères Qu'avec Voltaire et son parti. Ah! Préférez à leur audace L'esprit d'un frère coupe-choux. Glous! Glous! Glous! Glous! Reconnaissez la voix d'Ignace: Pleurez et convertissez-vous. Les arts vous tiennent sous le charme, Phébus pour vous prend son archet; Mais leur gloire aussi nous alarme: Demandez à l'ami Franchet. Aigles et cygnes, quoi qu'on fasse, Sont toujours de méchants ragoûts. Glous! Glous! Glous! Glous! Reconnaissez la voix d'Ignace: Pleurez et convertissez-vous. Cessez de vanter l'industrie Dont votre époux soutient l'honneur. Vous croyez qu'il sert la patrie, Que du travail naît le bonheur; Mais au peuple on rend la besace Pour qu'il dépende encor de nous. Glous! Glous! Glous! Glous! Reconnaissez la voix d'Ignace: Pleurez et convertissez-vous. Vous êtes sur-tout bienfaisante, Le pauvre au pauvre le redit; Mais la bonté reste impuissante Lorsqu'on est chez nous sans crédit. Voici les parts qu'il faut qu'on fasse: À nous l'or, aux pauvres les sous. Glous! Glous! Glous! Glous! Reconnaissez la voix d'Ignace: Pleurez et convertissez-vous. Grace à tous les gens de ma robe Qui sont martyrs en ces bas lieux, Souffrez qu'à l'enfer je dérobe Votre ame si digne des cieux. Avant peu, si Dieu nous fait grace, On rôtira d'autres que nous. Glous! Glous! Glous! Glous! Reconnaissez la voix d'Ignace: Pleurez et convertissez-vous. Oui, Marie, en vain l'on se moque Du pauvre père de la foi; Vos beaux esprits, que je provoque, À table plairaient moins que moi. Qu'à la vôtre on me donne place, J'embellirai ce jour si doux. Glous! Glous! Glous! Glous! De truffes parfumez Ignace: Riez et divertissez-vous. COUPLETS SUR WATERLOO De vieux soldats m'ont dit: " grace à ta muse, Le peuple enfin a des chants pour sa voix. Ris du laurier qu'un parti te refuse; Consacre encor des vers à nos exploits. Chante ce jour qu'invoquaient des perfides, Ce dernier jour de gloire et de revers. " -j'ai répondu, baissant des yeux humides: Son nom jamais n'attristera mes vers. Qui, dans Athène, au nom de Chéronée Mêla jamais des sons harmonieux? Par la fortune Athènes détrônée Maudit Philippe, et douta de ses dieux. Un jour pareil voit tomber notre empire, Voit l'étranger nous rapporter des fers, Voit des français lâchement leur sourire. Périsse enfin le géant des batailles! Disaient les rois: peuples, accourez tous. La liberté sonne ses funérailles; Par vous sauvés, nous règnerons par vous. Le géant tombe, et ces nains sans mémoire À l'esclavage ont voué l'univers. Des deux côtés ce jour trompa la gloire. Mais quoi! Déja les hommes d'un autre âge De ma douleur se demandent l'objet. Que leur importe en effet ce naufrage? Sur le torrent leur berceau surnageait. Qu'ils soient heureux! Leur astre qui se lève Du jour funeste efface les revers. Mais, dût ce jour n'être plus qu'un vain rêve, COUPLET SUR ALBUM MME DE V... Que bien long-temps cet album vous redise Qu'un chansonnier tendre, mais déja vieux, Trouvant en vous bonté, grace, franchise, Fut un moment la dupe de vos yeux. Quoi! Par amour? Non: il n'y doit plus croire. Mais, las! Il prit, par vous trop bien flatté, Pour un sourire de la gloire Le sourire de la beauté. ORAISON FUNEBRE DE TURLUPIN Il meurt, et la joie expire! Il meurt, lui qui si souvent Nous a fait mourir de rire À son théâtre en plein vent! Il nous charmait à toute heure, Ah! Soit en Gilles, soit en Scapin. Que l'on pleure, pleure, pleure Au convoi de Turlupin. Sans daigner le reconnaître, Notre siècle si profond A vu Socrate renaître Sous l'habit de ce bouffon. Pour que son nom lui survive, Ah! Prends, Clio, prends ton calepin. Qu'on écrive, écrive, écrive L'histoire de Turlupin. Culot d'une sainte abbesse Et d'un prélat respecté, Turlupin de sa noblesse Ne tirait point vanité. Il ne pouvait voir sans rire, Ah! Ses aïeux cités dans Turpin. Qu'on admire, admire, admire Le bon sens de Turlupin. D'abord il prit la bastille, Fut soldat, et puis blessé, Vint jouer à la courtille, Par la misère engraissé. La gaîté fut sa recette, Ah! Sa poudre de prelinpinpin. Qu'on achète, achète, achète Le secret de Turlupin. Doux censeur des grandeurs fausses, Aux pauvres, ses bons amis, En rafistolant ses chausses, Il disait, pauvre et mal mis: Au vrai bonheur puisqu'il mène, Ah! Le sabot vaut bien l'escarpin. Que l'on prenne, prenne, prenne Des leçons de Turlupin. -du roi viens voir la personne. -non, répondait-il, non pas. Ôtera-t-il sa couronne Quand je mettrai chapeau bas? Ma foi, s'il faut crier vive! Ah! Vive l'ami qui cuit mon pain! Que l'on suive, suive, suive L'exemple de Turlupin. -chante au peuple des dimanches Les vainqueurs pour dix écus. -moi, déshonorer mes planches! Non, dit-il, gloire aux vaincus! -en prison suis-nous donc vite. -ah! Je vous suis, Monsieur De Crispin. Qu'on imite, imite, imite Ce beau trait de Turlupin. Veux-tu qu'Ignace t'assiste? -non, fi de ces noirs manteaux! Entre eux et nous il existe Rivalité de tréteaux. Ton dieu, Marie Alacoque, Ah! N'est pas plus mon dieu que Jupin. Qu'on invoque, invoque, invoque Le dieu du bon Turlupin. Messieurs, honorons la cendre De qui n'eut qu'un seul défaut. Sa mère était chaude et tendre, Turlupin fut tendre et chaud. Il eût de la pomme d'ève, Ah! Croqué jusqu'au dernier pépin. Qu'on élève, élève, élève Une tombe à Turlupin. A MADEMOISELLE Mes dernières chansons. Accueillez-les ces chansons où ma muse Vous peint l'amour tout prêt à m'échapper; Vante la gloire, ombre qui nous abuse, Qu'un jour produit, qu'un jour peut dissiper. L'un est pour vous un dieu sans importance, L'autre séduit votre esprit hasardeux. Quant à l'amour, moi je soutiens, Hortense, Qu'il est encor le moins trompeur des deux. LES DEUX GRENADIERS 1814 Premier Grenadier. À notre poste on nous oublie. Richard, minuit sonne au château. Deuxième Grenadier. Nous allons revoir l'Italie. Demain adieu, Fontainebleau. Premier Grenadier. Par le ciel! Que j'en remercie, L'île d'Elbe est un beau climat. Deuxième Grenadier. Fût-elle au fond de la Russie, Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat. Ensemble. Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat, Suivons un vieux soldat. Deuxième Grenadier. Qu'elles sont promptes les défaites! Où sont Moscou, Wilna, Berlin? Je crois voir sur nos baïonnettes Luire encor les feux du kremlin; Et, livré par quelques perfides, Paris coûte à peine un combat! Nos gibernes n'étaient pas vides. Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat. Premier Grenadier. Chacun nous répète: il abdique. Quel est ce mot? Apprends-le-moi. Rétablit-on la république? Deuxième Grenadier. Non, puisqu'on nous ramène un roi. L'empereur aurait cent couronnes, Je concevrais qu'il les cédât; Sa main en faisait des aumônes. Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat. Premier Grenadier. Une lumière, à ces fenêtres, Brille à peine dans le château. Deuxième Grenadier. Les valets à nobles ancêtres Ont fui, le nez dans leur manteau. Tous, dégalonnant leurs costumes, Vont au nouveau chef de l'état De l'aigle mort vendre les plumes. Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat. Premier Grenadier. Des maréchaux, nos camarades, Désertent aussi gorgés d'or. Deuxième Grenadier. Notre sang paya tous leurs grades; Heureux qu'il nous en reste encor! Quoi! La gloire fut en personne Leur marraine un jour de combat, Et le parrain on l'abandonne! Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat. Premier Grenadier. Après vingt-cinq ans de services J'allais demander du repos. Deuxième Grenadier. Moi, tout couvert de cicatrices, Je voulais quitter les drapeaux; Mais, quand la liqueur est tarie, Briser le vase est d'un ingrat. Adieu, femme, enfants et patrie! Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat. Ensemble. Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat, Suivons un vieux soldat. LE PELERINAGE DE LISETTE À notre-dame de Liesseallons, me dit Lisette un jour. J'ai peu de foi, je le confesse; Mais Lise, malgré plus d'un tour, Ferait tout croire à mon amour. Ami, notre joyeux ménage Scandalise le voisinage. Prenons, dit-elle, prenons donc, Pour aller en pèlerinage, Prenons, dit-elle, prenons donc Coquilles, rosaire et bourdon. Dame sorbonne, ajoute Lise, Remonte sur ses grands chevaux. Nos ducs vont bâiller à l'église, Et nos philosophes nouveaux Se sont faits tant soit peu dévots. Chaque siècle a son amusette: Nous édifîrons la gazette. Prenons, mon ami, prenons donc, Pour qu'on dise sainte Lisette, Prenons, mon ami, prenons donc Coquilles, rosaire et bourdon. Voilà les pèlerins en route. À pied nous chantons en marchant. À chaque auberge, quoi qu'il coûte, Nouveau repas et nouveau chant; Par-tout trinquant, par-tout couchant. Le dieu qui d'aï nous asperge Sourit sous des rideaux de serge. Ma Lisette, prenions-nous donc, Pour mener l'amour à l'auberge, Ma Lisette, prenions-nous donc Coquilles, rosaire et bourdon? Aux pieds de la vierge des vierges À genoux enfin nous voilà. Vient un diacre allumer nos cierges, Lise se dit: à Loyola Je veux souffler cet abbé-là. Je me fâche, et de ses poursuites Lui montre, hélas! Les tristes suites. Quoi! Volage, preniez-vous donc, Pour vous mettre à dos les jésuites, Quoi! Volage, preniez-vous donc Coquilles, rosaire et bourdon? Mais à souper Lise l'attire, Le fait boire, jurer, chanter. De l'enfer il se prend à rire; Du pape il ose plaisanter, Moi, je m'endors à l'écouter. À mon réveil, dieu! Le peindrai-je Abjurant ses goûts de collège?... Ah! Traîtresse, vous preniez donc, Pour les plaisirs du sacrilège, Ah! Traîtresse, vous preniez donc Coquilles, rosaire et bourdon? Des beaux miracles de Liesse Je garde un triste souvenir. Notre abbé dit messe sur messe, Et, Dieu l'aidant à parvenir, Archevêque il veut nous bénir. Sainte Lisette par famine Quelque jour se fera béguine. Prenez, grisettes, prenez donc Des leçons de la pèlerine; Prenez, grisettes, prenez donc Coquilles, rosaire et bourdon. ENCORE DES AMOURS Je me disais: tous les dieux du bel âge M'ont délaissé; me voilà seul et vieux. Adieu l'espoir que leur troupe volage M'avait donné de me fermer les yeux! Je le disais lorsqu'une enchanteresse Vient et d'un mot ravit mes sens troublés. Ah! C'est encor quelque beauté traîtresse: Tous les amours ne sont pas envolés. Oui, c'est encor quelque sujet de peine, Mais du repos je suis si fatigué! Lorsqu'à trente ans je pliais sous ma chaîne, Plus malheureux pourtant j'étais plus gai. Le ciel m'envoie une reine nouvelle; Combien d'attraits les siens m'ont rappelés! Roses d'automne, effeuillez-vous pour elle: Mes yeux encore ont des pleurs à répandre; Ma voix encore a des chants amoureux. Aimons, chantons. La beauté vient m'apprendre À triompher des hivers rigoureux. Tout me sourit: les fleurs brillent plus belles, Les jours plus purs, les cieux plus étoilés. Dans l'air plus doux j'entends battre des ailes. LA MORT DU DIABLE Du miracle que je retrace Dans ce récit des plus succincts Rendez gloire au grand saint Ignace, Patron de tous nos petits saints. Par un tour, qui serait infame Si les saints pouvaient avoir tort, Au diable il a fait rendre l'ame. Le diable est mort, le diable est mort. Satan, l'ayant surpris à table, Lui dit: trinquons, ou sois honni. L'autre accepte, mais verse au diable Dans son vin un poison béni. Satan boit, et, pris de colique, Il jure, il grimace, il se tord; Il crève comme un hérétique. Il est mort! Disent tous les moines; On n'achètera plus d'agnus. Il est mort! Disent les chanoines; On ne paîra plus d'oremus. Au conclave on se désespère: Adieu, puissance et coffre-fort! Nous avons perdu notre père. L'amour sert bien moins que la crainte; Elle nous comblait de ses dons. L'intolérance est presque éteinte; Qui rallumera ses brandons? À notre joug si l'homme échappe, La vérité luira d'abord: Dieu sera plus grand que le pape. Ignace accourt: que l'on me donne, Leur dit-il, sa place et ses droits. Il n'épouvantait plus personne; Je ferai trembler jusqu'aux rois. Vols, massacres, guerres ou pestes, M'enrichiront du sud au nord. Dieu ne vivra que de mes restes. Tous de s'écrier: ah! Brave homme! Nous te bénissons dans ton fiel. Soudain son ordre, appui de Rome, Voit sa robe effrayer le ciel. Un choeur d'anges, l'ame contrite, Dit: des humains plaignons le sort; De l'enfer saint Ignace hérite. LE PRISONNIER DE GUERRE Marie, enfin quitte l'ouvrage, Voici l'étoile du berger. -ma mère, un enfant du village Languit captif chez l'étranger: Pris sur mer, loin de sa patrie, Il s'est rendu, mais le dernier. File, file, pauvre Marie, Pour secourir le prisonnier; File, file, pauvre Marie, File, file pour le prisonnier. Tu le veux, ma lampe s'allume. Eh quoi! Ma fille, encor des pleurs! -d'ennui, ma mère, il se consume; L'anglais insulte à ses malheurs. Tout jeune, Adrien m'a chérie; Il égayait notre foyer. File, file, pauvre Marie, Pour secourir le prisonnier; File, file, pauvre Marie, File, file pour le prisonnier. Pour lui je filerais moi-même, Mon enfant; mais j'ai tant vieilli! -envoyez à celui que j'aime Tout le gain par moi recueilli. Rose à sa noce en vain me prie: Dieu! J'entends le ménétrier! File, file, pauvre Marie, Pour secourir le prisonnier; File, file, pauvre Marie, File, file pour le prisonnier. Plus près du feu file, ma chère; La nuit vient refroidir le temps. -Adrien, m'a-t-on dit, ma mère, Gémit dans des cachots flottants. On repousse la main flétrie Qu'il étend vers un pain grossier. File, file, pauvre Marie, Pour secourir le prisonnier; File, file, pauvre Marie, File, file pour le prisonnier. Ma fille, j'ai naguère encore Rêvé qu'il était ton époux. Même avant la trentième aurore Mes rêves s'accomplissent tous. -quoi! L'herbe à peine refleurie Verra le retour du guerrier! File, file, pauvre Marie, Pour secourir le prisonnier; File, file, pauvre Marie, File, file pour le prisonnier. LE DAUPHIN Du bon vieux temps souffrez que je vous parle. Jadis Richard, troubadour renommé, Eut pour roi Jean, Louis, Philippe ou Charle, Ne sais lequel; mais il en fut aimé. D'un gros dauphin on fêtait la naissance; Richard à Blois était depuis un jour. Il apprit là le bonheur de la France. Pour votre roi chantez, gai troubadour! Chantez, chantez, jeune et gai troubadour! La harpe en main, Richard vient sur la place. Chacun lui dit: chantez notre garçon. Dévotement à la vierge il rend grace, Puis au dauphin consacre une chanson. On l'applaudit: l'auteur était en veine. Mainte beauté le trouve fait au tour, Disant tout bas: il doit plaire à la reine. Pour votre roi chantez, gai troubadour! Chantez, chantez, jeune et gai troubadour! Le chant fini, Richard court à l'église. Qu'y va-t-il faire? Il cherche un confesseur; Il en trouve un, gros moine à barbe grise, Des moeurs du temps inflexible censeur. -ah! Sauvez-moi des flammes éternelles! Mon père, hélas! C'est un vilain séjour. -qu'avez-vous fait? -j'ai trop aimé les belles. Pour votre roi chantez, gai troubadour! Chantez, chantez, jeune et gai troubadour! Le grand malheur, mon père, c'est qu'on m'aime. -parlez, mon fils; expliquez-vous enfin. -j'ai fait, hélas! Narguant le diadème, Un gros péché, car j'ai fait un dauphin. D'abord le moine a la mine ébahie; Mais il reprend: vous êtes bien en cour? Pourvoyez-nous d'une riche abbaye. Pour votre roi chantez, gai troubadour! Chantez, chantez, jeune et gai troubadour! Le moine ajoute: eût-on fait à la reine Un prince ou deux, on peut être sauvé. Parlez de nous à notre souveraine; Allez, mon fils, vous direz cinq ave. Richard absous, gagnant la capitale, Au nouveau-né voit prodiguer l'amour. Vive à jamais notre race royale! Pour votre roi chantez, gai troubadour! Chantez, chantez, jeune et gai troubadour! LE PETIT HOMME ROUGE Une ancienne tradition populaire supposait L'existence d'un homme rouge qui apparaissait dans Les tuileries lors de quelque événement malheureux Pour les maîtres de ce château. Cette tradition Reprit cours sous Napoléon. Foin des mécontents! Comme balayeuse on me loge, Depuis quarante ans, Dans le château, près de l'horloge. Or, mes enfants, sachez Que là, pour mes péchés, Du coin, d'où le soir je ne bouge, J'ai vu le petit homme rouge. Saints du paradis, Priez pour Charles Dix. Vous figurez-vous Ce diable habillé d'écarlate? Bossu, louche et roux, Un serpent lui sert de cravate. Il a le nez crochu; Il a le pied fourchu; Sa voix rauque en chantant présage Au château grand remuménage. Saints du paradis, Priez pour Charles Dix. Je le vis, hélas! En quatre-vingt-douze apparaître. Nobles et prélats Abandonnaient notre bon maître. L'homme rouge venait En sabots, en bonnet. M'endormais-je un peu sur ma chaise, Il entonnait la marseillaise. Saints du paradis, Priez pour Charles Dix. J'eus à balayer; Mais lui bientôt par la gouttière Revint m'effrayer Pour ce bon Monsieur Robespierre. Lors il était poudré, Parlait mieux qu'un curé, Ou, comme riant de lui-même, Chantait l'hymne à l'être suprême. Saints du paradis, Priez pour Charles Dix. Depuis la terreur Plus n'y pensais, lorsque sa vue Du bon empereur M'annonça la chute imprévue. En toque il avait mis Vingt plumets ennemis, Et chantait au son d'une vielle Vive Henri Quatre et Gabrielle! Saints du paradis, Priez pour Charles Dix. Soyez donc instruits, Enfants, mais qu'ailleurs on l'ignore, Que depuis trois nuits L'homme rouge apparaît encore. Riant d'un air moqueur, Il chante comme au choeur, Baise la terre, et puis ensuite Met un grand chapeau de jésuite. Saints du paradis, Priez pour Charles Dix. LES BOHEMIENS Sorciers, bateleurs ou filous, Reste immonde D'un ancien monde, Sorciers, bateleurs ou filous, Gais bohémiens, d'où venez-vous? D'où nous venons? L'on n'en sait rien. L'hirondelle D'où vous vient-elle? D'où nous venons? L'on n'en sait rien. Où nous irons, le sait-on bien? Sans pays, sans prince et sans lois, Notre vie Doit faire envie. Sans pays, sans prince et sans lois, L'homme est heureux un jour sur trois. Tous indépendants nous naissons, Sans église Qui nous baptise; Tous indépendants nous naissons Au bruit du fifre et des chansons. Nos premiers pas sont dégagés, Dans ce monde Où l'erreur abonde, Nos premiers pas sont dégagés Du vieux maillot des préjugés. Au peuple, en butte à nos larcins, Tout grimoire En peut faire accroire. Au peuple, en butte à nos larcins, Il faut des sorciers et des saints. Trouvons-nous Plutus en chemin, Notre bande Gaîment demande. Trouvons-nous Plutus en chemin, En chantant nous tendons la main. Pauvres oiseaux que Dieu bénit! De la ville Qu'on nous exile; Pauvres oiseaux que Dieu bénit! Au fond des bois pend notre nid. À tâtons l'amour, chaque nuit, Nous attelle Tous pêle-mêle; À tâtons l'amour, chaque nuit, Nous attelle au char qu'il conduit. Ton oeil ne peut se détacher, Philosophe De mince étoffe, Ton oeil ne peut se détacher Du vieux coq de ton vieux clocher. Voir c'est avoir. Allons courir! Vie errante Est chose enivrante. Voir c'est avoir. Allons courir! Car tout voir c'est tout conquérir. Mais à l'homme on crie en tout lieu, Qu'il s'agite, Ou croupisse au gîte; Mais à l'homme on crie en tout lieu: " tu nais, bonjour; tu meurs, adieu. " Quand nous mourons, vieux ou bambin, Homme ou femme, À Dieu soit notre ame! Quand nous mourons, vieux ou bambin, On vend le corps au carabin. Nous n'avons donc, exempts d'orgueil, De lois vaines, De lourdes chaînes; Nous n'avons donc, exempts d'orgueil, Ni berceau, ni toit, ni cercueil. Mais, croyez-en notre gaîté, Noble ou prêtre, Valet ou maître; Mais, croyez-en notre gaîté, Le bonheur c'est la liberté. Oui, croyez-en notre gaîté, Noble ou prêtre, Valet ou maître; Oui, croyez-en notre gaîté, Le bonheur c'est la liberté. LES SOUVENIRS DU PEUPLE On parlera de sa gloire Sous le chaume bien long-temps. L'humble toit, dans cinquante ans, Ne connaîtra plus d'autre histoire. Là viendront les villageois Dire alors à quelque vieille: Par des récits d'autrefois, Mère, abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encor le révère, Oui, le révère. Parlez-nous de lui, grand'mère; Parlez-nous de lui. Mes enfans, dans ce village, Suivi de rois, il passa. Voilà bien long-temps de ça: Je venais d'entrer en ménage. À pied grimpant le coteau Où pour voir je m'étais mise, Il avait petit chapeau Avec redingote grise. Près de lui je me troublai, Il me dit: bonjour, ma chère, Bonjour, ma chère. -il vous a parlé, grand'mère! Il vous a parlé! L'an d'après, moi, pauvre femme, À Paris étant un jour, Je le vis avec sa cour: Il se rendait à notre-dame. Tous les coeurs étaient contents; On admirait son cortège. Chacun disait: quel beau temps! Le ciel toujours le protège. Son sourire était bien doux; D'un fils Dieu le rendait père, Le rendait père. -quel beau jour pour vous, grand'mère! Quel beau jour pour vous! Mais, quand la pauvre Champagne Fut en proie aux étrangers, Lui, bravant tous les dangers, Semblait seul tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends frapper à la porte; J'ouvre, bon dieu! C'était lui, Suivi d'une faible escorte. Il s'asseoit où me voilà, S'écriant: oh! Quelle guerre! Oh! Quelle guerre! -il s'est assis là, grand'mère! Il s'est assis là! J'ai faim, dit-il, et bien vite Je sers piquette et pain bis; Puis il sèche ses habits, Même à dormir le feu l'invite. Au réveil, voyant mes pleurs, Il me dit: bonne espérance! Je cours de tous ses malheurs Sous Paris venger la France. Il part; et comme un trésor J'ai depuis gardé son verre, Gardé son verre. -vous l'avez encor, grand'mère! Vous l'avez encor! Le voici. Mais à sa perte Le héros fut entraîné. Lui, qu'un pape a couronné, Est mort dans une île déserte. Long-temps aucun ne l'a cru; On disait: il va paraître. Par mer il est accouru; L'étranger va voir son maître. Quand d'erreur on nous tira, Ma douleur fut bien amère, Fut bien amère. -Dieu vous bénira, grand'mère; Dieu vous bénira. LES NEGRES ET LES MARIONNETTES Sur son navire un capitaine Transportait des noirs au marché. L'ennui les tuait par vingtaine: Peste! Dit-il; quel débouché! Fi, que c'est laid, sots que vous êtes! Mais j'ai de quoi vous guérir tous. Venez voir mes marionnettes; Bons esclaves, amusez-vous. Pour tromper leur douleur mortelle, Soudain un théâtre est monté; Soudain paraît Polichinelle, Pour des noirs grande nouveauté. D'abord ils ne savent qu'en dire, Ils se regardent en dessous; Puis aux pleurs se mêle un sourire. Voilà monsieur le commissaire; Il s'attaque au roi des bossus, Qui, trouvant un exemple à faire, Vous l'assomme et souffle dessus. Oubliant tout jusqu'à leurs chaînes, Nos gens poussent des rires fous. L'homme est infidèle à ses peines. Le diable vient; l'ange rebelle Leur plaît sur-tout par sa couleur. Il emporte Polichinelle; Autre accroc fait à la douleur. Cette fin charme l'auditoire: Un noir a triomphé pour tous. Les pauvres gens rêvent la gloire: Ainsi, voguant vers l'Amérique Où s'aggraveront leurs destins, De leur humeur mélancolique Ils sont tirés par des pantins. Tout roi que la peur désenivre Nous prodigue aussi les joujoux. N'allez pas vous lasser de vivre: L'ANGE GARDIEN À l'hospice un gueux tout perclus Voit apparaître son bon ange; Gaîment il lui dit: ne faut plus Que votre altesse se dérange. Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. Sur la paille, né dans un coin, Suis-je enfant du dieu qu'on nous prêche? Oui, dit l'ange; aussi j'eus grand soin Que ta paille fût toujours fraîche. Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. Jeune et vivant à l'abandon, L'aumône fut mon patrimoine. Oui, dit l'ange, et je te fis don De trois besaces d'un vieux moine. Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. Soldat bientôt, courant au feu, Je perdis une jambe en route. Oui, dit l'ange; mais avant peu Cette jambe aurait eu la goutte. Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. Pour mes jours gras, du vin fraudé Mit le juge après mes guenilles. Oui, dit l'ange; mais je plaidai: Tu ne fus qu'un an sous les grilles. Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. Chez Vénus j'entre en maraudeur; C'est tout fruit vert que j'en rapporte. Oui, dit l'ange; mais, par pudeur, Là je te quittais à la porte. Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. D'un laidron je deviens l'époux, Priant qu'il ne soit que volage. Oui, dit l'ange; mais nul de nous Ne se mêle de mariage. Tout compté, je ne vous dois rien:bon ange, adieu; portez-vous bien. Ce pauvre diable ainsi parlant Mettait en gaîté tout l'hospice. Il éternue, et, s'envolant, L'ange lui dit: Dieu te bénisse! Tout compté, je ne vous dois rien: Bon ange, adieu; portez-vous bien. LA MOUCHE Au bruit de notre gaîté folle, Au bruit des verres, des chansons, Quelle mouche murmure et vole, Et revient quand nous la chassons? C'est quelque dieu, je le soupçonne, Qu'un peu de bonheur rend jaloux. Ne souffrons point qu'elle bourdonne, Qu'elle bourdonne autour de nous. Transformée en mouche hideuse, Amis, oui, c'est, j'en suis certain, La raison, déité grondeuse, Qu'irrite un si joyeux festin. L'orage approche, le ciel tonne; Voilà ce que dit son courroux. Ne souffrons point qu'elle bourdonne, C'est la raison qui vient me dire: " à ton âge on vit en reclus. Ne bois plus tant, cesse de rire, Cesse d'aimer, ne chante plus. " Ainsi son beffroi toujours sonne Aux lueurs des feux les plus doux. Ne souffrons point qu'elle bourdonne, C'est la raison; gare à Lisette! Son dard la menace toujours. Dieux! Il perce la collerette: Le sang coule! Accourez, amours! Amours, poursuivez la félonne; Qu'elle expire enfin sous vos coups. Ne souffrons point qu'elle bourdonne, Victoire! Amis, elle se noie Dans l'aï que Lise a versé. Victoire! Et qu'aux mains de la joie Le sceptre enfin soit replacé. Un souffle ébranle sa couronne; Une mouche nous troublait tous. Ne craignons plus qu'elle bourdonne, LES LUTINS DE MONTLHERY À pied, la nuit, en voyage, Je m'étais mis à l'abri Contre le vent et l'orage, Dans la tour de Montlhéry. Je chantais, lorsqu'un long rire D'épouvante m'a glacé; Puis tout haut j'entends dire: Notre règne est passé. Des follets brillent dans l'ombre, Et la voix que j'entendais Se mêle aux cris d'un grand nombre De lutins, de farfadets. Au bruit d'une aigre trompette Le sabbat a commencé. Plus haut la voix répète: " non, dit la voix, plus de fêtes! Esprits, vite délogeons. La raison, par ses conquêtes, Nous bannit des vieux donjons. Le monde a changé d'oracles; Nos prodiges ont cessé. L'homme fait les miracles; " nous donnâmes à la Grèce Ces dieux créés pour les sens, Dont l'éternelle jeunesse Vivait de fleurs et d'encens. Dans la Gaule encor sauvage Pour nous le sang fut versé. Hélas! Même au village " on nous vit, sous vos trophées, Paladins et troubadours, Enchaîner aux pieds des fées Les rois, les saints, les amours. La magie à notre empire Soumit le ciel courroucé. Des sorciers j'entends rire; " la raison nous exorcise; Esprits, fuyons sans retour. " La voix se tait... ô surprise! J'ai cru voir crouler la tour. De leur retraite chérie Tous ont fui d'un vol pressé. Au loin la voix s'écrie: LA COMETE DE 1832 Dieu contre nous envoie une comète; À ce grand choc nous n'échapperons pas. Je sens déja crouler notre planète; L'observatoire y perdra ses compas. Avec la table adieu tous les convives! Pour peu de gens le banquet fut joyeux. Vite à confesse allez, ames craintives. Finissons-en: le monde est assez vieux, Le monde est assez vieux. Oui, pauvre globe égaré dans l'espace, Embrouille enfin tes nuits avec tes jours, Et, cerf-volant dont la ficelle casse, Tourne en tombant, tourne et tombe toujours. Va, franchissant des routes qu'on ignore, Contre un soleil te briser dans les cieux. Tu l'éteindrais; que de soleils encore! Finissons-en: le monde est assez vieux, Le monde est assez vieux. N'est-on pas las d'ambitions vulgaires, De sots parés de pompeux sobriquets, D'abus, d'erreurs, de rapines, de guerres, De laquais-rois, de peuple de laquais? N'est-on pas las de tous nos dieux de plâtre, Vers l'avenir las de tourner les yeux? Ah! C'en est trop pour si petit théâtre. Finissons-en: le monde est assez vieux, Le monde est assez vieux. Les jeunes gens me disent: tout chemine; À petit bruit chacun lime ses fers; La presse éclaire, et le gaz illumine, Et la vapeur vole aplanir les mers. Vingt ans au plus, bon homme, attends encore; L'oeuf éclôra sous un rayon des cieux. Trente ans, amis, j'ai cru le voir éclore. Finissons-en: le monde est assez vieux, Le monde est assez vieux. Bien autrement je parlais quand la vie Gonflait mon coeur et de joie et d'amour. Terre, disais-je, ah! Jamais ne dévie Du cercle heureux où Dieu sema le jour. Mais je vieillis, la beauté me rejette, Ma voix s'éteint, plus de concerts joyeux. Arrive donc, implacable comète. Finissons-en: le monde est assez vieux, Le monde est assez vieux. LE TOMBEAU DE MANUEL Tout est fini; la foule se disperse; À son cercueil un peuple a dit adieu, Et l'amitié des larmes qu'elle verse Ne fera plus confidence qu'à Dieu. J'entends sur lui la terre qui retombe. Hélas! Français, vous l'allez oublier. À vos enfants, pour indiquer sa tombe, Prêtez secours au pauvre chansonnier. Je quête ici pour honorer les restes D'un citoyen votre plus ferme appui. J'eus le secret de ses vertus modestes: Bras, tête et coeur, tout était peuple en lui. L'humble tombeau qui sied à sa dépouille Est par nous tous un tribut à payer. Près de sa fosse un ami s'agenouille: Mon coeur lui doit ces soins pieux et tendres. Voilà douze ans qu'en des jours désastreux, Sur les débris de la patrie en cendres, Nous nous étions rencontrés tous les deux. Moi, je chantais; lui, vétéran d'Arcole, Sourit au luth vengeur d'un vieux laurier. Grace à vos dons, qu'un tombeau me console: L'ambition n'effleurait point sa vie; Mais, même aux champs, rêvant un beau trépas, Il écoutait si la France asservie, En appelant, ne se réveillait pas. Contre la mort j'aurais eu son courage, Quand sur son bras je pouvais m'appuyer. Ma voix pour lui demande un peu d'ombrage: Contre un pouvoir qui de nous se sépare Son éloquence a toujours combattu. Ce n'était point la foudre qui s'égare; C'était un glaive aux mains de la vertu. De la tribune on l'arrache; il en tombe Entre les bras d'un peuple tout entier. La haine est là; défendons bien sa tombe: Tu l'oublias, peuple encor trop volage, Sitôt qu'à l'ombre il goûta le repos. Mais, noble esquif mis à sec sur la plage, Il dut compter sur le retour des flots. La seule mort troubla la solitude Où mes chansons accouraient l'égayer. Pour effacer quatre ans d'ingratitude, Oui, qu'un tombeau témoigne de nos larmes. Assistez-moi, vous pour qui j'ai chanté Paix et concorde, au bruit sanglant des armes; Et sous le joug, espoir et liberté. Payez mes chants doux à votre mémoire: Je tends la main au plus humble denier. De Manuel pour consacrer la gloire, Prêtez secours au pauvre chansonnier. Source: http://www.poesies.net.